ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)
20 décembre 2023 ( *1 )
« Aides d’État – Aide accordée par la France en faveur d’Air France et d’Air France-KLM dans le contexte de la pandémie de COVID-19 – Recapitalisation – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur – Recours en annulation – Qualité pour agir – Atteinte substantielle à la position du requérant sur le marché – Recevabilité – Détermination du bénéficiaire de l’aide dans le contexte d’un groupe de sociétés »
Dans l’affaire T‑494/21,
Ryanair DAC, établie à Swords (Irlande),
Malta Air ltd., établie à Pietà (Malte),
représentées par Mes F.‑C. Laprévote, E. Vahida, V. Blanc, S. Rating, I.‑ G. Metaxas-Maranghidis et D. Pérez de Lamo, avocats,
parties requérantes,
contre
Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn, J. Carpi Badía et Mme C. Georgieva, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par
République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. P.‑ L. Krüger et J. Möller, en qualité d’agents,
par
République française, représentée par Mme A.‑ L. Desjonquères, MM. P. Dodeller, T. Stéhelin, B. Fodda et T. Lechevallier, en qualité d’agents,
par
Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. Bulterman, C. Schillemans et M. J. Langer, en qualité d’agents, assistés de Me S. Corrijn, avocat,
par
Air France-KLM, établie à Paris (France), représentée par Mes J. Derenne et D. Vallindas, avocats,
et par
Société Air France, établie à Tremblay-en-France (France), représentée par Mes Derenne et Vallindas,
parties intervenantes,
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),
composé de MM. M. van der Woude, président, A. Kornezov (rapporteur), G. De Baere, D. Petrlík et Mme S. Kingston, juges,
greffier : Mme S. Spyropoulos, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 22 mai 2023,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Ryanair DAC et Malta Air ltd., demandent l’annulation de la décision C(2021) 2488 final de la Commission, du 5 avril 2021, relative à l’aide d’État SA.59913 – France – COVID-19 – Recapitalisation d’Air France et d’Air France-KLM (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 La Société Air France (ci-après « Air France ») et Air France‑KLM (ci-après la « holding Air France-KLM ») font partie du groupe Air France‑KLM. À la tête dudit groupe se trouve la holding Air France‑KLM. Selon la décision attaquée, ce groupe comprend, en outre, notamment, Koninklijke Luchtvaart Maatschappij NV (ci-après « KLM »), « Air France-KLM International Mobility (Suisse) », « Blueteam V (France) », « BigBlank (France) », « Air France-KLM Finance (France) » et « Transavia Company
(France) ».
3 Selon la décision attaquée, la République française et le Royaume des Pays-Bas détiennent respectivement 14,3 % et 14 % du capital de la holding Air France‑KLM, la République française disposant par ailleurs de 21 % des droits de vote dans cette dernière. À son tour, la holding Air France‑KLM détient 100 % des parts d’Air France et, directement et indirectement, 93,48 % du capital social de KLM. Ladite holding détient en outre 99,7 % des droits économiques, c’est-à-dire des droits aux dividendes,
et 49 % des droits de vote de KLM. La même holding détient 100 % des parts des autres filiales énumérées au point 2 ci-dessus.
4 La décision attaquée s’inscrit dans le contexte d’une série d’autres mesures d’aide d’État visant à soutenir le secteur de l’aviation et, plus particulièrement, les sociétés faisant partie du groupe Air France-KLM.
5 En particulier, le 4 mai 2020, la Commission européenne a autorisé une aide individuelle octroyée par la République française à Air France sous forme, d’une part, d’une garantie d’État à hauteur de 90 % sur un prêt d’un montant de 4 milliards d’euros consenti par un consortium de banques et, d’autre part, d’un prêt d’actionnaire d’un montant de 3 milliards d’euros au maximum (ci-après le « prêt d’actionnaire ») par sa décision C(2020) 2983 final, relative à l’aide d’État SA.57082 (2020/N) –
France – COVID-19 – Encadrement temporaire 107 (3)(b) – Garantie et prêt d’actionnaire au bénéfice d’Air France, telle que corrigée par les décisions C(2020) 9384 final de la Commission, du 17 décembre 2020, et C(2021) 5701 final de la Commission, du 26 juillet 2021 (ci-après la « décision Air France »), laquelle fait partie du dossier soumis au Tribunal.
6 Dans la décision Air France, la Commission a considéré que les bénéficiaires de l’aide concernée étaient Air France et les filiales qu’elle contrôlait. En revanche, ni la holding Air France-KLM ni ses autres filiales, y compris KLM et les sociétés que cette dernière contrôlait, n’ont été considérées comme étant des bénéficiaires de cette aide.
7 Le 13 juillet 2020, la Commission a autorisé une aide individuelle accordée par le Royaume des Pays-Bas en faveur de KLM, consistant, d’une part, en une garantie d’État pour un prêt accordé à KLM par un consortium de banques et, d’autre part, en un prêt d’État, s’élevant au total à 3,4 milliards d’euros, par sa décision C(2020) 4871 final, du 13 juillet 2020, relative à l’aide d’État SA.57116 (2020/N) – Pays-Bas – COVID-19 : Garantie d’État et prêt d’État en faveur de KLM (ci-après la « décision
KLM »).
8 Le 31 mars 2021, la République française a notifié à la Commission au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et de la communication de la Commission du 19 mars 2020, intitulée « Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 » (JO 2020, C 91 I, p. 1), telle que modifiée le 1er février 2021 (JO 2021, C 34, p. 6) (ci-après l’« encadrement temporaire »), une aide individuelle sous la forme d’une
recapitalisation d’Air France et de la holding Air France-KLM, d’un montant total de 4 milliards d’euros (ci-après la « mesure en cause »). La mesure en cause consiste, d’une part, en une participation de la République française à un projet d’augmentation de capital d’un montant maximal de 1 milliard d’euros (ci-après la « participation au capital ») et, d’autre part, en la conversion du prêt d’actionnaire, lequel a fait l’objet de la décision Air France, en un instrument hybride (ci-après
l’« instrument hybride »).
9 Le 5 avril 2021, la Commission a adopté la décision attaquée, par laquelle elle a conclu que la mesure en cause constituait une aide d’État compatible avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et de l’encadrement temporaire.
10 Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les bénéficiaires de la mesure en cause étaient, d’une part, Air France et ses filiales et, d’autre part, la holding Air France-KLM et les filiales que cette dernière contrôle (ci-après les « bénéficiaires »), à l’exception de KLM et de ses filiales.
11 Par arrêt du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM ; COVID-19) (T‑643/20, EU:T:2021:286), le Tribunal a annulé la décision KLM, au motif qu’elle était entachée d’un défaut de motivation en ce qui concerne la détermination du bénéficiaire de la mesure d’aide litigieuse.
Conclusions des parties
12 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
13 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
14 La République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, Air France et la holding Air France-KLM concluent au rejet du recours comme non fondé et à la condamnation des requérantes aux dépens.
15 La République française conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours comme étant irrecevable, dans la mesure où les requérantes contestent le bien-fondé de la décision attaquée, et de le rejeter au fond pour le surplus.
En droit
Sur la recevabilité
16 Les requérantes font valoir, premièrement, qu’elles sont des parties intéressées au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 1er, sous h), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), et que, dès lors, elles ont qualité pour agir afin de défendre leurs droits procéduraux. Deuxièmement, elles soutiennent que leur position concurrentielle sur le marché aurait été substantiellement affectée
par la mesure en cause et qu’elles sont, par conséquent, recevables pour contester le bien-fondé de la décision attaquée.
17 La Commission, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, Air France et la holding Air France-KLM ne contestent pas la recevabilité du recours.
18 En revanche, la République française soutient que les requérantes n’ont pas qualité pour agir pour contester le bien-fondé de la décision attaquée.
19 En l’espèce, il est constant que les requérantes sont des concurrentes d’Air France et il n’est pas contesté que, dès lors, elles doivent être considérées comme « parties intéressées » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589 ayant qualité pour agir afin de sauvegarder les droits procéduraux qu’elles tirent de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.
20 Quant à la qualité des requérantes pour contester le bien-fondé de la décision attaquée, il importe de rappeler que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne
directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (arrêts du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, points 59 et 91, et du 13 mars 2018, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C‑244/16 P, EU:C:2018:177, point 39).
21 La décision attaquée, qui a été adressée à la République française, ne constituant pas un acte réglementaire aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dès lors qu’elle n’est pas un acte de portée générale (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 56), il appartient au Tribunal de vérifier si les parties requérantes sont directement et individuellement concernées par cette décision, au sens de cette
disposition.
22 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17,
p. 223 ; du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, EU:C:1986:42, point 22, et du 22 novembre 2007, Sniace/Commission, C‑260/05 P, EU:C:2007:700, point 53).
23 Ainsi, lorsqu’une partie requérante met en cause le bien‑fondé d’une décision d’appréciation d’une aide prise sur le fondement de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ou à l’issue de la procédure formelle d’examen, le simple fait qu’elle puisse être considérée comme « intéressée », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Elle doit alors démontrer qu’elle a un statut particulier au sens de la jurisprudence rappelée au point 22
ci-dessus. Il en est notamment ainsi lorsque la position de la partie requérante sur le marché concerné est substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 37 et jurisprudence citée).
24 À cet égard, la démonstration, par la partie requérante, d’une atteinte substantielle à sa position sur le marché n’implique pas de se prononcer de façon définitive sur les rapports de concurrence entre cette partie et les entreprises bénéficiaires, mais nécessite seulement de la part de ladite partie qu’elle indique de façon pertinente les raisons pour lesquelles la décision de la Commission est susceptible de léser ses intérêts légitimes en affectant substantiellement sa position sur le marché
en cause (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 57 et jurisprudence citée).
25 Il ressort ainsi de la jurisprudence de la Cour que l’atteinte substantielle à la position concurrentielle de la partie requérante sur le marché en cause résulte non pas d’une analyse approfondie des différents rapports de concurrence sur ce marché, permettant d’établir avec précision l’étendue de l’atteinte à sa position concurrentielle, mais, en principe, d’un constat prima facie que l’octroi de la mesure visée par la décision de la Commission conduit à porter substantiellement atteinte à cette
position (arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 58).
26 Il en découle que cette condition peut être satisfaite si la partie requérante apporte des éléments permettant de démontrer que la mesure concernée est susceptible de porter substantiellement atteinte à sa position sur le marché en cause (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 59 et jurisprudence citée).
