ARRÊT DU TRIBUNAL (grande chambre)
11 septembre 2024 ( *1 )
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom des requérants sur la liste – Obligation de déclaration des fonds ou des ressources économiques qui appartiennent aux requérants ou qu’ils possèdent,
détiennent ou contrôlent – Obligation de coopération avec l’autorité nationale compétente – Participation à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures restrictives – Article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement (UE) no 269/2014 – Recours en annulation – Qualité pour agir – Affectation directe – Acte réglementaire ne comportant pas de mesure d’exécution – Intérêt à agir – Recevabilité – Compétence du Conseil – Proportionnalité »
Dans l’affaire T‑635/22,
Mikhail Fridman, demeurant à Londres (Royaume-Uni),
Petr Aven, demeurant à Virginia Water (Royaume-Uni),
German Khan, demeurant à Londres,
représentés par Mes T. Marembert et A. Bass, avocats,
parties requérantes,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Van Overmeire et M. J. Rurarz, en qualité d’agents, assistés de Me B. Maingain, avocat,
partie défenderesse,
soutenu par
Royaume de Belgique, représenté par Mmes C. Pochet, M. Van Regemorter et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,
par
République de Lettonie, représentée par Mmes K. Pommere et J. Davidoviča, en qualité d’agents,
et par
Commission européenne, représentée par MM. H. Krämer, C. Giolito, Mmes M. Carpus Carcea et L. Puccio, en qualité d’agents,
parties intervenantes,
LE TRIBUNAL (grande chambre),
composé de MM. M. van der Woude, président, S. Papasavvas, D. Spielmann (rapporteur), Mmes M. J. Costeira, K. Kowalik‑Bańczyk, MM. S. Gervasoni, L. Madise, Mmes N. Półtorak, M. Brkan, MM. I. Gâlea, I. Dimitrakopoulos, D. Kukovec, Mme S. Kingston, MM. T. Tóth et S. L. Kalėda, juges,
greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 11 janvier 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérants, MM. Mikhail Fridman, Petr Aven et German Khan, demandent l’annulation du règlement (UE) 2022/1273 du Conseil, du 21 juillet 2022, modifiant le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 194, p. 1, ci-après le « règlement attaqué »), en tant qu’il les concerne, et visent ainsi plus
précisément l’article 1er, point 4, du règlement attaqué en ce qu’il modifie l’article 9 du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6), en y insérant des obligations de déclaration des fonds et de coopération avec les autorités compétentes à cet égard (article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que
modifié) et en assimilant le non-respect de ces obligations à un contournement des mesures de gel des fonds (article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié) (ci-après les « dispositions attaquées »).
Antécédents du litige
2 Les requérants sont des hommes d’affaires de nationalités russe et israélienne en ce qui concerne MM. Fridman et Khan et de nationalités russe et lettone en ce qui concerne M. Aven.
3 En mars 2014, la Fédération de Russie a annexé la République autonome de Crimée ainsi que la ville de Sébastopol et mène depuis lors des actions de déstabilisation continues dans l’est de l’Ukraine. Des mouvements séparatistes pro-russes sont parallèlement entrés en conflit armé avec le gouvernement ukrainien dans les régions de Donetsk et de Lougansk.
4 Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement notamment de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2014/145, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16). Le même jour, il a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement no 269/2014. Dans les jours suivants, les forces armées russes ont entrepris des opérations de guerre
dans l’ensemble de l’Ukraine, opérations qui se poursuivent à ce jour.
5 Le 21 février 2022, le président de la Fédération de Russie a signé un décret reconnaissant l’indépendance et la souveraineté de la « République populaire de Donetsk » et de la « République populaire de Lougansk », autoproclamées, et a ordonné le déploiement des forces armées russes dans ces zones.
6 Le 22 février 2022, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (ci-après le « haut représentant ») a publié une déclaration au nom de l’Union européenne condamnant ces actions, dès lors qu’elles constituaient une violation grave du droit international. Il a annoncé que l’Union réagirait à ces dernières violations par la Fédération de Russie en adoptant de toute urgence des mesures restrictives supplémentaires.
7 Dans ce contexte, le Conseil a adopté plusieurs séries de mesures restrictives. Les noms des requérants ont été ajoutés par la décision (PESC) 2022/337 du Conseil, du 28 février 2022, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 59, p. 1), et le règlement d’exécution (UE) 2022/336 du Conseil, du 28 février 2022, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 58, p. 1), en ce qui concerne MM. Aven et Fridman, et par la décision (PESC) 2022/429 du Conseil, du 15 mars 2022, modifiant la décision
2014/145 (JO 2022, L 87 I, p. 44), et le règlement d’exécution (UE) 2022/427 du Conseil, du 15 mars 2022, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 87 I, p. 1), en ce qui concerne M. Khan, puis ont été successivement maintenus sur les listes des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figuraient à l’annexe de la décision 2014/145 et à l’annexe I du règlement no 269/2014. Ces mesures restrictives ont fait l’objet de recours en annulation devant le
Tribunal (affaires T‑301/22, Aven/Conseil, T‑304/22, Fridman/Conseil, et T‑333/22, Khan/Conseil).
8 À la date de l’adoption des actes mentionnés au point 7 ci-dessus, l’article 2 du règlement no 269/2014 disposait ce qui suit :
« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, énumérés à l’annexe I, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes physiques ou morales, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.
2. Aucuns fonds ni aucune ressource économique ne sont mis, directement ou indirectement, à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou des personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, énumérés à l’annexe I, ni dégagés à leur profit. »
9 L’article 9 dudit règlement prévoyait qu’« [i]l [était] interdit de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures énoncées à l’article 2 ».
