ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre élargie)
2 février 2022 ( *1 )
« Concurrence – Ententes – Marché des constructeurs de camions – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE – Accords et pratiques concertées sur les prix de vente des camions, le calendrier relatif à l’introduction des technologies en matière d’émissions et la répercussion sur les clients des coûts relatifs à ces technologies – Procédure “ hybride” échelonnée dans le temps – Présomption d’innocence – Principe d’impartialité – Charte des droits
fondamentaux – Infraction unique et continue – Restriction de concurrence par objet – Portée géographique de l’infraction – Amende – Proportionnalité – Égalité de traitement – Compétence de pleine juridiction »
Dans l’affaire T‑799/17,
Scania AB, établie à Södertälje (Suède),
Scania CV AB, établie à Södertälje,
Scania Deutschland GmbH, établie à Coblence (Allemagne),
représentées par Mes D. Arts, F. Miotto, C. Pommiès, K. Schillemans, C. Langenius, L. Ulrichs, P. Hammarskiöld, S. Falkner et N. De Backer, avocats,
parties requérantes,
contre
Commission européenne, représentée par M. M. Farley et Mme L. Wildpanner, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2017) 6467 final de la Commission, du 27 septembre 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (affaire AT.39824 – Camions), ou, à titre subsidiaire, une réduction du montant des amendes infligées aux requérantes dans ladite décision,
LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),
composé de MM. S. Papasavvas, président, A. Kornezov, E. Buttigieg (rapporteur), Mme K. Kowalik‑Bańczyk et M. G. Hesse, juges,
greffier : M. B. Lefebvre, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 18 juin 2020,
rend le présent
Arrêt
I. Antécédents du litige
1 Les requérantes, Scania AB, Scania CV AB et Scania Deutschland GmbH (ci‑après « Scania DE »), sont trois entités légales de l’entreprise Scania (ci-après « Scania »). Scania est active dans la production et la vente de camions lourds (plus de 16 tonnes) destinés aux transports longue distance, à la distribution, aux transports liés aux activités de construction et aux travaux spécialisés.
2 Par sa décision C(2017) 6467 final, du 27 septembre 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (affaire AT.39824 – Camions) (ci-après la « décision attaquée »), la Commission européenne a constaté que les requérantes avaient enfreint l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE en prenant part, du 17 janvier 1997 jusqu’au 18 janvier 2011, avec des entités légales des entreprises [confidentiel] ( 1
), [confidentiel], [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel], à des arrangements collusoires sur les prix, sur l’augmentation des prix bruts des camions moyens et lourds dans l’EEE ainsi que sur le calendrier et la répercussion des coûts afférents à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour les camions moyens et lourds imposées par les normes Euro 3 à Euro 6 (article 1er de la décision attaquée). La Commission a infligé conjointement et solidairement à Scania AB et Scania
CV AB une amende de 880523000 euros, dont Scania DE est tenue pour conjointement et solidairement responsable au paiement de 440003282 euros (article 2 de la décision attaquée).
A. Procédure administrative à l’origine de la décision attaquée
3 Le 20 septembre 2010, [confidentiel] a présenté une demande d’immunité d’amende en conformité avec le paragraphe 14 de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17, ci-après la « communication sur la coopération »). Le 17 décembre 2010, la Commission a octroyé une immunité conditionnelle d’amende à [confidentiel].
4 Entre les 18 et 21 janvier 2011, la Commission a effectué des inspections dans les locaux, notamment, des requérantes.
5 Le 28 janvier 2011, [confidentiel] a demandé l’immunité d’amende conformément au paragraphe 14 de la communication sur la coopération et, à défaut, une réduction d’amende conformément au paragraphe 27 de ladite communication. Elle a été suivie dans cette démarche par [confidentiel] et par [confidentiel].
6 Au cours de l’enquête, la Commission a adressé, notamment, aux requérantes plusieurs demandes de renseignements en vertu de l’article 18 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).
7 Le 20 novembre 2014, la Commission a ouvert la procédure prévue à l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 contre les requérantes et des entités légales des entreprises mentionnées au point 2 ci-dessus et a adopté une communication des griefs qu’elle a notifiée à l’ensemble de ces entités, les requérantes incluses.
8 À la suite de la notification de la communication des griefs, ses destinataires ont eu accès au dossier d’enquête de la Commission.
9 Au cours du [confidentiel], les destinataires de la communication des griefs ont pris contact avec la Commission de manière informelle, lui demandant de poursuivre l’affaire dans le cadre de la procédure de transaction prévue à l’article 10 bis du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18). La Commission a décidé d’ouvrir une procédure de transaction
après que chacun des destinataires de la communication des griefs a confirmé sa volonté de prendre part à des discussions en vue d’une transaction.
10 Entre le [confidentiel] et le [confidentiel], des discussions en vue d’une transaction ont eu lieu entre chaque destinataire de la communication des griefs et la Commission. À la suite de ces discussions, certains destinataires de la communication des griefs ont, chacun, présenté à la Commission une demande formelle de transaction en vertu de l’article 10 bis, paragraphe 2, du règlement no 773/2004 (ci-après les « parties à la transaction »). Les requérantes n’ont pas présenté une telle demande.
11 Le 19 juillet 2016, la Commission a adopté, sur le fondement de l’article 7 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, la décision C(2016) 4673 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39824 – Camions), adressée aux parties à la transaction (ci-après la « décision de transaction »).
12 Dans la mesure où les requérantes avaient décidé de ne pas présenter une demande formelle de transaction, la Commission a poursuivi l’enquête les visant dans le cadre de la procédure normale (non transactionnelle).
13 Le 23 septembre 2016, les requérantes, après avoir eu accès au dossier, ont soumis leur réponse écrite à la communication des griefs.
14 Le 18 octobre 2016, les requérantes ont participé à une audition.
15 Le 7 avril 2017, la Commission, conformément au point 111 de sa communication concernant les bonnes pratiques relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 [TFUE] (JO 2011, C 308, p. 6), a adressé à Scania AB un exposé des faits. Le 23 juin 2017, la Commission a également adressé ledit exposé des faits à Scania CV AB et à Scania DE.
16 Le 12 mai 2017, Scania AB a communiqué à la Commission ses observations écrites sur les éléments de preuve annexés à l’exposé des faits, lesquelles reflétaient également la position de Scania CV AB et de Scania DE.
17 Le 27 septembre 2017, la Commission a adopté la décision attaquée.
B. Décision attaquée
1. Structure du marché des camions et mécanisme de fixation des prix dans l’industrie des camions
18 La Commission a débuté la décision attaquée par la présentation, aux considérants 22 à 50, de la structure du marché des camions et du mécanisme de fixation des prix dans l’industrie des camions, y compris en ce qui concerne Scania.
a) Structure du marché des camions
19 En ce qui concerne la structure du marché des camions, la Commission relève que celui‑ci se caractérise par un niveau élevé de transparence et de concentration, les parties ayant plusieurs occasions de se réunir annuellement et de discuter de la situation du marché. Selon la Commission, par le biais de tous les échanges, les parties pouvaient avoir une idée précise de la situation concurrentielle de chacune d’elles (considérants 22 et 23 de la décision attaquée).
20 La Commission relève également que les parties, y compris Scania, disposent de filiales dans des marchés nationaux importants agissant en tant que distributeurs de leurs produits. Ces distributeurs nationaux disposeraient de leur propre réseau des concessionnaires (considérant 25 de la décision attaquée). La Commission note que Scania vend ses camions par le biais de distributeurs nationaux, qui sont des filiales détenues à 100 % par elle dans tous les États de l’EEE, à l’exception de
[confidentiel]. Les distributeurs nationaux de Scania vendraient les camions achetés auprès du siège à des concessionnaires qui seraient soit des filiales détenues 100 % soit des entreprises indépendantes. La Commission relève que, en Allemagne, Scania dispose de [confidentiel] concessionnaires qui sont des filiales à 100 % (considérant 26 de la décision attaquée).
b) Mécanisme de fixation des prix dans l’industrie des camions
21 En ce qui concerne le mécanisme de fixation des prix, la Commission constate que celui-ci comporte les mêmes étapes pour toutes les parties et débute, généralement, dans le cadre d’une première étape, par la fixation, par le siège, d’un barème des prix bruts initial. En outre, selon la Commission, dans le cadre d’une deuxième étape, des prix de transfert sont fixés pour la vente des camions dans les différents marchés nationaux entre le siège des constructeurs et les distributeurs nationaux qui
sont des entreprises indépendantes ou détenues à 100 % par le siège. Par ailleurs, selon la Commission, sont fixés, dans le cadre d’une troisième étape, les prix qui sont payés par les concessionnaires aux distributeurs, et, dans le cadre d’une quatrième étape, le prix net final payé par les consommateurs qui est négocié par les concessionnaires ou les constructeurs eux-mêmes lorsqu’ils vendent directement aux concessionnaires ou aux clients importants (considérant 38 de la décision attaquée).
22 La Commission constate que, si le prix final payé par les consommateurs peut varier (par exemple, en raison de l’application des différents rabais à différents niveaux de la chaîne de distribution), tous les prix applicables à chaque étape de la chaîne de distribution découlent directement (dans le cas des prix de transfert entre le siège et le distributeur) ou indirectement (dans le cas du prix payé par le concessionnaire au distributeur ou dans le cas du prix payé par le client final) du prix
brut initial. Il s’avère ainsi, selon la Commission, que les barèmes des prix bruts initiaux fixés par le siège constituent une composante commune et fondamentale des calculs des prix applicables à chaque étape des chaînes nationales de distribution dans toute l’Europe (considérant 38 de la décision attaquée). La Commission précise que toutes les parties, à l’exception de [confidentiel], ont établi entre 2000 et 2006 des barèmes des prix bruts composés des prix bruts harmonisés pour tout l’EEE
(considérant 40 de la décision attaquée).
c) Mécanisme de fixation des prix au sein de Scania
23 Aux considérants 41 à 50 de la décision attaquée, la Commission décrit le mécanisme de fixation des prix au sein de Scania et les acteurs impliqués dans cette fixation.
24 Selon cette description, le siège de Scania fixe le barème des prix bruts départ usine (ci‑après la « FGPL ») pour toutes les différentes pièces disponibles d’un camion (considérant 44 de la décision attaquée). [confidentiel].
25 Chaque distributeur national de Scania (par exemple Scania DE) négocie avec le siège de Scania un « prix net pour le distributeur » (le prix que le distributeur paie au siège pour chaque pièce) sur la base de la FGPL qu’il a reçue. Le prix net pour le distributeur est indiqué dans un document appelé « RPU » qui présente la différence entre la FGPL et le prix net pour le distributeur en termes de rabais. Les rabais accordés au distributeur sont fixés par [confidentiel] au siège de Scania, mais ils
sont également discutés au sein du comité sur les prix. La décision finale sur le prix net pour le distributeur de Scania revient [confidentiel] (considérant 45 de la décision attaquée).
26 En outre, le distributeur national de Scania communique son propre barème des prix bruts (consistant dans le prix net pour le distributeur plus la marge bénéficiaire) pour toutes les différentes pièces disponibles d’un camion aux concessionnaires Scania sur son territoire (considérant 46 de la décision attaquée).
27 Le concessionnaire de Scania négociera avec le distributeur un « prix net pour le concessionnaire » qui est fondé sur le barème des prix bruts du distributeur diminué d’une réduction substantielle dont bénéficie le concessionnaire (considérant 47 de la décision attaquée).
28 [confidentiel].
29 Les clients qui achètent les camions par les concessionnaires de Scania payent le « prix client ». Le « prix client » consiste dans le prix net pour le concessionnaire augmenté de la marge bénéficiaire du concessionnaire et des coûts éventuels découlant de l’individualisation du camion et diminué en fonction des réductions et des promotions offertes au client (considérant 48 de la décision attaquée). La Commission constate que la modification du prix à une étape quelconque de la chaîne de
distribution aura un impact limité ou sera sans incidence sur le prix final payé par le consommateur (considérant 48 de la décision attaquée).
30 La Commission constate que la FGPL s’applique au niveau mondial, tandis que le prix net pour le distributeur et le barème des prix bruts du distributeur s’appliquent à la région dans laquelle le distributeur opère. De même, le prix négocié par le concessionnaire est appliqué à la région dans laquelle le concessionnaire opère (considérant 49 de la décision attaquée).
31 Le considérant 50 de la décision attaquée contient un graphique des différentes étapes du mécanisme de tarification au sein de Scania, telles que décrites aux points 24 à 29 ci‑dessus. Ce graphique a été fourni par les requérantes lors de la procédure administrative et se présente comme suit :
Image
d) Sur l’impact des augmentations des prix au niveau européen sur les prix au niveau national
32 Aux considérants 51 et 52 de la décision attaquée, la Commission examine l’impact des augmentations des prix au niveau européen sur les prix au niveau national. À cet égard, la Commission note que les distributeurs nationaux des constructeurs, tels que Scania DE, ne sont pas indépendants dans la fixation des prix bruts et des barèmes des prix bruts et que tous les prix appliqués dans chaque étape de la chaîne de distribution jusqu’au consommateur final découlent des barèmes des prix bruts
paneuropéens fixés au niveau du siège (considérant 51 de la décision attaquée).
33 Il s’ensuit, selon la Commission, qu’une augmentation des prix dans le barème paneuropéen des prix bruts, décidée au niveau du siège, détermine le mouvement du « prix net pour le distributeur », c’est-à-dire du prix que le distributeur paye au siège pour l’achat du camion. Par conséquent, selon la Commission, l’augmentation par le siège des prix bruts susvisés influence également le niveau du prix brut du distributeur, à savoir le prix que le concessionnaire paie au distributeur, même si le prix
au consommateur final n’est pas nécessairement modifié dans la même proportion ou n’est pas modifié du tout (considérant 52 de la décision attaquée).
2. Contacts collusoires entre Scania et les parties à la transaction
34 Dans la décision attaquée, la Commission a retenu que Scania avait participé à des réunions collusoires et à des contacts avec les parties à la transaction au sein de différents forums et à différents niveaux, lesquels ont évolué au fil du temps, tandis que les entreprises participantes, les objectifs et les produits concernés étaient restés les mêmes (considérant 75 de la décision attaquée).
35 Trois niveaux de contacts collusoires ont été identifiés par la Commission.
36 En premier lieu, la Commission a retenu que, dans les premières années de l’infraction, les cadres supérieurs des parties à l’entente discutaient de leurs intentions en matière de prix, des futures augmentations des prix bruts, parfois aussi de l’évolution des prix nets à la consommation et, parfois, s’étaient mis d’accord sur l’augmentation de leurs prix bruts. Dans la décision attaquée, la Commission se référait à ce niveau de contacts collusoires en tant que « niveau des instances
dirigeantes » (top management). La Commission a ajouté que, lors des réunions au niveau des instances dirigeantes, les parties à l’entente se sont entendues, en outre, sur le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des modèles de camions conformes aux normes Euro 3 à Euro 5 et il a été convenu à certaines occasions de ne pas introduire les technologies concernées avant une certaine date (considérant 75 de la décision attaquée). La Commission a retenu que les réunions au
niveau des instances dirigeantes avaient eu lieu entre 1997 et 2004 [considérant 327, sous a), de la décision attaquée].
37 En deuxième lieu, la Commission a retenu que, pendant une période limitée et parallèlement aux réunions au niveau des instances dirigeantes, des cadres intermédiaires du siège des parties à l’entente tenaient des discussions, lesquelles comprenaient, outre l’échange d’informations techniques, des échanges sur les prix et sur des augmentations des prix bruts. Dans la décision attaquée, la Commission se référait à ce niveau de contacts collusoires en tant que « niveau inférieur du siège » (lower
headquarters level)] (considérant 75 de la décision attaquée). La Commission a retenu que les réunions au niveau inférieur du siège avaient eu lieu entre 2000 et 2008 [considérant 327, sous a), de la décision attaquée].
38 En troisième lieu, la Commission a retenu que, à la suite de l’introduction de l’euro et de l’introduction des barèmes des prix bruts à l’échelle européenne par la quasi-totalité des constructeurs de camions, les parties à l’entente avaient poursuivi la coordination systématique de leurs intentions de prix futurs par l’intermédiaire de leurs filiales allemandes. Dans la décision attaquée, la Commission se référait à ce niveau de contacts collusoires en tant que « niveau allemand » (German level
meetings). La Commission a précisé que, de la même manière que les contacts des premières années de l’entente, les représentants des filiales allemandes discutaient des futures augmentations des prix bruts, ainsi que du calendrier et de la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour les camions moyens et lourds, imposées par les normes Euro 5 et Euro 6. Ils échangeaient également d’autres informations commerciales sensibles (considérant 76 de la
décision attaquée). La Commission a retenu que les réunions au niveau allemand avaient eu lieu à partir de 2004 [considérant 327, sous a), de la décision attaquée].
3. Application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE
a) Accords et pratiques concertées
39 La Commission a considéré que les preuves documentaires figurant dans le dossier démontraient que les contacts susvisés concernaient :
– les modifications, envisagées par les participants à l’entente, des prix bruts, des barèmes des prix bruts, du calendrier de ces modifications ainsi que, occasionnellement, des échanges relatifs aux modifications envisagées des prix nets ou aux modifications des rabais offerts aux clients [considérant 212, sous a), de la décision attaquée] ;
– la date d’introduction des technologies en matière d’émissions pour les camions moyens et lourds, requises par les normes Euro 3 à Euro 6, ainsi que la répercussion des coûts relatifs à l’introduction de ces technologies [considérant 212, sous b), de la décision attaquée] ;
– le partage d’autres informations sensibles du point de vue de la concurrence, telles que les parts des marchés cibles, les prix nets actuels et les rabais, les barèmes des prix bruts (même avant leur entrée en vigueur), les configurateurs des camions, les commandes et les niveaux des stocks [considérant 212, sous c), de la décision attaquée].
40 La Commission a relevé que les parties avaient des contacts multilatéraux à des niveaux différents et que, parfois, elles avaient des contacts et des réunions communes à des niveaux différents. Selon la Commission, ces contacts étaient liés entre eux par leur contenu, par leur date, par des références ouvertes les uns aux autres et par la circulation entre eux de l’information obtenue (considérant 213 de la décision attaquée).
41 La Commission a considéré que ces activités constituaient une forme de coordination et de coopération par laquelle les parties substituaient sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence. Selon la Commission, le comportement en cause prenait la forme d’un accord ou d’une pratique concertée dans lequel les entreprises concurrentes s’abstenaient de déterminer de manière indépendante la politique commerciale qu’elles envisageaient d’adopter sur le marché, mais
coordonnaient plutôt leur comportement en matière de prix par des contacts directs et s’engageaient dans le retard coordonné de l’introduction des technologies (considérant 214 de la décision attaquée). D’après la Commission, la participation systématique aux contacts collusoires a créé un climat de compréhension mutuelle de la politique tarifaire des parties (considérant 215 de la décision attaquée).
42 La Commission a relevé que Scania participait régulièrement aux différentes formes collusoires pendant toute la durée de l’infraction et a conclu que l’infraction à laquelle Scania avait participé prenait la forme d’un accord et/ou d’une pratique concertée au sens de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (considérant 229 de la décision attaquée).
b) Restriction de la concurrence
43 La Commission a relevé que le comportement anticoncurrentiel en l’espèce avait pour objet la restriction de la concurrence (considérant 236 de la décision attaquée).
44 Selon la Commission, le principal aspect de l’ensemble des accords et des pratiques concertées qui pouvait être qualifié de restriction de la concurrence consistait en la coordination des prix et des hausses de prix bruts par le biais de contacts sur les prix, la coordination sur la date et les coûts supplémentaires résultant de l’introduction sur le marché des nouveaux camions conformes aux normes en matière d’émissions et l’échange d’informations sensibles sur le plan de la concurrence
(considérant 237 de la décision attaquée).
45 La Commission a retenu que Scania avait participé aux contacts collusoires décrits au point 39 ci-dessus et que l’ensemble des accords et pratiques concertées auxquels elle avait participé avait pour objet la restriction de la concurrence au sens de l’article 101 TFUE (considérants 238 et 239 de la décision attaquée).
c) Infraction unique et continue
46 La Commission a considéré que les accords et/ou les pratiques concertées entre Scania et les parties à la transaction constituaient une infraction unique et continue relevant de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ainsi que de l’article 53 de l’accord EEE pour la période comprise entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011. L’infraction a consisté en une collusion concernant les prix et les augmentations de prix bruts dans l’EEE pour les camions moyens et lourds ainsi que concernant le
calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction de technologies en matière d’émissions pour les camions moyens et lourds imposées par les normes Euro 3 à Euro 6 (considérant 315 de la décision attaquée).
47 Plus spécifiquement, la Commission a considéré que, par le biais des contacts anticoncurrentiels, les parties avaient poursuivi un plan commun ayant un objectif anticoncurrentiel unique et que Scania avait connaissance ou devait avoir connaissance du champ d’application général et des caractéristiques essentielles du réseau de contacts collusoires et avait l’intention de contribuer à l’entente par ses actions (considérant 316 de la décision attaquée).
48 La Commission a relevé que l’objectif anticoncurrentiel unique consistait en la limitation de la concurrence sur le marché des camions moyens et lourds dans l’EEE. Cet objectif aurait été atteint par le biais des pratiques réduisant les niveaux d’incertitude stratégique entre les parties en ce qui concerne les prix futurs et les hausses des prix bruts ainsi qu’en ce qui concerne le calendrier et la répercussion des coûts liés à l’introduction de camions respectant les normes environnementales
(considérant 317 de la décision attaquée).
d) Portée géographique de l’infraction
49 La Commission a considéré que la portée géographique de l’infraction s’étendait à l’ensemble du territoire de l’EEE pour la période entière de l’infraction (considérant 386 de la décision attaquée).
4. Destinataires
50 En premier lieu, la Commission a adressé la décision attaquée à Scania CV AB et à Scania DE, qu’elle considérait comme étant responsables directes de l’infraction pour les périodes suivantes :
– en ce qui concerne Scania CV AB, pour la période comprise entre le 17 janvier 1997 et le 27 février 2009 ;
– en ce qui concerne Scania DE, pour la période comprise entre le 20 janvier 2004 et le 18 janvier 2011 (considérant 410 de la décision attaquée).
51 En second lieu, la Commission a également retenu que, pendant la période comprise entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011, Scania AB détenait, directement ou indirectement, la totalité des actions de Scania CV AB, laquelle, à son tour, détenait, directement ou indirectement, la totalité des actions de Scania DE (considérant 411 de la décision attaquée). Par conséquent, la Commission a indiqué qu’elle adressait la décision attaquée également aux entités suivantes, lesquelles seraient tenues
conjointement et solidairement pour responsables en tant que sociétés mères :
– à Scania AB responsable, d’une part, pour le comportement de Scania CV AB pour la période comprise entre le 17 janvier 1997 et le 27 février 2009 et, d’autre part, pour le comportement de Scania DE pour la période comprise entre le 20 janvier 2004 et le 18 janvier 2011 ;
– à Scania CV AB en tant que responsable du comportement de Scania DE pour la période comprise entre le 20 janvier 2004 et le 18 janvier 2011 (considérant 412 de la décision attaquée).
52 La Commission a conclu que les destinataires de la décision attaquée étaient les entités Scania AB, Scania CV AB et Scania DE (considérant 413 de la décision attaquée).
5. Calcul du montant de l’amende
53 La Commission a appliqué, en l’espèce, les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci‑après les « lignes directrices pour le calcul des amendes »).
a) Montant de base de l’amende
54 En ce qui concerne, en premier lieu, la valeur des ventes, elle a été calculée sur la base des ventes de camions lourds réalisées par les requérantes dans l’EEE (ajustées pour tenir compte de l’évolution du territoire de l’EEE) en 2010 – qui est la dernière année complète de l’infraction (considérants 429 à 431 de la décision attaquée). La Commission a calculé que cette valeur correspondait au montant de [confidentiel] euros.
55 La Commission a estimé que, compte tenu de l’ampleur de la valeur des ventes des requérantes, les objectifs de dissuasion et de proportionnalité sous-tendant l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 pouvaient être atteints sans avoir recours à la valeur totale des ventes de camions lourds des requérantes en 2010. Par conséquent, et en application du paragraphe 37 des lignes directrices pour le calcul des amendes, la Commission a décidé de ne retenir qu’une fraction de la valeur
totale des ventes aux fins du calcul de l’amende, à savoir le montant de [confidentiel] euros (considérants 432 et 433 de la décision attaquée). La Commission a souligné que le pourcentage de la valeur des ventes qu’elle avait retenu pour Scania était le même que celui retenu dans la décision de transaction en ce qui concerne les parties à la transaction (considérant 432 in fine de la décision attaquée).
56 En ce qui concerne, en deuxième lieu, la gravité de l’infraction, la Commission a estimé que, compte tenu, premièrement, du fait que les accords relatifs à la coordination des prix figuraient, de par leur nature même, parmi les infractions les plus graves à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, deuxièmement, de la circonstance que l’entente s’étendait à tout l’EEE, et, troisièmement, de la part de marché cumulée élevée des entreprises impliquées dans l’entente (qui était
supérieure à 90 %), le coefficient de gravité utilisé en l’espèce (à savoir le pourcentage de la valeur des ventes retenu) s’élevait à 17 % (considérants 434 à 437 de la décision attaquée).
57 En troisième lieu, la Commission, en prenant en compte la durée de la participation de Scania à l’infraction, a multiplié le montant résultant du point 56 ci-dessus par 14, ce chiffre constituant le nombre d’années de cette participation (considérants 438 et 439 de la décision attaquée).
58 En quatrième lieu, la Commission, conformément au paragraphe 25 des lignes directrices pour le calcul des amendes, a augmenté le montant de base d’un montant additionnel (droit d’entrée), s’élevant à 17 % de la valeur des ventes retenue (considérants 440 et 441 de la décision attaquée).
59 Sur la base de ces calculs, la Commission a conclu que le montant de base de l’amende s’élevait à 880523000 euros (considérant 442 de la décision attaquée).
b) Montant final de l’amende
60 La Commission a considéré qu’il n’existait pas en l’espèce de circonstances aggravantes ou atténuantes pouvant modifier le montant de base de l’amende imposée à Scania (considérant 444 de la décision attaquée). Dès lors, elle a conclu que le montant final de l’amende s’élevait à 880523000 euros et que ce montant n’excédait pas le seuil légal maximal de 10 % du chiffre d’affaires de Scania (considérants 445 à 447 de la décision attaquée).
6. Dispositif de la décision attaquée
61 Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :
« Article premier
Les entités juridiques suivantes de Scania, en se concertant sur les prix et les hausses de prix bruts dans l’EEE pour les camions moyens et lourds et sur le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour les camions moyens et lourds, imposées par les normes Euro 3 à 6, ont enfreint l’article 101 TFUE et l’article 53 [de l’accord] EEE pendant les périodes suivantes :
a) Scania AB (publ) pour la période entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011 ;
b) Scania CV AB (publ) pour la période entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011 ;
c) Scania DE pour la période entre le 20 janvier 2004 et le 18 janvier 2011.
Article 2
Pour l’infraction mentionnée dans l’article premier, les amendes suivantes sont imposées :
880523000 euros conjointement et solidairement à Scania AB (publ) et Scania CV AB (publ) dont Scania DE est tenue conjointement et solidairement [pour] responsable [d]u paiement de 440003282 euros.
[…] »
II. Procédure et conclusions des parties
62 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 décembre 2017, les requérantes ont introduit le présent recours.
63 Par lettre du 20 février 2019, le greffe du Tribunal a informé les parties de la clôture de la phase écrite de la procédure.
64 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 mars 2019, les requérantes ont présenté une demande d’audience de plaidoiries. La Commission n’a pas pris position sur la tenue d’une audience dans le délai imparti.
65 La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, le juge rapporteur a été affecté à la dixième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.
66 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (dixième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.
67 Sur proposition de la dixième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.
68 Dans le contexte de la crise sanitaire liée à la COVID‑19, l’audience prévue le 2 avril 2020 a été reportée.
69 Un membre de la dixième chambre élargie ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal a désigné le vice-président du Tribunal pour compléter la dixième chambre élargie et exercer, ainsi, la fonction de président de celle-ci.
70 Par lettre du 5 juin 2020, les requérantes, sur le fondement de l’article 66 du règlement de procédure, ont demandé l’omission envers le public de certaines données figurant dans le rapport d’audience. Par lettre du même jour, la Commission, sur le même fondement, a demandé l’omission envers le public de certaines données figurant, notamment, dans le rapport d’audience et dans l’arrêt mettant fin à l’instance.
71 Par lettre du 5 juin 2020, la Commission, sur le fondement de l’article 109, paragraphe 2, du règlement de procédure, a demandé que l’audience soit tenue à huis clos. Les requérantes ont déposé leurs observations sur cette demande le 9 juin 2020.
72 Le 12 juin 2020, le Tribunal a décidé la tenue de l’audience à huis clos.
73 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 18 juin 2020.
74 Lors de l’audience, le Tribunal a indiqué aux parties qu’il considérait comme étant nécessaire pour la résolution du litige qu’il examine certains documents mentionnés dans la décision attaquée.
75 À la suite de précisions apportées par la Commission, dans une lettre du 23 juin 2020, sur le contenu et le régime juridique des documents visés au point 74 ci-dessus, le Tribunal, par ordonnance du 14 juillet 2020, a adopté une mesure d’instruction et une mesure d’organisation de la procédure demandant à la Commission la production desdits documents. La Commission a déféré à la demande du Tribunal dans le délai imparti.
76 La phase orale de la procédure a été close le 26 octobre 2020.
77 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– à défaut, annuler partiellement la décision attaquée et réduire le montant de l’amende qui leur a été infligée en vertu de l’article 261 TFUE et de l’article 31 du règlement no 1/2003 ;
– en tout état de cause, substituer sa propre appréciation à celle retenue par la Commission quant au montant de l’amende qui leur a été infligée et réduire celui-ci conformément à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003 ;
– condamner la Commission aux dépens.
78 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
III. En droit
A. Sur l’omission de certaines données envers le public
79 La Commission, dans sa lettre du 5 juin 2020 (voir point 70 ci‑dessus), a demandé l’omission envers le public, notamment, des données que les parties à la transaction lui avaient demandé d’omettre dans la version non confidentielle de la décision attaquée. La Commission a informé le Tribunal que, s’agissant de ces dernières demandes, les parties à la transaction avaient saisi le conseiller-auditeur sur le fondement de l’article 8 de la décision 2011/695/UE du président de la Commission, du
13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (JO 2011, L 275, p. 29) et que, à cette date‑là, le conseiller-auditeur n’avait pas encore statué sur les demandes susvisées des parties à la transaction.
80 Le Tribunal, dans le cadre de l’application de l’article 66 du règlement de procédure, doit concilier le principe de publicité des décisions de justice avec le droit à la protection des données personnelles et le droit à la protection du secret professionnel, en ayant également égard au droit du public d’avoir accès conformément aux principes inscrits à l’article 15 TFUE, aux décisions de justice (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 5 octobre 2020, Broughton/Eurojust, T‑87/19, non publié,
EU:T:2020:464, point 49).
81 Dans le cadre de cet exercice de conciliation, le Tribunal a décidé, en l’espèce, s’agissant de la version non confidentielle du présent arrêt, de procéder à l’anonymisation des noms des personnes physiques et d’occulter la dénomination des personnes morales autres que les requérantes. Il a également décidé d’occulter certaines données relatives, notamment, au mécanisme de fixation des prix au sein de Scania et au calcul de l’amende imposée à celle-ci, dont l’occultation n’affecte pas la
compréhension de la version non confidentielle de l’arrêt.
82 En revanche, le Tribunal a décidé de ne pas occulter, dans la version non confidentielle de l’arrêt, les données visées par les demandes des parties à la transaction adressées à la Commission (voir point 79 ci‑dessus). En effet, certaines de ces données peuvent être inférées du contenu des documents publiés sur le site Internet de la direction générale « Concurrence » de la Commission et relèvent donc du domaine public. Certaines autres données constituent simplement des qualifications juridiques
du comportement des parties à la transaction et de Scania ou fournissent des précisions factuelles relatives à ce comportement. L’occultation de ces données affecterait la compréhension par le public de l’arrêt du Tribunal.
83 La circonstance, invoquée par la Commission, selon laquelle le conseiller-auditeur n’a pas encore statué sur les demandes des parties à la transaction, n’affecte pas l’appréciation du Tribunal. En effet, l’appréciation du conseiller-auditeur vise à l’établissement de la version non confidentielle de la décision attaquée, tandis que l’appréciation effectuée par le Tribunal dans le cadre de l’article 66 du règlement de procédure, concerne l’établissement de la version non confidentielle de l’arrêt.
Ces deux appréciations ont, dès lors, des objets différents et, partant, le Tribunal doit procéder indépendamment du déroulement de la procédure devant le conseiller-auditeur.
B. Sur le fond
84 À l’appui de leur recours, les requérantes ont soulevé neuf moyens.
85 Dans le cadre du premier moyen, les requérantes invoquent une violation des droits de la défense, du principe de bonne administration et de la présomption d’innocence résultant, notamment, de l’adoption de la décision de transaction préalablement à l’adoption de la décision attaquée. Dans le cadre du deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») et de l’article 27, paragraphes 1 et 2, du
règlement no 1/2003, les requérantes font, en substance, grief à la Commission de leur avoir refusé l’accès à l’intégralité des réponses à la communication des griefs présentées par [confidentiel] et par [confidentiel].
86 Les troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième moyens, tirés, notamment, de l’application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, visent, en substance, la conclusion de la Commission relative à l’existence en l’espèce d’une infraction unique et continue et son imputation à Scania.
87 Dans le cadre du huitième moyen, tiré d’une application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE ainsi que de l’article 25 du règlement no 1/2003, les requérantes font grief à la Commission de leur avoir infligé une amende portant sur un comportement soumis à prescription et, en tout état de cause, de ne pas avoir pris en considération le fait que ledit comportement n’était pas continu.
88 Le neuvième moyen est tiré de la violation du principe de proportionnalité et du principe d’égalité de traitement en ce qui concerne le montant de l’amende. En prenant appui sur ce moyen, les requérantes demandent également au Tribunal, à titre subsidiaire, de réduire le montant de l’amende, en application de l’article 261 TFUE et de l’article 31 du règlement no 1/2003.
1. Sur le premier moyen, tiré de la violation des droits de la défense, du principe de bonne administration et de la présomption d’innocence
89 À l’appui du premier moyen, les requérantes avancent, en substance, que la décision de transaction et la décision attaquée, qui ont été adoptées sur la base des mêmes objections soulevées dans la communication des griefs adressée tant aux parties à la transaction qu’aux requérantes, concernent la même entente présumée et s’appuient, toutes les deux, sur les mêmes faits et preuves.
90 Partant de cette prémisse, en premier lieu, les requérantes soutiennent que la décision attaquée a été adoptée en violation de leurs droits de la défense tels que consacrés à l’article 48, paragraphe 2, de la Charte et à l’article 27, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1/2003, dans la mesure où la Commission avait procédé, dans la décision de transaction, à la qualification juridique des faits et avait qualifié d’infraction le comportement auquel Scania avait participé avant qu’elle n’ait eu la
possibilité d’exercer de manière efficace ses droits de la défense.
91 En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que la Commission a manqué à son obligation de mener un examen diligent et impartial découlant du principe de bonne administration consacré à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, dans la mesure où, ayant adopté la décision de transaction préalablement à l’adoption de la décision attaquée, elle n’était plus en mesure de faire preuve d’impartialité et d’évaluer objectivement les éléments de preuve et les arguments avancés par Scania dans le cadre
de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée.
92 Les requérantes ajoutent que, dans ces conditions, même un examen complet par le Tribunal des éléments de preuve sur lesquels la Commission s’appuie et qui figurent dans son dossier ne saurait remédier à la violation ainsi commise de l’article 41, paragraphe 1, de la Charte.
93 En troisième lieu, les requérantes soutiennent que la décision attaquée est entachée d’une violation de la présomption d’innocence dont le respect est garanti à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte. Plus spécifiquement, elles font valoir que la décision de transaction définit la position finale de la Commission en ce qui concerne les mêmes faits que ceux énoncés dans la communication des griefs et conclut que ces faits, à la réalisation desquels Scania aurait aussi participé, sont
constitutifs d’une infraction. Cette déclaration dépasserait la simple évocation d’une responsabilité éventuelle de Scania et constituerait donc une infraction au droit à la présomption d’innocence dont devrait bénéficier Scania jusqu’à la preuve du contraire, à apporter par la Commission.
94 Selon les requérantes, considérer que la violation de la présomption d’innocence est sans importance tant qu’elle ne conduit pas la Commission à rendre une « mauvaise » décision, à savoir une décision dans laquelle le constat de l’infraction n’est pas dûment étayé par des éléments de preuve, revient en pratique à priver cette présomption de son contenu ou de son objectif, puisque, si la partie requérante pouvait démontrer que la décision était erronée, elle n’aurait alors pas besoin d’invoquer
une quelconque atteinte à l’équité de la procédure.
