ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
25 septembre 2024 ( *1 )
« Énergie – Marché intérieur de l’électricité – Région de calcul de la capacité – Région CORE – Adoption par l’ACER de la méthodologie pour la répartition des coûts du redispatching et des échanges de contrepartie – Obligation de motivation – Détermination du niveau de tolérance pour les flux de boucle légitimes – Article 16, paragraphe 13, du règlement (UE) 2019/943 »
Dans l’affaire T‑482/21,
TenneT TSO GmbH, établie à Bayreuth (Allemagne),
TenneT TSO BV, établie à Arnhem (Pays-Bas),
représentées par Mes D. Uwer, J. Meinzenbach, P. Rieger, R. Klein et S. Westphal, avocats,
parties requérantes,
soutenues par
République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Möller et N. Scheffel, en qualité d’agents,
partie intervenante,
contre
Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), représentée par MM. P. Martinet, E. Tremmel et Z. Vujasinovic, en qualité d’agents, assistés de Mes P. Goffinet, L. Bersou et M. Shehu, avocats,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),
composé de M. F. Schalin, président, Mme P. Škvařilová‑Pelzl, M. I. Nõmm, Mme G. Steinfatt et M. D. Kukovec (rapporteur), juges,
greffier : Mme I. Kurme, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience des 12 et 13 juin 2023,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, TenneT TSO GmbH et TenneT TSO BV, demandent l’annulation de la décision de la commission de recours de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) du 28 mai 2021 confirmant la décision no 30/2020 de l’ACER, du 30 novembre 2020, sur la proposition des gestionnaires de réseau de transport d’électricité (ci-après les « GRT ») de la région comprenant la Belgique, la République tchèque,
l’Allemagne, la France, la Croatie, le Luxembourg, la Hongrie, les Pays-Bas, l’Autriche, la Pologne, la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie (ci-après la « région CORE ») pour le calcul de la capacité dénommée « CORE », relative à la méthodologie pour la répartition des coûts du redispatching et des échanges de contrepartie, et rejetant leur recours dans l’affaire A-001-2021 (consolidée) (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 Les requérantes sont deux GRT qui exploitent un réseau de transport d’électricité, respectivement dans une partie de l’Allemagne et aux Pays-Bas.
3 Conformément à l’article 74, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1222 de la Commission, du 24 juillet 2015, établissant une ligne directrice relative à l’allocation de la capacité et à la gestion de la congestion (JO 2015, L 197, p. 24), les GRT de chaque région pour le calcul de la capacité proposent, au plus tard seize mois après la décision relative aux régions pour le calcul de la capacité, une méthodologie commune pour la répartition des coûts du redispatching et des échanges de contrepartie
(ci-après la « méthodologie pour la répartition des coûts »).
4 Le 17 novembre 2016, l’ACER a adopté, conformément à l’article 15 du règlement 2015/1222, la décision no 06/2016, relative à la détermination des régions pour le calcul de la capacité. L’article 1er et l’annexe I de cette décision énumèrent les territoires des États membres compris dans la région CORE.
5 La proposition de méthodologie pour la répartition des coûts des GRT de la région CORE aurait dû être soumise dans les seize mois suivant cette décision, à savoir au plus tard le 17 mai 2018.
6 Toutefois, les GRT de la région CORE n’ont pas soumis de proposition de méthodologie pour la répartition des coûts dans le délai mentionné au point 5 ci-dessus. Conformément à l’article 9, paragraphe 4, du règlement 2015/1222, ces GRT ont fait savoir aux autorités de régulation nationales (ci-après les « ARN ») et à l’ACER qu’ils avaient besoin de plus de temps pour l’élaboration d’une telle proposition. L’ACER en a informé la Commission européenne, qui a consulté les GRT, les ARN ainsi que l’ACER
afin d’aider lesdits GRT à élaborer cette proposition et à la soumettre pour approbation le plus tôt possible.
7 Le 27 mars 2019, conformément à l’article 9, paragraphe 7, sous h), du règlement 2015/1222, les GRT de la région CORE ont soumis à l’ensemble des ARN de cette région une proposition de méthodologie pour la répartition des coûts, accompagnée d’un document explicatif. Ces ARN disposaient d’un délai de six mois pour statuer sur cette proposition, conformément à l’article 9, paragraphe 10, dudit règlement.
8 Le 26 septembre 2019, à la demande desdits ARN, l’ACER a décidé de prolonger de six mois, soit jusqu’au 27 mars 2020, le délai qui leur était imparti pour l’approbation de ladite proposition.
9 Le 27 mars 2020, le président du Forum régional des régulateurs de l’énergie de la région CORE a annoncé, au nom de toutes les ARN de cette région, que ces dernières n’étaient pas en mesure de prendre, pour le jour même, une décision sur la proposition soumise, celle-ci étant considérée comme largement incomplète, et ce dans une mesure telle que les ARN n’étaient en mesure ni de l’approuver ni d’en demander une modification.
10 Le même jour, les ARN de la région CORE n’étant pas parvenues à un accord en ce qui concernait la proposition de méthodologie pour la répartition des coûts soumise par les GRT, l’ACER s’est déclarée compétente pour adopter une décision sur cette proposition, conformément à l’article 5, paragraphe 3, et à l’article 6, paragraphe 10, du règlement (UE) 2019/942 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, instituant une agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de
l’énergie (JO 2019, L 158, p. 22), ainsi qu’à l’article 9, paragraphe 11, du règlement 2015/1222. Selon cette dernière disposition, l’ACER était tenue d’adopter une telle décision dans un délai de six mois, conformément à l’article 6, paragraphe 12, sous a), du règlement 2019/942.
11 À l’issue d’une longue période de coopération, de consultations et de discussions entre l’ACER, toutes les ARN de la région CORE et tous les GRT de cette région sur la proposition de méthodologie pour la répartition des coûts soumise par ces GRT et sur les modifications apportées à cette proposition au cours de plusieurs réunions et tours de votes, le conseil des régulateurs de l’ACER, lequel est composé de représentants des ARN, a rendu un avis favorable sur ladite proposition le 18 novembre
2020, en application de l’article 22, paragraphe 5, sous a), du règlement 2019/942.
12 Le 30 novembre 2020, l’ACER a adopté, par la décision no 30/2020, la méthodologie pour la répartition des coûts (« Common methodology for redispatching and countertrading cost sharing for the Core CCR in accordance with Article 74 of Commission Regulation (EU) 2015/1222 of 24 July 2015 »), telle qu’elle figure à l’annexe I de cette dernière décision (ci-après la « méthodologie pour la répartition des coûts contestée »).
13 Le 29 janvier 2021, les requérantes ont formé un recours en annulation devant la commission de recours de l’ACER contre la décision no 30/2020, conformément à l’article 28 du règlement 2019/942. D’autres GRT et ARN de la région CORE ont également introduit un recours contre cette décision. Le 18 février 2021, la commission de recours a consolidé l’ensemble de ces recours.
14 Le 28 mai 2021, la commission de recours a adopté la décision attaquée par laquelle elle a confirmé la décision no 30/2020 et rejeté dans leur totalité les recours en annulation formés contre elle.
Conclusions des parties
15 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner l’ACER aux dépens.
16 L’ACER conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
17 La République fédérale d’Allemagne, intervenant au soutien des conclusions des requérantes, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée.
En droit
18 Au soutien de leur recours, les requérantes soulèvent trois moyens.
19 Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit lors de la détermination du champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, le deuxième est tiré du caractère illégal de la méthode de la décomposition des flux et le troisième est tiré d’une détermination erronée du niveau de tolérance pour les flux de boucle légitimes (ci-après le « niveau de tolérance »).
20 L’ACER conclut au rejet de l’ensemble des moyens soulevés par les requérantes comme étant non fondé.
21 Le Tribunal estime opportun de traiter, au préalable, l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’ACER s’agissant du mémoire en intervention de la République fédérale d’Allemagne et à son annexe.
Sur la recevabilité du mémoire en intervention de la République fédérale d’Allemagne et de son annexe
22 L’ACER fait valoir que le mémoire en intervention de la République fédérale d’Allemagne et son annexe devraient être déclarés irrecevables.
23 Le mémoire en intervention de la République fédérale d’Allemagne se limiterait à quelques affirmations de nature générale. Le seul renvoi global à l’annexe dudit mémoire en intervention, contenant l’argumentation soutenant l’intervention de la République fédérale d’Allemagne dans une autre affaire, ne serait pas licite et ne saurait pallier l’absence de toute argumentation juridique dans le mémoire en intervention dans la présente affaire.
24 Lors de l’audience, la République fédérale d’Allemagne a été invitée à se prononcer sur la question de la recevabilité de son mémoire en intervention.
25 En vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Selon une jurisprudence constante, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la
requête elle-même pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. Si le corps de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, en vertu des
dispositions susmentionnées, doivent figurer dans la requête. En outre, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale [voir arrêt du 1er juin 2022, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission, T‑570/17, EU:T:2022:314, point 299 et jurisprudence citée].
26 La jurisprudence citée au point 25 ci-dessus est applicable, par analogie, au mémoire en intervention (voir arrêt du 14 mars 2013, Fresh Del Monte Produce/Commission, T‑587/08, EU:T:2013:129, point 541 et jurisprudence citée), pour lequel l’article 145, paragraphe 2, sous b), du règlement de procédure dispose qu’il doit contenir les moyens et arguments invoqués par l’intervenant.
27 En l’espèce, tout d’abord, il convient de constater que le mémoire en intervention de la République fédérale d’Allemagne contient certaines observations au sujet des premier et troisième moyens soulevés par les requérantes. En outre, il convient de constater que, dans ledit mémoire, la République fédérale d’Allemagne soutient tous les moyens des requérantes. Ensuite, il convient de constater que la République fédérale d’Allemagne produit, en annexe à son mémoire en intervention dans la présente
affaire, le mémoire en intervention qu’elle a soumis dans l’affaire BNetzA/ACER (T‑485/21), ayant également pour objet l’annulation de la décision attaquée, auquel elle renvoie de manière globale. Enfin, il convient de relever que la République fédérale d’Allemagne formule, dans son mémoire en intervention dans la présente affaire, certaines considérations au sujet d’un traitement prétendument discriminatoire des grandes zones de dépôt des offres par rapport aux plus petites ainsi qu’au sujet de
l’interdiction de la prise en compte des flux décongestionnants dans la répartition des coûts entre les différents types de flux d’électricité et de la primauté donnée aux flux de boucle par rapport aux flux internes dans la détermination des causes des surcharges de réseau.
28 Premièrement, il convient d’écarter l’argument de la République fédérale d’Allemagne selon lequel elle a été admise à intervenir.
29 À cet égard, il suffit de constater que, en l’occurrence, il ne s’agit pas de remettre en cause la qualité de la République fédérale d’Allemagne en tant qu’intervenante, mais de s’assurer de la recevabilité de son mémoire en intervention.
30 Deuxièmement, n’est pas non plus opérant l’argument de la République fédérale d’Allemagne selon lequel le dépôt d’un mémoire en intervention n’est pas une obligation pour la partie intervenante, mais une faculté.
31 En effet, la République fédérale d’Allemagne ayant choisi de déposer un mémoire en intervention, il convient de vérifier si ledit mémoire répond aux exigences de forme qui lui sont applicables, rappelées aux points 25 et 26 ci-dessus.
32 Troisièmement, conformément à la jurisprudence citée au point 25 ci-dessus, qui est applicable, par analogie, au mémoire en intervention, le renvoi global au mémoire en intervention soumis dans l’affaire BNetzA/ACER (T‑485/21), annexé au mémoire en intervention dans la présente affaire, n’est pas admissible et, dès lors, ne saurait être pris en compte pour pallier l’éventuelle absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, conformément à la jurisprudence citée au point 25 et 26
ci-dessus, doivent figurer dans le mémoire en intervention.
33 Quatrièmement, s’agissant des considérations relatives au traitement prétendument discriminatoire des grandes zones de dépôt des offres par rapport aux plus petites, il convient de relever que, indépendamment du fait que les requérantes, dans la présente affaire, n’ont pas soulevé un tel moyen, ces considérations ne permettent pas à l’ACER de préparer sa défense ni au Tribunal de les examiner.
34 En effet, la République fédérale d’Allemagne fait valoir, au point 4 de son mémoire en intervention, ce qui suit :
« Par la décision attaquée, la défenderesse défavorise les zones de dépôt des offres de plus grande taille (notamment les zones française et allemande) au profit des zones de dépôt des offres de plus petite taille, qui induisent moins de flux de boucle, ne serait-ce que pour des raisons physiques. Sans tenir compte des caractéristiques physiques et géographiques, la défenderesse fixe un niveau de tolérance uniforme pour les flux de boucle légitimes. Comme c’est toujours le cas du principe
d’égalité, celui-ci n’est pas seulement violé lorsque des situations égales sont traitées de manière différente, mais également lorsque des situations différentes sont traitées de manière égale. L’égalité de traitement (la plus large possible) nivelle les différences qui existent, en ce qui concerne les flux de boucle légitimes et inévitables, entre les divers éléments de réseau et les diverses zones de dépôt des offres. »
35 Il est certes exact que, conformément à une jurisprudence constante, le principe général de non-discrimination ou d’égalité de traitement impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 23 et jurisprudence citée).
36 Toutefois, en l’espèce, la seule allégation d’un traitement discriminatoire des zones de dépôt des offres de grande taille par rapport aux zones de dépôt des offres de plus petite taille, sans la moindre indication de la mesure dans laquelle ces zones de dépôt des offres seraient différentes ou de l’absence de justification du traitement prétendument égal qui leur serait appliqué, ne permet pas au Tribunal de statuer sur un tel moyen.
37 Dans ces conditions, indépendamment de la question de savoir si une partie intervenante peut soulever des moyens différents de ceux invoqués par la partie principale qu’elle soutient, il convient de conclure que le moyen tiré du prétendu traitement discriminatoire des différentes zones de dépôt des offres est irrecevable en raison de l’absence d’un exposé suffisant permettant au Tribunal de statuer sur celui-ci.
38 Cinquièmement, s’agissant des considérations au sujet, d’une part, de l’interdiction de la compensation entre des flux congestionnants et des flux décongestionnants et, d’autre part, de la pénalisation erronée des flux de boucle par rapport aux flux internes, il convient de relever que, indépendamment du fait que les requérantes, dans la présente affaire, n’ont pas soulevé un tel moyen, ces considérations ne permettent pas à l’ACER de préparer sa défense, ni au Tribunal de les examiner.
39 En effet, la République fédérale d’Allemagne fait valoir, au point 5 de son mémoire en intervention, ce qui suit :
« En outre, cette méthodologie interdit la prise en compte des flux décongestionnants dans la répartition des coûts entre les différents types de flux d’électricité et cette méthodologie donne la primauté aux flux de boucle sur les flux internes dans la détermination des causes des surcharges de réseau. Ces deux aspects sont contraires à l’objectif r[é]glementaire du règlement 2019/943 de limiter autant que possible les congestions des zones de dépôt des offres et d’augmenter les échanges
transfrontaliers. »
40 Or, la seule allégation selon laquelle l’interdiction de prise en compte des flux décongestionnants dans la répartition des coûts et la pénalisation des flux de boucle par rapport aux flux internes seraient « contraires à l’objectif r[é]glementaire du règlement 2019/943 de limiter autant que possible les congestions des zones de dépôt des offres et d’augmenter les échanges transfrontaliers », sans apporter la moindre argumentation juridique, ne permet pas au Tribunal de statuer sur un tel moyen.
