ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)
12 octobre 2022 (*)
« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Correspondance de la Commission avec AstraZeneca et les autorités allemandes relative aux quantités et aux délais de livraison des vaccins contre la COVID-19 – Exception relative à la protection des procédures juridictionnelles – Documents ayant été produits dans le cadre d’une procédure juridictionnelle close au moment de l’adoption de la décision refusant leur accès – Exception relative à la protection de la vie privée et de l’intégrité de
l’individu – Exception relative à la protection des intérêts commerciaux d’un tiers »
Dans l’affaire T‑524/21,
Hans-Wilhelm Saure, demeurant à Berlin (Allemagne), représenté par M^e C. Partsch, avocat,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par M. G. Gattinara, M^me K. Herrmann et M. A. Spina, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (huitième chambre),
composé, lors des délibérations, de MM. J. Svenningsen (rapporteur), président, C. Mac Eochaidh et J. Laitenberger, juges,
greffier : M^me S. Jund, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 12 juillet 2022,
rend le présent
Arrêt (1)
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Hans‑Wilhelm Saure, demande l’annulation, d’une part, de la décision C(2021) 5327 final de la Commission, du 13 juillet 2021, rejetant la demande confirmative d’accès à certains documents (ci-après la « première décision attaquée »), et, d’autre part, de la décision C(2022) 870 final de la Commission, du 7 février 2022, portant refus d’accès à certains documents (ci-après la « seconde décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 Le requérant est un journaliste employé par le quotidien allemand Bild.
3 Par lettre du 29 janvier 2021, il a, sur le fondement du règlement (CE) n^o 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), demandé à la Commission européenne l’accès à des copies de l’ensemble de la correspondance échangée depuis le 1^er avril 2020 entre celle-ci et, d’une part, AstraZeneca plc ou ses filiales ainsi que, d’autre part, la chancellerie
fédérale de la République fédérale d’Allemagne ou le ministère fédéral de la Santé de cet État membre à propos de cette société et de ces filiales, et ce concernant notamment les quantités et les délais de livraison des vaccins contre la COVID-19 proposés par ladite société. Cette demande a été enregistrée sous la référence GESTDEM 2021/0550, le 1^er février 2021.
4 Le 16 mars 2021, n’ayant reçu aucune réponse de la Commission dans le délai prévu par l’article 7, paragraphe 1, du règlement n^o 1049/2001, tel que prolongé conformément au paragraphe 3 de cette disposition, le requérant lui a adressé une demande confirmative.
5 Le même jour, les services de la Commission ont accusé réception de la demande confirmative. Le 9 avril suivant, à savoir à l’expiration du délai de traitement de cette demande, ces services ont informé le requérant que ladite demande était encore en cours d’examen et que ce délai était prolongé jusqu’au 30 avril suivant, à savoir à l’expiration des quinze jours ouvrables additionnels prévus par l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1049/2001.
6 Le 23 avril 2021, l’Union européenne, représentée par la Commission, a introduit une procédure judiciaire devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles (Belgique) à l’encontre d’ AstraZeneca concernant l’exécution du contrat d’achat anticipé conclu avec celle-ci.
7 Le 30 avril 2021, les services de la Commission ont une nouvelle fois informé le requérant que la demande confirmative ne pourrait obtenir une réponse dans le délai fixé et ont annoncé faire tout ce qui était en leur pouvoir pour lui fournir une réponse dans les meilleurs délais. À cette date, l’absence de réponse donnée à la demande confirmative a fait naître une décision implicite négative relative aux documents demandés, conformément à l’article 8, paragraphe 3, du règlement
n^o 1049/2001, à l’encontre de laquelle le requérant a introduit un recours en annulation enregistré sous le numéro d’affaire T‑232/21, lequel recours a été rejeté ordonnance du 18 mars 2022, Saure/Commission (T‑232/21, non publiée, EU:T:2022:165).
8 Par ordonnance du 18 juin 2021, le juge des référés a, dans le cadre de la procédure juridictionnelle opposant l’Union à AstraZeneca, condamné cette dernière à livrer aux États membres de l’Union 50 millions de doses de vaccins supplémentaires selon un calendrier contraignant, sous peine d’astreinte.