10 L’article 15 de ce même règlement disposait ce qui suit :
« 1. Les États membres arrêtent le régime des sanctions à appliquer en cas d’infraction aux dispositions du présent règlement et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir la mise en œuvre. Les sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.
2. Les États membres notifient le régime visé au paragraphe 1 à la Commission sans délai après l’entrée en vigueur du présent règlement et lui notifient toute modification ultérieure de ce régime. »
11 Le 3 juin 2022, le Conseil a adopté le règlement (UE) 2022/880, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 153, p. 75), considérant notamment qu’il y avait lieu de préciser et de renforcer les dispositions relatives aux sanctions nationales infligées en cas de violation des mesures prévues dans ledit règlement (considérant 2 du règlement 2022/880).
12 L’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié, prévoit :
« Les États membres arrêtent le régime des sanctions, y compris des sanctions pénales le cas échéant, à appliquer en cas d’infractions aux dispositions du présent règlement et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir la mise en œuvre. Les sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Les États membres prévoient également des mesures appropriées de confiscation des produits de ces infractions. »
13 Le 21 juillet 2022, le Conseil a adopté, sur le fondement notamment de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2022/1272, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 193, p. 219). Par cette décision, il a introduit de nouvelles dérogations au gel des avoirs et à l’interdiction de mettre des fonds et des ressources économiques à la disposition de personnes et d’entités désignées.
14 Le même jour, le règlement attaqué a été adopté, notamment sur le fondement de l’article 215 TFUE. Ce règlement précise, dans son considérant 5, ce qui suit :
« Afin d’assurer une mise en œuvre efficace et uniforme du règlement (UE) no 269/2014, et compte tenu de la complexité croissante des systèmes permettant d’échapper aux sanctions, qui empêchent cette mise en œuvre, il est nécessaire d’obliger les personnes et entités désignées détenant des avoirs relevant de la juridiction d’un État membre à les déclarer et à coopérer avec l’autorité compétente pour la vérification de ces déclarations. Il convient également de renforcer les dispositions relatives
aux obligations de déclaration incombant aux opérateurs de l’Union, en vue de prévenir la violation et le contournement du gel des avoirs. Le non-respect de cette obligation constituerait un contournement du gel des avoirs et serait passible de sanctions pour autant que les conditions pour imposer de telles sanctions soient remplies en vertu des règles et procédures nationales applicables. »
15 Par le règlement attaqué, le Conseil a modifié le règlement no 269/2014 en prévoyant, dans son article 1er, points 1 à 3, les dérogations prévues par la décision 2022/1272. Dans son article 1er, point 4, le règlement attaqué prévoit que l’article 9 du règlement no 269/2014 est remplacé par le texte suivant :
« Article 9
1. Il est interdit de participer, sciemment et volontairement, à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures visées à l’article 2.
2. Les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes inscrits sur la liste figurant à l’annexe I :
a) déclarent avant le 1er septembre 2022 ou dans un délai de six semaines à compter de la date de l’inscription sur la liste figurant à l’annexe I, la date la plus tardive étant retenue, les fonds ou ressources économiques relevant de la juridiction d’un État membre qui leur appartiennent ou qu’ils possèdent, détiennent ou contrôlent, à l’autorité compétente de l’État membre dans lequel se trouvent ces fonds ou ressources économiques ; et
b) coopèrent avec l’autorité compétente aux fins de toute vérification de cette information.
3. Le non-respect du paragraphe 2 est considéré comme une participation, telle que visée au paragraphe 1, à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures visées à l’article 2.
[…] »
Conclusions des parties
16 Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler le règlement attaqué en ce qu’il les concerne, dans la mesure précisée au point 1 ci-dessus ;
– condamner le Conseil aux dépens.
17 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours en annulation comme étant irrecevable et, à titre subsidiaire, non fondé ;
– condamner les requérants aux dépens.
18 Le Royaume de Belgique, la République de Lettonie et la Commission européenne concluent au rejet du recours comme étant irrecevable ou, à titre subsidiaire, non fondé.
En droit
Sur la recevabilité du recours
19 Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique, la République de Lettonie et la Commission, soutient que les requérants ne sont pas directement et individuellement concernés par les dispositions attaquées. En effet, il fait valoir que leurs noms ont été ajoutés sur les listes litigieuses leur imposant des mesures restrictives par la décision 2022/337 et le règlement d’exécution 2022/336, en ce qui concerne MM. Aven et Fridman, et par la décision 2022/429 et le règlement d’exécution 2022/427, en
ce qui concerne M. Khan, qui sont les actes qui les concernent individuellement et directement et qui ont fait l’objet de recours en annulation (voir point 7 ci-dessus).
20 La Commission ajoute que le règlement attaqué ne constitue pas une mesure qui concerne directement les requérants et qui ne comporte pas de mesures d’exécution. En particulier, l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, nécessiterait une appréciation au cas par cas et une application des sanctions par le droit national.
21 Le Royaume de Belgique ajoute que les avoirs des requérants relevant de la juridiction d’États membres sont déjà supposés gelés par le biais des actes attaqués dans le cadre des recours dans les affaires T‑301/22, Aven/Conseil, T‑304/22, Fridman/Conseil, et T‑333/22, Khan/Conseil. Dès lors, les requérants n’auraient pas d’intérêt à introduire le présent recours, sauf à avoir contourné les mesures restrictives dont ils ont fait l’objet, espérant pouvoir continuer à le faire par le présent recours.
22 La République de Lettonie a soutenu, lors de l’audience, que les dispositions attaquées concernaient une catégorie de personnes envisagée de manière générale et abstraite et que les requérants n’avaient indiqué aucune autre circonstance confirmant qu’ils étaient davantage concernés ou individualisés par l’acte attaqué que les autres personnes appartenant à cette catégorie.