41 Dans ces conditions, indépendamment de la question de savoir si une partie intervenante peut soulever des moyens différents de ceux invoqués par la partie principale qu’elle soutient, il convient de conclure que les moyens tirés de l’interdiction de la prise en compte des flux décongestionnants dans la répartition des coûts entre les différents types de flux d’électricité et de la primauté donnée aux flux de boucle par rapport aux flux internes dans la détermination des causes des surcharges de
réseau sont irrecevables en raison de l’absence d’un exposé permettant au Tribunal de statuer sur ces moyens.
42 Sixièmement, en revanche, pour ce qui concerne les observations de la République fédérale d’Allemagne au sujet des premier et troisième moyens soulevés par les requérantes, elles sont, certes, très succinctes, mais sont susceptibles, lues à la lumière des arguments soulevés par les requérantes, d’une appréciation juridique par le Tribunal.
43 Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que le mémoire en intervention de la République fédérale d’Allemagne n’est que partiellement recevable, dans la mesure où, pour les raisons exposées aux points 36 et 40 ci-dessus, il ne permet pas au Tribunal de statuer sur l’argumentation tirée, en premier lieu, du traitement discriminatoire des différentes zones de dépôt des offres, en deuxième lieu, d’une prétendue interdiction de la compensation entre des flux congestionnants et des flux
décongestionnants et, en troisième lieu, de la pénalisation prétendument erronée des flux de boucle par rapport aux flux internes.
Sur le premier moyen, relatif au champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée
44 Par le premier moyen, les requérantes, soutenues en ce sens par la République fédérale d’Allemagne, font valoir que, en confirmant le champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, la commission de recours de l’ACER a commis une erreur de droit.
45 Premièrement, l’inclusion, dans le champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, de tous les éléments de réseau de transport avec une tension supérieure ou égale à 220 kilovolts (kV) serait inconciliable avec l’article 16, paragraphe 13, du règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, sur le marché intérieur de l’électricité (JO 2019, L 158, p. 54), et l’article 74, paragraphe 2, du règlement 2015/1222, comme il résulterait du
libellé, de l’économie et de l’objectif de ces dispositions.
46 Selon les requérantes, l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 vise la répartition des coûts des actions correctives relatives à des congestions « entre deux zones de dépôt des offres ». Conformément aux définitions de la « congestion » et des « éléments critiques de réseau » figurant à l’article 2, points 4 et 69 du règlement 2019/943, l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 viserait uniquement la répartition des coûts des actions correctives relatives à des éléments
critiques de réseau, à l’exclusion des autres éléments de réseau, qui ne seraient pas considérés comme pouvant affecter la capacité d’échange d’électricité.
47 S’agissant de la notion d’« opérations ayant une incidence transfrontalière » figurant à l’article 74, paragraphe 2, du règlement 2015/1222, celle-ci viserait également les seules actions correctives relatives à des éléments critiques de réseau, à l’exclusion des actions correctives internes. Cela serait corroboré par le considérant 10 dudit règlement et l’économie générale de l’article 74 du règlement 2015/1222, qui se rapporterait au processus d’allocation de la capacité.
48 Deuxièmement, aucune base légale ne permettrait de procéder à une telle extension du champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée. En particulier, ce large champ d’application ne saurait être justifié par des considérations relatives au principe du « pollueur-payeur » ou aux incitations présumées qui résulteraient d’une telle détermination du champ d’application.
49 Troisièmement, l’extension du champ d’application à tous les éléments de réseau de transport ne saurait non plus être justifiée par des considérations relatives à la sécurité opérationnelle.
50 La République fédérale d’Allemagne soutient globalement les arguments avancés par les requérantes, tout en invoquant des arguments tirés du libellé ainsi que de la genèse législative de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
51 L’ACER conteste les arguments des requérantes, soutenues par la République fédérale d’Allemagne.
Observations liminaires
52 À titre liminaire, en premier lieu, il convient de rappeler que, dans la décision attaquée, la commission de recours a réfuté les arguments tirés de l’illégalité du champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, en substance, aux points 89 à 379 (« First Consolidated Plea – Excessive scope of the RDCTCS and unlawful determination of XNEs »), aux points 1078 à 1105 (« Eighth Consolidated Plea – Polluter Pays Principle ») ainsi qu’aux points 1126 à 1191 (pages 203
à 212) (« Fourteenth Consolidated Plea – ACER exceeded its competence and infringed the principle of conferral ») de ladite décision.
53 Ainsi qu’il ressort, en substance, des points 196 à 210 de la décision attaquée, celle-ci est fondée, en partie, sur une interprétation de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 en ce sens que cette disposition reflète le principe du « pollueur-payeur ». De même, cette disposition impose de déterminer l’origine des flux physiques contribuant à la congestion entre zones sans limiter, en revanche, la répartition des coûts aux actions correctives réalisées à l’égard des congestions sur
les interconnexions.
54 De même, ainsi qu’il ressort, en substance, des points 173 à 180 de la décision attaquée, la commission de recours a considéré que la méthodologie pour la répartition des coûts contestée était conforme à l’article 74, paragraphe 2, du règlement 2015/1222, dans la mesure où les opérations sur les éléments de réseau inclus dans le champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée avaient une incidence transfrontalière.
55 En second lieu, l’examen du premier moyen implique de déterminer, en ce qui concerne la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, telle que confirmée par la décision attaquée, sa base juridique, son objet et son champ d’application.
56 Dans un premier temps, s’agissant de la base juridique et de l’objet de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, il convient de relever que celle-ci a été adoptée conformément à l’article 74 du règlement 2015/1222 et qu’il est prévu, au paragraphe 2 de cette disposition, l’adoption de solutions de partage des coûts pour les mesures correctives ayant une incidence transfrontalière. Ladite méthodologie a ainsi pour objet de répartir, entre les GRT, les coûts engendrés par
l’activation des actions correctives coûteuses, à savoir le redispatching et les échanges de contrepartie.
57 À cet égard, l’article 2, point 13, du règlement 2015/1222 définit l’« action corrective » comme étant « toute mesure appliquée par un ou plusieurs GRT, manuellement ou automatiquement, afin de préserver la sécurité d’exploitation ».
58 L’article 2, point 26, du règlement 2019/943 définit le redispatching comme étant une mesure, y compris de réduction, qui est activée par un ou plusieurs GRT ou gestionnaires de réseau de distribution et consistant à modifier le modèle de production, de charge, ou les deux, de manière à modifier les flux physiques sur le système électrique et soulager ainsi une congestion physique ou assurer autrement la sécurité du système.
59 L’article 2, point 27, du règlement 2019/943 définit quant à lui l’échange de contrepartie comme étant un échange entre zones entrepris par des gestionnaires de réseau entre deux zones de dépôt des offres pour soulager une congestion physique.
60 La congestion, qui constitue un risque pour la sécurité d’exploitation nécessitant une action corrective, est quant à elle définie à l’article 2, point 4, du règlement 2019/943 comme étant « une situation dans laquelle toutes les demandes d’échange d’énergie entre des portions de réseau formulées par des acteurs du marché ne peuvent pas toutes être satisfaites parce que cela affecterait de manière significative les flux physiques sur des éléments de réseau qui ne peuvent pas accueillir ces
flux ».
61 Une congestion est causée par des flux physiques. Il existe plusieurs types de flux physiques définis par la méthodologie pour la répartition des coûts contestée. Parmi ceux-ci, l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée définit les flux alloués comme étant « un flux physique sur un élément de réseau où la source et le récepteur sont situés dans des zones de dépôt des offres différentes ». Les flux internes sont définis, à l’article 2,
paragraphe 2, sous o) de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, comme étant « un flux physique sur un élément de réseau dont la source et le récepteur ainsi que l’élément de réseau complet sont situés dans la même zone de dépôt des offres ». Selon l’article 2, paragraphe 2, sous p), de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, un flux de boucle est « un flux physique sur un élément de réseau où la source et le récepteur sont situés dans la même zone, et l’élément
de réseau, ou une partie de celui-ci, est situé dans une zone différente ».
62 Par ailleurs, il convient de relever que l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 prévoit la répartition des coûts des actions correctives visant à soulager les congestions entre deux zones de dépôt des offres en fonction de la contribution à cette congestion des flux résultant des transactions internes à une zone. En effet, il dispose notamment, que « [l]ors de la répartition des coûts des actions correctives entre les gestionnaires de réseau de transport, les autorités de régulation
examinent dans quelle mesure les flux résultant de transactions internes aux zones de dépôt des offres contribuent à la congestion observée entre deux zones de dépôt des offres et répartissent les coûts, en fonction de cette contribution à la congestion, entre les gestionnaires de réseau de transport des zones de dépôt des offres qui sont responsables de la création de tels flux, à l’exception des coûts induits par les flux résultant de transactions internes aux zones de dépôt des offres qui sont
inférieurs au niveau attendu sans congestion structurelle dans une zone de dépôt des offres ».
63 À cet égard, une zone de dépôt des offres est définie, à l’article 2, point 65, du règlement 2019/943, comme étant « la plus grande zone géographique à l’intérieur de laquelle les acteurs du marché peuvent procéder à des échanges d’énergie sans allocation de capacité ». Actuellement, les zones faisant partie de la région CORE correspondent, dans la plupart des cas, aux territoires des États membres.
64 Dans un deuxième temps, comme cela ressort de l’article 5, paragraphe 1, de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, afin de répartir les coûts des actions correctives, il convient d’identifier l’élément de réseau sur lequel chaque action corrective est effectivement réalisée.
65 Ainsi qu’il est souligné aux points 106 à 110 de la décision attaquée, le champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée s’étend non seulement à des éléments de réseau entre zones (interconnexions), mais également à tous les éléments de réseau internes avec un niveau de tension supérieur ou égal à 220 kV.
66 En effet, la méthodologie pour la répartition des coûts contestée prévoit, à son article 3, paragraphe 4, que tous les « éléments de réseau ayant une incidence transfrontalière » sont « éligibles pour une répartition des coûts ».
67 D’une part, s’agissant des éléments de réseau ayant une incidence transfrontalière, la méthodologie pour la répartition des coûts contestée définit, à son article 2, paragraphe 2, sous j), ces éléments comme étant « des éléments de réseau […] identifiés comme ayant une incidence transfrontalière et sur lesquels des violations de la sécurité opérationnelle doivent être gérées de manière coordonnée ».
68 À cet égard, il ressort des points 106 à 110 de la décision attaquée et il est, au demeurant, constant entre les parties, que la notion d’« éléments de réseau ayant une incidence transfrontalière » doit être comprise dans le même sens que celui figurant dans la définition visée à l’article 5 de la méthodologie pour le redispatching et les échanges de contrepartie coordonnés dans la région CORE conformément à l’article 35, paragraphe 1, du règlement 2015/1222, adoptée par la décision no 35/2020 de
l’ACER, du 4 décembre 2020, sur la méthodologie pour le redispatching et les échanges de contrepartie coordonnés dans la région CORE (ci-après la « méthodologie RDCT »), et à l’article 5 de la méthodologie pour la coordination régionale de la sécurité d’exploitation dans la région CORE conformément à l’article 76, paragraphe 1, du règlement (UE) no 2017/1485 de la Commission, du 2 août 2017, établissant une ligne directrice sur la gestion du réseau de transport de l’électricité (JO 2017, L 220,
p. 1), adoptée par la décision no 33/2020 de l’ACER, du 4 décembre 2020 sur la méthodologie pour la coordination régionale de la sécurité d’exploitation dans la région CORE (ci-après la « méthodologie ROSC »).
69 La notion d’« éléments de réseau ayant une incidence transfrontalière » vise ainsi, d’une part, tous les éléments critiques de réseau, conformément à l’article 5, paragraphe 1, et à l’article 7 des méthodologies communes de calcul de la capacité journalière et infrajournalière, adoptées par la décision no 02/2019 de l’ACER, du 21 février 2019, sur les propositions des GRT de la région CORE concernant les méthodologies communes de calcul de la capacité journalière et infrajournalière (ci-après les
« méthodologies CCM »), à savoir, actuellement, les interconnexions et les éléments de réseau internes déterminés par les GRT ayant un coefficient d’influencement, tel que défini par l’article 2, point 22, du règlement (UE) no 543/2013 de la Commission, du 14 juin 2013, concernant la soumission et la publication de données sur les marchés de l’électricité et modifiant l’annexe I du règlement (CE) no 714/2009 du Parlement européen et du Conseil (JO 2013, L 163, p. 1), égal ou supérieur à 5 %, et,
d’autre part et en principe, tous les éléments de réseau internes avec un niveau de tension supérieur ou égal à 220 kV.
70 Conformément à la définition figurant à l’article 2, point 69, du règlement 2019/943, un élément critique de réseau est « un élément de réseau situé soit à l’intérieur d’une zone de dépôt des offres, soit entre des zones de dépôt des offres, qui est pris en considération dans le processus de calcul de la capacité [d’échange entre zones] et limite la quantité d’électricité qui peut être échangée [entre celles-ci] ».
71 Les éléments critiques de réseau sont, donc, soit des interconnexions, soit des éléments internes dont le coefficient d’influencement est égal ou supérieur à 5 %. Au sens de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, les éléments de réseau ayant une incidence transfrontalière sont tous des éléments critiques de réseau ainsi que les éléments de réseau interne avec un niveau de tension supérieur ou égal à 220 kV.
72 D’autre part, s’agissant de la notion d’« opérations de redispatching et d’échanges de contrepartie ayant une incidence transfrontalière », il convient de relever que l’article 3, paragraphe 1, de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée précise que cette dernière vise les opérations de redispatching et d’échanges de contrepartie ayant une incidence transfrontalière, qui sont identifiées par la méthodologie RDCT et par la méthodologie ROSC.
73 Il en résulte, comme cela a été confirmé par les parties, que, au sens de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, les opérations de redispatching et les échanges de contrepartie ayant une incidence transfrontalière sont, en principe, toutes les opérations de redispatching et d’échanges de contrepartie visant à soulager une congestion sur des éléments de réseau ayant une incidence transfrontalière.
Analyse du champ d’application
– Sur l’extension du champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée
74 Selon les requérantes, il convient d’exclure de la répartition les coûts des actions correctives attribués aux éléments de réseau internes qui ne sont pas des éléments critiques de réseau.
75 En particulier, les requérantes soutiennent qu’il faudrait exclure les coûts attribués aux éléments non critiques de réseau, étant donné que les congestions sur ces éléments seraient des congestions « internes », qui ne rentreraient pas dans la définition des congestions « entre zones ».
76 Il y a donc lieu d’examiner si les requérantes font valoir à bon droit que la répartition des coûts des actions correctives devrait être limitée aux éléments critiques de réseau, tels qu’ils ressortent des méthodologies CCM, dès lors qu’il s’agit des éléments qui « limite[nt] la quantité d’électricité qui peut être échangée », selon l’article 2, point 69, du règlement 2019/943. Partant, seule une congestion sur ces éléments serait une congestion entre zones, au sens de l’article 16,
paragraphe 13, du règlement 2019/943.
77 Premièrement, il convient d’examiner si les éléments critiques de réseau sont les seuls à avoir une incidence transfrontalière au sens de l’article 74, paragraphe 2, du règlement 2015/1222.