9 Le 13 juillet 2021, la secrétaire générale de la Commission a adopté la première décision attaquée, en réponse à la demande confirmative du 16 mars 2021. En particulier, cette décision a identifié divers documents et indiqué que l’accès à ces documents devait être refusé dès lors qu’ils relevaient de l’exception tirée de la protection des procédures juridictionnelles, prévue par l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n^o 1049/2001, étant donné qu’une telle procédure était
pendante devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
10 Le 3 septembre 2021, la Commission a, dans un communiqué de presse, indiqué que l’Union et AstraZeneca étaient parvenues à un accord mettant notamment un terme au litige qui était pendant devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles. Cette juridiction a donné acte du désistement d’action dans un jugement du 15 octobre suivant.
11 Le 7 février 2022, compte tenu de la clôture de cette procédure juridictionnelle, la secrétaire générale de la Commission a, après un réexamen de la demande confirmative du 16 mars 2021, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 7, du règlement n^o 1049/2001, adopté la seconde décision attaquée, de laquelle il ressort qu’elle remplace la première décision attaquée.
12 Premièrement, la Commission a indiqué que l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles s’appliquait à l’intégralité des documents suivants :
– une annexe à l’offre soumise par AstraZeneca (ci-après le « document n^o 1.2 ») ;
– un document du 12 juin 2020 échangé entre AstraZeneca et les gouvernements de plusieurs États membres en vue de la négociation et de la conclusion d’un contrat de financement (ci-après le « document n^o 2 ») ;
– un projet de contrat de financement envoyé par AstraZeneca le 24 juin 2020 aux gouvernements de plusieurs États membres (ci‑après le « document n^o 3 ») ;
– un document du 20 novembre 2020 concernant le versement du deuxième paiement échelonné prévu par le contrat d’achat anticipé conclu avec AstraZeneca (ci-après le « document n^o 5 ») ;
– les présentations utilisées par AstraZeneca lors des réunions du comité de pilotage du 4 décembre 2020, du 22 janvier, des 1^er, 11, 19 et 23 février ainsi que du 11 mars 2021 (ci-après le « document n^o 6 ») ;
– une présentation utilisée par AstraZeneca lors d’une réunion du 7 décembre 2020 (ci-après le « document n^o 7 ») ;
– une présentation utilisée par AstraZeneca lors d’une réunion du 19 janvier 2021 (ci-après le « document n^o 8 ») ;
– un document concernant les dates de livraison des vaccins (ci‑après le « document n^o 9 ») accompagné de cinq annexes (ci‑après les « documents n^os 9.1 à .9.5 ») ;
– une présentation utilisée par AstraZeneca lors d’une réunion du comité de pilotage du 25 janvier 2021 (ci-après le « document n^o 10 »).
13 En outre, la Commission a partiellement refusé l’accès aux courriels échangés entre la Commission et AstraZeneca le 27 juillet 2020 (ci‑après le « document n^o 11 ») sur le fondement de l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles.
14 Deuxièmement, la Commission a, sur le fondement de l’exception relative à la protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu, prévue par l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement n^o 1049/2001, partiellement refusé l’accès à certains documents, desquels elle a occulté les données à caractère personnel de représentants d’AstraZeneca et de membres du personnel de la Commission n’occupant pas de fonctions d’encadrement supérieur. Il s’agit des documents suivants :
– le courriel envoyé à la Commission contenant l’offre d’AstraZeneca (ci-après le « document n^o 1.1 ») ;
– les courriels échangés entre AstraZeneca, la Commission et le gouvernement allemand entre le 2 et le 13 juillet 2020 (ci-après le « document n^o 4 ») ;
– le document n^o 11 ;
– le contrat d’achat anticipé conclu le 27 août 2020 entre AstraZeneca et la Commission (ci-après le « document n^o 12 »).
15 Troisièmement, la Commission a indiqué que l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux, prévue par l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n^o 1049/2001, justifiait que seulement un accès partiel soit accordé aux documents suivants :
– les procès-verbaux des réunions du comité de pilotage du 4 décembre 2020, du 22 janvier, des 1^er, 11, 19 et 23 février ainsi que du 11 mars 2021 (ci-après les « documents n^os 6.1 à 6.6 ») ;
– le document n^o 12.
