ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
7 juin 2023 ( *1 )
« Fonction publique – Fonctionnaires – Pension de survie – Refus d’octroi – Conjoint survivant – Conditions d’éligibilité – Durée du mariage – Exception d’illégalité – Article 80, premier alinéa, du statut – Article 2 de l’annexe VII du statut – Pension d’orphelin – Refus d’octroi – Notion d’ « enfant à charge » – Erreur de droit »
Dans l’affaire T‑143/22,
OP, représentée par Me F. Moyse, avocat,
partie requérante,
contre
Parlement européen, représenté par M. J. Van Pottelberge et Mme M. Windisch, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenu par
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bauer et M. Alver, en qualité d’agents,
partie intervenante,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre),
composé de M. R. da Silva Passos, président, Mmes I. Reine et T. Pynnä (rapporteure), juges,
greffier : M. V. Di Bucci,
vu la phase écrite de la procédure,
vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,
rend le présent
Arrêt ( 1 )
1 Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, la requérante, OP, demande, d’une part, l’annulation de la décision du Parlement européen du 7 juin 2021, en ce qu’elle rejette sa demande visant à obtenir une pension de survie du fait du décès de son époux, ancien fonctionnaire du Parlement ainsi que, pour le compte de son fils A, l’annulation de la même décision en ce qu’elle rejette sa demande visant à obtenir une pension d’orphelin pour leur fils atteint d’un handicap (ci-après la « décision
attaquée »).
Antécédents du litige
2 La requérante s’est mariée avec B en 1980. Le divorce entre les époux a été prononcé en 2017. Le 29 janvier 2021, la requérante s’est remariée avec B. Le couple a eu quatre enfants, dont un fils, mentionné au point 1 ci-dessus, né le [confidentiel] ( 2 ). En 2015, ce fils a été reconnu atteint d’un handicap à 66 % par les autorités belges. Dans le certificat médical destiné à l’évaluation du handicap du fils de la requérante, daté du 9 avril 2021, le médecin de ce dernier a indiqué qu’il souffrait
d’un handicap [confidentiel] évalué à 90 %.
3 B était un ancien fonctionnaire du Parlement, parti à la retraite en juin 2019. Il a été reconnu comme étant atteint d’une maladie grave le 18 juin 2020 et il est décédé le [confidentiel].
4 Le 22 mars 2021, B a donné procuration à sa fille pour gérer ses relations avec le régime d’assurance maladie commun aux institutions des Communautés européennes (RCAM). Celle-ci a contacté le même jour, par courrier électronique, les services du Parlement afin de les informer de l’état de santé de son père, du remariage de ses parents et de l’existence de leurs quatre enfants. Elle a également posé des questions concernant les droits de sa mère à une pension de survie.
5 Le 25 mars 2021, la fille du couple a communiqué par courrier électronique des informations supplémentaires concernant ses parents aux services du Parlement. Elle a également mentionné que le décès de son père était imminent et que l’un des enfants de ses parents était handicapé. Elle a réitéré sa question concernant les droits de sa mère à une pension de survie.
6 Le 29 mars 2021, les services du Parlement ont envoyé des documents à remplir à la fille du couple afin de mettre à jour le dossier de son père. La fille du couple a répondu que son père était décédé deux jours plus tôt et a posé des questions quant aux démarches à suivre.
7 Le 30 mars 2021, les services du Parlement ont répondu à la fille du couple et ont demandé que la requérante remplisse le formulaire envoyé la veille. Le même jour, la fille du couple a envoyé aux services du Parlement les documents complétés ainsi que des pièces justificatives.
8 Le même jour, les services du Parlement ont accusé réception des documents remplis et ont envoyé à la fille du couple les documents à remplir pour introduire la demande visant à ce que son frère atteint d’un handicap obtienne une pension d’orphelin. Toujours le même jour, la fille du couple a envoyé aux services du Parlement l’un de ces documents dûment complété et les a informés que l’attestation médicale serait également bientôt transférée.