78 Il y a lieu de rappeler que, selon l’article 74, paragraphe 2, du règlement 2015/1222, la méthodologie pour la répartition des coûts contestée « comporte des solutions de partage des coûts pour les opérations ayant une incidence transfrontalière ». Par ailleurs, l’article 74, paragraphe 4, sous b), du même règlement établit que la méthodologie pour la répartition des coûts contestée doit définir « quels sont les coûts générés par le recours au redispatching ou aux échanges de contrepartie dans le
but d’assurer la fermeté de la capacité d’échange entre zones, qui sont éligibles à la répartition entre tous les GRT d’une région pour le calcul de la capacité », en l’espèce la région CORE.
79 Ainsi, afin d’établir si la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, telle que confirmée par la décision attaquée, est compatible avec l’article 74, paragraphe 2, du règlement 2015/1222 il convient d’examiner dans quelle mesure les actions correctives dont elle vise à répartir les coûts ont pour but d’assurer la fermeté de la capacité d’échange entre zones.
80 Toutefois, il importe de rappeler que le règlement 2015/1222 est un acte d’exécution du règlement 2019/943, comme cela ressort de l’article 18, paragraphe 5, du règlement (CE) no 714/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 sur les conditions d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité et abrogeant le règlement (CE) no 1228/2003 (JO 2009, L 211, p. 15), ultérieurement remplacé par le règlement 2019/943. Celui-ci est donc une norme juridique
hiérarchiquement supérieure et postérieure au règlement 2015/1222. Or, sauf dans le cas où leur sens est clair et dépourvu d’ambiguïté et n’exige donc aucune interprétation, les dispositions d’un règlement d’exécution doivent faire l’objet, si possible, d’une interprétation conforme aux dispositions du règlement de base (arrêt du 28 février 2017, Canadian Solar Emea e.a./Conseil, T‑162/14, non publié, EU:T:2017:124, point 150). L’article 74 du règlement 2015/1222 doit ainsi être interprété
conformément à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
81 À cet égard, il convient de souligner que l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 ne définit ni les éléments de réseau sur lesquels les actions correctives visent à soulager les congestions entre des zones, ni les éléments de réseau sur lesquels les coûts des actions correctives visant à soulager les congestions entre des zones doivent être répartis.
82 Dans le même sens, l’article 2, point 4, du règlement 2019/943 ne précise pas davantage quels sont les éléments de réseau sur lesquels les congestions physiques, y compris celles liées aux échanges entre zones, se produisent.
83 Or, l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 vise les coûts des actions correctives activées par les GRT afin d’assurer les échanges entre zones et, par la suite, exige de répartir lesdits coûts entre les GRT en fonction de la mesure dans laquelle les flux résultant de transactions internes aux zones contribuent à la congestion observée entre deux zones.
84 Par conséquent, selon l’objet de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, il convient de déterminer quelles congestions doivent être soulagées de manière coordonnée pour assurer les échanges entre zones, ce qui, conformément aux points 79 et 80 ci-dessus, permettra ensuite d’établir si les actions correctives visées par la méthodologie pour la répartition des coûts contestée ont pour but d’assurer la fermeté de la capacité d’échange entre zones, au sens de l’article 74, paragraphe 4,
sous b), du règlement 2015/1222.
85 Deuxièmement, il importe de souligner que, afin de réaliser une telle analyse visant à déterminer quelles actions correctives permettent d’assurer les échanges entre zones et sont ainsi concernées par la répartition des coûts, il convient d’expliciter le rôle des actions correctives dans le contexte du processus de calcul de la capacité d’échange entre zones, tel que prévu par les méthodologies CCM, ainsi que du processus d’évaluation régionale de la sécurité d’exploitation, tel qu’établi par la
méthodologie ROSC, conformément à l’article 76, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1485 (ci-après le « processus CROSA »).
86 En premier lieu, il convient de relever que le processus de calcul de la capacité d’échange entre zones commence deux jours avant la livraison de l’électricité et est utilisé pour déterminer la quantité d’énergie qui peut être échangée entre zones, dans le cadre des limites de sécurité d’exploitation.
87 Le processus de calcul de la capacité n’est effectué que sur les éléments critiques de réseau. D’une part, les GRT peuvent limiter, avant que le marché ne soit ouvert, la quantité d’énergie qui peut être échangée par les participants, afin de respecter les limites de sécurité d’exploitation. D’autre part, ce processus utilise également les actions correctives, comme le redispatching et les échanges de contrepartie. Ces actions correctives, qui pourraient être activées afin de maximiser la
capacité d’échange entre zones disponible, conformément à l’article 16, paragraphe 4, du règlement 2019/943, sont prises en considération par les GRT, mais pas encore activées.
88 En effet, aucune action corrective n’est activée lors du calcul de la capacité d’échange entre zones et aucun coût ne survient.
89 En second lieu, il convient de relever que les actions correctives coûteuses du redispatching et des échanges de contrepartie, qui font l’objet du présent litige, surviennent uniquement dans le cadre du processus CROSA, étroitement lié au calcul de la capacité d’échange entre zones.
90 Conformément à l’article 76, paragraphe 1, sous b), iii), du règlement 2017/1485, régissant la préparation coordonnée des actions correctives ayant une incidence transfrontalière, et comme cela ressort de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la méthodologie sécurité (ROSC), le processus CROSA a pour objectif de coordonner, de valider et de mettre en œuvre les actions correctives ayant une incidence transfrontalière. Ainsi qu’il ressort des articles 5 et 9, de ladite méthodologie ROSC, les
actions correctives ayant une incidence transfrontalière sont toutes celles qui sont à tout le moins parfois en mesure d’adresser les violations des limites de courant sur les éléments de réseau ayant une incidence transfrontalière, à savoir, en principe, tous les éléments critiques de réseau pris en compte pour le calcul de la capacité d’échange entre zones, et tous les autres éléments de réseau avec un niveau de tension supérieur ou égal à 220 kV.
91 De même, selon le considérant 12 et l’article 5, paragraphe 1, de la méthodologie ROSC, le processus CROSA assure, en principe, la sécurité d’exploitation de tous les éléments de réseau avec une tension supérieure ou égale à 220 kV après la connaissance des résultats du marché et l’allocation de la capacité d’échange entre zones. À ce moment-là, les GRT disposent des informations détaillées sur l’énergie qui sera injectée ou retirée du réseau.
92 Le processus CROSA commence par l’évaluation locale de la sécurité d’exploitation, effectuée par chaque GRT dans son réseau, conformément à l’article 13 et à l’article 14, paragraphe 1, de la méthodologie ROSC, ce qui aboutit à la création, par chaque GRT, d’un modèle de réseau individuel.
93 Par la suite, conformément à l’article 18 de la méthodologie ROSC, les modèles de réseau individuels sont fournis aux coordinateurs régionaux et fusionnés par ces derniers en vue de la création d’un modèle de réseau commun pour toutes les heures de la journée, lequel comprend « une série de données à l’échelle de l’Union […] décrivant les caractéristiques […] du système électrique », conformément à l’article 2, point 2), du règlement 2015/1222.
94 Lorsqu’un flux sur un élément de réseau dépasse le flux maximal, il est nécessaire de préparer et de mettre en œuvre une action corrective, afin de respecter les limites de sécurité d’exploitation.
95 Ainsi qu’il ressort du considérant 10 de la méthodologie ROSC, une optimisation des actions correctives est prévue dans le cadre du processus CROSA.
96 Plus particulièrement, cette optimisation au sein du processus CROSA, décrite à l’article 2, paragraphe 1, sous p), de la méthodologie ROSC, implique de déterminer concrètement, lors de chaque itération, quelle congestion sur quel élément de réseau, critique ou non critique, doit être gérée de manière coordonnée.
97 Ainsi, pour chaque heure dans le modèle de réseau commun, on identifie, parmi toutes les actions correctives disponibles des GRT, l’établissement de celle qui est la plus efficace et présente le meilleur rapport coût/efficacité, conformément à l’article 76, paragraphe 1, sous b), iii), du règlement 2017/1485, et qui peut résoudre toutes les congestions sur toutes les interconnexions et sur tous les éléments de réseau internes avec un niveau de tension supérieur ou égal à 220 kV dans le modèle de
réseau commun, et ce sans en créer de nouvelles, conformément aux articles 20, 23 et 24 ainsi qu’à l’article 27, paragraphe 1, de la méthodologie ROSC.
98 Troisièmement, à la lumière de ce qui précède, il convient d’analyser si, ainsi que cela a été relevé par les requérantes, seuls les coûts engendrés par les mesures correctives sur les éléments critiques de réseau (et partant, seuls les interconnexions ou les éléments de réseau internes ayant un coefficient d’influencement égal ou supérieur à 5 %), devraient être inclus dans le champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée. À cette, fin, comme cela a été avancé au
point 84 ci-dessus, il convient de déterminer quelles congestions doivent être soulagées de manière coordonnée pour assurer les échanges entre zones.
99 À cet égard, en premier lieu le seul fait d’inclure dans le champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée des coûts engendrés par les congestions sur les éléments de réseau avec un niveau de tension égal ou supérieur à 220 kV ne saurait être contraire à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, dès lors que cette disposition implique uniquement de déterminer quelles congestions doivent être soulagées de manière coordonnée pour assurer les échanges entre
zones.
100 En deuxième lieu, le GRT peut utiliser un niveau maximal de 30 % de la capacité de chaque élément critique de réseau pour soulager des congestions sur ce dernier, à condition que, comme prévu à l’article 16, paragraphe 8, premier alinéa, sous b), du règlement 2019/943, 70 % de ladite capacité reste disponible pour les échanges entre zones, selon l’article 16, paragraphes 1 et 8, du règlement 2019/943.
101 Néanmoins, le fait que les congestions puissent être soulagées en utilisant jusqu’à 30 % de la capacité d’un sous-groupe d’éléments de réseau n’implique pas qu’il faille uniquement partager les coûts des actions correctives réalisées sur ce sous-groupe d’éléments.
102 En troisième lieu, il importe de relever que la fermeté de la capacité minimale de 70 % de chaque élément critique de réseau est assurée de la manière la plus efficace par l’optimisation des actions correctives activées sur tous les éléments de réseau avec un niveau de tension égal ou supérieur à 220 kV. Ainsi, cette optimisation des actions correctives sur tous ces éléments atteint les objectifs du règlement 2019/943, notamment la production de signaux de marché encourageant l’efficacité et la
sécurité d’approvisionnement, conformément à l’article 1er, sous a), du règlement 2019/943.
103 Cette optimisation contribue à réduire les coûts des actions correctives, permettant ainsi de limiter la réduction de la capacité d’échange entre zones, comme cela ressort de l’article 16, paragraphe 4, du règlement 2019/943.
104 En quatrième lieu, quand les actions correctives activées par un GRT sur les éléments internes qui ne sont pas des éléments critiques de réseau font partie de la solution optimale nécessaire pour atténuer également les congestions sur des éléments critiques de réseau, les coûts afférents aux premiers éléments doivent être répartis entre les GRT de la même manière que ceux afférents aux seconds. Par conséquent, la non-inclusion des éléments de réseau avec un niveau de tension égal ou supérieur
à 220 kV dans le champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts aboutirait à une limitation injustifiée, notamment à la lumière de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, lequel exige la répartition de tous les coûts des actions correctives activées pour résoudre une congestion entre zones, à l’exception des coûts relatifs aux flux contribuant à la congestion observée entre deux zones de dépôt des offres ne dépassant pas le niveau de tolérance.
105 Si la répartition des coûts était limitée aux éléments critiques de réseau, celle-ci deviendrait aléatoire, dès lors que les coûts liés à la gestion des congestions seraient répartis de manière différente en fonction de l’élément sur lequel une action corrective serait activée. Comme l’observe à juste titre l’ACER, cela conduirait à une discrimination entre les différents éléments de réseau et, ainsi, entre les GRT propriétaires de ces éléments, qui n’est pas prévue par la réglementation en
cause.
106 Dès lors, les flux résultant de transactions internes contribuant à la congestion observée entre deux zones de dépôt des offres, décrits à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, qui réduisent la capacité d’échange entre zones sur les éléments critiques de réseau, ne peuvent pas être traités différemment, dans la répartition des coûts, lorsque ces flux transitent par des éléments non critiques de réseau. Les actions correctives activées sur ces deux groupes d’éléments sont optimisées
afin de résoudre les problèmes liés aux congestions.
107 En cinquième lieu, les actions correctives activées sur des éléments non critiques de réseau peuvent parfois résoudre des congestions sur les éléments critiques de réseau, comme l’observe l’ACER, en réponse aux questions du Tribunal.
108 Par conséquent, quand ces actions correctives peuvent contribuer à résoudre de telles congestions sur des éléments critiques de réseau, leurs coûts doivent être partagés, conformément au principe du « pollueur-payeur ». En revanche, si elles ne peuvent pas contribuer, à un moment particulier, à résoudre une congestion sur les éléments critiques de réseau, cela n’implique pas que les éléments sur lesquels les actions correctives sont activées perdent leur lien avec les échanges entre zones. En
effet, d’une part, ces actions correctives ont néanmoins été choisies dans le cadre du processus CROSA, eu égard aux autres congestions et actions correctives, afin de trouver la solution optimale au niveau régional. D’autre part, cette congestion, pour autant qu’elle soit causée par un flux transfrontalier, à savoir un flux de boucle, revêt une incidence transfrontalière.
109 De plus, comme il est prévu au considérant 35 du règlement 2019/943, dans un marché ouvert et compétitif, les GRT devraient être indemnisés pour les coûts engendrés par le passage de flux transfrontaliers d’électricité sur leurs réseaux par les gestionnaires des réseaux de transport d’où les flux transfrontaliers sont originaires et des systèmes où ces flux aboutissent.
110 Ainsi, les mesures correctives sur tous les éléments de réseau inclus dans le processus CROSA sont potentiellement pertinentes pour les échanges entre zones, selon l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, et ce indépendamment de leur coefficient d’influencement, celui-ci étant une notion reprise par les méthodologies CCM, laquelle ne saurait déterminer la répartition de coûts selon l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
111 En tout état de cause, il convient de relever que, si les GRT établissent qu’un élément non critique de réseau avec un niveau de tension égal ou supérieur à 220 kV ne peut jamais être utile pour assurer la sécurité régionale et pour assurer la fermeté de la capacité d’échange entre zones allouée, ils peuvent exclure celui-ci du processus CROSA, conformément à l’article 5, paragraphe 1, sous b), et l’article 7, paragraphe 3, sous b), de la méthodologie ROSC, et, par conséquent, de la répartition
des coûts.
112 En sixième lieu, s’agissant du considérant 12 du règlement 2015/1222, qui exige la coordination entre les actions correctives transfrontalières et internes, il y a lieu de souligner que toutes les actions correctives dans le cadre du processus CROSA ont une incidence transfrontalière, tandis que toutes les autres actions correctives sont internes. Ainsi, le processus CROSA assure la coordination avec les actions correctives internes et veille également à la sécurité des éléments de réseau
« internes ».
113 En l’absence d’une gestion coordonnée par le processus CROSA, il existerait un risque de violation de la sécurité d’exploitation, mettant en danger les échanges entre zones. En effet, il convient de souligner que le fonctionnement du réseau est une condition indispensable pour la sécurité d’approvisionnement énergétique, dès lors que l’électricité ne peut être fournie aux citoyens de l’Union qu’au moyen du réseau, conformément au considérant 2 du règlement 2015/1222.