16 Par ailleurs, considérant que le document contenant l’offre soumise par AstraZeneca (ci-après le « document n^o 1 ») était couvert par une présomption générale de confidentialité au titre de l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux, la Commission a intégralement refusé l’accès audit document.
17 Quatrièmement, la Commission a accordé un accès complet aux deux annexes du document n^o 11.
Conclusions des parties
18 Dans la requête, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la première décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
19 Dans la demande de non-lieu à statuer, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– constater qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le recours ;
– condamner chaque partie à condamner ses propres dépens.
20 Dans le mémoire en adaptation de la requête, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la seconde décision attaquée.
21 Dans la réponse au mémoire en adaptation de la requête, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours tel qu’adapté ;
– condamner le requérant aux dépens.
En droit
[omissis]
Sur les conclusions en annulation de la seconde décision attaquée
28 À l’appui de la demande d’annulation de la seconde décision attaquée, le requérant soulève trois moyens, tirés de l’inapplicabilité des trois exceptions invoquées par la Commission pour justifier le refus d’accès aux documents demandés.
Sur le premier moyen, tiré de l’inapplicabilité de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n^o 1049/2001
29 Le requérant soutient que l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles s’appliquerait seulement aussi longtemps qu’un litige est pendant devant une juridiction. Or, la procédure devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles étant close, la divulgation des documents demandés ne serait plus susceptible de porter atteinte à aucune procédure juridictionnelle au sens de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n^o 1049/2001. Il fait par
ailleurs valoir que l’article 871 bis du code judiciaire belge ne permettrait pas de déroger au libellé clair de cet article.
30 La Commission fait valoir que, même après la clôture de la procédure judiciaire, l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles continuerait à s’appliquer en l’espèce à certains documents produits dans le cadre de ladite procédure. Elle considère que le refus d’accès aux documents en cause était nécessaire pour garantir notamment le respect de l’intégrité de la procédure juridictionnelle.
31 Elle se prévaut également de son obligation de coopération loyale avec les autorités judiciaires qui lui imposerait de ne pas divulguer certains documents produits au cours de cette procédure et qualifiés de confidentiels en vertu de l’article 871 bis du code judiciaire belge.
32 Par ailleurs, le requérant n’aurait invoqué aucun intérêt public supérieur susceptible de justifier la divulgation au public de ces documents.
33 Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n^o 1049/2001, les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection des procédures juridictionnelles, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.
34 Par ailleurs, selon la première phrase de l’article 4, paragraphe 7, du règlement n^o 1049/2001, les exceptions visées aux paragraphes 1 à 3 s’appliquent uniquement au cours de la période durant laquelle la protection se justifie eu égard au contenu du document.
35 Il s’ensuit que l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n^o 1049/2001 est nécessairement limitée dans le temps en ce qu’elle s’oppose à la divulgation des documents seulement aussi longtemps que, eu égard à leur contenu, le risque d’atteinte à une procédure juridictionnelle persiste (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2020, Compañía de Tranvías de la Coruña/Commission, T‑485/18, EU:T:2020:35, point 43 et jurisprudence citée).
36 Selon la jurisprudence, la protection de ces procédures s’explique par la nécessité que soit assuré le respect du principe d’égalité des armes ainsi que de la bonne administration de la justice (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 85).
37 Concernant le respect du principe d’égalité des armes, il a notamment été jugé que, si le contenu de documents exposant la position d’une institution dans un litige devait faire l’objet d’un débat public, les critiques portées à l’encontre de ceux-ci risqueraient d’influencer indûment la position défendue par l’institution devant les juridictions en cause (voir arrêt du 6 février 2020, Compañía de Tranvías de la Coruña/Commission, T‑485/18, EU:T:2020:35, point 39 et jurisprudence citée).
38 S’agissant de la bonne administration de la justice et de l’intégrité de la procédure juridictionnelle, l’exclusion de l’activité juridictionnelle du champ d’application du droit d’accès aux documents se justifie au regard de la nécessité de garantir, tout au long de la procédure juridictionnelle, que les débats entre les parties ainsi que le délibéré de la juridiction concernée sur l’affaire en instance se déroulent en toute sérénité, sans pressions extérieures sur l’activité
juridictionnelle (voir arrêt du 6 février 2020, Compañía de Tranvías de la Coruña/Commission, T‑485/18, EU:T:2020:35, point 40 et jurisprudence citée).
