ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
25 septembre 2024 ( *1 )
« Marché intérieur – Représentation devant l’EUIPO – Inscription sur la liste des mandataires agréés – Rejet de la demande – Demandeur non-ressortissant d’un État membre de l’EEE – Dérogation à la condition de nationalité – Article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 – Notion de professionnel hautement qualifié – Principe de sécurité juridique – Droit d’être entendu – Réformation – Incompétence du Tribunal »
Dans l’affaire T‑727/20 RENV,
Nigar Kirimova, demeurant à Munich (Allemagne), représentée par Mes A. Parassina et A. García López, avocats,
partie requérante,
contre
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme A. Söder, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),
composé de Mmes A. Marcoulli (rapporteure), présidente, V. Tomljenović, MM. R. Norkus, W. Valasidis et Mme L. Spangsberg Grønfeldt, juges,
greffier : Mme I. Kurme, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
vu l’ordonnance du 21 avril 2023, Kirimova/EUIPO (C‑306/22 P, non publiée, EU:C:2023:338),
à la suite de l’audience du 23 février 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Mme Nigar Kirimova, demande l’annulation de la décision no ER 93419-2020 du directeur exécutif de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), du 30 septembre 2020, concernant la demande de dérogation qu’elle a présentée au titre de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)
(ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 Le 10 octobre 2019, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande d’inscription sur la liste des mandataires agréés auprès de cet office conformément à l’article 120 du règlement 2017/1001. Étant ressortissante de la République d’Azerbaïdjan, elle a simultanément sollicité, sur la base du paragraphe 4, sous b), du même article, une dérogation à l’exigence d’être ressortissante de l’un des États membres de l’Espace économique européen (EEE) telle qu’énoncée à l’article 120, paragraphe 2, sous a),
dudit règlement.
3 Par courrier du 30 janvier 2020, l’EUIPO a informé la requérante que sa demande de dérogation était irrecevable.
4 Par lettres des 9 et 13 mars 2020, au contenu en substance identique, la requérante a présenté des observations en réponse à la lettre de l’EUIPO du 30 janvier 2020.
5 Le 30 septembre 2020, par la décision attaquée, le directeur exécutif de l’EUIPO a rejeté la demande de dérogation de la requérante.
Conclusions des parties
6 La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– ordonner à l’EUIPO de lui accorder une dérogation à l’exigence de nationalité ;
– ordonner à l’EUIPO de l’inscrire sur la liste des mandataires agréés ;
– condamner l’EUIPO aux dépens.
7 L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme non fondé ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur les deuxième et troisième chefs de conclusions de la requérante
8 L’EUIPO fait valoir que le Tribunal n’est pas compétent pour adresser des injonctions aux institutions ou organes de l’Union européenne et que les deuxième et troisième chefs de conclusions de la requérante seraient donc irrecevables. L’EUIPO ajoute que le Tribunal n’aurait pas le pouvoir de réformer la décision attaquée, car un tel pouvoir existe seulement à l’égard des décisions des chambres de recours. Selon l’EUIPO, le cadre législatif applicable ne prévoit pas la possibilité d’un recours
devant une chambre de recours à l’encontre d’une décision telle que la décision attaquée.
9 La requérante rétorque qu’elle demande au Tribunal de réformer la décision attaquée et que le Tribunal a le pouvoir de réformer les décisions de l’EUIPO en vertu de l’article 72 du règlement 2017/1001, disposition qui serait applicable en l’espèce par analogie, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 13 juillet 2017, Rosenich/EUIPO (T‑527/14, EU:T:2017:487). Par conséquent, si le Tribunal considérait que la décision attaquée doit être annulée, il devrait la réformer. Cela découlerait
également de l’article 103 du règlement 2017/1001. De plus, le directeur exécutif aurait violé une « forme substantielle » en lui refusant la possibilité de présenter un recours contre la décision attaquée devant une chambre de recours de l’EUIPO.
10 Dans la requête, par les deuxième et troisième chefs de conclusions, la requérante a demandé au Tribunal d’« ordonner à l’EUIPO » de lui accorder une dérogation à la condition de nationalité et de l’inscrire sur la liste des mandataires agréés. Dans le mémoire en réplique et dans les observations après renvoi, par les mêmes chefs de conclusions, elle a demandé au Tribunal de « réformer la décision [attaquée] » en lui accordant une dérogation à la condition de nationalité et en ordonnant à l’EUIPO
de l’inscrire sur la liste des mandataires agréés. Or, indépendamment même de la question de savoir si, ce faisant, la requérante a modifié la portée desdits chefs de conclusions et de l’admissibilité en l’espèce d’une telle modification, il suffit de relever que, dans les deux hypothèses, lesdits chefs de conclusions doivent être rejetés en raison du défaut de compétence du Tribunal pour en connaître.
11 En premier lieu, dans la mesure où lesdits chefs de conclusions devraient être regardés comme demandant au Tribunal d’ordonner à l’EUIPO de prendre certaines mesures, il doit être rappelé que, dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE, le Tribunal n’a pas compétence pour prononcer des injonctions à l’encontre des institutions, des organes et des organismes de l’Union, même si celles-ci ont trait aux modalités d’exécution de ses arrêts (voir ordonnance du 26 octobre 1995,
Pevasa et Inpesca/Commission, C‑199/94 P et C‑200/94 P, EU:C:1995:360, point 24 et jurisprudence citée). En vertu de l’article 266 TFUE, lorsqu’un acte est annulé, l’institution, l’organe ou l’organisme dont émane cet acte doit prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt.
12 En second lieu, dans la mesure où lesdits chefs de conclusions devraient être regardés comme demandant au Tribunal de réformer la décision attaquée, il y a lieu de relever que le Tribunal ne dispose pas de la compétence pour réformer une décision du directeur exécutif, telle qu’une décision prise par celui-ci au titre de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001.
13 En effet, certes, l’article 72, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 prévoit que « [l]e Tribunal a compétence aussi bien pour annuler que pour réformer la décision attaquée ». Toutefois, force est de constater que ladite disposition ne concerne que les recours dirigés contre des décisions des chambres de recours, et non ceux dirigés contre des décisions du directeur exécutif. Une telle interprétation découle du libellé de l’article 72 dudit règlement qui, en vertu de son paragraphe 1, ne concerne
que « [l]es décisions des chambres de recours statuant sur un recours », ainsi que de l’économie du chapitre VII (articles 66 à 73) de ce règlement, lequel ne concerne que les procédures de recours devant les chambres de recours et l’issue de ces procédures. Ainsi, l’article 72, paragraphe 3, dudit règlement ne saurait être interprété comme attribuant au Tribunal la compétence de réformer une décision du directeur exécutif.
14 Les arguments de la requérante tirés de l’arrêt du 13 juillet 2017, Rosenich/EUIPO (T‑527/14, EU:T:2017:487), et de l’article 103, paragraphe 1, première phrase, du règlement 2017/1001 ne sont pas susceptibles de conduire à une interprétation différente.
15 D’une part, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 13 juillet 2017, Rosenich/EUIPO (T‑527/14, EU:T:2017:487), avait pour objet un recours en annulation dirigé contre une décision d’une chambre de recours refusant l’inscription d’une personne physique sur la liste des mandataires agréés au motif qu’elle ne satisfaisait pas à l’exigence prévue à l’article 93, paragraphe 2, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78,
p. 1) [devenu article 120, paragraphe 2, sous b), du règlement 2017/1001]. En revanche, la présente affaire a pour objet un recours en annulation dirigé contre une décision du directeur exécutif refusant d’accorder à la requérante une dérogation à l’exigence prévue à l’article 120, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001 en vertu du paragraphe 4, sous b), du même article, qui confère expressément au directeur exécutif le pouvoir de prendre une telle décision. Ainsi, la décision réformée par
le Tribunal dans l’affaire invoquée par la requérante était une décision d’une chambre de recours, alors que la décision attaquée est une décision du directeur exécutif, ce qui corrobore l’interprétation retenue au point 13 ci-dessus.