95 Les requérantes concluent que, du fait de l’adoption de la décision de transaction préalablement à l’adoption de la décision attaquée, la Commission ne pouvait pas adopter cette dernière à l’encontre de Scania en toute impartialité et sans procéder de manière irréparable à une violation de son droit d’être entendue et de la présomption d’innocence à son égard.
96 La Commission conteste les arguments des requérantes et conclut au rejet du premier moyen.
97 À titre liminaire, il convient de relever, ainsi que les requérantes l’ont confirmé lors de l’audience en réponse à une question du Tribunal, que, dans le cadre du premier moyen, elles contestent le caractère « hybride » de la procédure suivie par la Commission, lequel, dans les circonstances de l’espèce, aurait conduit aux violations alléguées, à savoir, la violation du principe de la présomption d’innocence, du devoir d’impartialité et des droits de la défense de Scania qui s’était retirée de
la procédure de transaction. En particulier, le fait d’avoir adopté la décision de transaction avant la décision attaquée aggraverait ces violations.
98 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 10 bis du règlement no 773/2004, intitulé « Procédure de transaction dans les affaires d’entente », prévoit :
« 1. Après l’ouverture de la procédure prévue à l’article 11, paragraphe 6, du règlement […] no 1/2003, la Commission peut impartir aux parties un délai pour lui faire savoir par écrit si elles sont disposées à prendre part à des discussions en vue de parvenir à une transaction, afin de présenter, le cas échéant, des propositions de transaction. La Commission n’est pas tenue de prendre en considération les réponses reçues après l’expiration de ce délai.
[...]
2. La Commission peut informer les parties prenant part aux discussions en vue d’une transaction :
a) des griefs qu’elle envisage de soulever à leur encontre ;
b) des preuves utilisées pour formuler les griefs envisagés ;
c) des versions non confidentielles de tout document accessible figurant dans le dossier de l’affaire à ce moment-là, pour autant que la demande de la partie en cause se justifie pour lui permettre de préciser sa position concernant une période donnée ou tout autre aspect de l’entente ;
d) et de la fourchette des amendes probables.
[...]
Si les discussions en vue d’une transaction progressent, la Commission peut impartir aux parties un délai pour s’engager éventuellement à suivre la procédure de transaction en présentant des propositions de transaction reflétant les résultats des discussions menées à cet effet et reconnaissant leur participation à une infraction à l’article 101 [TFUE], ainsi que leur responsabilité. […] Avant que la Commission ne fixe un délai pour l’introduction des propositions de transaction, les parties en
cause ont le droit, si elles en font la demande, d’obtenir la communication rapide des informations mentionnées au premier alinéa. La Commission n’est pas tenue de prendre en considération les propositions de transaction reçues après l’expiration de ce délai. […]
3. Lorsque la communication des griefs notifiée aux parties reprend la teneur de leurs propositions de transaction, les parties en cause doivent, dans le délai fixé par la Commission, confirmer, dans leur réponse écrite à cette communication des griefs, que cette dernière reflète la teneur de leurs propositions de transaction. La Commission peut alors adopter une décision en vertu des articles 7 et 23 du règlement […] no 1/2003, après consultation du comité consultatif en matière d’ententes et
de positions dominantes conformément à l’article 14 du règlement […] no 1/2003.
4. La Commission peut décider, à toute étape de la procédure, de mettre fin aux discussions menées en vue d’une transaction, pour l’ensemble d’un dossier spécifique ou à l’égard d’une ou [de] plusieurs parties concernées, si elle considère qu’il est probable que l’efficacité de la procédure est menacée. »
99 D’emblée, il convient de relever que cette disposition ne s’oppose pas à, et n’exclut pas, la possibilité pour la Commission de suivre une procédure « hybride » dans le cadre de l’application de l’article 101 TFUE.
100 Par ailleurs, le Tribunal a déjà admis que la Commission était en droit de recourir à une telle procédure « hybride » et d’appliquer une procédure de transaction à l’égard des entreprises qui présentent des propositions de transaction, tout en poursuivant la procédure régie par des dispositions générales du règlement no 773/2004, au lieu de celles qui régissent la procédure de transaction, à l’égard des entreprises ne souhaitant pas présenter de telles propositions de transaction (voir, en ce
sens, arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission, T‑456/10, EU:T:2015:296, points 70, 71 et 104, confirmé sur pourvoi par arrêt du 12 janvier 2017, Timab Industries et CFPR/Commission, C‑411/15 P, EU:C:2017:11, points 119 et 136).
101 En outre, le Tribunal a également validé la possibilité pour la Commission d’adopter, dans un premier temps, une décision de transaction à l’égard des parties ayant décidé de transiger et, dans un second temps, une décision à la suite de la procédure ordinaire à l’égard des parties ayant décidé de ne pas transiger, à condition toutefois qu’elle veille au respect du principe de la présomption d’innocence, notamment lorsque l’adoption de la décision de transaction ne nécessite pas de déterminer la
responsabilité de la partie ne participant pas à la transaction (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission, T‑180/15, EU:T:2017:795, points 265 à 268, confirmé sur pourvoi par arrêt du 10 juillet 2019, Commission/Icap e.a., C‑39/18 P, EU:C:2019:584).
102 Ainsi que le fait valoir la Commission, retarder ou abandonner toute procédure de transaction au motif qu’une des entreprises concernées, comme en l’espèce Scania, s’est retirée de cette procédure irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par la procédure de transaction, tel qu’il est énoncé au considérant 4 du règlement (CE) no 622/2008 de la Commission, du 30 juin 2008, modifiant le règlement no 773/2004 en ce qui concerne les procédures de transaction engagées dans les affaires d’entente (JO
2008, L 171, p. 3), lequel est d’assurer un traitement plus rapide et plus efficace de l’affaire avec les entreprises ayant fait le choix de transiger. Toutefois, le respect dudit objectif ne doit pas porter préjudice aux exigences liées au respect du principe de la présomption d’innocence et du devoir d’impartialité.
103 Les circonstances de l’espèce, mises en avant par les requérantes lors de l’audience, à savoir le fait que la communication des griefs complète avait été adressée à toutes les parties et que celles-ci avaient obtenu l’accès complet au dossier d’instruction, ne permet pas de conclure, contrairement à ce que les requérantes font valoir, que le recours par la Commission à la procédure « hybride » échelonnée dans le temps n’a pas permis de satisfaire à un tel objectif de rapidité et d’efficacité. En
effet, cet objectif est visé également par d’autres circonstances propres à une procédure de transaction telles que la reconnaissance par les parties à la transaction, sans équivoque, de leur responsabilité dans l’infraction, l’acceptation de l’exercice limité de leur droit de la défense ainsi que de la fourchette d’amendes [voir communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement no 1/2003
dans les affaires d’ententes (JO 2008, C 167, p. 1), paragraphes 20 et 21].
104 En conséquence, contrairement à ce que font valoir, en substance, les requérantes, les procédures « hybrides » dans le cadre de l’application de l’article 101 TFUE, dans lesquelles l’adoption de la décision de transaction et de la décision à la suite de la procédure ordinaire sont échelonnées dans le temps, n’emportent pas en soi, dans toutes les circonstances, une violation de la présomption d’innocence, des droits de la défense ou du devoir d’impartialité et n’ont pas pour conséquence
inévitable que ces principes et ces droits ont été violés, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 100 et 101 ci-dessus.
105 Il s’ensuit que la Commission est en droit de recourir à une telle procédure « hybride » en adoptant la décision de transaction avant la décision attaquée, à condition toutefois que le plein respect de ces principes et droits soit assuré.
106 Ainsi, il convient d’examiner si, dans les circonstances de l’espèce, la Commission a respecté la présomption d’innocence et son devoir d’impartialité à l’égard de Scania ainsi que ses droits de la défense.
107 Les requérantes appuient leurs griefs du premier moyen principalement sur la prémisse selon laquelle la décision de transaction et la décision attaquée reposent sur les mêmes faits et sur les mêmes éléments de preuve. Elles se réfèrent à cet égard aux faits se rapportant aux comportements des parties à la transaction, tels que ceux exposés au point 3 de la décision de transaction, mais « impliquant nécessairement Scania » de sorte que le cercle d’entreprises dont le comportement avait été
qualifié juridiquement dans la décision de transaction ne se limiterait pas aux destinataires de cette décision, mais comprendrait aussi Scania. Les requérantes soutiennent également que la violation du principe de la présomption d’innocence résulte du fait que la décision de transaction et la décision attaquée ont été adoptées sur la base des mêmes objections soulevées dans la communication des griefs adressée tant aux parties à la transaction qu’aux requérantes.
108 À cet égard, s’agissant du grief tiré de la violation du principe de la présomption d’innocence, il convient de rappeler que ce principe constitue un principe général du droit de l’Union, énoncé désormais à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, lequel s’applique aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (voir arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission, C‑89/11 P,
EU:C:2012:738, points 72 et 73 et jurisprudence citée).
109 L’article 48 de la Charte correspond à l’article 6, paragraphes 2 et 3, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la « CEDH »), ainsi qu’il ressort des explications relatives à la Charte. Il s’ensuit, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, qu’il convient de prendre en considération l’article 6, paragraphes 2 et 3, de la CEDH aux fins de l’interprétation de l’article 48 de la Charte, en tant que
seuil de protection minimale et de s’inspirer de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») concernant l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH [voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, AH e.a. (Présomption d’innocence), C‑377/18, EU:C:2019:670, points 41 et 42]. En effet, l’article 52, paragraphe 3, de la Charte impose de donner aux droits contenus dans celle-ci correspondant à des droits garantis par la CEDH le même sens et la même portée que ceux
que leur confère ladite convention (voir arrêt du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 32 et jurisprudence citée).
110 En outre, il y a lieu de relever que, dans l’arrêt de la Cour EDH du 27 septembre 2011, A. Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie (CE:ECHR:2011:0927JUD004350908, points 39 à 44), relatif à une sanction infligée par l’autorité italienne de régulation de la concurrence en raison de pratiques anticoncurrentielles analogues à celles qui étaient reprochées aux requérantes, la Cour EDH a estimé que, compte tenu du montant élevé de l’amende infligée, la sanction relevait, par sa sévérité, de la matière
pénale. Toutefois, la Cour EDH a également jugé que la nature d’une procédure administrative, telle que celle en cause dans cet arrêt, pouvait différer, sous plusieurs aspects, de la nature d’une procédure pénale au sens strict du terme. Si ces différences ne sauraient exonérer les États contractants de leur obligation de respecter toutes les garanties offertes par le volet pénal de l’article 6 de la CEDH, elles peuvent néanmoins influencer les modalités de leur application (Cour EDH,
27 septembre 2011, A. Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie, CE:ECHR:2011:0927JUD004350908, point 62 ; voir également, en ce sens, Cour EDH, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande, CE:ECHR:2006:1123JUD007305301, point 43).
111 Le principe de la présomption d’innocence implique que toute personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Ce principe s’oppose ainsi à tout constat formel et même à toute allusion ayant pour objet la responsabilité d’une personne accusée d’une infraction donnée dans une décision mettant fin à l’action, sans que cette personne ait pu bénéficier de toutes les garanties inhérentes à l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une
procédure suivant son cours normal et aboutissant à une décision sur le bien-fondé de la contestation (voir arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission, T‑180/15, EU:T:2017:795, point 257 et jurisprudence citée, confirmé sur pourvoi par arrêt du 10 juillet 2019, Commission/Icap e.a., C‑39/18 P, EU:C:2019:584).
112 À cet égard, la Cour EDH a considéré que l’expression prématurée de la culpabilité d’un suspect dans un jugement rendu à l’encontre de suspects poursuivis séparément peut aussi, en théorie, porter atteinte au principe de la présomption d’innocence (voir Cour EDH, 27 février 2014, Karaman c. Allemagne, CE:ECHR:2014:0227JUD001710310, point 42 et jurisprudence citée).
113 Selon la Cour EDH, le principe de la présomption d’innocence se trouve méconnu si une décision judiciaire ou une déclaration officielle concernant un prévenu contient une déclaration claire, faite en l’absence de condamnation définitive, selon laquelle la personne concernée a commis l’infraction en question. Dans ce contexte, cette Cour a souligné l’importance, d’une part, du choix des termes employés par les autorités judiciaires ainsi que des circonstances particulières dans lesquelles ceux-ci
ont été formulés et, d’autre part, de la nature et du contexte de la procédure en question (voir, en ce sens, Cour EDH, 27 février 2014, Karaman c. Allemagne, CE:ECHR:2014:0227JUD001710310, point 63).
114 La Cour EDH a reconnu que, dans les procédures pénales complexes où étaient mis en cause plusieurs suspects ne pouvant être jugés ensemble, il arrivait que la juridiction nationale doive impérativement, pour apprécier la culpabilité des prévenus, faire mention de la participation de tiers qui seraient peut-être jugés séparément ensuite. Elle a précisé, toutefois, que, si des faits relatifs à l’implication de tiers devaient être introduits, la juridiction concernée devait éviter de communiquer
plus d’informations qu’il n’était nécessaire à l’analyse de la responsabilité juridique des personnes passant en jugement devant elle. En outre, cette même Cour a souligné que la motivation de décisions judiciaires devait être formulée en des termes qui étaient de nature à éviter un jugement prématuré potentiel relatif à la culpabilité des personnes tierces concernées, susceptible de compromettre l’examen équitable des charges retenues contre celles-ci dans le cadre d’une procédure distincte
(voir, en ce sens, Cour EDH, 27 février 2014, Karaman c. Allemagne, CE:ECHR:2014:0227JUD001710310, points 64 et 65, et 23 février 2016, Navalnyy et Ofitserov c. Russie, CE:ECHR:2016:0223JUD004663213, point 99).
115 Selon la jurisprudence de la Cour EDH, une atteinte à la présomption d’innocence peut émaner non seulement d’un juge ou d’un tribunal, mais aussi d’autres autorités publiques (voir Cour EDH, 15 mars 2011, Begu c. Roumanie, CE:ECHR:2011:0315JUD002044802, point 126 et jurisprudence citée).
116 En l’espèce, il convient de relever, à l’instar de la Commission, qu’aucun des passages de la décision de transaction mis en avant par les requérantes ne contient de référence ou d’allusion à Scania, de laquelle il ressortirait que la Commission avait, au moment de l’adoption de celle-ci, déjà préjugé sa responsabilité dans le cadre d’une infraction à l’article 101 TFUE.
117 À cet égard, premièrement, il convient de rappeler la teneur du considérant 4 de la décision de transaction, lequel prévoit ce qui suit :
« Le 20 novembre 2014, la Commission a engagé une procédure au titre de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 à l’encontre des destinataires de la présente décision et de plusieurs entités d’une autre entreprise. Cette entreprise n’a pas présenté de proposition de transaction en application de l’article 10 bis, paragraphe 2, du règlement no 773/2004. À la date de cette décision [de transaction], la procédure administrative engagée contre cette entreprise au titre de l’article 7 du
règlement no 1/2003 est pendante. Afin de lever toute ambiguïté, la présente décision [de transaction] ne formule aucune constatation concernant cette entreprise quant à une infraction au droit de la concurrence de l’Union européenne. »
118 Ainsi, au considérant 4 de la décision de transaction, la Commission visait implicitement Scania, d’une part, comme étant une entreprise contre laquelle la procédure administrative fondée sur l’article 7 du règlement no 1/2003 était pendante et, d’autre part, en indiquant que la décision de transaction ne formulait aucune conclusion la concernant quant à une infraction au droit de la concurrence de l’Union. Or, une telle référence doit être qualifiée tout au plus comme étant une émanation d’un
soupçon de responsabilité de Scania, laquelle devrait encore être établie, qui n’est pas constitutive d’une violation de la présomption d’innocence (voir, en ce sens et par analogie, Cour EDH, 27 février 2014, Karaman c. Allemagne, CE:ECHR:2014:0227JUD001710310, point 63, et 31 octobre 2017, Bauras c. Lituanie, CE:ECHR:2017:1031JUD005679513, point 51 et jurisprudence citée).
119 Toutefois, deuxièmement, quand bien même l’existence d’une telle référence explicite dans la décision de transaction à l’absence, à ce stade, de conclusion sur la responsabilité de Scania au titre de l’article 101 TFUE démontre la volonté de la Commission de se conformer à son obligation de respecter le principe de la présomption d’innocence, telle qu’elle a été posée par la jurisprudence de la Cour EDH (voir, en ce sens, Cour EDH, 27 février 2014, Karaman c. Allemagne,
CE:ECHR:2014:0227JUD001710310, points 67, 69 et 70, et 31 octobre 2017, Bauras c. Lituanie, CE:ECHR:2017:1031JUD005679513, point 54), à savoir indiquer clairement que Scania était concernée par une procédure distincte pendante et que sa responsabilité n’avait pas encore été légalement établie [voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, AH e.a. (Présomption d’innocence), C‑377/18, EU:C:2019:670, point 45], elle ne suffit pas, à elle seule, pour exclure la violation de ce principe, ainsi que la
Commission l’a admis, en substance, lors de l’audience.
120 Ainsi, afin de contrôler le respect de la présomption d’innocence, il convient encore d’analyser la motivation de la décision de transaction dans son ensemble à la lumière des circonstances particulières dans lesquelles celle-ci a été adoptée afin de vérifier que d’autres passages de cette décision susceptibles d’être compris comme une expression prématurée de la responsabilité de Scania dans l’infraction au droit de la concurrence de l’Union, ne vident pas de son sens la référence explicite à
l’absence de la conclusion sur sa responsabilité [voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, AH e.a. (Présomption d’innocence), C‑377/18, EU:C:2019:670, point 46].
121 À cet égard, les requérantes se réfèrent au point 3 de la décision de transaction, consacré à la description du comportement des destinataires de celle-ci, et plus particulièrement à certains passages dans lesquels la Commission a décrit les comportements auxquels auraient participé « entre autres » les destinataires de cette décision (considérants 47 et 60 de la décision de transaction).
122 La Commission a soutenu, lors de l’audience, que ces références ne devaient pas être comprises comme visant implicitement Scania, même si elles étaient lues conjointement avec le considérant 4 de la décision de transaction. Les requérantes n’ont pas présenté d’arguments de nature à réfuter cette interprétation des considérants 47 et 60 de la décision de transaction.
123 En tout état de cause, même à supposer que, en faisant référence dans la décision de transaction au comportement « entre autres » des destinataires de celle-ci, la Commission visait implicitement, notamment, Scania, une telle référence ne concerne pas sa responsabilité dans l’infraction en cause au sens de la jurisprudence rappelée au point 111 ci-dessus, mais, tout au plus, sa participation à certains comportements retenus à l’égard des parties à la transaction. Elle ne constitue donc pas une
déclaration « claire », faite en l’absence de condamnation définitive, selon laquelle Scania a commis l’infraction en cause au sens de la jurisprudence rappelée au point 113 ci-dessus.
124 En effet, dans la décision de transaction la Commission a procédé, ainsi qu’elle le fait valoir, à la qualification juridique des faits, tels que reconnus par les destinataires de celle-ci comme constituant une infraction à l’article 101 TFUE et a formulé, au point 4 de la décision de transaction, des conclusions quant à la responsabilité dans cette infraction en ce qui concerne les seuls destinataires de la décision de transaction.
125 Les requérantes soutiennent, toutefois, qu’une violation de la présomption d’innocence de Scania résulte du fait que la décision de transaction définit la position finale de la Commission en ce qui concerne les mêmes faits que ceux énoncés dans la communication des griefs et conclut que ces faits, à la réalisation desquels Scania aurait aussi participé, sont constitutifs d’une infraction. Cette déclaration dépasserait, selon les requérantes, la simple évocation d’une responsabilité éventuelle de
Scania.
126 À cet égard, il y a lieu de relever que les faits retenus dans la décision de transaction sont ceux reconnus par les parties à la transaction, ainsi qu’il ressort du considérant 3 de celle-ci.
127 Le seul fait que les destinataires de la décision de transaction ont admis leur participation à l’infraction et ont reconnu leur culpabilité ne saurait conduire à la reconnaissance implicite de la responsabilité de Scania en raison de son éventuelle participation à ces mêmes faits, en transformant ainsi automatiquement, de facto et de jure, les conclusions retenues à l’égard des parties à la transaction en une sorte de « verdict déguisé » de la Commission à l’égard de Scania (voir, en ce sens,
arrêt du 28 mars 2019, Pometon/Commission, T‑433/16, EU:T:2019:201, point 68).
128 Toutefois, une reconnaissance de la culpabilité par les parties à l’entente ayant participé à la procédure de transaction constitue une circonstance susceptible de se répercuter sur les faits se rapportant à la participation d’une « autre entreprise » soupçonnée d’avoir participé à la même entente, en l’occurrence Scania (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Pometon/Commission, T‑433/16, EU:T:2019:201, point 92 ; voir, en ce sens et par analogie, Cour EDH, 23 février 2016, Navalnyy et
Ofitserov c. Russie, CE:ECHR:2016:0223JUD004663213, point 103). En conséquence, la Commission doit veiller à ce que les faits admis par les parties à la transaction ne soient pas acceptés à l’égard d’une partie ne participant pas à cette procédure, telle que Scania, sans un examen complet et adéquat lors de la procédure ordinaire au regard des arguments et des éléments de preuve présentés par celle-ci (voir, en ce sens et par analogie, Cour EDH, 23 février 2016, Navalnyy et Ofitserov c. Russie,
CE:ECHR:2016:0223JUD004663213, points 103 à 105, et 31 octobre 2017, Bauras c. Lituanie, CE:ECHR:2017:1031JUD005679513, point 53).
129 Dans ce contexte, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure administrative ordinaire, l’entreprise concernée et la Commission se trouvent, par rapport à la procédure de transaction, dans une situation dite « tabula rasa », où les responsabilités doivent encore être établies. Ainsi, lors de l’adoption de la décision à l’égard de Scania à la suite de la procédure administrative ordinaire, d’une part, la Commission était tenue uniquement par la communication des griefs et, d’autre
part, elle était obligée, dans le respect du principe du contradictoire, de prendre en considération toutes les circonstances pertinentes, y compris toutes les informations et tous les arguments qui étaient mis en avant par Scania à l’occasion de l’exercice de son droit d’être entendue, de sorte qu’elle était obligée de réexaminer le dossier au regard de ces éléments (voir, en ce sens, arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission, T‑456/10, EU:T:2015:296, points 90, 96 et 107,
confirmé sur pourvoi par arrêt du 12 janvier 2017, Timab Industries et CFPR/Commission, C‑411/15 P, EU:C:2017:11, points 119 et 136).
130 Par ailleurs, une qualification juridique des faits retenue par la Commission à l’égard des parties à la transaction ne présuppose pas en soi que la même qualification juridique des faits soit nécessairement retenue par la Commission à l’égard de Scania à l’issue de la procédure distincte la concernant, ainsi que la Commission l’a souligné au considérant 366 de la décision attaquée et l’a confirmé lors de l’audience en réponse à une question du Tribunal. En effet, ainsi qu’il ressort de la
jurisprudence, rien n’empêche la Commission de constater qu’une partie à un accord ou à une pratique concertée est responsable au titre de l’article 101 TFUE, alors que l’autre ne l’est pas (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2018, ABB/Commission, T‑445/14, non publié, EU:T:2018:449, points 177 à 179 et jurisprudence citée).
131 S’agissant de l’allégation des requérantes selon laquelle la violation de la présomption d’innocence résulte du fait que la décision de transaction et la décision attaquée reposent sur les mêmes éléments de preuve, la Commission admet qu’il existe un certain chevauchement entre les éléments de preuve sur lesquels elle s’est appuyée dans les deux décisions.
132 Toutefois, un tel chevauchement entre les éléments de preuve ne permet pas en soi de conclure que la présomption d’innocence n’a pas été respectée en l’espèce à l’égard des requérantes. En effet, le seul fait de s’être appuyée sur les mêmes éléments de preuve dans les deux décisions ne présume en rien de la conclusion que la Commission pouvait en tirer quant à la responsabilité de Scania.
133 Par ailleurs, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, alors que le principe de la présomption d’innocence s’oppose au constat formel d’une infraction ou à toute allusion à la responsabilité des requérantes qui seraient fait dans la décision de transaction, dans la mesure où elles n’ont pas bénéficié de toutes les garanties habituelles aux fins de l’exercice des droits de la défense dans le cadre de l’adoption de celle-ci, ce principe n’exclut pas la possibilité de s’appuyer sur les
éléments de preuve communs à condition que les requérantes aient l’occasion de contester devant les juridictions de l’Union les constatations faites sur le fondement de ces éléments de preuve (voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission, T‑474/04, EU:T:2007:306, points 76 et 77), ce qui est le cas en l’espèce.
134 De même, ne saurait prospérer l’allégation des requérantes selon laquelle la violation du principe de la présomption d’innocence résulte du fait que la décision de transaction et la décision attaquée ont été adoptées sur la base des mêmes objections soulevées dans la communication des griefs adressée tant aux parties à la transaction qu’aux requérantes.
135 À cet égard, d’une part, il convient de relever que, même si la Commission a formulé des conclusions concernant le rôle et la responsabilité de Scania s’agissant de l’infraction en cause dans la communication des griefs envoyées tant à Scania qu’aux parties ayant finalement participé à la procédure de transaction, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, la décision de transaction ne repose pas directement sur cette communication des griefs, mais sur l’interprétation commune des griefs
entre les parties à la transaction et la Commission à l’issue des réunions concernant les transactions, conformément à l’article 10 bis, paragraphe 2, du règlement no 773/2004 et aux paragraphes 16 et 17 de la communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement no 1/2003 dans les affaires d’entente, ainsi que la Commission l’a souligné au considérant 367 de la décision attaquée.
136 D’autre part, il importe de relever que rien n’empêchait les requérantes de réfuter, lors de la procédure ayant mené à l’adoption de la décision attaquée et dans le respect de leurs droits de la défense, les griefs formulés à leur égard dans la communication des griefs.
137 En effet, le respect des droits de la défense oblige la Commission à donner aux intéressés, avant de prendre une décision en matière d’amendes, l’occasion de faire connaître utilement leur point de vue au sujet des griefs qu’elle a retenus à leur égard, notamment sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances alléguées et sur les documents qu’elle a retenus à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction à l’article 101 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 13 février
1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, EU:C:1979:36, points 9 et 11).
138 Dans le cadre d’une procédure d’infraction aux règles de concurrence, c’est la communication des griefs qui constitue la garantie procédurale essentielle à cet égard (voir arrêt du 5 mars 2015, Commission e.a./Versalis e.a., C‑93/13 P et C‑123/13 P, EU:C:2015:150, point 95 et jurisprudence citée).
139 Il s’ensuit que, en faisant valoir que la Commission a violé la présomption d’innocence de Scania du fait que la décision attaquée et la décision de transaction reposaient sur les mêmes faits et éléments de preuve ainsi que sur les mêmes objections formulées dans la communication des griefs tant à l’égard des parties à la transaction qu’à l’égard de Scania, les requérantes font abstraction de leur droit de soumettre, lors de l’exercice de leur droit d’être entendues dans le cadre de la procédure
administrative ordinaire, tous les éléments de preuve visant à contester les faits et les éléments de preuve sur lesquels la Commission entend se fonder, lesquels, le cas échéant, avaient été pris en compte par celle-ci lors de l’adoption de la décision de transaction, ainsi que de l’obligation pesant sur la Commission de réexaminer le dossier à la lumière de ces nouveaux éléments.
140 En l’espèce, les requérantes ne contestent pas qu’elles ont eu l’opportunité d’exercer effectivement leurs droits de la défense dans le cadre de la procédure administrative ordinaire avant l’adoption de la décision attaquée, tant par écrit qu’oralement, et donc de contester les faits et les éléments de preuve identifiés par la Commission pour soutenir les griefs à leur égard. En particulier, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 379 de la décision attaquée, et ce qui n’est pas contesté
par les requérantes, elles ont eu l’opportunité de présenter leur point de vue sur les éléments sur lesquels la Commission s’est fondée, notamment sur ceux qui ont été ajoutés au dossier d’instruction après la communication des griefs, tels que les extraits des réponses de certaines parties à la transaction à la communication des griefs ou des éléments de faits supplémentaires identifiés par la Commission au cours de la procédure administrative ordinaire, corroborant ses conclusions provisoires
dans la communication des griefs, lesquels ont été communiqués à Scania avec la lettre des faits du 7 avril 2017.
141 Toutefois, les requérantes considèrent que les arguments et les preuves qu’elles ont avancés ont été vains, la Commission s’étant déjà prononcée sur la qualification juridique du comportement auquel Scania aurait participé comme constituant une infraction à l’article 101 TFUE.
142 Ainsi, elles font valoir, en substance, que, ayant adopté une qualification des faits dans la décision de transaction comme constituant une infraction à l’article 101 TFUE, la Commission n’était plus en mesure de revenir sur cette appréciation et d’évaluer objectivement les éléments de preuve et les arguments présentés par Scania, ou d’adopter d’autres mesures d’enquête qui auraient été susceptibles de remettre en cause ou d’affaiblir ces appréciations faites dans la décision de transaction.
Ainsi, la décision de transaction aurait influencé la stratégie d’enquête de la Commission et, en définitive, le contenu des preuves sur lesquelles la Commission a fondé la décision attaquée. À cet égard, les requérantes invoquent certaines circonstances concernant le déroulement de la procédure ayant mené à l’adoption de la décision attaquée desquelles ressortirait le manque d’impartialité de la Commission.
143 Elles font ainsi valoir, dans le cadre d’un deuxième grief du premier moyen, une violation par la Commission de son obligation de procéder à une enquête impartiale en violation de l’article 41, paragraphe 1, de la Charte.
144 À cet égard il convient de rappeler qu’il découle d’une jurisprudence constante que la Commission est tenue de respecter, au cours d’une procédure administrative en matière d’ententes, le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 154 et jurisprudence citée).
145 Aux termes de l’article 41 de la Charte, toute personne a le droit, notamment, de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions de l’Union. Cette exigence d’impartialité recouvre, d’une part, l’impartialité subjective, en ce sens qu’aucun membre de l’institution concernée qui est chargé de l’affaire ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel et, d’autre part, l’impartialité objective, en ce sens que l’institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à
cet égard tout doute légitime (voir arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 155 et jurisprudence citée).
146 Parmi les garanties conférées par le droit de l’Union dans les procédures administratives, rattachées au principe de bonne administration, figure l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir arrêt du 27 septembre 2012, Shell Petroleum e.a./Commission, T‑343/06, EU:T:2012:478, point 170 et jurisprudence citée).
147 À titre liminaire, il convient de relever que, contrairement à ce que fait valoir la Commission, une violation du principe d’impartialité dans les circonstances similaires à celles de l’espèce ne s’apprécie pas uniquement en tant qu’éventuelle conséquence d’une violation du principe de la présomption d’innocence lors de l’adoption de la décision de transaction, mais peut résulter d’autres manquements de la Commission à offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime, au sens de
la jurisprudence rappelée au point 145 ci-dessus, quant à son impartialité dans la conduite de la procédure ordinaire.
148 Toutefois, aucun des arguments avancés par les requérantes ne permet d’établir que la Commission n’a pas offert, en l’espèce, toutes les garanties pour exclure tout doute légitime en ce qui concerne son impartialité dans l’examen de l’affaire en ce qui concerne Scania, et notamment dans l’examen des arguments et des éléments de preuve que celle-ci a pu soumettre dans le cadre de l’exercice de ses droits de la défense lors de la procédure administrative ordinaire.
149 Premièrement, il convient de souligner à cet égard que, lorsqu’elle examine les éléments de preuve présentés, dans le cadre de la procédure ordinaire, par les parties ayant fait le choix de ne pas transiger, la Commission n’est aucunement liée par les constatations factuelles et les qualifications juridiques qu’elle a retenues dans la décision de transaction à l’égard des parties ayant décidé de transiger. Ainsi, en application du principe de la présomption d’innocence et de son devoir
d’impartialité, la Commission peut parvenir à des constatations factuelles ou à des qualifications juridiques différentes de celles opérées dans la décision de transaction, si son réexamen de novo des éléments de preuve à sa disposition, conformément au principe de « tabula rasa », le justifie.
150 Deuxièmement, ne saurait prospérer l’argument des requérantes selon lequel le doute sur l’impartialité de la Commission résulterait du fait que la membre de la Commission chargée de la concurrence a annoncé, à l’occasion d’une conférence de presse, l’adoption de la décision de transaction, de sorte que la Commission ne pouvait plus s’écarter des conclusions de cette décision dans le cadre de la décision attaquée. En effet, dans le communiqué de presse en question il est clairement indiqué, à
l’instar du considérant 4 de la décision de transaction (voir point 117 ci-dessus), que la membre de la Commission susvisée ne formule aucune conclusion concernant la responsabilité de Scania à l’égard de laquelle la procédure ordinaire était encore en cours. La membre de la Commission chargée de la concurrence s’est ainsi limitée, dans ledit communiqué, à renseigner le public sur l’adoption de la décision de transaction avec la discrétion et la réserve, en ce qui concerne la responsabilité de
Scania dans l’infraction en cause, exigés par le respect de la présomption d’innocence, et n’a donc pas manqué à son devoir d’impartialité (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission, T‑691/14, sous pourvoi, EU:T:2018:922, points 132 et 134).
151 Troisièmement, les requérantes ne démontrent pas comment le fait d’avoir impliqué les mêmes services de la Commission, notamment ceux de la direction générale « Concurrence », dans l’adoption tant de la décision de transaction que de la décision attaquée, serait de nature, à lui seul, à prouver l’absence d’examen impartial de l’affaire à leur égard. Certes, l’implication des mêmes services dans l’adoption des deux décisions rend plus difficile d’assurer que l’examen des faits et des preuves à
l’égard d’une entreprise après l’adoption de la décision de transaction se fera selon le principe de « tabula rasa » imposé par la jurisprudence (voir point 129 ci-dessus), ce qui pourrait justifier, pour lever les doutes à cet égard, de confier les dossiers à deux équipes différentes.
152 Toutefois, en l’espèce, les requérantes ne démontrent pas qu’un membre de la Commission ou des services impliqués dans l’adoption de la décision attaquée ait manifesté un parti pris ou un préjugé personnel à l’égard de Scania, notamment du fait d’avoir participé à l’adoption de la décision de transaction, en violation du principe d’impartialité subjective, ce qui pourrait être de nature à affecter l’examen impartial des faits et des preuves en ce qui concerne Scania.
153 Quatrièmement, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel la Commission n’a pas été disposée à adopter de nouvelles mesures d’enquête, lesquelles auraient pu la conduire à remettre en cause sa position adoptée dans la décision de transaction, il convient de rappeler que le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves (voir arrêt du 29 février 2016, Schenker/Commission, T‑265/12, EU:T:2016:111, point 40 et jurisprudence citée).
154 Il convient également de relever, à l’instar de la Commission, qu’elle dispose d’une marge d’appréciation quant à l’opportunité d’adopter des mesures d’enquête. Ainsi, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, une manifestation de la partialité de la Commission à l’égard des requérantes ne saurait être déduite de manière abstraite de l’existence d’une telle marge d’appréciation dans la manière de conduire l’enquête. Au contraire, une absence d’adoption d’autres mesures d’enquête s’explique
avant tout par un exercice par la Commission de sa marge d’appréciation en ce qui concerne l’opportunité d’adopter de telles mesures. Il appartenait donc aux requérantes d’avancer des arguments permettant de démontrer de manière concrète que l’absence de mesures d’enquête supplémentaires ne pouvait s’expliquer que par la partialité de la Commission et non par l’exercice légitime par celle-ci de sa marge d’appréciation dans la conduite de l’enquête.
155 Les requérantes font valoir, à cet égard, que la Commission s’est appuyée, dans son appréciation de la nature et de l’étendue (temporelle et géographique) du comportement allégué, notamment aux considérants 144 et 339 de la décision attaquée, sur une appréciation des faits, que Scania rejetait et réfutait de manière circonstanciée. Rien n’indiquerait dans le dossier que la Commission ait poursuivi l’enquête afin de vérifier les conclusions de Scania, par exemple en lui adressant une demande
d’information visant à produire des preuves documentaires de ses observations ou de ces contestations, ou en adressant une telle demande à d’autres parties. La Commission aurait ainsi commis une « omission intéressée ».
156 Toutefois, de tels arguments des requérantes démontrent tout au plus que la Commission n’a pas suivi les conclusions ou les interprétations des faits proposées par Scania, notamment en considérant qu’elles manquaient de crédibilité (voir, notamment, considérant 301 de la décision attaquée) et se confondent avec la question de savoir si les constatations de fait opérées dans la décision attaquée sont dûment étayées par les éléments de preuve que la Commission a produits et si elle a commis des
erreurs de droit dans son analyse, ce qui relève de l’examen du bien-fondé de l’appréciation de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission, T‑691/14, sous pourvoi, EU:T:2018:922, point 137 et jurisprudence citée). De telles allégations ne sont pas de nature à démontrer que la Commission s’est montrée partiale en décidant, dans l’exercice de sa marge d’appréciation, de ne pas poursuivre l’enquête et, notamment, de ne pas demander aux requérantes de
produire des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de leurs propres allégations.