27 S’agissant des éléments admis par la jurisprudence pour établir une telle atteinte substantielle, il convient de rappeler que la seule circonstance qu’un acte soit susceptible d’exercer une certaine influence sur les rapports de concurrence existant dans le marché pertinent et que l’entreprise concernée se trouve dans une quelconque relation de concurrence avec le bénéficiaire de cet acte ne saurait suffire pour que ladite entreprise puisse être considérée comme étant individuellement concernée
par ledit acte. Dès lors, une entreprise ne saurait se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 60 et jurisprudence citée).
28 La démonstration d’une atteinte substantielle portée à la position d’un concurrent sur le marché ne saurait être limitée à la présence de certains éléments indiquant une dégradation des performances commerciales ou financières de la partie requérante, tels qu’une importante baisse du chiffre d’affaires, des pertes financières non négligeables ou encore une diminution significative des parts de marché à la suite de l’octroi de l’aide en question. L’octroi d’une aide d’État peut également porter
atteinte à la situation concurrentielle d’un opérateur d’autres manières, notamment en provoquant un manque à gagner ou une évolution moins favorable que celle qui aurait été enregistrée en l’absence d’une telle aide (arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 61).
29 En outre, la jurisprudence n’exige pas que la partie requérante apporte des éléments quant à la taille ou à l’étendue géographique des marchés en cause, ou encore quant à ses parts de marché ou à celles du bénéficiaire de la mesure en cause ou d’éventuels concurrents sur ceux-ci (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 65).
30 C’est à l’aune de ces principes qu’il convient d’examiner si les requérantes ont apporté des éléments permettant de démontrer que la mesure en cause est susceptible de porter substantiellement atteinte à leur position sur le marché concerné.
31 À cet égard, en premier lieu, les requérantes font valoir que, avant la pandémie de COVID-19, elles exploitaient 211 lignes aériennes à partir ou à destination de la France. En particulier, elles expliquent que Ryanair était en concurrence directe avec Air France et ses filiales sur 45 lignes aériennes en 2019 et sur 47 lignes aériennes en 2021 à partir ou à destination de la France, lesquelles revêtiraient une importance économique en ce qu’elles relieraient de grandes villes en Europe et
au‑delà et lesquelles étaient généralement desservies par très peu d’autres compagnies aériennes. En outre, Ryanair aurait transporté plus d’un million de passagers sur lesdites lignes en 2019 et un total de 127305 passagers sur celles-ci du mois de janvier jusqu’au mois d’août 2021.
32 La République française rétorque, en substance, que Ryanair n’est pas la concurrente la plus proche et la plus directe d’Air France. En outre, elle conteste le fait que les requérantes seraient « en concurrence directe » avec Air France, au motif que les lignes aériennes opérées par cette dernière à partir et à destination des aéroports de Roissy‑Charles‑de‑Gaulle (ci-après l’« aéroport CDG ») et de Paris‑Orly (ci-après l’« aéroport ORY ») et celles opérées par Ryanair à partir et à destination
de l’aéroport de Beauvais‑Tillé (ci-après l’« aéroport BVA ») ne seraient pas substituables et ne seraient, dès lors, pas pertinentes pour apprécier le rapport de concurrence entre les requérantes et Air France. En ce qui concerne les autres lignes aériennes invoquées par les requérantes, elle fait valoir que, sur celles-ci, Ryanair ne serait pas la seule concurrente d’Air France.
33 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il n’est pas nécessaire, au stade de l’examen de la recevabilité du recours, de se prononcer de façon définitive sur la définition du marché des produits ou des services en cause ou encore sur les rapports de concurrence entre les requérantes et le bénéficiaire. Il suffit, en principe, que les requérantes démontrent que, prima facie, l’octroi de la mesure concernée conduit à porter substantiellement atteinte à leur position concurrentielle sur le marché
(voir jurisprudence citée aux points 24 et 25 ci-dessus).
34 Quant à la question de savoir si les lignes aériennes opérées en provenance et à destination des aéroports CDG et ORY, d’une part, et de l’aéroport BVA, d’autre part, sont substituables, il ressort de la jurisprudence que, à cette fin, le Tribunal peut tenir compte de plusieurs facteurs, tels que la distance et le temps de trajet selon le critère de référence des 100 km ou une heure de route, le point de vue des concurrents, le point de vue des aéroports concernés et celui des autorités de
l’aviation civile des États membres, l’estimation de la part de passagers de loisirs sur une liaison, la notion de « système aéroportuaire » au sens de l’annexe II du règlement (CEE) no 2408/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant l’accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intracommunautaires (JO 1992, L 240, p. 8), les pratiques commerciales et l’existence ou non de services de transport entre les aéroports et certaines villes (arrêt du 6 juillet 2010,
Ryanair/Commission, T‑342/07, EU:T:2010:280, points 103 et suivants).
35 Certes, à la note de bas de page no 100 de la décision attaquée, la Commission a indiqué, « dans un souci d’exhaustivité », que les aéroports de CDG et d’ORY n’étaient pas substituables à l’aéroport BVA. Elle n’a toutefois pas motivé cette conclusion et n’a examiné, ni même mentionné, aucun des critères pertinents énumérés dans la jurisprudence rappelée au point 34 ci-dessus.
36 Lors de l’audience, la Commission a indiqué que, au vu de ces critères, les lignes aériennes opérées par Ryanair à partir ou à destination de l’aéroport BVA pouvaient, aux fins de la recevabilité du présent recours, être considérées prima facie comme substituables à celles opérées par Air France à partir ou à destination des aéroports CDG et ORY.
37 Cette position se reflète dans la pratique décisionnelle de la Commission, laquelle, sans lier le juge de l’Union européenne, pourrait néanmoins constituer un élément utile dans le cadre d’une appréciation prima facie de la question de savoir si l’octroi de la mesure en cause est susceptible de porter atteinte à la position concurrentielle des requérantes sur le marché. Ainsi, aux considérants 266 à 279 de sa décision C(2013) 1106 final, du 27 février 2013, déclarant une concentration
incompatible avec le marché intérieur et l’accord EEE (affaire COMP/M.6663 – Ryanair/Aer Lingus III), la Commission a estimé que le critère de 100 km ou une heure de route était satisfait, la distance et le temps de trajet en voiture vers le centre de Paris depuis les aéroports CDG, ORY et BVA étant respectivement de 23 km (31 min), 20 km (30 min) et 80 km (60 min). Sur cette base, elle a conclu que l’aéroport ORY était substituable avec les aéroports CDG et BVA pour les vols à départ et à
destination de Dublin (Irlande).
38 Dans ces circonstances, et en l’absence d’éléments concrets dans le sens inverse dans le dossier dont dispose le Tribunal, il y a lieu de considérer que les lignes aériennes assurées par Ryanair au départ et à destination de l’aéroport BVA, auxquelles les requérantes font référence afin de démontrer leur qualité pour agir, peuvent être regardées comme étant prima facie substituables à celles opérées par Air France à partir et à destination des aéroports CDG et ORY. Dès lors, il convient de tenir
compte, aux fins de l’examen de la qualité pour agir de Ryanair, de l’ensemble des lignes aériennes invoquées par les requérantes, étant précisé que la République française ne conteste pas la substituabilité des autres lignes aériennes opérées respectivement par Ryanair et par Air France au départ et à destination d’autres aéroports situés en France.
39 Partant, il y a lieu de considérer que Ryanair était en concurrence avec Air France et ses filiales sur un nombre significatif de lignes aériennes au départ et à destination de la France, à savoir entre 45 et 47 dans la période 2019 à 2021. En outre, il ressort du dossier dont dispose le Tribunal, et notamment de l’annexe A.3.6 de la requête, dont la valeur probante n’est contestée ni par la Commission, ni par les parties intervenantes, que le nombre de sièges offerts par Ryanair sur ces lignes
était souvent comparable, voire dépassait dans certains cas celui offert par Air France et ses filiales. La concurrence entre elles était donc, en termes de nombre de sièges offerts, également significative.
40 En deuxième lieu, les requérantes font valoir qu’elles envisageaient une expansion commerciale sur le marché français, comme en attesterait le fait qu’elles avaient lancé 67 nouvelles lignes aériennes au départ ou à destination de la France en 2019. La Commission et les parties intervenantes ne contestent pas cette circonstance. Par ailleurs, les requérantes ajoutent qu’elles avaient commandé 210 aéronefs Boeing 737 Max qui auraient rejoint leur flotte en juin 2021 et qui leur permettraient de
poursuivre leurs plans d’expansion.
41 En troisième lieu, il ressort notamment des points 14 à 18 de la décision attaquée que la mesure en cause visait à éviter le risque d’insolvabilité de la holding Air France-KLM et d’Air France. En outre, selon un rapport de la Fondation pour l’innovation politique, produit par les requérantes, intitulé « Before COVID-19 air transportation in Europe : an already fragile sector » (le transport aérien en Europe avant la pandémie de COVID-19 : un secteur déjà fragile), daté du mois de mai 2020 et
dont la teneur n’est pas contestée par les parties, « il [était] probable que Ryanair [...] sortir[ai]t de la crise de la COVID-19 sans trop de dommages et disposer[ai]t même de suffisamment de ressources financières, notamment grâce à l’endettement et au rachat de sociétés en faillite, pour participer à la probable restructuration du transport aérien en Europe ». Il en découle que Ryanair se trouvait dans une position relativement forte par rapport aux compagnies aériennes traditionnelles telles
qu’Air France, laquelle était confrontée à un risque d’insolvabilité, voire de sortie du marché.
42 En quatrième lieu, il ressort du dossier que, en 2019, le directeur général de la holding Air France-KLM a annoncé un plan d’action visant à intensifier la concurrence avec les compagnies aériennes « à bas coûts », telles que Ryanair, par le biais de la filiale à bas coût « Transavia France ».
43 Les éléments relevés aux points 38 à 42 ci-dessus, pris ensemble, permettent de considérer que les requérantes ont démontré que l’octroi de la mesure en cause était susceptible de renforcer la position concurrentielle d’Air France au détriment de Ryanair et de conduire prima facie à porter substantiellement atteinte à la position concurrentielle de Ryanair sur le marché, en provoquant notamment un manque à gagner ou une évolution moins favorable que celle qui aurait été enregistrée en l’absence
d’une telle mesure (voir jurisprudence citée au point 28 ci-dessus).
