ORDONNANCE DU TRIBUNAL (dixième chambre)
15 décembre 2023 (*)
« Recours en annulation – Article 42, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) 2017/1939 – Décision de la chambre permanente du Parquet européen de porter l’affaire en jugement – Acte de procédure du Parquet européen – Incompétence »
Dans l’affaire T‑103/23,
Victor-Constantin Stan, demeurant à Bucarest (Roumanie), représenté par M^es A. Şandru et V. Costa Ramos, avocats,
partie requérante,
contre
Parquet européen, représenté par MM. L. De Matteis, F.-R. Radu et E. Farhat, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (dixième chambre),
composé de M^me O. Porchia (rapporteure), présidente, MM. M. Jaeger et P. Nihoul, juges,
greffier : M. V. Di Bucci,
vu la phase écrite de la procédure, notamment :
– la requête déposée au greffe du Tribunal le 23 février 2023,
– l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Parquet européen par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 31 mai 2023,
– les observations du requérant sur l’exception d’irrecevabilité déposées au greffe du Tribunal le 17 juillet 2023,
– les demandes d’intervention du Conseil de l’Union européenne, de la Commission européenne et du Parlement européen déposées au greffe du Tribunal, respectivement, le 3, 14 et 22 juin 2023.
rend la présente
Ordonnance
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Victor‑Constantin Stan, demande l’annulation de la décision de la chambre permanente n^o 4 du Parquet européen du 9 décembre 2022 par laquelle celle-ci a renvoyé l’affaire le concernant en jugement (ci‑après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 Le 22 décembre 2021, la Direcția Națională Anticorupție – Serviciul Teritorial Timişoara (direction nationale anticorruption, service territorial de Timişoara, Roumanie) a enregistré des dénonciations faites par deux personnes en ce qui concerne une possible commission d’infractions pénales.
3 Par décision du 20 janvier 2021, le procureur européen délégué chargé de l’affaire en Roumanie a demandé l’évocation de l’affaire enregistrée auprès de la direction nationale anticorruption, service territorial de Timişoara.
4 Le 27 janvier 2022, le procureur européen délégué chargé de l’affaire en Roumanie a ouvert une enquête. Selon lui, à compter de l’année 2018, plusieurs personnes ont commis des infractions leur permettant d’obtenir illégalement des fonds provenant du budget de l’Union européenne et du budget de l’État roumain.
5 Le 28 juin 2022, à la suite d’une ordonnance du 27 juin 2022 du procureur européen délégué chargé de l’affaire en Roumanie, le requérant a acquis le statut de prévenu pour des faits, commis en qualité de coauteur, d’obtention illégale de fonds roumains, réprimés par l’article 306 du code pénal roumain. Selon le procureur européen délégué chargé de l’affaire en Roumanie, pendant la période allant du 27 décembre 2018 au 31 août 2021, le requérant aurait présenté à l’Agenția pentru
Întreprinderi Mici și Mijlocii, Atragere de Investiții și Promovarea Exportului Timișoara (agence de Timişoara pour les petites et moyennes entreprises, l’attractivité des investissements et la promotion des exportations, Roumanie) des documents faux, inexacts et incomplets concernant des projets déposés par six sociétés en vue d’obtenir des fonds provenant du budget national roumain.
6 Le 9 décembre 2022, la chambre permanente n^o 4 du Parquet européen a pris la décision attaquée, aux termes de laquelle elle a renvoyé l’affaire concernant notamment le requérant en jugement et classé sans suite son volet relatif à des faits de corruption et de falsification ne concernant pas le requérant.
7 Le 19 décembre 2022, le procureur européen délégué chargé de l’affaire en Roumanie a présenté le réquisitoire et le requérant a été jugé devant le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie) pour l’infraction d’obtention illicite de fonds.
Conclusions des parties
8 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ainsi que les actes subséquents ;
– déclarer, le cas échéant, inapplicables les dispositions du règlement intérieur du Parquet européen qui sont contraires au règlement (UE) 2017/1939 du Conseil, du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (JO 2017, L 283, p. 1).
9 Par son exception d’irrecevabilité, le Parquet européen conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme étant irrecevable ;
– condamner le requérant aux dépens.
10 En réponse à l’exception d’irrecevabilité, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Parquet européen ;
– à titre subsidiaire, réserver sa décision jusqu’à ce qu’il statue sur le fond de l’affaire.
En droit
11 En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure du Tribunal, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité du recours ou sur sa compétence sans engager le débat au fond. En l’espèce, le Parquet européen ayant demandé qu’il soit statué sur l’irrecevabilité du recours, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sur cette demande sans poursuivre la procédure.