157 Cinquièmement, les requérantes font valoir que la Commission n’a pas agi de manière indépendante en ce que, s’agissant des ententes présumées, elle est l’autorité chargée tout à la fois de l’enquête, des poursuites et de la prise de décision.
158 À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que le cumul par la Commission des fonctions d’instruction et de sanction des infractions à l’article 101 TFUE n’est pas en soi contraire à l’article 6 de la CEDH tel qu’interprété par la Cour EDH et ne constitue pas une violation du principe d’impartialité, dès lors que ses décisions sont soumises au contrôle du juge de l’Union qui offre les garanties prévues à cet article 6 de la CEDH (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet
2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, points 33 à 38 et jurisprudence citée, et du 27 juin 2012, Bolloré/Commission, T‑372/10, EU:T:2012:325, points 65 à 67).
159 S’agissant du grief tiré de la violation des droits de la défense, il convient de relever que les requérantes ne reprochent pas à la Commission de ne pas avoir respecté, au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, toutes les garanties procédurales liées à l’exercice effectif de leurs droits de la défense, telles que prévues notamment par les dispositions générales du règlement no 773/2004 (voir point 140 ci-dessus), mais invoquent la violation de
leurs droits de la défense uniquement en ce qui concerne le fait que, dans la décision de transaction, la Commission ait procédé à la qualification juridique des faits se rapportant aux comportements des parties à la transaction mais impliquant nécessairement Scania, sans que celle-ci ait eu la possibilité d’exercer ses droits de la défense.
160 À cet égard, il convient de rappeler que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, constitue un principe fondamental du droit de l’Union qui a été souligné à maintes reprises par la jurisprudence de la Cour et qui a été consacré à l’article 48, paragraphe 2, de la Charte (voir arrêt du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a., C‑550/07 P, EU:C:2010:512, point 92
et jurisprudence citée). Ce principe doit être pleinement observé même s’il s’agit d’une procédure ayant un caractère administratif (voir arrêts du 9 juillet 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑511/06 P, EU:C:2009:433, point 84 et jurisprudence citée, et du 5 mars 2015, Commission e.a./Versalis e.a., C‑93/13 P et C‑123/13 P, EU:C:2015:150, point 94 et jurisprudence citée).
161 Le principe du contradictoire fait partie des droits de la défense. Il s’applique à toute procédure susceptible d’aboutir à une décision d’une institution de l’Union affectant de manière sensible les intérêts d’une personne (voir arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, points 50 et 51 et jurisprudence citée).
162 Dans la mesure où les requérantes font valoir que la décision de transaction a été adoptée sans qu’elles aient pu s’exprimer, il convient de relever, ainsi qu’il ressort de l’examen du grief tiré d’une violation de la présomption d’innocence, que la décision de transaction n’a pas affecté de manière sensible les intérêts des requérantes au sens de la jurisprudence rappelée au point 161 ci-dessus dans la mesure où, contrairement à ce qu’elles font valoir, la Commission n’a pas procédé, dans la
décision de transaction, à la qualification juridique des faits à l’encontre de Scania et n’a en rien préjugé de sa responsabilité dans l’infraction en cause. En conséquence, le fait pour Scania de ne pas avoir été entendue dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision de transaction ne viole pas ses droits de la défense.
163 S’agissant enfin de l’argument des requérantes selon lequel un « lien évident » entre la décision de transaction et la décision attaquée résulte du fait que la Commission a consulté les parties à la transaction dans le cadre de la préparation de la version non confidentielle de la décision attaquée en vue de sa publication, celui-ci ne saurait davantage prospérer. En effet, d’une part, les requérantes n’expliquent pas de quelle manière un tel « lien évident » viendrait au soutien de leurs
allégations présentées dans le cadre du premier moyen. D’autre part, et en tout état de cause, ainsi qu’elle le fait valoir, en procédant ainsi, la Commission a donné effet à la jurisprudence résultant de l’arrêt du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission (T‑474/04, EU:T:2007:306), en offrant aux parties à la transaction la possibilité de faire valoir la confidentialité de certaines données les concernant eu égard au fait que, sans être les destinataires de la
décision attaquée, elles y étaient néanmoins mentionnées.
164 De même, les requérantes ne sauraient utilement faire valoir qu’une simple erreur technique ayant pour conséquence que, sur le site Internet de la Commission, dans la rubrique concernant la décision attaquée, le lien conduisait vers la décision de transaction permet de considérer qu’un lien est établi entre les deux décisions, de sorte qu’il serait permis d’en tirer une conclusion relative à la responsabilité de Scania au titre de l’article 101 TFUE.
165 Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté.
2. Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte et de l’article 27, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1/2003
166 Les requérantes font valoir, en substance, que la Commission a porté atteinte à leurs droits de la défense, en violation de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte et de l’article 27, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1/2003, en leur refusant l’accès à l’intégralité des réponses à la communication des griefs présentées par [confidentiel] et par [confidentiel], alors qu’il est, selon elles, probable que celles-ci contiennent des éléments à décharge à l’égard des autres parties, dont Scania,
autres que ceux figurant dans les extraits de ces réponses auxquels l’accès lui a été accordé par le conseiller-auditeur.
167 En effet, selon les requérantes, [confidentiel] et [confidentiel] auraient utilisé leurs réponses à la communication des griefs pour contester les allégations de la Commission à leur égard, comme le montreraient les extraits que Scania a été autorisée à examiner. Les requérantes considèrent que le fait que la Commission ait partiellement changé d’avis sur la question de savoir si les réponses de [confidentiel] et [confidentiel] étaient à charge ou à décharge jette un doute sur le bien-fondé du
refus de plein accès à ces réponses.
168 En s’appuyant sur la jurisprudence, la Commission réfute les arguments des requérantes en ce qu’elles ne démontreraient pas que le refus d’accorder à Scania l’accès à l’intégralité des réponses de [confidentiel] et [confidentiel] à la communication des griefs qui ne relèvent pas d’un dossier d’instruction proprement dit aurait porté atteinte à l’exercice effectif de ses droits de la défense et, notamment, au droit de consulter les documents susceptibles de contenir des éléments de preuve à
décharge la concernant.
169 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 160 ci-dessus, le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, constitue un principe fondamental du droit de l’Union qui a été consacré à l’article 48, paragraphe 2, de la Charte. Ce principe doit être pleinement observé même s’il s’agit d’une procédure ayant un caractère administratif.
170 Selon l’article 27, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, « [l]es droits de la défense des parties concernées sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure » et « [e]lles ont le droit d’avoir accès au dossier de la Commission sous réserve de l’intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués ».
171 Il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense exige que la personne intéressée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction au traité (voir arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland
e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 66 et jurisprudence citée).
172 Corollaire du principe du respect des droits de la défense, le droit d’accès au dossier implique que la Commission doit donner à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant dans le dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense. Ceux-ci comprennent tant les pièces à conviction que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres
informations confidentielles (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 68).
173 À cet égard, il y a lieu de rappeler que ce n’est qu’au début de la phase contradictoire administrative que l’entreprise concernée est informée, moyennant la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure et que cette entreprise dispose d’un droit d’accès au dossier afin de garantir l’exercice effectif de ses droits de la défense. Par conséquent, la réponse des autres entreprises qui auraient participé à l’entente à la
communication des griefs n’est pas, en principe, comprise dans l’ensemble des documents du dossier d’instruction que peuvent consulter les parties (arrêts du 14 mai 2020, NKT Verwaltung et NKT/Commission, C‑607/18 P, non publié, EU:C:2020:385, point 263, et du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T‑161/05, EU:T:2009:366, point 163).
174 Toutefois, si la Commission entend se fonder sur un passage d’une réponse à une communication des griefs ou sur un document annexé à une telle réponse pour établir l’existence d’une infraction dans une procédure d’application de l’article 101 TFUE, les autres entreprises impliquées dans cette procédure doivent être mises en mesure de se prononcer sur un tel élément de preuve. Dans de telles circonstances, le passage en question d’une réponse à la communication des griefs ou le document annexé à
cette réponse constitue, en effet, un élément à charge à l’encontre des différentes entreprises qui auraient participé à l’infraction (arrêt du 14 mai 2020, NKT Verwaltung et NKT/Commission, C‑607/18 P, non publié, EU:C:2020:385, point 264 ; voir, également, arrêt du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T‑161/05, EU:T:2009:366, point 164 et jurisprudence citée).
175 Par analogie, si un passage d’une réponse à une communication des griefs ou un document annexé à une telle réponse est susceptible d’être pertinent pour la défense d’une entreprise en ce qu’il permet à celle-ci d’invoquer des éléments qui ne concordent pas avec les déductions opérées à ce stade par la Commission, il constitue un élément à décharge. Dans ce cas, l’entreprise concernée doit être mise en mesure de procéder à un examen du passage ou du document en question et de se prononcer à leur
égard (arrêt du 12 juillet 2011, Mitsubishi Electric/Commission, T‑133/07, EU:T:2011:345, point 43).
176 Toutefois, le simple fait que d’autres entreprises ont invoqué les mêmes arguments que l’entreprise concernée et qu’elles ont, le cas échéant, employé plus de ressources pour leur défense ne suffit pas pour considérer ces arguments comme des éléments à décharge (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, EU:T:2006:270, points 353 et 355).
177 Quant aux conséquences d’un accès au dossier ne respectant pas ces règles, s’agissant de l’absence de communication d’un document à décharge, l’entreprise concernée doit établir que sa non-divulgation a pu influencer, à son détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission. Il suffit que l’entreprise démontre qu’elle aurait pu utiliser ledit document à décharge pour sa défense, en ce sens que, si elle avait pu s’en prévaloir lors de la procédure
administrative, elle aurait pu invoquer des éléments qui ne concordaient pas avec les déductions opérées à ce stade par la Commission et aurait donc pu influencer, de quelque manière que ce soit, les appréciations portées par cette dernière dans la décision, au moins en ce qui concerne la gravité et la durée du comportement qui lui était reproché, et, partant, le niveau du montant de l’amende (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P,
C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 74 et 75).
178 La possibilité qu’un document non divulgué ait pu avoir une influence sur le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission ne peut être établie qu’après un examen provisoire de certains moyens de preuve faisant apparaître que les documents non divulgués pouvaient avoir – au regard de ces moyens de preuve – une importance qui n’aurait pas dû être négligée (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P,
C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 76).
179 Il appartient, toutefois, à la partie requérante de fournir un premier indice de l’utilité, pour sa défense, des documents non communiqués (voir arrêt du 14 mars 2013, Fresh Del Monte Produce/Commission, T‑587/08, EU:T:2013:129, point 690 et jurisprudence citée ; voir, également, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, NKT Verwaltung et NKT/Commission, C‑607/18 P, non publié, EU:C:2020:385, point 265 et jurisprudence citée). Elle doit notamment indiquer les éléments à décharge potentiels ou fournir un
indice accréditant leur existence et, partant, leur utilité pour les besoins de l’instance (voir arrêt du 16 juin 2011, Heineken Nederland et Heineken/Commission, T‑240/07, EU:T:2011:284, point 257 et jurisprudence citée).
180 Il convient d’examiner, au regard de ces principes, si, en l’espèce, le refus de la Commission d’accorder l’accès à l’intégralité des réponses de [confidentiel] et [confidentiel] à la communication des griefs était susceptible de porter atteinte aux droits de la défense des requérantes en ce qu’elles n’auraient pas eu un accès adéquat aux éléments de preuve potentiellement à décharge, ainsi qu’elles le prétendent.
181 À cet égard, il convient de relever, à l’instar de la Commission, qu’il existe une différence dans l’accès au dossier de la Commission concernant une entente en cause en fonction du moment où un document a été ajouté au dossier d’instruction, ce qui ressort également du point 27 de la communication de la Commission relative aux règles d’accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant des articles [101] et [102 TFUE], des articles 53, 54 et 57 de l’accord EEE et du règlement (CE)
no 139/2004 du Conseil (JO 2005, C 325, p. 7). Alors que les parties concernées, afin de pouvoir exercer de manière efficace leur droit de la défense, ont le droit de consulter le dossier d’instruction tel qu’il existe au moment de l’envoi de la communication des griefs, et ce afin de pouvoir répondre utilement aux griefs avancés à ce stade par la Commission, l’accès aux éléments ajoutés ensuite au dossier, notamment aux réponses des autres parties à l’entente à la communication des griefs,
n’est ni automatique ni illimité (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, NKT Verwaltung et NKT/Commission, C‑607/18 P, non publié, EU:C:2020:385, point 265).
182 En l’espèce, il convient de rappeler que le conseiller-auditeur a accordé aux requérantes l’accès à certains passages des réponses à la communication des griefs présentées par [confidentiel] et par [confidentiel] en estimant qu’ils pouvaient contenir des éléments à décharge concernant Scania eu égard au fait qu’elles provenaient d’un demandeur de clémence et d’une entreprise à qui la Commission avait adressé une demande de renseignements de sorte qu’elles pouvaient contenir des modifications ou
des retraits des déclarations sur lesquelles s’était appuyée la Commission.
183 Les requérantes font toutefois valoir qu’« il est probable » que les réponses à la communication des griefs présentées par [confidentiel] et par [confidentiel] contiennent encore d’autres éléments à décharge qu’elles auraient pu utilement invoquer dans le cadre de l’exercice de leurs droits de la défense.
184 Toutefois, force est de constater que, ainsi que le fait valoir, en substance, la Commission, les requérantes restent très vagues en ce qui concerne l’identification des éléments à décharge potentiels que les réponses de [confidentiel] et [confidentiel] à la communication des griefs contiendraient et qui ne leur auraient pas été divulgués à la suite de la décision du conseiller-auditeur et n’apportent donc aucun indice accréditant leur existence et, partant, leur utilité pour leur défense au
sens de la jurisprudence citée au point 179 ci-dessus.
185 En effet, les requérantes ne précisent aucunement les appréciations de la Commission figurant dans la décision attaquée qui auraient pu être influencées si l’accès intégral aux réponses à la communication des griefs de [confidentiel] et [confidentiel] leur avait été accordé. En particulier, elles n’identifient aucune déduction concernant le comportement infractionnel propre à Scania que la Commission aurait fondée concrètement sur un élément relevant de la demande de clémence [confidentiel] ou
de la réponse à la demande de renseignements de [confidentiel] et qui aurait pu, le cas échéant, être modifié ou retiré par ces parties dans leurs réponses à la communication des griefs.
186 Les requérantes invoquent, à cet égard, les circonstances procédurales particulières de l’espèce et, plus concrètement, le fait que [confidentiel] et [confidentiel], deux parties à la transaction, ont adressé à la Commission leurs réponses à la communication des griefs au moment où les discussions relatives au règlement par transaction étaient en cours, quelques semaines seulement avant d’avoir « vraisemblablement » déposé leur proposition de transaction et avant l’adoption de la décision de
transaction. Les requérantes en déduisent que ces réponses devraient nécessairement contenir les contestations des allégations de la Commission à leur égard, ce qui ressortirait également des extraits des réponses en cause auxquels l’accès a été accordé à Scania.
187 Toutefois, un tel indice circonstanciel et temporel relatif au fait que les parties à la transaction ont répondu à la communication des griefs au cours de la procédure de règlement par transaction ne suffit pas en soi pour démontrer que ces réponses contiennent de nouveaux éléments de preuve à décharge à l’égard de Scania.
188 Or, les requérantes ne contestent pas que les extraits des réponses en cause auxquels l’accès leur a été accordé par le conseiller-auditeur contenaient des éléments de preuve à décharge utiles pour leur défense et ne tentent même pas d’inférer de ces extraits des indices suggérant que les parties non divulguées desdites réponses pourraient, par déduction, contenir d’autres éléments à décharge utiles pour leur défense. En effet, les arguments des requérantes à cet égard ne sont que généraux et
abstraits.
189 Il résulte de ce qui précède que les requérantes n’ont fourni aucun indice de l’utilité, pour leur défense, des parties non divulguées des réponses à la communication des griefs présentées par [confidentiel] et par [confidentiel]. En conséquence, elles n’ont pas démontré que la Commission avait violé leurs droits de la défense du fait de ne pas leur avoir communiqué les versions intégrales des réponses en cause.
190 Dans ces circonstances, le deuxième moyen doit être rejeté comme étant non fondé sans qu’il y ait lieu d’adopter la mesure d’organisation de la procédure demandée par les requérantes et visant à inviter la Commission à produire les versions intégrales des réponses à la communication des griefs en cause.
3. Sur les troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième moyens, en ce qu’ils visent la conclusion de la Commission relative à l’existence d’une infraction unique et continue et son imputation à Scania
a) Observations liminaires
1) Sur la notion d’infraction unique et continue
191 Selon une jurisprudence constante, une violation de l’article 101 TFUE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer, en eux-mêmes et pris isolément, une violation de ladite disposition. Ainsi, lorsque les différentes actions des entreprises concernées s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en
raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (voir arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 41 et jurisprudence citée).
192 Une entreprise ayant participé à une telle infraction unique et complexe par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, peut ainsi être également responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa
participation à ladite infraction. Tel est le cas lorsqu’il est établi que ladite entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (voir arrêt du 6 décembre 2012,
Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 42 et jurisprudence citée).
193 Ainsi, une entreprise peut avoir directement participé à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, auquel cas la Commission est en droit de lui imputer la responsabilité de l’ensemble de ces comportements et, partant, de ladite infraction dans son ensemble. Une entreprise peut également n’avoir directement participé qu’à une partie des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, mais avoir eu connaissance de
l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres participants à l’entente dans la poursuite des mêmes objectifs ou avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque. Dans un tel cas, la Commission est également en droit d’imputer à cette entreprise la responsabilité de l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant une telle infraction et, par suite, de celle-ci dans son ensemble (arrêt du 6 décembre 2012,
Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 43).
194 En revanche, si une entreprise a directement pris part à un ou à plusieurs des comportements anticoncurrentiels composant une infraction unique et continue, mais qu’il n’est pas établi que, par son propre comportement, elle entendait contribuer à l’ensemble des objectifs communs poursuivis par les autres participants à l’entente et qu’elle avait connaissance de l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par lesdits participants dans la poursuite des mêmes
objectifs ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque, la Commission n’est en droit de lui imputer la responsabilité que des comportements auxquels elle a directement participé et des comportements envisagés ou mis en œuvre par les autres participants dans la poursuite des mêmes objectifs que ceux qu’elle poursuivait et dont il est prouvé qu’elle avait connaissance ou pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque (arrêt du
6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 44).
195 Enfin, la Cour a précisé que, aux fins de qualifier différents agissements d’infraction unique et continue, il n’y avait pas lieu de vérifier s’ils présentaient un lien de complémentarité, en ce sens que chacun d’entre eux était destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et contribuaient, par une interaction, à la réalisation de l’ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par leurs auteurs, dans le cadre d’un plan global visant un objectif unique.
En revanche, la condition tenant à la notion d’objectif unique implique qu’il doit être vérifié s’il n’existe pas d’éléments caractérisant les différents comportements faisant partie de l’infraction qui soient susceptibles d’indiquer que les comportements matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes ne partagent pas le même objet ou le même effet anticoncurrentiel et ne s’inscrivent par conséquent pas dans un « plan d’ensemble » en raison de leur objet identique faussant le
jeu de la concurrence au sein du marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, points 247 et 248).
196 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 191 et 192 ci-dessus, trois éléments sont déterminants aux fins de conclure à la participation d’une entreprise à une infraction unique et continue. Le premier concerne l’existence même de l’infraction unique et continue. Les différents comportements en cause doivent relever d’un « plan d’ensemble » disposant d’un objectif unique. Les deuxième et troisième éléments concernent l’imputabilité de l’infraction unique et continue à une
entreprise. D’une part, cette entreprise doit avoir eu l’intention de contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants. D’autre part, elle doit avoir eu connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs ou devait pouvoir raisonnablement les prévoir et être prête à en accepter le risque (arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission, T‑105/17,
sous pourvoi, EU:T:2019:675, point 208 ; voir également, en ce sens, arrêt du 16 juin 2011, Team Relocations e.a./Commission, T‑204/08 et T‑212/08, EU:T:2011:286, point 37).
2) Sur la charge de la preuve et le niveau de preuve
197 Dans la mesure où la qualification d’infraction unique et continue aboutit à imputer à une entreprise la participation à une infraction au droit de la concurrence, il convient de rappeler que, dans le domaine du droit de la concurrence, en cas de litige sur l’existence d’une infraction, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une
infraction (voir arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission, C‑89/11 P, EU:C:2012:738, point 71 et jurisprudence citée).
198 Pour établir l’existence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves sérieuses, précises et concordantes. Toutefois, chacune des preuves apportées par cette dernière ne doit pas nécessairement répondre à ces critères pour chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par cette institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission,
C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 47 et jurisprudence citée).
199 Par ailleurs, lorsque la Commission se fonde, dans le cadre de l’établissement d’une infraction au droit de la concurrence, sur des éléments de preuve documentaires, il incombe aux entreprises concernées de ne pas simplement présenter une alternative plausible à la thèse de la Commission, mais bien de soulever l’insuffisance des preuves retenues dans la décision attaquée pour établir l’existence de l’infraction (voir arrêt du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T‑655/11, EU:T:2015:383, point 181
et jurisprudence citée).
200 De plus, s’il subsiste un doute dans l’esprit du juge, il doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction (arrêt du 16 février 2017, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, C‑90/15 P, non publié, EU:C:2017:123, point 18). En effet, il y a lieu de rappeler que la présomption d’innocence constitue un principe général du droit de l’Union, qui est aujourd’hui énoncé à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte. Ce principe s’applique aux procédures
relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (voir point 108 ci‑dessus).
3) Décision attaquée
201 Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que Scania et les parties à la transaction poursuivaient un plan commun ayant comme objectif anticoncurrentiel unique de limiter la concurrence sur le marché des camions moyens et lourds dans l’EEE. Cet objectif aurait été atteint par le biais des pratiques réduisant les niveaux d’incertitude stratégique entre les parties en ce qui concerne les prix futurs et les hausses des prix bruts ainsi que le calendrier et la répercussion des coûts liés
à l’introduction de camions respectant les normes environnementales (considérant 317 de la décision attaquée). La Commission a précisé que les échanges entre les parties :
– étaient liés à des modifications envisagées des prix bruts et des barèmes des prix bruts ainsi que, de manière occasionnelle, à des modifications envisagées des prix nets ou à des modifications des rabais offerts aux clients ainsi qu’au calendrier de ces changements ;
– étaient liés au calendrier et à la répercussion des coûts de l’introduction des technologies en matière d’émissions pour les camions moyens et lourds requises par les normes Euro 3 à Euro 6 ;
– constituaient un moyen de partager d’autres informations sensibles du point de vue de la concurrence, telles que des informations relatives aux délais de livraison, aux commandes, aux stocks, aux parts de marché ciblées, aux prix nets actuels et aux rabais et aux barèmes des prix bruts (même avant leur entrée en vigueur) et aux configurateurs de poids lourds.
202 La Commission a considéré que le comportement susvisé faisait partie d’un plan commun ayant un objectif anticoncurrentiel unique pour cinq raisons, présentées en détail aux points 452 à 462 ci‑après. Ces raisons tenaient, notamment, au fait que les contacts anticoncurrentiels concernaient les mêmes produits, à savoir des camions moyens et lourds, et le même groupe de constructeurs de camions, au fait que la nature des informations partagées (informations de nature tarifaire et informations
relatives au calendrier d’introduction des modèles de camions conformes à des normes environnementales spécifiques) était restée la même pendant toute la durée de l’infraction, au fait que les contacts anticoncurrentiels avaient eu lieu de manière fréquente et systématique et au fait que la nature, l’étendu et le but de ces contacts étaient restés les mêmes pendant toute la durée de l’infraction malgré la circonstance que le niveau et les responsabilités internes des employés impliqués dans ces
contacts avaient évolué au cours de l’infraction.
4) Sur l’argument des requérantes selon lequel la notion d’infraction unique et continue suppose que la Commission identifie plusieurs infractions manifestement liées entre elles
203 Dans le cadre de la réplique, les requérantes ont soutenu que le recours à la notion d’infraction unique et continue supposait l’identification par la Commission de plusieurs infractions manifestement liées entre elles. Selon les requérantes, une infraction unique et continue ne peut pas englober des comportements qui ne constituent pas une infraction en soi.
204 Partant de cette prémisse, en premier lieu, les requérantes ont fait valoir que la Commission aurait dû évaluer les preuves relatives à chaque niveau des contacts séparément afin d’établir si chaque niveau constituait une infraction et, dans l’affirmative, déterminer sa portée et l’objectif anticoncurrentiel qui était poursuivi. En deuxième lieu, la Commission aurait dû évaluer si les infractions concernées devaient être considérées comme une infraction globale unique au motif qu’elles
poursuivaient un plan global servant un objectif anticoncurrentiel unique. En troisième et dernier lieu, seulement, la Commission aurait dû évaluer la portée temporelle et géographique de l’infraction unique et continue sur la base des preuves considérées dans leur ensemble. Selon les requérantes, la Commission a ignoré les deux premières étapes et, retenant l’existence d’une infraction unique et continue, l’aurait justifiée en attribuant aux contacts au niveau inférieur du siège et aux contacts
au niveau allemand la même nature et la même portée que celles attribuées aux contacts au niveau des instances dirigeantes. Ce faisant, la Commission aurait retenu l’existence d’une infraction unique et continue là où il n’en existerait pas.
205 Cette argumentation des requérantes, laquelle doit être examinée avant l’examen des troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième moyens, doit être rejetée.
206 En effet, la prémisse de cette argumentation, selon laquelle une infraction unique et continue doit englober des comportements qui, considérés isolément, doivent constituer une infraction à l’article 101 TFUE, ne trouve pas d’appui sur la jurisprudence du juge de l’Union. Ainsi qu’il a déjà été noté, celui-ci a précisé qu’une violation de l’article 101 TFUE pouvait résulter d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu, « quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série
d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer, en eux-mêmes et pris isolément, une violation de ladite disposition » (voir point 191 ci-dessus).
207 Selon la Cour, lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 258).
208 Il résulte de cette jurisprudence que la constatation de l’existence d’une infraction unique et continue ne présuppose pas nécessairement l’établissement par la Commission de plusieurs infractions, chacune relevant de l’article 101 TFUE, mais la démonstration par elle que les différents agissements qu’elle a identifiés s’inscrivent dans un plan d’ensemble visant à la réalisation d’un objectif anticoncurrentiel unique. La démonstration par la Commission de l’existence d’un tel plan et du
rattachement des agissements susvisés audit plan revêt ainsi une importance particulière.
209 Au demeurant, il résulte de la jurisprudence que la notion d’infraction unique vise notamment une situation dans laquelle plusieurs entreprises ont participé à une infraction constituée d’un comportement continu poursuivant un seul but économique visant à fausser la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2019, Campine et Campine Recycling/Commission, T‑240/17, non publié, EU:T:2019:778, point 269 et jurisprudence citée).
210 En l’espèce, il est constant que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas qualifié les agissements au sein de chacun des trois niveaux des contacts d’infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 EEE. En revanche, elle a considéré que ces agissements, pris ensemble, faisaient partie d’un plan d’ensemble visant à la réalisation de l’objectif anticoncurrentiel unique de limiter la concurrence sur le marché des camions moyens et lourds dans l’EEE. Pour arriver à cette conclusion, et
conformément à la jurisprudence citée au point 195 ci-dessus, la Commission a invoqué les cinq éléments caractérisant les agissements susvisés et résumés au point 202 ci-dessus. Eu égard à l’analyse figurant aux points 206 à 208 ci-dessus, cette approche de la Commission n’est pas entachée d’erreur.
211 Il ressort des développements qui précèdent que l’argumentation des requérantes, dans la mesure où elle se fonde sur la prémisse erronée selon laquelle le recours à la notion d’infraction unique et continue suppose l’identification par la Commission de plusieurs infractions, doit être rejetée. L’examen des troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième moyens ci-après permet au Tribunal de contrôler, notamment, le bien-fondé de la conclusion de la Commission selon laquelle les différents
agissements, identifiés dans la décision attaquée, s’inscrivent dans un plan d’ensemble visant à la réalisation d’un objectif anticoncurrentiel unique, constituant ainsi une infraction unique et continue.
b) Sur le troisième moyen, tiré de l’application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce que les échanges d’informations au niveau inférieur du siège ont été considérés comme étant constitutifs d’une infraction à ces dispositions
212 Dans le cadre du présent moyen, les requérantes soulèvent deux griefs. D’une part, elles font grief à la Commission d’avoir considéré que les trois niveaux des contacts collusoires présentaient des liens entre eux, notamment le niveau inférieur du siège avec les deux autres niveaux (premier grief). Dans ce contexte, elles soutiennent qu’aucun contact ni aucune réunion commune n’existaient entre ces niveaux, lesquels auraient fonctionné de manière séparée l’un de l’autre. D’autre part, les
requérantes font grief à la Commission d’avoir considéré, en se fondant notamment sur les prétendus liens existant entre les trois niveaux susvisés, que les contacts collusoires au niveau inférieur du siège constituaient une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE (second grief).
213 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
214 Avant d’aborder les deux griefs susvisés, il convient de rappeler les passages pertinents de la décision attaquée.
1) Décision attaquée
215 Au considérant 213 de la décision attaquée, dans la partie relative à l’examen de la question concernant l’existence d’accords et pratiques concertées au sens de l’article 101 TFUE, la Commission a noté que les parties à l’entente étaient en contact à différents niveaux et que, parfois, les différents niveaux avaient des réunions communes, par exemple en ce qui concerne les employés du niveau inférieur du siège et les employés du niveau allemand. La Commission a précisé au considérant 213
susvisé que les contacts étaient liés entre eux par leur contenu, par leur calendrier, par des références ouvertes des uns aux autres et par la transmission des informations collectées, fournissant, à cet égard, des exemples de transmission des informations échangées au niveau allemand vers les sièges respectifs des parties à l’entente.
216 Aux considérants 315 à 317 de la décision attaquée, la Commission a conclu à l’existence d’une infraction unique et continue, constatant que l’ensemble des contacts collusoires présentés au point 6.2 de la décision attaquée (et relevant des trois niveaux), présentés selon un ordre chronologique, servaient un plan commun ayant comme objectif anticoncurrentiel unique la restriction de la concurrence sur le marché des camions moyens et lourds dans l’EEE. Selon la Commission, cet objectif a été
atteint par le biais des pratiques réduisant les niveaux d’incertitude stratégique entre les parties en ce qui concerne les prix futurs et les hausses des prix bruts, ainsi qu’en ce qui concerne le calendrier et la répercussion des coûts liés à l’introduction de camions respectant les normes environnementales (considérant 317 de la décision attaquée).
217 Au considérant 327, sous a), de la décision attaquée, la Commission, afin de corroborer sa conclusion selon laquelle le déplacement des échanges du niveau des instances dirigeantes vers le niveau allemand n’avait pas affecté la nature continue de l’infraction, a constaté qu’il y avait un chevauchement temporel considérable entre les réunions tenues aux différents niveaux. La Commission a relevé que, nonobstant l’interruption, en septembre 2004, des contacts au niveau des instances dirigeantes,
les contacts aux deux autres niveaux s’étaient poursuivis. En particulier, entre 2003 et 2007, des réunions et des contacts entre concurrents étaient organisés en commun au niveau inférieur du siège et au niveau allemand, et, souvent, des employés du siège participaient à des réunions au niveau allemand et vice-versa. La Commission a également invoqué la circonstance que les parties discutaient de manière répétée au niveau inférieur du siège des informations qui devaient être échangées et à quel
niveau.
2) Sur le premier grief
218 En ce qui concerne le premier grief soulevé par les requérantes et relatif aux « liens » entre les trois niveaux des contacts collusoires, il convient de constater que la Commission a invoqué les éléments suivants démontrant l’existence de tels liens : le fait que les participants au sein de ces niveaux étaient des employés des mêmes entreprises, c’est-à-dire de Scania et des parties à la transaction ; le fait que les échanges au sein de chacun des niveaux avaient le même contenu ; le fait qu’il
y avait un chevauchement temporel entre les réunions tenues aux différents niveaux ; le fait que les niveaux se référaient l’un à l’autre et échangeaient des informations collectées ; le fait qu’il y avait parfois des contacts communs et des réunions entre les différents niveaux, la Commission se référant spécifiquement à des contacts communs et à des réunions entre les employés du niveau inférieur du siège et des employés du niveau allemand des entreprises concernées [voir considérants 213
et 327, sous a), de la décision attaquée].
219 Le présent grief des requérantes est fondé notamment sur le fait qu’il n’y aurait pas de contacts ou de réunions communes entre les trois niveaux des contacts collusoires.
220 À cet égard, en premier lieu, il convient de noter que, ainsi qu’il ressort des points 215 et 217 ci-dessus et, au demeurant, des clarifications de la Commission au point 122 du mémoire en défense, celle-ci n’a pas fondé sa constatation selon laquelle les niveaux des contacts collusoires étaient liés entre eux sur le fait qu’il existait des contacts ou des réunions communes entre le niveau des instances dirigeantes et le niveau inférieur du siège et entre le niveau des instances dirigeantes et
le niveau allemand. La Commission se fondait uniquement sur l’existence des contacts et des réunions communes entre le niveau inférieur du siège et le niveau allemand. Partant, l’argumentation des requérantes visant à démontrer l’absence de contacts et de réunions communes entre le niveau des instances dirigeantes et le niveau inférieur du siège et entre le niveau des instances dirigeantes et le niveau allemand est inopérante.
221 En deuxième lieu, il convient de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a considéré qu’il y avait des contacts communs et des réunions communes entre le niveau inférieur du siège et le niveau allemand, en particulier entre 2003 et 2007 [considérant 327, sous a), de la décision attaquée]. Il ressort de la décision attaquée que cet élément a constitué l’un des éléments sur lesquels la Commission s’est appuyée pour conclure au caractère continu de l’infraction.
222 En ce qui concerne cette constatation de la Commission, il ressort du dossier que des réunions au niveau inférieur du siège et au niveau allemand étaient souvent organisées à la même époque et au même endroit en vue de la préparation des foires commerciales et que les participants au niveau inférieur du siège étaient informés du contenu des échanges au niveau allemand, qu’ils transmettaient ce contenu à l’intérieur de leurs entreprises respectives et que, à titre plus général, ils étaient en
contact avec les participants aux échanges au niveau allemand.
223 À cet égard, le Tribunal se réfère, en particulier, aux éléments de preuve présentés au considérant 137 de la décision attaquée concernant une réunion entre concurrents le 24 août 2004 à Munich (Allemagne). Selon [confidentiel], des employés du niveau inférieur du siège et du niveau allemand ont participé à cette réunion. Pour Scania, étaient présents A du niveau inférieur du siège et B du niveau allemand. Lors de cette réunion, des échanges d’informations sur les hausses futures de prix dans le
marché allemand et sur les dates d’introduction sur le marché des modèles de camions conformes aux normes environnementales ont eu lieu. Une présentation power point, préparée par [confidentiel], évoquée au considérant 137 de la décision attaquée, démontre que l’information échangée lors de la réunion du 24 août 2004 a été transmise au siège de [confidentiel].
224 Le Tribunal se réfère également aux éléments de preuve présentés au considérant 147 de la décision attaquée démontrant que les employés au niveau inférieur du siège étaient informés du contenu des échanges sur les prix qui avaient eu lieu au niveau allemand lors d’une réunion entre concurrents à Munich les 4 et 5 juillet 2005. Plus spécifiquement, le Tribunal se réfère au courriel envoyé par C, du niveau inférieur du siège de [confidentiel], à des employés des autres entreprises concurrentes,
relevant également du niveau inférieur du siège. Dans ce courriel, C, se référant à la réunion des 4 et 5 juillet 2005 susvisée, indiquait notamment que, lors de cette réunion, [confidentiel] avait fourni aux concurrents des informations sur le barème actuel des prix de [confidentiel] (fondé sur le marché allemand) et demandait, notamment, aux destinataires de son courriel de faire la même chose. L’employé du siège [confidentiel] qui figurait parmi les destinataires du courriel susvisé a répondu
que son entreprise souhaitait maintenir les échanges sur les prix au niveau du marché (à savoir au niveau allemand) et a indiqué les noms des employés [confidentiel] qui devaient être contactés dans le cadre de ces échanges. Le courriel de C était également adressé à D, du niveau inférieur du siège de Scania, lequel avait participé à la réunion des 4 et 5 juillet 2005 susvisée. Il ressort du dossier que D n’a pas reçu le courriel susvisé, car son nom était mal orthographié (voir considérant 147
de la décision attaquée). Cela étant, le courriel de C démontre que les employés au niveau inférieur du siège, y compris les employés de chez Scania, étaient au courant des échanges sur les prix ayant eu lieu lors de la réunion des 4 et 5 juillet 2005 susvisée.