39 En l’espèce, il importe de relever que les documents auxquels la Commission a refusé l’accès portent sur les quantités et la livraison des vaccins fabriqués par AstraZeneca et qu’il s’agit de documents que cette institution détenait avant le 16 mars 2021, date à laquelle le requérant a présenté une demande confirmative d’accès.
40 Ce n’est que par la suite que ces documents ont été produits dans le cadre d’une procédure juridictionnelle entamée devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles le 23 avril 2021 à propos de la livraison de vaccins au titre du contrat d’achat anticipé conclu avec AstraZeneca. Ladite procédure s’est terminée le 15 octobre suivant, date à laquelle la juridiction nationale a donné acte du désistement d’action, ayant pour effet de mettre définitivement fin à cette procédure.
41 Partant, à la date à laquelle la seconde décision attaquée a été adoptée, le 7 février 2022, la procédure juridictionnelle susceptible de justifier l’application de l’exception relative à la protection desdites procédures était close.
42 Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler qu’un document qui n’a pas été élaboré dans le contexte d’une procédure juridictionnelle spécifique est certes susceptible d’être protégé au titre de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n^o 1049/2001 si, à la date à laquelle il est répondu à la demande d’accès, il a été produit dans le cadre d’une telle procédure juridictionnelle (arrêt du 29 octobre 2020, Intercept Pharma et Intercept Pharmaceuticals/EMA,
C‑576/19 P, EU:C:2020:873, point 48).
43 Toutefois, d’une part, il résulte de la définition large de la notion de « document », telle qu’énoncée à l’article 3, sous a), du règlement n^o 1049/2001, ainsi que de la formulation et de l’existence même d’une exception relative à la protection des procédures juridictionnelles, que le législateur de l’Union n’a pas voulu exclure l’activité contentieuse des institutions du droit d’accès des citoyens, mais qu’il a prévu, à cet égard, qu’elles refusent de divulguer les documents relatifs à
une procédure juridictionnelle dans les cas où une telle divulgation porterait atteinte à la procédure à laquelle ils se rapportent (voir arrêt du 27 février 2015, Breyer/Commission, T‑188/12, EU:T:2015:124, point 43 et jurisprudence citée).
44 D’autre part, il ressort de la première phrase de l’article 4, paragraphe 7, du règlement n^o 1049/2001 que, pour déterminer si un document tombe sous le coup d’une des exceptions au droit d’accès aux documents prévues aux paragraphes 1 à 3 de cet article, seul importe le contenu du document demandé (arrêt du 29 octobre 2020, Intercept Pharma et Intercept Pharmaceuticals/EMA, C‑576/19 P, EU:C:2020:873, point 36).
45 Il découle des points 43 et 44 ci-dessus que la circonstance selon laquelle un document a été produit dans le cadre d’une procédure juridictionnelle implique seulement qu’un tel document est susceptible d’être protégé au titre de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n^o 1049/2001, ce qu’il importe de vérifier au regard du contenu de ce document, conformément à l’article 4, paragraphe 7, du règlement n^o 1049/2001.
46 En d’autres termes, pour évaluer si, ainsi que le fait valoir le requérant, l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles ne pouvait plus justifier le refus d’accès aux documents litigieux après la clôture de cette procédure, il convient d’examiner si, eu égard au contenu de ces documents, la Commission a démontré que la divulgation de ceux-ci porterait toujours atteinte à une telle procédure.
47 Or, en l’occurrence, la Commission reste en défaut d’expliquer de quelle manière l’accès aux documents en question pourrait, eu égard à leur contenu, continuer à porter concrètement et effectivement atteinte à une procédure juridictionnelle qui était close au moment de l’adoption de la décision refusant leur accès.