9 Le 9 avril 2021, le Parlement a informé par courrier électronique la fille du couple que la pension d’orphelin ne pouvait pas être octroyée à son frère handicapé au motif que la demande n’avait pas été reçue avant le décès de B.
10 Le 15 avril 2021, la fille du couple a envoyé un courrier électronique aux services du Parlement, par lequel elle prenait acte de leur réponse concernant la pension d’orphelin de son frère, leur rappelait que ce dernier était atteint d’un handicap depuis cinq ans et leur adressait des documents remplis par leur médecin de famille. Elle leur posait également des questions quant au remboursement des frais médicaux de son frère et de la requérante. Le même jour, les services du Parlement ont répondu
que le remboursement des frais médicaux du fils du couple atteint d’un handicap n’était pas possible, puisque ce dernier n’était pas un enfant à charge au moment du décès de B. Toujours le même jour, la fille du couple a envoyé par courrier électronique une réponse aux services du Parlement en donnant des informations complémentaires concernant la situation de sa famille.
11 Le 5 mai 2021, le chef de l’unité des pensions et assurances sociales du Parlement a informé la requérante de sa décision de lui octroyer une indemnité de décès, au titre de l’article 70 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »).
12 Le 7 juin 2021, les services du Parlement ont informé la requérante par la décision attaquée que, d’une part, conformément aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut, il n’était pas possible de lui octroyer une pension de survie et que, d’autre part, puisqu’au moment du décès de B il n’y avait pas d’enfants à charge reconnus par l’unité des droits individuels du Parlement, le fils du couple atteint d’un handicap n’avait pas non plus droit à une pension d’orphelin.
13 Le 10 août 2021, la requérante a introduit une réclamation auprès du Parlement, par laquelle elle demandait, d’une part, l’annulation de la décision attaquée et, d’autre part, l’octroi d’une pension de survie à elle-même ainsi que d’une pension d’orphelin à son fils.
14 Par décision du 10 janvier 2022, le Parlement a rejeté la réclamation de la requérante (ci-après, la « décision de rejet de la réclamation »). Dans cette décision, le Parlement, en faisant référence au libellé de l’article 80 du statut, a précisé qu’un enfant ne pouvait pas être reconnu comme étant un enfant à charge au titre de l’article 2, paragraphe 5, de l’annexe VII du statut sans qu’une demande à cet effet ait été présentée à l’administration et sans que celle-ci ait vérifié le respect des
conditions qui y étaient afférentes.
Conclusions des parties
15 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– annuler, pour autant que de besoin, la décision de rejet de la réclamation ;
– lui reconnaître le droit de bénéficier d’une pension de survie et reconnaître à son fils, A, le droit de bénéficier d’une pension d’orphelin ;
– condamner le Parlement aux dépens.
16 Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
[omissis]
Sur les conclusions en annulation
22 À l’appui de ses conclusions en annulation, la requérante soulève six moyens visant à établir l’illégalité de la décision attaquée, tirés, en substance :
– le premier, concernant sa pension de survie, d’une exception d’illégalité des articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut ;
– le deuxième, concernant sa pension de survie, d’une erreur dans l’application des articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut ;
– le troisième, concernant sa pension de survie, d’une erreur manifeste d’appréciation concernant sa situation particulière ;
– le quatrième, concernant la pension d’orphelin de son fils, d’une exception d’illégalité de l’article 2 de l’annexe VII du statut ;
– le cinquième, concernant la pension d’orphelin de son fils, d’une erreur de droit dans l’application de l’article 2 de l’annexe VII du statut ;
– le sixième, concernant la pension d’orphelin de son fils et invoqué à titre subsidiaire, de la violation du devoir de sollicitude par le Parlement.
[omissis]
Sur le cinquième moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’application de l’article 2 de l’annexe VII du statut
[omissis]
– Sur le bien-fondé du cinquième moyen
79 La requérante soutient que le Parlement a commis une erreur dans l’application de l’article 2 de l’annexe VII du statut lorsqu’il a justifié son refus d’octroyer une pension d’orphelin à son fils au motif que, au moment du décès de son époux, il n’était pas reconnu comme étant un enfant à la charge de ce dernier.