16 Par ailleurs, contrairement à ce qui est argué par la requérante, cette dernière ne disposait pas de la possibilité de présenter un recours, contre la décision attaquée, devant une chambre de recours. En effet, aux termes de l’article 66, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 159, sous a) à d) et f), du même règlement, seules les décisions des examinateurs, des divisions d’opposition, de l’instance chargée de la tenue du registre, des divisions d’annulation et, le
cas échéant, de toute autre personne ou unité nommée par le directeur exécutif à cet effet sont susceptibles de recours devant une chambre de recours. De même, aux termes de l’article 165, paragraphe 1, de ce règlement, lu conjointement avec les articles 160 à 164 du même règlement, les chambres de recours sont chargées de statuer sur les recours formés contre les décisions prises par les examinateurs, les divisions d’opposition, l’instance chargée de la tenue du registre, les divisions
d’annulation et, le cas échéant, tout fonctionnaire ou unité désigné à cet effet par le directeur exécutif. Il résulte donc de ces dispositions que les décisions du directeur exécutif ne sont pas susceptibles de recours devant les chambres de recours et que les chambres de recours n’ont pas de compétence pour statuer sur des recours dirigés contre de telles décisions. Ce constat n’est pas contredit par les circonstances de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 13 juillet 2017, Rosenich/EUIPO
(T‑527/14, EU:T:2017:487), puisque, dans ladite affaire, la décision de la chambre de recours contestée devant le Tribunal ne portait pas sur un recours contre une décision du directeur exécutif, mais, ainsi qu’il ressort du point 14 dudit arrêt, sur un recours contre une décision du « directeur du département “Soutien aux opérations” de l’EUIPO, agissant en sa qualité de membre de la division de l’administration des marques, dessins et modèles et des questions juridiques ».
17 D’autre part, l’article 103 du règlement 2017/1001 régit la révocation des décisions de l’EUIPO et, en son paragraphe 1, première phrase, prévoit que « [l]orsque l’[EUIPO] effectue une inscription dans le registre ou prend une décision entachées d’une erreur manifeste qui lui est imputable, il se charge de supprimer une telle inscription ou de révoquer cette décision ». Force est de constater que ladite disposition ne porte pas sur le pouvoir de réformation du Tribunal et ne saurait donc
attribuer à ce dernier une compétence pour réformer une décision du directeur exécutif.
18 Partant, les deuxième et troisième chefs de conclusions de la requérante doivent être rejetés en raison du défaut de compétence du Tribunal pour en connaître.
Sur le fond
19 Au soutien du recours, la requérante soulève cinq moyens, tirés, le premier, de la violation du principe de sécurité juridique, le deuxième, de la violation de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001, le troisième, de la violation du principe de bonne administration, le quatrième, de la violation du droit d’être entendue et, le cinquième, d’une erreur d’appréciation des éléments de preuve.
20 En l’espèce, le Tribunal estime opportun de commencer par examiner le deuxième moyen du recours.
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001
21 La requérante fait valoir, en substance, que le directeur exécutif a violé l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001, en interprétant et en appliquant erronément ladite disposition dans la décision attaquée. Tout d’abord, l’exigence tenant à la nécessité d’une expérience professionnelle dans l’État membre d’habilitation violerait les principes fondamentaux de l’Union. Ensuite, une telle exigence serait discriminatoire et déraisonnable par rapport à l’objectif de la disposition,
car l’expérience acquise dans les différents États membres devrait avoir la même valeur. Enfin, l’approche du directeur exécutif viderait de sa substance l’article 120, paragraphe 2, sous c), dudit règlement, car sa deuxième partie prévoit la possibilité d’obtenir l’habilitation sans avoir exercé la profession.
22 L’EUIPO rétorque, tout d’abord, que le fait d’être qualifié au sens de l’article 120, paragraphe 2, sous c), du règlement 2017/1001 ne signifie pas être « hautement qualifié » au sens de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du même règlement. Ensuite, selon l’EUIPO, l’exigence d’avoir une expérience professionnelle dans l’État membre d’habilitation ne limite pas la libre prestation de services, car le demandeur ne doit pas exercer depuis ce territoire, mais se fonder sur son habilitation
nationale au sens de l’article 120, paragraphe 2, sous c), du règlement 2017/1001. Or, en l’espèce, la requérante n’aurait pas démontré qu’elle s’était fondée sur son habilitation irlandaise ni qu’elle l’avait utilisée. En outre, selon l’EUIPO, les règles pour l’acquisition d’une habilitation à représenter n’étant pas homogènes au sein de l’EEE, l’approche du directeur exécutif permettrait de s’assurer de la haute qualification des demandeurs. Enfin, en tout état de cause, même si l’approche du
directeur exécutif était incorrecte, aucune expérience professionnelle n’aurait été prouvée en l’espèce pour démontrer une qualification élevée.
23 Dans la mesure où le présent moyen soulève la question de savoir si le directeur exécutif a violé l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001, il convient de commencer par rappeler que cette disposition s’inscrit dans le chapitre IX dudit règlement, contenant les « dispositions de procédure », et plus particulièrement dans sa section 4, concernant la « représentation ».
24 À ce dernier égard, conformément à l’article 120, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement 2017/1001, la représentation de personnes physiques ou morales devant l’EUIPO peut être assurée uniquement par un avocat habilité ou par des mandataires agréés inscrits sur une liste tenue par l’EUIPO.
25 Les conditions d’inscription sur la liste des mandataires agréés tenue par l’EUIPO sont fixées au paragraphe 2, sous a), b) et c), du même article. Il s’agit de trois exigences cumulatives. Ainsi, peut être inscrite toute personne physique qui, premièrement, est ressortissante d’un État membre de l’EEE (ci-après l’« exigence de nationalité »), deuxièmement, a son domicile professionnel ou son lieu d’emploi dans l’EEE (ci-après l’« exigence de domicile ») et, troisièmement, est habilitée à
représenter, en matière de marques, des personnes physiques ou morales devant l’office de la propriété intellectuelle du Benelux ou devant le service central de la propriété industrielle d’un État membre de l’EEE (ci-après l’« exigence d’habilitation »).
26 Le paragraphe 4 du même article prévoit que le directeur exécutif de l’EUIPO peut accorder des dérogations aux première et troisième desdites exigences. S’agissant spécifiquement de l’exigence de nationalité, l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001, qui est la disposition dont la requérante invoque la violation en l’espèce, prévoit que le directeur exécutif « peut accorder » une dérogation « dans le cas de professionnels hautement qualifiés », sous réserve que les deux autres
exigences soient satisfaites. Par ailleurs, s’agissant de l’exigence d’habilitation, lorsqu’elle requiert d’« avoir exercé à titre habituel pendant cinq ans au moins », le directeur exécutif, en vertu de l’article 120, paragraphe 4, sous a), dudit règlement, peut accorder une dérogation à cet exercice habituel « lorsque le [demandeur] fournit la preuve qu’il a acquis la qualification requise d’une autre manière ».