23 Les requérants contestent cette argumentation.
24 Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire (premier membre de phrase) ou qui la concernent directement et individuellement (deuxième membre de phrase), ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution (troisième membre de
phrase).
25 La condition d’affectation directe est commune aux deuxième et troisième membres de phrase de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE et revêt, selon la jurisprudence, la même signification dans chacun de ces membres de phrase (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 73). Selon une jurisprudence constante, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la mesure faisant l’objet
du recours requiert la réunion de deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de cette personne et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de la mettre en œuvre, cette mise en œuvre ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires [voir arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil
(Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 61 et jurisprudence citée ; arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 65].
26 En outre, selon la jurisprudence constante de la Cour, l’expression « qui ne comportent pas de mesures d’exécution », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, doit être interprétée à la lumière de l’objectif de cette disposition qui consiste, ainsi qu’il ressort de sa genèse, à éviter qu’un particulier soit contraint d’enfreindre le droit pour pouvoir accéder au juge. Or, lorsqu’un acte réglementaire produit directement des effets sur la situation juridique
d’une personne physique ou morale sans requérir des mesures d’exécution, cette dernière risque d’être dépourvue d’une protection juridictionnelle effective si elle ne dispose pas d’une voie de recours devant le juge de l’Union aux fins de mettre en cause la légalité de cet acte réglementaire. En effet, en l’absence de mesures d’exécution, une personne physique ou morale, bien que directement concernée par l’acte en question, ne serait en mesure d’obtenir un contrôle juridictionnel de cet acte
qu’après avoir violé les dispositions dudit acte en se prévalant de l’illégalité de celles-ci dans le cadre des procédures ouvertes à son égard devant les juridictions nationales (arrêts du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 27, et du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 58). La Cour a, par ailleurs, itérativement
jugé que, aux fins d’apprécier si un acte réglementaire comporte des mesures d’exécution, il y a lieu de s’attacher à la position de la personne invoquant le droit de recours au titre de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE (voir arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 61 et jurisprudence citée).
27 En l’espèce, les dispositions attaquées présentent un caractère réglementaire au sens de l’article 263, quatrième alinéa, dernier membre de phrase, TFUE, en ce qu’elles ont une portée générale et en ce qu’elles ont été adoptées sur le fondement de l’article 215 TFUE, conformément à la procédure non législative prévue dans cette disposition [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 92].
28 En outre, les dispositions attaquées concernent les personnes physiques ou morales, entités ou organismes inscrits sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014, tel que modifié.
29 Or, lors de l’introduction de leur recours, les noms des requérants figuraient dans cette annexe I, depuis le 28 février 2022 en ce qui concerne MM. Aven et Fridman, et depuis le 15 mars 2022 en ce qui concerne M. Khan (voir point 7 ci-dessus).
30 Dès lors, depuis le 21 juillet 2022, date d’entrée en vigueur du règlement attaqué, les requérants sont soumis aux obligations en cause, à savoir l’obligation de déclarer avant le 1er septembre 2022 leurs fonds ou ressources économiques et l’obligation de coopérer avec les autorités nationales compétentes, en application de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié. De plus, en application de l’article 9, paragraphe 3, de ce même règlement, le non-respect desdites
obligations est qualifié de participation à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures restrictives de gels de fonds.
31 Force est ainsi de constater que les dispositions attaquées affectent directement les requérants, dès lors qu’elles produisent directement des effets sur leur situation juridique. En effet, les obligations de déclaration et de coopération, ainsi que les effets de leur non-respect, s’appliquent aux requérants en tant que personnes inscrites sur la liste figurant en annexe I du règlement no 269/2014 au moment de l’entrée en vigueur desdites dispositions. En outre, l’application de ces dispositions
à l’égard des requérants ne nécessite l’adoption d’aucune mesure d’exécution au niveau de l’Union ou des États membres, ce qui a été admis par le Conseil lors de l’audience, et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, de sorte qu’elles affectent de façon purement automatique la situation juridique des requérants.
32 Il s’ensuit que les dispositions attaquées constituent des actes réglementaires qui concernent directement les requérants et qui ne comportent pas de mesures d’exécution au sens de la jurisprudence applicable.
33 La référence du Conseil à l’arrêt du 28 janvier 2016, Azarov/Conseil (T‑332/14, non publié, EU:T:2016:48, points 59 et 60), et la solution d’irrecevabilité pour défaut d’affectation directe du requérant retenue dans cet arrêt n’infirment pas ce constat. En effet, dans ledit arrêt, le recours était dirigé notamment contre des actes qui modifiaient les critères de désignation pour le gel des fonds visant les personnes responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien. Il a été
jugé irrecevable en ce qu’il était dirigé contre lesdits actes, dès lors que, en substance, ces actes ne comportaient des effets juridiques qu’à l’égard de catégories de personnes et d’entités envisagées de manière générale et abstraite et ne concernaient ni individuellement ni directement le requérant dans cette affaire.
34 En l’espèce, en revanche, les dispositions attaquées produisent directement et immédiatement des effets sur la situation juridique des requérants, sans requérir l’adoption de mesures d’exécution par les autorités chargées de mettre en œuvre lesdites obligations. Les requérants risqueraient ainsi d’être dépourvus d’une protection juridictionnelle effective s’ils ne disposaient pas d’une voie de recours devant le juge de l’Union aux fins de mettre en cause la légalité desdites dispositions.
35 Partant, les requérants ont qualité pour agir en annulation des dispositions attaquées.
36 Le Royaume de Belgique soutient que les requérants n’auraient pas d’intérêt à introduire le présent recours, dès lors que tous leurs avoirs sont déjà supposés être gelés, sauf à avoir contourné les mesures restrictives dont ils ont fait l’objet, espérant pouvoir continuer à le faire par le présent recours.