225 Le Tribunal note également que certains des employés des entreprises participantes, tout en relevant du siège, participaient aux échanges au niveau allemand, ce qui corrobore la conclusion de la Commission relative à l’existence des liens entre le niveau inférieur du siège et le niveau allemand. Le Tribunal se réfère notamment au cas de C de [confidentiel] et de E de [confidentiel]. Ces employés, tout en relevant du siège, étaient actifs et organisaient l’échange de l’information au niveau
allemand.
226 Il résulte de ce qui précède que la constatation de la Commission selon laquelle il existait des contacts entre le niveau inférieur du siège et le niveau allemand est établie à suffisance de droit.
227 En troisième lieu, dans le cadre du présent moyen, les requérantes ont contesté également l’affirmation de la Commission au considérant 213 de la décision attaquée, selon laquelle les niveaux des contacts collusoires faisaient référence ouverte les uns aux autres et l’affirmation, au considérant 327, sous a), de la décision attaquée, selon laquelle les parties à l’entente discutaient de manière répétée au niveau inférieur du siège de l’information qui devait être échangée et à quel niveau.
228 Ces affirmations de la Commission sont établies à suffisance de droit. En effet, il ressort, notamment, des éléments de preuve présentés au considérant 116 de la décision attaquée, relatifs à une réunion entre concurrents au niveau inférieur du siège les 3 et 4 juillet 2001, que les employés du siège étaient au courant du contenu des échanges au niveau allemand, qu’ils considéraient que ces échanges allaient « trop loin » et qu’ils étaient « potentiellement dangereux ». Il ressort des éléments
de preuve présentés au considérant 117 de la décision attaquée que, lors de la réunion des 3 et 4 juillet 2001 susvisée, les concurrents se sont mis d’accord pour échanger à l’avenir, au niveau inférieur du siège, des informations sur les produits et des informations techniques, mais non des informations sur les prix ou des données comparatives. De même, il ressort des éléments de preuve présentés au considérant 147 de la décision attaquée (voir point 224 ci-dessus) que les employés au niveau
inférieur du siège discutaient à propos du fait de savoir quelle information devait être échangée à quel niveau et que, dans ce contexte, certains de ces employés ont exprimé le souhait que des échanges sur les prix aient lieu uniquement au niveau allemand.
229 Il ressort des considérations qui précèdent que, dans le cadre du présent moyen, les requérantes ne réussissent pas à remettre en cause les constatations de la Commission, présentées notamment aux considérants 213 et 327, sous a), de la décision attaquée, relatives aux liens existant entre les trois niveaux des contacts collusoires. Ainsi qu’il a déjà été noté, la Commission a invoqué un certain nombre d’éléments démontrant l’existence des liens entre les trois niveaux des contacts collusoires
(voir point 218 ci‑dessus) qui n’ont pas été contestés, à savoir le fait que les participants étaient des employés des mêmes entreprises, le fait qu’il existait un chevauchement temporel entre les réunions tenues aux trois niveaux des contacts collusoires, ou qui ont été contestés sans être remis en cause dans le cadre du présent moyen, à savoir le fait qu’il existait des contacts entre les employés au niveau inférieur des sièges respectifs des parties à l’entente et les employés au niveau
allemand. Eu égard à ces éléments, le Tribunal considère que les trois niveaux des contacts collusoires étaient liés entre eux et qu’ils n’agissaient pas de manière séparée et autonome l’un de l’autre.
3) Sur le second grief
230 En ce qui concerne le second grief soulevé par les requérantes (voir point 212 ci‑dessus), il convient de rappeler que la Commission n’a pas qualifié dans la décision attaquée les contacts collusoires au niveau inférieur du siège (ni d’ailleurs les contacts collusoires aux deux autres niveaux pris séparément) d’infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 EEE, mais qu’elle elle a considéré que l’ensemble des contacts aux trois niveaux faisaient partie d’une infraction unique et continue
dans la mesure où ils poursuivaient un plan commun ayant l’objectif anticoncurrentiel de restreindre la concurrence sur le marché des camions moyens et lourds dans l’EEE par le biais, notamment, des échanges qui réduisaient l’incertitude stratégique en ce qui concernait les prix futurs et les hausses des prix bruts ainsi qu’en ce qui concernait le calendrier et la répercussion des coûts liés à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour les camions moyens et lourds imposées par
les normes Euro 3 à Euro 6 (considérant 317 de la décision attaquée).
231 Il convient également de rappeler que la Commission n’était pas tenue de qualifier les échanges au niveau inférieur du siège, pris séparément, d’infraction distincte à l’article 101 TFUE et à l’article 53 EEE afin de conclure à l’existence d’une infraction unique et continue (voir point 208 ci-dessus).
232 Il résulte de ce qui précède que le présent grief des requérantes se fonde sur la prémisse erronée selon laquelle la Commission a qualifié, dans la décision attaquée, les échanges au niveau inférieur du siège d’infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 EEE. Cela étant, et nonobstant cette prémisse erronée, il convient d’examiner, eu égard aux considérations figurant aux points 208 à 211 ci-dessus, et à la lumière de l’argumentation des requérantes, dans quelle mesure les échanges au
niveau inférieur du siège contribuaient à la réalisation du plan commun présenté au point 230 ci-dessus.
233 À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été conclu dans le cadre de l’examen du premier grief, les participants au niveau inférieur du siège étaient informés du contenu des échanges au niveau allemand, qu’ils transmettaient ce contenu à l’intérieur de leurs entreprises respectives et que, à titre plus général, ils étaient en contact avec les participants aux échanges au niveau allemand (voir point 222 ci‑dessus). Il s’avère ainsi que les employés au niveau
inférieur du siège, en étant associés à des échanges qui réduisaient l’incertitude stratégique en ce qui concernait les prix futurs et les dates d’introduction sur le marché des modèles de camions conformes aux normes environnementales, contribuaient à la réalisation du plan commun susvisé.
234 En deuxième lieu, des éléments de preuve présentés au considérant 144 de la décision attaquée, relatifs à une réunion entre concurrents au niveau inférieur du siège, les 3 et 4 février 2005 à Lyon (France), démontrent que, lors de cette réunion, [confidentiel] a informé les autres constructeurs, parmi lesquels Scania, de la future augmentation de 5 % du prix d’un des modèles de camions qu’elle construisait. Il convient de noter que les requérantes ont soutenu que cette information était dans le
domaine public à la date de la réunion susvisée et que, à l’appui de cette allégation, elles ont produit, au stade de la réplique et quelques jours avant l’audience, un article d’un magazine spécialisé dont la version électronique datait du 4 février 2005. Indépendamment de la recevabilité de cet élément de preuve, le Tribunal considère que l’article susvisé ne démontre pas le bien-fondé de l’allégation des requérantes dans la mesure où la portée de l’information communiquée par [confidentiel]
lors de la réunion des 3 et 4 février 2005 était plus large que la portée de l’information contenue dans l’article susvisé, lequel évoquait l’augmentation du prix du modèle de camion de [confidentiel] uniquement pour le marché du Royaume-Uni.
235 L’information tarifaire communiquée par [confidentiel] lors de la réunion des 3 et 4 février 2005 au niveau inférieur du siège démontre que les échanges à ce niveau, indépendamment de la question de savoir s’ils constituent une infraction aux règles de la concurrence, contribuaient à la réalisation du plan commun présenté au point 230 ci‑dessus, dans la mesure où elle démontre que ces échanges portaient également sur des questions relatives à la tarification des camions et non pas uniquement sur
des questions techniques.
236 En troisième lieu, il ressort d’un courriel interne de [confidentiel], envoyé par F, du niveau inférieur du siège de cette entreprise, présenté au considérant 146 de la décision attaquée, et relatif à la réunion entre concurrents des 4 et 5 juillet 2005, que les employés au niveau inférieur du siège, parmi lesquels des employés du siège de Scania, échangeaient des informations relatives, notamment, à la date d’introduction sur le marché des modèles de camions conformes aux normes
environnementales Euro 4 et Euro 5. À titre d’exemple, dans le courriel susvisé, F informait ses collègues du fait, révélé lors de la réunion des 4 et 5 juillet 2005, que Scania « montrera[it] une gamme complète des moteurs conformes à [la norme] Euro 4 (et quelques moteurs conformes à [la norme] Euro 5) à l’événement de [confidentiel] » et du fait que 2000 commandes portant sur des moteurs compatibles avec la norme Euro 4 avaient déjà été passées auprès de Scania. À titre d’exemple également, F
informait ses collègues que, selon les informations fournies par [confidentiel] lors de la réunion susvisée, l’augmentation des prix liée à l’introduction de la norme Euro 5 n’était pas contestée par ses clients et que 6000 camions compatibles avec cette norme avaient déjà été vendus. Le contenu de l’échange d’informations au niveau inférieur du siège lors de la réunion des 4 et 5 juillet 2005 démontre, lui aussi, que les échanges au niveau inférieur du siège contribuaient à la réalisation du
plan commun présenté au point 230 ci‑dessus, dans la mesure où il démontre que lesdits échanges portaient également sur des questions relatives à la date d’introduction sur le marché des modèles de camions conformes à des normes environnementales spécifiques.
237 En quatrième lieu, il convient de rappeler que les participants aux trois niveaux des contacts collusoires étaient des employés des mêmes entreprises, que les réunions au niveau inférieur du siège se chevauchaient, du point de vue temporel, avec les réunions aux deux autres niveaux et que des contacts existaient entre les employés du niveau inférieur du siège et les employés au niveau allemand (voir points 218 et 229 ci‑dessus).
238 Sur le fondement de ces éléments, il convient de constater que les échanges d’informations au niveau inférieur du siège contribuaient à la réalisation du plan commun présenté au point 230 ci‑dessus et, par conséquent, que la Commission était en droit de les prendre en compte aux fins de la conclusion relative à l’existence d’une infraction unique et continue.
239 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de conclure au rejet du présent moyen.
c) Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation et de l’application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce que la Commission a considéré que les requérantes avaient conclu un accord ou s’étaient livrées à une pratique concertée portant sur le calendrier d’introduction des technologies en matière d’émissions
240 L’argumentation des requérantes dans le cadre du présent moyen peut être divisée en trois branches, examinées successivement ci‑après.
1) Sur la première branche du quatrième moyen, tirée de la violation de l’obligation de motivation
241 Les requérantes font valoir que le raisonnement contenu dans la décision attaquée ne leur permet pas de comprendre la nature et la portée de l’infraction qui leur a été imputée. En effet, d’une part, il ressortirait de l’article 1er de la décision attaquée que la Commission a considéré que les requérantes avaient commis une infraction, notamment, en se concertant sur le calendrier d’introduction des technologies en matière d’émissions imposées par les normes Euro 3 à Euro 6 et que ce
comportement constituait une infraction de plein droit. D’autre part, la décision attaquée semblerait également soutenir, aux considérants 243 et 321, que les faits relatifs à la concertation susvisée sont « connexes » et « complémentaires » à la prétendue entente sur les tarifs et les prix bruts, suggérant ainsi que le simple échange d’informations sur les dates d’introduction des technologies ne constitue pas en soi une infraction.
242 Les requérantes concluent que cette incohérence dans le raisonnement de la Commission constitue une violation de l’article 296 TFUE et que, sur ce fondement, la décision attaquée doit être annulée.
243 Les requérantes font également grief à la Commission de ne pas avoir expliqué les raisons pour lesquelles l’échange d’informations sur le calendrier d’introduction des technologies en matière d’émissions constituait une infraction par objet.
244 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
245 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. Dans cette perspective, la motivation exigée doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteure de
l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. S’agissant, en particulier, de la motivation des décisions individuelles, l’obligation de motiver de telles décisions a ainsi pour but, outre de permettre un contrôle judiciaire, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité (voir arrêt du
7 novembre 2019, Campine et Campine Recycling/Commission, T‑240/17, non publié, EU:T:2019:778, point 321 et jurisprudence citée).
246 Par ailleurs, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées par l’acte au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la
motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 7 novembre 2019, Campine et Campine Recycling/Commission, T‑240/17, non publié, EU:T:2019:778, point 322 et jurisprudence citée).
247 En outre, l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE exige que le raisonnement sur lequel est fondée une décision soit clair et non équivoque. Ainsi, la motivation d’un acte doit être logique, et ne pas présenter notamment de contradiction interne entravant la bonne compréhension des raisons sous-tendant cet acte (voir arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 151 et jurisprudence citée).
248 En l’espèce, au considérant 236 de la décision attaquée, sous le point 7.2.3, intitulé « Restriction de la concurrence », la Commission a indiqué que le comportement anticoncurrentiel en l’espèce avait pour objet la restriction de la concurrence dans le territoire de l’EEE.
249 Au considérant 237 de la décision attaquée, la Commission a précisé que l’élément principal de l’ensemble des accords et des pratiques concertées en l’espèce, qui pouvait être qualifié de restriction de la concurrence, consistait en la coordination des prix et des augmentations des prix bruts par le biais de contacts sur les prix, sur la date et les coûts additionnels relatifs à l’introduction sur le marché des nouveaux modèles de camions conformes aux normes d’émission et en l’échange
d’informations sensibles du point de vue de la concurrence.
250 Au considérant 238, sous b), de la décision attaquée, la Commission a noté que Scania avait conclu des accords et/ou s’était coordonnée avec des concurrents sur le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour des camions moyens et lourds, requises par les normes Euro 3 à Euro 6.
251 Au considérant 239 de la décision attaquée, la Commission a constaté que l’ensemble des accords et des pratiques concertées auxquels Scania avait participé avait pour objet la restriction de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et avait permis aux entreprises d’adapter leur stratégie tarifaire à la lumière des informations reçues des concurrents.
252 Au considérant 243 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que les requérantes, en discutant sur la date de l’introduction des nouvelles normes environnementales et les coûts additionnels occasionnés par la nouvelle technologie, obtenaient des informations sur les intentions de leurs concurrents en ce qui concernait le niveau des prix bruts. Selon les explications de la Commission, la répercussion des coûts relatifs à l’introduction de la nouvelle technologie environnementale
entraînait des modifications du prix brut des modèles de camions concernés. Les parties connaissaient la date à partir de laquelle les nouveaux modèles (sur lesquels les coûts additionnels seraient répercutés) seraient inclus dans le barème des prix bruts des concurrents, dans la mesure où elles connaissaient la date d’introduction sur le marché de ces nouveaux modèles. Par conséquent, selon la Commission, la nature des discussions et des accords concernant la date d’introduction sur le marché
des nouveaux modèles de camions compatibles avec les normes environnementales était connexe et complémentaire au regard de la collusion des parties en ce qui concernait les prix et les augmentations des prix bruts.
253 Par ailleurs, il ressort des considérants 315 à 350 de la décision attaquée, sous le point 7.2.4, intitulé « Infraction unique et continue », que la Commission a imputé à Scania la commission d’une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, qu’elle a qualifiée d’infraction unique et continue, consistant en des contacts collusoires portant sur la tarification et l’augmentation des prix bruts des camions moyens et lourds au sein de l’EEE, ainsi que sur le calendrier et la
répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour les camions moyens et lourds imposées par les normes Euro 3 à Euro 6. Selon la Commission, ces contacts collusoires avaient pour objectif de restreindre la concurrence en réduisant le niveau d’incertitude stratégique entre les concurrents concernant les prix futurs, les augmentations des prix bruts, le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des modèles de camions conformes aux
normes environnementales (considérant 317 de la décision attaquée).
254 Au considérant 321 de la décision attaquée, la Commission a réitéré son analyse présentée au considérant 243 de la décision attaquée, selon laquelle la nature des discussions et des accords concernant la date d’introduction sur le marché des nouveaux modèles de camions compatibles avec les normes environnementales était connexe et complémentaire à la collusion des parties en ce qui concernait les prix et les augmentations des prix bruts.
255 Enfin, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 1er de la décision attaquée :
« Les entités juridiques suivantes de Scania, en se concertant sur les prix et les hausses de prix bruts dans l’EEE pour les camions moyens et lourds et sur le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour les camions moyens et lourds, imposées par les normes Euro 3 à 6, ont enfreint l’article 101 TFUE et l’article 53 [de l’accord] EEE pendant les périodes suivantes […] ».
256 D’une part, il ressort de la présentation susvisée de la décision attaquée que, contrairement à l’allégation des requérantes, la Commission n’a pas, dans celle‑ci, qualifié séparément d’infraction distincte à l’article 101 TFUE la concertation sur le calendrier d’introduction des technologies en matière d’émissions. En revanche, il est clair que la Commission a considéré que la concertation susvisée faisait partie d’une infraction unique et continue ayant pour objectif anticoncurrentiel unique
la restriction de la concurrence sur le marché des camions moyens et lourds dans le territoire de l’EEE.
257 D’autre part, il ressort, notamment, des considérants 236, 237, 239, 243 et 321 de la décision attaquée que la Commission a considéré que les échanges d’informations sur le calendrier d’introduction des technologies en matière d’émissions étaient connexes et complémentaires aux échanges d’informations relatifs aux prix et aux augmentations des prix bruts et que, en substance, l’ensemble de ces échanges permettait aux entreprises concernées d’adapter leurs stratégies tarifaires en fonction de
l’information reçue par les concurrents, constituant ainsi une restriction de la concurrence par objet.
258 Il ressort des considérations qui précèdent que la motivation contenue dans la décision attaquée présente de manière claire et non équivoque le raisonnement de la Commission, permettant ainsi au Tribunal d’exercer son contrôle juridictionnel. Par ailleurs, le contenu et le caractère détaillé de l’argumentation des requérantes devant le Tribunal démontre que la motivation de la décision attaquée leur a permis de la contester de manière effective devant lui.
259 Sur le fondement de ce qui précède, il convient de rejeter la première branche du présent moyen.
2) Sur la deuxième branche du quatrième moyen, tirée de l’application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce que la Commission aurait considéré que les requérantes avaient conclu un accord ou s’étaient livrées à une pratique concertée portant sur le calendrier d’introduction sur le marché des technologies en matière d’émissions
260 Les requérantes contestent l’appréciation de la Commission selon laquelle elles ont conclu un accord ou se sont livrées à une pratique concertée portant sur le calendrier d’introduction des technologies en matière d’émissions.
261 À cet égard, les requérantes notent que l’obligation de conformité des moteurs de camions aux normes Euro découle de la réglementation européenne, connue des constructeurs de camions, et ne résulte d’aucune concurrence en matière d’innovation.
262 Les requérantes font valoir également que Scania avait toujours respecté les différentes normes d’émission Euro avant même l’application des délais prescrits par la réglementation européenne et que sa production était, généralement, planifiée environ six ou sept ans avant la date limite prévue par ladite réglementation concernant l’introduction des technologies conformes auxdites normes. Selon les requérantes, ce fait n’est pas conciliable avec la thèse de la Commission selon laquelle Scania a
conclu avec ses concurrents un accord ou s’est livrée à une pratique concertée portant sur le calendrier d’introduction des technologies conformes aux normes Euro.
263 Les requérantes invoquent également la circonstance que les dates de lancement des technologies en matière d’émissions varient énormément entre les constructeurs de camions, ce qui remettrait en cause l’existence d’une coordination entre eux en ce qui concerne ces dates.
264 Les requérantes contestent également le fait que les échanges d’information décrits dans la décision attaquée démontrent qu’elles ont conclu un accord ou ont participé à une pratique concertée concernant l’introduction de nouvelles technologies en matière d’émissions.
265 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
266 À cet égard, il convient de relever que les notions d’« accord », de « décisions d’associations d’entreprises » et de « pratique concertée » appréhendent, du point de vue subjectif, des formes de collusion qui partagent la même nature et ne se distinguent que par leur intensité et par les formes dans lesquelles elles se manifestent (voir arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 23 et jurisprudence citée).
267 S’agissant de la définition d’une pratique concertée, la Cour a jugé qu’une telle pratique visait une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substituait sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (voir arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 26 et jurisprudence citée).
268 Les critères de coordination et de coopération constitutifs d’une pratique concertée, loin d’exiger l’élaboration d’un véritable « plan », doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché intérieur et les conditions qu’il entend réserver à sa clientèle (voir arrêts du 28 mai 1998, Deere/Commission, C‑7/95 P,
EU:C:1998:256, point 86 et jurisprudence citée, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 119 et jurisprudence citée).
269 Si cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou attendu de leurs concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact direct ou indirect entre de tels opérateurs de nature soit à influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement qu’il a décidé de tenir sur ce marché ou qu’il a envisagé d’adopter sur
celui-ci, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet d’aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l’importance et du nombre des entreprises et du volume dudit marché (voir arrêts du 28 mai 1998, Deere/Commission, C‑7/95 P, EU:C:1998:256, point 87 et jurisprudence citée, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P,
EU:C:2015:184, point 120 et jurisprudence citée).
270 La Cour a ainsi jugé que l’échange d’informations entre concurrents était susceptible d’être contraire aux règles de la concurrence lorsqu’il atténuait ou supprimait le degré d’incertitude sur le fonctionnement du marché en cause avec comme conséquence une restriction de la concurrence entre entreprises (voir arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 121 et jurisprudence citée).
271 En l’espèce, il y a lieu de rappeler que, au considérant 238, sous b), de la décision attaquée, la Commission a affirmé que Scania avait conclu des accords et/ou s’était coordonnée avec ses concurrents en ce qui concernait le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour des camions moyens et lourds exigées par les normes Euro 3 à Euro 6. Cette affirmation de la Commission repose sur plusieurs éléments de preuve présentés dans la
décision attaquée qui démontrent son bien-fondé.
272 En premier lieu, il convient de se référer au procès-verbal d’une réunion au niveau des instances dirigeantes, tenue le 6 avril 1998 à Bruxelles (Belgique), présenté au considérant 103 de la décision attaquée. Ce procès-verbal démontre clairement que les participants à cette réunion ont échangé des informations sur les prix ainsi que sur le calendrier d’introduction des modèles de camions conformes à la norme Euro 3 et qu’ils se sont mis d’accord pour ne pas introduire la technologie conforme à
cette norme avant que cette introduction ne devienne obligatoire. Le procès-verbal susvisé démontre également que les participants à la réunion ont échangé des informations sur la répercussion sur les prix de l’introduction de la nouvelle technologie. Dans la mesure où ledit procès-verbal fait référence à « tous les membres de [confidentiel] », il peut être inféré que Scania a participé à la réunion du 6 avril 1998 susvisée.
273 En deuxième lieu, le Tribunal se réfère à la réunion au niveau des instances dirigeantes tenue les 10 et 11 avril 2003 à Göteborg (Suède), à laquelle Scania a participé, présentée au considérant 127 de la décision attaquée. Des notes manuscrites prises par un représentant de [confidentiel] participant à cette réunion, et présentées audit considérant, démontrent que les participants ont échangé des informations sur les prix et sur l’introduction des technologies conformes à la norme Euro 4. Selon
ces notes :
« Ventes de [confidentiel] en Euro 4 oct. 2004. [confidentiel]/Scania peut l’introduire plus tôt mais ne le souhaite pas. Tous conviennent de l’introduire à [confidentiel] “ Introduction des ventes”. »
274 Le contenu de la réunion des 10 et 11 avril 2003, mentionnée au point 273 ci‑dessus, est explicité dans la télécopie envoyée le 8 mai 2003 par [confidentiel] aux concurrents, parmi lesquels Scania, présentée au considérant 128 de la décision attaquée, où il est indiqué :
« Au cours de notre réunion à Göteborg, nous avons discuté de l’introduction sur le marché de la spécification Euro 4. J’ai pris l’initiative de discuter de cette question avec notre collègue, [G]. Bien que [confidentiel] doute que nous tenions tous nos promesses, elle accepte une introduction sur le marché en septembre 2004, [confidentiel]. Très clairement, nous ne devrions pas la proposer à la vente avant cette date. Je suppose que nous sommes toujours tous d’accord et que nous nous en
tiendrons à cette date. Si, pour quelque raison que ce soit, vous ne le pouvez pas, merci de m’en informer par retour de télécopie. »
275 Les requérantes ont invoqué les explications de [confidentiel] lors de la procédure administrative selon lesquelles les notes citées au point 273 ci-dessus ne rapportaient pas l’existence d’un accord entre les constructeurs de camions, mais indiquaient seulement que tous avaient accepté comme une réalité que les moteurs conformes à la norme Euro 4 ne soient probablement pas lancés avant [confidentiel] de septembre 2004. Toutefois, il y a lieu de considérer que ces explications, fournies a
posteriori et qui contredisent le libellé clair des notes du représentant de [confidentiel] et de la télécopie du 8 mai 2003 démontrant que les concurrents étaient convenus d’introduire les moteurs conformes à la norme Euro 4 en septembre 2004, ne sont pas convaincantes.
276 En troisième lieu, il convient de se référer au courriel envoyé le 16 septembre 2004 par H, représentant de [confidentiel], aux concurrents, parmi lesquels Scania, dans lequel il indiquait sa décision de ne pas participer à la réunion au niveau des instances dirigeantes prévue à Hanovre (Allemagne). Ledit courriel, présenté au considérant 138 de la décision attaquée, précisait ce qui suit :
« Cette décision est motivée par la déception. Je trouve intolérables le comportement de certains de nos collègues (l’un d’eux en particulier) dans la communication concernant Euro 4 et Euro 5, ainsi que la façon dont ces collègues ont tenté de porter atteinte à l’image de l’industrie des camions, et de certains de leurs collègues en particulier […] ».
277 [confidentiel] a expliqué dans une déclaration orale, soumise lors de la procédure administrative et présentée au considérant 138 de la décision attaquée, qu’elle avait introduit la technologie conforme à la norme Euro 4 avant la date convenue avec les concurrents, à savoir le mois de septembre 2004 (voir points 273 et 274 ci‑dessus), et que ce fait était à l’origine du mécontentement exprimé par le représentant de [confidentiel] dans ce courriel. Il ressort du dossier que, à la suite de cet
incident, les échanges au niveau des instances dirigeantes se sont arrêtés (considérant 138 de la décision attaquée).
278 Le courriel du représentant de [confidentiel], présenté au point 276 ci‑dessus, lu à la lumière des éléments de preuve présentés aux points 273 et 274 ci‑dessus, démontre l’existence d’un accord entre concurrents, parmi lesquels Scania, relatif à la date d’introduction sur le marché des technologies conformes à la norme Euro 4.
279 Les requérantes ont invoqué la déclaration sous serment du représentant de [confidentiel] et auteur du courriel présenté au point 276 ci‑dessus, dans laquelle celui-ci expliquait que son courriel avait été envoyé à cause des tensions entre [confidentiel] et [confidentiel] et qu’il n’y avait aucun accord entre les constructeurs de camions relatif à la date d’introduction des moteurs conformes à la norme Euro 4. Selon les requérantes, la déclaration sous serment susvisée est corroborée par le fait
que [confidentiel] et son représentant n’ont pas du tout réagi à l’annonce par Scania du lancement de son premier moteur conforme à la norme Euro 4 lors d’une conférence de presse du 31 mars 2004. Selon les requérantes, il peut être supposé que, si les constructeurs avaient conclu un accord sur le calendrier d’introduction de la technologie conforme à la norme Euro 4, le représentant de [confidentiel] aurait réagi de la même manière en ce qui concernait l’annonce de Scania.
280 Cette argumentation des requérantes n’apparaît pas convaincante.
281 D’une part, en ce qui concerne la déclaration sous serment susvisée, elle a été faite, par l’auteur du courriel présenté au point 276 ci‑dessus, plusieurs années après les évènements pertinents, en vue de la procédure administrative et, dès lors, in tempore suspecto. Partant, son contenu ne saurait remettre en cause la valeur probante des éléments de preuve contemporains des évènements et plus objectifs, tels que la télécopie présentée au point 274 ci-dessus, ainsi que la valeur probante de la
déclaration de [confidentiel] mentionnée au point 277 ci‑dessus (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑59/02, EU:T:2006:272, point 277 ; du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, non publié, EU:T:2008:255, point 379, et du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, EU:T:2012:332, point 201). Tous ces éléments de preuve démontrent l’existence d’un accord entre les constructeurs de camions en ce qui concerne la date d’introduction
de la technologie conforme à la norme Euro 4.
282 D’autre part, en ce qui concerne l’argument tiré de la conférence de presse de Scania du 31 mars 2004, il convient de constater que le communiqué de presse produit par les requérantes, loin de corroborer leur thèse, annonçait l’introduction des moteurs de 420 chevaux (horse power) conformes à la norme Euro 4 en septembre 2004, date qui concorde avec la date convenue entre les concurrents lors de la réunion les 10 et 11 avril 2003 à Göteborg (voir points 273 et 274 ci‑dessus).
283 En quatrième lieu, le Tribunal se réfère aux échanges d’informations entre concurrents, parmi lesquels figurait Scania DE, qui ont eu lieu entre le 2 et le 8 décembre 2004, ayant pour objet les augmentations des prix prévues pour l’année 2005 (considérant 140 de la décision attaquée). Dans ce contexte, [confidentiel] a indiqué qu’elle facturerait 5410 euros pour le passage d’« Euro 3 à Euro 4 ».
284 Ainsi qu’il ressort du considérant 141 de la décision attaquée, le 2 décembre 2004, un représentant de Scania DE, B, a envoyé un courriel à des employés des entreprises concurrentes, dans lequel il demandait à quelle date et à quel prix brut les moteurs conformes aux normes 4 et 5 seraient livrés. Le représentant [confidentiel] a répondu en communiquant les informations demandées, indiquant, en particulier, que les prix additionnels pour les moteurs conformes à la norme Euro 4 et à la norme
Euro 5 seraient, respectivement, de 11500 euros et de 14800 euros. Le 17 décembre 2004, B a transmis les informations recueillies aux concurrents (considérant 142 de la décision attaquée).
285 En cinquième lieu, il convient de se référer à la réunion du 12 septembre 2005, présentée au considérant 149 de la décision attaquée, laquelle avait, notamment, pour sujets « situation Euro 4/5 » et « augmentations des prix prévues pour 2006 ». Il ressort des notes manuscrites que, lors de cette réunion, les concurrents, parmi lesquels figurait un représentant de Scania DE, I, ont échangé des informations sur la date de lancement des modèles de camions conformes aux normes Euro 4 et Euro 5 et
sur leur tarification.
286 En sixième lieu, il convient de se référer à un courriel en date du 21 juillet 2009, présenté au considérant 180 de la décision attaquée, dans lequel un employé de [confidentiel] proposait d’inscrire le point suivant à l’ordre du jour de la réunion entre concurrents, organisée par Scania DE, qui devait se tenir les 17 et 18 septembre 2009 : « Euro VI – je sais – sommes-nous autorisés à en parler, et le souhaitons-nous ? »
287 Le considérant 181 de la décision attaquée fait état de la réunion des 17 et 18 septembre 2009, mentionnée au point 286 ci‑dessus. Il ressort des éléments de preuve présentés dans le considérant susvisé, non contestés par les requérantes, que les concurrents ont échangé des informations sur la date d’introduction de la technologie conforme à la norme Euro 6 ainsi que sur les augmentations des prix prévues pour l’année 2010.
288 Il ressort des éléments de preuve et des faits présentés aux points 272 à 287 ci-dessus que la Commission a établi, à suffisance de droit, que Scania avait conclu des accords et/ou s’est coordonnée avec ses concurrents en ce qui concernait le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour des camions moyens et lourds exigées par les normes Euro 3 à Euro 6.
289 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation des requérantes présentée aux points 261 à 263 ci-dessus. En particulier, il convient de noter que la réglementation européenne relative aux dates d’introduction des normes Euro en matière d’émissions ne visait que les délais pour l’introduction desdites normes (voir considérant 6 de la décision attaquée) et n’obligeait pas les constructeurs de camions à échanger des informations relatives au calendrier de lancement des produits
conformes à ces normes. Par ailleurs, la circonstance selon laquelle Scania planifiait sa production plusieurs années avant la date limite prévue par la réglementation européenne pour l’introduction d’une norme Euro spécifique ne démontre pas l’absence de participation de sa part à la concertation avec les autres constructeurs de camions. De même, le fait que les dates de lancement des technologies en matière d’émissions varient entre les constructeurs de camions ne démontre pas non plus
l’absence d’échanges d’informations entre eux, ces échanges leur permettant de connaître les plans de leurs concurrents.
290 Sur le fondement des considérations qui précèdent, il convient de rejeter la deuxième branche du présent moyen.
3) Sur la troisième branche du quatrième moyen, tirée de ce que les échanges d’informations sur le calendrier d’introduction des technologies en matière d’émissions ne constituent pas une infraction par objet
291 Les requérantes font valoir que, tout au plus, les éléments de preuve contenus dans le dossier font apparaître que, à titre exceptionnel, les parties ont partagé des informations sur le calendrier de lancement de leurs technologies respectives en matière d’émissions. Or, ces rares échanges ne constitueraient pas une infraction par objet. Selon les requérantes, la décision attaquée n’apporte pas la preuve que l’échange d’informations sur le calendrier d’introduction des technologies en matière
d’émissions peut, par nature, être considéré comme nuisible au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, sans avoir à en examiner les effets.
292 En effet, d’après les requérantes, il est difficile de comprendre de quelle manière l’échange d’informations sur les dates de lancement pourrait entraîner le moindre retard ou entraver la concurrence dans l’offre de la nouvelle technologie en question, dans la mesure où, premièrement, le développement technique d’une nouvelle technologie de contrôle d’émissions prend environ six ou sept ans, deuxièmement, tous les constructeurs étaient tenus de concevoir de nouveaux moteurs conformes aux normes
Euro et ont lancé les technologies en cause avant les délais prescrits par la législation européenne et, troisièmement, il n’y avait pratiquement pas de demande de camions conformes aux normes Euro avant que ces normes ne deviennent obligatoires. De toute évidence, selon les requérantes, l’objectif de l’échange d’informations n’était pas de « retarder » l’introduction des technologies en matière d’émissions.
293 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
294 Il importe de rappeler que, au considérant 238, sous b), et au considérant 239 de la décision attaquée, la Commission a constaté que l’ensemble des accords et des pratiques concertées auxquels Scania avait participé, parmi lesquels figuraient les accords ou les pratiques concertées sur le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions, avait pour objet la restriction de la concurrence au sens de l’article 101 TFUE et avait permis aux
entreprises d’adapter leur stratégie tarifaire à la lumière des informations reçues des concurrents. Par ailleurs, aux considérants 243 et 321 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que la nature des discussions et des accords concernant la date d’introduction sur le marché des nouveaux modèles de camions conformes aux normes environnementales était connexe et complémentaire à la collusion des parties en ce qui concernait les prix et les augmentations des prix bruts. Il importe
également de rappeler que la Commission a conclu à l’existence d’une infraction unique et continue dont l’objectif était la restriction de la concurrence sur le marché des camions moyens et lourds dans l’EEE et consistant en des pratiques qui réduisaient les niveaux d’incertitude stratégique entre les parties en ce qui concernait, notamment, les prix futurs et les augmentations des prix bruts (considérant 317 de la décision attaquée).
295 Il résulte de ce qui précède que l’argumentation des requérantes présentée aux points 291 et 292 ci-dessus se fonde sur une série de prémisses erronées.
296 En effet, ainsi qu’il a déjà été noté, les échanges d’informations sur le calendrier d’introduction des technologies en matière d’émissions n’ont pas été qualifiés par la Commission d’infraction à part entière. De même, ces échanges n’ont pas été qualifiés isolément de restriction de la concurrence par objet, mais ont été pris en considération conjointement avec d’autres pratiques collusoires. C’est « cet ensemble d’accords et de pratiques concertées » qui a été qualifié, au considérant 239 de
la décision attaquée, de restriction de la concurrence par objet, permettant aux participants d’adapter leur stratégie tarifaire à la lumière des informations reçues des concurrents.
297 En outre, il convient de relever que la conclusion de la Commission relative à l’existence d’une infraction unique et continue n’est pas fondée sur la constatation que les accords ou les pratiques concertées sur le calendrier d’introduction de technologies en matière d’émissions ont constitué une entrave dans l’offre des nouvelles technologies, ainsi que le suggère l’argumentation des requérantes présentée au point 292 ci-dessus. La conclusion de la Commission est fondée sur la constatation que
ces pratiques collusoires étaient complémentaires aux pratiques collusoires concernant les prix et les augmentations des prix bruts. En effet, il ressort du contenu des échanges entre les concurrents, présentés dans la décision attaquée, que l’introduction des technologies assurant la conformité des moteurs de camions aux normes Euro pouvait avoir un impact sur les prix des modèles de camions concernés et entraîner l’augmentation de ces prix. Les concurrents discutaient entre eux non seulement
du calendrier, mais, également, de la répercussion des coûts afférents à l’introduction de la nouvelle technologie. Dès lors, la Commission était fondée à relever, aux considérants 243 et 321 de la décision attaquée, que les concurrents, en discutant sur la date d’introduction des nouvelles technologies et sur les coûts additionnels générés par celles-ci, prenaient connaissance du niveau des prix bruts envisagés et du calendrier d’augmentation de ces prix bruts. Il s’ensuit que l’argumentation
des requérantes, présentée au point 292 ci-dessus, se fonde sur une compréhension erronée de la décision attaquée et est inopérante.