27 Il y a donc lieu de déterminer si, comme l’a retenu le directeur exécutif au point 21 de la décision attaquée, la reconnaissance du statut de « professionnel hautement qualifié » prévu par l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001 requiert une expérience professionnelle significative dans l’État membre d’habilitation.
28 À cet égard, il convient de commencer par relever que ni le règlement 2017/1001, ni même le règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1), et le règlement d’exécution (UE) 2018/626 de la Commission, du 5 mars 2018, établissant les modalités d’application de certaines dispositions du règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement d’exécution (UE) 2017/1431 (JO 2018, L 104,
p. 37), ne définissent la notion de « professionnel hautement qualifié ». Par ailleurs, aucune définition de ladite notion ne figurait non plus dans le précédent règlement no 207/2009, dans lequel cette notion a été introduite en son article 93, paragraphe 4, sous b), par l’article 1er, point 87), sous b), du règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, modifiant le règlement no 207/2009 et le règlement (CE) no 2868/95 de la Commission portant modalités
d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire, et abrogeant le règlement (CE) no 2869/95 de la Commission relatif aux taxes à payer à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (JO 2015, L 341, p. 21).
29 Or, dans cette situation, pour l’interprétation d’une notion de droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement du libellé de la disposition dans laquelle elle figure, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 24 novembre 2011, Circul Globus Bucureşti, C‑283/10, EU:C:2011:772, point 32).
30 S’agissant du libellé et du contexte de la disposition en cause, d’une part, il convient de relever que la notion de « professionnel hautement qualifié » se compose de trois mots. Dans le sens ordinaire de ces mots, le nom « professionnel » désigne une personne de métier ou un spécialiste, l’adjectif « qualifié » signifie que cette personne dispose des qualités, des compétences, des aptitudes ou des connaissances pour faire quelque chose et l’adverbe « hautement » désigne le degré
particulièrement élevé de cette qualification. Prise dans son ensemble, ladite notion semble donc viser un spécialiste ayant des qualités, des compétences, des aptitudes ou des connaissances particulièrement élevées, et ce, en l’occurrence, compte tenu du contexte dans lequel elle s’insère, en matière de marques.
31 Ainsi, du point de vue littéral, la notion de « professionnel hautement qualifié » n’apparaît pas impliquer, en tant que telle, de restriction quant aux modalités d’acquisition des qualités, des compétences, des aptitudes ou des connaissances en matière de marques par le spécialiste concerné, notamment par rapport à un lieu déterminé ou à un type d’activité donnée.
32 D’autre part, ladite disposition indique que les deux autres exigences prévues à l’article 120, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement 2017/1001, à savoir l’exigence de domicile et l’exigence d’habilitation, doivent, en tout état de cause, être satisfaites pour qu’une dérogation à l’exigence de nationalité puisse être accordée. Cette précision figurant dans la disposition en cause souligne ainsi non seulement le caractère cumulatif des trois exigences prévues à l’article 120, paragraphe 2, du
règlement 2017/1001, mais également leur caractère autonome.
33 En effet, l’exigence d’habilitation doit être remplie, selon les modalités prévues à l’article 120, paragraphe 2, sous c), du règlement 2017/1001, tant par les personnes physiques qui ont la nationalité d’un État membre de l’EEE et satisfont donc à l’exigence de nationalité que par les personnes physiques qui n’ont pas la nationalité d’un État membre de l’EEE et demandent une dérogation à l’exigence de nationalité en raison de leur statut de « professionnel hautement qualifié ».
34 Il résulte donc du libellé de la disposition en cause et du contexte dans lequel elle s’insère que le statut de « professionnel hautement qualifié » est indépendant et additionnel par rapport à l’exigence d’habilitation et ne présente pas de lien avec les conditions requises pour satisfaire à ladite exigence (ou pour obtenir une dérogation en relation avec ladite exigence), ni, plus particulièrement, avec l’État membre auprès duquel ladite habilitation a été obtenue conformément à sa
réglementation nationale. Ainsi, les qualités, les compétences, les aptitudes ou les connaissances particulièrement élevées en matière de marques permettant de démontrer le statut de « professionnel hautement qualifié » peuvent avoir été acquises par le non-ressortissant de l’EEE, tant dans un État membre de l’EEE que dans un pays tiers, avant ou après l’obtention de l’habilitation nationale dans l’EEE au sens de l’article 120, paragraphe 2, sous c), du règlement 2017/1001.
35 S’agissant des objectifs poursuivis par la réglementation dont la disposition en cause fait partie, il ressort du considérant 43 du règlement 2017/1001 que les règles en matière de représentation devant l’EUIPO doivent garantir le fonctionnement efficace, efficient et sans heurts du système de la marque de l’Union européenne. De même, le considérant 18 du règlement délégué 2018/625 rappelle que lesdites règles doivent garantir un fonctionnement harmonieux et efficace de ce système.
36 Or, la poursuite de tels objectifs en matière de représentation dans le cadre du système de la marque de l’Union européenne ne présuppose pas que le statut de « professionnel hautement qualifié » soit subordonné à une certaine expérience professionnelle dans un État membre donné ou ayant un lien avec un État membre donné.
37 Il apparaît au contraire indifférent, du point de vue des objectifs poursuivis par les règles en matière de représentation, que les qualités, les compétences, les aptitudes ou les connaissances particulièrement élevées du spécialiste demandant la dérogation aient été acquises dans un État membre donné plutôt que dans un autre, voire dans un pays tiers, dès lors que, en tout état de cause, un demandeur n’ayant pas la nationalité d’un État membre de l’EEE doit également remplir les exigences de
domicile et d’habilitation qui, quant à elles, requièrent un lien avec un État membre de l’EEE.
38 Il découle de ce qui précède que l’exigence tenant à la nécessité d’une expérience professionnelle dans l’État membre d’habilitation appliquée par le directeur exécutif dans la décision attaquée procède d’une interprétation excessivement restrictive et incorrecte de la notion de « professionnel hautement qualifié » au sens de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001, en établissant une correspondance nécessaire entre cette notion et le pays d’habilitation au sens de
l’article 120, paragraphe 2, sous c), du même règlement. Une telle interprétation n’est pas conforme à la portée de ladite notion, ainsi qu’il ressort du libellé, du contexte et des objectifs de celle-ci. En effet, aucun de ces critères d’interprétation ne permet d’inférer que le statut de « professionnel hautement qualifié » exige comme condition nécessaire une expérience professionnelle – et de surcroît substantielle – dans l’État membre d’habilitation.
39 Partant, le directeur exécutif ayant enfreint l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001 en interprétant de manière excessivement restrictive et incorrecte la notion de « professionnel hautement qualifié », il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen du recours.
40 Cependant, il convient de relever que, ainsi que le fait valoir l’EUIPO devant le Tribunal, la décision attaquée ne se fonde pas uniquement sur une prétendue absence d’expérience professionnelle dans l’État membre d’habilitation, retenue au point 21 de ladite décision. En effet, ainsi qu’il ressort des points 20 et 22 de cette décision, elle se fonde également sur un prétendu niveau globalement trop bas des éléments de preuve produits par la requérante, lesquels ne permettraient pas de considérer
qu’elle était une professionnelle « hautement » qualifiée, le directeur exécutif admettant qu’elle était une professionnelle qualifiée. La décision attaquée s’appuie donc, en substance, sur deux fondements distincts et autonomes ayant trait, d’une part, au lieu de l’expérience professionnelle et, d’autre part, au niveau de la qualification professionnelle démontrée par les éléments de preuve. Il en découle que la violation de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001 commise
par le directeur exécutif en ce qui concerne le lieu de l’expérience professionnelle ne saurait conduire, en tant que telle, à constater l’illégalité de cette décision dans son ensemble, cette violation n’affectant pas le fondement de la décision attaquée portant sur le niveau de la qualification professionnelle.