12 Le Parquet européen soulève trois fins de non-recevoir. Premièrement, il soutient que le Tribunal n’est pas compétent pour statuer sur les conclusions en annulation dirigées contre la décision attaquée au motif que l’article 263 TFUE ne s’applique pas en l’espèce à ses actes de procédure. Deuxièmement, il fait valoir que le requérant n’a pas de qualité pour agir. Troisièmement, il considère que, dans la mesure où le recours au principal est irrecevable, l’exception d’illégalité invoquée par
le requérant, conformément à l’article 277 TFUE, doit être rejetée comme étant irrecevable.
13 En ce qui concerne la première fin de non-recevoir, le Parquet européen fait valoir que le présent recours, introduit au titre de l’article 263 TFUE, est irrecevable au motif que la décision attaquée ne fait l’objet d’un contrôle juridictionnel que dans les conditions prévues à l’article 42 du règlement 2017/1939, lesquelles ne sont pas réunies en l’espèce.
14 À cet égard, le Parquet européen soutient que l’article 263 TFUE ne s’applique pas à ses actes de procédure. En vertu de l’article 86, paragraphe 3, TFUE, l’article 42 du règlement 2017/1939 constituerait une lex specialis par rapport à l’article 263 TFUE. Le cadre du contrôle juridictionnel des actes de procédure du Parquet européen, prévu à cet article 42, reposerait sur plusieurs piliers, lesquels constitueraient ensemble un système garantissant le plein respect des garanties procédurales
consacrées par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »).
15 Le premier pilier serait constitué par l’article 42, paragraphe 1, du règlement 2017/1939, selon lequel le contrôle juridictionnel des actes de procédure du Parquet européen qui sont destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers relève de la compétence de la juridiction nationale compétente conformément aux exigences et aux procédures prévues par le droit national. Selon le Parquet européen, l’attribution de cette compétence aux juridictions nationales est une conséquence
directe et naturelle du fait que les affaires examinées par le Parquet européen sont portées devant la juridiction nationale compétente. Par ailleurs, d’une part, en vertu du cadre juridique existant, seules les juridictions nationales seraient compétentes pour appliquer simultanément le droit national et le droit de l’Union. D’autre part, dans le cadre de ses activités d’enquête et de poursuites, le Parquet européen appliquerait à la fois le droit de l’Union et le droit national. Le fait de confier
le contrôle juridictionnel des actes de procédure du Parquet européen à une juridiction nationale qui est compétente pour appliquer à la fois le droit national et le droit de l’Union constituerait une garantie du droit à un recours effectif des personnes faisant l’objet des enquêtes du Parquet européen. Ainsi, le règlement 2017/1939 permettrait une dérogation partielle aux principes du droit de l’Union concernant la compétence exclusive de la Cour de justice de l’Union européenne pour contrôler les
actes adoptés par les institutions, organes et organismes de l’Union, consacrée, entre autres, par l’arrêt du 19 décembre 2018, Berlusconi et Fininvest (C‑219/17, EU:C:2018:1023), en ce qu’il permet aux juridictions nationales de contrôler les actes du Parquet européen et de les invalider s’ils enfreignent le droit national.
16 Le Parquet européen ajoute que, si l’acte de procédure du Parquet européen faisant l’objet d’un examen par une juridiction nationale est considéré comme contraire à une disposition du droit de l’Union, l’article 42, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1939 impose aux juridictions nationales de demander une décision préjudicielle sur la validité dudit acte, conformément à l’article 267 TFUE. En outre, l’article 42, paragraphe 3, du règlement 2017/1939 établirait une exception à la règle
consacrée au premier paragraphe de cet article, afin de couvrir toute situation résiduelle dans laquelle il pourrait ne pas y avoir de recours au niveau national contre une décision du Parquet européen de classer une affaire sans suite et ne serait applicable que si le contrôle juridictionnel est demandé sur la base du droit de l’Union.
17 En outre, le Parquet européen précise que, dans le cas visé par l’article 42, paragraphe 8, du règlement 2017/1939 relatif aux actes juridiques du Parquet européen qui ne sont pas qualifiés d’actes de procédure destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers, toutes les conditions pour former un recours, conformément à l’article 263 TFUE, doivent être remplies pour que le recours soit recevable.