44 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’objection de la République française selon laquelle Ryanair n’est pas la principale concurrente d’Air France sur le marché français.
45 En effet, la jurisprudence n’exige pas que la partie requérante soit la principale concurrente du bénéficiaire d’une mesure d’aide pour que sa position concurrentielle puisse être considérée comme substantiellement affectée par celle-ci.
46 Ne saurait non plus prospérer l’objection de la République française selon laquelle les requérantes n’ont pas démontré que la décision attaquée les atteint en raison d’une situation de fait qui les distingue de celle de tous les autres concurrents d’Air France.
47 En effet, la condition de l’affectation substantielle de la position concurrentielle de la partie requérante est un élément propre à celle-ci, qui doit être évalué uniquement par rapport à sa position sur le marché antérieurement à l’octroi de la mesure en cause ou en l’absence de celle‑ci. Il ne s’agit donc pas de comparer la situation de tous les concurrents présents sur le marché concerné (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Deutsche Lufthansa/Commission,
C‑453/19 P, EU:C:2020:862, point 58). Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé au point 29 ci-dessus, la Cour a précisé qu’il n’était pas nécessaire que la partie requérante apportât des éléments concernant ses parts de marché ou celles du bénéficiaire ou d’éventuels concurrents sur ce marché. Il en découle que, pour démontrer une affectation substantielle sur sa position concurrentielle, il ne saurait être exigé de la partie requérante d’établir, preuves à l’appui, quelle est la situation
concurrentielle de l’ensemble de ses concurrents et de se distinguer par rapport à celle-ci.
48 De surcroît, il importe de relever que la jurisprudence citée au point 22 ci-dessus prévoit deux critères distincts pour démontrer que les sujets autres que les destinataires d’une décision sont individuellement concernés par celle-ci, à savoir que la décision attaquée les atteigne en raison de « certaines qualités qui leur sont particulières » ou d’« une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne ». Cette jurisprudence n’exige donc pas d’une partie requérante de
démontrer, dans tous les cas, que sa situation de fait se distingue par rapport à celle de toute autre personne. Il suffit, en effet, que la décision attaquée atteigne la partie requérante en raison de certaines qualités qui lui sont particulières.
49 Tel est le cas en l’espèce. En effet, l’ensemble des éléments mentionnés aux points aux points 38 à 42 ci-dessus tendent à établir, de façon suffisamment plausible, que la position de Ryanair sur les marchés concernés se caractérisait par certaines qualités qui lui sont particulières, à savoir le fait que Ryanair se trouve en concurrence directe avec Air France sur un grand nombre de lignes aériennes, sur lesquelles, en outre, elle exploite un nombre de sièges important, qu’elle avait entamé une
expansion commerciale sur le marché français en lançant un grand nombre de nouvelles lignes aériennes avant l’éclatement de la pandémie de COVID-19, qu’Air France envisageait d’intensifier la concurrence sur le segment du marché dit « à bas coûts », sur lequel Ryanair est active, par le biais de sa compagnie aérienne « Transavia France » et que, en l’absence de la mesure en cause, il existait un risque qu’Air France devienne insolvable ou à tout le moins significativement affaiblie, tandis que la
situation financière de Ryanair semblait être relativement forte par rapport à celle de la bénéficiaire, la plaçant ainsi dans une position susceptible de lui permettre, en l’absence d’aide, de gagner des parts de marché au détriment d’Air France.
50 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de conclure que les requérantes ont démontré à suffisance de droit que la mesure en cause était susceptible d’affecter de façon substantielle la position concurrentielle de Ryanair sur le marché concerné.
51 Il y a lieu de constater que Ryanair est également directement concernée par la décision attaquée, dès lors que la volonté de la République française de verser une aide à la holding Air France-KLM et à Air France ne fait aucun doute et qu’un tel versement est susceptible de placer Ryanair dans une situation concurrentielle désavantageuse et d’affecter ainsi son droit à ne pas subir une concurrence faussée par cette aide (voir, en ce sens, arrêts du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria
Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 43 et jurisprudence citée).
52 Dès lors, Ryanair est recevable pour contester le bien-fondé de la décision attaquée.
53 S’agissant de la qualité pour agir de Malta Air, il a été jugé que, lorsqu’une des requérantes est recevable et qu’il s’agit d’un seul et même recours, il n’y a pas lieu d’examiner la qualité pour agir des autres requérantes [voir arrêt du 12 décembre 2014, Crown Equipment (Suzhou) et Crown Gabelstapler/Conseil, T‑643/11, EU:T:2014:1076, point 33 (non publié) et jurisprudence citée].
Sur le fond
54 Au soutien du recours, les requérantes invoquent sept moyens, concernant, en substance, le premier, l’exclusion de KLM du périmètre des bénéficiaires de la mesure en cause, le deuxième, une application erronée de l’encadrement temporaire, le troisième, une application erronée de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, le quatrième, une violation des principes de non‑discrimination, de libre prestation de services et de liberté d’établissement, le cinquième, une violation des droits
procéduraux des requérantes, le sixième, une violation de l’obligation de motivation et, le septième, une violation de l’article 342 TFUE et du règlement no 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne (JO 1958, 17, p. 401).
Sur le premier moyen, relatif à l’exclusion de KLM du périmètre des bénéficiaires de la mesure en cause
55 Les requérantes soutiennent que la définition du bénéficiaire de la mesure en cause dans la décision attaquée n’est pas claire, manque de cohérence et n’est pas suffisamment motivée en ce que cette définition ne correspondrait à aucune réalité juridique, économique ou comptable. Elles font valoir plusieurs éléments afin de démontrer que KLM pouvait également être considérée comme bénéficiaire de la mesure en cause. Elles avancent, en substance, les liens capitalistiques, organiques, fonctionnels
et économiques entre la holding Air France‑KLM, Air France et KLM, le contexte dans lequel s’inscrit la mesure en cause, le cadre contractuel sur la base duquel cette mesure a été accordée ainsi que les engagements pris par la République française.
56 La Commission conteste les arguments des requérantes. Elle affirme avoir tenu compte de tous les facteurs pertinents établis dans la jurisprudence pour déterminer si des entités juridiquement autonomes constituent une unité économique et aurait correctement conclu que KLM et ses filiales ne bénéficieraient pas de la mesure en cause. Pour arriver à cette conclusion, elle indique avoir pris en compte le cadre contractuel mis en place dans l’objectif d’acheminer les effets financiers et économiques
découlant de la mesure en cause vers Air France ainsi que les engagements pris par la République française, lesquels garantissaient que ladite mesure ne serait pas transférée à KLM.
57 La République française, le Royaume des Pays-Bas, Air France et la holding Air France-KLM souscrivent aux observations de la Commission.
58 Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les bénéficiaires de la mesure en cause étaient, d’une part, Air France et ses filiales et, d’autre part, la holding Air France-KLM et les filiales qu’elle contrôle, à l’exception de KLM et de ses filiales. Ainsi, elle a considéré comme bénéficiaires de ladite mesure la holding Air France-KLM et l’ensemble de ses filiales, mentionnées au point 2 ci‑dessus, à savoir à savoir Air France, « Air France-KLM International Mobility (Suisse) »,
« Blueteam V (France) », « BigBlank (France) », « Air France-KLM Finance (France) » et « Transavia Company (France) », à l’exception de KLM et des filiales de cette dernière.
59 Le présent moyen soulève ainsi, en substance, la question de la détermination du bénéficiaire d’une mesure d’aide dans le contexte d’un groupe de sociétés.
60 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que plusieurs entités juridiques distinctes peuvent être considérées comme formant une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État. En effet, dans ce domaine, la question de savoir s’il existe une unité économique entre plusieurs entités juridiquement distinctes se pose notamment lorsqu’il s’agit d’identifier le bénéficiaire d’une aide [voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82,
EU:C:1984:345, points 11 et 12, et du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM ; COVID-19), T‑643/20, EU:T:2021:286, point 46 et jurisprudence citée].
61 Parmi les éléments pris en compte par la jurisprudence pour déterminer la présence ou l’absence d’une unité économique dans le domaine des aides d’État figurent notamment : la participation de l’entreprise concernée à un groupe de sociétés dont le contrôle est exercé directement ou indirectement par l’une d’entre elles, la poursuite d’activités économiques identiques ou parallèles et l’absence d’autonomie économique des sociétés concernées (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2004, Pollmeier
Malchow/Commission, T‑137/02, EU:T:2004:304, points 68 à 70) ; la formation d’un groupe unique contrôlé par une entité, malgré la constitution de nouvelles sociétés possédant chacune une personnalité juridique distincte (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82, EU:C:1984:345, point 11) ; la possibilité, pour une entité détenant des participations de contrôle dans une autre société, d’exercer, au-delà d’un simple placement de capitaux par un investisseur, des
fonctions de contrôle, d’impulsion et de soutien financier à l’égard de cette société ainsi que l’existence de liens organiques, fonctionnels et économiques entre elles [voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 2010, AceaElectrabel Produzione/Commission, C‑480/09 P, EU:C:2010:787, point 51, etdu 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM ; COVID-19), T‑643/20, EU:T:2021:286, point 47] ; ainsi que l’existence de clauses contractuelles pertinentes (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2010,
AceaElectrabel Produzione/Commission, C‑480/09 P, EU:C:2010:787, point 57).
62 En outre, le type de mesure d’aide octroyée, les éventuels engagements pris par l’État membre concerné et le contexte dans lequel s’inscrit cette mesure peuvent, selon le cas, également constituer des éléments pertinents pour déterminer la présence ou l’absence d’une unité économique dans le domaine des aides d’État.
63 Par ailleurs, la Commission a précisé son interprétation de la notion d’« entreprise » dans sa communication relative à la notion d’« aide d’État », visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE (JO 2016, C 262, p. 1, ci-après la « communication relative à la notion d’‟aide d’État” »). Cette communication, si elle n’est pas susceptible de lier le Tribunal, peut toutefois servir de source d’inspiration utile [voir arrêt du 6 avril 2022, Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific) e.a./Commission, T‑508/19,
EU:T:2022:217, point 93 et jurisprudence citée].