41 Le Tribunal estime donc opportun d’examiner le premier moyen du recours.
Sur le premier moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique
42 La requérante fait valoir que le directeur exécutif a violé le principe de sécurité juridique en appliquant rétroactivement à sa demande de dérogation les directives relatives à l’examen pratiqué à l’EUIPO visées à l’article 153, paragraphe 1, sous l), du règlement 2017/1001 (ci-après les « directives de l’EUIPO ») de 2020, lesquelles n’étaient pas en vigueur au moment de cette demande. La réponse de la requérante des 9 et 13 mars 2020 n’était pas une nouvelle demande, la seule demande de la
requérante étant celle du 10 octobre 2019. Les directives de l’EUIPO applicables étaient donc celles en vigueur au moment de cette demande, à savoir celles de 2017, ces dernières n’exigeant pas une expérience professionnelle dans l’État membre d’habilitation. Il serait inexact de prétendre que les directives de l’EUIPO de 2020 contiennent seulement des détails supplémentaires par rapport à celles de 2017 et qu’elles n’ont pas modifié l’interprétation des exigences légales, le directeur exécutif
ayant appliqué une approche qui ne figure pas dans la réglementation.
43 L’EUIPO rétorque qu’il n’a pas considéré la réponse de la requérante des 9 et 13 mars 2020 comme une nouvelle demande. Il souligne que l’exigence d’être un « professionnel hautement qualifié » a été « introduite dans [le règlement 2017/1001] par la dernière réforme législative de 2017 », avec laquelle « [l]e législateur a donc introduit un critère plus strict » pour accorder une dérogation à la condition de nationalité par rapport au règlement no 207/2009, qui se référait seulement à « une
situation particulière ». Les directives de l’EUIPO de 2020 se limiteraient à prévoir des détails supplémentaires et ne modifieraient pas les exigences légales. L’EUIPO indique que toutes les demandes introduites au titre du règlement 2017/1001 ont été examinées de la même manière. Enfin, selon l’EUIPO, si la requérante avait des doutes sur les documents à fournir, il lui appartenait de contacter celui-ci.
– Observations liminaires sur les principes juridiques applicables
44 Le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union et qui a pour corollaire le principe de protection de la confiance légitime, exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (arrêts du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission, C‑81/10 P, EU:C:2011:811, point 100, et du 9 octobre
2014, Traum, C‑492/13, EU:C:2014:2267, point 28).
45 Le principe de sécurité juridique n’exige pas l’absence de modification des règles de droit. Ainsi, un particulier ne saurait placer sa confiance dans l’absence totale de modification de ces règles, mais peut uniquement mettre en cause les modalités d’application d’une telle modification (arrêt du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, EU:C:2005:362, point 81).
46 À ce dernier égard, s’agissant plus particulièrement de l’application des règles de droit dans le temps, selon la jurisprudence, si la base juridique d’un acte et les règles de procédure applicables doivent être en vigueur à la date d’adoption de cet acte, le respect des principes gouvernant l’application de la loi dans le temps ainsi que les exigences relatives aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime imposent l’application des règles matérielles en vigueur à
la date des faits en cause quand bien même ces règles ne sont plus en vigueur à la date de l’adoption de l’acte en cause par l’institution de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2016, Commission/McBride e.a., C‑361/14 P, EU:C:2016:434, point 40 et jurisprudence citée, et du 15 mars 2018, Deichmann, C‑256/16, EU:C:2018:187, point 76).
47 Quant aux directives de l’EUIPO, il ressort de leur partie introductive qu’il s’agit d’un document adopté par décision du directeur exécutif et qui vise à refléter, en la codifiant, la pratique de l’EUIPO en matière de marques. Il ressort des décisions du directeur exécutif adoptant les directives de l’EUIPO qu’elles sont prises en vertu de l’article 157, paragraphe 4, sous a), du règlement 2017/1001, qui confère au directeur exécutif le pouvoir de « prendre toutes mesures utiles, notamment
l’adoption d’instructions administratives internes et la publication de communications, en vue d’assurer le fonctionnement de l’[EUIPO] », et conformément à l’article 153, paragraphe 1, sous l), du même règlement, qui prévoit expressément que le conseil d’administration de l’EUIPO doit « être consulté avant l’adoption des directives [de l’EUIPO] ». En outre, lesdites décisions sont publiées au Journal officiel de l’EUIPO visé à l’article 116, paragraphe 1, sous b), dudit règlement et fixent la
date d’entrée « en vigueur » des directives de l’EUIPO.
48 Il ressort de la jurisprudence que les directives de l’EUIPO, bien que n’ayant pas de valeur contraignante, constituent une source de référence sur la pratique de l’EUIPO. Ces directives constituent la codification d’une ligne de conduite que l’EUIPO se propose lui-même d’adopter, de sorte que, sous réserve de leur conformité avec les dispositions de droit de rang supérieur, il en résulte une autolimitation de l’EUIPO, en ce qu’il lui appartient de se conformer aux règles qu’il s’est imposées
[voir arrêt du 8 juin 2022, Muschaweck/EUIPO – Conze (UM), T‑293/21, EU:T:2022:345, points 38 et 39 et jurisprudence citée].
49 À ce dernier égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé, statuant au sujet de mesures d’ordre interne adoptées par une administration de l’Union, que, si elles ne sauraient être qualifiées de « règles de droit » à l’observation desquelles l’administration serait, en tout cas, tenue, elles énoncent toutefois des règles de conduite indicatives de la pratique à suivre dont l’administration ne peut, dans un cas particulier, s’écarter sans fournir une motivation compatible avec le principe
d’égalité de traitement. En adoptant de telles règles de conduite et en annonçant par leur publication qu’elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles-ci, l’administration en question s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (voir, en ce sens,
arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 209 et 211).
50 Il découle de ce qui précède qu’il appartient au directeur exécutif, dans un cas tel que celui de l’espèce, de se conformer aux éventuelles règles de conduite pertinentes figurant dans les directives de l’EUIPO pour l’application de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001 et, à cet effet, de respecter les principes gouvernant l’application de ces règles de conduite dans le temps, conformément au principe de sécurité juridique. En effet, dès lors que des règles de conduite
telles que celles figurant dans les directives de l’EUIPO, tout en n’étant pas contraignantes, peuvent contribuer à garantir la transparence, la prévisibilité et la sécurité juridique de l’action de l’EUIPO (voir, par analogie, arrêts du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, EU:C:2002:143, point 52, et du 12 février 2014, Beco/Commission, T‑81/12, EU:T:2014:71, point 70), il ne saurait être admis que leur application se fasse en méconnaissance des principes généraux du droit, tels que
précisément le principe de sécurité juridique, en ce qui concerne particulièrement leur application dans le temps.
51 Certes, conformément à la jurisprudence rappelée au point 49 ci-dessus, il ne saurait être exclu que, dans un cas particulier, le directeur exécutif puisse s’écarter desdites règles de conduite, en fournissant une motivation tenant compte du principe d’égalité de traitement. De même, ces règles de conduite autolimitant uniquement l’administration les ayant adoptées, elles ne sauraient empêcher, dans un cas donné, un demandeur de démontrer le statut de « professionnel hautement qualifié » sur la
base d’éléments autres que ceux éventuellement ressortant de la pratique du directeur exécutif présentée dans les directives de l’EUIPO.
