ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)
2 octobre 2024 ( *1 )
« Fonction publique – Agents contractuels – Procédure disciplinaire – Sanction disciplinaire – Résiliation du contrat sans préavis – Enquête de l’OLAF – Remboursement de frais médicaux – Article 266 TFUE – Décision adoptée en exécution d’un arrêt du Tribunal – Mesures que comporte l’exécution d’un arrêt d’annulation – Autorité de la chose jugée – Vice de procédure – Article 12 de l’annexe IX du statut – Consultation du conseil de discipline – Droits de la défense – Responsabilité – Préjudices
matériel et moral »
Dans l’affaire T‑669/22,
IP, représenté par Me J. Martins, avocat,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par Mme M. Brauhoff, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre),
composé de MM. L. Truchot (rapporteur), président, H. Kanninen et Mme R. Frendo, juges,
greffier : M. V. Di Bucci,
vu la phase écrite de la procédure,
vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,
rend le présent
Arrêt ( 1 )
1 Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, le requérant, IP, demande, d’une part, l’annulation de la décision de la Commission européenne du 18 janvier 2022 lui infligeant la sanction disciplinaire de résiliation sans préavis de son contrat d’engagement (ci-après la « décision attaquée ») et, d’autre part, la réparation des préjudices qu’il aurait subis du fait de cette décision.
I. Antécédents du litige
[omissis]
C. Sur l’arrêt initial
13 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 février 2020, le requérant a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision du 21 août 2019.
14 Par l’arrêt du 6 octobre 2021, IP/Commission (T‑121/20, ci-après l’« arrêt initial », EU:T:2021:665), le Tribunal a annulé cette décision après avoir accueilli le sixième moyen du requérant, tiré de la violation de l’article 10, sous h), de l’annexe IX du statut, relatif à la prise en compte, pour déterminer la gravité de la faute et décider de la sanction disciplinaire à infliger au requérant, « de la récidive de l’acte ou du comportement fautif », sans examiner les autres moyens.
15 À cette fin, le Tribunal a considéré que l’article 26 du statut prévoit un ensemble de garanties qui visent à protéger le fonctionnaire en évitant que des décisions adoptées par l’administration et affectant sa situation administrative ne soient fondées sur des faits dont l’existence résulte de documents non versés à son dossier individuel. Il a ainsi jugé que, eu égard au rôle essentiel du dossier individuel dans la protection et dans l’information du fonctionnaire, une décision de sanction,
alors même qu’elle avait été précédemment versée au dossier individuel d’un fonctionnaire, ne saurait être opposée à celui-ci ou invoquée contre lui lorsqu’il ne subsistait plus aucune mention de cette décision dans ledit dossier.
16 Le Tribunal a ajouté que le droit conféré à l’administration de se fonder sur une décision de sanction qui avait été retirée du dossier individuel d’un fonctionnaire pour conclure à une récidive au sens de l’article 10 de l’annexe IX du statut priverait d’effet utile, sur ce point, l’article 27 de cette annexe.
17 Le Tribunal en a déduit que la décision du 21 août 2019, en se fondant, au titre de la récidive, sur une sanction disciplinaire dont aucune mention ne subsistait dans le dossier individuel du fonctionnaire concerné, après qu’il avait été fait droit à une demande de retrait d’une décision de sanction dudit dossier introduite par le requérant en vertu des dispositions de l’article 27 de l’annexe IX du statut, avait méconnu les droits que le statut garantit aux fonctionnaires.
D. Sur la reprise de la procédure disciplinaire à la suite de l’arrêt initial et la procédure précontentieuse
18 Aux fins de l’exécution de l’arrêt initial, l’AHCC tripartite composée de la directrice générale de la direction générale « Ressources humaines et sécurité », du directeur général de la direction générale « Affaires économiques et financières » et du directeur général adjoint de la direction générale « Politique régionale » (ci-après l’« AHCC tripartite ») a convoqué le requérant à une nouvelle audition.
19 Le 3 décembre 2021, l’audition a eu lieu par vidéoconférence. Le requérant y a été représenté par son avocat.
20 Le 18 janvier 2022, l’AHCC tripartite a adopté la décision attaquée, par laquelle elle a infligé au requérant la sanction disciplinaire de résiliation sans préavis de son contrat d’engagement.
21 Dans la décision attaquée, l’AHCC tripartite a indiqué qu’il était reproché au requérant d’avoir soumis au PMO deux demandes de remboursement de frais médicaux ne correspondant pas à la réalité des sommes payées ou des soins reçus (point 16 de la décision attaquée). Elle a qualifié ces faits de « tentative de fraude au budget de l’Union européenne », ce qui constituait, selon elle, une faute particulièrement grave (point 41 de la décision attaquée). Enfin, elle a fixé la sanction à adopter au
regard des critères définis à l’article 10 de l’annexe IX du statut (points 39 à 52 de la décision attaquée).