298 En ce qui concerne la question de savoir si l’échange d’informations entre les constructeurs de camions leur permettant d’avoir connaissance du niveau envisagé des prix bruts de leurs concurrents et du calendrier d’augmentation de ces prix bruts constitue une restriction de la concurrence par objet, celle-ci n’est pas abordée par l’argumentation des requérantes dans le cadre du présent moyen, laquelle, ainsi qu’il a déjà été noté, est fondée sur la compréhension erronée selon laquelle la
Commission reprochait auxdits constructeurs d’entraver l’offre des nouvelles technologies (voir point 297 ci-dessus). À toutes fins utiles, il y a lieu de rappeler que l’échange d’informations entre concurrents est susceptible d’être contraire aux règles de la concurrence lorsqu’il attenue ou supprime le degré d’incertitude sur le fonctionnement du marché en cause avec comme conséquence une restriction de la concurrence entre entreprises (voir point 270 ci‑dessus). En particulier, il y a lieu de
considérer comme ayant un objet anticoncurrentiel un échange d’informations susceptible d’éliminer des incertitudes dans l’esprit des intéressés quant à la date, à l’ampleur et aux modalités de l’adaptation du comportement sur le marché que les entreprises concernées vont mettre en œuvre (voir arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 122 et jurisprudence citée).
299 En l’espèce, eu égard à la jurisprudence présentée au point 298 ci‑dessus, il convient de constater que les échanges d’informations entre concurrents qui leur permettent d’obtenir des informations sur le niveau des prix bruts envisagés et sur le calendrier d’augmentation de ces prix bruts, éliminant ainsi l’incertitude relative au comportement futur qu’ils vont adopter, constituent une restriction de la concurrence par objet (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 2013, Mamoli
Robinetteria/Commission, T‑376/10, EU:T:2013:442, point 72).
300 Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la troisième branche du présent moyen. Par conséquent, celui‑ci doit être rejeté dans son intégralité.
d) Sur le cinquième moyen, tiré d’une application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce que la Commission a qualifié les échanges d’informations au niveau allemand d’infraction « par objet »
1) Observations liminaires
301 Les requérantes soutiennent que la Commission n’a pas présenté de preuves précises et concordantes corroborant la thèse selon laquelle l’échange d’informations au niveau allemand constituait une entrave suffisante à la concurrence pour être qualifiée de restriction « par objet », au sens de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204).
302 Les requérantes affirment qu’une analyse du contenu, des objectifs et du cadre économique et juridique des informations échangées au niveau allemand fait apparaître que l’évaluation « par objet » réalisée par la Commission est entachée d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste d’appréciation.
303 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
304 Il y a lieu de rappeler que, au considérant 238 de la décision attaquée, la Commission a constaté, premièrement, que Scania avait conclu des accords et/ou s’était coordonnée avec les parties à la transaction sur les modifications envisagées des prix bruts et des barèmes des prix bruts et sur le calendrier de ces modifications et, occasionnellement, sur des modifications envisagées des prix nets ou des rabais offerts aux clients, deuxièmement, que Scania avait conclu des accords et/ou s’était
coordonnée avec les parties à la transaction sur le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour des camions moyens et lourds, requise par les normes Euro 3 à Euro 6 et, troisièmement, que Scania et les parties à la transaction avaient échangé d’autres informations sensibles sur le plan commercial, à savoir des informations relatives aux délais de livraison, aux commandes passées et au niveau des stocks, aux parts de marché
cibles, aux prix nets actuels et aux remises, aux barèmes des prix bruts (même avant leur entrée en vigueur) et aux configurateurs des camions.
305 Selon le considérant 212 de la décision attaquée, les pratiques collusoires présentées par la Commission au considérant 238 de ladite décision avaient lieu aux trois niveaux identifiés aux points 35 à 38 ci-dessus et, notamment, au niveau allemand.
306 La Commission a estimé, au considérant 239 de la décision attaquée, que l’ensemble d’accords et de pratiques concertées présenté au considérant 238 avait pour objet la restriction de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et avait permis aux entreprises d’adapter leur stratégie tarifaire à la lumière des informations reçues des concurrents.
307 Il y a également lieu de rappeler que la Commission a qualifié l’ensemble de ces comportements collusoires d’infraction unique et continue, qui a duré de 1997 à 2011. Selon la Commission, Scania et les parties à la transaction ont poursuivi un plan d’ensemble ayant comme objectif anticoncurrentiel unique la restriction de la concurrence sur le marché des camions moyens et lourds dans l’EEE. Cet objectif aurait été atteint par des pratiques qui réduisaient les niveaux d’incertitude stratégique
entre les concurrents en ce qui concernait les prix futurs et les augmentations des prix bruts, le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des camions conformes aux normes environnementales (considérant 317 de la décision attaquée).
308 Il ressort de ce qui précède que, même si la Commission n’a pas qualifié en l’espèce les contacts collusoires au niveau allemand d’infraction en soi à l’article 101 TFUE, elle a considéré que ces contacts constituaient des restrictions de la concurrence par objet et faisaient partie de l’infraction unique et continue imputée à Scania, contribuant à sa réalisation. Dans le cadre du présent moyen, il convient d’examiner le bien-fondé de l’appréciation de la Commission selon laquelle les contacts
collusoires au niveau allemand constituaient une restriction de la concurrence par objet.
309 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 49, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 113 ; voir également, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013,
Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, point 34).
310 La distinction entre « infractions par objet » et « infractions par effet » tient au fait que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 50, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 114 ; voir également, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013,
Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, point 35).
311 Ainsi, il est acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré inutile, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché. En effet, l’expérience montre
que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 115).
312 Dans l’hypothèse où l’analyse d’un type de coordination entre entreprises ne présenterait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait, en revanche, d’en examiner les effets et, pour l’interdire, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (arrêts du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, point 34 ; du 11 septembre 2014,
CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 52, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 116).
313 Selon la jurisprudence de la Cour, il convient, afin d’apprécier si un accord entre entreprises ou une décision d’association d’entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de concurrence « par objet » au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte,
il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P,EU:C:2014:2204, point 53, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 117 ; voir également, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160,
point 36).
314 En outre, bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un accord entre entreprises, rien n’interdit aux autorités de la concurrence ou aux juridictions nationales et de l’Union d’en tenir compte (arrêts du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, point 37 ; du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 54, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission,
C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 118).
315 En ce qui concerne plus particulièrement l’échange d’informations entre concurrents, il convient de rappeler que les critères de coordination et de coopération constitutifs d’une pratique concertée doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché intérieur (arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a.,
C‑8/08, EU:C:2009:343, point 32, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 119).
316 Si cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou attendu de leurs concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact direct ou indirect entre de tels opérateurs de nature soit à influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement qu’il a été décidé de tenir sur ce marché ou qu’il a été envisagé d’adopter sur
celui-ci, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet d’aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l’importance et du nombre des entreprises et du volume dudit marché (arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 33, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184,
point 120).
317 La Cour a ainsi jugé que l’échange d’informations entre concurrents était susceptible d’être contraire aux règles de la concurrence lorsqu’il atténuait ou supprimait le degré d’incertitude sur le fonctionnement du marché en cause avec comme conséquence une restriction de la concurrence entre entreprises (arrêts du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission, C‑194/99 P, EU:C:2003:527, point 81 ; du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 35, et du 19 mars 2015, Dole
Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 121).
318 En particulier, il y a lieu de considérer comme ayant un objet anticoncurrentiel un échange d’informations susceptible d’éliminer des incertitudes dans l’esprit des intéressés quant à la date, à l’ampleur et aux modalités de l’adaptation du comportement sur le marché que les entreprises concernées vont mettre en œuvre (arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 122 ; voir également, en ce sens, arrêt du 4 juin 2009, T‑Mobile
Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 41).
319 Par ailleurs, une pratique concertée peut avoir un objet anticoncurrentiel bien qu’elle n’ait pas de lien direct avec les prix à la consommation. En effet, le libellé de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne permet pas de considérer que seules seraient interdites les pratiques concertées ayant un effet direct sur le prix acquitté par les consommateurs finaux (arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 123 ; voir également, en ce sens,
arrêt du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 36).
320 Au contraire, il ressort dudit article 101, paragraphe 1, sous a), TFUE qu’une pratique concertée peut avoir un objet anticoncurrentiel si elle consiste à « fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction » (arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 37, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 124).
321 En tout état de cause, l’article 101 TFUE vise, à l’instar des autres règles de concurrence énoncées dans le traité, à protéger non uniquement les intérêts directs des concurrents ou des consommateurs, mais également la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle. Dès lors, la constatation de l’existence de l’objet anticoncurrentiel d’une pratique concertée ne saurait être subordonnée à celle d’un lien direct de celle-ci avec les prix à la consommation (arrêts du 4 juin
2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, points 38 et 39, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 125).
322 Enfin, il convient de rappeler qu’il résulte des termes mêmes de l’article 101, paragraphe 1, TFUE que la notion de pratique concertée implique, outre la concertation entre les entreprises concernées, un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments (arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 51, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184,
point 126).
323 À cet égard, la Cour a considéré qu’il y avait lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu’il incombait aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeuraient actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché. En particulier, la Cour a conclu qu’une telle pratique concertée relevait de l’article 101, paragraphe 1, TFUE même en l’absence d’effets
anticoncurrentiels sur ledit marché (arrêts du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 51, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 127).
2) Sur le contenu des informations échangées
i) Sur les modifications envisagées des prix bruts et des barèmes des prix bruts et sur le calendrier de ces modifications, visés au considérant 238, sous a), de la décision attaquée
324 Les requérantes soutiennent que les informations échangées au niveau allemand concernant les prix bruts n’étaient pas de nature à atténuer l’incertitude « stratégique » entre les concurrents.
325 À cet égard, en premier lieu, les requérantes font valoir que les informations tarifaires échangées au niveau allemand concernaient les prix en vigueur appliqués par les distributeurs aux concessionnaires en Allemagne et ne concernaient pas des prix futurs ou des intentions tarifaires. En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que les échanges au niveau allemand concernaient des prix qui étaient déjà publics et, en troisième lieu, elles soutiennent que les prix bruts échangés ne disposaient
d’aucune valeur informative sur les prix effectivement appliqués au consommateur final.
– Sur l’argument des requérantes relatif au caractère actuel ou futur de l’information échangée au niveau allemand
326 Au considérant 240 de la décision attaquée, la Commission a relevé que les concurrents discutaient entre eux de plusieurs facteurs concernant la tarification future et l’évolution future des prix bruts.
327 Les requérantes contestent la conclusion de la Commission dans la décision attaquée selon laquelle les informations échangées au niveau allemand sur les prix bruts concernaient des prix bruts futurs et des intentions tarifaires. Elles soutiennent en substance que l’échange de ces informations concernait des prix bruts en vigueur et, dès lors, n’avait pas une importance stratégique telle qu’il puisse être qualifié de restriction de concurrence « par objet ». Les prix bruts échangés seraient des
prix en vigueur (actuels) dans la mesure où, avant l’échange, ils avaient déjà été communiqués aux réseaux des concessionnaires ou s’appliquaient à des livraisons ou à des commandes déjà passées par des clients.
328 À cet égard, il y a lieu de constater que le dossier contient de nombreuses preuves démontrant que les discussions, au niveau allemand, sur les hausses des prix bruts avaient clairement un caractère prospectif et visaient à éliminer les incertitudes quant à la politique tarifaire future des concurrents. Ainsi, les échanges entre le 2 et le 8 décembre 2004, décrits au considérant 140 de la décision attaquée, avaient pour objet les augmentations des prix planifiés pour l’année 2005, les échanges
d’informations qui avaient lieu le 12 septembre 2005, décrits au considérant 149 de la décision attaquée, avaient pour objet les augmentations des prix planifiés pour l’année 2006, les échanges d’informations qui avaient lieu en juin et en juillet 2007, décrits au considérant 158 de la décision attaquée, avaient pour objet les augmentations des prix planifiés pour l’année 2008, les échanges d’informations qui avaient lieu les 12 et 13 mars 2008, décrits au considérant 166 de la décision
attaquée, avaient pour objet les augmentations des prix pour la période couvrant les années 2008 et 2009, les échanges d’informations qui avaient lieu en juillet 2009, décrits au considérant 179 de la décision attaquée, avaient pour objet les augmentations planifiées des prix pour l’année 2010, et le courriel en date du 14 octobre 2010, décrit au considérant 190 de la décision attaquée, démontre un échange d’informations portant sur des augmentations des prix pour l’année 2011. Des employés de
Scania DE participaient à tous ces échanges.
329 Par ailleurs, il ressort du dossier que, tant Scania que les autres concurrents, ont communiqué entre eux les hausses des prix qu’ils envisageaient d’appliquer, en réponse à des sollicitations, à cette fin, provenant de l’un des concurrents. Ainsi, dans un courriel du 2 décembre 2004, décrit au considérant 140 de la décision attaquée, un employé de [confidentiel] au niveau allemand demandait à des concurrents des informations sur les augmentations des prix planifiées pour l’année 2005 en
indiquant : « Hausses de prix 2005 : comme chaque année, le patron souhaite savoir si et quand vous augmenterez vos prix l’année prochaine ». Il précisait en outre : « Pour cette raison, veuillez partager cette information avec tout le monde afin de ne pas perdre du temps à formuler des demandes individuelles ». De même, dans le courriel du 20 juillet 2009, présenté au considérant 179 de la décision attaquée, relatif à une demande d’informations portant, notamment, sur les augmentations des prix
pour l’année 2010, il est indiqué : « [C]omme chaque année, la planification prospective doit être effectuée dans la maison et avec celle-ci des questions liées [doivent être abordées]. »
330 Les requérantes contestent le caractère prospectif des prix bruts échangés en faisant valoir que les informations tarifaires échangées au niveau allemand concernaient les barèmes des prix bruts distributeurs-concessionnaires qui étaient déjà communiqués aux concessionnaires et qui servaient déjà de base pour des commandes effectuées par des clients finaux. À l’appui de cette argumentation, les requérantes invoquent deux rapports préparés par un cabinet de conseil en économie, le premier, daté du
20 septembre 2016, soumis à la Commission lors de la procédure administrative (ci‑après le « rapport économique du 20 septembre 2016 ») et, le second, daté du 9 décembre 2017, soumis pour la première fois devant le Tribunal (ci‑après le « rapport économique du 9 décembre 2017 »). Ces rapports analysent les échanges d’informations entre concurrents dans lesquels Scania DE était impliquée (et mentionnés dans la communication des griefs et la décision attaquée) et, se fondant sur des données
fournies par Scania, démontrent, prétendument, que chacun de ces échanges concernait des barèmes des prix bruts, lesquels, avant leur communication aux concurrents de Scania DE, avaient déjà été communiqués aux concessionnaires de Scania en Allemagne ou avaient servi de référence pour le placement des commandes par des clients finaux.
331 Cette argumentation des requérantes n’emporte pas la conviction du Tribunal.
332 En effet, indépendamment du caractère fiable et précis des données utilisées dans les deux rapports mentionnés au point 330 ci-dessus, lesquels avaient été commandés par les requérantes en vue de leur défense dans le cadre de la procédure administrative et devant le Tribunal, force est de noter que plusieurs échanges d’informations présentés dans la décision attaquée révèlent que les hausses des prix discutées lors de ces échanges s’appliquaient aux commandes effectuées postérieurement auxdits
échanges. Par conséquent, le caractère prospectif de l’information échangée est établi même en suivant l’analyse utilisée par les requérantes. À cet égard, le Tribunal se réfère, à titre d’exemple, aux échanges d’informations au niveau allemand, présentées aux considérants 140, 149, 166, 171 et 190 de la décision attaquée. Ainsi, lors des échanges de décembre 2004, présentés au considérant 140 de la décision attaquée, [confidentiel] a informé ses concurrents que les barèmes des prix concernant
les véhicules et les options seraient augmentés de 3 % pour des commandes passées après le 1er avril 2005 ; dans le cadre d’une présentation faite par [confidentiel] lors d’une réunion entre concurrents au niveau allemand, les 12 et 13 mars 2008, présentée au considérant 166 de la décision attaquée, [confidentiel] a informé ses concurrents de l’augmentation des prix de certains modèles de camions appliquée à des commandes passées à partir du mois d’avril 2008, du mois d’octobre 2008 et du mois
d’avril 2009 ; le courriel du 7 novembre 2008, présenté au considérant 171 de la décision attaquée, informe les concurrents des augmentations des prix appliquées par [confidentiel] pour des commandes passées à partir du mois d’avril 2009 et des augmentations des prix appliquées par [confidentiel] pour des commandes passées à partir de février 2009.
333 En outre, force est de noter que, même si les constructeurs de camions, avant d’échanger des informations sur les augmentations des prix bruts au niveau allemand, avaient communiqué « en interne », c’est-à-dire à leurs concessionnaires, leur intention d’augmenter les prix bruts et même s’ils avaient déjà pris des commandes sur la base de ces prix bruts, cela ne signifie pas que les informations échangées n’étaient pas utiles pour leurs concurrents, dans la mesure où ces informations n’étaient
pas publiques et révélaient la stratégie tarifaire future des constructeurs de camions qui les fournissaient.
334 Les requérantes, afin de corroborer leur thèse selon laquelle les échanges d’informations entre constructeurs au niveau allemand concernaient les prix bruts en vigueur et non les prix futurs, soutiennent aussi que Scania DE n’a pas modifié ses prix à la suite des informations (sur les prix) qu’elle aurait pu recevoir de ses concurrents. À l’appui de cette allégation, les requérantes ont invoqué le rapport économique du 9 décembre 2017 lequel, prétendument, démontrerait qu’un volume important des
ventes avait été réalisé sur la base des barèmes des prix, après que Scania DE les avait communiqués aux autres participants au niveau allemand.
335 Cet argument, qui doit être abordé à la lumière des principes présentés aux points 322 et 323 ci‑dessus, ne saurait non plus être retenu dans la mesure où il ne démontre aucunement que Scania ne prenait pas en compte les informations reçues dans le cadre des échanges au niveau allemand afin de déterminer sa stratégie tarifaire. La circonstance que Scania a participé à des échanges avec ses concurrents pendant quatorze ans et sur une base régulière démontre la valeur stratégique que ces
informations avaient pour Scania (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, point 51).
336 Afin de contester le caractère prospectif des prix bruts échangés au niveau allemand, les requérantes invoquent deux autres arguments. D’une part, elles se réfèrent aux déclarations d’autres constructeurs de camions figurant dans le dossier, lesquelles confirmeraient que l’échange d’informations au niveau allemand ne portait pas sur des intentions tarifaires futures. D’autre part, elles soutiennent que les employés de Scania DE participant aux échanges au niveau allemand n’avaient pas pour
mission d’établir les prix et qu’ils étaient persuadés que les informations « prospectives » sur les prix ne relevaient pas de leur réseau de contacts. Les employés de Scania DE auraient confirmé que les informations communiquées aux employés des autres constructeurs avaient toujours été déjà largement diffusées dans les réseaux de concessionnaires de Scania et auraient supposé que les informations tarifaires fournies par les autres constructeurs concernaient des prix « actuels » et non futurs.
337 Les arguments des requérantes présentés au point 336 ci‑dessus ne sauraient non plus être retenus.
338 Tout d’abord, dans les déclarations invoquées par les requérantes, les constructeurs de camions ont indiqué, en substance, que les informations sur les prix bruts échangées au niveau allemand étaient déjà (c’est-à-dire avant les échanges) communiquées aux concessionnaires et revêtaient, dès lors, selon lesdits constructeurs, un caractère public. Le caractère « public » de l’information échangée au niveau allemand sera examiné aux points 342 à 350 ci‑après. À ce stade de l’analyse, force est de
noter que le dossier contient des éléments de preuve démontrant que les échanges au niveau allemand avaient notamment pour objet des augmentations futures des prix bruts, et cela est démontré également par les déclarations des constructeurs eux-mêmes. En effet, ainsi que la Commission le relève aux considérants 89 et 91 de la décision attaquée, la majorité des constructeurs ont confirmé que, parmi les sujets de discussions au niveau allemand, figuraient les augmentations futures des prix bruts
et que ces échanges avaient un caractère systématique et régulier.
339 Ensuite, les déclarations des employés de Scania DE se fondent sur la prémisse erronée selon laquelle les prix bruts échangés au niveau allemand constituaient des prix « actuels », puisqu’ils avaient déjà été communiqués aux réseaux des concessionnaires. En tout état de cause, s’agissant de la perception qu’auraient les employés de Scania DE des échanges d’informations au niveau allemand, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, l’imputation à une entreprise d’une infraction à
l’article 101 TFUE ne suppose pas une connaissance des employés de l’entreprise concernée par cette infraction, mais l’action d’une personne qui est autorisée à agir pour le compte de l’entreprise (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013, Dole Food et Dole Germany/Commission, T‑588/08, EU:T:2013:130, point 581 et jurisprudence citée). En l’espèce, ainsi que la Commission le relève, les requérantes ne contestent pas que les employés de Scania DE qui ont pris part aux échanges d’informations
étaient autorisés à le faire. Partant, l’argument des requérantes tiré de la perception susvisée des employés de Scania DE et de leur responsabilité dans la fixation des prix n’est pas opérant et doit être rejeté.
340 Enfin, il convient de rejeter le grief des requérantes selon lequel la Commission a ignoré le rapport économique du 20 septembre 2016 mentionné au point 330 ci‑dessus. Le dossier ne démontre pas le bien-fondé d’un tel grief et il ressort des considérations qui précèdent que ledit rapport avait une utilité limitée dans la mesure où il visait à corroborer une thèse erronée, à savoir celle selon laquelle les informations échangées au niveau allemand étaient « actuelles » dans la mesure où elles
avaient déjà été communiquées aux réseaux des concessionnaires.
341 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de rejeter l’ensemble de l’argumentation des requérantes relative au caractère « actuel » de l’information échangée au niveau allemand.
– Sur l’argument des requérantes relatif au caractère public des prix bruts échangés au niveau allemand
342 Les requérantes font valoir que, compte tenu du délai assez long qui s’écoule entre la commande d’un camion et sa livraison, les informations échangées, au niveau allemand, sur les prix bruts étaient déjà communiquées par les constructeurs de camions à leurs réseaux de concessionnaires et étaient déjà évoquées dans les négociations entre les concessionnaires et les clients, relevant ainsi du domaine public. Partant, ces informations n’auraient aucune valeur stratégique pour les concurrents. Les
requérantes soutiennent que leur analyse est corroborée, dans une certaine mesure, par la note en bas de page no 4, sous le point 74, des lignes directrices de la Commission sur l’applicabilité de l’article 101 TFUE aux accords de coopération horizontale (JO 2011, C 11, p. 1).
343 Cette argumentation des requérantes n’emporte pas la conviction du Tribunal.
344 En premier lieu, sur un plan général, il est relevé que les échanges d’informations tarifaires au niveau allemand avaient lieu fréquemment et pendant plusieurs années. Il ressort également du dossier que ces échanges avaient un caractère structuré et bien organisé, les participants étant, souvent, invités à remplir un tableau Excel avec des informations portant, notamment, sur les augmentations planifiées des prix bruts, et le Tribunal renvoie, à cet égard, à titre d’exemple, aux
considérants 150, 166, 171, 172, 175, 179 et 188 de la décision attaquée ainsi qu’aux déclarations de certains des constructeurs lors de la procédure administrative, présentées au considérant 91 de la décision attaquée. Compte tenu de ce fait, la thèse selon laquelle les échanges au niveau allemand ne présentaient pas de valeur pour les concurrents aux fins de la planification de leurs stratégies tarifaires n’est pas plausible.
345 En second lieu, il convient de noter que les requérantes ne démontrent pas que les constructeurs de camions pouvaient obtenir les informations échangées au niveau allemand par le biais d’un moyen autre que celui des contacts directs entre concurrents et concèdent qu’elles sont incapables de fournir des exemples d’annonces de hausses des prix faites par une source accessible à tous. Les requérantes ne contestent pas, non plus, les déclarations des certains des concurrents lors de la procédure
administrative, présentées aux considérants 269 et 270 de la décision attaquée, selon lesquelles les prix bruts et les intentions d’augmenter les prix bruts, faisant l’objet des échanges au niveau allemand, n’étaient généralement pas publics et pouvaient seulement être en partie extraits de sources accessibles au public et que les informations sur les prix bruts qui étaient dans le domaine public n’étaient pas aussi détaillées et précises que celles reçues directement des concurrents.
346 Dans ce même contexte, il convient également de préciser que les requérantes ne démontrent pas que les informations obtenues par les concessionnaires et les clients finaux d’un constructeur de camions relatives à des augmentations futures des prix bruts parviennent de manière simple, directe et systématique aux autres constructeurs de camions. À cet égard, un constructeur de camions a précisé, lors de la procédure administrative, que, généralement, les clients ne partageaient pas d’informations
relatives à des augmentations planifiées des prix bruts des concurrents dans le cadre de leurs négociations avec les concessionnaires, dans la mesure où ces informations ne renforçaient pas leur pouvoir de négociation à l’égard de ces concessionnaires (voir considérant 279 de la décision attaquée).
347 Il ressort des considérations qui précèdent que la communication aux réseaux des concessionnaires des informations relatives aux hausses appliquées aux barèmes des prix bruts ne rendait pas ces informations « publiques », une information publique étant une donnée objective du marché, repérable de façon immédiate (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, EU:T:2008:254, point 236).
348 Il en ressort également que l’échange d’informations au niveau allemand sur les hausses applicables aux barèmes des prix bruts constituait le seul moyen permettant aux concurrents d’avoir accès à ces informations de manière simple, rapide et détaillée et de créer un climat de certitude mutuelle en ce qui concernait leurs futures politiques des prix (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, EU:T:2008:254, point 236).
349 Dès lors, il convient de valider la conclusion de la Commission, dans la décision attaquée, selon laquelle les informations échangées au niveau allemand n’étaient pas publiques (voir, notamment, considérant 242 de la décision attaquée). Il convient également de préciser que, contrairement à l’argument des requérantes (voir point 342 ci‑dessus), cette conclusion de la Commission est conforme aux lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 TFUE aux accords de coopération horizontale.
En effet, au point 74 desdites lignes directrices, la Commission a expliqué qu’il fallait considérer les échanges, entre concurrents, de données individualisées concernant les futurs prix ou quantités envisagés comme constituant une restriction de la concurrence par objet. Certes, à la note en bas de page no 4, sous ce point 74, la Commission a précisé que, dans les cas spécifiques où les entreprises s’engageaient pleinement à pratiquer à l’avenir les prix annoncés précédemment au grand public
(prix qu’elles ne pouvaient donc pas revoir), de telles annonces publiques de prix ou de quantités individuels futurs ne seraient pas considérées comme des intentions et ne seraient donc normalement pas considérées comme restreignant le jeu de la concurrence par objet. Toutefois, le contenu de cette note en bas de page n’est pas pertinent en l’espèce, dans la mesure où les constructeurs des camions, y compris Scania, n’annonçaient pas au grand public les informations sur les prix échangées au
niveau allemand, mais uniquement à leurs réseaux de concessionnaires.
350 Sur le fondement des considérations qui précèdent, il convient de rejeter l’argumentation des requérantes relative au caractère public des informations sur les prix bruts échangées au niveau allemand.
– Sur l’argument des requérantes relatif à l’absence de valeur informative des prix bruts échangés au niveau allemand sur les prix effectivement appliqués dans les transactions du marché
351 Les requérantes soutiennent que les informations échangées au niveau allemand sur les prix bruts ne fournissent aucune indication sur le comportement tarifaire futur des concurrents. Elles expliquent que, en raison de la complexité et du nombre des facteurs de tarification des camions, les prix bruts et les barèmes des prix bruts n’ont aucune valeur informative sur les prix effectivement appliqués dans les transactions du marché, contrairement à l’appréciation de la Commission dans la décision
attaquée.
352 Cet argument des requérantes est réitéré et davantage développé dans le cadre de leur argumentation relative au contexte économique et juridique de l’échange d’informations au niveau allemand. Dès lors, il sera abordé dans le cadre de l’appréciation de cette argumentation.
ii) Sur les modifications envisagées des prix nets et des rabais offerts aux clients, visées au considérant 238, sous a), de la décision attaquée
353 Il y a lieu de rappeler que la Commission, au considérant 238, sous a), de la décision attaquée, a relevé que Scania et les parties à la transaction ont, à titre occasionnel, échangé des informations sur des modifications envisagées des prix nets ou sur des modifications aux rabais offerts aux clients. Il ressort du considérant 212, sous a), de la décision attaquée, que, selon la Commission, plusieurs de ces échanges avaient lieu au niveau allemand.
354 Les requérantes contestent que de tels échanges ont eu lieu et soutiennent que les preuves documentaires invoquées par la Commission n’établissent pas leur existence.
355 Il ressort du dossier que la Commission a établi, à suffisance de droit, l’existence des pratiques présentées au point 353 ci‑dessus.
356 En ce qui concerne les échanges d’informations relatifs aux rabais, leur existence est attestée dans les notes manuscrites d’un employé de [confidentiel], relatives à une réunion entre concurrents, les 3 et 4 mai 2004, dans les locaux de Scania DE, présentées au considérant 134 de la décision attaquée. Ces notes indiquent : « moyenne des prix +5, 6, 7,5 % ! aucune modification des prix bruts, même niveau de rabais ». Par ailleurs, il ressort des preuves documentaires présentées au
considérant 156 de la décision attaquée que, le 7 septembre 2006, un employé de [confidentiel] a informé des employés des autres constructeurs au niveau allemand, parmi lesquels un employé de Scania DE, à propos d’une augmentation des prix pratiquée par [confidentiel], en indiquant qu’« il y aura[it] une augmentation des prix (seulement [confidentiel]) à partir du 1er octobre : 2 % pour tous les [confidentiel] modèles » et que « [l]es barèmes des prix ne change[aie]nt pas, mais bien la remise du
vendeur ». De même, il ressort de la preuve documentaire présentée au considérant 158 de la décision attaquée que, le 10 juillet 2007, un employé de [confidentiel], en réponse à une demande d’informations provenant d’un employé de [confidentiel] et adressée à des employés des concurrents relevant du niveau allemand, a communiqué une modification des rabais appliqués par [confidentiel]. Des employés de Scania DE participaient aux échanges susvisés.
357 En ce qui concerne les échanges d’informations relatives aux prix nets, il ressort de la preuve documentaire présentée au considérant 140 de la décision attaquée que, en réponse à une demande d’informations, le 2 décembre 2004, émanant d’un employé de [confidentiel], relative aux augmentations des prix planifiées pour 2005, [confidentiel] a informé ses concurrents, notamment, que les prix nets allaient être augmentés de 1 % à compter du 1er janvier 2005 pour les options et à compter du
1er février 2005 pour toutes les séries. [confidentiel] a précisé que l’augmentation des prix allait être effectuée au moyen de la réduction des rabais. De même, il ressort de la preuve documentaire présentée au considérant 149 de la décision attaquée que, dans le contexte d’une réunion entre concurrents le 12 septembre 2005 au niveau allemand, à laquelle Scania avait participé, [confidentiel] a informé ses concurrents à propos d’une augmentation de prix de 8 à 10 % net pour le modèle de camion
[confidentiel]. Par ailleurs, il ressort de la preuve documentaire présentée au considérant 179 de la décision attaquée que, en réponse à une demande d’informations du 20 juillet 2009, émanant d’un employé de [confidentiel], relative, notamment, à des augmentations des prix pour l’année 2010, [confidentiel] a informé ses concurrents d’une augmentation de 1,5 % des prix nets, appliquée aux commandes passées à partir du mois d’octobre 2009. Des échanges d’informations relatives à des prix nets
ressortent également de la preuve documentaire présentée aux considérants 184 et 188 de la décision attaquée. Des employés de Scania DE participaient aux échanges susvisés.
358 En ce qui concerne plusieurs des échanges présentés aux points 356 et 357 ci-dessus (par exemple, les échanges présentés aux considérants 140, 149, 156 et 158 de la décision attaquée), les requérantes, en ayant recours au raisonnement présenté aux points 327 et 342 ci‑dessus, invoquent la circonstance que les informations échangées étaient des informations « actuelles » (et non futures) relevant du domaine public. Dans la mesure où ce raisonnement a déjà été rejeté par le Tribunal,
l’argumentation des requérantes ne remet pas en cause la conclusion formulée au point 355 ci‑dessus.
iii) Sur la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour les camions moyens et lourds, requises par les normes Euro 3 à Euro 6, visée au considérant 238, sous b), de la décision attaquée
359 Il y a lieu de rappeler que la Commission, au considérant 238, sous b), de la décision attaquée, a relevé que Scania et les parties à la transaction avaient conclu des accords et/ou s’étaient coordonnées sur la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour les camions moyens et lourds, requises par les normes Euro 3 à Euro 6. Il ressort du considérant 212, sous b), de la décision attaquée que, selon la Commission, plusieurs de ces pratiques
collusoires avaient lieu au niveau allemand.
360 Les requérantes contestent s’être concertées au niveau allemand en ce qui concerne la répercussion des coûts (hausse des prix bruts) liés à l’introduction des technologies en matière d’émissions. Par ailleurs, tout en ne niant pas que des informations sur les prix aient été échangées au niveau allemand, elles contestent que les prix liés à l’introduction des technologies faisant l’objet des échanges étaient des prix futurs ou des prix envisagés.
361 Il ressort du dossier que la Commission a établi, à suffisance de droit, l’existence des pratiques collusoires présentées au point 359 ci‑dessus et la participation de Scania à ces pratiques.
362 À titre d’exemple, il ressort des éléments de preuve présentés au considérant 140 de la décision attaquée, que, dans le cadre d’un échange d’informations au niveau allemand, qui a eu lieu entre le 2 et le 8 décembre 2004, auquel un employé de Scania DE a participé, [confidentiel] a informé ses concurrents de son intention d’augmenter le prix pour les nouveaux modèles conformes à la norme Euro 4 de 5410 euros. De même, il ressort des éléments de preuve présentés au considérant 141 de la décision
attaquée que, en réponse à un courriel de B, employé de Scania DE, adressé aux concurrents et demandant des informations relatives aux prix et aux dates de livraison des moteurs conformes aux normes Euro 4 et Euro 5, J de la filiale allemande [confidentiel], a répondu que ce constructeur livrerait des camions conformes à ces normes à partir du mois d’avril ou du mois de mai 2005 et que les prix additionnels pour les moteurs conformes aux normes Euro 4 et Euro 5 seraient, respectivement, de
11500 euros et de 14800 euros. Par ailleurs, il ressort des éléments de preuve présentés au considérant 149 de la décision attaquée que des échanges sur les prix ont eu lieu lors de la réunion entre concurrents, au niveau allemand, le 12 septembre 2005. Parmi les sujets de discussion figuraient les augmentations des prix planifiées pour l’année 2006. I de Scania DE était présent à la réunion. Il ressort des notes manuscrites de l’un des participants à la réunion que [confidentiel] a informé ses
concurrents à propos des surcharges que ce constructeur appliquerait en raison de l’introduction des technologies conformes aux normes Euro 4 et Euro 5. Il ressort également des éléments de preuve figurant dans le dossier que, lors de la réunion du 12 septembre 2005 susvisée, I de Scania DE a fait une présentation détaillée sur les augmentations des prix résultant de l’introduction des technologies conformes aux normes Euro 3 et Euro 4 appliquées par Scania. Il ressort également des éléments de
preuve présentés au considérant 166 de la décision attaquée, relatifs à une réunion entre concurrents au niveau allemand les 12 et 13 mars 2008, que des échanges d’informations sur les augmentations planifiées des prix ont eu lieu. Une présentation faite par [confidentiel] a indiqué une augmentation de 2350 euros pour les moteurs conformes à la norme Euro 5 à partir du mois de mai 2008.
363 En ce qui concerne plusieurs des échanges présentés au point 362 ci‑dessus (les échanges présentés aux considérants 141, 149 et 166 de la décision attaquée), les requérantes, en ayant recours au raisonnement présenté aux points 327 et 342 ci‑dessus, font valoir que les informations échangées étaient actuelles et non futures et qu’elles relevaient du domaine public. Dans la mesure où ce raisonnement a déjà été rejeté par le Tribunal, l’argumentation des requérantes ne remet pas en cause la
conclusion émise au point 361 ci‑dessus.
iv) Sur l’échange d’autres informations sensibles sur le plan commercial, visé au considérant 238, sous c), de la décision attaquée
364 Il y a lieu de rappeler que, au considérant 238, sous c), de la décision attaquée, la Commission a relevé que Scania et les parties à la transaction avaient échangé d’autres informations sensibles sur le plan commercial, telles que des informations relatives aux délais de livraison, aux commandes passées et au niveau des stocks, aux parts de marché cibles, aux prix nets actuels et aux remises, aux barèmes des prix bruts (même avant leur entrée en vigueur) et aux configurateurs des camions.