52 C’est donc à la lumière de ces principes qu’il y a lieu d’examiner si, dans la décision attaquée, en violation du principe de sécurité juridique, le directeur exécutif a, d’une part, erronément déterminé la date de la demande de dérogation de la requérante et, d’autre part, erronément appliqué à cette demande des directives de l’EUIPO qui n’étaient pas en vigueur à cette date.
– Application au cas d’espèce
53 En premier lieu, en ce qui concerne la date à laquelle la requérante a présenté sa demande de dérogation, il ressort du point 1 de la décision attaquée que le directeur exécutif a considéré que la requérante avait présenté une demande de dérogation complète le 9 mars 2020. En particulier, il ressort du point 4 de la décision attaquée que, selon le directeur exécutif, suivant la lettre de l’EUIPO du 30 janvier 2020, qui répondait à la demande de dérogation présentée initialement le 10 octobre
2019, la requérante a soumis une « nouvelle demande » le 9 mars 2020 et que, par conséquent, cette dernière était la date de la demande.
54 Or, force est de constater que lesdites indications procédurales figurant dans la décision attaquée sont partiellement inexactes. En effet, il ressort des pièces produites devant le Tribunal que la requérante a présenté sa demande de dérogation le 10 octobre 2019 et que, par ses lettres des 9 et 13 mars 2020, elle n’a pas présenté une nouvelle demande de dérogation, mais a uniquement répondu à la lettre de l’EUIPO du 30 janvier 2020. La seule demande de dérogation présentée par la requérante
était donc celle du 10 octobre 2019 et les éléments de preuve au soutien de cette demande ont été présentés tant en annexe à ladite demande qu’en annexe aux lettres des 9 et 13 mars 2020.
55 Il en résulte que, ainsi que le fait valoir à juste titre la requérante, le directeur exécutif a erronément considéré que sa demande de dérogation avait été présentée le 9 mars 2020, celle-ci ayant été présentée le 10 octobre 2019.
56 En second lieu, s’agissant des directives de l’EUIPO applicables à la demande de la requérante, il y a lieu de relever ce qui suit.
57 Premièrement, il convient de relever que, au moment de la présentation de ladite demande le 10 octobre 2019, les directives de l’EUIPO de 2017, adoptées le 22 septembre 2017, étaient en vigueur depuis le 1er octobre 2017, qui est également la date à compter de laquelle le règlement 2017/1001 s’applique conformément à son article 212, second alinéa. En revanche, les directives de l’EUIPO de 2020 ont été adoptées par le directeur exécutif le 12 décembre 2019 et sont entrées en vigueur le
1er février 2020. Ces dernières étaient donc en vigueur lorsque la décision attaquée a été adoptée par le directeur exécutif, le 20 septembre 2020.
58 Deuxièmement, il convient de relever que les indications figurant dans les directives de l’EUIPO de 2017 et dans celles de 2020 sur la pratique du directeur exécutif relative à l’appréciation des demandes de dérogation à l’exigence de nationalité au titre de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001 sont considérablement différentes.
59 D’une part, la partie A, section 5, point 2.3.4 des directives de l’EUIPO de 2017, concernant la dérogation à l’exigence de nationalité, se limite à indiquer que ladite dérogation peut être accordée dans « certaines circonstances ».
60 D’autre part, la partie A, section 5, point 2.3.4 des directives de l’EUIPO de 2020, en revanche, après avoir également indiqué que ladite dérogation peut être accordée dans « certaines circonstances » et qu’il s’agit de « circonstances exceptionnelles », précise, concernant spécifiquement la dérogation à l’exigence de nationalité :
« Cette condition légale selon laquelle il faut que la personne soit un “professionnel hautement qualifié” suppose au moins, et sans que cela soit nécessairement suffisant en soi, que le demandeur démontre (preuves à l’appui) que son expérience professionnelle :
– est spécifiquement liée aux questions de marques […],
– a été spécifiquement obtenue “en agissant en tant que représentant” en matière de marques […],
– est imputable à un portefeuille spécifique de marques […],
– s’est construite sous sa propre responsabilité et sous sa propre autorité,
– a été acquise dans l’État membre de l’EEE où le demandeur est actuellement habilité […] au sens de l’article 120, paragraphe 2, [sous] c), du [règlement 2017/1001],
– dépasse la durée minimale exigée de cinq ans […] si l’habilitation à représenter repose sur l’expérience et non sur la qualification.
Les circonstances suivantes, à elles seules, ne sont pas considérées comme prouvant que le demandeur est un “professionnel hautement qualifié” aux fins de la dérogation à l’exigence d’être un ressortissant de l’EEE. Toutefois, à condition que les exigences susmentionnées soient remplies, elles peuvent être prises en considération dans l’évaluation globale de l’ensemble des éléments pertinents :
– expérience dans des domaines du droit liés à la propriété intellectuelle autres que les marques et les dessins ou modèles […] ;
– titres officiels […] ;
– expérience acquise sous supervision, avec l’aide de tiers, dans le cadre d’une équipe, etc. ;
– publications, recherches ou articles dans des revues approuvées par des pairs ou dans des ouvrages spécialisés, écriture de livres, expérience d’enseignement au sujet de la propriété intellectuelle. »
61 En d’autres termes, les directives de l’EUIPO de 2020 listent six exigences cumulatives minimales en termes d’expérience professionnelle dont la démonstration est vérifiée par le directeur exécutif dans le cadre de son évaluation ainsi que quatre circonstances qui, à elles seules, ne sont pas considérées comme suffisantes par le directeur exécutif, mais qui, si lesdites exigences sont remplies, peuvent être prises en considération.
62 Ainsi, les directives de l’EUIPO de 2020 énoncent des éléments d’évaluation des demandes de dérogation à la condition de nationalité qui ne figuraient pas dans les directives de l’EUIPO de 2017 et présentent donc une pratique nouvelle, et plus restrictive, du directeur exécutif par rapport à celle présentée dans les directives de l’EUIPO de 2017. Quant à l’argument de l’EUIPO selon lequel les directives de l’EUIPO de 2020 n’auraient pas modifié la pratique du directeur exécutif, laquelle aurait
été identique sous les anciennes directives de l’EUIPO de 2017, il suffit de relever qu’un tel argument n’est nullement étayé, tout comme n’est nullement étayé l’argument selon lequel les demandes présentées en vertu du règlement 2017/1001 auraient toutes été évaluées de la même manière.
63 Force est donc de constater que les différentes indications contenues dans les directives de l’EUIPO de 2017 et de 2020 sur la pratique du directeur exécutif relative à l’évaluation des demandes de dérogation à l’exigence de nationalité sont susceptibles d’avoir un impact considérable non seulement sur l’évaluation par le directeur exécutif d’une demande de dérogation, mais également, en amont, sur le contenu d’une telle demande, voire sur la décision de présenter ladite demande. En effet, sans
préjudice de la possibilité pour un demandeur de démontrer qu’il possède le statut de « professionnel hautement qualifié » sur la base d’éléments autres que ceux figurant dans ces directives conformément au point 51 ci-dessus, lesdites indications permettent aux demandeurs de prévoir, le cas échéant, sur la base de quels éléments une demande de dérogation pourra être évaluée par le directeur exécutif. Or, dans cette perspective, la démonstration qu’une personne a le statut de « professionnel
hautement qualifié » à l’aune de « circonstances exceptionnelles » impliquant la satisfaction de six exigences cumulatives minimales en termes d’expérience professionnelle au sens des directives de l’EUIPO de 2020 a une portée manifestement différente de la démonstration de ce même statut seulement à l’aune de « certaines circonstances » pertinentes au sens des directives de l’EUIPO de 2017.