48 Dès lors, en l’absence d’une telle explication résultant d’un examen concret du contenu des documents litigieux, c’est à juste titre que le requérant fait en substance valoir que la divulgation d’un document produit dans le cadre de la procédure juridictionnelle en cause ne risque plus de porter atteinte à l’activité juridictionnelle de la juridiction nationale saisie dès lors que cette activité est, après la clôture de la procédure, terminée. De même, dans de telles circonstances, cette
divulgation n’est, en principe, plus susceptible de compromettre la défense de l’auteur dudit document et, partant, de porter atteinte au principe d’égalité des armes, comme la Commission l’a reconnu lors de l’audience, durant laquelle elle s’est concentrée sur la nécessité de garantir le respect de l’intégrité de la procédure juridictionnelle. Or, sur ce dernier point, il y a également lieu de constater que, après la clôture de la procédure, les débats entre les parties ainsi que le délibéré de la
juridiction concernée sur l’affaire en instance ont pu se dérouler en toute sérénité, sans pressions extérieures sur l’activité juridictionnelle.
49 Cette conclusion n’est pas infirmée par le point 132 de l’arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission (C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541), auquel la Commission a fait référence lors de l’audience. En effet, dans cette affaire, la Cour a jugé qu’une institution pouvait refuser l’accès à des mémoires rédigés dans le cadre d’une procédure juridictionnelle clôturée lorsque, au terme d’un examen du contenu de ces mémoires, il s’avérait que ceux-ci comportaient des
arguments utilisés au soutien de la position juridique défendue par cette institution dans une autre procédure juridictionnelle similaire encore pendante. Dans un tel cas, il ne saurait être exclu que la divulgation de ces mémoires porte atteinte à cette dernière procédure.
50 Or, en l’espèce, aucune autre procédure juridictionnelle n’était pendante, ni même imminente, au moment de l’adoption de la seconde décision attaquée.
51 Nonobstant ce constat, la Commission fait néanmoins valoir que, indépendamment du contenu des documents litigieux, elle était tenue de refuser l’accès à ceux-ci pour se conformer aux exigences découlant de l’article 871 bis du code judiciaire belge.
52 Cet article est notamment rédigé comme suit :
« Les parties […] qui ont eu, en raison de leur participation à une procédure judiciaire, ou de leur accès à des documents faisant partie d’une telle procédure judiciaire, connaissance d’un secret d’affaires ou d’un secret d’affaires allégué […] que le juge a, en réponse à la demande dûment motivée d’une partie intéressée ou d’office, qualifié de confidentiel, ne sont pas autorisé[e]s à utiliser ou divulguer ce secret d’affaires ou secret d’affaires allégué.
Cette obligation de confidentialité […] perdure après la fin de la procédure judiciaire. »
53 En d’autres termes, une partie à une procédure juridictionnelle n’est pas autorisée à divulguer un secret d’affaires ou un secret d’affaires allégué dont elle a pris connaissance en raison de sa participation à la procédure, même après la fin de celle-ci, lorsque le juge a décidé qu’un tel secret devait rester confidentiel.
54 La Commission ne saurait toutefois se prévaloir de cet article pour justifier l’application de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n^o 1049/2001 et, partant, le refus d’accès aux documents en cause.
55 En premier lieu, il convient de relever que l’article 871 bis du code judiciaire belge a pour objet de transposer l’article 9, paragraphe 1, de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, sur la protection des savoir‑faire et des informations commerciales non divulguées (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites (JO 2016, L 157, p. 1).
56 Or, le considérant 11 de cette directive énonce que celle-ci ne devrait pas porter atteinte à l’application des règles de l’Union ou des règles nationales qui imposent la divulgation d’informations, y compris de secrets d’affaires, au public ou aux autorités publiques. Elle ne devrait pas non plus porter atteinte à l’application de règles qui permettent aux autorités publiques de recueillir des informations dans l’exercice de leurs fonctions, ou de règles qui permettent ou imposent toute
divulgation ultérieure par ces autorités publiques d’informations pertinentes pour le public. Ces règles comprennent, en particulier, des règles relatives à la divulgation par les institutions et organes de l’Union ou par les autorités publiques nationales d’informations commerciales qu’ils détiennent, notamment, en vertu du règlement n^o 1049/2001.
57 Il en découle que la Commission ne saurait se prévaloir d’une disposition du droit national transposant cette directive pour faire échec aux obligations qui lui incombent en vertu du règlement n^o 1049/2001.
58 En deuxième lieu, d’une part, il convient de rappeler, ainsi que cela ressort du point 39 ci-dessus et comme la Commission l’a confirmé lors de l’audience, que les documents litigieux ne sont pas des documents que la Commission détient en raison de sa participation à la procédure juridictionnelle au sens de l’article 871 bis du code judiciaire belge étant donné qu’ils étaient déjà en sa possession avant le début de cette procédure.