37 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la recevabilité d’un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale est subordonnée à la condition que cette dernière ait un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir, en ce sens, arrêt du
27 février 2014, Stichting Woonlinie e.a./Commission, C‑133/12 P, EU:C:2014:105, point 54 et jurisprudence citée, et ordonnance du 18 janvier 2023, Seifert/Conseil, T‑166/22, non publiée, EU:T:2023:13, point 22 et jurisprudence citée). L’intérêt à agir d’une partie requérante doit être né et actuel et ne peut concerner une situation future et hypothétique (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 56 et jurisprudence citée).
38 Or, en l’espèce, indépendamment du fait que les requérants ou d’autres personnes aient ou non déclaré ou gelé les fonds ou ressources économiques en cause et, le cas échéant, coopéré avec les autorités compétentes, ou que lesdits fonds ou ressources économiques aient ou non été gelés, ils conservent un intérêt à obtenir l’annulation des dispositions attaquées, qui leur imposent des obligations de déclaration et de coopération dont le non-respect peut entraîner pour eux de lourdes conséquences. En
effet, l’intérêt à agir ne disparaît pas au motif que la partie requérante a exécuté les obligations qu’elle conteste (voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 1985, Hoogovens Groep/Commission, 172/83 et 226/83, EU:C:1985:355, point 19, et du 15 décembre 1999, Kesko/Commission, T‑22/97, EU:T:1999:327, points 55 à 65), ni même au motif qu’elles ont été exécutées par un tiers (voir, en ce sens, arrêt du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, EU:C:1979:53, point 32). Par conséquent, l’intérêt à
agir des requérants reste établi sans qu’ils aient à démontrer, comme l’impliquerait l’argument du Royaume de Belgique, qu’ils ont enfreint leurs obligations. Partant, l’argument du Royaume de Belgique doit être écarté.
39 En outre, il est constant que respecter l’obligation de déclaration n’entraîne pas l’extinction de toutes les obligations prescrites par les dispositions attaquées. En effet, une fois les fonds ou ressources économiques déclarés auprès de l’autorité nationale compétente, l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, oblige les personnes qui ont déclaré les fonds ou ressources économiques qu’elles possèdent, détiennent ou contrôlent à coopérer avec cette autorité nationale
aux fins de toute vérification. Il en résulte que les requérants conservent un intérêt né et actuel à agir à l’encontre des dispositions de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié.
40 Quant aux dispositions de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, la qualification de participation à un contournement des mesures restrictives qu’elles prévoient est consubstantielle aux obligations prévues par l’article 9, paragraphe 2, de ce règlement, de sorte que les requérants justifient d’un intérêt né et actuel à agir à l’encontre de ces dispositions.
41 Dès lors, l’argument du Royaume de Belgique selon lequel les requérants n’auraient pas d’intérêt à introduire le présent recours doit être rejeté.
42 Il découle de tout ce qui précède que le présent recours est recevable.
Sur le fond
43 Les requérants soulèvent deux moyens, le premier, tiré du défaut de base légale et de la violation de l’article 215 TFUE ainsi que de la violation des principes de proportionnalité et de sécurité juridique et, le second, tiré du défaut de base légale et de la violation des articles 4, 5, 25 et 40 TUE, ainsi que des articles 3, 4, 82, 83 et 215 TFUE, au motif que le Conseil se serait érigé en législateur pénal.
Sur le premier moyen, tiré du défaut de base légale et de la violation de l’article 215 TFUE ainsi que de la violation des principes de proportionnalité et de sécurité juridique
44 Les requérants soutiennent, en substance, que, même si le libellé de l’article 215 TFUE n’est pas limitatif, il est d’interprétation stricte et le Conseil ne peut pas imposer des obligations positives aux personnes sanctionnées sur le fondement de cette disposition. L’obligation de révéler la consistance de leur patrimoine serait une forme de sanction et non une « mesure restrictive » au sens de l’article 215 TFUE. De plus, à supposer que le Conseil puisse imposer des obligations positives, les
obligations de déclaration et de coopération en cause excèderaient sa compétence ratione materiae.
45 En outre, ils soutiennent que les obligations en cause sont attentatoires à la vie privée, excessives et incertaines, car reposant sur des termes vagues et non définis. Elles auraient également une portée extraterritoriale.
46 Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique, la République de Lettonie et la Commission, conteste cette argumentation.
47 Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, TUE, la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) est soumise à des règles et procédures spécifiques et est « définie et mise en œuvre par le Conseil européen et le Conseil, qui statuent à l’unanimité, sauf dans les cas où les traités en disposent autrement ». En outre, cette politique est exécutée par le haut représentant et par les États membres, conformément aux traités. En application de
l’article 29 TUE, le Conseil « adopte des décisions qui définissent la position de l’Union sur une question particulière de nature géographique ou thématique ».
48 Les mesures restrictives sont adoptées, dans le cadre de la PESC, par une décision du Conseil prise à l’unanimité sur le fondement de l’article 29 TUE et leur mise en œuvre s’effectue, dans le cadre du traité FUE, par le biais d’un règlement adopté en application de l’article 215 TFUE par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, sur proposition conjointe du haut représentant et de la Commission. D’une part, l’article 215, paragraphe 1, TFUE vise l’adoption par le Conseil de mesures
nécessaires à l’interruption ou à la réduction, en tout ou en partie, des relations économiques et financières avec un ou plusieurs pays tiers, prévue par une décision adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité UE. D’autre part, selon l’article 215, paragraphe 2, TFUE, lorsqu’une décision, adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité UE, le prévoit, le Conseil peut adopter, selon la procédure visée au paragraphe 1, des mesures restrictives à l’encontre de personnes
physiques ou morales, de groupes ou d’entités non étatiques.
