ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)
10 avril 2024 ( *1 )
« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant des poignées de portes et de fenêtres – Dessin ou modèle antérieur – Motif de nullité – Caractère individuel – Article 25, paragraphe 1, sous b), et article 6 du règlement (CE) no 6/2002 »
Dans l’affaire T‑654/22,
M&T 1997, a.s., établie à Dobruška (République tchèque), représentée par Me T. Dobřichovský, avocat,
partie requérante,
contre
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme E. Nicolás Gómez, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant
VDS Czmyr Kowalik sp.k., établie à Świętochłowice (Pologne), représentée par Mes M. Witkowska et A. Pilecka, avocates,
LE TRIBUNAL (septième chambre),
composé de Mme K. Kowalik‑Bańczyk, présidente, M. I. Dimitrakopoulos (rapporteur) et Mme B. Ricziová, juges,
greffier : M. G. Mitrev, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 12 octobre 2023,
rend le présent
Arrêt ( 1 )
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, M&T 1997, a.s., demande l’annulation et la réformation de la décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 29 août 2022 (affaire R 29/2022-3) (ci-après la « décision attaquée »).
[omissis]
Conclusions des parties
9 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– réformer la décision attaquée afin de faire droit au recours et de rejeter dans son intégralité la demande en nullité ;
– condamner l’intervenante aux dépens, y compris ceux exposés devant l’EUIPO.
10 L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens en cas de tenue d’une audience.
11 L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens, y compris ceux exposés devant la chambre de recours.
En droit
Sur le fond
[omissis]
13 Dans le cadre du premier moyen, la requérante, en substance, reproche à la chambre de recours d’avoir considéré à tort que l’impression globale produite par le dessin ou modèle contesté sur l’utilisateur averti ne différait pas de celle produite par le dessin ou modèle antérieur sur cet utilisateur et que, dès lors, le dessin ou modèle contesté n’avait pas de caractère individuel.
14 Ce moyen s’articule en trois branches, concernant, en substance, l’appréciation de la chambre de recours relative, premièrement, à la définition de l’utilisateur averti, deuxièmement, à la détermination du degré de liberté du créateur et, troisièmement, à la comparaison des impressions globales que les dessins et modèles en conflit produisent sur l’utilisateur averti.
[omissis]
Sur la comparaison des impressions globales produites par les dessins ou modèles en conflit
38 La chambre de recours a considéré, aux points 27 à 36 de la décision attaquée, que le dessin ou modèle contesté ne produisait pas une impression globale différente de celle du dessin ou modèle antérieur. À cet égard, premièrement, elle a remarqué que les deux dessins ou modèles en conflit disposaient d’une poignée de porte composée d’un levier de forme plate et rectangulaire, d’une béquille parallélépipédique, de mêmes dimensions et proportions, et d’un profil fin. Deuxièmement, elle a relevé que
les différences entre les deux dessins ou modèles en conflit ne se limitaient qu’à la courbure des bords, qui étaient arrondis concernant le dessin ou modèle contesté, et à la forme du col, dont la transition était incurvée concernant le dessin ou modèle contesté et perpendiculaire concernant le dessin ou modèle antérieur, et que ces différences n’étaient pas suffisantes pour produire des impressions globales distinctes sur l’utilisateur averti, notamment eu égard au degré élevé de liberté du
créateur. En effet, la différence de courbure ne serait pas immédiatement perçue par l’utilisateur averti sans l’examen du degré exact des angles. Par ailleurs, la différence de col, qui se situe au niveau de la partie arrière de la poignée et non du côté exposé, ne jouerait pas un rôle déterminant dans l’impression globale. Troisièmement, la chambre de recours a écarté deux autres différences invoquées par la requérante, à savoir une forme de rosace et une nuance de couleur sur le dessin ou
modèle contesté, estimant que l’existence de la première ne saurait être déduite des lignes du dessin ou modèle contesté et que la seconde ne suffisait pas à contrebalancer les similitudes des dessins ou modèles en cause. Quatrièmement, elle a estimé que l’obtention par le dessin ou modèle contesté du prix « Red Dot » en 2013 était sans pertinence pour l’appréciation de l’impression globale sur l’utilisateur averti au regard de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002.
39 La requérante conteste cette appréciation en faisant valoir que la chambre de recours a commis plusieurs erreurs d’appréciation.
[omissis]
49 L’impression globale produite sur l’utilisateur averti par un dessin ou modèle doit nécessairement être déterminée au regard de la manière dont le produit en cause est normalement utilisé [voir, en ce sens, arrêt du 4 février 2014, Gandia Blasco/OHMI – Sachi Premium-Outdoor Furniture (Fauteuil cubique), T‑339/12, non publié, EU:T:2014:54, point 26 et jurisprudence citée]. Dans ce cadre, il convient de tenir compte du fait que l’attention de l’utilisateur averti se focalise plutôt sur les éléments
les plus visibles et les plus importants lors de l’utilisation du produit [voir, en ce sens, arrêts du 29 octobre 2015, Robinet à commande unique, T‑334/14, non publié, EU:T:2015:817, point 74, et du 28 septembre 2017, Rühland/EUIPO – 8 seasons design (Lampe en étoile), T‑779/16, non publié, EU:T:2017:674, point 43].