59 D’autre part, il convient d’observer que, dans la seconde décision attaquée, la Commission s’est référée à une ordonnance du juge national par laquelle ce dernier aurait décidé que certains documents produits dans le cadre de cette procédure resteraient couverts par l’obligation de protéger leur confidentialité conformément à l’article 871 bis du code judiciaire belge.
60 Néanmoins, il ressort en substance des réponses de la Commission à une mesure d’organisation de la procédure que la juridiction nationale saisie n’a adopté aucune décision en application de cet article. En effet, ce sont les parties elles-mêmes qui ont conclu un accord au terme duquel certains documents produits au cours de cette procédure resteraient confidentiels en vertu dudit article, lequel accord avait d’ailleurs vocation à remplacer une décision du juge à cet égard.
61 À cet égard, il importe en particulier de constater que, dans le document par lequel elles ont informé le juge national de leur accord amiable, les parties ont, dans le dispositif de leurs conclusions, expressément demandé au tribunal de première instance francophone de Bruxelles de leur « [d]onner acte […] de ce que l’obligation de confidentialité telle que visée dans [leurs] courriers [...] demeure applicable après la fin de la procédure judiciaire, conformément à l’article 871 bis,
[paragraphe] 1^er, [troisième] alinéa, du [c]ode judiciaire ».
62 Or, dans son jugement du 15 octobre 2021, la juridiction nationale s’est limitée, d’une part, à donner « acte du désistement d’action des parties demanderesses » et, d’autre part, à donner « acte aux parties de leur accord quant au sort réservé aux dépens », sans prendre position sur le chef de conclusions par lequel les parties l’invitaient à « acter » que certains documents resteraient confidentiels après la clôture de la procédure.
63 Il ne ressort pas non plus de l’ordonnance de référé du 18 juin 2021 que le juge ait décidé que certains documents produits au cours de la procédure juridictionnelle devaient être qualifiés de confidentiels en vertu de l’article 871 bis du code judiciaire. En effet, cette ordonnance se borne à faire état du fait que, « [à] l’audience du 26 mai 2021, et sur interpellations, les parties ont confirmé que la mention confidentielle apposée sur certaines pièces et extraits de leurs conclusions ne
faisait pas obstacle à ce que [soient repris] certains de leur passage dans [cette] ordonnance », sans faire mention de cet article ou de son contenu.
64 Dans ces conditions, il doit être considéré que la Commission ne saurait, par le biais d’un simple accord conclu avec une société tierce, restreindre le droit que tout citoyen de l’Union tire directement de l’article 2, paragraphe 1, du règlement n^o 1049/2001 d’accès aux documents détenus par cette institution. Dans le même sens, admettre qu’une institution puisse se prévaloir d’un tel accord pour refuser l’accès à des documents qu’elle détient reviendrait à l’autoriser à contourner
l’obligation qui lui incombe d’y donner accès, sauf lorsque leur divulgation porterait atteinte à l’un des intérêts protégés par l’article 4 du règlement n^o 1049/2001.
65 Il découle également de ce qui précède que, dans la mesure où les parties sont elles-mêmes convenues de qualifier certains documents de confidentiels, sans autre intervention de la juridiction nationale que celle visée aux points 61 à 63 ci-dessus, la Commission ne saurait se prévaloir de son obligation de coopération loyale avec les autorités judiciaires des États membres pour justifier le refus d’accès à ces documents.
66 En troisième lieu, il importe de noter que la finalité de l’article 871 bis du code judiciaire belge, en ce qu’elle vise à protéger les secrets d’affaires, diffère de celle poursuivie par l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n^o 1049/2001, qui vise à assurer le respect du principe d’égalité des armes ainsi que celui de bonne administration de la justice et de l’intégrité de la procédure juridictionnelle. Ainsi, le seul fait que les documents litigieux comportent des
secrets d’affaires ou des secrets d’affaires allégués ne permet pas, en tout état de cause, d’expliquer de quelle manière l’accès à ces documents pourrait concrètement et effectivement continuer à porter atteinte à la procédure juridictionnelle qui était close au moment de l’adoption de la seconde décision attaquée.