[omissis]
II. Conclusions des parties
24 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée et la décision de rejet de la réclamation ;
– condamner la Commission à lui verser une indemnité dont le montant est laissé à l’appréciation du Tribunal ;
– condamner la Commission aux dépens.
25 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner le requérant aux dépens.
III. En droit
A. Sur les conclusions en annulation
[omissis]
3. Sur le fond
[omissis]
a) Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’autorité de la chose jugée, des principes de bonne administration, de protection de la confiance légitime et ne bis in idem, prévu à l’article 50 de la Charte, du devoir de sollicitude ainsi que de l’obligation de motivation
[omissis]
2) Sur la violation de l’autorité de la chose jugée, du principe de protection de la confiance légitime et du principe ne bis in idem
[omissis]
i) Sur la violation de l’autorité de la chose jugée
53 Il convient de relever que le requérant soutient que l’erreur de droit qui a justifié l’annulation de la décision du 21 août 2019 par l’arrêt initial impliquait l’annulation de l’ensemble de la procédure disciplinaire. En effet, il fait valoir, en substance, que l’AHCC tripartite a violé l’autorité de la chose jugée dont est revêtu l’arrêt initial en procédant à la reprise de la procédure disciplinaire en se fondant sur les mêmes faits et motifs que la procédure disciplinaire ayant conduit à
l’adoption de la décision du 21 août 2019. La Commission aurait commis une erreur de droit, dans l’exécution de l’arrêt initial, en interprétant ce dernier en ce sens que la procédure disciplinaire pouvait être reprise alors qu’une telle reprise aurait été impossible en l’absence de nouvel élément factuel.
54 La Commission conteste l’argumentation du requérant.
55 À titre liminaire, il convient de relever que la question de savoir si c’est la totalité ou seulement une partie de la procédure qui était affectée par l’illégalité à l’origine de l’annulation de la décision du 21 août 2019 est indépendante de celle, sur laquelle repose la présente branche du premier moyen, consistant à déterminer si la procédure disciplinaire pouvait être reprise. Dans la mesure où l’examen du deuxième moyen, tiré de l’absence de nouvelle consultation du conseil de discipline,
impliquera de déterminer, à supposer que la procédure disciplinaire puisse être reprise, à quel stade elle pouvait l’être, cet examen permettra de répondre à la première de ces questions. Ainsi, celle-ci sera examinée dans le cadre de ce moyen.
56 Selon une jurisprudence constante, les arrêts d’annulation prononcés par les juridictions de l’Union jouissent, dès qu’ils sont devenus définitifs, de l’autorité de la chose jugée. Celle-ci recouvre non seulement le dispositif de l’arrêt d’annulation, mais aussi les motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif et en sont, de ce fait, indissociables (voir arrêt du 29 novembre 2018, National Iranian Tanker Company/Conseil, C‑600/16 P, EU:C:2018:966, point 42 et jurisprudence citée ;
arrêt du 13 décembre 2018, Kakol/Commission, T‑641/16 RENV et T‑137/17, non publié, EU:T:2018:958, point 74).
57 L’autorité de la chose jugée d’un arrêt ne s’attache cependant qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés (voir arrêt du 13 décembre 2018, Kakol/Commission, T‑641/16 RENV et T‑137/17, non publié, EU:T:2018:958, point 74 et jurisprudence citée).
58 Lorsque le Tribunal annule un acte d’une institution, cette dernière est tenue, en vertu de l’article 266, premier alinéa, TFUE, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du Tribunal (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 56).
59 L’article 266 TFUE ne spécifie toutefois pas la nature des mesures à prendre par l’institution concernée aux fins d’une telle exécution, si bien qu’il incombe à cette institution de les identifier (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 57 et jurisprudence citée).
60 Pour se conformer à l’obligation que fait peser sur elle l’article 266 TFUE, il appartient donc à l’institution dont émane un acte annulé par le juge de l’Union de déterminer les mesures qui sont requises pour exécuter l’arrêt d’annulation en exerçant le pouvoir d’appréciation dont elle dispose à cet effet dans le respect des dispositions du droit de l’Union applicables ainsi que du dispositif et des motifs de l’arrêt qu’elle est tenue d’exécuter. En particulier, l’institution est tenue de
respecter non seulement le dispositif de l’arrêt, mais également les motifs qui ont amené à celui-ci et en constituent le soutien nécessaire, en ce sens qu’ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif. Ce sont en effet ces motifs qui font apparaître les raisons exactes de l’illégalité constatée dans le dispositif et que l’institution concernée doit prendre en considération en remplaçant l’acte annulé (voir arrêt du 10 novembre 2021, Di
Bernardo/Commission, T‑41/20, non publié, EU:T:2021:778, point 61 et jurisprudence citée).