80 En effet, selon la requérante, son fils se trouve dans la situation prévue par l’article 2, paragraphe 5, de l’annexe VII du statut, à savoir celle d’un enfant atteint d’une infirmité qui l’empêche de subvenir à ses besoins, et ce pour toute la durée de l’infirmité. Ainsi, les exigences de l’article 2, paragraphe 3, sous b), de l’annexe VII du statut ne s’appliqueraient pas, car un enfant atteint d’un handicap bénéficierait d’une allocation d’office. Le Parlement aurait en outre indûment exigé
que la reconnaissance de l’enfant atteint d’un handicap soit effectuée avant le décès de son parent fonctionnaire, alors que cet enfant avait été déclaré aux services du Parlement avant ce décès. Les services du Parlement n’auraient demandé des documents supplémentaires que deux jours après le décès du fonctionnaire, alors qu’une réponse immédiate de la part du Parlement aux questions de la fille du fonctionnaire défunt aurait pu permettre de procéder aux formalités administratives avant ce
décès.
81 Le Parlement rétorque que, pour bénéficier d’une pension d’orphelin, l’enfant doit être « reconnu » comme étant à charge au moment du décès du fonctionnaire conformément à l’article 80 du statut. En l’espèce, le fonctionnaire n’aurait jamais entrepris les démarches concernant une allocation pour son enfant majeur atteint d’un handicap. Or, il ressortirait de l’économie et de la finalité de l’article 2, paragraphe 5, de l’annexe VII du statut que l’octroi de cette allocation est décidé à la suite
d’une demande par laquelle le fonctionnaire porte à la connaissance de l’administration la situation de son enfant, que l’AIPN va ensuite vérifier. Une simple information relative à l’existence d’un enfant atteint d’un handicap, sans documents probants, figurant dans un courrier électronique adressé à l’administration par la fille de l’ancien fonctionnaire, dont la procuration se limitait à la gestion des affaires liées au RCAM, ne suffirait pas pour considérer que l’enfant doit être reconnu
comme étant à charge.
82 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 80, premier alinéa, du statut prévoit que lorsqu’un fonctionnaire est décédé sans laisser de conjoint ayant droit à une pension de survie, « les enfants reconnus à sa charge au sens de l’article 2 de l’annexe VII [du statut] au moment du décès ont droit à une pension d’orphelin […] ».
83 D’emblée, il convient de constater que les différentes versions linguistiques de l’article 80, premier alinéa, du statut présentent des divergences. En effet, tandis que seules les versions française, italienne et roumaine de cette disposition utilisent la formulation « enfants reconnus à […] charge », les autres versions linguistiques n’utilisent pas le terme « reconnus ». Ainsi, à titre d’exemple, la version allemande se réfère aux « unterhaltsberechtigte Kinder », la version anglaise aux
« children dependent on the deceased », la version finnoise aux « virkamiehen huollettavina olevat lapset » et la version portugaise aux « filhos que sejam considerados como estando a seu cargo ».
84 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un caractère prioritaire au regard des autres versions linguistiques. Les dispositions du droit de l’Union doivent, en effet, être interprétées et appliquées de manière uniforme, à la lumière des versions établies dans toutes les langues de l’Union. En cas de
disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte du droit de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction du contexte et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir arrêt du 12 septembre 2019, A e.a., C‑347/17, EU:C:2019:720, point 38 et jurisprudence citée ; arrêt du 16 janvier 2018, SE/Conseil, T‑231/17, non publié, EU:T:2018:3, point 34).
85 Ainsi, l’article 80, premier alinéa, du statut doit être interprété en tenant compte à la fois de la finalité de cette disposition et du contexte dans lequel elle s’insère.