114 Partant, les congestions « entre zones » sont toutes les congestions qui sont actuellement, dans la région CORE, gérées de manière coordonnée dans le cadre du processus CROSA. Par conséquent, le principe du « pollueur-payeur » doit s’appliquer aux coûts relatifs à cette gestion coordonnée.
115 Il y a lieu de souligner que la coordination et la répartition des coûts ne dépendent pas de la question de savoir s’il y a un échange ou un flux alloué particulier sur un élément de réseau à un moment donné, parce que toutes les actions correctives activées sur tous les éléments de réseau, critiques et non critiques, avec un niveau de tension égal ou supérieur à 220 kV, contribuent potentiellement à faciliter les échanges entre zones, alors que leur contribution concrète à la facilitation des
échanges peut varier en fonction, notamment, de la topologie du réseau, des conditions du marché et des programmes particuliers de production et de consommation. Partant, il n’est pas possible d’exclure d’emblée les éléments de réseau avec un niveau de tension égal ou supérieur à 220 kV du champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée.
116 En septième lieu, ainsi qu’il ressort du point 167 de la décision attaquée, et sans que cela soit contesté par les parties, les éléments de réseau avec un niveau de tension égal ou supérieur à 220 kV ont été considérés comme étant des éléments ayant une incidence transfrontalière dans la mesure où ces éléments ne seraient pas structurellement congestionnés en l’absence d’échanges d’énergie. En outre, ainsi qu’il ressort dudit point, l’ensemble des GRT de la région CORE a estimé, dans la note
explicative de la méthodologie ROSC, que ces éléments étaient les plus pertinents pour le processus CROSA.
117 À cet égard, il ressort de la page 8 de la note explicative de la méthodologie ROSC, sur laquelle au demeurant les parties ont eu l’occasion de s’exprimer lors de l’audience, que les GRT ont estimé que les éléments de réseau les plus pertinents pour le processus CROSA étaient les éléments de réseau avec un niveau de tension de 220 kV et de 380 kV, « étant donné que ces éléments [etaie]nt utilisés pour faciliter les échanges d’énergie entre zones de dépôt des offres dans le système énergétique
européen ».
118 Dans la note explicative de la méthodologie ROSC, les GRT ont expliqué que les éléments de réseau avec un niveau de tension supérieur ou égal à 220 kV facilitaient les échanges d’énergie entre zones de dépôt des offres dans le système énergétique européen. Toutefois, les GRT n’ont pas établi quels éléments devraient être considérés dans la répartition des coûts des actions correctives.
119 Par ailleurs, le niveau de tension de 220 kV a été choisi dans la région CORE en raison de son maillage particulièrement dense, alors que l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 n’empêchait pas de choisir d’autres solutions, comme cela a été clarifié lors de l’audience.
120 En outre, il est constant entre les parties que la répartition des coûts dans ce contexte est nécessaire pour la réalisation d’un marché de l’électricité intégré au niveau européen.
121 A fortiori, le champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée n’est pas défini géographiquement et ne peut pas être limité aux seuls éléments de réseau situés sur la frontière entre deux zones de dépôt des offres, voire aux interconnexions qui lient les réseaux des États membres. En revanche, comme cela a été constaté au point 84 ci-dessus, l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 exige d’identifier quelles congestions doivent être soulagées de manière
coordonnée afin d’assurer les échanges entre zones.
122 Eu égard à ce qui précède, les requérantes soutiennent à tort que la décision attaquée est contraire à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, car seuls les éléments critiques de réseau devraient être inclus dans la répartition des coûts.
123 Dans la région CORE, toutes les congestions soulagées par les actions correctives activées conformément à la méthodologie ROSC, telle qu’établie par la décision no 33/2020 et confirmée par la décision attaquée, correspondent à des « congestions entre […] zones » visées à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
124 Il y a également lieu de constater que, dans la région CORE, toutes les actions correctives activées conformément à la méthodologie ROSC, telle qu’établie par la décision no 33/2020, contribuent à assurer la fermeté de la capacité d’échange entre zones, conformément à l’article 74, paragraphe 4, sous b), du règlement 2015/1222.
125 Partant, la décision attaquée ne saurait pas non plus être réputée contraire à l’article 74 du règlement 2015/1222, interprété conformément à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943. C’est donc à juste titre que la commission de recours a rejeté le recours formé à l’encontre de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée.
126 Les arguments soulevés par les requérantes à l’encontre de la décision attaquée ne sauraient infirmer cette conclusion.
127 Dans un premier temps, il est vrai que, comme le soutiennent les requérantes, les GRT sont juridiquement tenus d’assurer la sécurité d’exploitation, indépendamment de la répartition éventuelle des coûts. Néanmoins, il y a lieu de constater que la gestion des congestions sur tous les éléments avec un niveau de tension égal ou supérieur à 220 kV implique nécessairement qu’il y ait une coordination entre tous les GRT et que les coûts relatifs à celle-ci soient répartis entre eux, afin de les
compenser pour l’ensemble de leurs interventions nécessaires pour assurer les échanges entre zones.
128 Dans un deuxième temps, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel une congestion sur un élément non critique de réseau est une congestion « purement interne » dont les coûts ne peuvent pas être répartis sur la base de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, il y a lieu de souligner que, dans le contexte de l’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, la seule hypothèse dans laquelle les coûts relatifs aux éléments non critiques de réseau sont
répartis conformément à cette disposition est celle où la congestion sur ces éléments est causée par des flux de boucle, tels que décrits au point 61 ci-dessus, dépassant le niveau de tolérance mentionné à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
129 Selon le considérant 6 de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, les flux de boucle dépassant le niveau de tolérance sont le principal facteur de congestions faisant l’objet d’une répartition des coûts. Cela résulte du constat selon lequel les congestions causées par des flux internes sont supportées par le propriétaire de l’élément de réseau congestionné, alors que, comme il ressort de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, les coûts provoqués par des flux
résultant de transactions internes contribuant à la congestion observée entre deux zones de dépôt des offres doivent être partagés proportionnellement entre GRT.
130 Or, un flux de boucle est un « flux transfrontalier », au sens de l’article 2, point 3, du règlement 2019/943, à savoir un « flux physique d’électricité circulant sur un réseau de transport d’un État membre, qui résulte de l’impact de l’activité de producteurs, de consommateurs, ou des deux, situés en dehors de cet État membre sur son réseau de transport », lequel n’est pas limités aux éléments critiques de réseau.
131 Partant, une congestion causée par un flux transfrontalier, tel qu’un flux de boucle, ne saurait être qualifiée de congestion « purement interne » qui serait exclue du champ d’application de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
132 De plus, si une congestion sur un élément non critique de réseau est causée uniquement par des flux internes, les coûts des actions correctives visant à traiter cette congestion seront supportés, en tout état de cause, par le propriétaire dudit élément de réseau, conformément à l’article 76, paragraphe 1, sous b), v), du règlement 2017/1485. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le principe du « pollueur-payeur » reste l’exception à la règle, car ce principe ne s’applique,
de facto, qu’aux flux de boucle dépassant le niveau de tolérance, alors que le principe du « propriétaire-payeur » s’applique à d’autres flux, tels que les flux de boucle ne dépassant pas le niveau de tolérance, et les flux internes.
133 En outre, une congestion qui n’est pas une congestion « entre zones » au sens de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, est celle qui apparaît sur les éléments de réseau exclus de la coordination régionale de la sécurité d’exploitation, que ce soit parce que cela a été décidé par les GRT, ou parce qu’il s’agit d’éléments qui sont exclus d’emblée de la coordination des actions correctives, à savoir les éléments de réseau ayant un niveau de tension inférieur à 220 kV.
134 Dans un troisième temps, il convient de relever que la seule exception à la règle de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 selon laquelle les coûts liés aux actions correctives relatives aux flux résultant de transactions internes qui contribuent à la congestion observée entre deux zones de dépôt des offres doivent être répartis est celle relative auxdits flux ne dépassant pas le niveau de tolérance, pour lesquels les coûts doivent être supportés par le propriétaire de l’élément de
réseau congestionné.
135 À cet égard, il convient de noter que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le législateur n’a pas voulu exclure un groupe d’éléments de réseau de la répartition des coûts, dès lors qu’il a prévu, à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, la répartition des coûts produits par le soulagement coordonné des congestions entre zones.
136 De même, le fait que l’article 76, paragraphe 1, sous b), v), du règlement 2017/1485 prévoit la possibilité d’adopter d’autres méthodologies visant la répartition des coûts liés aux différentes actions correctives visées à l’article 22 dudit règlement, qui complètent le cas échéant la méthodologie commune élaborée en application de l’article 74 du règlement 2015/1222, n’a pas de pertinence pour l’interprétation de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, qui est, de surcroît, une
norme de rang supérieur.
137 Dans un quatrième temps, il convient de rejeter l’argument des requérantes selon lequel le champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, tel que confirmé par la décision attaquée, serait contraire à l’article 291 TFUE ou dépourvu de base juridique, en ce que l’ACER aurait étendu le champ d’application prévu par la législation.
138 En particulier, les actions correctives coordonnées sur les éléments de réseau avec un niveau de tension égal ou supérieur à 220 kV permettent les échanges entre zones, aident à prévenir la limitation de la capacité d’échange entre zones et assurent la fermeté de ladite capacité, et ce conformément à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
139 De la même manière et étant donné que le champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée est conforme à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, il ne saurait être reproché à l’ACER d’avoir élargi le champ d’application de celle-ci au-delà de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, en s’appuyant sur le principe du « pollueur-payeur ».
140 Dans un cinquième temps, ne saurait non plus prospérer l’argument soulevé au cours de l’audience par la République fédérale d’Allemagne, tiré de la genèse législative de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, selon lequel le législateur aurait voulu exclure de la répartition entre les GRT les coûts découlant des actions correctives réalisées sur les éléments situés à l’intérieur des zones lorsqu’il a refusé de modifier, lors de la rédaction de cette disposition, son libellé en
remplaçant « la congestion observée entre deux zones de dépôt des offres » par « la congestion observée entre et à l’intérieur des zones de dépôt des offres ».
141 À cet égard, indépendamment de la question de savoir si la République fédérale d’Allemagne peut s’appuyer sur des documents relatifs au trilogue législatif afin de démontrer la volonté du législateur lors de l’adoption de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, il suffit de constater que l’éventuel refus d’inclure expressément les congestions à l’intérieur d’une zone ne serait pas déterminant pour la question de savoir quels sont les éléments dont il convient de tenir compte pour
l’appréciation des contributions aux congestions « entre deux zones ».
142 Comme cela ressort des points 81 à 84 et 135 ci-dessus, l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 ne définit pas les éléments de réseau sur lesquels les coûts des actions correctives visant à soulager les congestions entre des zones doivent être répartis, ce qui n’implique pas que le législateur ait voulu exclure un groupe d’éléments de réseau de la répartition des coûts.
143 Partant, il y a lieu d’écarter les arguments des requérantes selon lesquels il faudrait exclure les éléments de réseau internes qui ne sont pas « critiques » de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée sur la base de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 et de l’article 74 du règlement 2015/1222.
– Quant aux incitations dérivées de l’inclusion des éléments non critiques de réseau dans le champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée
144 En ce qui concerne l’argument des requérantes relatif aux incitations, prétendument erronées, que créerait l’inclusion des éléments de réseau ayant une tension égale ou supérieure à 220 kV dans le champ d’application de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, il convient de rappeler que l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 prévoit l’obligation pour les GRT de supporter les coûts des actions correctives liés aux flux résultant de transactions internes qui
contribuent à la congestion observée entre deux zones de dépôt des offres ne dépassant pas le niveau de tolérance. Cela incite les GRT à développer leur réseau afin de pouvoir accueillir de tels flux, lorsqu’ils ne dépassent pas le niveau de tolérance, lequel correspond au niveau de flux de boucle attendu sans congestion structurelle dans une zone de dépôt des offres.
145 En revanche, le cadre juridique pertinent ne prévoit pas l’obligation pour les GRT de développer leurs réseaux afin d’accueillir les flux de boucle au-dessus du niveau de tolérance mentionné au point 144 ci-dessus. En effet, ces flux sont, par leur nature, imprévus et imprévisibles et le GRT qui accueille ces flux n’a pas d’influence sur ces derniers.
146 Il convient de noter, sur ce point, que, comme cela est indiqué au considérant 27 du règlement 2019/943, la réduction des répercussions des flux de boucle et des congestions internes sur les échanges entre zones se trouve parmi les objectifs principaux du législateur européen lors de l’établissement de ce cadre normatif.
147 De même, il ressort de la page 59 de l’analyse d’impact de la Commission, du 30 novembre 2016, réalisée dans le contexte de l’élaboration du paquet législatif « Énergie » (SWD(2016) 410), que les flux de boucle peuvent réduire la capacité d’échange entre zones et conduire à un redispatching, hors marché, coûteux, ainsi qu’à des distorsions significatives des prix et à des signaux d’investissement dans les zones avoisinantes. Cela entraîne une perte sensible de prospérité.
148 De plus, l’exclusion des éléments non critiques de réseau aboutirait à ce que le GRT qui émettrait les flux de boucle ne serait pas incité à investir suffisamment dans son réseau, car il ne supporterait pas le coût total des actions correctives nécessaires pour résoudre les congestions qu’il aurait causées. En effet, c’est uniquement ce GRT, qui a la connaissance et la responsabilité de son réseau, qui peut adopter d’autres mesures nécessaires, telles que la reconfiguration de la zone ou les
investissements dans son réseau. Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 35, paragraphe 5, du règlement 2019/943, chaque GRT est responsable de son réseau et, partant, ses problèmes internes ne devraient pas être à la charge des GRT voisins.
149 En outre, si chacun des deux GRT responsables et voisins était incité à investir dans son propre réseau, que ce soit pour accueillir ou pour réduire les flux de boucle, cela aboutirait, en l’absence de coordination entre ces deux GRT, à un surinvestissement et à une mauvaise allocation des ressources, comme cela a été évoqué pertinemment par l’ACER aux points 110 à 115 de son mémoire en défense.
150 Eu égard aux appréciations qui précèdent, il convient d’observer que les requérantes demandent, en substance, à être exemptées des coûts qu’elles occasionnent pour les autres GRT sur les éléments non critiques de leurs réseaux avec leurs flux de boucle dépassant le niveau de tolérance, même si les actions correctives sur ces éléments contribuent à assurer les échanges entre zones.
151 Une telle approche serait, en outre, contraire au principe de solidarité énergétique, tel qu’interprété par la Cour.
152 Le principe de solidarité énergétique comporte des droits et des obligations, tant pour l’Union que pour les États membres, l’Union étant tenue par une obligation de solidarité à l’égard des États membres et ces derniers par une obligation de solidarité entre eux et à l’égard de l’intérêt commun de l’Union et des politiques menées par elle (arrêt du 15 juillet 2021, Allemagne/Pologne, C‑848/19 P, EU:C:2021:598, point 49).
153 Dans ces conditions, il serait contraire au principe de solidarité énergétique de permettre aux GRT émettant des flux de boucle transitant par d’autres zones de dépôt des offres de se soustraire aux coûts des actions correctives, activées dans l’intérêt commun afin d’optimiser la capacité d’échange entre zones, en assurant, en même temps, aussi efficacement que possible, la sécurité du réseau, ce dont profite l’ensemble des GRT ainsi que, partant, les consommateurs d’électricité.