49 Selon la jurisprudence, il ressort des articles 24 et 29 TUE que, en règle générale, le Conseil a vocation à définir, en statuant à l’unanimité, l’objet des mesures restrictives que l’Union adopte dans le domaine de la PESC. Compte tenu de la vaste portée des buts et des objectifs de la PESC, tels qu’exprimés à l’article 3, paragraphe 5, TUE et à l’article 21 TUE ainsi que dans les dispositions spécifiques relatives à la PESC, notamment aux articles 23 et 24 TUE, le Conseil dispose d’une grande
latitude en définissant cet objet (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 88).
50 Quant à l’article 215 TFUE, qui établit une passerelle entre les objectifs du traité UE en matière de PESC et les actions de l’Union comportant des mesures économiques relevant du traité FUE (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil, C‑130/10, EU:C:2012:472, point 59), il permet l’adoption de règlements par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition conjointe du haut représentant et de la Commission, pour donner effet à des mesures restrictives lorsque
celles‑ci relèvent du champ d’application du traité FUE, ainsi que, notamment, afin d’en garantir l’application uniforme dans tous les États membres (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 89).
51 Ainsi, les décisions adoptées sur le fondement de l’article 29 TUE arrêtent la position de l’Union en ce qui concerne les mesures restrictives à adopter, tandis que les règlements pris sur la base de l’article 215 TFUE se rattachent, au regard de leurs objectifs et de leur contenu, auxdites décisions et constituent l’instrument pour leur donner effet à l’échelle de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil, C‑130/10, EU:C:2012:472, points 72 et 76, et du 28 mars
2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 90).
52 En l’espèce, les dispositions attaquées ont été adoptées sur le fondement de l’article 215 TFUE, et plus précisément de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, comme le reconnaissent d’ailleurs les parties principales.
53 Il y a lieu de rappeler que, selon le considérant 5 du règlement attaqué, les dispositions attaquées ont été adoptées afin de remédier « [à] la complexité croissante des systèmes [qui] permett[ent] d’échapper aux sanctions [et] qui empêchent [la] mise en œuvre [des mesures restrictives] ». Dès lors, pour assurer la mise en œuvre efficace et uniforme de ce règlement, le Conseil a souligné la nécessité « d’obliger les personnes et entités désignées détenant des avoirs relevant de la juridiction
d’un État membre à les déclarer et à coopérer avec l’autorité compétente pour la vérification de ces déclarations ».
54 À cet égard, le Conseil a souligné, d’une part, que, en comparaison avec les régimes de mesures restrictives mis en œuvre eu égard à la situation existant dans d’autres pays, le nombre de personnes visées par les mesures restrictives adoptées dans le cadre du régime relatif à la situation en Ukraine n’avait jamais été aussi important et, d’autre part, que ces mesures restrictives avaient fait l’objet de contournements, voire de violations pour éviter leur application effective. Au surplus, ainsi
qu’il ressort des débats lors de l’audience, l’adoption des obligations en cause était également motivée par la circonstance que, auparavant, peu d’États membres avaient adopté des dispositions nationales prévoyant de telles obligations, notamment l’obligation de déclaration.
55 Il en résulte que les dispositions attaquées ont, en l’espèce, été instituées pour garantir l’application uniforme du règlement no 269/2014 sur le territoire de l’Union et mettre en échec les stratégies de contournements des mesures restrictives, rendues possibles, notamment, par le recours à des systèmes juridiques et financiers complexes.
56 Elles constituent ainsi non pas des mesures restrictives en tant que telles, mais des mesures qui se rattachent à la décision 2014/145 en ce qu’elles sont de nature à assurer, à l’échelle de l’Union, la mise en œuvre efficace et uniforme des mesures restrictives prévues par ladite décision.
57 Il s’ensuit que c’est à bon droit que le Conseil a adopté les dispositions attaquées sur le fondement de l’article 215 TFUE.
58 Ce constat n’est pas infirmé par les arguments des requérants.
59 Premièrement, les requérants soutiennent que le Conseil ne saurait imposer des obligations positives aux personnes sanctionnées sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE.
60 Toutefois, même si, comme les requérants le soulignent, le Conseil n’a pas toute liberté pour édicter les mesures qu’il souhaite en matière de PESC, l’article 215 TFUE n’est pas limitatif, ainsi que les requérants l’admettent. Or, la seule référence faite aux mesures restrictives par l’article 215, paragraphe 2, TFUE n’a pas pour conséquence de limiter les mesures prévues par ladite disposition à des obligations de ne pas faire. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 50 ci-dessus, cette
disposition a pour objet de permettre au Conseil de mettre en œuvre une décision adoptée en matière de PESC afin d’en garantir l’application uniforme dans tous les États membres. Ainsi, si les mesures restrictives se caractérisent, en principe, par des mesures d’interdiction ou des limitations, il reste que leur mise en œuvre peut impliquer des obligations de faire, telles que celles de l’espèce, qui ne sauraient être exclues par principe au seul motif qu’il s’agit d’obligations positives.
61 Deuxièmement, l’affirmation des requérants selon laquelle les dispositions attaquées, en particulier l’obligation de révéler la consistance de leur patrimoine, seraient une forme de sanction et non une mesure restrictive doit être écartée.
62 En effet, d’une part, il ressort des points 52 à 57 ci-dessus que les dispositions attaquées imposent une obligation de déclaration des fonds ou des ressources économiques et une obligation de coopération, qui constituent non pas des sanctions, mais des mesures ayant pour objet la mise en œuvre des mesures restrictives de gel des fonds. D’autre part, ces dispositions n’instituent pas de sanctions en elles-mêmes. Certes, comme le soulignent les requérants, le paragraphe 3 de l’article 9 du
règlement no 269/2014, tel que modifié, prévoit que le non-respect de ces obligations de déclaration et de coopération est considéré comme une participation à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures de gels de fonds, participation elle-même interdite par le paragraphe 1 du même article 9. Toutefois, cette disposition qualifie juridiquement le non-respect desdites obligations, sans pour autant instituer de sanction.