18 Enfin, le Parquet européen souligne les conséquences, tant sur son fonctionnement que sur celui de la Cour de justice de l’Union européenne, de la recevabilité des recours en annulation dirigés contre ses actes de procédure, autres que ceux prévus à titre d’exception à l’article 42, paragraphe 3, du règlement 2017/1939. D’une part, les enquêtes du Parquet européen seraient retardées, tandis que la Cour de justice de l’Union européenne serait transformée en cour d’appel pénale pour un grand
nombre d’affaires pénales. D’autre part, déclarer recevables lesdits recours en annulation serait contraire aux dispositions de l’article 86 TFUE et du règlement 2017/1939.
19 Le requérant soutient que son recours est recevable. Selon lui, l’approche défendue par le Parquet européen est contraire au droit de l’Union. L’article 42 du règlement 2017/1939 ne satisferait pas aux exigences du droit à un recours effectif et à un procès équitable prévues à l’article 47 de la Charte et porterait atteinte à la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne, régie par l’article 19 TUE, pour assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des
traités de l’Union et le respect de l’autonomie du système juridique de l’Union.
20 En premier lieu, le requérant souligne que le contrôle juridictionnel est un mécanisme qui garantit le respect du droit à un recours effectif et à un procès équitable. Le principe d’effectivité, qui serait étroitement lié au respect du droit à un recours effectif, imposerait que les justiciables aient accès à des recours adéquats et effectifs pour la protection de leurs droits et libertés au titre du droit de l’Union. Cela ne pourrait être réalisé qu’en interprétant l’article 42 du règlement
2017/1939 comme permettant aux personnes physiques d’introduire un recours en annulation contre les décisions du Parquet européen devant la Cour de justice de l’Union européenne. De même, les juridictions nationales n’auraient pas « la compétence ou la capacité de constater qu’une décision de la chambre permanente » du Parquet européen est contraire au droit de l’Union, de sorte que le respect du droit des justiciables à un recours effectif dépendrait de la volonté de ces juridictions de recourir au
mécanisme de renvoi préjudiciel. La compétence des juridictions nationales se limiterait à apprécier si les moyens du requérant font naître suffisamment de doutes quant à la validité de la mesure en cause pour qu’il soit fait droit à une demande de renvoi préjudiciel présentée par le requérant. Les justiciables ne pourraient dès lors recourir à la procédure préjudicielle librement. Le refus, par une juridiction nationale, de faire droit à la demande de renvoi préjudiciel présentée par le prévenu
ferait naître un risque élevé que le droit de l’Union ne soit pas appliqué ou qu’il soit appliqué de manière erronée.
21 Par ailleurs, il existerait des divergences en ce qui concerne « la mesure dans laquelle les juridictions nationales des différents États membres font effectivement usage de la possibilité de saisir la Cour à titre préjudiciel », ce qui pourrait conduire à des situations discriminatoires entre les ressortissants des différents États membres. Selon le requérant, il peut être considéré qu’il n’y a pas de véritable contrôle juridictionnel des actes adoptés par le Parquet européen au cours des
poursuites pénales effectuées par les procureurs européens délégués en Roumanie.
22 Le requérant soutient que l’article 42, paragraphe 1, du règlement 2017/1939 « divise indûment la compétence » de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière aurait rappelé que « le contrôle juridictionnel dans les États membres doit être effectué conformément au droit de l’Union et que [s]a compétence [...] ne saurait être contournée ou écartée par des règles de droit dérivé ». Par ailleurs, selon le requérant, le fait de recourir exclusivement aux juridictions nationales pour
obtenir la protection juridictionnelle du droit de l’Union peut conduire à des interprétations incohérentes et porter atteinte aux principes harmonisés du cadre juridique de l’Union. Selon lui, le fait de soustraire les actes du Parquet européen à la compétence des juridictions de l’Union revient à le priver du recours auquel il aurait droit en vertu de l’article 47 de la Charte.
23 En deuxième lieu, le requérant fait valoir que la référence à l’exercice de poursuites pénales devant les juridictions nationales faite à l’article 86, paragraphe 2, TFUE est une exception, dont bénéficie le Parquet européen, qui ne concerne que le stade du jugement, mais qui ne peut recevoir une interprétation large et ne saurait être perçue comme ayant une portée telle qu’elle ferait obstacle à la compétence spécifique attribuée aux juridictions de l’Union. Le requérant ajoute qu’il
ressort de l’interprétation littérale et téléologique de l’article 86, paragraphe 3, TFUE que cette disposition ne prévoit pas expressément la possibilité de déroger à la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de contrôle juridictionnel des actes établis par le Parquet européen et implicitement celle de restreindre cette compétence. L’article 42 du règlement 2017/1939 devrait être interprété en liaison et en combinaison avec les autres règles et principes de l’Union en
matière juridictionnelle qui prennent en compte le droit à un recours effectif et à un procès équitable.