154 Eu égard aux appréciations qui précèdent, il convient de rejeter le premier moyen.
Sur le deuxième moyen, relatif à la décomposition des flux
155 Par leur deuxième moyen, les requérantes font valoir que la méthode de décomposition des flux retenue dans la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, telle que confirmée par la décision attaquée, est illégale.
156 Le deuxième moyen est divisé en deux branches.
157 Par la première branche, les requérantes soutiennent que la méthode de décomposition des flux utilisée, à savoir la méthode de traçage des flux par coloration (ci-après la « méthode PFC »), n’est pas une méthode adéquate, avec pour conséquence que son application conduit à des résultats erronés.
158 Par la seconde branche, les requérantes critiquent, en particulier, le traitement des éléments de réseau relatifs au transport du courant continu.
Sur la première branche, relative à l’inadéquation de la méthode PFC
159 Par la première branche du deuxième moyen, les requérantes soutiennent que la méthode PFC n’est pas une méthode adéquate pour la décomposition des flux, en ce qu’elle produit des résultats erronés.
160 À cet égard, les requérantes formulent une multitude de griefs, réunis en quatre groupes.
161 Par le premier groupe de griefs, les requérantes font valoir que la méthode PFC, en raison de sa conception, n’est pas adéquate pour décomposer correctement les flux.
162 Par le deuxième groupe de griefs, les requérantes reprochent à la commission de recours de ne pas avoir effectivement examiné les arguments qu’elles avaient soulevés à l’encontre de la décision no 30/2020.
163 Par le troisième groupe de griefs, les requérantes font valoir que la méthode PFC aboutit, à plusieurs égards, à des résultats irréalistes.
164 Par le quatrième groupe de griefs, les requérantes soutiennent que la méthode PFC, en raison de sa conception, ne correspond pas aux critères juridiques posés.
165 L’ACER conteste les arguments des requérantes.
– Observations liminaires
166 La décomposition des flux est une étape nécessaire dans le cadre de la répartition des coûts des actions correctives.
167 L’importance de la décomposition des flux résulte du fait que celle-ci fournit des données d’entrée nécessaires pour la répartition ultérieure des coûts. Ainsi, si la décomposition des flux est effectuée d’une manière erronée, elle affecte nécessairement les résultats de la répartition des coûts.
168 La décomposition des flux vise à identifier les types de flux à l’origine de congestions sur des éléments de réseau.
169 En effet, conformément à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, il convient de déterminer les flux qui contribuent à une congestion entre zones de dépôt des offres.
170 Les différents flux, par exemple les flux internes ou les flux de boucle, qu’il convient d’identifier aux fins de la répartition des coûts, matérialisent les origines et les destinations divergentes des « portions » calculées à partir d’un flux physique total, qui peut seul être mesuré.
171 Ainsi, la décomposition des flux consiste en un processus, d’une part, de division du flux total en portions et, d’autre part, de calcul de la part de ces portions.
172 Aux fins de cette décomposition des flux, la méthodologie pour la répartition des coûts contestée s’appuie sur la méthode PFC. Ainsi que cela ressort du document explicatif du 22 février 2019 accompagnant la proposition pour la méthodologie pour la répartition des coûts du 27 mars 2019, cette méthode a été développée avec pour principal objectif de rester cohérent avec le modèle de marché zonal européen et, en même temps, de permettre un partitionnement complet des flux d’électricité pour chaque
élément de réseau du système électrique.
173 C’est dans ce contexte que les requérantes formulent différents griefs à l’encontre de la décision attaquée, en ce qu’elle a rejeté leurs arguments soulevés devant la commission de recours.
– Sur la motivation de la décision attaquée
174 Par la première branche de leur deuxième moyen, les requérantes critiquent la méthode PFC en ce qui concerne les éléments de réseau transportant du courant alternatif.
175 Parmi les griefs formulés à l’encontre de la décision attaquée, les requérantes critiquent, notamment, le fait que la commission de recours n’a pas procédé à un véritable examen de leurs arguments soulevés à l’encontre de la méthode PFC, utilisée pour la décomposition des flux.
176 Conformément à la jurisprudence, s’agissant des appréciations d’ordre technique et économique complexes figurant dans une décision de l’ACER, la commission de recours ne peut se limiter à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, mais doit, en se fondant sur l’expertise de ses membres, examiner si les arguments avancés devant elle sont susceptibles de démontrer que les considérations sur lesquelles cette décision est fondée sont entachées d’erreurs (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre
2020, Aquind/ACER, T‑735/18, EU:T:2020:542, point 69).
177 À cet égard, il convient de rappeler que la composition de la commission de recours satisfait aux exigences nécessaires pour effectuer un contrôle complet des décisions de l’ACER. Si ses membres doivent avoir une expérience préalable dans le secteur de l’énergie, c’est parce qu’ils disposent ou doivent disposer des connaissances techniques nécessaires pour procéder à un examen approfondi des recours. En effet, le législateur de l’Union a entendu doter la commission de recours de l’expertise
nécessaire pour lui permettre de procéder elle-même à des appréciations portant sur des éléments factuels d’ordre technique et économique complexes liés à l’énergie (arrêt du 9 mars 2023, ACER/Aquind, C‑46/21 P, EU:C:2023:182, points 63 et 64).
178 Toutefois, l’examen de la question de savoir si la commission de recours a effectué, en l’espèce, son contrôle avec l’intensité requise conformément à la jurisprudence citée au point 176 ci-dessus présuppose que le Tribunal soit en mesure, notamment au regard de la motivation fournie dans la décision attaquée, d’effectuer un tel examen. Dans ce contexte, le Tribunal se doit de relever d’office un moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée, s’agissant de la partie de la décision
attaquée consacrée à la méthode PFC, utilisée pour la décomposition des flux.
179 À cet égard, il convient de rappeler que le défaut ou l’insuffisance de motivation relève de la violation des formes substantielles, au sens de l’article 263 TFUE, et constitue un moyen d’ordre public pouvant, voire devant, être soulevé d’office par le juge de l’Union (voir arrêt du 9 mars 2023, Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission, C‑682/20 P, EU:C:2023:170, point 39 et jurisprudence citée).
180 Compte tenu de ce qui précède, dans le cadre de la mesure d’organisation de la procédure du 5 mai 2023, les parties ont été expressément invitées par le Tribunal à se prononcer sur le « caractère suffisant de la motivation de la partie de la décision attaquée consacrée à l’examen de la critique des requérantes au sujet de la méthode PFC ».
181 Il y a lieu, en outre, de relever que, selon une jurisprudence constante, la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté. La motivation doit faire apparaître, de manière claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution auteure de l’acte, de façon à permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise, afin de pouvoir défendre leurs droits et de vérifier si la décision est bien
fondée, et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle de légalité. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi au regard de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 2 avril 1998,
Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 63, et du 30 novembre 2011, Sniace/Commission, T‑238/09, non publié, EU:T:2011:705, point 37).
182 En particulier, l’auteur de l’acte n’est pas tenu de prendre position sur tous les arguments invoqués devant lui par les parties intéressées. Il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de cet acte (voir arrêt du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 96 et jurisprudence citée).
183 De même, le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié également en fonction de l’intérêt que les destinataires de l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P,
EU:C:2021:601, point 104 et jurisprudence citée).
184 Il convient encore de rappeler que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle, qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond de la décision, mais non la motivation de celle-ci, qui peut être
suffisante tout en exprimant des motifs erronés. Il s’ensuit que les griefs et arguments visant à contester le bien-fondé de l’acte litigieux sont dénués de pertinence dans le cadre d’un moyen tiré du défaut ou de l’insuffisance de la motivation [voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2022, Commission/Freistaat Bayern e.a., C‑167/19 P et C‑171/19 P, EU:C:2022:176, point 77, et du 13 mai 2020, Koenig & Bauer/EUIPO (we’re on it), T‑156/19, non publié, EU:T:2020:200, point 55 et jurisprudence citée].
185 Étant donné que, en l’espèce, la commission de recours était censée, conformément à la jurisprudence citée aux points 176 et 177 ci-dessus, procéder à un examen complet de la décision no 30/2020, y compris des appréciations contenues dans celle-ci portant sur des éléments factuels d’ordre technique et économique complexes liés à l’énergie, sans pouvoir se limiter à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, la motivation fournie par celle-ci devait permettre, d’une part, au destinataire
de la décision attaquée de pouvoir défendre ses droits et de vérifier si ladite décision était bien fondée et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle.
186 En effet, en l’absence d’une motivation suffisante, les requérantes ainsi que le Tribunal seraient dans l’impossibilité d’examiner si la commission de recours a effectivement procédé à un examen des arguments soulevés devant elle conforme aux exigences rappelées aux points 176 et 177 ci-dessus.
187 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le moyen, soulevé d’office par le Tribunal, relatif à la motivation de la décision attaquée s’agissant de la méthode PFC, utilisée pour la décomposition des flux.
188 Dans leur recours devant la commission de recours, les requérantes ont exposé, de manière détaillée, leur critique contre la décision no 30/2020. Elles ont fait valoir l’existence de plusieurs erreurs de conception dont était entachée la méthode PFC et le fait que cela avait pour conséquence que celle-ci produisait des résultats erronés.
189 En particulier, les requérantes ont critiqué la méthode PFC en ce qu’elle ne tenait pas compte des réalités physiques. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon le cadre réglementaire, une approche fidèle aux réalités physiques était requise. En effet, seul un flux physique d’électricité peut donner lieu à une congestion et la méthodologie pour la répartition des coûts ne saurait, partant, répartir les coûts occasionnés par des actions correctives que sur les flux qui contribuent
effectivement à des congestions. Or, les requérantes font valoir que, en raison de la « loi de Kirchhoff de la moindre résistance », des échanges d’électricité ont lieu sur la connexion la plus courte entre le point de production et le point de consommation et cela, indépendamment des frontières des zones de dépôt des offres et indépendamment des échanges d’électricité contractés. Toutefois, la méthode PFC ignorerait cette donnée scientifique et un échange d’électricité entre un point de
production et un point de consommation dans des zones différentes ne serait admis que si, en considération de tous les échanges transfrontaliers contractés consolidés, la zone de dépôt des offres où se situe le point de production a une position nette positive et si, en considération de tous les échanges transfrontaliers contractés consolidés, la zone de dépôt des offres où se situe le point de consommation a une position nette négative. Dès lors, en fonction de la position nette des zones de
dépôt des offres concernées, la méthode PFC identifierait, au lieu d’admettre un flux transfrontalier, des flux internes et des flux de boucle. Partant, la méthode PFC, en faisant abstraction des « lois naturelles », aurait tendance à identifier des flux de boucle qui n’existeraient pas en réalité. Enfin, la méthode PFC ne serait pas non plus justifiée par des considérations liées à la configuration zonale du marché de l’électricité dans l’Union.
190 Selon la table des matières de la décision attaquée, les questions liées à la décomposition des flux, soulevées par les requérantes devant la commission de recours, sont traitées dans le cadre du « troisième moyen consolidé », aux points 407 à 587 (pages 61 à 87) de la décision attaquée. Dans le cadre de ce « troisième moyen consolidé », les points 407 à 551 (pages 61 à 81) de la décision attaquée sont consacrés aux éléments de réseau transportant du courant alternatif, faisant l’objet de la
première branche du présent moyen, tandis que les points 552 à 587 (pages 82 à 87) de la décision attaquée concernent les éléments de réseau transportant du courant continu, faisant l’objet de la seconde branche du présent moyen.
191 En revanche, les points 588 à 631 de la décision attaquée se rapportent, conformément à la table des matières de cette dernière, au « quatrième moyen consolidé », relatif à la surestimation des flux de boucle et des flux internes émanant des zones de dépôt des offres importatrices, soulevé, comme cela ressort des points pertinents de la décision attaquée, non par les requérantes dans la présente affaire, mais par la partie requérante dans l’affaire Polskie sieci elektroenergetyczne/ACER
(T‑484/21). Dans ces conditions, aux fins de l’examen du respect de l’obligation de motivation, il n’y a pas lieu de prendre en compte les points 588 à 631 de la décision attaquée, à moins qu’il ne soit renvoyé, à ces points, aux points 407 à 551 de la décision attaquée.
192 Or, force est de constater que le raisonnement développé aux points 407 à 551 de la décision attaquée ne fournit pas, en dépit de sa longueur, une motivation conforme aux exigences rappelées aux points 181 à 183 ci-dessus.
193 Premièrement, le fait que l’examen du « troisième moyen consolidé » soit effectué sur environ 150 points dans la décision attaquée ne démontre pas, en lui-même, un examen rigoureux et circonstancié des arguments des requérantes devant la commission de recours. En effet, la longueur de cette partie de la décision attaquée est largement due à la façon dont celle-ci est rédigée, qui consiste à traiter le même sujet à de multiples reprises au regard des différentes dispositions du droit ou des
éléments factuels invoqués, ce qui implique de nombreux renvois et répétitions.
194 Deuxièmement, il convient de relever que, de manière générale, dans la décision attaquée, la commission de recours s’est, à plusieurs reprises, limitée à énoncer des affirmations de nature générale, sans répondre effectivement aux arguments des requérantes, pour ensuite s’appuyer, dans la suite de l’examen, sur ces mêmes affirmations. Ainsi, la commission de recours crée l’apparence d’un raisonnement circonstancié, sans toutefois répondre véritablement aux arguments des requérantes.
195 Troisièmement, s’agissant, concrètement, du grief des requérantes tiré du fait que la méthode PFC ne tient pas compte des lois naturelles et aboutit ainsi à l’identification de flux de boucle qui n’existent pas en réalité, le cœur du raisonnement de la commission de recours est exposé, comme cela a été affirmé par l’ACER en réponse à une question écrite du Tribunal, aux points 421 à 461 de la décision attaquée.
196 Force est toutefois de constater que les points 421 à 432 (pages 65 et 66) de la décision attaquée, figurant sous le sous-titre 3.2 « Décomposition de flux dans la [méthodologie pour la répartition des coûts contestée] », se limitent, pour ce qui concerne la réponse aux griefs des requérantes, au constat, au point 424 (page 65), qu’« existent plusieurs méthodes de décomposition des flux ».
197 Les points 433 à 451 (pages 66 à 69) de la décision attaquée, figurant sous le sous-titre 3.3 « La méthode PFC ignore la distance électrique, crée des flux fictifs et, partant, fait obstacle à une allocation des coûts raisonnable », se limitent, pour ce qui concerne la réponse aux griefs des requérantes, à quelques affirmations de nature générale et abstraite sans véritablement répondre aux arguments des requérantes.
198 Au point 437 (page 67) de la décision attaquée, il est seulement stipulé que « les branches 3.1 et 3.2 démontrent que, d’un point de vue technique […] coexistent plusieurs méthodes de décomposition des flux valides ».
199 Toutefois, il convient de relever que, dans le cadre de l’examen des « branches 3.1 et 3.2 » de la décision attaquée, il n’était conclu qu’à l’existence de plusieurs méthodes de décomposition des flux. En revanche, la commission de recours n’a tiré aucune conclusion quant à la « validité » de ces différentes méthodes.
200 Il découle du point 439 (page 67) de la décision attaquée que la commission de recours a estimé que l’usage des clés de répartition de la variation de la production ne rendait pas la méthode PFC, ou des parties de cette méthode, fictive. Il est ajouté que l’usage des clés de répartition de la variation de la production est une caractéristique des méthodes relatives au calcul de la capacité.
