ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)
21 juin 2023 ( *1 )
« Recours en annulation – Environnement – Règlement délégué (UE) 2022/1214 – Taxonomie – Activités économiques liées au gaz fossile et à l’énergie nucléaire – Inclusion dans les activités économiques durables – Membre du Parlement – Défaut d’affectation directe – Irrecevabilité »
Dans l’affaire T‑628/22,
René Repasi, demeurant à Karlsruhe (Allemagne), représenté par Mes H.-G. Kamann, D. Fouquet, avocats, MM. F. Kainer et M. Nettesheim, professeurs,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. F. Erlbacher, A. Nijenhuis et G. von Rintelen, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (sixième chambre),
composé de Mme M. J. Costeira, présidente, M. P. Zilgalvis (rapporteur) et Mme E. Tichy‑Fisslberger, juges,
greffier : M. V. Di Bucci,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. René Repasi, demande l’annulation du règlement délégué (UE) 2022/1214 de la Commission, du 9 mars 2022, modifiant le règlement délégué (UE) 2021/2139 en ce qui concerne les activités économiques exercées dans certains secteurs de l’énergie et le règlement délégué (UE) 2021/2178 en ce qui concerne les informations à publier spécifiquement pour ces activités économiques (JO 2022, L 188, p. 1, ci-après le « règlement attaqué »).
Antécédents du litige
2 Le 18 juin 2020, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté le règlement (UE) 2020/852, sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088 (JO 2020, L 198, p. 13), qui établit les critères permettant de déterminer si une activité économique est considérée comme durable sur le plan environnemental, aux fins de la détermination du degré de durabilité environnementale d’un investissement.
3 L’article 3 du règlement 2020/852 définit des critères de durabilité environnementale des activités économiques à la lumière de six objectifs environnementaux définis à l’article 9 de ce règlement.
4 L’article 4 du règlement 2020/852 prévoit que les États membres et l’Union européenne appliquent les critères énoncés à l’article 3 dudit règlement afin de déterminer si une activité économique est considérée comme étant durable sur le plan environnemental aux fins de toute mesure fixant des exigences applicables aux acteurs des marchés financiers ou aux émetteurs des exigences en ce qui concerne les produits financiers ou les obligations d’entreprise qui sont mis à disposition comme étant
durables sur le plan environnemental.
5 En vertu de l’article 9 du règlement 2020/852, l’atténuation du changement climatique, l’adaptation à ce changement, l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines, la transition vers une économie circulaire, la prévention et la réduction de la pollution, ainsi que la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes constituent des objectifs environnementaux.
6 En outre, aux termes du considérant 41 du règlement 2020/852 :
« En plus de l’utilisation d’énergies sans incidence sur le climat et d’une augmentation des investissements dans des activités économiques et des secteurs qui sont déjà sobres en carbone, la transition nécessite des réductions significatives des émissions de gaz à effet de serre dans d’autres activités économiques et secteurs pour lesquels il n’existe pas de solutions de remplacement sobres en carbone qui soient réalisables sur le plan technologique et économique. Ces activités économiques
transitoires devraient être considérées comme contribuant de manière substantielle à l’atténuation du changement climatique si leurs émissions de gaz à effet de serre sont nettement inférieures à la moyenne du secteur ou de l’industrie, si elles n’entravent pas le développement et le déploiement de solutions de remplacement sobres en carbone et si elles n’entraînent pas un verrouillage des actifs incompatible avec l’objectif de neutralité climatique, compte tenu de la durée de vie économique de
ces actifs. Les critères d’examen technique applicables à ces activités économiques transitoires devraient garantir que ces activités de transition ont une trajectoire crédible menant à la neutralité climatique et ils devraient être ajustés en conséquence à intervalles réguliers. »
7 En ce qui concerne ces activités économiques transitoires, l’article 10, paragraphe 3, du règlement 2020/852 prévoit que la Commission européenne adopte un acte délégué conformément à l’article 23 de ce règlement, d’une part, pour établir des critères d’examen technique afin de déterminer les conditions dans lesquelles une activité économique donnée est considérée comme contribuant de manière substantielle à l’atténuation du changement climatique et, d’autre part, pour établir, pour chaque
objectif environnemental pertinent, des critères d’examen technique afin de déterminer si une activité économique pour laquelle des critères d’examen technique ont été établis cause un préjudice important à un ou plusieurs de ces objectifs.
8 Le 4 juin 2021, la Commission a adopté le règlement délégué (UE) 2021/2139, complétant le règlement 2020/852 par les critères d’examen technique permettant de déterminer à quelles conditions une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l’atténuation du changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci et si cette activité économique ne cause de préjudice important à aucun des autres objectifs environnementaux (JO 2021, L 442, p. 1).