64 La Commission a reconnu, au paragraphe 11 de la communication relative à la notion d’« aide d’État », que plusieurs entités juridiques distinctes peuvent être considérées comme formant une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État. À cette fin, selon ce paragraphe, il convient de prendre en considération l’existence de participations de contrôle de l’une des entités dans l’autre ainsi que l’existence d’autres liens fonctionnels, économiques et
organiques entre elles.
65 Dans ce contexte, il a été jugé que la Commission disposait d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer si des sociétés faisant partie d’un groupe devaient être considérées comme une unité économique ou bien comme des unités juridiquement et financièrement autonomes aux fins de l’application du régime des aides d’État. Ce pouvoir d’appréciation de la Commission implique la prise en considération et l’appréciation de faits et de circonstances économiques complexes. Le juge de l’Union ne
pouvant substituer son appréciation des faits, notamment sur le plan économique, à celle de l’auteur de la décision, le contrôle du Tribunal doit, à cet égard, se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (voir arrêt du 8 septembre 2009, AceaElectrabel/Commission, T‑303/05, non publié, EU:T:2009:312, points 101 et 102 et jurisprudence
citée).
66 Toutefois, le juge de l’Union doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission, C‑114/17 P, EU:C:2018:753, point 104).
67 En outre, il incombe à la Commission d’examiner avec une vigilance particulière les liens entre les sociétés appartenant au même groupe, lorsqu’il y a lieu de craindre les effets sur la concurrence d’un cumul d’aides d’État au sein du même groupe [voir arrêt du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM ; Covid-19), T‑643/20, EU:T:2021:286, point 48 et jurisprudence citée].
68 Par ailleurs, il convient de relever qu’il existe un lien chronologique et structurel entre la mesure faisant l’objet de la décision Air France et la mesure en cause. En effet, la perspective d’une conversion en fonds propres du prêt d’actionnaire, faisant l’objet de la décision Air France, était déjà envisagée lors de l’adoption de cette dernière, ainsi qu’il ressort explicitement du point 11 de celle-ci. Ainsi, quelques mois plus tard, ledit prêt autorisé par cette décision a été en effet
converti, pour le même montant, en un instrument hybride, lequel fait l’objet quant à lui de la décision attaquée. Au point 3 de cette dernière, la Commission a, en effet, reconnu que la mesure en cause « faisait suite » à la mesure d’aide autorisée dans la décision Air France.
69 Dans ces circonstances particulières, la décision Air France constituait un élément de contexte devant être pris en considération lors de l’examen de la mesure en cause [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM ; Covid-19), T‑643/20, EU:T:2021:286, point 42].
70 Compte tenu des critères dégagés dans la jurisprudence précitée et des arguments des parties, il convient d’examiner consécutivement les liens capitalistiques, organiques, fonctionnels et économiques entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM et leurs filiales respectives, les contrats sur la base desquels la mesure en cause a été octroyée ainsi que le type de mesure d’aide octroyée et le contexte dans lequel celle-ci s’inscrit.
– Sur les liens capitalistiques et organiques entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM
71 En premier lieu, s’agissant des liens capitalistiques au sein du groupe Air France-KLM, il convient de relever, ainsi qu’il a été rappelé aux points 2 et 3 ci-dessus, qu’Air France est détenue à 100 % par la holding Air France‑KLM et que cette dernière détient 93,48 % du capital social, 99,7 % des droits économiques et 49 % des droits de vote dans KLM. Les autres filiales de la holding Air France-KLM mentionnées au point 2 ci-dessus sont également détenues à 100 % par cette dernière.
72 Il s’ensuit que la holding Air France-KLM détient des « droits de contrôle » tant sur Air France que sur KLM. Ce fait est d’ailleurs explicitement relevé au point 29 de la décision Air France, auquel la Commission a précisé, sur la base des mêmes liens capitalistiques que ceux relevés au point 71 ci-dessus, que, si Air France et KLM étaient des entités juridiques distinctes, ayant chacune leur propre structure d’actionnariat, la holding Air France-KLM détenait des « droits de contrôle » tant sur
Air France que sur KLM.
73 Bien que ce fait constitue un premier élément pertinent pour l’examen de l’existence d’une unité économique entre ces entités, la jurisprudence en matière d’aides d’État exige de vérifier, en outre, si la société mère exerce effectivement un contrôle en s’immisçant directement ou indirectement dans la gestion de ses filiales et prend ainsi part à l’activité économique exercée par l’entreprise contrôlée (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2010, AceaElectrabel Produzione/Commission, C‑480/09 P,
EU:C:2010:787, point 49 et jurisprudence citée).
74 En effet, à défaut d’une telle analyse, un simple démembrement d’une entreprise en deux entités distinctes, dont la première poursuivrait directement l’activité économique en cause et la seconde contrôlerait la première tout en s’ingérant dans sa gestion suffirait à priver de leur effet utile les règles du droit de l’Union relatives aux aides d’État. Cela permettrait à la seconde entité de bénéficier de subventions ou d’autres avantages accordés par l’État ou au moyen de ressources d’État et de
les utiliser en tout ou en partie au profit de la première, dans l’intérêt, également, de l’unité économique formée par les deux entités (voir arrêt du 16 décembre 2010, AceaElectrabel Produzione/Commission, C‑480/09 P, EU:C:2010:787, point 50 et jurisprudence citée).
75 En l’espèce, il ressort des points 27 et 91 de la décision Air France que la holding Air France-KLM détient un pouvoir de contrôle sur Air France et sur KLM grâce aux droits de véto dont elle dispose, d’une part, sur les plans des affaires et les budgets de ces dernières, et d’autre part, sur la rémunération, la nomination et la révocation des dirigeants de celles-ci, y compris la nomination et la révocation de leurs membres du conseil d’administration. Ainsi, ladite holding doit approuver les
décisions concernant notamment les options stratégiques, le budget et le plan d’investissement du « groupe Air France‑KLM, y compris KLM » avant que celles-ci ne soient adoptées ou mises en œuvre.
76 Il ressort également du point 91 de la décision Air France que la holding Air France‑KLM dispose d’un droit d’approbation en ce qui concerne les opérations de financement de ses filiales dépassant 150 millions d’euros.
77 En second lieu, en ce qui concerne les liens organiques entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM, les requérantes font référence notamment au document d’enregistrement universel 2019 de ladite holding déposé auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) (France) en application du règlement (UE) 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs
mobilières à la négociation sur un marché réglementé, et abrogeant la directive 2003/71/CE (JO 2017, L 168, p. 12) (ci-après le « document d’enregistrement universel 2019 »), lequel a été débattu lors de l’audience. Conformément aux articles 9 et 21 du règlement 2017/1129, le document d’enregistrement universel est un document mis à la disposition du public qui décrit l’organisation, les activités, la situation financière, les résultats, les perspectives, le gouvernement et la structure de
l’actionnariat de l’émetteur en cause.
78 Il ressort du document d’enregistrement universel 2019 qu’il existe, au niveau du groupe Air France-KLM, plusieurs organes mixtes, composés de représentants de haut niveau de la holding Air France-KLM, d’Air France et de KLM, chargés de contrôler et de coordonner certaines décisions importantes à prendre au sein dudit groupe.
79 Par exemple, au sein du groupe Air France-KLM, tous les investissements supérieurs à cinq millions d’euros, de même que les opérations portant sur la flotte, ainsi que les opérations de prise de participation et de cession, sont soumis à l’approbation d’un « Comité exécutif Groupe », composé notamment par les directeurs généraux de la holding Air France-KLM, d’Air France et de KLM, comme l’a d’ailleurs confirmé ladite holding lors de l’audience.
80 En outre, selon ce document d’enregistrement universel 2019, si la gestion des investissements est assurée au niveau de chaque société du groupe Air France-KLM, le processus de prise de décision est coordonné par un « Group Investment Committee (GIC) », composé du directeur général adjoint « Économie et Finances » de la holding Air France-KLM, du directeur général adjoint « Économie et Finances » d’Air France et du « Chief Financial Officer » de KLM.
81 De même, il ressort du document d’enregistrement universel 2019 que la gestion des risques de marché au sein du groupe Air France-KLM est pilotée par un « Risk Management Committee », composé également de hauts dirigeants de la holding Air France-KLM, d’Air France et de KLM, lequel décide et surveille les risques financiers dudit groupe et détermine les couvertures nécessaires à mettre en place.
82 Il en ressort également que les décisions prises par ces organes mixtes au niveau du groupe Air France-KLM sont ensuite mises en œuvre par chaque entité du groupe.
83 Il s’ensuit que les liens capitalistiques et organiques au sein du groupe Air France-KLM tendent à démontrer que la holding Air France-KLM exerce effectivement un contrôle en s’immisçant directement ou indirectement dans la gestion d’Air France et de KLM et prend ainsi part à l’activité économique exercée par elles. Il en résulte également qu’il existe, au niveau dudit groupe, une procédure de prise de décision centralisée et une certaine coordination, assurées par le biais d’organes mixtes
regroupant des représentants de haut niveau de la holding Air France-KLM, d’Air France et de KLM, à tout le moins en ce qui concerne la prise de certaines décisions importantes.
84 Les liens capitalistiques et organiques au sein du groupe Air France‑KLM sont ainsi, comme le font valoir les requérantes, un premier élément tendant à démontrer que les entités juridiques distinctes au sein dudit groupe forment une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État.
– Sur les liens fonctionnels entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM
85 En premier lieu, la Commission a relevé au point 37 de la décision attaquée que la holding Air France-KLM n’était pas active sur le marché du transport aérien, mais qu’elle coordonnait les activités de ses filiales et leur fournissait des services financiers. En outre, elle a indiqué que ladite holding employait ses propres salariés et « s’appuyait » sur des employés détachés auprès d’elle par Air France et KLM. Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé au point 75 ci-dessus, la holding Air
France-KLM disposait de droits de véto quant à la rémunération, la nomination et la révocation des dirigeants de KLM et d’Air France. Il s’ensuit qu’il existe une certaine intégration entre les employés de cette holding et de ses filiales et que la même holding est impliquée dans les décisions les plus importantes concernant les dirigeants de ses filiales.
86 En deuxième lieu, la Commission a constaté qu’Air France et la holding Air France-KLM avaient des « relations commerciales et financières avec l’autre filiale stratégique de la holding, KLM », et qu’il existait un « certain degré d’intégration » entre ladite holding, Air France et KLM portant notamment sur le « partage de coûts, l’alignement stratégique et l’accès aux financements » [voir, notamment, point 113, sous c), de la décision attaquée].