50 À cet égard, l’importance des caractéristiques visibles du produit est appréciée sur la base de leur incidence non seulement sur son apparence, mais également sur le confort de son utilisation [voir, en ce sens, arrêts du 4 février 2014, Fauteuil cubique, T‑339/12, non publié, EU:T:2014:54, points 26 et 30, et du 6 septembre 2023, Cayago Tec/EUIPO – iAqua (Shenzhen) (Scooter des mers, bateau à moteur), T‑377/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2023:504, point 54].
51 En outre, selon la jurisprudence, un degré élevé de liberté du créateur renforce la conclusion selon laquelle les dessins ou modèles sans différences significatives produisent une même impression globale sur l’utilisateur averti et, partant, le dessin ou modèle contesté ne présente pas de caractère individuel. À l’inverse, un faible degré de liberté du créateur favorise la conclusion selon laquelle les différences suffisamment marquées entre les dessins ou modèles produisent une impression
globale dissemblable sur l’utilisateur averti et, partant, le dessin ou modèle contesté présente un caractère individuel (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 76 et jurisprudence citée).
52 Il y a donc lieu de déterminer, en l’espèce, si les différences entre les deux modèles et dessins en conflit sont suffisamment marquées pour produire à l’égard de l’utilisateur averti des impressions globales distinctes.
[omissis]
55 Par ailleurs, en ce qui concerne les éléments qui sont, quant à eux, pertinents pour la comparaison des impressions globales produites par les dessins ou modèles en conflit, il convient de remarquer que, lorsque l’utilisateur averti utilise une poignée de porte à béquille conformément à son utilisation normale, il saisit sa zone de préhension par la main, qui correspond, en l’espèce, à la béquille, pour exercer une pression de haut en bas de sorte que le pêne demi-tour de la porte coulisse et
permette l’ouverture de celle-ci, qui pourra, alors, être poussée ou tirée. Or, lorsque l’utilisateur averti s’approche de la poignée de porte afin de l’utiliser normalement, ce dernier la voit d’en haut. De ce fait, les éléments les plus visibles de celle-ci sont ceux correspondant aux parties tournées vers l’extérieur de la poignée, à savoir les parties avant, latérale et haute de la poignée. Comme l’a reconnu la chambre de recours aux points 33 et 35 de la décision attaquée, les différences à
l’arrière, à savoir la courbure des bords et la forme du col, seront également visibles pour l’utilisateur averti et ne seront pas négligées par celui-ci. De plus, ainsi que le relève la requérante, la courbure arrondie des bords du dessin ou modèle contesté est accompagnée d’un aspect plus fin et lisse que l’utilisateur averti remarquera aisément.
56 En outre, les formes arrondies et plus fines des bords du dessin ou modèle contesté constituent des différences avec le dessin ou modèle antérieur qui seront perçues par l’utilisateur averti comme influençant la manipulation de la poignée et sont, donc, des éléments importants au regard de l’impression globale produite par le dessin ou modèle contesté, conformément aux considérations énoncées aux points 49 et 50 ci-dessus. En effet, ces aspects ont une incidence sur le confort de l’utilisation de
la poignée, puisqu’ils correspondent aux parties de celle-ci qui entrent directement en contact avec la main de l’utilisateur averti.
57 Par conséquent, conformément aux considérations exposées au point 49 ci-dessus, l’attention de l’utilisateur averti se focalise sur l’ensemble des éléments indiqués aux points 55 et 56 ci-dessus.
58 Or, eu égard aux précisions apportées aux points 55 et 56 ci-dessus et à l’attention élevée de l’utilisateur averti en l’espèce (voir point 22 ci-dessus), il y a lieu de considérer que, contrairement à ce qu’avance la chambre de recours au point 35 de la décision attaquée, les différences quant aux angles de la béquille et du col ne constituent ni des éléments marginaux ni des variations mineures d’un seul et même dessin ou modèle. En effet, une forme plus arrondie crée, en général, un
adoucissement des lignes du col et de la béquille, ce qui a une incidence significative tant sur l’apparence globale que sur le confort d’utilisation de la poignée de porte. Il s’agit, donc, d’un élément qui attire l’attention de l’utilisateur averti.
59 Il découle de ce qui précède que, bien que la liberté du créateur soit élevée (voir point 35 ci-dessus), lesdites différences sont suffisamment importantes pour produire une impression globale différente des dessins ou modèles en conflit, contrairement à l’analyse de la chambre de recours.
[omissis]
LE TRIBUNAL (septième chambre)
déclare et arrête :
1) La décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 29 août 2022 (affaire R 29/2022-3) est annulée.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Chaque partie supportera ses propres dépens.
Kowalik-Bańczyk
Dimitrakopoulos
Ricziová
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 avril 2024.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.
( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.