201 Toutefois, d’une part, il convient de relever que les requérantes, dans le cadre d’un autre grief soulevé devant la commission de recours, avançaient que les clés de répartition de la variation de la production, précisément du fait qu’elles étaient conçues pour le calcul de la capacité, n’étaient pas aptes à être utilisées dans le contexte de la décomposition des flux. D’autre part, la référence à l’usage des clés de répartition de la variation de la production ne répond pas aux arguments des
requérantes selon lesquels la méthode PFC, puisqu’elle ne tient pas compte, ab initio, de la distance électrique, est entachée d’une erreur de conception.
202 Au point 447 (page 68) de la décision attaquée, la commission de recours conclut qu’elle « ne considère pas que la méthode PFC est basée sur des flux fictifs ».
203 Toutefois, les points précédents ne permettent pas de comprendre les raisons pour lesquelles la commission de recours a écarté la critique des requérantes selon laquelle la méthode PFC aboutissait à l’identification de flux de boucle qui n’existaient pas en réalité.
204 Au point 451 (page 69) de la décision attaquée, la commission de recours tire la conclusion selon laquelle « la méthode [Full Line Decomposition (FLD)] n’est pas une méthode de décomposition des flux adéquate ».
205 Toutefois, dans la mesure où la méthode PFC est en cause, le raisonnement de la commission de recours, tiré de l’éventuelle inconsistance de la méthode FLD avec la répartition du marché en zones de dépôt des offres, ne répond pas à l’argument des requérantes qui critiquent la méthode PFC.
206 Même si l’on admettait que le raisonnement relatif à la méthode FLD doit être compris comme une réponse implicite aux griefs formulés par les requérantes à l’encontre de la méthode PFC, ce raisonnement ne laisse pas apparaître les raisons pour lesquelles la commission de recours a écarté les griefs des requérantes soulevés devant elle.
207 En effet, au point 449 (page 68) de la décision attaquée, il est indiqué que « la distance électrique [...] ne peut être appliquée pleinement que dans un modèle de marché nodal » et que, « [t]outefois, si un modèle de marché nodal était le modèle applicable, il n’existerait ni [...] [flux de boucle] ni [...] besoin pour une décomposition des flux ».
208 Or, d’une part, l’impossibilité alléguée de tenir « pleinement » compte de la distance électrique n’implique pas qu’il ne serait pas nécessaire de prendre en considération la distance électrique pour aboutir à une décomposition des flux correcte ou que la méthode PFC prendrait dûment en compte la distance électrique.
209 D’autre part, il ne ressort pas non plus de l’affirmation reproduite au point 207 ci-dessus que l’absence de prise en compte de la distance électrique par la méthode PFC, critiquée par les requérantes, serait inhérente au modèle zonal, sur lequel le marché de l’électricité dans l’Union est basé, et que ce modèle zonal ne permettrait pas de tenir compte de la distance électrique.
210 Les points 452 à 462 (pages 69 et 70) de la décision attaquée, sous le sous-titre 3.4 « La méthode PFC enfreint l’article 16, paragraphe 13, [du règlement 2019/943 et le principe du pollueur-payeur] », ne contiennent pas non plus d’éléments permettant de comprendre les raisons pour lesquelles les griefs des requérantes ont été écartés.
211 Au point 460 (page 70) de la décision attaquée, la commission de recours tire la conclusion selon laquelle « la méthode PFC … n’est ni arbitraire ni basée sur des présomptions incorrectes. Elle décompose correctement des flux physiques … ».
212 Toutefois, les points précédents ne permettent pas de comprendre les raisons pour lesquelles la commission de recours a écarté la critique des requérantes selon laquelle la méthode PFC aboutit à l’identification de flux de boucle qui n’existent pas en réalité.
213 En effet, les points précédents se limitent à de simples affirmations, aucunement motivées, et à des renvois à des conclusions, tirées auparavant, qui, elles-mêmes, ne reposaient pas sur un véritable raisonnement.
214 Ainsi, pour ce qui concerne la réponse aux griefs des requérantes, le point 456 (page 69) de la décision attaquée se limite à constater qu’« il ressort de ce qui a été expliqué dans le contexte de la branche 3.3 que la méthode PFC identifie correctement des couches des flux physiques [et qu’elle] n’est pas basée sur des flux fictifs ». En revanche, les autres points qui précèdent la conclusion tirée au point 460 de la décision attaquée ne contiennent aucun élément qui réponde de manière
spécifique aux griefs des requérantes.
215 Quatrièmement, il convient encore de relever que les autres points de la motivation retenue dans la décision attaquée ne comblent pas les lacunes dont est entaché le raisonnement développé aux points 421 à 461 de la décision attaquée. Cela vaut, en particulier, pour les points 513 à 551 (pages 76 à 81) de la décision attaquée, au sujet de l’utilisation des clés de la variation de la production, qui ne répondent pas, de manière directe, aux griefs des requérantes selon lesquels la méthode PFC, en
méconnaissance des « lois naturelles », aboutirait à l’identification de flux de boucle qui n’existeraient pas en réalité. De surcroît, l’ACER, au cours de la présente procédure et, notamment, en réponse à une question posée par le Tribunal, n’a pas non plus précisé quels éléments de la décision attaquée permettraient de combler les lacunes relatives à la motivation de cette dernière.
216 Cinquièmement, selon la jurisprudence citée aux points 181 à 183 ci-dessus, l’obligation de motivation d’un acte est modulée en fonction du contexte et du destinataire.
217 Certes, le sujet faisant l’objet des griefs des requérantes est hautement complexe et technique. En outre, les requérantes disposent, comme elles l’affirment elles-mêmes, d’une haute expertise dans ce domaine.
218 Toutefois, en l’occurrence, il s’avère que les requérantes ont avancé, tout au long de la procédure ayant conduit à la décision attaquée, les mêmes arguments que ceux qui ont été écartés, tout d’abord, par la décision no 30/2020, puis par la décision attaquée. C’est, par conséquent, en raison de l’absence d’une motivation permettant aux requérantes de comprendre les raisons pour lesquelles leurs griefs avaient été écartés par la commission de recours que celles-ci ont réitéré, devant le
Tribunal, la même critique de la méthode PFC que celle qu’elles avaient développée devant cette commission.
219 Il s’avère ainsi que, même en tenant en compte de la nature du sujet abordé dans la décision attaquée et de l’expertise des requérantes, la motivation fournie ne répond pas aux exigences rappelées aux points 181 à 183 ci-dessus.
220 Sixièmement, selon la jurisprudence citée au point 182 ci-dessus, l’auteur de l’acte n’est pas tenu de prendre position sur tous les arguments invoqués devant lui par les parties intéressées, dans la mesure où il peut se limiter à exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de cet acte.
221 À cet égard, il convient de relever, d’une part, que, comme cela a été constaté aux points 166 et 167 ci-dessus, la décomposition des flux constitue une étape nécessaire et importante dans le cadre de la répartition des coûts des actions correctives, en ce qu’elle fournit les données d’entrée pour la répartition ultérieure des coûts. En outre, la critique des requérantes porte sur la conception même de la méthode PFC. Cette critique est centrale dans l’argumentation des requérantes à l’encontre
de la méthode de décomposition des flux, adoptée dans la décision no 30/2020, et emporterait, si elle était fondée, la conclusion selon laquelle la décision attaquée doit être annulée, en ce qu’elle a confirmé la décision no 30/2020 à cet égard.
222 Dans ces conditions, les arguments des requérantes concernaient des éléments essentiels de la décision attaquée, avec pour conséquence que la commission de recours devait y répondre afin de s’acquitter de son devoir de motivation, conformément aux exigences rappelées aux points 181 à 183 ci-dessus.
223 Il s’ensuit que la motivation de la décision attaquée, s’agissant de la méthode PFC utilisée pour la décomposition des flux, est incomplète et insuffisante et qu’elle ne permet donc pas aux requérantes de connaître les justifications de cette décision ni au Tribunal d’exercer son contrôle juridictionnel sur celle-ci.
224 Partant, la décision attaquée viole les formes substantielles, au sens de l’article 263 TFUE, de sorte qu’il convient d’annuler la décision attaquée en ce que, dans celle-ci, la commission de recours a confirmé, sans motivation suffisante, la méthode de décomposition des flux retenue par l’ACER dans la décision no 30/2020.
Sur la seconde branche, relative au traitement des éléments de réseau transportant du courant continu
225 Dans la mesure où il convient d’annuler la décision attaquée en ce que, dans celle-ci, la commission de recours a confirmé, sans motivation suffisante, la méthode de décomposition des flux retenue par l’ACER dans la décision no 30/2020 (voir point 224 ci-dessus), et en ce que le traitement des éléments de réseau d’électricité transportant du courant continu est lié à cette même méthode de décomposition des flux, il n’y pas lieu, pour des raisons de bonne administration de la justice, d’examiner
également la seconde branche du deuxième moyen.
Sur le troisième moyen, relatif à la détermination du niveau de tolérance
226 Par leur troisième moyen, les requérantes, soutenues par la République fédérale d’Allemagne, font valoir que la détermination d’un niveau de tolérance commun, fixé à 10 %, pour les flux de boucle, telle que confirmée par la décision attaquée, est illégale.
227 En premier lieu, les requérantes invoquent la circonstance selon laquelle l’ACER a méconnu le fait que le principe du « pollueur-payeur » ne s’appliquait qu’aux flux de boucle au-dessus du niveau de tolérance, de sorte qu’il ne pouvait justifier un niveau de tolérance élevé.
228 En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que le niveau de tolérance pour les flux de boucle n’est pas le résultat d’une « analyse technique solide ».
229 En troisième lieu, les requérantes font valoir que l’ACER n’était pas compétente pour fixer son « propre » niveau de tolérance temporaire pour les flux de boucle.
230 En quatrième lieu, les requérantes prétendent que l’ACER, en fixant à 10 % le niveau de tolérance pour les flux de boucle, a méconnu l’article 16, paragraphe 8, du règlement 2019/943.
231 En cinquième lieu, les requérantes soutiennent que l’ACER a appliqué de manière erronée le principe de proportionnalité.
232 En sixième lieu, les requérantes arguent que le niveau de tolérance n’a pas été déterminé par frontière de zone de dépôt des offres, comme le requiert l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
233 La République fédérale d’Allemagne soutient les arguments des requérantes.
234 L’ACER conteste les arguments des requérantes, tels que soutenus par la République fédérale d’Allemagne.
235 Il est constant que, même en l’absence de congestion structurelle, des flux de boucle sont inéluctables dans un réseau d’électricité interconnecté fortement maillé fonctionnant selon un modèle zonal.
236 Pour cette raison, la détermination d’un niveau de tolérance pour les flux de boucle a pour objet d’exclure de tels flux de la répartition des coûts engendrés par le redispatching et les échanges de contrepartie.
237 S’agissant de la détermination du niveau de tolérance, l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 dispose ce qui suit :
« Lors de la répartition des coûts des actions correctives entre les [GRT], les [ARN] répartissent les coûts […] à l’exception des coûts induits par les flux résultant de transactions internes aux zones de dépôt des offres qui sont inférieurs au niveau attendu sans congestion structurelle dans une zone de dépôt des offres.
Ce niveau est analysé et défini conjointement par tous les [GRT] d’une région de calcul de la capacité [d’échange] pour chaque frontière d’une zone de dépôt des offres et est soumis à l’approbation de toutes les [ARN] de la région de calcul de la capacité. »
238 Premièrement, il ressort de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 que le niveau de tolérance présuppose de simuler quel serait le niveau des flux de boucle attendu en l’absence de congestion structurelle.
239 La « congestion structurelle » est définie, à l’article 2, point 6, du règlement 2019/943, comme étant « une congestion qui survient dans le réseau de transport, qui peut être définie de façon non ambiguë, qui est prévisible et géographiquement stable dans le temps, et qui est récurrente dans les conditions normales du réseau d’électricité ».
240 Deuxièmement, il ressort de l’article 16, paragraphe 13, second alinéa, du règlement 2019/943 que la détermination du niveau de tolérance doit être précédée d’une analyse et que cette analyse doit être effectuée par les GRT.
241 Troisièmement, il ressort de cette même disposition que le niveau de tolérance doit être analysé et déterminé « pour chaque frontière d’une zone de dépôt des offres ».
242 En l’espèce, il est constant que les GRT n’ont pas effectué l’analyse requise.
243 En outre, il est constant que l’ACER n’a pas non plus effectué cette analyse.
244 À cet égard, il ressort du point 112 de la décision no 30/2020 que, en l’absence d’un niveau de tolérance analysé et défini par les GRT et approuvé par les ARN conformément à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, l’ACER a examiné si elle était en position d’effectuer elle-même cette analyse et a conclu que tel n’était pas le cas, en raison des contraintes de ressources, du temps disponible et de l’expertise nécessaire.
245 En outre, il ressort du considérant 8 de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée et des points 110 à 114 de la décision no 30/2020 que l’ACER, dans une telle situation, s’est considérée autorisée à fixer elle-même, de manière provisoire, un niveau de tolérance.
246 De plus, il ressort des points 115 à 122 de la décision no 30/2020 que l’ACER a fixé le niveau de tolérance provisoire pour toute la région CORE de manière uniforme à 10 % de la capacité maximale de chaque élément de réseau concerné et a ensuite réparti ce niveau de manière égale entre toutes les zones de dépôt des offres produisant des flux de boucle sur l’élément de réseau concerné.
247 Dans la décision attaquée, la commission de recours a rejeté, comme étant non fondée, la critique relative à cette détermination, par l’ACER, d’un niveau de tolérance provisoire pour les raisons exposées aux points 909 à 1077 (pages 137 à 164), 1210 à 1221 (pages 187 à 189) et 1192 à 1226 (pages 212 à 218) de la décision attaquée.
248 À cet égard, il ressort, notamment, des points 924 à 946 (pages 140 à 144), 1217 à 1221 (pages 187 à 189) et 1199 à 1226 (pages 213 à 218) de la décision attaquée que l’ACER a estimé devoir fixer elle-même le niveau de tolérance, étant donné que la fixation d’un tel niveau était, à son sens, indispensable pour pouvoir adopter la méthodologie pour la répartition des coûts.
249 En outre, il ressort de ces mêmes points de la décision attaquée que la détermination du niveau de tolérance par l’ACER reposerait sur une « analyse rigoureuse ».
250 Il ressort également de ces éléments de la décision attaquée que la commission de recours a considéré que l’ACER était autorisée à, voire obligée de, fixer elle-même un niveau de tolérance provisoire sans disposer de l’analyse prescrite à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, afin d’éviter une situation d’impasse.
251 À cet égard, la nature provisoire du niveau de tolérance ainsi fixé par l’ACER est soulignée dans la décision attaquée. En effet, il ressort du point 943 (page 143) de ladite décision que les GRT peuvent encore, à tout moment, effectuer l’analyse requise et que les ARN peuvent remplacer, à tout moment, le niveau de tolérance provisoire fixé dans la méthodologie pour la répartition des coûts contestée par un niveau de tolérance définitif.