64 Troisièmement, dans la décision attaquée, bien qu’il n’ait pas formellement explicité les directives de l’EUIPO appliquées, le directeur exécutif a repris expressément, au point 14 de ladite décision, les exigences et les circonstances figurant dans les directives de l’EUIPO de 2020 (rappelées au point 60 ci-dessus) et a indiqué, au point 15 de cette décision, que la demande et les preuves de la requérante devaient être examinées à la lumière de ces considérations. Ainsi, au point 20 de la
décision attaquée, le directeur exécutif a indiqué que la requérante ne pouvait pas obtenir une dérogation au sens des explications contenues audit point 14. Par ailleurs, au point 23 de la décision attaquée, le directeur exécutif a rappelé que le point 14 de la même décision définissait les exigences et les circonstances pour obtenir une dérogation et a indiqué que les nouvelles directives de l’EUIPO de 2020 n’avaient pas modifié la pratique appliquée lorsque les directives de l’EUIPO de 2017
étaient en vigueur, la seule différence étant que les nouvelles directives offraient des détails supplémentaires pour mieux guider tant les demandeurs que l’EUIPO.
65 Il ressort donc de la décision attaquée que le directeur exécutif a examiné la demande de dérogation de la requérante à l’aune des indications contenues dans les directives de l’EUIPO de 2020.
66 Or, en vertu de la jurisprudence rappelée aux points 44 et 46 ci-dessus, ce sont les règles de conduite en vigueur à la date des faits en cause, c’est-à-dire à la date de présentation de la demande de dérogation, qui doivent être appliquées lors de l’évaluation de celle-ci, et non celles en vigueur à la date d’adoption de la décision attaquée. En l’espèce, à la date de ladite demande, les directives de l’EUIPO de 2020 n’étaient pas en vigueur et n’avaient même pas encore été adoptées, les
directives en vigueur à cette date étant celles de 2017. Au demeurant, il n’a nullement été démontré que les nouvelles directives de l’EUIPO de 2020 n’auraient pas modifié la pratique du directeur exécutif appliquée lorsque les directives de l’EUIPO de 2017 étaient en vigueur.
67 Il s’ensuit, à la lumière des éléments examinés aux points 57 à 66 ci-dessus, que le directeur exécutif, en violation du principe de sécurité juridique, a évalué la demande de dérogation de la requérante à l’aune de règles de conduite figurant dans les directives de l’EUIPO de 2020 qui n’étaient pas en vigueur à la date de présentation de ladite demande, de sorte que la requérante ne pouvait pas prévoir que sa demande serait évaluée à l’aune de ces règles, nouvelles et plus restrictives par
rapport à celles contenues dans les directives de l’EUIPO de 2017.
68 Partant, le directeur exécutif ayant enfreint le principe de sécurité juridique en évaluant la demande de dérogation de la requérante présentée au titre de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001 à l’aune de règles de conduite qui n’étaient pas en vigueur à la date de présentation de cette demande, il y a lieu d’accueillir le premier moyen du recours et, sur ce fondement, d’annuler la décision attaquée.
69 Néanmoins, le Tribunal estime opportun d’examiner également le quatrième moyen du recours.
Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du droit d’être entendue
70 La requérante, en s’appuyant sur les articles 94 et 97 du règlement 2017/1001, fait valoir que, en annexe à sa demande de dérogation du 10 octobre 2019, elle avait produit des pièces justificatives visant à établir qu’elle était une professionnelle hautement qualifiée et que, dans sa réponse du 30 janvier 2020, l’EUIPO avait indiqué que la dérogation ne lui serait pas accordée au seul motif qu’elle exerçait son activité dans un État membre (Allemagne) différent de celui où elle était habilitée
(Irlande). Ainsi, dans ses réponses des 9 et 13 mars 2020, elle a uniquement répondu à l’objection portant sur le « lieu » de son activité. La requérante ajoute qu’elle a répondu à la lettre du 30 janvier 2020 de sa propre initiative. Dans ladite lettre, l’EUIPO invoquait une irrecevabilité de la demande fondée sur une seule objection portant sur le lieu de l’activité et ne soulevait aucune autre objection ou question, y compris sur la preuve que la requérante était une professionnelle hautement
qualifiée. La requérante observe que, dans sa réponse des 9 et 13 mars 2020, elle s’était limitée à répondre à ce qui semblait être le problème de recevabilité de sa demande, mais que, si elle avait été invitée à fournir plus de détails sur ses qualifications, elle les aurait fournis.
71 L’EUIPO rétorque que la requérante a pu présenter des observations et des éléments de preuve, lesquels ont été pris en considération. En outre, dès lors que la décision attaquée a été prise sur la base de sa demande et des éléments de preuve qu’elle a produits, la requérante ne saurait prétendre qu’elle n’a pas été entendue avant l’adoption d’une décision dont elle est elle-même à l’origine. L’EUIPO ajoute qu’il est difficile de comprendre ce qui aurait empêché la requérante de produire tous les
éléments de preuve qu’elle avait à sa disposition pour prouver qu’elle était une professionnelle hautement qualifiée.
– Observations liminaires sur les principes juridiques applicables
72 D’emblée, il y a lieu de relever que l’article 97 du règlement 2017/1001, invoqué par la requérante, est dépourvu de toute pertinence s’agissant de son droit d’être entendue, dès lors qu’il régit le pouvoir des instances de l’EUIPO de prendre des mesures d’instruction.
73 En revanche, en vertu de l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO ne peuvent être fondées que sur des motifs ou des preuves au sujet desquels les parties ont pu prendre position.
74 Cette disposition constitue une application spécifique du principe général de protection des droits de la défense, consacré par ailleurs à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, selon lequel les personnes dont les intérêts sont affectés par des décisions des autorités publiques doivent être mises en mesure de faire connaître utilement leur point de vue [arrêt du 21 avril 2021, Hasbro/EUIPO – Kreativni Dogadaji (MONOPOLY), T‑663/19,
EU:T:2021:211, point 119].
75 Le droit d’être entendu prévu à l’article 94 du règlement 2017/1001 s’étend à tous les éléments de fait ou de droit qui constituent le fondement de l’acte décisionnel, mais non à la position finale que l’administration entend adopter (arrêt du 21 avril 2021, MONOPOLY, T‑663/19, EU:T:2021:211, point 120).
76 Ledit droit garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts (arrêt du 4 avril 2019, OZ/BEI, C‑558/17 P, EU:C:2019:289, point 53).
77 Le respect de ce droit s’impose, indépendamment de la nature de la procédure administrative conduisant à l’adoption d’une mesure individuelle, quand bien même la réglementation applicable ne le prévoirait pas. Tel est notamment le cas lorsque l’administration se propose de prendre une décision en réponse à une demande introduite par une personne de sa propre initiative (arrêt du 23 septembre 2020, UE/Commission, T‑338/19, EU:T:2020:430, points 48 et 50).
78 Selon la jurisprudence, une violation du droit d’être entendu n’entraîne l’annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent. À cet égard, il ne saurait être imposé à une partie requérante qui invoque la violation de son droit d’être entendue de démontrer que l’acte concerné aurait eu un contenu différent, mais uniquement qu’une telle hypothèse n’est pas entièrement
exclue (arrêts du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, points 105 et 106, et du 12 juillet 2023, IFIC Holding/Commission, T‑8/21, EU:T:2023:387, points 123 et 124).