87 Au point 38 de la décision Air France, la Commission a constaté qu’Air France et KLM, sous l’égide de la holding Air France-KLM, se coordonnaient dans le « domaine des ventes et de gestion des prix et des recettes sur la base de la stratégie déterminée au niveau de la holding [Air France-KLM] », avec l’aide des employés d’Air France et de KLM détachés auprès de la holding Air France-KLM à cette fin.
88 Il en résulte que, si, certes, la holding Air France‑KLM ne fournit pas elle-même des services de transport aérien, il n’en demeure pas moins qu’elle joue un rôle stratégique dans la prestation de ces services, notamment dans le domaine des ventes et de la gestion des prix et des recettes, et qu’elle est, en outre, impliquée dans la prise de décisions relatives aux opérations portant sur la flotte (voir point 79 ci-dessus), ce qui confirme l’existence d’un degré d’intégration entre la holding Air
France-KLM, Air France et KLM.
89 L’existence d’une certaine coordination fonctionnelle au sein du groupe Air France-KLM est, en outre, illustrée par l’exemple de « Transavia », invoqué par les requérantes. Ainsi qu’il ressort des réponses de la Commission aux questions posées dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, au sein dudit groupe, il existe plusieurs sociétés comportant le nom « Transavia », dont certaines sont actives sur le marché des services de transport aérien de passagers. Il s’agit de Transavia
France SAS et de Transavia Airlines CV, respectivement appelées « Transavia France » et « Transavia Netherlands » dans la décision attaquée. « Transavia France » et « Transavia Netherlands » sont des filiales respectivement d’Air France et de KLM. La Commission a indiqué à cet égard que, bien que ces deux sociétés disposent de leurs propres licences, certificats, droits de trafic, créneaux horaires, actifs, personnel et direction, elles se présentent sur le marché sous la même marque Transavia et
partagent le même site Internet, ce que la holding Air France-KLM a confirmé lors de l’audience.
90 Par ailleurs, la Commission ne conteste pas le fait relevé dans un article du 12 juillet 2021, présenté par les requérantes, que le « groupe Air France-KLM » avait entamé des négociations avec Boeing Co. et Airbus SE en vue de la commande d’aéronefs pour « Transavia France, Transavia Netherlands et KLM ». En outre, ainsi qu’il a été relevé au point 58 ci-dessus, « Transavia Company (France) » faisait partie, selon la décision attaquée, des bénéficiaires de la mesure en cause. Selon les réponses
de la Commission aux questions posées dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, l’activité économique de cette société consistait dans le leasing de deux aéronefs, lesquels étaient sous-loués ensuite à Transavia Netherlands, cette dernière n’étant pourtant pas considérée comme bénéficiaire de ladite mesure. Ces exemples témoignent donc d’une certaine intégration et coopération fonctionnelle et commerciale entre deux filiales d’Air France et de KLM.
91 En troisième lieu, la holding Air France-KLM assume également des fonctions financières pour les besoins de ses filiales. En effet, il ressort du point 20, sous c), de la décision attaquée que l’une des sources de financement des bénéficiaires avant la pandémie de COVID-19 comprenait un financement à moyen et à long terme non garanti, obtenu sur les marchés financiers « principalement au niveau de la holding Air France‑KLM », par exemple sous la forme de titres à revenus fixes publics ou privés
ou de fonds propres.
92 De même, comme il a été relevé au point 86 ci-dessus, au point 113, sous c), de la décision attaquée, la Commission a précisé qu’il existait une certaine intégration entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM en ce qui concerne l’« accès aux financements ». Il convient d’ajouter, à l’instar des requérantes et ainsi qu’il ressort des points 79 à 81 ci‑dessus, que la holding Air France-KLM est impliquée dans la coordination et l’approbation des investissements importants de ses filiales,
les opérations de prise de participation et de cession, et la gestion des risques financiers et des couvertures nécessaires à mettre en place lesquels font l’objet d’un suivi continu et permanent au niveau du groupe Air France-KLM.
93 Le rôle financier assumé par la holding Air France-KLM est illustré, en l’espèce, par le fait, rappelé au point 76 ci-dessus, que celle-ci dispose d’un droit d’approbation pour les opérations de financement de ses filiales dépassant 150 millions d’euros, et que, en conséquence, elle a dû approuver la mesure en cause.
94 Cela est corroboré en outre par les constatations figurant aux points 32 à 34 et 91 de la décision Air France, dont il ressort que la holding Air France-KLM assume en effet des fonctions financières pour les besoins d’Air France et de KLM. D’une part, elle fournit notamment des instructions budgétaires à ses filiales. D’autre part, elle peut « occasionnellement », aux termes de cette décision, lever des capitaux sur les marchés financiers (dette ou fonds propres) au profit de ses filiales en
fonction de leurs besoins individuels. S’agissant de l’émission d’actions ou d’instruments donnant accès au capital, ces opérations sont également réalisées au niveau de ladite holding, tandis que les dettes au sein du groupe Air France‑KLM seraient « principalement » contractées directement par Air France et KLM.
95 De surcroît, il ressort des données figurant dans le document d’enregistrement universel 2019 que la holding Air France-KLM a réalisé une série d’émissions obligataires de montants importants, que « la stratégie financière est décidée par le groupe [Air France-KLM] en coordination avec [Air France] et [KLM] », que ladite holding était l’émetteur « principal » des titres obligataires et que le groupe Air France-KLM envisageait un « recours systématique aux financements sur les marchés [par le
biais d’] Air France-KLM ».
96 Enfin, il ressort du point 113, sous b), de la décision attaquée que la situation financière de la holding Air France-KLM, qui n’a pas d’activité commerciale autonome, dépend en grande partie de la situation financière de ses filiales Air France et KLM. Aux termes du même point de la décision attaquée, la mesure d’aide faisant l’objet de la décision Air France a eu comme conséquence de faire dépendre davantage la situation financière de la holding Air France-KLM de celle d’Air France.
Concrètement, ladite mesure s’est traduite par une dette de 7 milliard d’euros de la holding Air France‑KLM envers la République française et parallèlement dans une créance d’un montant similaire détenue par cette holding auprès de sa filiale Air France. Ainsi, selon les constatations de la Commission, en cas d’insolvabilité d’Air France, les fonds propres de la holding Air France-KLM ne seraient pas suffisants pour couvrir des pertes à une telle hauteur. En garantissant la viabilité d’Air
France, cette mesure finit par garantir la viabilité de la holding Air France-KLM.
97 Partant, les liens fonctionnels entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM constituent un deuxième élément tendant à démontrer que ces entités forment une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État.
– Sur les liens économiques entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM.
98 Au point 43 de la décision attaquée, la Commission fait état de l’existence de relations commerciales entre Air France (et ses filiales) et KLM (et ses filiales) impliquant des flux financiers consistant notamment en la fourniture de services ou la vente de produits d’Air France à KLM, ou inversement. Il en ressort également que ces sociétés ont conclu des accords de partage de coûts et qu’elles mènent des activités en commun. La décision attaquée ne précise pas davantage la nature de ces
activités menées en commun ou des services fournis par Air France à KLM ou inversement, ni d’ailleurs l’objet desdits contrats de partage de coûts. Il n’en reste pas moins que l’existence de tels accords de partage des coûts entre Air France et KLM ainsi que des activités menées en commun confirme l’existence d’une certaine intégration et coopération économique entre elles.
99 Cette conclusion est corroborée, comme le font valoir les requérantes, par le fait que la holding Air France-KLM génère ses recettes uniquement en interne auprès de ses filiales, au moyen de commissions de gestion couvrant les frais de gestion de la holding, de redevances au titre de marques et de certains mécanismes de redistribution (point 37 de la décision attaquée). Cela démontre qu’il existe une certaine interdépendance économique entre la holding et ses filiales. Cela est confirmé notamment
par le fait qu’Air France et KLM s’efforcent d’obtenir des synergies par la coordination de leurs activités respectives sous l’égide de la holding Air France-KLM, en particulier dans le domaine des ventes et de la gestion des prix et des recettes (voir point 88 ci-dessus), et que la holding Air France-KLM est impliquée dans le financement de ses filiales de manière coordonnée (voir points 91 à 95 ci-dessus).
100 De même, ainsi qu’il découle des points 91 à 95 ci-dessus, la holding Air France-KLM agit sur les marchés financiers dans l’intérêt de ses filiales en levant des fonds pour leurs besoins sur les marchés financiers. Ce fait révèle que ladite holding négocie les termes du financement sur les marchés financiers en se fondant sur la position financière du groupe Air France-KLM dans son ensemble. Dès lors, c’est grâce à la holding Air France-KLM que les synergies au sein du groupe Air France-KLM sont
réalisées.
101 Cependant, la Commission a considéré que les relations financières et commerciales entre la holding Air France-KLM et ses filiales Air France et KLM, ainsi qu’entre ces dernières elles-mêmes, seraient menées à « des conditions normales de marché », ce qui exclurait le risque de débordement de l’avantage découlant de la mesure en cause vers KLM [points 42, 43, 44 et 113, sous c), deuxième tiret, de la décision attaquée].
102 À cet égard, en particulier, la Commission a expliqué en substance qu’Air France et KLM restaient imposables respectivement en France et aux Pays-Bas, que les législations fiscales française et néerlandaise prévoyaient que toutes les transactions intragroupes devaient être effectuées conformément au principe de pleine concurrence et que toute déviation de ce principe pourrait donner lieu à une « optimisation fiscale » contraire aux législations nationales précitées (point 42, sous a, de la
décision attaquée). Si ces éléments semblent, certes, pertinents aux fins de l’imposition fiscale de ces sociétés au niveau des États membres, ils ne suffisent pourtant pas à démontrer l’existence d’une autonomie économique entre la holding Air France-KLM, Air France et KLM au sein du groupe Air France-KLM, compte tenu des éléments indiqués aux points 98 à 100 ci‑dessus.