63 Il s’ensuit que l’argument des requérants selon lequel les dispositions attaquées constitueraient une forme de sanction doit être écarté.
64 Troisièmement, comme les requérants le relèvent, ces obligations sont inédites à leur égard, ainsi que cela a été évoqué lors de l’audience.
65 Toutefois, l’article 215, paragraphe 2, TFUE permet l’adoption par le Conseil de telles obligations positives, même inédites à leur égard, dès lors qu’elles se rattachent aux mesures restrictives dont les requérants font l’objet, en ce qu’elles sont de nature à donner effet à de telles mesures dans tous les États membres aux fins d’en garantir l’application efficace et uniforme dans une situation qui, comme celle de l’espèce, est caractérisée par une complexité croissante des systèmes permettant
aux personnes et entités visées par ces mesures restrictives d’échapper aux sanctions.
66 Il résulte de ce qui précède que les dispositions attaquées constituent non pas des sanctions, mais des mesures qui assurent la mise en œuvre de mesures restrictives, qui ont été adoptées à bon droit sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE. Partant, c’est à tort que les requérants soutiennent que le Conseil ne serait pas compétent ratione materiae, sur le fondement de cette disposition, pour adopter les obligations en cause.
67 Quatrièmement, les requérants font valoir que les obligations de déclaration et de coopération en cause seraient attentatoires à la vie privée, dont le patrimoine serait une composante essentielle, et excessives du fait qu’elles « dépassent le seul patrimoine des personnes sanctionnées ». Ils font également valoir que l’objectif de garantir l’effectivité des mesures restrictives ne saurait justifier d’imposer de telles obligations aux personnes faisant l’objet desdites mesures.
68 Il y a lieu de rappeler que les droits fondamentaux ne constituent pas des prérogatives absolues et leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par les objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union, à condition que de telles restrictions répondent effectivement auxdits objectifs d’intérêt général et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (arrêts du 28 mars
2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 148, et du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 220).
69 Pour être conforme au droit de l’Union, une atteinte aux droits fondamentaux en cause doit être prévue par la loi, respecter le contenu essentiel desdits droits, viser un objectif d’intérêt général reconnu comme tel par l’Union et ne pas être disproportionnée (voir, en ce sens, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, points 145 et 222 et jurisprudence citée).
70 En l’espèce, en premier lieu, les obligations en cause sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans le règlement attaqué, disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union, à savoir l’article 215 TFUE, ainsi que d’une prévisibilité suffisante.
71 En deuxième lieu, les obligations en cause, limitées aux fonds ou ressources économiques relevant de la juridiction d’un État membre, s’imposent aux requérants au motif que leurs noms figurent dans l’annexe I du règlement no 269/2014, tel que modifié, et qu’ils sont, ce faisant, soumis à des mesures de gels de fonds. Or, l’inscription de leur nom étant une mesure temporaire, réversible et faisant l’objet d’un suivi constant, les obligations en cause, qui sont liées à cette inscription de leurs
noms, revêtent elles-mêmes un caractère temporaire et réversible. Dès lors, il y a lieu de considérer que lesdites obligations ne portent pas atteinte au contenu essentiel du droit à la vie privée invoqué.
72 En troisième lieu, l’objectif des mesures restrictives est d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, de promouvoir un règlement pacifique de la crise et de préserver la paix et la sécurité internationale, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21 TUE. Dans ce contexte, l’objectif des obligations en cause est de permettre l’identification des
fonds et ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par les personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives et, ce faisant, de mettre en œuvre de façon efficace et uniforme lesdites mesures, ce qui constitue un objectif qui s’inscrit dans le cadre de l’objectif plus général des mesures restrictives. Or, l’importance des objectifs ainsi poursuivis est de nature à justifier des conséquences négatives tenant à l’ingérence dans le droit à la vie privée alléguée par les
requérants.
73 En quatrième lieu, s’agissant du caractère approprié et nécessaire des obligations en cause, il y a lieu de relever que, comme le soulignent le Conseil ainsi que le Royaume de Belgique, la République de Lettonie et la Commission, de nouvelles modalités de mise en œuvre des mesures restrictives ont été justifiées par la nécessité d’assurer l’efficacité et l’application uniforme du régime de mesures restrictives concernant la situation en Ukraine, notamment au vu des contournements des mesures
restrictives résultant de la mise en place de systèmes d’une complexité croissante. Le Conseil évoque à cet égard les nombreuses voies de contournement, par le biais d’avoirs dissimulés au moyen de membres de la famille, de sociétés-écrans ou de prête-noms. La Commission a également souligné la gravité de la situation en Ukraine, les risques sans précédent pour la sécurité de l’Union et de ses États membres et le fait que le régime de mesures restrictives à l’encontre de la Fédération de Russie a
pris une proportion qu’aucun autre régime n’a connu, compte tenu du nombre de personnes et d’entités visées par lesdites mesures, de l’importance des fonds et ressources économiques visés par les mesures de gel de fonds et de la complexité croissante des montages juridiques et financiers par lesquels ces fonds et ressources économiques sont détenus ou contrôlés, rendant particulièrement difficile leur identification par les autorités nationales compétentes. En outre, les requérants n’ont pas
démontré la possibilité de mesures alternatives et moins contraignantes qui auraient permis d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis. Les obligations de déclaration et de coopération en cause apparaissent ainsi comme la mise en œuvre à la fois appropriée et nécessaire des gels de fonds.