24 En troisième lieu, le requérant soutient que les conditions de recevabilité du recours en annulation, prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, sont remplies en l’espèce. En effet, premièrement, la décision attaquée, par sa nature même, aurait un effet direct sur la situation juridique du requérant, deuxièmement, ladite décision concernerait directement le requérant et affecterait concrètement sa situation juridique, troisièmement, le requérant aurait un intérêt légitime à voir cette
décision annulée et, quatrièmement, le délai de deux mois pour introduire le recours à l’encontre de la décision attaquée aurait été respecté.
25 À titre liminaire, il convient de rappeler que le mécanisme prévu par le législateur pour assurer le contrôle des actes de procédure du Parquet européen est un mécanisme sui generis (voir, par analogie, ordonnances du 13 juin 2022, Mendes de Almeida/Conseil, T‑334/21, EU:T:2022:375, point 40, et du 25 octobre 2022, WO/Parquet européen, T‑603/21, non publiée, EU:T:2022:683, point 36). Selon le considérant 88 du règlement 2017/1939, ce mécanisme vise à garantir les voies de recours effectives,
conformément à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.
26 Pour ce qui concerne les actes de procédure du Parquet européen, leur contrôle juridictionnel est prévu à l’article 42 du règlement 2017/1939. Plus particulièrement, le paragraphe 1 de cet article dispose notamment que les actes de procédure du Parquet européen qui sont destinés à produire des effets juridiques à l’égard de tiers sont soumis au contrôle des juridictions nationales compétentes, conformément aux exigences et procédures prévues par le droit national. Le paragraphe 2 du même
article précise que la Cour est compétente, conformément à l’article 267 TFUE, pour statuer, à titre préjudiciel, sur la validité des actes de procédure du Parquet européen, pour autant qu’une telle question de validité soit soulevée devant une juridiction d’un État membre directement sur la base du droit de l’Union, sur l’interprétation ou la validité de dispositions du droit de l’Union, y compris le règlement 2017/1939, et sur l’interprétation des articles 22 et 25 dudit règlement en ce qui
concerne tout conflit de compétence entre le Parquet européen et les autorités nationales compétentes.
27 L’article 42 du règlement 2017/1939 prévoit expressément la compétence du juge de l’Union, au titre de l’article 263 TFUE, seulement pour les décisions du Parquet européen visant à classer une affaire sans suite pour autant qu’elles soient contestées directement sur la base du droit de l’Union ainsi que pour les décisions du Parquet européen qui affectent les droits des personnes concernées au titre du chapitre VIII du règlement 2017/1939 et pour les décisions du Parquet européen qui ne sont
pas des actes de procédure, telles que celles relatives au droit d’accès du public aux documents, ou pour une décision révoquant un procureur européen délégué adoptée conformément à l’article 17, paragraphe 3, du règlement ou pour toute autre décision administrative.
28 En l’espèce, il importe de souligner que la décision attaquée, pour ce qui concerne le requérant, constitue un acte de procédure du Parquet européen qui ne relève pas des décisions visées à l’article 42, paragraphes 3 et 8, du règlement 2017/1939. En revanche, le volet de la décision attaquée relatif à des faits de corruption et de falsification qui classe sans suite l’affaire ne concerne pas le requérant.
29 Or, le requérant considère que le Tribunal devrait se déclarer compétent, sur le fondement d’une interprétation de l’article 42 du règlement 2017/1939, pour satisfaire aux exigences, notamment, du droit à un recours effectif et à un procès équitable, et pour ne pas porter atteinte à la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne pour assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités et le respect de l’autonomie du système juridique de l’Union.
30 S’agissant de l’interprétation de l’article 42 du règlement 2017/1939, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le recours à une interprétation large n’est possible que pour autant qu’elle soit compatible avec le texte de la disposition en cause et que même le principe de l’interprétation conforme à une norme de force obligatoire supérieure ne peut servir de fondement à une interprétation contra legem (voir, par analogie, arrêts du 19 septembre 2019, Rayonna
prokuratura Lom, C‑467/18, EU:C:2019:765, point 61, et du 5 octobre 2020, Brown/Commission, T‑18/19, EU:T:2020:465, point 111).