9 Le règlement 2021/2139 établit des critères d’examen technique qui couvrent plusieurs secteurs et activités économiques susceptibles de contribuer aux objectifs d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à celui-ci. Il prévoit, pour chacune de ces activités, des critères d’examen technique, quantitatifs ou qualitatifs, qui permettent de déterminer si l’activité classée contribue de manière substantielle aux objectifs d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à ce dernier
et si elle ne cause pas de préjudice important aux autres objectifs prévus par le règlement 2020/852.
10 Le 9 mars 2022, la Commission a adopté le règlement attaqué, qui a notamment pour objet d’établir des critères d’examen technique pour inclure certaines activités des secteurs de l’énergie nucléaire et du gaz dans le domaine des activités transitoires au sens de l’article 10, paragraphe 2, du règlement 2020/852.
11 Le requérant est député au Parlement européen.
Conclusions des parties
12 Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler le règlement attaqué ;
– condamner la Commission aux dépens.
13 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– déclarer le recours irrecevable ;
– condamner le requérant aux dépens.
14 Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, le requérant conclut au rejet de l’exception d’irrecevabilité.
En droit
15 Aux termes de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’exception d’irrecevabilité sans engager le débat au fond. En application de l’article 130, paragraphe 6, dudit règlement, le Tribunal peut décider d’ouvrir la phase orale de la procédure sur cette demande.
16 En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la phase orale de la procédure.
17 La Commission soutient que le requérant n’est pas directement concerné par le règlement attaqué.
18 La Commission fait valoir, en substance, que reconnaître un droit de recours au requérant serait contraire à l’équilibre institutionnel, au principe démocratique de l’adoption des décisions à la majorité et à l’exclusion des actio popularis.
19 La Commission ajoute que le principe du droit à une protection juridictionnelle effective et le respect des traditions constitutionnelles communes des États membres ne sauraient être invoqués au soutien de la reconnaissance d’un droit de recours du requérant pour faire valoir la violation de prérogatives du Parlement.
20 Le requérant soutient, en substance, que le statut juridique de membre du Parlement lui confère, en vertu du droit de l’Union et du principe de démocratie représentative, des droits de vote et d’initiative, un droit à participer à une procédure législative régulière, des droits procéduraux au respect des dispositions en matière de compétence et de procédure, ainsi qu’un droit à défendre les attributions démocratiques du Parlement.
21 Le requérant souligne que la reconnaissance de sa qualité pour agir en tant que député aboutirait, contrairement à ce qu’affirme la Commission, à protéger l’équilibre institutionnel en assurant un droit au recours pour contrôler que le choix de la procédure d’adoption d’un acte n’est pas contraire aux droits des députés, sans pour autant admettre une actio popularis.
22 Le requérant fait ainsi valoir, en substance, que, en adoptant le règlement attaqué, la Commission a outrepassé le pouvoir d’adopter des actes délégués qui lui a été conféré en vertu de l’article 290 TFUE, de sorte que le règlement attaqué a porté atteinte à la compétence législative du Parlement et, partant, aux droits du requérant en tant que membre du Parlement. Il en déduit qu’il doit être considéré comme directement et individuellement affecté par le règlement attaqué.
23 À cet égard, il convient de rappeler que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire
un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (arrêts du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 19, et du 13 mars 2018, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C‑244/16 P, EU:C:2018:177, point 39).
24 La condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par l’acte faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert que deux critères soient cumulativement réunis, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère
purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir, en ce sens, arrêts du 5 mai 1998, Glencore Grain/Commission, C‑404/96 P, EU:C:1998:196, point 41, et du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 42).
25 Il y a également lieu de rappeler, que, conformément à l’article 289 TFUE, la procédure législative ordinaire consiste en l’adoption d’un règlement, d’une directive ou d’une décision conjointement par le Parlement et le Conseil, sur proposition de la Commission (voir arrêt du 14 avril 2015, Conseil/Commission, C‑409/13, EU:C:2015:217, point 69).
26 En outre, il ressort de l’article 290, paragraphe 1, TFUE qu’un acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l’acte législatif. Conformément au second alinéa de cette disposition, les objectifs, le contenu, la portée ainsi que la durée de la délégation de pouvoir doivent être explicitement délimités par l’acte législatif conférant une telle délégation. Cette exigence
implique que l’attribution d’un pouvoir délégué vise l’adoption de règles qui s’insèrent dans le cadre réglementaire tel que défini par l’acte législatif de base (arrêt du 17 mars 2016, Parlement/Commission, C‑286/14, EU:C:2016:183, point 30).
27 La possibilité de déléguer des pouvoirs prévue à l’article 290 TFUE vise à permettre au législateur de se concentrer sur les éléments essentiels d’une législation ainsi que sur les éléments non essentiels sur lesquels il estime opportun de légiférer tout en confiant à la Commission la tâche de « compléter » certains éléments non essentiels de l’acte législatif adopté ou encore de « modifier » de tels éléments dans le cadre d’une délégation conférée à celle-ci (arrêt du 17 mars 2016,
Parlement/Commission, C‑286/14, EU:C:2016:183, point 54).