365 Les requérantes font valoir, notamment, que les « autres informations sensibles sur le plan commercial » qui ont parfois été échangées au niveau allemand étaient de nature technique et incapables d’éliminer l’incertitude stratégique entre les participants quant à leur comportement sur le marché. Selon les requérantes, ces informations ne pouvaient pas être considérées, isolément ou en association avec les autres informations mentionnées au considérant 238 de la décision attaquée, comme faisant
partie d’une infraction « par objet ».
366 À cet égard, il y a lieu de noter qu’il ressort du considérant 237 de la décision attaquée que, selon la Commission, l’échange d’informations sensibles sur le plan commercial, présentées au point 364 ci‑dessus, constituait l’un des moyens employés par les concurrents qui leur permettait de coordonner les prix et les hausses des prix bruts, les autres moyens étant les contacts collusoires relatifs à la tarification, au calendrier et les coûts supplémentaires résultant de l’introduction sur le
marché des nouveaux modèles de camions conformes aux normes d’émissions [visés au considérant 238, sous a) et b), de la décision attaquée].
367 Il ressort également du considérant 317 de la décision attaquée que, selon la Commission, l’échange d’informations sensibles sur le plan commercial, présentées au point 364 ci‑dessus, constituait l’un des moyens employés par les concurrents pour réduire l’incertitude stratégique entre eux en ce qui concernait les prix futurs, les augmentations des prix bruts, le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des modèles de camions conformes aux normes environnementales.
368 Il y a également lieu de noter que l’article 1er du dispositif de la décision attaquée ne fait pas référence aux échanges d’« autres informations sensibles sur le plan commercial », identifiées au considérant 238, sous c), de la décision attaquée.
369 Par ailleurs, la Commission a expliqué, dans le mémoire en défense, que la référence aux « autres informations sensibles sur le plan commercial » constituait l’un des exemples de la manière dont les membres de l’entente ont mis en œuvre leur concertation sur les prix futurs et les hausses des prix bruts ainsi que sur le calendrier d’introduction des technologies et la répercussion des coûts s’y référant et que cette référence n’élargissait pas la portée de l’infraction.
370 Il résulte de ce qui précède que l’examen du bien‑fondé des appréciations de la Commission relatives aux échanges des « autres informations sensibles sur le plan commercial » devient superflu s’il s’avère que la Commission parvient à établir l’existence des autres pratiques collusoires identifiées au considérant 238, sous a) et b), et au considérant 317, sous a) et b), de la décision attaquée et la restriction « par objet » de la concurrence résultant de ces pratiques. Le Tribunal conclut sur
cette question au point 394 ci‑après.
371 À cet égard, le Tribunal prend également en compte la circonstance que les conclusions de la Commission relatives aux échanges des « autres informations sensibles sur le plan commercial » n’ont pas d’impact sur la durée et la gravité de l’infraction et, par conséquent, sur le montant de l’amende, dans la mesure où celles-ci sont déterminées par les pratiques collusoires identifiées au considérant 238, sous a) et b), et au considérant 317, sous a) et b), de la décision attaquée.
3) Sur l’objectif des échanges d’informations au niveau allemand
372 Les requérantes soutiennent que les échanges d’informations au niveau allemand portaient surtout sur des informations techniques sur les produits. Les participants auraient eu pour objectif de rester informés de l’évolution technique des camions afin de mieux servir les clients. Selon les requérantes, les participants aux échanges au niveau allemand pour le compte de Scania DE étaient des formateurs en vente et ne participaient pas aux prises de décisions de Scania DE sur les prix. À l’appui de
leurs allégations, les requérantes ont soumis des déclarations sous serment des employés de Scania DE qui participaient aux échanges d’informations au niveau allemand. Elles ont également invoqué une réponse [confidentiel] à la communication des griefs.
373 La Commission soutient que les arguments des requérantes sont dépourvus de fondement.
374 Il convient de noter que le contenu du dossier ne corrobore pas l’allégation des requérantes selon laquelle les échanges au niveau allemand concernaient principalement des questions techniques. En revanche, les éléments de preuve figurant dans le dossier démontrent qu’une partie importante de ces échanges portait sur des informations tarifaires, lesquelles, contrairement à l’analyse des requérantes, avaient un caractère prospectif et ne relevaient pas du domaine public. L’objectif
anticoncurrentiel des échanges au niveau allemand est également démontré par la circonstance que plusieurs de ces échanges avaient pour origine des demandes d’informations faites par des employés des différents constructeurs concernant les augmentations des prix planifiés par les concurrents pour l’avenir. Ainsi, dans le courriel du 2 décembre 2004 présenté au considérant 140 de la décision attaquée, K de [confidentiel] écrit, à propos d’une « [a]ugmentation des prix 2005 », « pareil comme
chaque année, le patron veut savoir si et quand vous augmenterez les prix l’année prochaine » et précise : « Pour cette raison, s’il vous plaît, partagez cette information avec tout le monde afin de gagner du temps [en évitant] des demandes individuelles ». Dans le courriel du 21 juillet 2009, présenté au considérant 180 de la décision attaquée, L, employé de [confidentiel], en réponse à un courriel de I de Scania DE qui demandait des sujets de discussion pour la réunion des concurrents au
niveau allemand des 17 et 18 septembre 2009, formulait des « suggestions spontanées des sujets » en précisant : « Euro VI ? Je sais – est-ce qu’on peut parler et est-ce qu’on veut parler à propos de ce sujet ? – Comment pouvons-nous tous faire monter à nouveau le niveau des prix de cette année ? »
375 Dans leurs déclarations sous serment, les employés de Scania DE ont affirmé qu’ils ne participaient pas au processus de prise de décisions tarifaires au sein de cette société, mais ces affirmations ne corroborent pas l’allégation selon laquelle les échanges au niveau allemand portaient surtout sur des informations techniques, ni l’allégation selon laquelle les employés susvisés, par leur participation auxdits échanges, avaient pour objectif de se tenir informés sur les évolutions techniques.
376 De même, l’affirmation [confidentiel], invoquée par les requérantes, selon laquelle les informations sur les prix ne constituaient pas la raison principale de la participation de ses employés aux échanges au niveau allemand et son affirmation selon laquelle cette société s’intéressait aux barèmes des prix des autres constructeurs pour la raison principale qu’ils étaient les seuls documents contenant une vue complète des différents modèles et variations de camions n’emportent pas la conviction du
Tribunal. Ainsi que la Commission le note à juste titre, les affirmations susvisées [confidentiel] n’expliquent pas la raison pour laquelle il était nécessaire, aux fins de l’obtention de la liste des différents modèles et variations de camions, d’échanger également des informations sur les augmentations futures des prix. Au demeurant, il ressort du dossier que ce constructeur a indiqué clairement durant la procédure administrative (dans ses réponses à une demande d’information de la part de la
Commission) que les échanges au niveau allemand concernaient également des informations relatives aux augmentations envisagées des barèmes de prix et que ces échanges avaient un caractère systématique et régulier.
377 Il résulte de ce qui précède que le Tribunal n’est pas convaincu par les allégations des requérantes présentées au point 372 ci‑dessus. En revanche, le dossier démontre le bien-fondé de la conclusion de la Commission, au considérant 307 de la décision attaquée, selon laquelle les échanges concernant les augmentations des prix bruts des camions allaient au-delà d’un échange d’informations qui se trouvaient dans le domaine public et avaient pour objectif d’augmenter la transparence entre les
parties et, par conséquent, de réduire les incertitudes liées au fonctionnement normal du marché.
378 Par ailleurs, à supposer même que les échanges d’informations au niveau allemand aient poursuivi des objectifs légitimes, tels que ceux invoqués par les requérantes, qui coexistaient avec l’objectif anticoncurrentiel établi, cette circonstance ne remettrait pas en cause la conclusion de la Commission relative à l’existence d’une restriction de la concurrence « par objet ». En effet, il ressort d’une jurisprudence bien établie qu’un comportement collusoire peut être considéré comme ayant un objet
restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit également d’autres objectifs légitimes (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:643, point 21 et jurisprudence citée).
379 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de rejeter l’argumentation des requérantes relative à l’objectif des échanges d’informations au niveau allemand.
4) Sur le contexte de l’échange d’informations au niveau allemand
380 Les requérantes font valoir qu’une analyse du contexte économique et juridique, en particulier de la nature et de la structure du marché des camions ainsi que des conditions de son fonctionnement, remet en cause la nature « par objet » de l’infraction retenue par la Commission.
381 Les requérantes expliquent que les camions sont produits et commercialisés sous un grand nombre de formes et de variations en fonction des besoins des clients et que leur prix final dépend de leurs caractéristiques et des spécificités du marché national dans lequel ils sont vendus. Les requérantes notent aussi que les acheteurs de camions sont des professionnels qui disposent d’un pouvoir de négociation important.
382 Les requérantes concluent ainsi que, en raison de la complexité des camions et de la multitude des facteurs influençant le prix final facturé au client, qui devient un prix individualisé, les prix bruts et les barèmes des prix bruts échangés entre les concurrents n’ont pas de valeur informative sur les paramètres de la concurrence (c’est-à-dire sur les prix à facturer ou effectivement appliqués dans les transactions du marché) et que la Commission n’a pas pris suffisamment en compte ce contexte
au moment de déterminer la nature des échanges d’informations.
383 Les requérantes font valoir également que Scania utilise un mécanisme de fixation des prix qui est complexe et dans lequel les décisions de tarification sont prises à plusieurs échelons commerciaux indépendants l’un de l’autre et sur la base de négociations libres entre le siège de Scania, les distributeurs nationaux, les concessionnaires locaux et les clients finaux. La variation des prix le long de la chaîne d’approvisionnement, suscitée par la nature indépendante des négociations à tous les
niveaux, créerait, dès lors, une déconnexion entre les prix usine-distributeurs et les barèmes des prix bruts distributeurs-concessionnaires et le prix réel de la transaction appliqué par les concessionnaires indépendants aux clients finaux. À l’appui de leur argumentation, les requérantes invoquent le rapport économique du 9 décembre 2017, qui démontrerait, en ce qui concerne Scania, la grande différence entre les prix bruts distributeurs‑concessionnaires et les prix des transactions
correspondantes ainsi que l’absence de tendance commune aux barèmes des prix bruts et aux prix réels des transactions. Il s’ensuivrait qu’un concurrent n’aurait pas pu déduire ce qu’aurait été la variation approximative du prix réel de la transaction à partir d’un changement dans le barème des prix bruts.
384 En premier lieu, il convient de rappeler que la Commission a présenté aux considérants 22 à 40 de la décision attaquée la structure du marché des camions et le mécanisme de fixation des prix dans l’industrie des camions (voir points 19 à 22 ci‑dessus).
385 Il convient également de rappeler que, aux considérants 51 et 52 de la décision attaquée, la Commission examine l’impact des augmentations des prix au niveau européen sur les prix au niveau national (voir points 32 et 33 ci‑dessus). À cet égard, la Commission note que les distributeurs nationaux des constructeurs, comme Scania DE, ne sont pas indépendants dans la fixation des prix bruts et des barèmes des prix bruts et que tous les prix appliqués dans chaque étape de la chaîne de distribution
jusqu’au consommateur final découlent des barèmes des prix bruts paneuropéens fixés au niveau du siège (considérant 51 de la décision attaquée).
386 Il s’ensuit, selon la Commission, qu’une augmentation des prix dans le barème paneuropéen des prix bruts, décidée au niveau du siège, détermine le mouvement du prix net du distributeur, c’est-à-dire du prix que le distributeur paye au siège pour l’achat du camion. Par conséquent, selon la Commission, l’augmentation par le siège des prix bruts susvisés influence également le niveau du prix brut du distributeur, à savoir le prix que le concessionnaire paie au distributeur, même si le prix au
consommateur final n’est pas nécessairement modifié dans la même proportion ou n’est pas modifié du tout (considérant 52 de la décision attaquée).
387 C’est, dès lors, en prenant en compte ce contexte factuel que la Commission, dans le cadre de l’appréciation du caractère anticoncurrentiel des échanges d’informations relatives aux augmentations futures des prix bruts, précise, au considérant 284 de la décision attaquée, que, en raison de la transparence accrue du marché des camions et de sa grande concentration, la seule incertitude à laquelle les parties faisaient face était celle de savoir si la politique tarifaire officielle de leurs
concurrents allait être modifiée, et si tel était le cas, pour quelle raison et à quelle date. La Commission constate que, afin d’éliminer cette incertitude, Scania et les parties à la transaction ont établi un échange bien structuré et systématique des informations stratégiques concernant les développements tarifaires futurs. Selon la Commission, les augmentations futures des prix bruts constituaient un facteur de fixation des prix appliqué aux barèmes paneuropéens des prix bruts (dont toutes
les parties disposaient sauf [confidentiel]), ces barèmes étant à l’origine de tous les prix appliqués au niveau national, y compris des prix des transactions finales (considérant 284 de la décision attaquée).
388 La Commission précise également que la circonstance selon laquelle il n’était pas possible de calculer exactement les prix finaux des camions vendus aux consommateurs sur la base de l’échange d’informations n’est pas pertinente. D’après la Commission, l’échange d’informations révélant la tendance du mouvement futur des prix bruts permettait aux concurrents de comprendre la date et la manière dont les prix évolueraient en Europe. Par ailleurs, selon la Commission, l’échange des barèmes des prix
bruts détaillés permettait aux constructeurs de déduire approximativement les prix nets actuels et/ou futurs par le bais de la combinaison de différents types d’informations qu’ils obtenaient (considérant 285 de la décision attaquée).
389 En deuxième lieu, il convient de rappeler que la Commission, aux considérants 41 à 50 de la décision attaquée, décrit le mécanisme de fixation des prix au sein de Scania et les acteurs impliqués dans cette fixation (voir points 23 à 31 ci‑dessus).
390 Il ressort des points 384 à 389 ci‑dessus que, contrairement à l’allégation des requérantes, la Commission a suffisamment pris en compte le contexte des échanges d’informations auxquels Scania a participé, afin de conclure à leur caractère anticoncurrentiel « par objet ». En particulier, la Commission a pris en compte des caractéristiques du marché des camions et du mécanisme de tarification de ceux‑ci pour conclure au caractère anticoncurrentiel « par objet » des échanges d’informations
prospectives effectuées, notamment, au niveau allemand.
391 En troisième lieu, s’agissant de l’argumentation des requérantes présentée au point 383 ci‑dessus, premièrement, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, une pratique concertée peut avoir un objet anticoncurrentiel même si elle n’a pas de lien direct avec les prix à la consommation (voir points 319 à 321 ci‑dessus). Par conséquent, l’absence d’impact que pourrait avoir une augmentation des prix bruts, décidée à une étape quelconque de la chaîne de distribution de Scania, sur le prix
payé par le consommateur final ne suffit pas à remettre en cause la conclusion de la Commission selon laquelle l’échange d’informations sur les modifications futures des prix bruts, effectué notamment au niveau allemand, constituait une restriction de la concurrence « par objet » en raison de l’utilité des informations échangées pour la définition de la stratégie tarifaire des concurrents.
392 Deuxièmement, l’argumentation des requérantes, présentée au point 383 ci‑dessus, ne démontre pas l’absence de caractère stratégique des informations sur les modifications futures des prix bruts fournies par les employés de Scania DE lors des échanges au niveau allemand. En effet, ainsi qu’il ressort de la présentation du mécanisme de fixation des prix au sein de Scania (voir notamment points 26, 27 et 31 ci‑dessus), les prix bruts appliqués par Scania DE, auxquels des rabais s’appliquent,
constituent la base du prix de la vente des camions aux concessionnaires dans le marché allemand. Il s’ensuit que les modifications futures des prix bruts susvisées constituent un élément qui influence le prix de transfert du camion par Scania DE aux concessionnaires allemands et que les échanges d’informations portant sur ces modifications revêtent ainsi un caractère stratégique.
393 En quatrième lieu, et à titre plus général, le caractère stratégique des informations relatives à la modification future des prix bruts, échangées au niveau allemand, est démontré également par la fréquence, par le caractère régulier et systématique des échanges ainsi que par le fait, non contesté, relevé au considérant 93 de la décision attaquée, que, dans le cas de la majorité des constructeurs, ces informations étaient fréquemment transférées à leurs sièges respectifs et étaient prises en
compte dans le cadre de la détermination de leurs stratégies tarifaires.
394 Sur le fondement des considérations qui précèdent, il convient de rejeter l’argumentation des requérantes relative au contexte des échanges d’informations au niveau allemand. Il convient également de conclure que la qualification par la Commission des échanges d’informations au niveau allemand de restriction de la concurrence « par objet » n’est pas entachée d’erreur. Dès lors, le cinquième moyen doit être rejeté.
e) Sur le sixième moyen, tiré d’une application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce que la Commission a considéré que la portée géographique de l’infraction afférente au niveau allemand s’étendait à l’ensemble du territoire de l’EEE
395 Les requérantes contestent la constatation de la Commission, au considérant 386 de la décision attaquée, selon laquelle la portée géographique de l’infraction s’étendait à l’ensemble du territoire de l’EEE pour toute sa durée, couvrant ainsi le comportement des concurrents au niveau allemand.
396 Il y a lieu de rappeler que la Commission a conclu en l’espèce à l’existence d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011.
397 En ce qui concerne la portée géographique de l’infraction, la Commission a considéré que celle-ci s’étendait à l’ensemble du territoire de l’EEE pour toute la période comprise entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011 (considérant 386 de la décision attaquée).
398 Le raisonnement de la Commission ayant fondé la conclusion au considérant 386 de la décision attaquée est présenté, dans les termes suivants, aux considérants 388 et 389 de la décision attaquée :
« (388) Scania et les parties à la transaction disposent des prix bruts applicables à l’échelle européenne et des barèmes des prix bruts. Les éléments de preuve démontrent que, avant et après l’introduction des barèmes des prix à l’échelle européenne ou mondiale, les concurrents avaient des discussions anticoncurrentielles qui couvraient le territoire des parties contractantes à l’accord EEE et s’accordaient sur les augmentations des prix bruts afin d’aligner les prix pour des camions moyens et
lourds dans l’EEE. Avant l’introduction des barèmes européens des prix, les éléments de preuve démontrent que les discussions ne concernaient pas uniquement des pays spécifiques mais [qu’]elles avaient, de manière explicite, une portée européenne (voir considérants 103 et 104). Après l’introduction des barèmes européens des prix bruts, applicables dans l’ensemble du territoire de l’EEE, les concurrents pouvaient appréhender la stratégie tarifaire européenne en échangeant des informations
sur les augmentations de prix bruts en Allemagne (voir considérant 175) dans la mesure où elles reflétaient les augmentations de prix bruts appliquées par les sièges sur leurs barèmes européens de prix bruts respectives.
(389) Par ailleurs, elles se sont mises d’accord et/ou ont coordonné le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour des camions moyens et lourds, imposées par les normes Euro 3 à [Euro] 6 qui étaient applicables dans l’ensemble du territoire de l’EEE. Les échanges sur les dates d’introduction des nouvelles normes technologiques (par exemple la norme Euro 3) et sur les augmentations des prix afférentes n’étaient pas limités à
certains pays, mais couvraient l’ensemble de l’EEE (voir considérants 100 et 103). »
399 Il y a également lieu de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission a constaté que les échanges entre concurrents au niveau des instances dirigeantes se sont arrêtés en septembre 2004 et que, après cette date, les échanges entre concurrents ont été poursuivis au niveau allemand [considérant 327, sous a), de la décision attaquée].
400 Parmi les destinataires de la décision attaquée figurait Scania DE, la Commission considérant que cette entité était directement responsable des échanges d’informations anticoncurrentiels pour la période comprise entre le 20 janvier 2004 et le 18 janvier 2011 [considérant 410, sous b), de la décision attaquée].
401 Les requérantes, aux fins d’appuyer leur thèse selon laquelle les échanges d’informations entre concurrents au niveau allemand n’avaient pas une portée qui dépassait le territoire allemand, avancent, en substance, deux groupes d’arguments.
402 D’une part, les requérantes soutiennent que les informations obtenues par Scania DE de ses concurrents ne présentaient pas un intérêt au-delà du marché allemand. Par ailleurs, selon les requérantes, Scania DE n’a jamais supposé que ces informations présentaient un tel intérêt et qu’elles étaient susceptibles de réduire l’incertitude quant à la stratégie tarifaire européenne de ses concurrents.
403 D’autre part, les requérantes soutiennent que Scania DE n’a pas fourni d’informations à ses concurrents qui présentaient un intérêt au-delà du marché allemand, réduisant ainsi leur incertitude quant à la stratégie tarifaire de Scania en dehors de l’Allemagne. Par ailleurs, Scania DE n’aurait pas donné à ses concurrents l’« impression » de fournir des informations intéressant l’ensemble de l’EEE.
404 Ces deux groupes d’arguments sont examinés ci‑après.
1) Sur la portée géographique des informations obtenues par Scania DE
405 En premier lieu, il ressort du dossier que des constructeurs de camions ont commencé à appliquer progressivement des barèmes européens des prix bruts à partir de l’an 2000 et que, en 2006, la majorité des constructeurs disposait de tels barèmes, à savoir [confidentiel], [confidentiel], [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel]. Le Tribunal conclut que tel était également le cas de Scania, ainsi que cela sera expliqué aux points 426 à 428 ci‑après. Seule [confidentiel] ne possédait pas de
barème européen des prix bruts.
406 Il convient également de relever que les requérantes ne remettent pas en cause, en ce qui concerne les autres parties, la constatation de la Commission, aux considérants 51 et 52 de la décision attaquée, selon laquelle les barèmes européens des prix bruts sont établis au siège des constructeurs et que les augmentations des prix indiqués dans ces barèmes influencent le niveau des prix au niveau des distributeurs et des concessionnaires.
407 En deuxième lieu, le dossier de la présente affaire contient des éléments suggérant que les concurrents avaient une connaissance, plus ou moins précise, de l’existence de tels barèmes. Ainsi, il ressort d’une présentation interne du [confidentiel] du 30 mars 2006, présentée au considérant 151 de la décision attaquée, que ce constructeur disposait des informations relatives à des augmentations des prix des concurrents, tirées des barèmes européens des prix bruts de [confidentiel], de
[confidentiel], de Scania et de [confidentiel], du barème italien des prix [confidentiel] et du barème allemand des prix de [confidentiel]. De même, ainsi qu’il ressort du considérant 160 de la décision attaquée, selon une enquête menée par des employés des concurrents établis en Espagne sur la « structure des prix », dont les résultats étaient indiqués dans un tableau, [confidentiel], [confidentiel], [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel] avaient des « prix communs » dans l’Union,
tandis que [confidentiel] et Scania n’en avaient pas. Le tableau avec les résultats de l’enquête était communiqué aux employés des concurrents établis en Espagne, parmi lesquels les employés de Scania Espagne.
408 S’agissant de l’invocation par les requérantes d’une présentation interne de [confidentiel] d’avril 2008, laquelle pouvait suggérer que cette entreprise ne pensait pas, en 2008, que ses concurrents utilisaient des barèmes européens des prix bruts, le Tribunal ne la considère pas comme étant déterminante dans le cadre de l’appréciation globale des éléments de preuve qu’il effectue. D’ailleurs, cette entreprise a affirmé, en 2010, dans le cadre de sa demande d’immunité, qu’elle disposait d’un
barème européen des prix bruts et que « tel pouvait être également le cas des concurrents », suggérant ainsi à la Commission que la portée géographique des échanges pouvait être européenne.
409 En troisième lieu, certains constructeurs disposant des barèmes européens des prix bruts ([confidentiel]) ont précisé, lors de la procédure administrative, que les augmentations des prix qu’ils communiquaient au niveau allemand étaient, en substance, les augmentations appliquées auxdits barèmes européens, dans la mesure où ces barèmes avaient remplacé les barèmes nationaux. Le Tribunal se réfère, à cet égard, aux réponses de [confidentiel], de [confidentiel] et de [confidentiel] à la demande
d’informations de la Commission du 27 novembre 2012, annexées au mémoire en défense, et à la réponse de [confidentiel] à la demande d’informations de la Commission du 19 septembre 2013, produite par celle-ci à la suite de la mesure d’instruction adoptée par le Tribunal (voir point 75 ci‑dessus). Il résulte de ces éléments de preuve que la portée des informations anticoncurrentielles fournies par certains, au moins, des concurrents de Scania lors des échanges au niveau allemand, auxquels il est
constant que des employés de Scania DE participaient, dépassait le marché allemand.
410 En quatrième lieu, ainsi qu’il est indiqué au considérant 327, sous c), de la décision attaquée, il ressort du dossier que, à plusieurs occasions, les employés des constructeurs participant aux échanges d’informations au niveau allemand communiquaient ces informations au siège, ce qui constitue un élément additionnel démontrant que la portée de ces échanges dépassait le marché allemand (voir considérant 213 de la décision attaquée renvoyant à des exemples de communication vers le siège des
informations échangées au niveau allemand). À cet égard, il y a lieu de se référer, notamment, au contenu du considérant 175 de la décision attaquée, lequel non seulement démontre la communication au siège de [confidentiel] de l’information échangée au niveau allemand, mais également corrobore la thèse de la Commission, exposée au considérant 388 de la décision attaquée, selon laquelle les informations échangées au niveau allemand, relatives aux augmentations des prix bruts, aidaient les
constructeurs à comprendre la stratégie tarifaire de leurs concurrents au niveau européen. Ainsi, selon la preuve documentaire contenue au considérant 175 de la décision attaquée, le manager de [confidentiel] au siège de la société écrit à ses collègues à propos de l’information échangée au niveau allemand : « Par la présente, je voudrais partager avec vous un aperçu du marché allemand concernant les délais de production et les hausses de tarifs de nos concurrents […] À tout le moins la
stratégie tarifaire s’aligne fortement sur l’approche européenne globale des concurrents. »
411 De même, le fait, établi dans le cadre de l’examen du troisième moyen, selon lequel les employés au niveau inférieur du siège étaient au courant des échanges d’informations tarifaires au niveau allemand (voir points 221 à 229 ci‑dessus), corrobore la thèse de la Commission relative à la portée géographique des échanges au niveau allemand.
412 En cinquième lieu, il ressort du dossier que, ainsi que la Commission le note au considérant 327, sous b), de la décision attaquée, eu égard au fait que les filiales allemandes des parties ne produisaient pas de camions et n’étaient pas chargées de développer des technologies, ces responsabilités étant de la compétence exclusive du siège, il pouvait être considéré que l’information échangée au niveau allemand sur le calendrier et sur les coûts supplémentaires relatifs à la conformité aux normes
Euro 5 et Euro 6 provenait du siège et concernait l’ensemble de l’EEE.
413 La constatation au point 412 ci‑dessus est illustrée par la preuve documentaire présentée au considérant 148 de la décision attaquée qui concerne Scania. Dans un courriel du 26 juillet 2005, I, employé de Scania DE participant aux échanges au niveau allemand, a fourni à E, du siège de [confidentiel], des informations sur la date de présentation par Scania de toute sa gamme de moteurs conformes à la norme Euro 4 et sur l’introduction des modèles de camions conformes à la norme Euro 5 tout en
précisant qu’il aura la connaissance des dates exactes et des prix « après les vacances [du personnel] à l’usine de Södertälje [Suède] ». Dans la mesure où Södertälje est la ville où Scania a son siège, cette précision, fournie par l’employé de Scania DE à l’employé de [confidentiel], permet d’inférer que les informations auxquelles l’employé de Scania DE se référait provenaient du siège et avaient, dès lors, une portée dépassant le marché allemand. La preuve documentaire présentée au
considérant 148 de la décision attaquée démontre également l’influence du siège de Scania dans la détermination des prix appliqués au marché allemand, problématique qui est abordée aux points 422 à 438 ci-après.
414 Eu égard aux considérations figurant aux points 405 à 413 ci-dessus, prises ensemble, il convient de constater que la portée des informations obtenues par Scania DE lors des échanges au niveau allemand dépassait le marché allemand.
415 À cet égard, l’allégation des requérantes selon laquelle les employés de Scania DE participant aux échanges au niveau allemand n’ont jamais supposé que les informations reçues des représentants des filiales des autres constructeurs de camions se rapportaient à des prix européens ou pouvaient réduire l’incertitude quant à la stratégie tarifaire européenne des autres constructeurs n’emporte pas la conviction du Tribunal.
416 Premièrement, il y a lieu de rappeler que le dossier de la présente affaire contient des éléments suggérant que l’utilisation des barèmes européens des prix bruts par la majorité des constructeurs ne constituait pas un secret (voir point 407 ci‑dessus). Par conséquent, il est tout à fait possible de supposer que les employés de Scania DE et le siège en Suède connaissaient l’existence de ces barèmes et pouvaient, dès lors, déduire la stratégie tarifaire de leurs concurrents sur la base des
informations obtenues au niveau allemand, par exemple, sur la base des informations relatives à des augmentations des prix bruts, lesquelles étaient appliquées aux barèmes européens des prix des concurrents (voir point 409 ci‑dessus).
417 Deuxièmement, le Tribunal n’est pas convaincu par l’allégation des requérantes selon laquelle Scania DE, contrairement aux autres participants aux échanges au niveau allemand, n’a jamais transmis à son siège les informations reçues au niveau allemand. Certes, le dossier ne contient pas de preuve qu’une telle transmission a effectivement eu lieu. Cela étant, il ressort de la preuve documentaire présentée au considérant 166 de la décision attaquée que I de Scania DE, organisateur et participant à
une réunion au niveau allemand qui s’est tenue à Coblence (Allemagne) les 12 et 13 mai 2008, a transmis à ses collègues de Scania DE des informations relatives à des augmentations des prix, échangées lors de cette réunion, tout en précisant que ces informations n’avaient pas « encore » été envoyées au siège en Suède. L’emploi du terme « encore » suggère que l’intention de l’employé susvisé de Scania DE était de communiquer l’information au siège et que cette communication au siège ne revêtirait
pas un caractère exceptionnel.
418 En tout état de cause, le fait que le dossier contient des éléments démontrant que les employés au niveau inférieur du siège de Scania étaient au courant de l’échange d’informations tarifaires anticoncurrentielles au niveau allemand (voir point 228 ci‑dessus) et que les réunions aux deux niveaux se tenaient fréquemment à la même date et au même endroit rend non déterminante l’absence de preuve directe de transmission par les employés de Scania DE au siège de Scania des informations échangées au
niveau allemand. En effet, au vu des deux éléments susvisés, il peut être inféré que le siège de Scania connaissait le contenu de ces informations.
419 Troisièmement, il convient de noter que des employés du siège de certains constructeurs participaient également aux échanges au niveau allemand. Cela était, de manière fréquente, le cas pour [confidentiel]. Par ailleurs, dans un courriel du 11 novembre 2004, présenté au considérant 139 de la décision attaquée, envoyé par C du siège de [confidentiel] et adressé à des employés des concurrents relevant tant du siège que du niveau allemand, parmi lesquels A du siège de Scania et B de Scania DE, C a
présenté deux nouveaux employés du siège de [confidentiel] qui seraient responsables de la tarification centrale au sein de ce constructeur. Ces éléments tenant à la participation des employés relevant du siège aux échanges ayant lieu au niveau allemand constituent un indice du fait que les employés de Scania DE ne pouvaient pas ne pas supposer que les informations échangées au niveau allemand présentaient un intérêt pour la stratégie tarifaire des concurrents au niveau européen.
420 Quatrièmement, eu égard aux éléments probants exposés ci‑dessus, les déclarations sous serment des employés de Scania DE participant aux échanges au niveau allemand et appuyant l’allégation présentée au point 415 ci‑dessus n’emportent pas la conviction du Tribunal. Au demeurant, pour les raisons exposées au point 281 ci‑dessus, ces déclarations, produites après la fin de l’infraction et aux fins spécifiques de soutenir la position de Scania, possèdent une valeur probante limitée.
421 Sur le fondement des éléments qui précèdent, appréciés globalement (voir point 198 ci‑dessus), il convient de conclure que Scania DE, par le biais de la participation de ses employés à des échanges d’informations au niveau allemand, obtenait des informations ayant une portée dépassant le marché allemand. Sur la base de cette constatation, le présent moyen doit être rejeté, et ce indépendamment de la question de savoir si Scania DE fournissait également des informations dont la portée dépassait
le marché allemand (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, EU:T:2001:185, point 58). Cela étant, le Tribunal juge opportun d’examiner cette dernière question aux fins de l’appréciation de la gravité de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, commise par Scania et, le cas échéant, de la détermination du montant de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens,
C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 45 et jurisprudence citée).
2) Sur la portée géographique des informations fournies par Scania DE
422 Il y a lieu de rappeler que la Commission, au considérant 388 de la décision attaquée, a considéré que, à la suite de l’introduction des barèmes européens des prix bruts, les constructeurs de camions étaient capables de comprendre la stratégie tarifaire européenne de leurs concurrents en échangeant des informations relatives aux augmentations des prix bruts appliquées au marché allemand, dans la mesure où ces augmentations reflétaient des augmentations appliquées par les sièges des constructeurs
à leurs barèmes européens des prix bruts.
423 Les requérantes soutiennent, en substance, que les informations sur les barèmes des prix bruts fournies lors des échanges au niveau allemand ne reflétaient pas les prix de Scania à l’échelle européenne et, partant, ne contribuaient pas à réduire l’incertitude des concurrents de Scania concernant la stratégie tarifaire de celle‑ci en dehors de l’Allemagne.
424 À cet égard, les requérantes précisent qu’il n’est pas exact de considérer que la FGPL constitue un barème des prix bruts à l’échelle de l’EEE et qu’elle sert de base aux négociations qui ont lieu dans le cadre du processus de tarification. À l’appui de leur allégation, les requérantes invoquent le rapport économique du 9 décembre 2017 qui démontrerait qu’il n’existe aucune corrélation entre la FGPL et le prix brut distributeurs-concessionnaires en Allemagne. Les requérantes expliquent que la
FGPL constitue un outil de référence interne que le siège de Scania utilise pour suivre le niveau général des prix des différentes pièces d’un camion dans le processus de fabrication de Scania. Malgré son nom, la FGPL ne constituerait pas un « barème des prix », puisqu’elle ne fixerait pas le prix de transfert des pièces à quelque niveau que ce soit du réseau de distribution. Les requérantes précisent que les négociations, menées d’égal à égal, entre les distributeurs et le siège se font sur la
base des barèmes des prix nets usine‑distributeurs propres à chaque pays et que ce sont ces barèmes qui sont négociés à chaque fois que les conditions de marché justifient une hausse ou une baisse des prix. À l’appui de leur argumentation relative à la nature de la FGPL, les requérantes ont soumis des déclarations sous serment des employés du siège de Scania et de Scania DE. À l’appui de leur allégation relative au fait que les négociations entre les distributeurs Scania et le siège sont
conduites sur un pied d’égalité et qu’elles sont équivalentes à des négociations entre des parties agissant comme des partenaires commerciaux indépendants et des centres de profit concurrents, les requérantes invoquent un rapport interne de Scania, rédigé en 2010, le « Masterfile de Scania sur les prix de transfert ».
425 L’argumentation des requérantes, présentée au point 424 ci‑dessus, révèle une divergence entre la description du système de tarification de Scania qui a été fournie dans le cadre des réponses à des demandes de renseignements envoyées par la Commission lors de la procédure administrative et la description de ce système qui a été fournie dans la réponse à la communication des griefs et devant le Tribunal.
426 La description du système de tarification de Scania dans la décision attaquée (voir points 23 à 31 ci‑dessus) était fondée sur les informations fournies par Scania dans le cadre des réponses, notamment des 16 avril et 5 juillet 2012, à des demandes de renseignements envoyées par la Commission. Le graphique figurant au considérant 50 de la décision attaquée (voir point 31 ci‑dessus) qui révèle l’influence de la FGPL sur les prix appliqués dans les différentes étapes de la chaîne de distribution
était également produit par Scania dans le cadre des réponses susvisées. De même, dans le cadre de la réponse du 5 juillet 2012, Scania avait décrit notamment le rôle du comité sur les prix et du vice‑président exécutif des ventes [confidentiel].
427 En revanche, l’argumentation présentée au point 424 ci‑dessus reflète la position de Scania exposée in tempore suspecto, à savoir dans sa réponse à la communication des griefs et devant le Tribunal.
428 Dans ces circonstances, le Tribunal, à l’instar de la Commission, considère qu’une force probante plus élevée doit être attribuée aux réponses des requérantes aux demandes de renseignements, adressées par la Commission en application de l’article 18, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, qu’aux explications fournies par les requérantes postérieurement, en réponse à la communication des griefs. Conformément à l’article 23, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, les entreprises qui fournissent un
renseignement inexact ou dénaturé en réponse à une demande de renseignements faite en application de l’article 18, paragraphe 2, de ce règlement peuvent se voir infliger des amendes jusqu’à concurrence de 1 % de leur chiffre d’affaires total annuel.
429 Par ailleurs, force est de noter que les requérantes n’ont soumis aucun document corroborant leur argumentation relative à la nature de la FGPL. Ainsi que la Commission le relève au considérant 299, sous a), de la décision attaquée, il serait logique d’attendre de Scania qu’elle soit en mesure de fournir de la documentation corroborant son analyse de la FGPL. Scania ne l’a pas fait et s’est limitée à produire des déclarations sous serment de certains de ses employés, lesquelles ont une force
probante limitée et ne convainquent pas le Tribunal (voir point 420 ci‑dessus).