79 L’appréciation de cette question doit, en outre, être effectuée en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de chaque espèce (arrêts du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 107, et du 12 juillet 2023, IFIC Holding/Commission, T‑8/21, EU:T:2023:387, point 125).
– Rappel des éléments de contexte
80 Dans la demande du 10 octobre 2019, la requérante a sollicité une dérogation à l’exigence de nationalité en déclarant être une professionnelle hautement qualifiée. Ainsi qu’il ressort des cases cochées sous d), g) et h) de la section 2 du formulaire de demande, la requérante s’est appuyée sur son « expérience professionnelle acquise sous supervision, avec l’aide d’autres personnes, en tant que membre d’une équipe, etc. », sur ses « qualifications formelles » et sur ses « publications, recherches
ou articles dans des revues ou publications spécialisées reconnues par des pairs, [sa] qualité d’auteur de livres, [son] expérience dans le domaine de l’enseignement de la propriété intellectuelle, etc. ».
81 À cet effet, en annexe à sa demande de dérogation, la requérante a produit trois éléments de preuve : un extrait de son contrat de travail, son diplôme d’études et l’extrait de la troisième édition, publiée en 2015, d’un livre en matière de propriété intellectuelle.
82 Dans la lettre du 30 janvier 2020, l’EUIPO a indiqué, tout d’abord, que la requérante devait prouver son expérience professionnelle dans son État membre d’habilitation, l’Irlande ; ensuite, que, excepté pour un certificat émis par l’office de la propriété intellectuelle irlandais indiquant qu’elle figurait sur le registre des agents en matière de marques, la requérante n’avait pas produit de preuve additionnelle pour démontrer qu’elle était une professionnelle hautement qualifiée en Irlande, les
autres preuves concernant l’Allemagne et les Pays-Bas (les noms des trois pays étant tous écrits en caractères gras) ; enfin, que la demande de dérogation était donc irrecevable, car elle ne contenait pas les éléments de preuve exigés. Par ailleurs, la lettre indiquait que la requérante pouvait soumettre à tout moment une nouvelle demande et, pour information, reproduisait un extrait du texte des futures directives de l’EUIPO de 2020 (y compris la partie reproduite au point 60 ci-dessus).
83 Dans ses lettres des 9 et 13 mars 2020, la requérante a fait valoir que les directives de l’EUIPO de 2017 n’exigeaient pas que l’expérience professionnelle soit acquise dans l’État membre d’habilitation, que les nouvelles directives de l’EUIPO de 2020 n’auraient pas dû être appliquées à sa situation, qu’elle était en désaccord avec l’exigence, figurant dans ces dernières directives, d’avoir une expérience professionnelle dans l’État membre d’habilitation et qu’elle avait travaillé sur des
questions en matière de marques ayant un lien avec l’Irlande en plus de celles concernant le droit de l’Union.
84 À cet effet, en annexe à ses lettres des 9 et 13 mars 2020, la requérante a produit trois éléments de preuve : une capture d’écran du registre des agents irlandais en matière de marques ainsi que l’attestation de son inscription dans ce registre, une lettre émanant de son ancien employeur et une lettre émanant d’une institution académique allemande concernant son activité de tutorat.
85 Dans la décision attaquée, après avoir examiné les éléments de preuve produits par la requérante (points 17 à 19), tout d’abord, le directeur exécutif a indiqué que, dans l’ensemble, si ces éléments permettaient de considérer que la requérante était une professionnelle qualifiée, ils ne permettaient pas de conclure qu’elle était « hautement » qualifiée (point 20). Ensuite, le directeur exécutif a indiqué que la requérante n’avait pas démontré une expérience professionnelle substantielle en
Irlande et que, en tout état de cause, les éléments de preuve produits ne permettaient pas d’établir qu’elle était hautement qualifiée en Allemagne ou aux Pays-Bas non plus (point 21). Enfin, le directeur exécutif a relevé que si les éléments de preuve démontraient que la requérante était habilitée à agir devant l’office de la propriété intellectuelle irlandais en matière de marques, ils ne démontraient pas que la requérante était allée au-delà de cette exigence minimale et ne permettaient donc
pas de considérer qu’elle était une professionnelle hautement qualifiée en Irlande ou dans tout autre État (point 22).
– Sur l’existence d’une irrégularité procédurale
86 En premier lieu, dans la mesure où la décision attaquée rejette une demande de dérogation à l’exigence de nationalité présentée par la requérante aux fins de son inscription sur la liste des mandataires agréés, force est de constater que cette décision est un acte de portée individuelle affectant défavorablement les intérêts de la requérante. Par conséquent, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 76 et 77 ci-dessus, le directeur exécutif était tenu d’entendre la requérante avant
d’adopter la décision attaquée. Les arguments de l’EUIPO tendant à suggérer que le directeur exécutif n’avait pas une telle obligation, au motif que la décision attaquée faisait suite à une demande de la requérante elle-même, doivent donc être écartés (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, UE/Commission, T‑338/19, EU:T:2020:430, point 50).
87 En second lieu, force est de constater que, à la suite de la demande de dérogation de la requérante, l’EUIPO a transmis à cette dernière la lettre du 30 janvier 2020, à laquelle la requérante a répondu par les lettres des 9 et 13 mars 2020. Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que la requérante a été mise en mesure de présenter son point de vue « de manière utile et effective », comme l’exige la jurisprudence rappelée au point 76 ci-dessus.
88 En effet, premièrement, ainsi qu’il ressort des pièces produites devant le Tribunal, la lettre de l’EUIPO du 30 janvier 2020 ne fournissait à la requérante aucune indication sur la nature même de cette lettre ainsi que sur le déroulement de la procédure d’examen de sa demande de dérogation et n’invitait pas non plus la requérante à présenter ses éventuelles observations sur les objections soulevées par l’EUIPO. Il est d’ailleurs constant que la requérante a répondu à cette lettre de sa propre
initiative, par ses lettres des 9 et 13 mars 2020.
89 Deuxièmement, ainsi qu’il ressort du point 82 ci-dessus et des pièces produites devant le Tribunal, la lettre du 30 janvier 2020 concluait que la demande de dérogation de la requérante était « irrecevable », en raison de l’absence d’éléments de preuve présentés à son appui. En particulier, cette lettre précisait que la requérante devait avoir acquis une expérience professionnelle dans l’État membre d’habilitation, en l’occurrence l’Irlande, et que, excepté le certificat délivré par l’office
irlandais de la propriété intellectuelle, aucun autre élément de preuve n’avait été produit pour démontrer qu’elle était une professionnelle hautement qualifiée « en Irlande », car les autres éléments de preuve produits concernaient l’Allemagne et les Pays-Bas. Par ailleurs, les noms de ces trois pays étaient rédigés en caractères gras dans ladite lettre, ce qui contribuait à souligner le caractère central, pour l’EUIPO, du pays visé par la démonstration de la requérante.
90 La requérante, dans ses lettres des 9 et 13 mars 2020, a ainsi répondu à l’objection soulevée par l’EUIPO, en contestant la pertinence de l’exigence tenant à la nécessité d’une expérience dans l’État membre d’habilitation et en apportant des éléments de preuve concernant ses activités en lien avec l’Irlande.