28 Il s’ensuit que les règles essentielles de la matière concernée doivent être arrêtées dans la réglementation de base et ne peuvent faire l’objet d’une délégation (voir, en ce sens, arrêts du 5 septembre 2012, Parlement/Conseil, C‑355/10, EU:C:2012:516, point 64, et du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil, C‑363/14, EU:C:2015:579, point 46).
29 Par ailleurs, un pouvoir délégué doit respecter, en toute hypothèse, les éléments essentiels de l’acte d’habilitation et s’insérer dans le cadre réglementaire tel qu’il est défini par l’acte législatif de base (arrêt du 11 mai 2017, Dyson/Commission, C‑44/16 P, EU:C:2017:357, point 53).
30 À cet égard, il importe de rappeler qu’il ressort, certes, de la jurisprudence, qu’un acte du Parlement qui affecte les conditions d’exercice des fonctions parlementaires de ses membres est un acte qui affecte directement leur situation juridique (voir, en ce sens, arrêts 29 juin 2004, Front national/Parlement, C‑486/01 P, EU:C:2004:394, point 35, et du 2 octobre 2001, Martinez e.a./Parlement, T‑222/99, T‑327/99 et T‑329/99, EU:T:2001:242, points 60 à 65).
31 Toutefois, cette jurisprudence concerne les mesures d’organisation internes du Parlement affectant directement ses membres et n’est pas transposable au cas d’espèce dans lequel les droits invoqués par le requérant, en tant que membre du Parlement, ne pourraient être affectés que de façon indirecte par l’atteinte alléguée à la compétence législative du Parlement.
32 À supposer même que, en adoptant le règlement attaqué, la Commission ait outrepassé le pouvoir d’adopter des actes délégués qui lui a été conféré en vertu de l’article 290 TFUE, les droits du requérant mentionnés au point 20 ci-dessus ne seraient affectés que de façon indirecte par une telle atteinte à la compétence législative du Parlement. En effet, l’ensemble des droits du requérant lié à l’exercice de la compétence législative du Parlement n’a vocation à être exercé que dans le cadre des
procédures internes du Parlement.
33 Contrairement à ce que soutient le requérant, il ne saurait donc être considéré qu’une atteinte aux prérogatives du Parlement affecterait directement la situation juridique de ses membres au sens de la jurisprudence rappelée au point 24 ci-dessus.
34 Le droit à participer à une procédure législative régulière, au respect des dispositions en matière de compétence et de procédure, à défendre les attributions démocratiques du Parlement ainsi que les droits de vote, d’initiative, et de participation en vue d’exercer une influence politique, invoqués par le requérant, ne sauraient donc être considérés comme directement affectés par l’adoption du règlement attaqué.
35 Le principe de démocratie représentative et le principe de l’État de droit, invoqués par le requérant, ne sont pas de nature à remettre en cause cette conclusion. En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, le Parlement dispose d’un droit de recours contre les actes de droit de l’Union de sorte que le respect de ces principes est assuré par le système de voie de recours prévu par les traités.
36 Pour le même motif, l’interprétation du requérant selon laquelle les membres du Parlement devraient être considérés comme directement concernés par les actes affectant des règles de compétences, des dispositions fondamentales de la procédure législative ou des actes constitutifs d’un détournement de pouvoir ne peut être suivie.
37 Enfin, dès lors que les arguments du requérant relatifs à l’équilibre institutionnel ou au droit à la protection juridique de la minorité ne sont pas de nature à démontrer que sa situation juridique est directement affectée par le règlement attaqué, ils doivent également être rejetés.
38 Pour autant que l’argumentation du requérant doive être comprise comme invitant le Tribunal à reconnaître aux membres du Parlement un droit de recours spécifique, indépendamment des conditions de l’article 263 TFUE et destiné à défendre les attributions démocratiques du Parlement et à constituer un instrument d’opposition sur le fond, il suffit de constater que le TFUE ne prévoit pas un tel recours et qu’il n’appartient pas au Tribunal de créer des modalités de recours non prévues par les traités
(voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, EU:C:2002:462, point 45).
39 Le recours est donc irrecevable.
40 Dans ces circonstances, il n’y plus lieu de statuer sur la demande d’intervention présentée par la République française, conformément à l’article 142, paragraphe 2, du règlement de procédure.
Sur les dépens
41 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
42 Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
43 En vertu de l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, la République française supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre)
ordonne :
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) Il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’intervention présentée par la République française.
3) Le requérant supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
4) La République française supportera ses propres dépens.
Fait à Luxembourg, le 21 juin 2023.
Le greffier
V. Di Bucci
La présidente
M. J. Costeira
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.