430 S’agissant de l’invocation par les requérantes du rapport économique du 9 décembre 2017 démontrant une absence de corrélation entre la FGPL et les prix bruts distributeurs‑concessionnaires en Allemagne (voir point 424 ci‑dessus), ledit rapport constate que les changements spécifiques dans la FGPL ne s’accompagnent pas de changements identiques dans le prix brut distributeurs‑concessionnaires appliqué en Allemagne. Or, il convient de noter que l’analyse de la Commission dans la décision attaquée
ne se fonde pas sur une telle corrélation, celle-ci n’ayant nullement soutenu qu’une augmentation des prix dans la FGPL conduisait à une augmentation identique du prix brut distributeur‑concessionnaire en Allemagne. Dans la décision attaquée, la Commission a retenu qu’une augmentation des prix figurant dans la FGPL influençait le prix net pour le distributeur (c’est-à-dire le prix que le distributeur paye au siège) et le prix brut du distributeur (à savoir le prix que le concessionnaire paye au
distributeur), même si le prix au consommateur final n’était pas nécessairement modifié dans la même proportion ou n’était pas modifié du tout (considérant 52 de la décision attaquée). Il s’avère ainsi que la décision attaquée ne se fonde pas sur la corrélation évoquée dans le rapport économique du 9 décembre 2017.
431 Il ressort des points 423 à 430 ci-dessus que la thèse de la Commission selon laquelle la FGPL constitue un barème européen des prix bruts qui influence la tarification des camions au niveau des distributeurs nationaux (et, dès lors, au niveau de Scania DE) est établie à suffisance de droit.
432 À titre plus général, les éléments de preuve figurant dans le dossier démontrent que les distributeurs nationaux de Scania (et donc Scania DE) ne sont pas indépendants du siège dans la détermination de leur politique tarifaire envers les concessionnaires.
433 À cet égard, premièrement, il convient de tenir compte du fait que la FGPL est établie au niveau du siège. Il ressort du graphique présenté au point 31 ci‑dessus que la FGPL constitue une composante importante de la tarification dans la mesure où tous les prix appliqués dans les étapes en aval de la chaîne de distribution de Scania découlent de cette FGPL et des remises et marges bénéficiaires dont les différents opérateurs bénéficient.
434 Deuxièmement, il convient de tenir compte du fait que les distributeurs de Scania constituaient, dans leur très large majorité, des filiales contrôlées par le siège à 100 % (voir point 20 ci‑dessus), ce qui était, au demeurant, le cas de Scania DE. Eu égard à cette circonstance, le Tribunal n’est pas convaincu par l’allégation des requérantes selon laquelle les négociations tarifaires entre lesdits distributeurs et le siège constituaient des négociations entre des parties agissant comme des
partenaires commerciaux indépendants et des centres de profit concurrents.
435 À cet égard, il y a lieu de noter que les éléments de preuve présentés aux considérants 249 et 250 de la décision attaquée, consistant en des documents internes du comité sur les prix (voir point 24 ci‑dessus), démontrent que cet organe (relevant du siège de Scania) détenait une position de force quant à la détermination du niveau des remises appliquées aux distributeurs nationaux. Les requérantes, en s’appuyant sur une déclaration sous serment d’un membre du comité sur les prix, se limitent à
soutenir que les documents internes susvisés se référaient à un évènement exceptionnel, à savoir le lancement d’un nouveau moteur, hautement stratégique pour Scania, et ne reflétaient pas une situation habituelle. Or, cette déclaration sous serment n’a pas une valeur probante suffisante pour remettre en cause la valeur probante et le contenu clair des éléments de preuve présentés aux considérants 249 et 250 de la décision attaquée et n’emporte pas la conviction du Tribunal.
436 Par ailleurs, s’agissant de l’invocation par Scania de son « Masterfile sur les prix de transfert » de 2010 (voir point 424 ci‑dessus), il convient de noter que ce document a pour objectif de démontrer le respect par Scania du principe de pleine concurrence (arm’s length principle) dans la fixation des prix de transfert intragroupe (par exemple, dans la fixation des prix nets pour les distributeurs), en cas de contrôle fiscal. Or, à l’instar de la Commission (voir considérant 296 de la décision
attaquée), le Tribunal considère que le fait que le siège de Scania applique des prix de transfert respectant le principe de pleine concurrence ne démontre pas l’indépendance des distributeurs de Scania dans les négociations tarifaires, mais démontre plutôt que ces prix de transfert sont fixés à des niveaux permettant que ces prix ne soient pas contestés par les autorités fiscales compétentes.
437 Troisièmement, la circonstance selon laquelle Scania DE n’est pas indépendante dans la détermination de sa politique tarifaire est illustrée par la preuve documentaire présentée au considérant 148 de la décision attaquée (voir point 413 ci‑dessus). Elle est illustrée également par les preuves documentaires présentés aux considérants 134 et 135 de la décision attaquée, qui révèlent la cohérence des informations sur les augmentations des prix bruts fournies aux concurrents respectivement par les
employés de Scania DE et par les employés de Scania au niveau des instances dirigeantes. Ainsi, il ressort de la preuve documentaire présentée au considérant 134 de la décision attaquée que, lors de la réunion des 3 et 4 mai 2004, au niveau allemand, l’employé de Scania DE a informé les concurrents du fait que les prix de la nouvelle série [confidentiel] des camions seraient plus élevés de 6 % en moyenne que ceux de l’actuelle série [confidentiel]. Or, il ressort de la preuve documentaire
présentée au considérant 135 de la décision attaquée que le représentant de Scania participant à la réunion du 27 et 28 mai 2004, au niveau des instances dirigeantes, a informé les concurrents que les prix de la série [confidentiel] des camions seraient entre 5 et 6 % plus élevés que les prix de la série [confidentiel]. Cette cohérence des informations fournies lors des échanges aux deux niveaux des contacts collusoires susvisés est de nature à démontrer, elle aussi, le fait que les informations
fournies par les employés de Scania DE lors des échanges au niveau allemand avaient une portée dépassant le marché allemand.
438 Eu égard au rôle joué par le siège de Scania dans la détermination de la politique tarifaire de Scania DE, tel que démontré aux points 433 à 437 ci‑dessus, la Commission était en droit de considérer que les informations tarifaires anticoncurrentielles fournies par les employés de Scania DE aux concurrents lors des échanges au niveau allemand reflétaient une stratégie tarifaire établie au niveau du siège de Scania et avaient, dès lors, une portée dépassant le marché allemand.
439 Cette conclusion du Tribunal n’est pas remise en cause par le contenu des rapports économiques du 20 septembre 2016 et du 9 décembre 2017, invoqués par les requérantes.
440 Selon les requérantes, les deux rapports économiques susvisés démontrent que les prix bruts distributeurs-concessionnaires de Scania DE ne sont pas représentatifs des prix pratiqués dans d’autres pays européens et, pour cette raison, ne peuvent pas réduire l’incertitude quant à la stratégie tarifaire de Scania dans l’EEE. Or, il convient de constater que, s’agissant de Scania, la décision attaquée n’est pas fondée sur la thèse selon laquelle il existerait un parallélisme quelconque entre les
prix bruts distributeurs-concessionnaires appliqués aux différents pays européens, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du graphique présenté au point 31 ci‑dessus, le prix brut du distributeur national est déterminé en fonction des remises appliquées à la FGPL et de sa marge bénéficiaire. La décision attaquée est fondée sur la considération selon laquelle toute augmentation appliquée à la FGPL, et décidée dès lors par le siège, influence, à des degrés différents (en fonction des remises
appliquées), le prix brut du distributeur national (voir considérants 51 et 52 de la décision attaquée).
441 En tout état de cause, contrairement aux allégations des requérantes, le Tribunal considère que le dossier démontre à suffisance de droit le fait que, indépendamment de la portée géographique réelle des informations fournies par Scania DE, celle‑ci donnait l’impression à ses concurrents que les informations qu’elle leur fournissait avaient une portée et un intérêt dépassant le marché allemand, contribuant ainsi aux objectifs communs poursuivis par le biais d’un échange, au niveau allemand,
d’informations anticoncurrentielles.
442 À cet égard, le Tribunal se réfère à l’échange présenté au considérant 148 de la décision attaquée (voir point 413 ci‑dessus). En effet, compte tenu de l’insinuation de l’employé de Scania DE selon laquelle l’information sur les dates d’introduction des modèles de camions et sur les prix, qu’il allait communiquer à l’employé de [confidentiel], proviendrait du siège de Scania, il est raisonnable d’inférer que ledit employé de [confidentiel] aurait perçu cette information comme ayant un intérêt
dépassant le marché allemand. Il convient également de se référer au courriel du 28 octobre 2009, présenté au considérant 185 de la décision attaquée, démontrant que le siège de [confidentiel] avait reçu une information de la part de Scania, lors des échanges au niveau allemand, selon laquelle une augmentation des prix de 3 % était planifiée pour entrer en vigueur le 1er janvier 2010, cette augmentation étant liée à un « facelift » des camions. Ainsi, dans la mesure où l’augmentation des prix
révélée par Scania à son concurrent était liée à un coût de production des camions et dans la mesure où Scania DE ne construit pas de camions, il peut être inféré que [confidentiel] avait perçu l’information susvisée relative à l’augmentation des prix comme ayant une portée dépassant le marché allemand.
443 Sur le fondement de l’ensemble des considérations qui précèdent, le sixième moyen doit être rejeté.
f) Sur le septième moyen, tiré d’une application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce que la Commission a considéré que le comportement identifié constituait une infraction unique et continue et que les requérantes étaient responsables à cet égard
444 Il y a lieu de rappeler que la Commission a considéré que les accords et/ou pratiques concertées entre Scania et les parties à la transaction constituaient une infraction unique et continue entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011. L’infraction aurait consisté en une collusion concernant les prix et les augmentations de prix bruts dans l’EEE pour les camions moyens et lourds, ainsi que le calendrier et la répercussion des coûts liés à l’introduction des technologies en matière d’émissions
pour les camions moyens et lourds requises par les normes Euro 3 à Euro 6 (considérant 315 de la décision attaquée).
445 Plus spécifiquement, la Commission a considéré que, par le biais des contacts anticoncurrentiels, les parties ont poursuivi un plan commun ayant un objectif anticoncurrentiel unique et que Scania avait connaissance ou devait avoir connaissance du champ d’application général et des caractéristiques essentielles du réseau de contacts collusoires et avait l’intention de contribuer à l’entente par ses actions, de sorte qu’elle pouvait être tenue pour responsable de l’infraction dans son ensemble
(considérants 316 et 350 de la décision attaquée).
446 Les requérantes contestent, en substance, l’existence d’une infraction unique et continue en l’espèce et l’imputation de cette infraction dans son ensemble à leur égard.
1) Sur l’existence en l’espèce d’une infraction unique et continue
i) Observations liminaires
447 Il y a lieu de rappeler que, afin d’établir l’existence d’une infraction unique et continue, la Commission doit démontrer que les différents comportements en cause relèvent d’un « plan d’ensemble » disposant d’un objectif unique (voir point 196 ci‑dessus).
448 Plusieurs critères ont été identifiés par la jurisprudence comme étant pertinents pour apprécier le caractère unique d’une infraction, à savoir l’identité des objectifs des pratiques en cause, l’identité des produits et des services concernés, l’identité des entreprises qui y ont pris part et l’identité des modalités de sa mise en œuvre (voir arrêt du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, T‑147/09 et T‑148/09, EU:T:2013:259, point 60 et jurisprudence citée ; voir également,
en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, point 243). En outre, l’identité des personnes physiques impliquées pour le compte des entreprises et l’identité du champ d’application géographique des pratiques en cause sont des éléments susceptibles d’être pris en considération aux fins de cet examen (arrêt du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, T‑147/09 et T‑148/09, EU:T:2013:259,
point 60).
449 Il importe également de préciser que la notion d’objectif unique ne saurait être déterminée par la référence générale à la distorsion de la concurrence dans le marché concerné par l’infraction, dès lors que l’affectation de la concurrence constitue, en tant qu’objet ou effet, un élément consubstantiel à tout comportement relevant du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Une telle définition de la notion d’objectif unique risquerait de priver la notion d’infraction unique et
continue d’une partie de son sens, dans la mesure où elle aurait comme conséquence que plusieurs comportements concernant un secteur économique interdits par la disposition susvisée devraient systématiquement être qualifiés d’éléments constitutifs d’une infraction unique (arrêt du 12 décembre 2007, BASF et UCB/Commission, T‑101/05 et T‑111/05, EU:T:2007:380, point 180).
450 Par ailleurs, ainsi qu’il a déjà été noté (voir point 195 ci‑dessus), la condition tenant à la notion d’objectif unique implique qu’il doit être vérifié qu’il n’existe pas d’éléments caractérisant les différents comportements faisant partie de l’infraction qui soient susceptibles d’indiquer que les comportements matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes ne partagent pas le même objet ou le même effet anticoncurrentiel et ne s’inscrivent par conséquent pas dans un « plan
d’ensemble » en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur.
ii) Décision attaquée
451 Il convient de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les contacts collusoires au sein de trois niveaux, décrits au considérant 317 de celle‑ci, faisaient partie d’un plan d’ensemble ayant un objectif anticoncurrentiel unique pour les raisons suivantes.
452 En premier lieu, tous les contacts concernaient les mêmes produits, à savoir des camions moyens et lourds (considérant 319 de la décision attaquée).
453 En deuxième lieu, la nature des informations partagées – informations sur les prix, les augmentations des prix bruts, les dates de lancement prévues des camions respectant les nouvelles normes environnementales et l’intention des concurrents de répercuter les coûts associés sur les clients – est restée la même pendant toute la durée de l’infraction (considérant 320 de la décision attaquée). La Commission a précisé que la nature des discussions et des accords concernant le calendrier
d’introduction des nouveaux modèles de camions qui seraient conformes à certaines normes environnementales était liée et complémentaire à la collusion concernant les prix et les augmentations des prix bruts (considérant 321 de la décision attaquée).
454 Dans ce même contexte, la Commission a précisé que, même si, à partir de septembre 2004, les parties n’avaient plus cherché activement, comme elles l’avaient fait précédemment, à conclure un accord spécifique sur de futures augmentations communes des prix bruts ou sur des dates de lancement spécifiques pour les camions conformes aux nouvelles normes environnementales ou le montant des coûts que les parties répercuteraient sur les consommateurs pour ces camions, elles avaient continué de
s’entendre en échangeant le même type d’informations et en poursuivant le même objectif de restreindre la concurrence par la réduction du degré d’incertitude stratégique entre elles (considérant 322 de la décision attaquée).
455 En troisième lieu, la Commission a relevé que les contacts anticoncurrentiels ont eu lieu fréquemment et concernaient le même groupe de constructeurs de camions, à savoir Scania et les parties à la transaction. Les individus impliqués dans les contacts appartenaient aux mêmes constructeurs et organisaient les échanges en petits groupes d’employés au sein des constructeurs (considérant 323 de la décision attaquée).
456 En quatrième lieu, la Commission a retenu que, si le niveau et les responsabilités internes des employés impliqués dans le comportement avaient évolué au cours de l’entente, la nature, le but et l’étendue des contacts et des réunions étaient restés identiques pendant toute la durée de l’entente (considérant 325 de la décision attaquée). À cet égard, la Commission a expliqué que les contacts collusoires qui ont eu lieu aux trois niveaux avaient, tous, l’objectif anticoncurrentiel de restreindre
la concurrence sur le marché des camions moyens et lourds dans l’EEE en ce qui concerne les prix futurs et les hausses de prix bruts et le calendrier et la répercussion des coûts par rapport à l’introduction des camions conformes aux normes environnementales (considérant 326 de la décision attaquée).
457 Au considérant 327 de la décision attaquée, la Commission a retenu trois éléments corroborant sa conclusion selon laquelle le déplacement des échanges (the shift in the exchanges) du niveau des instances dirigeantes au niveau allemand n’avait pas affecté la nature continue de l’infraction.
458 Premièrement, la Commission a retenu qu’il existait un chevauchement temporel considérable entre les réunions tenues au sein des différents niveaux, les réunions des instances dirigeantes ayant lieu de 1997 à 2004 ; les réunions au niveau inférieur du siège ayant lieu de 2000 à 2008 et les discussions au niveau allemand ayant lieu à partir de 2004. Le résultat était, selon la Commission, que, malgré le fait que les réunions des instances dirigeantes n’avaient pas continué après le 16 septembre
2004, les contacts aux deux autres niveaux avaient continué sans interruption [considérant 327, sous a), de la décision attaquée]. Dans ce contexte, la Commission a également retenu que, d’une part, durant la période comprise entre 2003 et 2007, des contacts existaient entre les employés du niveau inférieur du siège et les employés du niveau allemand et des réunions communes étaient organisées et que, d’autre part, les parties discutaient de manière répétée au niveau inférieur du siège des
informations qui devaient être échangées et à quel niveau [considérant 327, sous a), de la décision attaquée].
459 Deuxièmement, la Commission a retenu que les filiales allemandes des parties ne produisaient pas de camions et n’étaient pas chargées de développer des technologies, ces responsabilités relevant de la compétence exclusive du siège. Par conséquent, selon la Commission, là où les employés au niveau allemand échangeaient des informations sur le calendrier et les coûts supplémentaires relatifs à l’introduction des technologies conformes aux normes Euro 5 et Euro 6, ils échangeaient des informations
provenant du siège et concernant l’ensemble de l’EEE [considérant 327, sous b), de la décision attaquée].
460 Troisièmement, la Commission a retenu que, concernant plusieurs parties à l’entente, il existait des preuves que les filiales allemandes rapportaient systématiquement leurs intentions de prix au siège et, plus important encore, aux personnes au niveau de l’administration centrale impliquées dans le processus d’échange d’informations sur les prix. Dans ce contexte, la Commission a également relevé que le siège social de Scania avait le pouvoir de déterminer les prix bruts d’usine et les rabais
appliqués aux distributeurs (qui étaient des filiales détenues à 100 % par la société mère) et que Scania disposait d’un schéma structuré de réunions pour assurer une mise en œuvre rapide des décisions stratégiques du siège, ce qui indiquait que le siège de Scania ne pouvait raisonnablement pas ne pas avoir été au courant de ces renseignements.
461 La Commission a conclu, au considérant 328 de la décision attaquée, que le changement dans l’entente (the change in the cartel) avait été géré de manière collective et coordonnée entre les différentes parties, avec pour objectif d’assurer la continuité dans les échanges.
462 En cinquième lieu, selon la Commission, si la manière dont les informations ont été échangées a naturellement évolué au cours des quatorze années pendant lesquelles a duré l’infraction, cela s’est fait de manière progressive et la nature fondamentale des échanges est restée la même : les contacts ont évolué d’échanges multilatéraux, réunions ou présentations en personne vers des échanges multilatéraux par courrier électronique grâce à la compilation d’informations sur les prix futurs organisée
par courrier électronique et présentée dans un tableur (considérant 329 de la décision attaquée).
463 Sur le fondement de ces cinq éléments, la Commission a conclu que les contacts collusoires étaient liés entre eux et complémentaires dans leur nature (considérant 330 de la décision attaquée).
iii) Appréciation
464 En premier lieu, il est constant que les contacts collusoires en cause concernaient, pendant toute leur durée, les mêmes produits, c’est-à-dire les camions moyens et lourds, et qu’ils étaient effectués par le même groupe de constructeurs de camions, à savoir Scania et les parties à la transaction. Par ailleurs, le dossier révèle que les contacts impliquaient un petit groupe d’employés au sein de chaque niveau, dont la composition restait relativement stable, et qu’ils avaient lieu de manière
régulière et fréquente.
465 En deuxième lieu, il convient de rappeler l’existence des liens entre les trois niveaux des contacts collusoires, à savoir que les participants au sein de ces niveaux étaient des employés des mêmes entreprises, c’est-à-dire de Scania et des parties à la transaction, que les échanges au sein de chacun de niveaux avaient le même contenu, qu’il y avait un chevauchement temporel entre les réunions tenues aux différents niveaux, que les niveaux se référaient l’un à l’autre et échangeaient des
informations collectées et qu’il y avait des contacts communs entre les niveaux (voir point 218 ci‑dessus). Il convient également de rappeler que les requérantes n’ont pas réussi, dans le cadre du troisième moyen, à remettre en cause les constatations de la Commission relatives à l’existence des liens entre les trois niveaux des contacts collusoires (voir point 229 ci‑dessus).
466 En troisième lieu, le Tribunal constate, à l’instar de la Commission (voir points 453 et 454 ci‑dessus), que le contenu des échanges entre les parties ainsi que l’objectif desdits échanges, qui était de réduire l’incertitude entre les parties concernant, en substance, leurs futures stratégies tarifaires, sont restés les mêmes. Dans ce contexte, il est rappelé que le Tribunal a considéré que la Commission était fondée à relever, aux considérants 243 et 321 de la décision attaquée, que la nature
des discussions et des accords concernant le calendrier d’introduction des nouveaux modèles de camions conformes à certaines normes environnementales était liée et complémentaire aux pratiques collusoires relatives aux prix et aux augmentations des prix bruts (voir point 297 ci‑dessus).
467 En quatrième lieu, il convient de rappeler que la Commission était fondée à considérer que la portée géographique des échanges anticoncurrentiels au niveau allemand s’étendait à l’ensemble de l’EEE, à l’instar des échanges anticoncurrentiels au niveau des instances dirigeantes.
468 Sur la base des éléments susvisés, il convient d’approuver la constatation de la Commission selon laquelle les échanges entre les parties, décrits au considérant 317 de la décision attaquée, faisaient partie d’un plan d’ensemble ayant un objectif anticoncurrentiel unique.
469 L’argumentation des requérantes ne remet pas en cause la conclusion du Tribunal. Cette argumentation peut être divisée en trois groupes. Premièrement, les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur en évaluant ensemble les trois niveaux des contacts entre les parties. Deuxièmement, elles contestent la constatation de la Commission selon laquelle les informations échangées au sein des trois niveaux des contacts étaient de la même nature, ainsi qu’il ressortirait du
considérant 320 de la décision attaquée. Troisièmement, les requérantes contestent la considération de la Commission, au considérant 327 de la décision attaquée, selon laquelle le « déplacement » des échanges du niveau des instances dirigeantes au niveau allemand n’a pas affecté la nature continue de l’infraction.
– Sur l’évaluation d’ensemble des trois niveaux des contacts
470 Aux fins de contester l’existence d’un plan d’ensemble en l’espèce, les requérantes soutiennent, en substance, que, contrairement à l’approche suivie par la Commission dans la décision attaquée, les trois niveaux des contacts devaient être évalués séparément et non ensemble.
471 Pour justifier cette thèse, en premier lieu, les requérantes font valoir que la Commission n’a établi aucun lien factuel pertinent entre les trois niveaux des contacts collusoires. Pour les raisons évoquées au point 465 ci‑dessus, ce grief doit être rejeté.
472 En second lieu, les requérantes soutiennent que l’étendue de l’infraction doit être déterminée sur la base d’éléments factuels directement liés aux employés ayant participé au comportement collusoire allégué. Or, la Commission n’aurait pas démontré que les employés des entreprises participant aux contacts collusoires aux différents niveaux avaient une connaissance et une compréhension commune de la portée du comportement collusoire. Dans ce contexte, les requérantes relèvent que des employés
différents représentaient les entreprises dans les différents niveaux des contacts.
473 À cet égard, il convient de rappeler que les contacts collusoires en cause étaient effectués, pendant toute leur durée, par le même groupe de constructeurs de camions, à savoir Scania et les parties à la transaction. Par ailleurs, ces contacts impliquaient un petit groupe d’employés au sein de chaque niveau, dont la composition restait relativement stable, et ils avaient lieu de manière régulière et fréquente. Il convient également de rappeler les liens entre les trois niveaux de contacts
collusoires. Compte tenu de ces éléments, la circonstance selon laquelle ce n’étaient pas les mêmes employés qui participaient aux contacts collusoires ne remet pas en cause la conclusion relative à l’existence en l’espèce d’un plan commun.
474 En ce qui concerne l’allégation des requérantes, présentée au point 472 ci‑dessus, selon laquelle la Commission n’a pas démontré que les employés des entreprises participant aux contacts collusoires aux différents niveaux avaient une connaissance et une compréhension commune de la portée du comportement collusoire, cette allégation vise la question de savoir si la prise de conscience du plan d’ensemble doit être appréciée au niveau de l’entreprise ou au niveau des employés de l’entreprise. Les
requérantes font grief à la Commission d’avoir apprécié cette prise de conscience au niveau de l’entreprise et d’avoir omis d’examiner la prise de conscience au niveau des employés.
475 Ce grief des requérantes n’est pas fondé.
476 En effet, il convient de noter que le droit de la concurrence de l’Union vise les activités des « entreprises » et que cette notion doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, EU:C:2009:536, points 54 et 55 et jurisprudence citée).
477 Il convient également de relever que, s’agissant de la question de l’imputabilité aux entreprises des actes infractionnels de leurs employés, il ressort de la jurisprudence que le pouvoir de la Commission de sanctionner une entreprise ne suppose que l’action infractionnelle d’une personne qui est généralement autorisée à agir pour le compte de l’entreprise (voir arrêt du 12 décembre 2014, H & R ChemPharm/Commission, T‑551/08, EU:T:2014:1081, point 73 et jurisprudence citée).
478 Il ressort de la jurisprudence citée aux points 476 et 477 ci‑dessus que, la question de la prise de conscience de l’existence d’un plan d’ensemble doit forcément être appréciée au niveau des entreprises impliquées et non au niveau de leurs employés. Ainsi que la Commission le relève à juste titre, si elle était tenue de prouver que chacun des employés de la même entreprise ayant participé à l’entente avait une connaissance précise du comportement des autres employés au sein de l’entente, il
deviendrait impossible pour elle de démontrer l’existence d’une infraction unique et continue, d’autant que les ententes sont généralement clandestines par nature et que les preuves sont souvent fragmentaires et éparses dans les affaires d’entente (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2011, Trade-Stomil/Commission, T‑53/07, EU:T:2011:360, point 64 et jurisprudence citée). En l’espèce, en raison de l’existence de liens entre les trois niveaux des contacts collusoires et, notamment, du fait que
les personnes physiques participant aux trois niveaux des contacts collusoires étaient des employés des mêmes entreprises, il peut être inféré que ces entreprises avaient une connaissance et une compréhension commune du plan d’ensemble et, dès lors, du comportement infractionnel.
479 Il résulte de ce qui précède que l’allégation des requérantes selon laquelle la Commission devait évaluer séparément les trois niveaux des contacts collusoires doit être rejetée.
– Sur la nature des informations échangées au sein des trois niveaux des contacts
480 Les requérantes contestent la considération, exprimée notamment aux considérants 320 et 322 de la décision attaquée, selon laquelle les informations échangées aux différents niveaux des contacts étaient de la même nature et poursuivaient le même objectif anticoncurrentiel.
481 À cet égard, en premier lieu, les requérantes invoquent le considérant 322 de la décision attaquée, qui révélerait un changement fondamental dans la nature des contacts, dans la mesure où il énonce que, à partir de septembre 2004, les parties n’ont plus activement cherché, comme elles l’avaient fait avant cette date, à aboutir à un accord précis sur de futures hausses de prix bruts.
482 Cet argument des requérantes ne saurait prospérer. Certes, le considérant 322 de la décision attaquée indique que, après septembre 2004, les parties ne cherchaient plus à conclure des accords explicites, mais se limitaient, en substance, à échanger des informations ayant pour objectif de restreindre la concurrence. Toutefois, ainsi que la Commission le note à juste titre, bien que ce changement puisse influencer la qualification du comportement en cause d’accord ou de pratique concertée, il ne
concerne pas la « nature » des informations échangées, laquelle, selon le considérant 322 de la décision attaquée, est restée la même et visait à réduire le degré d’incertitude stratégique des parties en ce qui concerne les prix futurs et les augmentations des prix bruts, ainsi que le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des camions respectant les nouveaux standards environnementaux.
483 En second lieu, les requérantes invoquent les considérants 116 et 117 de la décision attaquée, qui présentent une réunion au niveau inférieur du siège, les 3 et 4 juillet 2001, dans le cadre de laquelle les employés du siège des parties ont exprimé leur souci concernant les échanges qui avaient lieu au niveau allemand, lesquels, selon eux, allaient trop loin, et se sont mis d’accord pour échanger à l’avenir uniquement des informations techniques et non des informations sur les prix. Selon les
requérantes, ces considérants démontrent que les échanges d’informations au niveau inférieur du siège et au niveau allemand n’étaient pas de la même nature et n’avaient pas le même objectif.
484 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le Tribunal a déjà constaté, dans le cadre de l’examen des troisième et cinquième moyens, que les échanges au niveau inférieur du siège et au niveau allemand contribuaient à la réalisation du plan commun et que ces deux niveaux des contacts collusoires présentaient des liens factuels entre eux, tenant notamment au fait que les participants à ces niveaux étaient des employés des mêmes entreprises, au fait qu’il existait un chevauchement temporel entre les
réunions tenues aux deux niveaux, au fait qu’il existait des contacts entre les employés au niveau inférieur du siège et les employés au niveau allemand et au fait que les employés au niveau inférieur du siège étaient informés du contenu des échanges au niveau allemand (voir points 224 et 228 ci-dessus). Par ailleurs, le dossier démontre que, nonobstant l’accord entre les participants au niveau inférieur du siège, en 2001, de ne plus échanger à l’avenir des informations tarifaires (voir
point 478 ci-dessus), de tels échanges ont eu lieu (voir point 229 ci-dessus). Dans ces circonstances, l’argument des requérantes présenté au point 483 ci-dessus doit être rejeté. En tout état de cause, il convient de tenir compte du fait que, selon les éléments de preuve présentés dans la décision attaquée et non remis en cause par les requérantes, des réunions au niveau des instances dirigeantes des parties qui ont eu lieu jusqu’au mois de septembre 2004, donc parallèlement aux réunions au
niveau inférieur du siège, ont clairement eu un objet anticoncurrentiel identique à celui des échanges au niveau allemand poursuivis après 2004 et jusqu’à la fin de l’infraction en 2011.
485 Sur le fondement des considérations qui précèdent, il convient de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant en l’espèce l’existence d’un plan d’ensemble.
– Sur le caractère continu de l’infraction
486 En premier lieu, il convient de constater que l’interruption, en septembre 2004, des contacts collusoires au niveau des instances dirigeantes des parties n’a pas provoqué une interruption des contacts collusoires aux deux autres niveaux.
487 Ainsi, selon la preuve documentaire présentée au considérant 139 de la décision attaquée, le 11 novembre 2004, C, du siège de [confidentiel], a écrit à des employés des autres constructeurs, relevant du niveau inférieur du siège et du niveau allemand, afin de leur présenter deux nouvelles personnes de contact au siège de [confidentiel], responsables de la tarification centrale des produits au siège de [confidentiel] à [confidentiel]. C a demandé aux concurrents de lui indiquer les personnes de
contact au sein de leurs organisations. Le courriel de C a notamment été adressé à A et à B, relevant, respectivement, du niveau inférieur du siège et du niveau allemand chez Scania. De même, ainsi qu’il a été relaté au considérant 140 de la décision attaquée, les concurrents ont échangé, dès le 2 décembre 2004, au niveau allemand, des informations sur les augmentations des prix planifiées pour l’année 2005. Dans le cadre de cet échange, I, employé de Scania DE, a fourni les informations
suivantes à K, organisateur de cet échange d’informations et employé de la filiale allemande de [confidentiel] : « [À] partir du mois de mars 2005 nous augmenterons [les prix de] toutes nos séries [confidentiel] de 1,5 % ». Il s’avère ainsi que les échanges des parties à l’entente au niveau allemand avaient le même contenu que leurs échanges au niveau des instances dirigeantes et se situaient dans leur droite ligne.
488 En second lieu, il convient de constater que les considérations de la Commission, au considérant 327 de la décision attaquée (voir points 457 à 461 ci‑dessus), ne sont pas entachées d’erreur. Ainsi, il est constant qu’il existait un chevauchement temporel entre les réunions tenues au sein des différents niveaux. Par ailleurs, dans le cadre du troisième moyen, le Tribunal a conclu que la Commission avait établi l’existence des contacts entre les employés du niveau inférieur du siège et du niveau
allemand et le fait que les employés au niveau inférieur du siège étaient au courant du contenu des échanges au niveau allemand. En outre, dans le cadre du sixième moyen, le Tribunal a conclu que la Commission avait établi le fait que des informations tarifaires échangées au niveau allemand provenaient du siège des parties et que les employés au niveau allemand communiquaient au siège des informations tarifaires obtenues dans le cadre de leurs échanges.
489 Sur le fondement de ces éléments, le Tribunal conclut que la Commission était fondée à considérer que, nonobstant la circonstance selon laquelle les contacts collusoires au niveau des instances dirigeantes avaient été interrompus en septembre 2004, la même entente (ayant le même contenu et la même portée) a été poursuivie après cette date, à la seule différence que les employés impliqués relevaient des niveaux organisationnels différents au sein des entreprises impliquées, et non du niveau des
instances dirigeantes.
490 Les arguments des requérantes ne remettent pas en cause cette conclusion.
491 D’une part, les requérantes font grief à la Commission de ne pas avoir expliqué la manière dont le « déplacement » des contacts collusoires du niveau des instances dirigeantes vers le niveau allemand s’était opéré. Elles soutiennent que, afin qu’un « déplacement » puisse être considéré comme constituant la poursuite des pratiques antérieures, un mécanisme de contrôle aurait dû être mis en place pour assurer la continuité. Elles invoquent également l’arrêt du 10 novembre 2017, Icap
e.a./Commission (T‑180/15, EU:T:2017:795, point 223), dans lequel le Tribunal a rappelé que, dans le cas où la poursuite d’un accord ou de pratiques concertées exigeait des mesures positives particulières, la Commission ne pouvait présumer la poursuite de l’entente en l’absence de preuve de l’adoption desdites mesures.
492 Cette argumentation des requérantes ne saurait être retenue. En effet, il ressort de la décision attaquée que la Commission a utilisé les termes « déplacement » ou « migration » des échanges du niveau des instances dirigeantes au niveau allemand pour indiquer qu’un changement était survenu au niveau des employés participant aux contacts collusoires, et non pour indiquer qu’une quelconque interruption de l’entente avait eu lieu. Par ailleurs, au considérant 327 de la décision attaquée, la
Commission a présenté les circonstances factuelles démontrant la poursuite de l’entente après le mois de septembre 2004 (voir points 458 à 460 ci‑dessus) et, eu égard à ces circonstances, il s’avère qu’aucune « mesure positive particulière », au sens de l’arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission (T‑180/15, EU:T:2017:795, point 223), n’était exigée.
493 D’autre part, les requérantes font grief à la Commission de ne pas avoir démontré dans la décision attaquée que les employés de Scania DE ayant participé aux réunions au niveau allemand savaient qu’ils étaient engagés dans le prolongement des pratiques qui avaient eu lieu dans les deux autres niveaux ou que les employés de Scania participant aux réunions au niveau des instances inférieures du siège avaient connaissance des réunions au niveau des instances dirigeantes.
494 Cette argumentation des requérantes se fonde sur la thèse selon laquelle la prise de conscience du plan d’ensemble doit être appréciée au niveau des employés de l’entreprise et non au niveau de l’entreprise elle-même. Or, ainsi qu’il a déjà été constaté, cette thèse est erronée (voir points 474 à 478 ci‑dessus).
495 En ce qui concerne la question de la prise de conscience, au niveau de l’entreprise Scania, du caractère continu de l’infraction malgré le « déplacement » des échanges du niveau des instances dirigeantes vers le niveau allemand, il convient de rappeler les éléments suivants.
496 Premièrement, il convient de rappeler le rôle important que joue le siège de Scania dans la fixation des prix au niveau des distributeurs nationaux de l’entreprise et, dès lors, au niveau de Scania DE qui est une filiale à 100 %. Le mécanisme de fixation des prix au sein de Scania a été examiné dans le cadre du sixième moyen.
497 Deuxièmement, il convient de rappeler que les éléments de preuve figurant dans le dossier démontrent que les employés au siège de Scania (niveau inférieur du siège) connaissaient le contenu des échanges au niveau allemand (voir point 418 ci‑dessus). Il n’est pas plausible que les instances dirigeantes de cette entreprise ne soient pas au courant de ceux‑ci.
498 Troisièmement, il convient de rappeler que les éléments de preuve figurant dans le dossier suggèrent que les employés de Scania DE échangeaient au niveau allemand des informations provenant du siège de Scania (voir points 413, 437, 438 et 442 ci‑dessus).