91 Or, la décision attaquée ne vise plus aucune « irrecevabilité » de la demande, mais refuse, au fond, d’accorder à la requérante la dérogation demandée en se fondant non seulement, en son point 21, sur l’absence d’éléments de preuve ayant un lien avec l’Irlande, mais également, en ses points 20 et 22, sur l’absence d’éléments de preuve permettant de considérer que la requérante était « hautement » qualifiée, le directeur exécutif admettant que la requérante était une professionnelle qualifiée. En
effet, ainsi qu’il ressort des points 20 à 22 de la décision attaquée, l’objection liée au lieu de l’expérience professionnelle fonde désormais seulement une partie du raisonnement du directeur exécutif retenu dans la décision attaquée, lequel se fonde également, et principalement, sur le niveau globalement trop bas des éléments de preuve produits, lesquels, selon le directeur exécutif, ne permettent pas de considérer que la requérante, tout en étant qualifiée, serait « hautement » qualifiée.
92 Force est donc de constater que, compte tenu de la différence entre les objections présentées dans la lettre du 30 janvier 2020 et celles retenues par le directeur exécutif dans la décision attaquée, la requérante, au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de cette décision, n’a pas été mise en mesure, par le directeur exécutif, de prendre utilement et effectivement position sur le niveau globalement trop bas des éléments de preuve produits et, le cas échéant, d’expliquer
pourquoi ces éléments démontraient qu’elle était non seulement qualifiée, mais aussi hautement qualifiée. Au contraire, au lieu de lui permettre de prendre position de manière utile et effective à cet égard, la lettre du 30 janvier 2020 a conduit la requérante à se focaliser sur un seul aspect, le pays de l’expérience professionnelle, qui a eu une portée limitée dans la décision attaquée.
93 Il découle de ce qui précède que le directeur exécutif n’a pas dûment entendu la requérante au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée et, par conséquent, a violé son droit d’être entendue.
– Sur les conséquences de l’irrégularité procédurale
94 S’agissant des conséquences qu’il convient de tirer du constat opéré au point 93 ci-dessus, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 78 et 79 ci-dessus, il y a lieu de déterminer si, compte tenu des circonstances de fait et de droit spécifiques de la présente affaire, la requérante a démontré à suffisance que, en l’absence de ladite irrégularité procédurale, l’hypothèse que la décision attaquée ait pu avoir un contenu différent n’est pas entièrement exclue.
95 À cet égard, il convient de relever que, dans les écritures déposées devant le Tribunal, la requérante s’est référée à de nombreuses reprises à des éléments de preuve qu’elle aurait pu produire devant le directeur exécutif si elle avait été entendue au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée. En outre, au motif qu’elle n’avait pas pu produire de tels éléments devant le directeur exécutif, la requérante a produit de tels éléments devant le Tribunal
en annexe à la requête, à la réplique et aux observations après renvoi.
96 À titre liminaire, il y a lieu d’examiner la recevabilité des éléments de preuve produits par la requérante devant le Tribunal, laquelle est contestée par l’EUIPO. En effet, ce dernier fait valoir que les éléments de preuve produits par la requérante aux annexes A.11, A.15, A.18 à A.22 et A.24 à A.28 de la requête, aux annexes C.1 à C.5 de la réplique et aux annexes E.1 à E.3 des observations après renvoi sont irrecevables, car ils ont été produits pour la première fois devant le Tribunal. En
revanche, la requérante rétorque que lesdits éléments de preuve sont recevables, car elle n’a pas eu l’occasion d’être entendue et ce n’est que devant le Tribunal qu’elle a eu la possibilité de les fournir pour la première fois.
97 Or, dans la mesure où lesdites annexes visent à fournir une indication des éléments de preuve que la requérante aurait pu produire devant le directeur exécutif si elle avait été entendue, l’objection de l’EUIPO doit être écartée. En effet, lesdites annexes ne tendent pas à ce que le Tribunal, en se substituant au directeur exécutif, procède à une nouvelle appréciation de la demande de la requérante sur la base d’éléments de preuve que le directeur exécutif n’avait pas à sa disposition, mais
visent uniquement à soutenir le moyen de la requérante tiré de la violation de son droit d’être entendue.
98 Ainsi, dans une telle perspective, les éléments de preuve dont la recevabilité est contestée par l’EUIPO, visés au point 96 ci-dessus, doivent être considérés comme étant recevables. Par ailleurs, il en va de même pour les annexes A.17 et A.29 de la requête qui ne sont pas visées par l’objection de l’EUIPO.
99 Il y a donc lieu d’examiner si les arguments de la requérante tirés desdits éléments de preuve permettent de démontrer que, si elle avait été entendue, il n’est pas entièrement exclu que la procédure ait pu avoir une issue différente.
100 À cet égard, d’emblée, il y a lieu de relever que, à première vue, plusieurs de ces éléments de preuve semblent être dépourvus de pertinence dans le cadre d’un tel examen, dès lors qu’il semble s’agir d’éléments portant sur des activités de la requérante postérieures à la décision attaquée (annexes C.1 à C.3 et C.5 de la réplique et annexes E.1 à E.3 des observations après renvoi), d’éléments ne concernant pas directement la requérante (annexes A.18, A.22 et A.24 de la requête et annexe C.4 de
la réplique) ou d’éléments ne concernant pas le droit des marques (annexes A.25 et A.29 de la requête).
101 En revanche, il ne saurait être entièrement exclu que les autres éléments de preuve auxquels la requérante se réfère aux annexes A.11, A.15, A.17, A.19 à A.21 et A.26 à A.28 de la requête auraient pu lui permettre, si elle avait été entendue au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, de présenter davantage d’éléments en relation avec les qualifications visées au point 80 ci-dessus qui, selon elle, découlaient du travail effectué auprès de son
ancien employeur, de ses études et de ses activités de recherche, de publication et d’enseignement.
102 En effet, si certains desdits éléments de preuve sont, certes, des lettres rédigées à des dates postérieures à l’adoption de la décision attaquée (annexes A.15, A.20 et A.21) et un curriculum vitae non daté (annexe A.11), à première vue, ils apparaissent porter sur des activités de la requérante précédant l’adoption de la décision attaquée et, par conséquent, il ne saurait être exclu que, si elle avait été entendue au cours de la procédure ayant conduit à l’adoption de cette décision, la
requérante aurait également pu produire de tels éléments devant le directeur exécutif en se les procurant plus tôt.
103 Il y a donc lieu de relever que les arguments et les éléments de preuve présentés devant le Tribunal permettent de considérer que, si la requérante avait été entendue au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, l’hypothèse que l’issue de cette procédure ait pu être différente, en ce qui concerne particulièrement l’appréciation du niveau de sa qualification professionnelle, ne saurait être entièrement exclue, étant rappelé qu’il n’appartient pas au
Tribunal, mais uniquement au directeur exécutif, d’opérer une telle appréciation.
104 Partant, il y a lieu d’accueillir le quatrième moyen du recours et, sur ce fondement également, d’annuler la décision attaquée, sans qu’il y ait lieu d’examiner les troisième et cinquième moyens du recours.
Sur les dépens
105 Selon l’article 219 du règlement de procédure du Tribunal, dans les décisions du Tribunal rendues après annulation et renvoi, celui-ci statue sur les dépens relatifs, d’une part, aux procédures engagées devant lui et, d’autre part, à la procédure de pourvoi devant la Cour.
106 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
107 L’EUIPO ayant succombé pour l’essentiel, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante afférents aux procédures engagées devant le Tribunal et à la procédure de pourvoi devant la Cour, conformément aux conclusions de la requérante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision no ER 93419-2020 du directeur exécutif de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), du 30 septembre 2020, concernant la demande de dérogation présentée par Mme Nigar Kirimova au titre de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne, est annulée.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) L’EUIPO est condamné aux dépens afférents aux procédures devant le Tribunal et devant la Cour.
Marcoulli
Tomljenović
Norkus
Valasidis
Spangsberg Grønfeldt
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 septembre 2024.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.