67 Partant, sans qu’il soit exclu qu’un document comportant un secret d’affaires puisse relever de l’une ou l’autre exception prévue à l’article 4 du règlement n^o 1049/2001, telle que l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux, ce qu’il appartient à l’institution concernée de vérifier au regard du contenu du document en question, le simple fait qu’un tel secret d’affaires ait été révélé dans le cadre d’une procédure juridictionnelle désormais clôturée et ait été qualifié par
les parties à l’instance de confidentiels, au sens de l’article 871 bis du code judiciaire belge, ne suffit pas à justifier l’application aux documents en cause de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n^o 1049/2001.
68 Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le premier moyen.
[omissis]
Sur le troisième moyen, tiré de l’inapplicabilité de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n^o 1049/2001
[omissis]
104 Dès lors que le premier moyen doit être accueilli et que la Commission n’a invoqué aucune autre exception dans la seconde décision attaquée pour justifier le refus d’accès aux documents n^os 1.2, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 9, 9.1 à 9.5 et 10, ainsi qu’à une partie du document n^o 11, il y a lieu d’annuler ladite décision en ce qu’elle refuse au requérant l’accès à ces documents.
105 Plus particulièrement, en ce qui concerne le document n^o 1.2, constitué d’une annexe à l’offre soumise par AstraZeneca (document n^o 1), il convient de relever que, ainsi que cela ressort du point 97 ci-dessus, la Commission a certes indiqué dans la seconde décision attaquée que l’offre et ses annexes étaient couvertes par une présomption générale de confidentialité selon laquelle leur divulgation porterait atteinte à la protection des intérêts commerciaux d’AstraZeneca. Toutefois, en
réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, la Commission a précisé qu’elle n’entendait pas se prévaloir de l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux s’agissant du document n^o 1.2, lequel était exclusivement couvert par l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles.
106 En revanche, en ce qu’il est dirigé contre la seconde décision attaquée en tant qu’elle porte refus d’accès aux documents n^os 1, 1.1, 4, 6.1 à 6.6 et 12 ainsi qu’aux données du document n° 11 qui sont couvertes par l’exception relative à la vie privée et à l’intégrité de l’individu, le présent recours doit être rejeté.
[omissis]
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre)
déclare et arrête :
1) Il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision C(2021) 5327 final de la Commission, du 13 juillet 2021, rejetant la demande confirmative d’accès à certains documents.
2) La décision C(2022) 870 final de la Commission, du 7 février 2022, est annulée en ce qu’elle a refusé l’accès à M. Hans-Wilhelm Saure aux documents suivants :
– une annexe à l’offre soumise par AstraZeneca (document n° 1.2) ;
– un document du 12 juin 2020 échangé entre AstraZeneca et les gouvernements de plusieurs États membres en vue de la négociation et de la conclusion d’un contrat de financement (document n° 2) ;
– un projet de contrat de financement envoyé par AstraZeneca le 24 juin 2020 aux gouvernements de plusieurs États membres (document n° 3) ;
– un document du 20 novembre 2020 concernant le versement du deuxième paiement échelonné prévu par le contrat d’achat anticipé conclu avec AstraZeneca (document n° 5) ;
– les présentations utilisées par AstraZeneca lors des réunions du comité de pilotage du 4 décembre 2020, du 22 janvier, des 1^er, 11, 19 et 23 février ainsi que du 11 mars 2021 (document n° 6) ;
– une présentation utilisée par AstraZeneca lors d’une réunion du 7 décembre 2020 (document n° 7) ;
– une présentation utilisée par AstraZeneca lors d’une réunion du 19 janvier 2021 (document n° 8) ;
– un document concernant les dates de livraison des vaccins (document n° 9) accompagné de cinq annexes (documents n°^s 9.1 à 9.5) ;
– une présentation utilisée par Astra Zeneca lors d’une réunion du comité de pilotage du 25 janvier 2021 (document n° 10) ;
– une partie des courriels échangés entre la Commission et AstraZeneca le 27 juillet 2020 (document n° 11).
3) Le recours est rejeté pour le surplus.
4) La Commission européenne est condamnée aux dépens.
Svenningsen Mac Eochaidh Laitenberger
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 octobre 2022.
Signatures
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* Langue de procédure : l’allemand.
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1 Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.