86 S’agissant de la définition des bénéficiaires d’une pension d’orphelin, à savoir les enfants à la charge du fonctionnaire défunt, l’article 80, premier alinéa, du statut renvoie à l’article 2 de l’annexe VII du statut dans son ensemble, et non au seul paragraphe 2 dudit article, où la notion d’« enfant à charge » est définie. Dès lors, pour des raisons de cohérence de la réglementation statutaire, il y a lieu de se référer à l’ensemble des dispositions pertinentes de l’article 2 de l’annexe VII
du statut pour définir la notion d’« enfant à charge » (arrêt du 20 janvier 2009, Klein/Commission, F‑32/08, EU:F:2009:3, point 39).
87 Certes, il est vrai que l’article 2, paragraphe 5, de l’annexe VII du statut se réfère expressément à l’allocation pour enfant à charge, tandis que le paragraphe 2 de cet article est libellé en des termes plus généraux. Il n’en demeure pas moins que les critères prévus à l’article 2, paragraphe 5, de l’annexe VII sont justifiés en ce qui concerne non seulement l’octroi de l’allocation pour enfant à charge, mais aussi l’octroi de la pension d’orphelin. En effet, à partir d’un certain âge, les
enfants doivent pouvoir subvenir seuls à leurs besoins et ne doivent pas constituer une charge pour le budget de l’Union, ce qui vaut également pour les prestations pécuniaires prévues à l’article 80 du statut (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2009, Klein/Commission, F‑32/08, EU:F:2009:3, point 40).
88 L’article 2, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut définit la notion d’« enfant à charge » en expliquant qu’il s’agit de « l’enfant légitime, naturel ou adoptif du fonctionnaire ou de son conjoint, lorsqu’il est effectivement entretenu par le fonctionnaire ». Le paragraphe 3, sous a), de cet article prévoit que l’allocation pour enfant à charge est octroyée d’office pour les enfants n’ayant pas encore atteint l’âge de 18 ans, tandis que le paragraphe 5 du même article concerne plus précisément
la situation des enfants majeurs atteints d’un handicap et prévoit que « la prorogation du versement de l’allocation est acquise sans aucune limitation d’âge si l’enfant se trouve atteint d’une maladie grave ou d’une infirmité qui l’empêche de subvenir à ses besoins, et pour toute la durée de cette maladie ou infirmité ».
89 En outre, pour l’application de l’article 2, paragraphe 5, de l’annexe VII du statut, il incombe à l’AIPN de déterminer, dans chaque cas particulier et en tenant compte de toutes les circonstances du cas d’espèce, s’il est question d’une maladie grave ou d’une infirmité qui empêche l’enfant concerné de subvenir à ses besoins (arrêt du 21 octobre 2003, Birkhoff/Commission, T‑302/01, EU:T:2003:276, point 40).
90 À cet égard, le terme « prorogation » utilisé à l’article 2, paragraphe 5, de l’annexe VII du statut ne signifie pas que le législateur a souhaité maintenir le bénéfice d’une allocation pour un enfant atteint d’un handicap lorsqu’il devient majeur sans pour autant inclure la situation où un enfant est atteint d’un handicap après être devenu majeur. En effet, il ressort de la jurisprudence que, si cette disposition couvre manifestement le cas de figure où les versements effectués en vertu du
paragraphe 3 et ceux effectués en vertu du paragraphe 5 s’enchaînent sans interruption dans le temps, il n’est pas exclu que le versement de l’allocation en cause puisse être interrompu (arrêt du 30 novembre 1994, Dornonville de la Cour/Commission, T‑498/93, EU:T:1994:278, point 33).
91 Il convient d’ajouter que l’enfant à charge, au sens de l’article 2, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut, qu’il s’agisse de l’enfant légitime, naturel ou adoptif du fonctionnaire ou de son conjoint, ouvre droit au versement de l’allocation pour enfant à charge dans la mesure où il est effectivement entretenu par le fonctionnaire et remplit, en outre, l’une des conditions énumérées aux paragraphes 3 et 5 dudit article. Il doit, ainsi, soit être âgé de moins de 18 ans, soit être âgé de 18 à 26
ans et recevoir une formation scolaire ou professionnelle, soit être atteint d’une maladie grave ou d’une infirmité l’empêchant de subvenir à ses besoins. Dans chacun de ces trois cas, le statut n’attribue à l’AIPN aucun pouvoir discrétionnaire pour octroyer ou non le bénéfice de la pension d’orphelin en cause, mais lui confère une compétence liée, en ce sens que celle-ci est tenue d’octroyer cette pension dès lors qu’elle constate que les conditions sont remplies et de ne pas l’octroyer dans le
cas contraire (voir, par analogie, arrêts du 21 octobre 2003, Birkhoff/Commission, T‑302/01, EU:T:2003:276, point 38, et du 17 novembre 2021, KR/Commission, T‑408/20, non publié, EU:T:2021:788, point 23).