103 De surcroît, il convient de rappeler que l’octroi de la mesure en cause était justifié notamment par l’impossibilité pour la holding Air France‑KLM et Air France d’obtenir un financement sur les marchés de la dette et des capitaux à des conditions financières acceptables et dans des délais nécessaires pour éviter une procédure en insolvabilité (points 16 et 19 de la décision attaquée). Dans ces circonstances, l’avantage de ladite mesure se traduit précisément dans la mise à disposition de
montants importants de liquidités qui n’auraient pas été disponibles dans les conditions du marché. Ainsi, d’une part, une telle mesure aurait pour effet de renforcer la position financière du groupe Air France-KLM dans son ensemble, en ce qu’elle évite le risque de défaillance de la holding et de l’une de ses principales filiales, à savoir Air France, et rassure de la sorte les investisseurs et les créanciers des sociétés dudit groupe, étant précisé, en outre, que l’instrument hybride prenait
la forme d’un instrument super‑subordonné de nature perpétuelle, n’étant prioritaire, en cas d’insolvabilité, que par rapport au capital souscrit et aux réserves de capital (point 59 de ladite décision). D’autre part, compte tenu du rôle financier de la holding Air France‑KLM au sein de ce groupe, celle-ci pourrait, le cas échéant, obtenir, dans l’intérêt de ses filiales et pour leurs besoins, du financement sur les marchés, lequel lui aurait été inaccessible en l’absence de l’aide ou à des
conditions moins favorables.
104 Par ailleurs, en l’absence de la mesure en cause, Air France n’aurait pas pu poursuivre ses activités et, par-là, aurait également mis en péril la poursuite des activités menées en commun avec KLM (voir points 86, 89 et 98 ci-dessus). En permettant donc la poursuite des activités d’Air France, ladite mesure permet également, implicitement mais nécessairement, la poursuite des activités menées en commun par Air France et KLM.
105 La Commission a relevé, en outre, au point 42, sous b), de la décision attaquée que la « structure d’entreprise du groupe Air France-KLM » a un effet d’incitation pour les équipes de gestion d’Air France et de KLM de négocier les conditions des contrats conclus entre elles dans le meilleur intérêt de chacune d’elles. Ces deux filiales seraient gérées « de manière autonome » par des équipes de gestion distinctes.
106 Toutefois, cette affirmation doit être nuancée par les éléments relevés aux points 75 à 83 et 85 ci-dessus, dont il ressort que la holding Air France‑KLM a un droit de véto quant à la rémunération, à la nomination et à la révocation des dirigeants de ses filiales, que des organes mixtes au sein du groupe Air France-KLM sont chargés du contrôle et de la coordination de certaines décisions importantes concernant ses filiales et que la holding Air France‑KLM s’appuie sur des employés d’Air France
et de KLM détachés auprès d’elle.
107 Partant, les liens économiques entre la holding Air France‑KLM, Air France et KLM constituent un troisième élément tendant à démontrer que ces entités forment une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État.
– Sur les instruments contractuels sur la base desquels la mesure en cause a été accordée et sur les engagements pris par la République française
108 Aux points 39, 40, 44 à 46 et 113, sous c), de la décision attaquée, la Commission a considéré en substance que le cadre contractuel, sur la base duquel la mesure en cause a été octroyée, et les engagements assumés par la République française garantissaient que KLM et ses filiales n’étaient pas bénéficiaires de ladite mesure.
109 Les requérantes font valoir que ces éléments ne sont pas à même de démontrer que KLM et ses filiales ne pouvaient bénéficier de la mesure en cause. Premièrement, elles estiment que, si la Commission se fonde sur le cadre contractuel sur la base duquel ladite mesure a été octroyée, qui avait pour objectif d’acheminer cette mesure de la holding Air France-KLM vers Air France, celle-ci n’expliquerait toutefois pas quelles clauses garantiraient que ladite holding ne retienne pas une partie du
bénéfice et qu’une telle mesure ne bénéficierait pas à KLM et à ses filiales, contrairement à d’autres filiales de ladite holding. Deuxièmement, elles soutiennent, quant aux conditions de marché des relations entre Air France et KLM, que la Commission a omis d’examiner les relations entre, d’une part, ces dernières et, d’autre part, cette holding, ce qui serait essentiel afin de vérifier la possibilité que la même mesure confère un bénéfice indirect à KLM. Troisièmement, elles font valoir que
les engagements, pris par la République française, sont inadéquats et ineffectifs.
110 La Commission rétorque que le cadre contractuel sur la base duquel la mesure en cause avait été octroyée garantissait que la position en fonds propres de KLM demeurait inchangée. Selon elle, la situation financière de KLM ne dépendait ni de la situation financière d’Air France, ni de celle de la holding Air France-KLM. En outre, elle estime que les engagements en question, dont elle assure le contrôle continu, empêchent KLM de bénéficier de toute éventuelle amélioration ultérieure de la
situation financière de ladite holding, dans la mesure où ces engagements prévoient que toutes les relations entre KLM et Air France ainsi qu’entre KLM et cette holding doivent être effectuées dans des conditions de marché. Par ailleurs, les avantages allégués par les requérantes, même s’ils étaient démontrés, ne constitueraient que des effets économiques secondaires de l’aide et non un avantage indirect pour KLM et ses filiales.
111 En premier lieu, s’agissant du cadre contractuel, sur la base duquel la mesure en cause a été octroyée, il ressort des points 26 et 39 à 41 de la décision attaquée, que ladite mesure devait être octroyée « formellement » à la holding Air France-KLM sur la base d’un contrat entre la holding et la République française, puis « acheminée » vers Air France à travers des instruments dits « miroirs », dont l’objectif serait de garantir que l’avantage financier et économique de cette mesure soit
entièrement acheminé vers cette dernière et que KLM (et ses filiales) n’en bénéficieraient pas (ci-après les « instruments miroirs »). Ainsi, le prêt d’actionnaire autorisé par la décision Air France serait converti en un instrument hybride assimilé à des fonds propres de la holding Air France-KLM, puis le prêt « intragroupe » qui, selon la décision Air France, visait à acheminer les procédés du prêt d’actionnaire et qui avait fait l’objet d’un contrat miroir entre cette holding et Air France
serait à son tour converti en un instrument hybride assimilé à des fonds propres d’Air France.
112 S’agissant de la participation au capital, la Commission a constaté, au point 41 de la décision attaquée, que le capital en cause serait d’abord injecté par la République française dans la holding Air France‑KLM sur le fondement de l’article 102 de la loi no 2020-1721, du 29 décembre 2020, de finances pour 2021 (JORF du 30 décembre 2020, texte no 1) et une décision du ministre de l’Économie et des Finances au titre de l’article 24 de l’ordonnance no 2014-948, du 20 août 2014, relative à la
gouvernance et aux opérations sur les capitaux des sociétés à participation publique (JORF du 23 août 2014, texte no 22). Puis cette injection de capital serait « reflétée » en une injection de capital correspondante de la holding Air France-KLM à Air France.
113 Il s’ensuit que le contrat relatif à l’instrument hybride est conclu entre la République française, d’une part, et la holding Air France-KLM, d’autre part, de sorte que seule cette dernière a assumé des droits et des obligations contractuels à l’égard de la République française. Dès lors, la responsabilité contractuelle à l’égard de cette dernière revient à la holding Air France-KLM.
114 De même, la participation au capital est injectée, dans un premier temps, dans la holding Air France-KLM.
115 Or, comme il a été relevé au point 96 ci-dessus, la Commission admet que, grâce à la mesure en cause, le capital de la holding Air France‑KLM augmenterait, que sa situation financière dépend principalement de celle de ses filiales et que, en garantissant la viabilité d’Air France, ladite mesure garantit également la viabilité de ladite holding.
116 Comme le font valoir les requérantes, ce raisonnement vaut mutatis mutandis en ce qui concerne KLM également. En effet, l’amélioration de la position financière de la holding Air France-KLM à la suite de la recapitalisation et de l’augmentation de capital de celle-ci aurait comme conséquence de réduire, voire d’exclure, le risque de défaillance de celle-ci et, par-là, de ses filiales Air France et KLM et du groupe Air France-KLM tout entier. En effet, en l’absence de la mesure en cause, le
risque de défaillance de la holding Air France-KLM, constaté dans la décision attaquée, aurait pu contaminer l’ensemble du groupe Air France-KLM, y compris KLM et ses filiales.
117 La Commission tente de relativiser ce risque, en expliquant, à la note de bas de page no 63 de la décision attaquée, en substance, que la faillite d’Air France et de la holding Air France-KLM n’entraînerait pas « nécessairement » la faillite de KLM, car cette dernière aurait une « exposition limitée » à Air France et à ladite holding. Toutefois, d’une part, le libellé même de cette affirmation n’exclut pas le risque de contamination en tant que tel. D’autre part, au regard des liens
capitalistiques, organiques, fonctionnels et économiques entre KLM et le reste du groupe Air France-KLM, relevés aux points 71 à 107 ci-dessus, les répercussions sur KLM d’une éventuelle faillite de cette holding, que la mesure en cause vise à éviter, ne sauraient être sous‑estimées.
118 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’existence des instruments miroirs, mentionnés aux points 111 et 112 ci-dessus. En effet, tout d’abord, force est de constater que la Commission ne fait référence, dans la décision attaquée, à aucune clause contractuelle spécifique dont l’objet serait de garantir que la mesure en cause ne bénéficierait pas à KLM ni à ses filiales, à tout le moins indirectement.
119 Ensuite, compte tenu de la gestion coordonnée et centralisée des investissements importants, des opérations sur la flotte et de la gestion des risques financiers au niveau du groupe Air France-KLM (voir points 78 à 81 ci-dessus), la mesure en cause est susceptible de renforcer, à tout le moins indirectement, la position financière de KLM également.
120 Enfin, étant donné que la holding Air France-KLM garantirait sa viabilité grâce à la mesure en cause, cette dernière lui permettrait, dès lors, de renforcer sa capacité de lever des fonds sur les marchés financiers pour les besoins de ses filiales, y compris KLM, comme l’affirment à juste titre les requérantes.
121 Or, les effets de la mesure en cause décrits aux points 115 à 120 ci‑dessus ne sont pas affectés par les instruments miroirs.
122 En second lieu, s’agissant des engagements, pris par la République française, il convient de constater que ceux-ci consistent, d’une part, en l’engagement selon lequel, en substance, les relations commerciales et financières entre Air France (et ses filiales), KLM (et ses filiales) et la holding Air France-KLM (et ses autres filiales) seraient effectuées dans des conditions normales de marché et, d’autre part, en l’engagement selon lequel la République française procéderait au recouvrement de
toute partie de la mesure en cause dans le cas où celle-ci serait transférée directement ou indirectement à KLM ou à ses filiales, intérêts compris. Le respect de ces engagements ferait l’objet de contrôle par un mandataire de surveillance approuvé par la Commission et rémunéré par Air France et ladite holding (points 44 à 46, 48 et 113 de la décision attaquée).