252 Au regard de ce qui précède, il convient d’examiner si la commission de recours a pu, sans commettre d’erreur de droit, considérer, dans la décision attaquée, que la détermination du niveau de tolérance effectuée par l’ACER dans la méthodologie pour la répartition des coûts contestée était conforme aux exigences résultant de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943. Si tel n’est pas le cas, il conviendra d’examiner si, comme l’a relevé la commission de recours, l’ACER, dans la
situation particulière du cas d’espèce, pouvait néanmoins se fonder sur une compétence implicite lui permettant de déterminer un niveau de tolérance d’une manière différente de celle établie par cette disposition.
Sur le respect des exigences résultant de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943
253 Conformément à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, le niveau de tolérance est analysé et défini « pour chaque frontière d’une zone de dépôt des offres » et doit correspondre au « niveau attendu sans congestion structurelle ».
254 En premier lieu, il convient d’examiner si la méthode pour déterminer le niveau de tolérance suivie par l’ACER dans la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, confirmée par la décision attaquée, respecte l’exigence selon laquelle ce niveau doit être analysé et défini « pour chaque frontière d’une zone de dépôt des offres ».
255 À cet égard, il ressort de l’article 7, paragraphes 3 et 4, de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée que le niveau de tolérance est déterminé en deux étapes.
256 Lors d’une première étape, un niveau de tolérance commun pour toute la région CORE est appliqué à chaque élément de réseau ayant une incidence transfrontalière. Ce niveau de tolérance commun est fixé à 10 % de la capacité maximale de l’élément de réseau concerné.
257 Lors d’une seconde étape, le niveau de tolérance commun est divisé de manière égale, pour chaque élément de réseau concerné, par le nombre de zones de dépôt des offres de la région CORE dont émanent des flux de boucle passant par cet élément de réseau. Dans l’hypothèse où une zone de dépôt des offres n’utiliserait pas complètement la part du niveau de tolérance qui lui est attribuée, la partie non utilisée serait ensuite répartie de manière égale entre les zones de dépôt des offres restantes.
258 Il en découle que le niveau de tolérance de chaque élément de réseau ayant une incidence transfrontalière correspond à 10 % de sa capacité maximale, divisé de manière égale par le nombre de zones de dépôt des offres de la région CORE dont émanent des flux de boucle passant par cet élément de réseau.
259 Il est vrai, comme le soutient l’ACER, qu’une telle répartition aboutit à un niveau de tolérance individuel pour chaque zone de dépôt des offres et, partant, que cette détermination du niveau de tolérance implique une certaine « individualisation » de ce dernier, en ce que ce niveau est déterminé en fonction de la capacité maximale individuelle de chaque élément de réseau pertinent et en fonction du nombre de zones de dépôt des offres dont émanent des flux de boucle passant par ces éléments de
réseau.
260 Toutefois, force est de constater que l’« individualisation » mentionnée au point 259 ci-dessus n’est pas celle prescrite, à l’article 16, paragraphe 13, second alinéa, du règlement 2019/943, par les termes « pour chaque frontière d’une zone de dépôt des offres ».
261 En effet, il est constant entre les parties que le niveau des flux de boucle change en fonction des caractéristiques des zones de dépôt des offres, telles que la taille, le degré de maillage, la proportion de l’injection d’électricité issue d’énergies renouvelables et le nombre de frontières de la zone de dépôt des offres concernée. Ainsi, le niveau des flux de boucle peut varier d’une zone de dépôt à l’autre, sur une « frontière » au sens de l’article 16, paragraphe 13 du règlement 2019/943,
voire sur les éléments ayant une incidence sur les congestions entre deux zones. C’est pourquoi l’article 16, paragraphe 13, second alinéa, du règlement 2019/943 exige que le niveau de tolérance soit déterminé en fonction des caractéristiques des zones de dépôt des offres en cause et des différentes frontières entre celles-ci.
262 Or, la détermination du niveau de tolérance effectuée par l’ACER repose, lors de la première étape, sur un niveau de tolérance unique pour toutes les zones de dépôt des offres dans la région CORE, avec pour conséquence qu’il n’est aucunement tenu compte des caractéristiques spécifiques de ces zones et des frontières entre celles-ci.
263 En outre, l’« individualisation » opérée lors de la seconde étape ne tient pas davantage compte des caractéristiques des différentes zones de dépôt des offres, mais dépend uniquement du nombre de zones de dépôt des offres dont émanent des flux de boucle passant par les éléments de réseau pertinents. Le même raisonnement s’applique dans l’hypothèse d’une répartition ultérieure de la quote-part non utilisée du niveau de tolérance par une zone de dépôt des offres, entre les autres zones de dépôts
des offres.
264 Il s’ensuit que le niveau de tolérance fixé par l’ACER ne respecte pas l’exigence prévue à l’article 16, paragraphe 13, second alinéa, du règlement 2019/943, selon laquelle le niveau de tolérance doit être défini « pour chaque frontière d’une zone de dépôt des offres ».
265 En second lieu, s’agissant de l’exigence selon laquelle le niveau de tolérance doit correspondre au « niveau attendu sans congestion structurelle », il est constant que l’analyse normalement requise pour déterminer le niveau de flux de boucle attendu sans congestion structurelle, prescrite par l’article 16, paragraphe 13, premier alinéa, du règlement 2019/943, n’a pas été effectuée en l’espèce.
266 Or, en l’absence d’une telle analyse, le niveau de tolérance fixé par l’ACER ne pourrait être conforme à l’exigence selon laquelle ce niveau doit correspondre au niveau de flux de boucle attendu en l’absence de congestion structurelle.
267 À cet égard, il ressort des points 958 (page 145) et 1221 (page 189) de la décision attaquée que l’ACER a considéré que le niveau de tolérance qu’elle avait fixé correspondait à une situation sans congestion structurelle.
268 En effet, il ressort du point 115 de la décision no 30/2020 et du point 223 du mémoire en défense que l’ACER a enquêté auprès des GRT quant au niveau de flux de boucle attendu en l’absence de congestion structurelle. Tandis que certains GRT ont indiqué des valeurs variant entre 3, 5 et 10 %, d’autres n’ont pas répondu ou ont indiqué des seuils plus importants que 10 %. Dans ces conditions, et en supposant que les réponses des GRT aient été influencées par leurs intérêts propres, l’ACER a fixé le
niveau de tolérance à 10 % de la capacité maximale de l’élément de réseau concerné en tant que « moyenne » des avis fournis, ainsi que cela ressort également du point 115 de la décision no 30/2020.
269 Il s’ensuit que la fixation à 10 % de la capacité maximale de l’élément de réseau concerné en tant que niveau de tolérance commun pour toutes les zones de dépôt des offres de la région CORE et en tant que première étape dans la détermination du niveau de tolérance par élément de réseau concerné ne repose sur aucune analyse du niveau de tolérance sans congestion structurelle, telle que prescrite par l’article 16, paragraphe 13, premier alinéa, du règlement 2019/943, mais se présente comme le
résultat d’un compromis au regard des avis divergents fournis par les GRT concernés.
270 En effet, comme le reconnaît l’ACER au point 930 (page 141) de la décision attaquée, l’analyse requise par l’article 16, paragraphe 13, premier alinéa, du règlement 2019/943 présuppose, notamment, une analyse des investissements dans le réseau et des éventuelles reconfigurations des zones de dépôt des offres pour éliminer les congestions structurelles. Or, l’ACER admet ne pas avoir effectué une telle analyse.
271 Dans ces conditions, l’argument de l’ACER selon lequel sa détermination du niveau de tolérance reposerait sur une « analyse rigoureuse » est inopérant, puisque, en tout état de cause, cette analyse n’était pas celle prescrite par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
272 Il s’ensuit que le niveau de tolérance fixé par l’ACER ne respecte pas les exigences établies à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, selon lesquelles le niveau de tolérance doit correspondre au « niveau attendu sans congestion structurelle » et doit être défini « pour chaque frontière d’une zone de dépôt des offres ».
Sur les conditions pour reconnaître une compétence implicite
273 Il découle des appréciations qui précèdent que la détermination du niveau de tolérance effectuée par l’ACER dans la méthodologie pour la répartition des coûts contestée n’est pas conforme à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
274 Dans ces conditions, la question de savoir si, en principe, l’ACER était compétente pour déterminer elle-même un niveau de tolérance sur le fondement de l’article 6, paragraphe 10, deuxième alinéa, sous a), du règlement 2019/942, comme cela ressort du point 924 (page 140) de la décision attaquée, est dépourvue de pertinence. En effet, cette disposition ne saurait, en tout état de cause, permettre à l’ACER de fixer un niveau de tolérance non conforme aux exigences de l’article 16, paragraphe 13,
du règlement 2019/943.
275 Il convient donc d’examiner si, en dépit du fait que la détermination du niveau de tolérance effectuée par l’ACER n’était pas conforme aux exigences de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, l’ACER disposait, dans la situation spécifique dans laquelle elle se trouvait, d’une compétence implicite l’habilitant à déterminer un niveau de tolérance d’une manière différente de celle prescrite par cette disposition.
276 En effet, l’ACER justifie sa compétence pour déterminer un niveau de tolérance par la nécessité de son action. En l’absence de l’analyse du niveau de tolérance attendu sans congestion structurelle devant être effectuée par les GRT, l’ACER aurait été autorisée, afin d’éviter une situation d’impasse, à fixer elle-même, de manière provisoire, un niveau de tolérance dans la méthodologie pour la répartition des coûts contestée.
277 En premier lieu, il ne saurait en principe être admis, au regard du principe de légalité, qu’une agence de l’Union, telle que l’ACER, puisse déroger au cadre juridique applicable. Il en découle que l’ACER ne pouvait, en principe, déroger à l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
278 En deuxième lieu, il convient de relever que, conformément à l’article 6, paragraphe 12, sous b), du règlement 2019/942, l’ACER peut « arrêter une décision provisoire afin de veiller à ce que […] la sécurité d’exploitation soit garantie ». Or, force est de constater que, en l’espèce, l’ACER ne s’est pas appuyée sur cette disposition pour établir le niveau de tolérance. Par ailleurs, et en tout état de cause, l’adoption de la méthodologie pour la répartition des coûts ne saurait être considérée
comme étant nécessaire afin de « veiller à ce que la sécurité de l’approvisionnement ou la sécurité d’exploitation soit garantie », au sens de l’article 6, paragraphe 12, sous b), du règlement 2019/942. En effet, cette méthodologie a pour objet la répartition des coûts des actions correctives et ne vise pas à déterminer les actions correctives devant être mises en œuvre afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement ou la sécurité d’exploitation.
279 De plus, l’existence de cette disposition et, partant, de la faculté d’adopter, dans des circonstances clairement délimitées, des décisions provisoires milite à l’encontre de la reconnaissance, au profit de l’ACER, d’une compétence implicite pour fixer, même de façon provisoire, le niveau de tolérance dans la méthodologie pour la répartition des coûts d’une manière différente de celle prescrite par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
280 En troisième lieu, conformément à la jurisprudence, la simple invocation de l’intérêt lié à l’efficacité ne saurait suffire pour créer une compétence au profit d’une agence de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2019, E-Control/ACER, T‑332/17, non publié, EU:T:2019:761, point 69). La simple invocation de l’intérêt lié à l’efficacité ne saurait, dès lors, suffire pour permettre à une agence de l’Union de déroger au cadre juridique applicable.
281 Toutefois, il ne saurait être exclu que l’intérêt lié à l’efficacité, à condition que cela corresponde à un besoin réel pour assurer l’effet utile des dispositions des traités ou du règlement concerné, puisse justifier l’existence d’un pouvoir implicite décisionnel (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2019, E-Control/ACER, T‑332/17, non publié, EU:T:2019:761, point 69).
282 Ainsi, il convient d’examiner si, en l’espèce, les conditions pour reconnaître une compétence implicite au profit de l’ACER, en application de cette jurisprudence, étaient réunies.
Sur la reconnaissance d’une compétence implicite au profit de l’ACER
283 Conformément à la jurisprudence citée au point 281 ci-dessus, aux fins de vérifier si l’ACER pouvait se targuer d’une compétence implicite, il convient d’examiner si la reconnaissance d’une telle compétence au profit de celle-ci correspondait à un besoin réel pour assurer l’effet utile des dispositions en cause.
284 À cet égard, il résulte des points 924 à 946 (pages 140 à 144) et 1206 à 1220 (pages 214 à 216) de la décision attaquée que l’ACER a prétendu que la nécessité d’adopter une méthodologie pour la répartition des coûts dans le délai imparti l’avait contrainte à fixer elle-même le niveau de tolérance, et ce, malgré l’absence de l’analyse normalement requise.
285 Premièrement, s’agissant du besoin invoqué au regard du calendrier, il convient de constater que, certes, l’ACER était, en principe, tenue d’adopter une méthodologie pour la répartition des coûts dans le délai prévu par l’article 6, paragraphe 12, sous a), du règlement 2019/942 et l’article 9, paragraphe 11, du règlement 2015/1222, à savoir un délai de six mois à partir du 27 mars 2020.
286 Toutefois, il convient de relever que le droit de l’Union n’attache aucune sanction au dépassement du délai de six mois prévu à l’article 6, paragraphe 12, sous a), du règlement 2019/942 et à l’article 9, paragraphe 11, du règlement 2015/1222. Il ne s’agit donc pas d’un délai impératif, mais d’un délai indicatif.
287 Or, conformément à la jurisprudence, en présence d’un tel délai indicatif, même si l’organisme de l’Union auquel ce délai s’applique doit s’efforcer de respecter celui-ci, il peut lui être nécessaire, notamment en raison de la complexité de la tâche et sous réserve de l’atteinte aux intérêts d’un État membre, de disposer de davantage de temps (voir, en ce sens, arrêt du 15 janvier 2013, Espagne/Commission, T‑54/11, EU:T:2013:10, point 27).
288 Par conséquent, le point de départ du raisonnement de l’ACER est erroné, puisqu’il ne lui était pas impératif d’adopter une méthodologie pour la répartition des coûts dans le délai imparti, à savoir avant le 28 septembre 2020.
289 En outre, il est constant que l’analyse du « niveau attendu sans congestion structurelle » est complexe et requiert un temps considérable.
290 Il était donc, en principe, loisible à l’ACER d’accorder aux GRT suffisamment de temps pour effectuer l’analyse requise sans se voir reprocher de méconnaître le délai prévu à l’article 6, paragraphe 12, sous a), du règlement 2019/942 et à l’article 9, paragraphe 11, du règlement 2015/1222.
291 Cela est d’autant plus vrai que l’obligation de déterminer un niveau de tolérance en procédant à l’analyse prévue par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 n’est entrée en vigueur que le 1er janvier 2020.
292 Or, au moment où les GRT de la région CORE ont soumis à l’ensemble des ARN de ladite région, pour approbation, leur proposition de méthodologie pour la répartition des coûts, à savoir le 27 mars 2019, le règlement 2019/943 n’était pas encore adopté.
293 À cet égard, force est de constater que ni la décision no 30/2020 ni la décision attaquée n’explorent les conséquences éventuelles sur le calendrier pour l’adoption de la méthodologie pour la répartition des coûts du fait que l’obligation de déterminer un niveau de tolérance et, dès lors, de procéder à l’analyse correspondante n’est entrée en vigueur que le 1er janvier 2020.
294 Dès lors, le postulat de la commission de recours dans la décision attaquée, selon lequel il était nécessaire, pour l’ACER, d’adopter, sans pouvoir attendre l’analyse prescrite par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, en raison du délai qui lui était imparti pour ce faire, procède d’une lecture du cadre réglementaire ne tenant compte ni de la nature indicative du délai à respecter par l’ACER ni de la modification du cadre
juridique en vigueur.