74 S’agissant plus spécifiquement du caractère proportionné des obligations en cause, une mise en balance des intérêts en jeu démontre que les sérieux inconvénients qui en résultent pour les requérants ne sont toutefois pas démesurés par rapport aux objectifs d’intérêt général poursuivis, rappelés au point 72 ci-dessus. En effet, au regard de l’importance primordiale de ces objectifs poursuivis par les mesures restrictives et du fait que les obligations litigieuses sont de nature à assurer la mise
en œuvre efficace et uniforme desdites mesures, l’atteinte alléguée à la vie privée des requérants ne saurait être considérée comme étant disproportionnée.
75 Il s’ensuit que les arguments des requérants concernant le caractère disproportionné des obligations en cause, notamment au regard de leur vie privée, doivent être écartés.
76 S’agissant enfin de l’allégation des requérants selon laquelle les obligations contestées seraient excessives du fait qu’elles dépasseraient le seul patrimoine des personnes sanctionnées, force est de constater qu’elle n’est pas autrement étayée et doit donc être écartée.
77 Cinquièmement, les requérants soutiennent que les obligations contestées violent le principe de sécurité juridique au motif qu’elles reposent sur des termes vagues et non définis, notamment concernant la portée de la notion de « contrôle ».
78 Il y a lieu de rappeler que le principe de sécurité juridique implique que la législation de l’Union soit claire et précise et que son application soit prévisible pour tous ceux qui sont concernés (arrêt du 5 mars 2015, Europäisch-Iranische Handelsbank/Conseil, C‑585/13 P, EU:C:2015:145, point 93 ; voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 42).
79 En l’espèce, les personnes soumises à des gels de fonds doivent, aux termes de l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement no 269/2014, déclarer « les fonds ou ressources économiques relevant de la juridiction d’un État membre qui leur appartiennent ou qu’[elles] possèdent, détiennent ou contrôlent à l’autorité compétente de l’État membre dans lequel se trouvent ces fonds ou ressources économiques ».
80 Or, il n’apparaît pas que le recours aux notions d’appartenance, de détention, de possession ou de contrôle dans les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, souffre d’une ambigüité telle qu’elle ne permettrait pas aux personnes faisant l’objet de mesures de gel des fonds de pouvoir lever avec une certitude suffisante des éventuels doutes sur la portée ou le sens de ces notions. À cet égard, s’agissant de sociétés et dans le contexte spécifique des
mesures restrictives, il a ainsi déjà été jugé qu’une société peut être qualifiée de « société détenue ou contrôlée par une autre entité », dès lors qu’elle se trouve dans une situation dans laquelle cette autre entité est en mesure d’influencer ses choix, même en l’absence de tout lien juridique, de propriété ou de participation dans le capital, entre l’une et l’autre de ces deux entités économiques (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694,
point 75).
81 Il s’ensuit que la référence, faite par l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, aux notions d’appartenance, de possession, de détention ou de contrôle des fonds ou des ressources économiques fait apparaître de manière suffisamment claire et compréhensible ce que recouvrent de telles notions, de sorte à permettre aux personnes visées de se conformer à l’obligation de déclaration.
82 Sixièmement, les requérants soutiennent que les obligations en cause auraient une portée extraterritoriale, dès lors qu’une personne faisant l’objet de mesures restrictives et se trouvant hors de l’Union est susceptible de poursuites si elle ne répond pas à une question d’une autorité nationale.
83 Il y a lieu de rappeler que, selon l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, les requérants sont tenus, d’une part, de déclarer leurs fonds ou ressources économiques relevant de la juridiction d’un État membre à l’autorité compétente de l’État membre dans lequel se trouvent ces fonds ou ressources économiques et, d’autre part, de coopérer avec ladite autorité aux fins de vérification des informations. Il s’ensuit que les actifs ne relevant pas de la juridiction d’un
État membre ne sont pas visés par lesdites obligations. En outre, s’agissant des personnes se trouvant hors de l’Union, seuls leurs avoirs situés sur le territoire de l’Union sont visés, ce qui constitue un lien de rattachement suffisant à l’Union. Dès lors, l’argument tiré de la portée extraterritoriale des obligations en cause doit être écarté.
84 Il résulte de tout ce qui précède que les obligations en cause ne s’analysent pas comme des mesures restrictives, mais comme des mesures de nature à assurer la mise en œuvre des mesures restrictives appliquées aux requérants. Dès lors, compte tenu du contexte et de l’objectif de garantir l’effectivité desdites mesures, le Conseil n’a méconnu ni l’étendue de sa compétence ratione materiae, ni le principe de proportionnalité, ni le principe de sécurité juridique en adoptant les dispositions
attaquées.
85 Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté comme non fondé.
Sur le second moyen, tiré du défaut de base légale et de la violation des articles 4, 5, 25 et 40 TUE, ainsi que des articles 3, 4, 82, 83 et 215 TFUE, au motif que le Conseil se serait érigé en législateur pénal
86 À titre liminaire, il y a lieu de relever que le libellé du second moyen mentionne le défaut de base légale des dispositions attaquées. Toutefois, il découle de l’examen du premier moyen que l’article 215 TFUE constitue la base légale pertinente des dispositions attaquées en l’espèce. Partant, cette argumentation relative au défaut de base légale des dispositions attaquées doit être écartée.
87 Pour le surplus du second moyen, si les requérants mentionnent la violation de différentes dispositions du traité UE et du traité FUE, leur argumentation vise, en substance, à démontrer que, en adoptant les dispositions attaquées, alors qu’il savait que 25 des 27 États membres réprimaient pénalement le contournement de sanctions, le Conseil s’est érigé en législateur pénal, alors que cette compétence relève des États membres.
88 Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique, la République de Lettonie et la Commission, conteste cette argumentation.