31 En ce qui concerne l’article 42, paragraphes 1 et 2, du règlement 2017/1939, il ne peut être contesté que la lettre de ces dispositions ne souffre d’aucune ambiguïté en ce que celles-ci confèrent aux juridictions nationales la compétence exclusive pour connaître des actes de procédure du Parquet européen qui sont destinés à produire des effets juridiques à l’égard de tiers, en dehors des exceptions prévues au paragraphe 3 de cet article et du sort réservé à certaines décisions du Parquet
européen visées au paragraphe 8 du même article, et que c’est seulement par la voie préjudicielle que la Cour connaît de la validité de ces actes au regard des dispositions du droit de l’Union ainsi que de l’interprétation ou de la validité des dispositions du règlement 2017/1939.
32 En demandant au Tribunal d’annuler la décision attaquée et, par conséquent, de se déclarer compétent, en vertu d’une interprétation de l’article 42 du règlement 2017/1939 au regard du droit à un recours effectif, le requérant propose une interprétation contra legem, qui ne saurait donc être admise.
33 Dans ce contexte, il importe de préciser que, à supposer que le requérant ne se limite pas à demander une interprétation large de l’article 42 du règlement 2017/1939 pour soutenir que le Tribunal est compétent en l’espèce et qu’il entende contester la décision attaquée en mettant en cause, par la voie de l’exception d’illégalité, la validité dudit article au regard de l’article 19 TUE, il convient de relever que, en raison de l’incompétence du Tribunal pour connaître du recours au principal,
une telle contestation ne saurait être admise.
34 De manière générale, quant aux exigences de protection juridictionnelle effective, il est utile d’indiquer que, dans le cadre du contrôle juridictionnel prévu par le règlement 2017/1939, la Cour est notamment compétente, au titre de l’article 267 TFUE, pour connaître des questions d’interprétation et de validité des actes de procédure du Parquet européen et de dispositions du droit de l’Union, y compris dudit règlement, comme il est confirmé par l’article 42, paragraphe 2, de ce même
règlement.
35 En l’espèce, il y a lieu de relever que le requérant peut, en principe, contester devant les juridictions nationales compétentes les actes de procédure du Parquet européen visés à l’article 42, paragraphe 1, du règlement 2017/1939 et, dans ce contexte, exciper de l’illégalité de celui-ci. Ce sera à la Cour, si la juridiction nationale la saisit, de se prononcer sur la validité dudit article 42 ainsi que, le cas échéant, sur celle du règlement intérieur au regard du règlement 2017/1939 et des
autres dispositions de droit de l’Union que le requérant invoque dans sa requête.
36 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’accueillir la première fin de non-recevoir invoquée par le Parquet européen et, par voie de conséquence, l’exception d’irrecevabilité que ce dernier soulève et donc de rejeter le présent recours en raison de l’incompétence du Tribunal pour en connaître, sans qu’il y ait lieu de se prononcer par ailleurs sur les conclusions relatives aux dispositions du règlement intérieur du Parquet européen, qui concernent le fond du litige.
37 Conformément à l’article 144, paragraphe 3, du règlement de procédure, lorsque la partie défenderesse a déposé une exception d’irrecevabilité ou d’incompétence telle que visée à l’article 130, paragraphe 1, dudit règlement, il n’est statué sur la demande d’intervention qu’après le rejet ou la jonction de l’exception au fond. En outre, conformément à l’article 142, paragraphe 2, du même règlement, l’intervention perd son objet, notamment lorsque la requête est déclarée irrecevable. En
l’espèce, le recours étant rejeté dans son ensemble pour cause d’incompétence du Tribunal, il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes en intervention du Conseil de l’Union européenne, de la Commission européenne et du Parlement européen.
Sur les dépens
38 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Parquet européen, conformément aux conclusions de ce dernier, à l’exception de ceux afférents aux demandes en intervention.
39 En application de l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, lorsqu’il est mis fin à l’instance dans l’affaire principale avant qu’il ne soit statué sur une demande d’intervention, le demandeur en intervention et les parties principales supportent chacun leurs propres dépens afférents à la demande en intervention. Par conséquent, le requérant, le Parquet européen, le Conseil, la Commission et le Parlement supporteront chacun leurs propres dépens afférents aux demandes en
intervention.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (dixième chambre)
ordonne :
1) Le recours est rejeté.
2) Il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes en intervention présentées par le Conseil de l’Union européenne, par la Commission européenne et par le Parlement européen.
3) M. Victor-Constantin Stan est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Parquet européen, à l’exception de ceux afférents aux demandes en intervention.
4) M. Stan, le Parquet européen, le Conseil, la Commission et le Parlement supporteront leurs propres dépens afférents aux demandes en intervention.
Fait à Luxembourg, le 15 décembre 2023.
Le greffier La présidente
V. Di Bucci O. Porchia
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* Langue de procédure : le roumain.