92 Ainsi, il ressort d’une lecture combinée des dispositions de l’article 80, premier alinéa, du statut et de l’article 2 de l’annexe VII du statut que le droit à une pension d’orphelin dans un cas tel que celui du fils de la requérante est subordonné à la satisfaction de trois conditions. Les deux premières conditions sont d’ordre matériel, en ce sens que le fils de la requérante doit être atteint d’une maladie grave ou d’une infirmité l’empêchant de subvenir à ses besoins et avoir été
effectivement entretenu par le fonctionnaire défunt. La troisième condition est d’ordre temporel, en ce sens que le fils de la requérante doit avoir été à la charge du fonctionnaire défunt au moment du décès de ce dernier.
93 Les arguments du Parlement, selon lesquels il conviendrait d’ajouter une condition supplémentaire, liée à la date de la décision de reconnaissance de la qualité d’enfant à charge, ne trouvent pas de fondement dans l’article 80 du statut, lu conjointement avec l’article 2 de l’annexe VII du statut, compte tenu du contexte dans lequel s’insèrent ces dispositions et de leur finalité.
94 Tout d’abord, il convient de relever que l’article 80, troisième alinéa, du statut prévoit que, lorsque le fonctionnaire ou le titulaire d’une pension d’ancienneté est décédé, sans que les conditions prévues au premier alinéa de cet article se trouvent réunies, les enfants reconnus à sa charge, au sens de l’article 2 de l’annexe VII du statut, ont droit à une pension d’orphelin dans les conditions visées à l’article 21 de l’annexe VIII du statut. Cette disposition, qui porte sur le même droit à
une pension d’orphelin, ne fait pas référence à une condition procédurale tenant à l’existence d’une décision de reconnaissance qui aurait dû être adoptée avant le décès du fonctionnaire.
95 De même, l’article 37 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne, qui prévoit un mécanisme similaire de versement d’une pension d’orphelin pour les enfants à la charge d’agents de l’Union, n’impose aucune condition relative à la date de la reconnaissance de la qualité d’enfant à charge. Au contraire, l’article 37, premier alinéa, du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne ouvre le doit à une allocation d’orphelin aux enfants « considérés comme étant à [l]a
charge [de l’agent ou du titulaire d’une pension d’ancienneté ou d’une allocation d'invalidité] au moment du décès [de ce dernier] » dans les conditions fixées à l’article 80 du statut.
96 Certes, ainsi que le fait valoir le Parlement, l’allocation pour enfant à charge est octroyée d’office dans le cas d’un enfant âgé de moins de 18 ans, mais, dans les autres cas, elle est octroyée sur demande du fonctionnaire intéressé (arrêt du 14 décembre 1990, Brems/Conseil, T‑75/89, EU:T:1990:88, point 23). Toutefois, cette demande a pour seule fonction de permettre à l’AIPN de vérifier si les conditions matérielles et temporelles visées au point 92 ci-dessus sont remplies et d’octroyer, si
tel est le cas, une allocation d’enfant à charge. L’exigence selon laquelle la reconnaissance par les services du Parlement aurait dû intervenir avant le décès, qui n’est pas imposée par ces dispositions, constitue une condition supplémentaire qui ne saurait être suivie à cet effet.