89 Il y a lieu de rappeler que, s’agissant des actes adoptés sur le fondement d’une disposition relative à la PESC, il incombe au juge de l’Union de veiller, notamment, au titre de l’article 40 TUE ainsi que de l’article 275, second alinéa, premier membre de phrase, TFUE, à ce que la mise en œuvre de cette politique n’affecte pas l’application des procédures et l’étendue respective des attributions des institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union au titre du traité
FUE (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 85 et jurisprudence citée).
90 En l’espèce, l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, institue les obligations de déclaration et de coopération en cause. L’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, prévoit, quant à lui, que le non-respect de ces obligations est considéré comme une participation à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures restrictives. Il renvoie à cet égard à l’article 9, paragraphe 1, du même règlement, qui prévoit
l’interdiction de participer, sciemment et volontairement, à de telles activités de contournement.
91 Ces dispositions ne sauraient être regardées comme prévoyant des dispositions pénales, même en tenant compte du fait que, comme le soulignent les requérants, au moment de l’adoption du règlement attaqué, la majorité des États membres réprimaient pénalement le contournement des mesures restrictives.
92 À cet égard, les requérants soulignent que, ainsi qu’il ressort de la proposition de la Commission du 25 mai 2022 de décision du Conseil, relative à l’ajout de la violation des mesures restrictives de l’Union aux domaines de criminalité énoncés à l’article 83, paragraphe 1, [TFUE] [COM(2022)247 final], le Conseil était conscient que le contournement de sanctions était réprimé pénalement dans l’ensemble des États membres à l’exception de deux d’entre eux. Toutefois, il ne saurait être déduit de
cette circonstance que, par l’adoption des dispositions attaquées, le Conseil aurait contraint les États membres à réprimer pénalement le contournement des gels de fonds. En effet, le fait que, dans les États membres qui réprimaient déjà pénalement le contournement de mesures restrictives, les sanctions appliquées en cas de violations des deux obligations en cause soient, par voie de conséquence, également pénales découle non pas des dispositions attaquées, mais du choix des États membres en
matière de sanctions.
93 Dès lors, l’argument selon lequel, par l’adoption des dispositions attaquées, le Conseil a adopté des obligations qui relèvent de la matière pénale à l’échelle de l’Union et selon lequel il s’est, ce faisant, érigé en législateur pénal doit être écarté.
94 Ce constat n’est pas modifié par une lecture conjointe de l’article 9 du règlement no 269/2014, tel que modifié, et de l’article 15 du même règlement. En effet, il résulte de l’article 15, paragraphe 1, dudit règlement que ce sont les États membres qui arrêtent le régime des sanctions à appliquer en cas d’infractions aux dispositions dudit règlement et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir la mise en œuvre. Il en résulte que, en cas de non-respect des obligations en cause,
qualifié de contournement des mesures restrictives, la détermination du régime des sanctions, « y compris des sanctions pénales le cas échéant » (article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié), demeure de la compétence des États membres. En outre, l’obligation imposée aux États membres d’adopter un régime de sanctions en cas de non-respect desdites obligations se rattache, par ses objectifs et son contenu, à la décision 2014/145, dès lors qu’elle vise à rendre effective
l’application uniforme des mesures restrictives prévues par cette décision. De plus, les dispositions de l’article 15 dudit règlement laissent aux autorités nationales toute liberté quant au choix de la nature, pénale ou non, de la sanction attachée aux infractions audit règlement.
95 Enfin, ce constat n’est pas davantage modifié par l’adoption, le 28 novembre 2022, de la décision (UE) 2022/2332 du Conseil, relative à l’identification de la violation des mesures restrictives de l’Union en tant que domaine de criminalité qui remplit les critères visés à l’article 83, paragraphe 1, [TFUE] (JO 2022, L 308, p. 18), ou par l’adoption par la Commission, le 2 décembre 2022, de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la définition des infractions
pénales et des sanctions applicables en cas de violation des mesures restrictives de l’Union [COM(2022) 684 final]. Outre que cette décision et cette proposition n’avaient pas été adoptées le 21 juillet 2022, date d’adoption des dispositions attaquées, il y a lieu de relever que cette approche législative tendant à l’harmonisation du droit pénal des États membres se distingue précisément de celle du règlement attaqué en l’espèce, fondé sur l’article 215, paragraphe 2, TFUE, qui ne vise qu’à
assurer la mise en œuvre efficace et uniforme du règlement no 269/2014. En effet, à la différence d’une directive, définissant les infractions pénales et les sanctions pénales en cas de contournement des mesures restrictives, adoptée sur le fondement de l’article 83, paragraphe 1, TFUE, qui lierait les États membres destinataires quant au résultat à atteindre en matière pénale, le régime des sanctions prévues à l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié, laisse aux
États membres une liberté de choix en ce qui concerne la nature pénale, administrative ou civile des sanctions à adopter en cas de violation de l’interdiction de contournement des mesures restrictives.
96 Partant, dès lors que les obligations litigieuses ne relèvent pas de la matière pénale, il ne saurait être reproché au Conseil d’avoir violé l’article 83 TFUE, de sorte que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le Conseil n’a pas davantage violé l’article 40 TUE.
97 Il résulte de tout ce qui précède que le second moyen doit être rejeté et, partant, le recours dans son ensemble.
Sur les dépens
98 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.
99 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, le Royaume de Belgique, la République de Lettonie et la Commission supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (grande chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) MM. Mikhail Fridman, Petr Aven et German Khan supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.
3) Le Royaume de Belgique, la République de Lettonie et la Commission européenne supporteront leurs propres dépens.
Van der Woude
Papasavvas
Spielmann
Costeira
Kowalik-Bańczyk
Gervasoni
Madise
Półtorak
Brkan
Gâlea
Dimitrakopoulos
Kukovec
Kingston
Tóth
Kalėda
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 septembre 2024.
Le greffier
V. Di Bucci
Le président
D. Spielmann
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( *1 ) Langue de procédure : le français.