123 Quant au premier engagement, il convient de renvoyer aux points 102 à 104 ci-dessus. En outre, le seul fait que les transactions intragroupes se fassent dans des conditions normales de marché conformes au principe de pleine concurrence, à le supposer établi, n’ôte rien à la conclusion selon laquelle, grâce à la mesure en cause, la holding Air France-KLM se retrouverait dans une position financière renforcée lui permettant, notamment, d’obtenir du financement sur les marchés financiers pour les
besoins de ses filiales ou encore d’effectuer des opérations portant sur la flotte pour les besoins de ces dernières et dans leur intérêt à de meilleures conditions que celles qui auraient prévalu en l’absence de ladite mesure, ce qui serait susceptible de renforcer, à tout le moins indirectement, la position de KLM également.
124 Quant au second engagement, il y a lieu de relever que, par celui-ci, la République française et la Commission admettent, en réalité, qu’il n’est pas exclu que l’avantage de la mesure en cause puisse être transféré, directement ou indirectement, à KLM et à ses filiales. En effet, si, comme le prétend la Commission, ces dernières ne devaient en aucun cas être considérées comme bénéficiaires, ne serait-ce qu’indirectes, de ladite mesure, il n’y aurait pas eu lieu d’envisager la récupération
éventuelle d’une partie de l’aide auprès d’elles.
125 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les engagements précités ne suffisent pas pour garantir que les bénéficiaires de la mesure en cause seraient Air France et ses filiales ainsi que la holding Air France-KLM et ses filiales, à l’unique exception de KLM et les filiales de cette dernière.
126 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la Commission, selon lequel la jurisprudence a admis que la bénéficiaire d’une aide d’État peut être seulement une des sociétés faisant partie d’un groupe, lorsqu’il existe notamment des clauses d’affectation qui feraient parvenir l’avantage de l’aide à une des sociétés dudit groupe, à l’exclusion des autres sociétés de ce groupe.
127 À cet égard, comme il a été relevé aux points 61 et 62 ci-dessus, plusieurs facteurs doivent, selon le cas, être examinés afin de déterminer si des entités juridiques distinctes peuvent être considérées comme formant une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État, tels que les liens capitalistiques, organiques, fonctionnels et économiques entre ces entités, les contrats sur la base desquels la mesure d’aide a été octroyée, ainsi que le type de mesure
d’aide octroyée et le contexte dans lequel elle s’inscrit. Il s’agit donc d’une appréciation globale de plusieurs facteurs propres à chaque cas d’espèce. S’agissant, en particulier, des contrats sur la base desquels la mesure d’aide a été octroyée, l’appréciation de ceux-ci dépend à l’évidence de leur teneur concrète. Ainsi, le fait que les juridictions de l’Union aient conclu, ou non, dans une affaire donnée, sur la base d’éléments concrets propres à cette affaire, que la bénéficiaire d’une
mesure d’aide donnée était une seule entité appartenant à un groupe de sociétés, à l’exclusion des autres entités de ce même groupe, ne saurait asseoir une conclusion générale dans un sens ou dans un autre.
128 En tout état de cause, les circonstances particulières à l’origine des affaires ayant donné lieu aux arrêts cités par la Commission ne sont pas comparables à celles à l’origine de la présente affaire.
129 Premièrement, dans l’arrêt du 3 juillet 2003, Belgique/Commission (C‑457/00, EU:C:2003:387), la Cour a précisé, aux points 56 et 57, que, afin de déterminer le bénéficiaire d’une mesure d’aide, il convenait de tenir compte notamment de l’existence et de la formulation de clauses d’affectation et qu’il était possible qu’une telle analyse conduise à la conclusion selon laquelle le bénéficiaire de l’aide est autre que l’emprunteur du prêt litigieux. Ainsi, conformément à cet arrêt, l’issue de
ladite analyse dépend de l’existence et de la teneur précise des clauses contractuelles pertinentes. Or, en l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 111 à 125 ci-dessus, c’est précisément sur la base de l’examen du cadre contractuel et des engagements d’étanchéité pris par la République française, parmi d’autres éléments, que le Tribunal considère qu’il n’était pas possible d’exclure KLM et les filiales qu’elle contrôle des bénéficiaires, à tout le moins indirectes, de la mesure en cause. En
outre, à la différence des circonstances ayant donné lieu audit arrêt, la holding Air France-KLM était considérée en l’espèce comme l’un des bénéficiaires de la mesure en cause.
130 Deuxièmement, il existe plusieurs différences factuelles importantes entre la présente affaire et celles ayant donné lieu à l’arrêt du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission (T‑371/94 et T‑394/94, EU:T:1998:140). En effet, les liens organiques, fonctionnels et économiques entre les entités du groupe Air France-KLM relevés dans la présente affaire ne sont pas comparables à ceux entre les sociétés concernées dans l’arrêt susmentionné. Par exemple, en l’espèce, la holding Air France‑KLM a
maintenu l’ensemble de ses prérogatives stratégiques en matière de financement, d’investissement et d’opérations portant sur la flotte, ce qui n’était pas le cas de la holding dans les affaires précitées.
131 Troisièmement, les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 11 mai 2005, Saxonia Edelmetalle et ZEMAG/Commission (T‑111/01 et T‑133/01, EU:T:2005:166), concernaient un cas de figure très différent de celui en cause dans la présente affaire. En effet, elles concernaient l’obligation de récupération d’une aide auprès de certaines filiales d’un groupe qui avaient été désignées comme les bénéficiaires initiales de cette aide. À cet égard, il a été jugé, aux points 125 et 126 de cet arrêt, que, compte
tenu des circonstances de l’espèce, la Commission ne saurait à bon droit imputer de manière automatique l’obligation de restitution auxdites filiales d’une partie de l’aide litigieuse en l’absence de démonstration que celles-ci l’ont effectivement reçue, au seul motif qu’elles étaient désignées comme les bénéficiaires initiales de l’aide litigieuse. Or, ce cas de figure est étranger à la présente affaire, de sorte qu’aucune conclusion utile pour la solution du présent litige n’en saurait être
tirée.
132 Partant, le cadre contractuel sur la base duquel est octroyée la mesure en cause et les engagements pris par la République française ne permettent pas de conclure que la holding Air France-KLM, Air France et KLM ne forment pas une seule unité économique aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État.
– Sur le type de mesure d’aide octroyée et le contexte dans lequel elle s’inscrit
133 S’agissant du type de mesure d’aide octroyée et du contexte dans lequel elle s’inscrit, il convient de relever que les requérantes critiquent le fait que la Commission n’a pas procédé à un examen des effets cumulés des aides faisant l’objet de la décision Air France, de la décision KLM et de la décision attaquée.
134 Il y a lieu de relever à cet égard, à l’instar des requérantes, que la Commission n’a pas expliqué, dans la décision attaquée, la raison pour laquelle elle a défini les bénéficiaires de la mesure en cause de manière différente de celle adoptée dans la décision Air France - laquelle constituait un élément de contexte devant être pris en considération lors de l’examen de la mesure en cause (voir points 68 et 69 ci-dessus) - quand bien même les deux mesures d’aide sont liées sur les plans
chronologique, structurel et économique, le financement concerné, quoique sous une forme différente, provenant, dans les deux cas, en partie, du prêt d’actionnaire.
135 À cet égard, devant le Tribunal, la Commission a expliqué que la forme de l’intervention étatique, à savoir, dans la décision Air France, une aide sous forme d’un prêt (un prêt garanti par l’État et un prêt d’actionnaire) et, dans la décision attaquée, une mesure de recapitalisation, était différente. Pourtant, cette différence de forme n’est pas susceptible de justifier, à elle seule, les conclusions divergentes auxquelles est parvenue la Commission, en ce qui concerne la détermination du
bénéficiaire de l’aide, dans la décision Air France et dans la décision attaquée. En effet, un prêt d’actionnaire converti, quelques mois plus tard, en un instrument de recapitalisation du même montant, produit globalement un effet économique similaire sur la position concurrentielle du bénéficiaire. Ainsi, en ce qui concerne notamment les instruments de fonds propres, il ressort de l’encadrement temporaire que de tels instruments doivent être conçus de telle manière que la sortie de l’État du
capital de l’entreprise en cause soit assurée dans les meilleurs délais. Ainsi, à titre d’exemple, les instruments de fonds propres doivent comporter un mécanisme de hausse de la rémunération visant à augmenter la rémunération de l’État au fil du temps et, ainsi, à inciter le bénéficiaire à racheter la participation de l’État au plus vite (points 61 et 62 de l’encadrement temporaire). De même, les instruments hybrides doivent prévoir une rémunération de l’État qui augmente au fil du temps
(point 66 de l’encadrement) et, après leur conversion en fonds propres, un mécanisme de hausse de la rémunération (point 68 de l’encadrement). Il en ressort que, à l’image d’un prêt, une mesure de recapitalisation doit aussi, en principe, être remboursée. Certes, quoique différentes en ce qui concerne leur forme, les mesures d’aide faisant l’objet de la décision Air France et celles faisant l’objet de la décision attaquée demeurent ainsi étroitement liées sur les plans chronologique, structurel
et économique. Par ailleurs, dans la décision attaquée, la Commission n’a même pas mentionné la décision KLM.
136 Partant, dans les circonstances particulières de l’espèce, et compte tenu de la jurisprudence rappelée au point 67 ci-dessus, il appartenait à la Commission de tenir compte, aux fins de la détermination des bénéficiaires de la mesure en cause, du type de mesure d’aide octroyée et du contexte dans lequel elle s’inscrivait.
– Sur la différence entre un avantage direct ou indirect, d’une part, et des simples effets économiques secondaires, d’autre part
137 La Commission fait valoir que la mesure en cause n’a, tout au plus, que de « simples effets économiques secondaires » à l’égard de KLM et ses filiales, lesquels seraient inhérents à toute aide d’État, mais qui ne sauraient être qualifiés d’avantage, direct ou indirect, au profit de ces dernières.