295 Partant, la seule invocation d’un délai indicatif pour l’adoption par l’ACER de la méthodologie pour la répartition des coûts ne saurait suffire pour démontrer un besoin réel pour assurer l’effet utile des dispositions en cause.
296 Deuxièmement, l’ACER a justifié la nécessité de son action par l’inaction des GRT. En effet, il ressort du point 955 (page 145) de la décision attaquée que l’ACER a fait valoir que les GRT n’avaient pas été en mesure, « pendant une période de presque trois ans », d’effectuer l’analyse requise par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
297 À cet égard, il convient de rappeler que l’obligation de déterminer le niveau de tolérance en procédant à l’analyse prescrite par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 n’est entrée en vigueur que le 1er janvier 2020.
298 D’ailleurs, force est de constater que, contrairement à ce que soutient l’ACER au point 926 (page 140) de la décision attaquée, les GRT n’ont pas estimé obligatoire, dans le document explicatif du 22 février 2019 accompagnant la proposition de méthodologie pour la répartition des coûts du 27 mars 2019, de déterminer un niveau de tolérance, mais ont plutôt perçu cela comme une option qui leur était laissée.
299 Même en admettant que la nécessité de fixer un niveau de tolérance ait été reconnue par les GRT avant l’adoption du règlement 2019/943, il n’en demeure pas moins que l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 précise la manière dont le niveau de tolérance devait être déterminé, à savoir à partir d’une analyse du « niveau [de flux de boucle] attendu sans congestion structurelle » et « pour chaque frontière d’une zone de dépôt des offres ».
300 Or, l’ACER ne soutient pas qu’il était acquis, avant l’entrée en vigueur du règlement 2019/943, que le niveau de tolérance devait être déterminé de cette manière.
301 Dans ces conditions, l’ACER ne pouvait pas légitimement reprocher aux GRT de ne pas avoir été en mesure, « pendant une période de presque trois ans », d’effectuer l’analyse requise par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
302 Cette conclusion n’est pas non plus remise en cause par les documents produits par l’ACER lors de l’audience, afin de démontrer que les GRT et les ARN de la région CORE discutaient encore de la manière dont l’analyse requise par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 devait être opérée.
303 Indépendamment de la question de savoir si ces documents sont recevables, force est de constater que les négociations en cours, invoquées par l’ACER, sont dénuées de pertinence dans le cas d’espèce.
304 En effet, conformément à la jurisprudence, la légalité d’une décision doit être appréciée uniquement à la lumière des éléments de fait et de droit existant au moment où elle a été adoptée (voir arrêt du 27 avril 2022, Roos e.a./Parlement, T‑710/21, T‑722/21 et T‑723/21, EU:T:2022:262, point 211 et jurisprudence citée). Ainsi, les éléments invoqués par l’ACER, qui sont postérieurs à la décision attaquée, ne sauraient être pris en compte aux fins d’apprécier la légalité de cette décision.
305 Troisièmement, l’ACER a justifié la nécessité de son action par le non-respect par les GRT du délai qu’elle leur avait fixé. À cet égard, elle indique avoir imposé aux GRT un délai de quatre mois, allant du 18 avril au 20 août 2020, pour effectuer l’analyse prescrite par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 et ajoute que ceux-ci n’ont pas respecté ce délai.
306 Or, comme il ressort des points 930 (page 141), 954 (page 145) et 1131 (page 202) de la décision attaquée, l’ACER elle-même considérait que l’analyse prescrite par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 était complexe et requerrait un temps considérable.
307 De surcroît, l’ACER ne démontre pas que, pendant le délai de quatre mois qu’elle avait imparti aux GRT, elle a facilité, d’une manière ou d’une autre, le travail de ces derniers en vue d’effectuer l’analyse prescrite par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
308 Or, conformément à l’article 6, paragraphe 11, du règlement 2019/942, lequel reflète le principe de coopération loyale, consacré par l’article 4, paragraphe 3, TUE, l’ACER est tenue de consulter les ARN et les GRT lorsqu’elle prépare une décision sur le fondement de l’article 6, paragraphe 10, dudit règlement.
309 En vertu du principe de coopération loyale et en tenant compte de la volonté claire du législateur de l’Union de rendre la prise de décisions sur des questions transfrontalières, difficiles, mais indispensables, plus efficace et plus rapide (arrêt du 7 septembre 2022, BNetzA/ACER, T‑631/19, EU:T:2022:509, point 46), l’ACER était censée faciliter l’élaboration, par les GRT et les ARN, de l’analyse requise par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
310 Dans ces conditions, l’ACER ne peut légitimement reprocher aux GRT de ne pas avoir été en mesure d’effectuer l’analyse requise par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 dans le délai imparti, à savoir quatre mois.
311 Quatrièmement, l’ACER a encore justifié la nécessité d’adopter la méthodologie pour la répartition des coûts contestée sans pouvoir attendre l’analyse requise par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 par deux autres considérations.
312 D’une part, lors de l’audience, l’ACER a fait valoir qu’il aurait fallu donner suffisamment de temps aux GRT, après l’adoption de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, pour qu’ils puissent mettre en place les dispositifs nécessaires à sa bonne mise en œuvre.
313 Or, il convient de relever que, selon l’article 13, paragraphe 2, de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, lu conjointement avec l’article 37, paragraphe 2, de la méthodologie RDCT, une première étape de la mise en œuvre de la première de ces méthodologies était prévue pour le 4 juin 2023, tandis que l’application complète de celle-ci était prévue pour le 4 juin 2025.
314 Ainsi, étant donné que la première mise en œuvre partielle de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée ne devait intervenir que deux ans et demi après l’adoption de celle-ci et sa mise en œuvre complète, quatre ans et demi après ladite adoption, la simple invocation du besoin pour les GRT de mettre en place les dispositifs nécessaires à la bonne mise en œuvre de cette méthodologie ne saurait suffire à démontrer, eu égard à la très longue période prévue pour ladite mise en œuvre,
un besoin réel d’adopter cette méthodologie sans pouvoir attendre l’analyse requise par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
315 D’autre part, il ressort du point 946 (page 144) de la décision attaquée que l’ACER considère que la mise en œuvre de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée devait être effectuée simultanément avec celle de la méthodologie RDCT et celle de la méthodologie ROSC.
316 À cet égard, il suffit de constater que, en l’espèce, il n’est nullement question de trancher la question de savoir si l’ACER était autorisée à prévoir les mêmes dates pour la mise en œuvre de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, de la méthodologie RDCT et de la méthodologie ROSC, mais plutôt de déterminer si l’ACER pouvait adopter la méthodologie pour la répartition des coûts contestée sans pouvoir attendre l’analyse prescrite par l’article 16, paragraphe 13, du règlement
2019/943.
317 Dans ces conditions, l’argument tiré de la prétendue nécessité de mettre en œuvre simultanément la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, la méthodologie RDCT et la méthodologie ROSC est dénué de pertinence par rapport à la question de savoir à quel moment la méthodologie pour la répartition des coûts devait être adoptée.
318 Partant, l’ACER ne pouvait pas non plus justifier la nécessité de son action par des considérations relatives au souci de donner suffisamment de temps aux GRT pour qu’ils puissent mettre en place les dispositifs nécessaires à la bonne mise en œuvre de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée simultanément avec deux autres méthodologies.
319 Il s’ensuit que l’ACER n’a pas établi qu’il était nécessaire d’adopter la méthodologie pour la répartition des coûts contestée sans pouvoir attendre l’analyse requise par l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
320 Par conséquent, l’ACER n’a pas démontré qu’il existait un besoin réel pour assurer l’effet utile des dispositions en cause justifiant la reconnaissance d’une compétence implicite à son profit.
321 En tout état de cause, force est de constater que la détermination du niveau de tolérance effectuée par l’ACER n’est pas à même d’assurer l’effet utile des dispositions en cause.
322 Certes, cette détermination du niveau de tolérance a permis à l’ACER d’adopter la méthodologie pour la répartition des coûts contestée le 30 novembre 2020, soit un peu au-delà du délai, expirant le 27 septembre 2020, qui lui était imparti pour ce faire. Toutefois, cela n’a pas permis d’assurer l’effet utile des dispositions matérielles en cause.
323 En effet, la méthodologie pour la répartition des coûts contestée doit, conformément à l’article 74, paragraphe 6, sous a), du règlement 2015/1222, comporter des incitations à investir efficacement en faveur de la gestion des congestions. En outre, selon le considérant 34 du règlement 2019/943, ladite gestion devrait permettre de fournir des signaux économiques corrects aux GRT et aux acteurs du marché.
324 Or, comme il a été constaté au point 272 ci-dessus, le niveau de tolérance déterminé par l’ACER, confirmé par la décision attaquée, ne respecte pas les exigences de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, selon lesquelles le niveau de tolérance doit correspondre au « niveau attendu sans congestion structurelle » et être défini « pour chaque frontière d’une zone de dépôt des offres ».
325 Dans ces conditions, la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, en raison de cette détermination du niveau de tolérance, ne saurait fournir, par le biais de la répartition des coûts des actions correctives, des « signaux économiques corrects » pour les investissements dans les réseaux.
326 En outre, force est également de constater que la mise en balance de l’intérêt de respecter le délai imparti et de celui de respecter l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, apparemment effectuée par l’ACER, ne justifie pas la détermination d’un niveau de tolérance non conforme à la réglementation pertinente.
327 En effet, comme cela a été souligné au point 286 ci-dessus, le délai qui était imparti à l’ACER pour adopter une méthodologie pour la répartition des coûts n’était qu’indicatif, de sorte que, dans une mise en balance, la volonté de respecter ce délai ne saurait primer sur le respect des exigences de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943.
328 Ce résultat ne saurait être remis en cause par l’argument de l’ACER selon lequel elle n’a déterminé le niveau de tolérance que de manière provisoire. En effet, la nature provisoire de ladite détermination ne permet en aucune façon d’atténuer la violation, commise par l’ACER et la commission de recours, du cadre réglementaire pertinent.
329 Or, la circonstance selon laquelle la nature provisoire de la détermination du niveau de tolérance n’existe que de jure ne permet pas d’amoindrir le non-respect par l’ACER du cadre réglementaire pertinent.
330 Partant, l’ACER ne peut justifier sa démarche consistant à faire primer, dans la mise en balance, l’intérêt du respect du délai imparti sur l’intérêt du respect des exigences de l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943 en invoquant la nature provisoire de l’ingérence en découlant par rapport au cadre réglementaire, par la détermination non conforme à celui-ci d’un niveau de tolérance. En conséquence, l’ACER ne pouvait pas se fonder, pour sa détermination du niveau de tolérance, sur une
compétence implicite.
331 Eu égard aux appréciations qui précèdent, il convient de conclure que la détermination du niveau de tolérance par l’ACER, dans la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, telle que confirmée par la décision attaquée, méconnaît l’article 16, paragraphe 13, du règlement 2019/943, en ce que ce niveau ne correspond ni au critère selon lequel le niveau de tolérance doit correspondre au « niveau attendu sans congestion structurelle », ni au critère selon lequel le niveau de tolérance doit
être défini « pour chaque frontière d’une zone de dépôt des offres ». En outre, il ressort de ce qui précède que l’ACER n’était pas davantage habilitée à déterminer de manière différente un niveau de tolérance, afin de respecter le délai qui lui était imparti pour adopter la méthodologie pour la répartition des coûts contestée.
332 Dans ces conditions, il convient d’accueillir le troisième moyen, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs invoqués par les requérantes au soutien de celui-ci.
333 Dans la mesure où il ressort de l’examen de la première branche du deuxième moyen que la décision attaquée est entachée d’une violation des formes substantielles au sens de l’article 263 TFUE et où le troisième moyen concerne un élément central de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, faisant l’objet de la décision attaquée, le Tribunal est dans l’impossibilité de ne prononcer qu’une annulation partielle de la décision attaquée.
334 Par conséquent, il convient d’accueillir le recours des requérantes sur le fondement de la première branche du deuxième moyen et du troisième moyen et d’annuler la décision attaquée, en ce qu’elle confirme la décision no 30/2020 et rejette le recours des requérantes dans l’affaire A-001-2021(consolidée).
Sur l’éventuel maintien de la décision attaquée
335 Aux termes de l’article 264, second alinéa, TFUE, le Tribunal peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme étant définitifs.
336 En réponse à des mesures d’organisation de la procédure décidées par le Tribunal, les parties se sont prononcées à cet égard.
337 En l’occurrence, l’ACER fait valoir que l’annulation de la décision attaquée et, par conséquent, de la méthodologie pour la répartition des coûts contestée aura des conséquences graves. Les GRT devront supporter l’ensemble des coûts de toutes les actions correctives activées sur leurs éléments de réseau, même si ces actions ont été nécessaires en raison de flux de boucle émanant d’autres zones de dépôt des offres. Cette situation aurait probablement pour effet que les GRT seraient incités à
limiter la capacité d’interconnexion, ce qui se traduirait par des coûts d’électricité plus importants.
338 Conformément à la jurisprudence, pour des motifs de sécurité juridique, les effets d’un acte peuvent être maintenus, notamment, lorsque les effets immédiats de son annulation entraîneraient des conséquences négatives graves pour les personnes concernées et que la légalité de l’acte attaqué est contestée non en raison de sa finalité ou de son contenu, mais pour des motifs d’incompétence de son auteur ou de violation des formes substantielles (voir arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank
Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 175 et jurisprudence citée).
339 À cet égard, d’une part, il importe de constater que l’annulation de la décision attaquée repose, notamment, sur une violation du droit matériel, à savoir une violation de l’article 16, paragraphe 13, second alinéa, du règlement 2019/943, et non uniquement sur une violation des formes substantielles.
340 D’autre part, l’argumentation de l’ACER repose sur l’hypothèse selon laquelle la méthodologie pour la répartition des coûts contestée serait déjà d’application.
341 Or, il résulte des réponses des parties aux questions posées par le Tribunal que la méthodologie pour la répartition des coûts contestée, faisant l’objet de la décision attaquée, ne sera pas d’application, dans son intégralité, avant le 4 juin 2025 et que, en raison des retards, cette application risque même d’être encore repoussée.
342 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de limiter l’effet de l’annulation de la décision attaquée.
Sur les dépens
343 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
344 L’ACER ayant succombé et les requérantes ayant conclu en ce sens, il y a lieu de condamner l’ACER aux dépens.
345 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République fédérale d’Allemagne supportera donc ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision de la commission de recours de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) du 28 mai 2021, rendue dans le cadre de l’affaire A-001-2021 (consolidée), est annulée, en ce qu’elle confirme la décision no 30/2020 de l’ACER, du 30 novembre 2020, sur la proposition des gestionnaires de réseau de transport d’électricité de la région comprenant la Belgique, la République tchèque, l’Allemagne, la France, la Croatie, le Luxembourg, la Hongrie, les
Pays-Bas, l’Autriche, la Pologne, la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie pour le calcul de la capacité dénommée « CORE », relative à la méthodologie pour la répartition des coûts du redispatching et des échanges de contrepartie, et rejette le recours des requérantes dans ladite affaire.
2) L’ACER supportera ses propres dépens et ceux exposés par TenneT TSO GmbH et TenneT TSO BV.
3) La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.
Schalin
Škvařilová-Pelzl
Nõmm
Steinfatt
Kukovec
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 septembre 2024.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.