97 Par ailleurs, lesdites dispositions ne prévoient pas que la demande revête une forme particulière ni qu’elle soit accompagnée de pièces justificatives. Ainsi, à titre d’exemple, il ressort des faits de l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 30 novembre 1994, Dornonville de la Cour/Commission (T‑498/93, EU:T:1994:278), que l’allocation pour enfant à charge a été octroyée à la requérante dans cette affaire rétroactivement, à partir du moment où la requérante avait été invitée à envoyer des pièces
justificatives.
98 Ensuite, il a été jugé que l’allocation pour enfant à charge répondait à un objectif social justifié par les frais découlant d’une nécessité actuelle et certaine, liée à l’existence de l’enfant et à son entretien effectif (voir arrêt du 7 mai 1992, Conseil/Brems, C‑70/91 P, EU:C:1992:201, point 9 et jurisprudence citée). L’octroi d’une pension d’orphelin aux enfants à la charge d’un fonctionnaire décédé poursuit un objectif similaire. Or, un tel objectif ne serait pas rempli si l’AIPN pouvait
refuser d’octroyer une pension d’orphelin pour des motifs étrangers à la situation de l’enfant ainsi qu’aux conditions matérielles et à la condition temporelle telles que rappelées au point 92 ci-dessus.
99 S’il est vrai que les dispositions du droit de l’Union qui ouvrent droit à des prestations financières doivent être interprétées strictement (arrêt du 30 novembre 1994, Dornonville de la Cour/Commission, T‑498/93, EU:T:1994:278, point 39), il résulte des considérations qui précèdent que seule une application combinée des dispositions de l’article 80 du statut et de l’article 2 de l’annexe VII du statut, laquelle tient compte de l’économie générale de la réglementation concernant la pension
d’orphelin ainsi que de la situation particulière dans laquelle se trouve la personne concernée, à savoir l’enfant atteint d’une maladie grave ou d’une infirmité, est conforme à l’objectif social poursuivi par le versement d’une pension d’orphelin en faveur d’un tel enfant, qui est empêché de subvenir à ses besoins (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 30 novembre 1994, Dornonville de la Cour/Commission, T‑498/93, EU:T:1994:278, point 39, et du 29 novembre 2011, Birkhoff/Commission,
T‑10/11 P, EU:T:2011:699, point 50).
100 Partant, l’expression « au moment du décès » utilisée à l’article 80, premier alinéa, du statut doit être comprise comme se rapportant à la date à laquelle il convient de se placer pour apprécier si l’enfant du fonctionnaire défunt remplit les conditions de l’article 2 de l’annexe VII du statut, et non à la date à laquelle une décision à cet égard doit avoir été prise par l’AIPN. Cela signifie que, pour autant que les conditions matérielles d’enfant à charge étaient remplies avant le décès du
fonctionnaire, il n’est pas nécessaire que les démarches administratives afin de bénéficier d’une allocation d’enfant à charge soient accomplies avant le décès.
101 Il résulte de tout ce qui précède que, en refusant d’octroyer une pension d’orphelin au fils de la requérante au motif que, au moment du décès de B, il n’avait pas encore été reconnu comme étant un enfant à la charge de ce dernier par l’unité des droits individuels, le Parlement a procédé à une application erronée de l’article 80 du statut, lu conjointement avec l’article 2, de l’annexe VII du statut.
102 Dès lors, le cinquième moyen doit être accueilli. Partant, dans la mesure où le refus d’octroi d’une pension d’orphelin se fonde sur un unique motif et qu’il résulte de ce qui précède que ce motif n’est pas fondé, la décision attaquée doit être annulée en ce qui concerne le refus d’octroyer une pension d’orphelin au fils de la requérante, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les quatrième et sixième moyens également dirigés contre le refus d’octroi d’une pension d’orphelin.
– Conclusion sur la demande d’annulation
[omissis]
104 En revanche, la décision attaquée doit être annulée en ce qui concerne le refus d’octroyer une pension d’orphelin au fils de la requérante, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les quatrième et sixième moyens.