138 Les requérantes rétorquent que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que KLM ne recevrait aucun avantage de la mesure en cause allant au-delà de simples effets secondaires. Selon elles, l’augmentation du capital de la holding Air France-KLM prévue dans le cadre d’une prise de participation par la République française pourrait procurer à KLM un avantage à travers les mécanismes suivants : premièrement, des fonds levés par la holding Air France-KLM auprès d’investisseurs privés
pourraient être utilisés à d’autres fins que pour les besoins de financement d’Air France, deuxièmement, en améliorant les conditions de financement de la holding Air France-KLM, ce qui permettrait en particulier l’octroi de prêts intragroupes, et, troisièmement, en réduisant le risque de défaillance de la holding Air France‑KLM, ce qui permettrait à KLM d’avoir accès aux marchés des capitaux d’emprunt à moindre coût. Ainsi, la possibilité du transfert du bénéfice découlant de la mesure en cause
irait bien au-delà de la notion d’« effets économiques secondaires » qui seraient inhérents à presque toutes les mesures d’aide et serait couverte plutôt par la notion d’« avantage indirect » d’une telle mesure.
139 À cet égard, il y a lieu de distinguer la notion d’« avantage indirect » de celle d’« effets secondaires inhérents à toute mesure d’aide ».
140 Selon la jurisprudence, une entreprise bénéficiant d’un avantage indirect doit être considérée comme bénéficiaire de l’aide. En effet, un avantage directement accordé à certaines personnes physiques ou morales peut constituer un avantage indirect et, partant, une aide d’État pour d’autres personnes morales qui sont des entreprises (voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, EU:C:2000:467, point 26, et du 13 juin 2002, Pays-Bas/Commission, C‑382/99,
EU:C:2002:363, points 60 à 66).
141 Par ailleurs, aux termes du paragraphe 115 de la communication relative à la notion d’« aide d’État », une « mesure peut également constituer à la fois un avantage direct en faveur de l’entreprise bénéficiaire et un avantage indirect en faveur d’autres entreprises, par exemple, des entreprises opérant à des niveaux d’activité ultérieurs ». La note de bas de page no 179 de cette communication précise que, dans le cas où une entreprise intermédiaire est un simple instrument chargé de transférer
l’avantage au bénéficiaire et qu’elle ne conserve aucun avantage, elle ne doit normalement pas être considérée comme la bénéficiaire d’une aide d’État.
142 Le paragraphe 116 de la communication relative à la notion d’« aide d’État » indique, en outre, qu’il convient de distinguer les avantages indirects des simples effets économiques secondaires qui sont inhérents à presque toutes les mesures d’aide d’État. À cette fin, aux termes dudit paragraphe, il convient d’examiner les effets prévisibles de la mesure d’un point de vue ex ante. Ainsi, il existe un avantage indirect si la mesure est conçue de manière à orienter ses effets secondaires « vers des
entreprises ou des groupes d’entreprises identifiables ». La note de bas de page no 181 de cette communication explique que, en revanche, l’existence d’un simple effet économique secondaire sous la forme d’un accroissement de production, qui n’équivaut pas à une aide indirecte, pourra être établie si l’aide est simplement acheminée par une entreprise, par exemple, un intermédiaire financier, qui la transfère intégralement à son bénéficiaire.
143 En l’espèce, il ressort de l’analyse figurant aux points 108 à 132 ci‑dessus que le rôle de la holding Air France-KLM ne se limite pas à un « simple instrument chargé de transférer l’avantage au bénéficiaire » ou à un « intermédiaire financier » au sens des paragraphes 115 et 116 de la communication relative à la notion d’« aide d’État ». En effet, ladite holding est elle-même, selon la décision attaquée, bénéficiaire de la mesure en cause. Ainsi, les effets prévisibles de ladite mesure d’un
point de vue ex ante suggèrent, compte tenu du type de mesure d’aide octroyée, consistant, en substance, en une solution de financement, que cette solution de financement était susceptible de profiter au groupe Air France-KLM dans son ensemble, en améliorant sa position financière globale, ce qui indique l’existence, à tout le moins, d’un avantage indirect au profit d’ « un groupe d’entreprises identifiables » au sens du paragraphe 116 de ladite communication.
144 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’ordonnance du 21 janvier 2016, Alcoa Trasformazioni/Commission (C‑604/14 P, non publiée, EU:C:2016:54), citée par la Commission au soutien de son argument selon lequel, lorsqu’elle calcule le montant de l’aide, elle n’examine pas les effets secondaires de celle-ci pour les consommateurs, les fournisseurs, les investisseurs ou les employés du bénéficiaire. D’une part, comme le font valoir les requérantes, l’affaire ayant donné lieu à cette
ordonnance ne concernait pas une situation intragroupe. D’autre part, ainsi qu’il a été relevé au point 143 ci-dessus, il ne s’agit pas en l’espèce des effets économiques secondaires d’une mesure d’aide sur les consommateurs, les fournisseurs, les investisseurs ou les employés.
145 La Commission et la République française font également référence à l’arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity (C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:990), en faisant valoir, en substance, que, selon cet arrêt, les effets secondaires d’une mesure d’aide ne sont pas à prendre en considération dans l’appréciation de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur. Les affaires ayant donné lieu audit arrêt concernait un régime d’aides sous la forme d’un
taux réduit d’une taxe nationale sur le transport aérien, déclaré incompatible avec le marché intérieur. La question qui se posait était notamment celle de savoir quel devait être le montant de l’avantage devant être récupéré auprès des bénéficiaires de l’aide, qui étaient des compagnies aériennes. Ces dernières soutenaient en substance que l’avantage en cause avait été répercuté sur les passagers, sous la forme d’une réduction des prix des billets d’avion. C’est dans ce contexte que la Cour a
considéré que la récupération de l’aide litigieuse impliquait la restitution de l’avantage procuré aux compagnies aériennes, et non pas l’éventuel bénéfice économique réalisé par celles-ci par l’exploitation de cet avantage (points 100 et 102). Or, à la différence de ces affaires, la présente affaire ne porte pas sur la détermination du montant de l’avantage devant faire l’objet de récupération dans le contexte d’une aide déclarée incompatible avec le marché intérieur, mais sur l’identification
ex ante des bénéficiaires d’une mesure d’aide afin d’examiner sa compatibilité avec le marché intérieur. En outre, et en tout état de cause, il n’est pas question, en l’espèce, des répercussions économiques de la mesure en cause sur le prix des billets d’avion.
146 Dès lors, il y a lieu de rejeter l’argument de la Commission selon lequel la mesure en cause n’a, tout au plus, que de simples effets économiques secondaires à l’égard de KLM et des filiales de cette dernière.
Conclusion
147 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de conclure que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que les bénéficiaires de la mesure en cause étaient Air France et ses filiales et la holding Air France-KLM et ses autres filiales, à l’unique exception de KLM et des filiales de cette dernière, et d’accueillir, par voie de conséquence, le premier moyen.
148 Or, l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE exige non seulement que l’État membre concerné soit bel et bien face à une perturbation grave de son économie, mais également que les mesures d’aide adoptées pour remédier à cette perturbation soient, d’une part, nécessaires à cette fin et, d’autre part, appropriées et proportionnées pour atteindre cet objectif. Cette même exigence ressort également du paragraphe 19 de l’encadrement temporaire [arrêt du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (KLM ;
COVID-19), T‑643/20, EU:T:2021:286, point 74].
149 En outre, et plus particulièrement, l’application de plusieurs conditions découlant de l’encadrement temporaire est tributaire de la définition du bénéficiaire de la mesure en cause, comme celles prévues au paragraphe 49 de l’encadrement temporaire, selon lequel une mesure de recapitalisation doit remplir certaines conditions relatives à la situation du bénéficiaire, au paragraphe 53 de l’encadrement, selon lequel l’État membre doit faire en sorte que les instruments de recapitalisation choisis
et les conditions dont ils sont assortis soient les plus appropriés pour répondre aux besoins de recapitalisation du bénéficiaire, tout en faussant le moins la concurrence, ou encore au paragraphe 54 de l’encadrement, aux termes duquel le montant des recapitalisations dans le contexte de la pandémie de COVID-19 ne doit pas dépasser le minimum nécessaire pour assurer la viabilité du bénéficiaire concerné et devrait se limiter à rétablir la structure de capital qui était celle dudit bénéficiaire
avant la flambée de COVID-19.
150 Ainsi, l’examen de la nécessité et de la proportionnalité de l’aide, en général, et du respect des conditions citées, à titre d’exemple, au point 149 ci-dessus, en particulier, présuppose que soit identifié au préalable le bénéficiaire de l’aide. En effet, l’identification erronée ou incomplète du bénéficiaire d’une mesure d’aide est susceptible d’avoir une incidence sur l’ensemble de l’analyse de la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur.
151 Dès lors, il y a lieu d’annuler la décision attaquée sans qu’il y ait besoin d’examiner les autres moyens du recours.
152 Enfin, en ce qui concerne la possibilité pour les États membres d’octroyer des aides d’État à des sociétés appartenant à un groupe de sociétés actif dans plusieurs États membres, il convient de rappeler, à toutes fins utiles, que les États membres et les institutions de l’Union sont tenus à des devoirs réciproques de coopération loyale, conformément à l’article 4, paragraphe 3, TUE. La Commission et les États membres doivent ainsi collaborer de bonne foi en vue d’assurer le plein respect des
dispositions du traité FUE, notamment celles relatives aux aides d’État (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Commission/Slovaquie, C‑507/08, EU:C:2010:802, point 44 et jurisprudence citée). Cette obligation de coopération loyale et de coordination s’impose d’autant plus lorsque différents États membres envisagent d’accorder concomitamment des aides à des entités appartenant au même groupe de sociétés qui opère de façon coordonnée dans le marché intérieur en vue d’en tirer pleinement les
avantages.
Sur les dépens
153 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux des requérantes, conformément aux conclusions de ces dernières.
154 Conformément à l’article 138, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure, les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision C(2021) 2488 final de la Commission, du 5 avril 2021, relative à l’aide d’État SA.59913 – France – COVID-19 – Recapitalisation d’Air France et d’Air France-KLM, est annulée.
2) La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux de Ryanair DAC et de Malta Air ltd.
3) La République fédérale d’Allemagne, la République française, le Royaume des Pays-Bas, Air France-KLM et Société Air France supporteront leurs propres dépens.
Van der Woude
Kornezov
De Baere
Petrlík
Kingston
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 décembre 2023.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.