499 Ces trois éléments démontrent que, nonobstant la circonstance que les échanges au niveau des instances dirigeantes ont pris fin en septembre 2004, l’entreprise Scania et son siège avaient connaissance du fait que la même infraction a été poursuivie après le mois de septembre 2004, à la seule différence que des employés au niveau des instances dirigeantes ne participaient plus aux contacts collusoires. À cet égard, la circonstance, alléguée par les requérantes, selon laquelle les employés de
Scania DE ne connaissaient pas l’existence des contacts collusoires au niveau des instances dirigeantes n’a pas d’importance.
500 Sur le fondement des considérations qui précèdent, il convient de constater que la conclusion de la Commission relative à l’existence en l’espèce d’une infraction unique et continue n’est pas entachée d’erreur.
2) Sur l’imputabilité de l’infraction unique et continue à Scania
501 La Commission a relevé, au considérant 332 de la décision attaquée, que Scania avait participé directement à tous les aspects pertinents de l’entente.
502 Par ailleurs, au considérant 333 de la décision attaquée, la Commission a noté que, même si Scania ne produisait et ne vendait que des camions lourds, elle savait ou devait savoir que les autres parties à l’entente produisaient aussi des camions moyens et que les contacts collusoires concernaient ces deux types des camions (moyens et lourds). La Commission a, dès lors, constaté que Scania savait ou devait savoir que les pratiques anticoncurrentielles concernaient les camions moyens et lourds.
503 Sur le fondement de ces considérations, la Commission a conclu, au considérant 334 de la décision attaquée, que Scania avait l’intention de contribuer à l’infraction et qu’elle connaissait ou devait connaître son existence.
504 Les requérantes, afin de contester l’imputabilité de l’infraction unique et continue à Scania, font grief à la Commission de ne pas avoir démontré l’existence de l’« élément mental » nécessaire. En d’autres termes, elles lui reprochent de ne pas avoir démontré, dans la décision attaquée, que les critères cumulatifs de l’intérêt, de la connaissance et de l’acceptation du risque, critères établis dans l’arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 87),
étaient satisfaits en l’espèce en ce qui concerne les représentants de Scania participant aux trois niveaux des contacts.
505 À cet égard, il importe de constater que, dans la mesure où la prise de conscience de l’existence d’un plan d’ensemble doit être appréciée au niveau des entreprises impliquées et non au niveau de leurs employés (voir point 478 ci‑dessus), de manière analogue, les facteurs déterminant l’imputabilité de l’infraction unique et continue doivent forcement être appréciés également au niveau de l’entreprise.
506 En outre, s’agissant des facteurs déterminant l’imputabilité à une entreprise de l’infraction unique et continue, il ressort de l’arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens (C‑441/11 P, EU:C:2012:778, points 43 à 45), que, si l’entreprise en cause a participé directement à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, la Commission est en droit de lui imputer l’infraction dans son ensemble, sans qu’elle soit obligée de démontrer la
satisfaction des critères de l’intérêt, de la connaissance et de l’acceptation du risque.
507 En l’espèce, il peut être constaté que, conformément à ce qui est relevé au considérant 332 de la décision attaquée, l’entreprise Scania a participé directement à l’ensemble des aspects pertinents de l’entente. En effet, ses employés ont participé aux contacts collusoires qui ont eu lieu aux trois niveaux. L’entreprise Scania a échangé avec ses concurrents sur les prix et sur les hausses des prix bruts ainsi que sur le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des
technologies conformes aux normes Euro 3 à Euro 6. Scania a participé activement à l’entente, organisé des réunions et participé à des échanges de courriels (voir considérant 332 de la décision attaquée).
508 Il est vrai que Scania ne produit pas de camions moyens. Néanmoins, il ressort du dossier que les contacts collusoires auxquels les employés de Scania participaient concernaient indistinctement les camions moyens et les camions lourds (voir considérant 333 de la décision attaquée). Par conséquent, la Commission était fondée à imputer à l’entreprise Scania l’infraction unique et continue portant également sur les camions moyens dans la mesure où cette entreprise avait nécessairement connaissance
de cet aspect de l’entente.
509 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de conclure que l’imputabilité de l’ensemble de l’infraction unique et continue à Scania n’est pas entachée d’erreur. Il s’ensuit que le septième moyen doit être rejeté.
4. Sur le huitième moyen, tiré d’une application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE ainsi que de l’article 25 du règlement no 1/2003 en ce que la Commission a infligé une amende portant sur un comportement soumis à prescription et, en tout état de cause, en ne prenant pas en considération le fait que ledit comportement n’était pas continu
510 En premier lieu, les requérantes soutiennent que les faits concernant le niveau des instances dirigeantes justifiant l’imposition d’une amende sont frappés de prescription en application de l’article 25 du règlement no 1/2003, dans la mesure où les réunions audit niveau ont pris fin en septembre 2004, à savoir plus de cinq ans avant que ne débute l’enquête de la Commission. Les requérantes ajoutent que, dans ces circonstances, la Commission n’a pas non plus d’intérêt légitime, au sens de
l’article 7 du règlement no 1/2003, à retenir l’existence d’une infraction liée à un comportement au niveau des instances dirigeantes.
511 En second lieu, les requérantes soutiennent que, même si le Tribunal considérait que les faits en cause constituaient une infraction unique et continue (quod non), la décision attaquée devrait être réformée dans la mesure où elle ne tient pas compte des interruptions de l’infraction alléguée concernant le niveau des instances dirigeantes. Dans ce contexte, les requérantes allèguent que la décision attaquée ne contient pas suffisamment de preuves de l’existence de réunions au niveau des instances
dirigeantes en 1999.
512 Par ailleurs, les requérantes allèguent que, compte tenu du manque de preuves sur la participation de Scania aux réunions au niveau des instances dirigeantes en 1999 et en 2002, c’est à tort que la décision attaquée a conclu que Scania avait participé de façon continue aux réunions des instances dirigeantes entre le 17 janvier 1997 et le 24 septembre 2004. Elle aurait plutôt dû conclure que ces réunions avaient été interrompues, au moins en ce qui concerne Scania, entre le 3 septembre 1998 et le
3 février 2000 (17 mois d’interruption) et entre le 20 novembre 2001 et le 10 avril 2003 (encore 17 mois d’interruption).
513 Les requérantes concluent que la décision attaquée doit être annulée et que, en tout état de cause, l’imposition d’une amende devrait être prescrite pour toute infraction antérieure au 10 avril 2003. À titre subsidiaire, les requérantes soutiennent que l’imposition d’une amende devrait être prescrite pour toute infraction antérieure au 3 février 2000. Les requérantes soutiennent, par ailleurs, que, en tout état de cause, le calcul d’une amende liée au niveau des instances dirigeantes devrait
rendre compte des longues périodes de moindre intensité de l’infraction.
514 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
515 En premier lieu, en ce qui concerne l’argument des requérantes relatif à la prescription en matière d’imposition d’une amende par la Commission, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1/2003, lu conjointement avec l’article 23, paragraphe 2, sous a), du même règlement, le pouvoir conféré à la Commission d’infliger des amendes aux entreprises pour des infractions commises, notamment, à l’article 101 TFUE est soumis à un délai de prescription de
cinq ans. L’article 25, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 prévoit que, pour les infractions continues ou répétées, la prescription ne court qu’à compter du jour où l’infraction a pris fin. L’article 25, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 prévoit, notamment, que la prescription en matière d’imposition d’amendes est interrompue par tout acte de la Commission visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction.
516 En l’espèce, la Commission a constaté, sans commettre d’erreur, que le comportement au niveau des instances dirigeantes faisait partie d’une infraction unique et continue qui a pris fin le 18 janvier 2011. Par conséquent, le délai de prescription quinquennal ne commence à courir qu’à partir de cette dernière date, ce qui signifie que, en l’espèce, le pouvoir de la Commission d’infliger une amende n’est soumis à aucune prescription.
517 En deuxième lieu, en ce qui concerne l’allégation des requérantes relative à la prétendue absence de preuves des réunions au niveau des instances dirigeantes pour l’année 1999, il convient de noter ce qui suit.
518 Premièrement, il convient de relever que la décision attaquée contient suffisamment de preuves relatives à l’existence des réunions au niveau des instances dirigeantes pour les années 1998 et 2000. Plus précisément, le considérant 105 de la décision attaquée présente une preuve documentaire relative à une réunion au niveau des instances dirigeantes, ayant eu lieu le 3 septembre 1998, durant laquelle les représentants des parties ont échangé des prévisions de marché pour l’année 1999. Selon cette
preuve documentaire, un représentant du siège de Scania, N, participait à cette réunion. Des réunions similaires ont eu lieu durant l’année 2000, ainsi qu’il ressort des considérants 109 à 112 de la décision attaquée, auxquelles N du siège de Scania participait également.
519 Deuxièmement, il ressort de la preuve documentaire présentée au considérant 106 de la décision attaquée que la prochaine réunion au niveau des instances dirigeantes après celle qui a eu lieu le 3 septembre 1998 (voir point 518 ci‑dessus) était prévue pour le mois de janvier 1999.
520 Troisièmement, au considérant 106 de la décision attaquée, la Commission se réfère à une déclaration de clémence de [confidentiel] selon laquelle des réunions entre concurrents pour la période comprise entre 1998 et 2001 avaient lieu au moins une fois par an. Selon cette déclaration, les participants à ces réunions, lesquels ne relevaient pas du niveau des instances dirigeantes, échangeaient des informations relatives, notamment, à des augmentations futures des prix. Parmi les participants à ces
réunions était identifié O, directeur général de Scania DE.
521 Quatrièmement, il convient de rappeler, à l’instar de la Commission, que les réunions au niveau des instances dirigeantes faisaient partie d’une infraction unique et continue et que, partant, toutes les réunions entre les concurrents, à n’importe quel niveau organisationnel, devaient être prises en compte aux fins d’apprécier si l’infraction s’était poursuivie en 1999.
522 Cinquièmement, il convient également de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, s’agissant, notamment, d’une infraction s’étendant sur plusieurs années, le fait que la preuve directe de la participation d’une société à cette infraction pendant une période déterminée n’a pas été apportée ne fait pas obstacle à ce que cette participation, également pendant cette période, soit constatée, pour autant que cette constatation repose sur des indices objectifs et concordants,
l’absence de distanciation publique de cette société pouvant être prise en compte à cet égard (voir arrêt du 26 janvier 2017, Villeroy & Boch/Commission, C‑625/13 P, EU:C:2017:52, point 111 et jurisprudence citée).
523 Eu égard aux éléments présentés aux points 518 à 521 ci‑dessus et à la jurisprudence citée au point 522 ci‑dessus, il convient de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant que l’infraction unique en l’espèce ne s’est pas interrompue en 1999 et que Scania a participé à ladite infraction également durant cette année.
524 En troisième lieu, en ce qui concerne l’allégation des requérantes selon laquelle la participation de Scania aux réunions au niveau des instances dirigeantes pour l’année 2002 n’est pas démontrée, il convient de constater ce qui suit.
525 Premièrement, il ressort du considérant 119 de la décision attaquée que, s’agissant d’une réunion au niveau des instances dirigeantes qui s’est tenue le 7 février 2002, une lettre d’invitation avait été envoyée à M du siège de Scania.
526 Deuxièmement, il ressort des notes manuscrites relatives à une réunion au niveau des instances dirigeantes des 27 et 28 juin 2002, prises par un représentant de [confidentiel], présentées au considérant 123 de la décision attaquée, que Scania a communiqué des chiffres relatifs à des ventes pour l’année 2002 à plusieurs pays.
527 Troisièmement, un rapport interne de [confidentiel] résumant les informations échangées lors d’une réunion au niveau des instances dirigeantes le 18 septembre 2002, mentionné au considérant 126 de la décision attaquée, montre que Scania a fourni des informations sur ses hausses des prix pour l’année 2002 et sur une action en justice à laquelle elle faisait face au Royaume Uni.
528 Eu égard aux éléments présentés aux points 525 à 527 ci-dessus, il convient de conclure que la Commission a démontré à suffisance de droit la participation de Scania aux réunions au niveau des instances dirigeantes pour l’année 2002.
529 Cette conclusion n’est pas remise en cause par la déclaration sous serment de M, représentant de Scania aux réunions au niveau des instances dirigeantes, selon laquelle, « selon ses souvenirs » il n’a participé à aucune réunion de ce type pour l’année 2002. Cette déclaration reste assez vague et ne convainc pas le Tribunal. Par ailleurs, il a déjà été noté que les documents élaborés in tempore non suspecto, comme les notes manuscrites prises lors d’une réunion, sont dotés d’une plus grande force
probante que les documents ne datant pas de l’époque des faits, comme les déclarations sous serment.
530 En quatrième lieu, le Tribunal note que les requérantes, dans la note en bas de page no 554 de la requête, font valoir que la participation de Scania à certaines réunions au niveau des instances dirigeantes, présentées dans la décision attaquée, n’a pas été établie. Il s’agit des réunions à Bruxelles le 17 janvier 1997 (considérant 98 de la décision attaquée) et le 6 avril 1998 (considérant 103), à Amsterdam (Pays-Bas) le 3 février 2000 (considérants 108 à 110) et à Eindhoven (Pays-Bas) le
6 septembre 2000 (considérant 111). À l’appui de cette allégation, elles invoquent la déclaration sous serment de N qui affirme ne pas se souvenir d’y avoir participé.
531 Le Tribunal constate que les considérants de la décision attaquée, mentionnés au point 530 ci‑dessus, présentent des preuves documentaires établissant la participation de Scania aux réunions en cause. En ce qui concerne le contenu de la déclaration sous serment de N et de sa force probante, le Tribunal renvoie aux considérations figurant au point 529 ci‑dessus. Le Tribunal conclut que l’allégation des requérantes présentée au point 530 ci‑dessus n’est pas fondée.
532 Eu égard aux considérations qui précèdent, le Tribunal conclut au rejet du présent moyen, tout en précisant que les raisons invoquées par les requérantes au soutien de la réformation de la décision attaquée (voir points 511 et 513 ci‑dessus) ne sont pas fondées, le dossier devant le Tribunal ne révélant aucune interruption de l’infraction unique constatée ni l’existence de périodes de moindre intensité de celle‑ci.
5. Sur le neuvième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité et du principe d’égalité de traitement en ce qui concerne le montant de l’amende, et, en tout état de cause, sur la nécessité d’une réduction du montant de l’amende par application de l’article 261 TFUE et de l’article 31 du règlement no 1/2003
533 Les requérantes soutiennent que la décision attaquée devrait être réformée dans la mesure où l’amende imposée n’est pas conforme aux principes de proportionnalité et d’égalité de traitement. Par ailleurs, et en tout état de cause, elles invitent le Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, à substituer sa propre appréciation à celle de la Commission et à réduire le montant de l’amende.
534 Selon la compréhension du Tribunal fondée sur l’emploi du verbe « réformer », les requérantes invitent celui‑ci à exercer sa compétence de pleine juridiction reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE.
535 À cet égard, il convient de rappeler que le système de contrôle juridictionnel des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE consiste en un contrôle de la légalité des actes des institutions établi à l’article 263 TFUE, lequel peut être complété, en application de l’article 261 TFUE et sur demande des parties requérantes, par l’exercice par le Tribunal d’une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions infligées en ce
domaine par la Commission (voir arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 71 et jurisprudence citée).
536 Dès lors qu’il exerce sa compétence de pleine juridiction prévue aux articles 261 TFUE et 31 du règlement no 1/2003, le juge de l’Union est habilité, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer sa propre appréciation pour la détermination du montant de cette sanction à celle de la Commission, auteure de l’acte dans lequel ce montant a été initialement fixé (voir arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 75 et
jurisprudence citée).
537 En revanche, la portée de cette compétence de pleine juridiction est strictement limitée, à la différence du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, à la détermination du montant de l’amende (voir arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 76 et jurisprudence citée).
538 Il en découle que la compétence de pleine juridiction dont dispose le Tribunal sur le fondement de l’article 31 du règlement no 1/2003 concerne la seule appréciation par celui-ci de l’amende infligée par la Commission, à l’exclusion de toute modification des éléments constitutifs de l’infraction légalement constatée par la Commission dans la décision dont le Tribunal est saisi (arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 77).
539 Afin de déterminer le montant de l’amende infligée, il appartient au Tribunal d’apprécier lui-même les circonstances de l’espèce et le type d’infraction en cause. Cet exercice suppose, en application de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, de prendre en considération, pour chaque entreprise sanctionnée, la gravité de l’infraction en cause ainsi que la durée de celle-ci, dans le respect des principes, notamment, de motivation, de proportionnalité, d’individualisation des sanctions
et d’égalité de traitement, sans que le Tribunal soit lié par les règles indicatives définies par la Commission dans ses lignes directrices (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, points 89 et 90).
a) Sur la violation du principe de proportionnalité
540 En premier lieu, les requérantes font valoir que la décision attaquée n’a pas évalué la gravité de l’infraction de manière proportionnée, dans la mesure où elle n’a pas considéré que les employés de Scania DE ne pouvaient pas savoir que les informations reçues des concurrents pouvaient avoir une portée européenne. Par conséquent, même si les employés de Scania DE avaient voulu porter atteinte à la concurrence sur le marché géographique (Allemagne) dont ils étaient responsables (quod non),
l’amende infligée par la décision attaquée ne serait pas proportionnée à la gravité de l’infraction envisagée, dans la mesure où elle prend en compte la valeur des ventes au niveau de l’EEE.
541 En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que la décision attaquée enfreint le principe de proportionnalité, dans la mesure où, s’agissant de la fixation du montant de l’amende, elle ne prend pas en compte le fait que les contacts entre les constructeurs de camions ont changé de nature et d’intensité au cours de la période prise en considération, ainsi qu’il aurait été constaté au considérant 322 de la décision attaquée.
542 En troisième lieu, les requérantes relèvent que l’infraction décrite dans les considérants de la décision attaquée est plus large que celle qui donne lieu à une amende dans le dispositif de celle-ci. À cet égard, elles comparent le considérant 317 de la décision attaquée, lequel fait référence à des échanges d’informations sensibles sur le plan de la concurrence, à l’article 1er de son dispositif, lequel ne fait pas référence à de tels échanges. Les requérantes estiment que cette présentation a
une incidence sur le calcul du montant de l’amende et que, par conséquent, l’amende fixée dans la décision attaquée n’est pas proportionnée à l’infraction telle que la Commission prétendait la décrire.
543 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
544 En ce qui concerne l’argumentation des requérantes présentée au point 540 ci‑dessus, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de l’examen du sixième moyen, le Tribunal a rejeté l’allégation des requérantes selon laquelle les employés de Scania DE participant aux échanges au niveau allemand n’avaient jamais supposé que les informations reçues lors de ces échanges se rapportaient à des prix européens ou pouvaient réduire l’incertitude quant à la stratégie tarifaire européenne des autres
constructeurs (voir point 415 ci‑dessus). Il s’ensuit que l’argumentation présentée au point 540 ci‑dessus ne démontre pas le caractère disproportionné de l’amende.
545 En ce qui concerne l’argumentation des requérantes présentée au point 541 ci‑dessus, il convient de rappeler que, au considérant 322 de la décision attaquée, la Commission a précisé que, même si, à partir de septembre 2004, les parties n’avaient plus cherché activement, comme elles l’avaient fait antérieurement, à conclure un accord spécifique sur les futures augmentations communes des prix bruts ou sur des dates de lancement spécifiques pour les camions conformes aux nouvelles normes
environnementales ou le montant des coûts que les parties répercutaient sur les consommateurs pour ces camions, les parties ont continué de s’entendre en échangeant le même type d’informations et en poursuivant le même objectif de restreindre la concurrence par la réduction du degré d’incertitude stratégique entre elles.
546 Il convient également de rappeler la constatation du Tribunal selon laquelle le changement opéré à partir de septembre 2004, bien qu’il puisse influencer la qualification du comportement en cause d’accord ou de pratique concertée, ne concerne pas la « nature » des informations échangées, laquelle, selon le considérant 322 de la décision attaquée, est restée la même (voir point 482 ci‑dessus).
547 Il s’avère ainsi que la seule différence concernant le comportement des parties avant septembre 2004 et après septembre 2004 est les tentatives qu’elles effectuaient avant septembre 2004 de conclure des accords spécifiques sur les prix, tentatives qui ont cessé après cette date. Or, ainsi que la Commission le note à juste titre, compte tenu, d’une part, du principe selon lequel les pratiques concertées peuvent nuire autant à la concurrence que les accords et, d’autre part, du fait que la
Commission n’a pas augmenté le facteur de gravité pertinent en raison des tentatives des parties de conclure des accords sur les prix, l’argumentation des requérantes, présentée au point 541 ci‑dessus, ne démontre pas le caractère disproportionné de l’amende.
548 En ce qui concerne l’argumentation des requérantes présentée au point 542 ci‑dessus, il convient de rappeler que, au considérant 317 de la décision attaquée, la Commission a évoqué l’existence des pratiques qui réduisaient le niveau de l’incertitude stratégique entre les parties en ce qui concernait les prix futurs, les augmentations des prix bruts ainsi que le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des modèles de camions conformes aux normes environnementales. Au
considérant 317, sous a) à c), et ainsi qu’il ressort de l’emploi des termes « [à] cet égard », la Commission a explicité en quoi consistaient les pratiques susvisées. Au considérant 317, sous c), la Commission a évoqué le partage d’« autres informations sensibles sur le plan de la concurrence ».
549 À l’article 1er du dispositif de la décision attaquée, la Commission évoque la collusion sur les prix et les hausses des prix bruts ainsi que sur le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions.
550 Il résulte de la comparaison du considérant 317 et de l’article 1er du dispositif de la décision attaquée qu’il n’y a pas de divergence entre les deux dispositions dans la description de l’infraction, la référence par la Commission au partage d’« autres informations sensibles sur le plan de la concurrence » ne constituant qu’un exemple de la collusion sur les prix et les hausses des prix bruts ainsi que sur le calendrier et la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en
matière d’émissions.
551 Il ressort des développements qui précèdent qu’aucun des arguments des requérantes ne démontre le caractère disproportionné de l’amende.
b) Sur la violation du principe d’égalité de traitement
552 Les requérantes invoquent trois arguments à l’appui de leur allégation selon laquelle le niveau d’amende imposé enfreint le principe d’égalité de traitement.
553 En premier lieu, les requérantes soutiennent que la rédaction de la décision attaquée souligne de manière exagérée leur rôle dans l’infraction et ignore, pour l’essentiel, le rôle des autres constructeurs de camions, procédant ainsi à une distorsion de la réalité. Selon les requérantes, en raison de cette rédaction de la décision attaquée, il est impossible de comparer leur rôle et celui des autres constructeurs de camions dans l’infraction, et, en raison de cette impossibilité de comparaison,
plusieurs évaluations relatives au niveau de l’amende, faites par la Commission dans la décision attaquée, enfreignent le principe d’égalité de traitement. Les requérantes se réfèrent au considérant 444 de la décision attaquée, dans lequel la Commission a conclu à l’absence de circonstances aggravantes ou atténuantes en l’espèce. Les requérantes se réfèrent également au considérant 432 de la décision attaquée, dans lequel la Commission a précisé que, aux fins du calcul du montant de base de
l’amende imposée à Scania, elle a retenu la même proportion de la valeur de ses ventes que la proportion de la valeur des ventes des parties à la transaction, retenue dans la décision de transaction.
554 Les requérantes soutiennent également que la circonstance que la décision attaquée décrit de manière plus précise et ciblée leur rôle dans le comportement en cause par rapport à la description qui est faite du rôle des autres concurrents dans la décision de transaction les défavorise dans le cadre des actions en dommages et intérêts auxquelles elles sont exposées.
555 En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que la décision attaquée enfreint le principe d’égalité de traitement dans la mesure où elle applique à tous les constructeurs la même méthode de calcul de l’amende sans tenir compte du fait que leur part de marché au niveau européen était plus faible que celle des autres constructeurs et du fait que l’écart avec les leaders du marché était très important, notamment en Allemagne.
556 Les requérantes soutiennent également que la décision attaquée a violé le principe d’égalité de traitement dans la mesure où elle n’a pas pris en compte le fait que les employés de Scania DE avaient joué un rôle passif, ou à tout le moins qu’ils n’avaient pas joué un rôle de premier plan dans le comportement en cause, en comparaison des deux grands constructeurs sur le marché.
557 En troisième lieu, les requérantes font valoir que la décision attaquée enfreint le principe d’égalité de traitement dans la mesure où la méthode suivie par la Commission pour fixer le montant de l’amende infligée aux requérantes est la même que celle appliquée aux autres constructeurs de camions, malgré le fait que les requérantes, à la différence de ces derniers, ne construisent pas de camions moyens.
558 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
559 Avant d’aborder chacun des arguments susvisés, il y a lieu de rappeler que le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union, consacré aux articles 20 et 21 de la Charte. Selon une jurisprudence constante, ledit principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts du 11 juillet
2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 132, et du 26 janvier 2017, Zucchetti Rubinetteria/Commission, C‑618/13 P, EU:C:2017:48, point 38). En outre, il résulte également d’une jurisprudence constante de la Cour que, s’agissant de la détermination du montant de l’amende, il ne saurait être opéré, par l’application de méthodes de calcul différentes, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à un accord ou à une pratique concertée contraire à l’article 101,
paragraphe 1, TFUE (arrêts du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 133 ; du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 62, et du 26 janvier 2017, Zucchetti Rubinetteria/Commission, C‑618/13 P, EU:C:2017:48, point 38).
560 En ce qui concerne l’argument des requérantes présenté au point 553 ci‑dessus, premièrement, il convient de rappeler, à l’instar de la Commission, que cette institution était tenue, en vertu de l’article 296 TFUE, de motiver à suffisance de droit la décision attaquée, ce qu’elle a fait. Dans la mesure où Scania était l’unique destinataire de la décision attaquée, il était normal que l’appréciation soit axée sur son rôle dans l’entente. Les autres parties à l’entente avaient déjà fait l’objet de
la décision de transaction, qui avait établi leur responsabilité dans le rôle qu’elles avaient joué dans l’entente.
561 Deuxièmement, il convient de relever que, contrairement à l’allégation des requérantes, la rédaction de la décision attaquée n’« ignore » pas le rôle des autres constructeurs de camions dans l’entente. Leur comportement ressort clairement de la chronologie des événements, décrite au point 6.2 de la décision attaquée, qui explique en détail la nature et le contenu des échanges ainsi que les participants à ces derniers. Il s’ensuit que l’allégation des requérantes selon laquelle il est impossible
de comparer leur rôle dans l’entente avec celui des autres parties n’est pas fondée.
562 Troisièmement, le Tribunal constate, sur la base de la décision attaquée et du dossier soumis devant lui, que le rôle de Scania dans l’entente n’était pas différent de celui des autres parties et que les requérantes n’ont soulevé aucun argument et n’ont apporté aucune preuve qui démontreraient le contraire. Par ailleurs, ainsi que la Commission le note à juste titre, chacun des facteurs pris en considération pour déterminer, dans le cadre du calcul du montant de base de l’amende, la gravité de
l’infraction et le « droit d’entrée », à savoir la nature de l’infraction, la part de marché cumulée des entreprises impliquées, la portée géographique de l’infraction et sa mise en œuvre, s’appliquait de la même manière à Scania et aux autres parties.
563 Eu égard aux considérations qui précèdent, le Tribunal conclut que la Commission n’a pas commis d’erreur dans sa décision de retenir la même proportion de la valeur des ventes de Scania que celle retenue en ce qui concernait les autres constructeurs et d’appliquer le même coefficient de gravité (17 %) et le même « droit d’entrée » (17 %) que ceux appliqués concernant les autres constructeurs dans la décision de transaction.
564 Dès lors, l’argument présenté au point 553 ci‑dessus doit être rejeté.
565 En ce qui concerne l’argument présenté au point 554 ci‑dessus, il convient de relever que la circonstance selon laquelle la décision attaquée présente de manière détaillée, conformément aux exigences de l’obligation de motivation pesant sur la Commission, le comportement infractionnel de Scania résulte du fait que cette décision a pour unique destinataire Scania, cette entreprise n’ayant pas reconnu sa responsabilité dans l’entente, contrairement aux autres parties qui ont présenté une demande
formelle de transaction. Il s’ensuit que les requérantes ne se trouvent pas dans la même situation que les parties à la transaction et, par conséquent, leur argument, présenté au point 554 ci‑dessus, ne démontre pas la violation du principe d’égalité de traitement.
566 En ce qui concerne l’argument des requérantes présenté au point 555 ci‑dessus, il convient de noter que la Commission, tant dans la décision attaquée que dans la décision de transaction, s’est notamment référée, pour la détermination des amendes, à la valeur des ventes des biens en relation avec l’infraction des entreprises impliquées dans l’EEE, conformément d’ailleurs à ses lignes directrices pour le calcul des amendes. En effet, au paragraphe 6 de ces lignes directrices, la Commission a
expliqué que la combinaison de la valeur des ventes en relation avec l’infraction et de la durée était considérée comme une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction.
567 En l’espèce, le Tribunal n’a pas de raison de remettre en cause le choix de la Commission de se référer, en ce qui concerne toutes les entreprises impliquées, à la valeur de leurs ventes des biens en relation avec l’infraction dans l’EEE. Il s’agit d’un choix qui est raisonnable pour refléter le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction et qui a concerné toutes les entreprises participant à l’entente et non uniquement Scania.
568 Par ailleurs, la Cour a affirmé que le droit de l’Union ne contenait pas de principe d’application générale selon lequel la sanction devait être proportionnée à l’importance de l’entreprise sur le marché des produits faisant l’objet de l’infraction (arrêt du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C‑397/03 P, EU:C:2006:328, point 101).
569 Sur le fondement de ces considérations, il doit être conclu que l’argument des requérantes, présenté au point 555 ci‑dessus, ne démontre pas la violation par la Commission du principe d’égalité de traitement et qu’il doit être rejeté.
570 En ce qui concerne l’argument des requérantes présenté au point 556 ci‑dessus, il doit être rejeté dans la mesure où il ne ressort pas du dossier que les employés de Scania DE ont joué un rôle passif ou un rôle de second plan dans le comportement infractionnel, établi en l’espèce. Dès lors, il n’y a pas lieu de réduire le montant de l’amende sur ce fondement.
571 En ce qui concerne l’argument des requérantes présenté au point 557 ci‑dessus, force est de noter que, ainsi qu’il ressort du considérant 429 de la décision attaquée, la Commission, afin de calculer le montant de l’amende imposée aux requérantes, a tenu compte de la valeur de leurs ventes de camions lourds dans l’EEE, contrairement à ce qu’elle a fait aux fins du calcul du montant des amendes imposées aux parties à la transaction dans la décision de transaction, dans laquelle elle a tenu compte
de la valeur des ventes de camions moyens et lourds dans l’EEE (considérant 109 de la décision de transaction). Il s’ensuit que le grief des requérantes selon lequel la Commission n’a pas tenu compte du fait que Scania ne construisait pas de camions moyens n’est pas fondé.
572 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de conclure qu’aucun des arguments des requérantes relatif à la violation du principe d’égalité de traitement ne démontre que l’amende doit être réduite.
c) Sur le montant de l’amende
573 Il convient de relever que, au regard de la compétence de pleine juridiction dont le Tribunal dispose en matière d’amendes pour infraction aux règles de la concurrence, rien dans les griefs, les arguments et les éléments de droit et de fait avancés par les requérantes dans le cadre de l’ensemble des moyens examinés ci‑dessus ne permet de conclure que le montant de l’amende infligée par la décision attaquée doit être modifié.
IV. Sur les dépens
574 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
575 Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Scania AB, Scania CV AB et Scania Deutschland GmbH supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.
Papasavvas
Kornezov
Buttigieg
Kowalik-Bańczyk
Hesse
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 février 2022.
Signatures
Table des matières
I. Antécédents du litige
A. Procédure administrative à l’origine de la décision attaquée
B. Décision attaquée
1. Structure du marché des camions et mécanisme de fixation des prix dans l’industrie des camions
a) Structure du marché des camions
b) Mécanisme de fixation des prix dans l’industrie des camions
c) Mécanisme de fixation des prix au sein de Scania
d) Sur l’impact des augmentations des prix au niveau européen sur les prix au niveau national
2. Contacts collusoires entre Scania et les parties à la transaction
3. Application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE
a) Accords et pratiques concertées
b) Restriction de la concurrence
c) Infraction unique et continue
d) Portée géographique de l’infraction
4. Destinataires
5. Calcul du montant de l’amende
a) Montant de base de l’amende
b) Montant final de l’amende
6. Dispositif de la décision attaquée
II. Procédure et conclusions des parties
III. En droit
A. Sur l’omission de certaines données envers le public
B. Sur le fond
1. Sur le premier moyen, tiré de la violation des droits de la défense, du principe de bonne administration et de la présomption d’innocence
2. Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte et de l’article 27, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1/2003
3. Sur les troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième moyens, en ce qu’ils visent la conclusion de la Commission relative à l’existence d’une infraction unique et continue et son imputation à Scania
a) Observations liminaires
1) Sur la notion d’infraction unique et continue
2) Sur la charge de la preuve et le niveau de preuve
3) Décision attaquée
4) Sur l’argument des requérantes selon lequel la notion d’infraction unique et continue suppose que la Commission identifie plusieurs infractions manifestement liées entre elles
b) Sur le troisième moyen, tiré de l’application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce que les échanges d’informations au niveau inférieur du siège ont été considérés comme étant constitutifs d’une infraction à ces dispositions
1) Décision attaquée
2) Sur le premier grief
3) Sur le second grief
c) Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation et de l’application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce que la Commission a considéré que les requérantes avaient conclu un accord ou s’étaient livrées à une pratique concertée portant sur le calendrier d’introduction des technologies en matière d’émissions
1) Sur la première branche du quatrième moyen, tirée de la violation de l’obligation de motivation
2) Sur la deuxième branche du quatrième moyen, tirée de l’application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce que la Commission aurait considéré que les requérantes avaient conclu un accord ou s’étaient livrées à une pratique concertée portant sur le calendrier d’introduction sur le marché des technologies en matière d’émissions
3) Sur la troisième branche du quatrième moyen, tirée de ce que les échanges d’informations sur le calendrier d’introduction des technologies en matière d’émissions ne constituent pas une infraction par objet
d) Sur le cinquième moyen, tiré d’une application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce que la Commission a qualifié les échanges d’informations au niveau allemand d’infraction « par objet »
1) Observations liminaires
2) Sur le contenu des informations échangées
i) Sur les modifications envisagées des prix bruts et des barèmes des prix bruts et sur le calendrier de ces modifications, visés au considérant 238, sous a), de la décision attaquée
– Sur l’argument des requérantes relatif au caractère actuel ou futur de l’information échangée au niveau allemand
– Sur l’argument des requérantes relatif au caractère public des prix bruts échangés au niveau allemand
– Sur l’argument des requérantes relatif à l’absence de valeur informative des prix bruts échangés au niveau allemand sur les prix effectivement appliqués dans les transactions du marché
ii) Sur les modifications envisagées des prix nets et des rabais offerts aux clients, visées au considérant 238, sous a), de la décision attaquée
iii) Sur la répercussion des coûts relatifs à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour les camions moyens et lourds, requises par les normes Euro 3 à Euro 6, visée au considérant 238, sous b), de la décision attaquée
iv) Sur l’échange d’autres informations sensibles sur le plan commercial, visé au considérant 238, sous c), de la décision attaquée
3) Sur l’objectif des échanges d’informations au niveau allemand
4) Sur le contexte de l’échange d’informations au niveau allemand
e) Sur le sixième moyen, tiré d’une application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce que la Commission a considéré que la portée géographique de l’infraction afférente au niveau allemand s’étendait à l’ensemble du territoire de l’EEE
1) Sur la portée géographique des informations obtenues par Scania DE
2) Sur la portée géographique des informations fournies par Scania DE
f) Sur le septième moyen, tiré d’une application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce que la Commission a considéré que le comportement identifié constituait une infraction unique et continue et que les requérantes étaient responsables à cet égard
1) Sur l’existence en l’espèce d’une infraction unique et continue
i) Observations liminaires
ii) Décision attaquée
iii) Appréciation
– Sur l’évaluation d’ensemble des trois niveaux des contacts
– Sur la nature des informations échangées au sein des trois niveaux des contacts
– Sur le caractère continu de l’infraction
2) Sur l’imputabilité de l’infraction unique et continue à Scania
4. Sur le huitième moyen, tiré d’une application erronée de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE ainsi que de l’article 25 du règlement no 1/2003 en ce que la Commission a infligé une amende portant sur un comportement soumis à prescription et, en tout état de cause, en ne prenant pas en considération le fait que ledit comportement n’était pas continu
5. Sur le neuvième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité et du principe d’égalité de traitement en ce qui concerne le montant de l’amende, et, en tout état de cause, sur la nécessité d’une réduction du montant de l’amende par application de l’article 261 TFUE et de l’article 31 du règlement no 1/2003
a) Sur la violation du principe de proportionnalité
b) Sur la violation du principe d’égalité de traitement
c) Sur le montant de l’amende
IV. Sur les dépens
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.
( 1 ) Données confidentielles occultées.