Sur les conclusions visant à reconnaître le droit de la requérante de bénéficier d’une pension de survie et le droit de son fils de bénéficier d’une pension d’orphelin
105 La requérante demande au Tribunal de reconnaître son droit de bénéficier d’une pension de survie et le droit de son fils de bénéficier d’une pension d’orphelin. Elle demande également au Tribunal d’octroyer à son fils ladite pension.
106 L’article 91, paragraphe 1, seconde phrase, du statut confère au juge de l’Union, dans les litiges de caractère pécuniaire, une compétence de pleine juridiction et l’investit de la mission, notamment, de donner une solution complète aux litiges dont il est saisi et de garantir l’efficacité pratique des arrêts d’annulation qu’il prononce dans les affaires de fonction publique (voir arrêt du 20 mai 2010, Gogos/Commission, C‑583/08 P, EU:C:2010:287, points 49 et 50 et jurisprudence citée).
107 Lorsqu’il exerce sa compétence de pleine juridiction, le juge de l’Union n’adresse pas d’injonctions aux institutions ou aux organismes concernés, mais dispose, le cas échéant, de la compétence pour se substituer à eux afin de prendre les décisions qu’impliquent nécessairement les conclusions auxquelles il parvient au terme de son appréciation juridique du litige (arrêt du 24 novembre 2021, KL/BEI, T‑370/20, EU:T:2021:822, point 113).
108 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, constituent des « litiges à caractère pécuniaire » au sens de l’article 91, paragraphe 1, seconde phrase, du statut, non seulement les actions en responsabilité dirigées par les agents contre une institution ou un organisme de l’Union, mais aussi tous les litiges qui tendent au versement par une telle institution ou un tel organisme à des ayants droit d’une somme qu’ils estiment leur être due en vertu du statut (voir, en ce sens, arrêts du
18 décembre 2007, Weißenfels/Parlement, C‑135/06 P, EU:C:2007:812, point 65, et du 20 mai 2010, Gogos/Commission, C‑583/08 P, EU:C:2010:287, point 45).
109 Il s’ensuit que le présent litige, qui concerne le versement d’une pension de survie et d’une pension d’orphelin, est un litige à caractère pécuniaire.
[omissis]
111 S’agissant de l’octroi de la pension d’orphelin, l’annulation partielle de la décision attaquée implique que le Parlement adopte, sur le fondement de l’article 266 TFUE, une nouvelle décision en ce qui concerne l’octroi d’une pension d’orphelin au fils de la requérante. Il appartiendra ainsi à l’AIPN, au regard des motifs du présent arrêt, d’examiner à nouveau la situation du fils de la requérante aux fins de la vérification du respect des conditions énoncées au point 92 ci-dessus. Dès lors, il
ne saurait être conclu dès à présent, alors qu’il appartiendra à l’AIPN de procéder à cet examen, que le fils de la requérante a le droit de bénéficier d’une pension d’orphelin (arrêt du 28 septembre 2011, Allen/Commission, F‑23/10, EU:F:2011:162, point 117 ; voir également, a contrario, arrêt du 24 novembre 2021, KL/BEI, T‑370/20, EU:T:2021:822, point 121).
112 Partant, la demande de la requérante visant à faire reconnaître le droit de son fils de bénéficier d’une pension d’orphelin et à obtenir l’octroi de ladite pension doit être rejetée comme prématurée.
Sur les dépens
113 Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, en vertu de l’article 135, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte, outre ses propres dépens, uniquement une fraction des dépens de l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.
114 En l’espèce, le Parlement et la requérante ont respectivement succombé sur une partie des chefs de conclusions. Compte tenu des circonstances de l’espèce, il y a lieu de condamner le Parlement à supporter, outre ses propres dépens, les dépens de la requérante.
115 Le Conseil supportera ses propres dépens conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête :
1) La décision du Parlement européen du 7 juin 2021 est annulée pour autant qu’elle refuse d’octroyer à A une pension d’orphelin.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Le Parlement est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par OP.
4) Le Conseil de l’Union européenne supportera ses propres dépens.
da Silva Passos
Reine
Pynnä
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 juin 2023.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le français.
( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.
( 2 ) Données confidentielles occultées