61 En outre, l’article 266 TFUE n’oblige l’institution dont émane l’acte annulé que dans les limites de ce qui est nécessaire pour assurer l’exécution de l’arrêt d’annulation (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 57 et jurisprudence citée).
62 En l’espèce, dans l’arrêt initial, le Tribunal a jugé que l’AHCC tripartite a commis une erreur de droit lorsqu’elle s’est fondée, dans la décision du 21 août 2019, au titre de la récidive, sur un blâme infligé au requérant antérieurement aux faits faisant l’objet de ladite décision, alors même qu’il avait été fait droit à la demande du requérant visant à ce qu’aucune mention de cette sanction ne subsiste dans son dossier individuel. Le Tribunal a jugé que cette erreur de droit avait conduit
l’AHCC tripartite à prendre en compte illégalement cette sanction en tant que circonstance aggravante au titre du critère de la récidive, prévu à l’article 10, sous h), de l’annexe IX du statut, circonstance qui avait joué un rôle décisif dans le choix de la sanction retenue. Ainsi, le Tribunal a considéré que l’erreur de droit en question était de nature à entraîner l’annulation de la décision du 21 août 2019.
63 Il ressort de l’arrêt initial que le Tribunal a annulé la décision du 21 août 2019 en raison d’une erreur de droit caractérisée par la prise en compte, par l’AHCC tripartite, au titre de la récidive, de faits antérieurs aux faits reprochés, dont la connaissance résultait d’un document figurant au dossier individuel du requérant, alors que tel n’aurait pas dû être le cas. La prise en compte de ces faits a influencé le choix, par cette autorité, de la sanction infligée au requérant. Le Tribunal ne
s’est pas prononcé, en revanche, sur la matérialité des faits reprochés au requérant ayant fait l’objet des deux sanctions disciplinaires successives ni sur la légalité des autres motifs de cette décision.
64 Ainsi, le Tribunal a seulement constaté l’illégalité des motifs de ladite décision en ce que la Commission s’était fondée sur le critère de la récidive.
65 Il en résulte que le dispositif de cet arrêt et les motifs qui en constituent le soutien nécessaire, qui sont revêtus de l’autorité de la chose jugée, ne s’opposaient pas à la reprise de la procédure disciplinaire et à l’infliction d’une nouvelle sanction sur le fondement des faits reprochés qui n’ont pas été remis en cause par le même arrêt.
66 Toutefois, en cas d’adoption d’une nouvelle décision, l’arrêt initial imposait à l’AHCC tripartite de ne pas fonder cette dernière sur les mêmes motifs, rappelés au point 63 ci-dessus, ayant retenu le critère de la récidive.
67 Or, il ne résulte pas de la décision attaquée que l’AHCC tripartite s’est fondée sur de tels motifs. Ainsi qu’il ressort du point 21 ci-dessus, dans la décision attaquée, celle-ci a indiqué qu’il était reproché au requérant d’avoir soumis au PMO deux demandes de remboursement de frais médicaux ne correspondant pas à la réalité des sommes payées ou des soins reçus. Elle a qualifié ces faits de « tentative de fraude au budget de l’Union européenne », ce qui constituait, selon elle, une faute
particulièrement grave. Enfin, elle a fixé la sanction à adopter au regard des critères définis à l’article 10 de l’annexe IX du statut en écartant explicitement la prise en compte du critère de la récidive et en se fondant, à ce titre, sur le fait que la décision du 19 novembre 2010 ne figurait plus dans le dossier personnel du requérant.
68 Ainsi, l’AHCC tripartite n’a pas tenu compte de la sanction disciplinaire de blâme infligée au requérant antérieurement aux faits reprochés.
69 Dès lors, il peut être constaté que l’AHCC tripartite n’a pas violé l’autorité de la chose jugée dont est revêtu l’arrêt initial en procédant à la reprise de la procédure disciplinaire. Il convient donc de rejeter le grief du requérant tiré de la méconnaissance par l’AHCC tripartite de l’arrêt initial.
[omissis]
b) Sur le deuxième moyen, tiré de l’absence de nouvelle consultation du conseil de discipline
93 Par son deuxième moyen, le requérant reproche à la Commission de ne pas avoir saisi le conseil de discipline, au moyen de la transmission d’un nouveau rapport, à la suite du prononcé de l’arrêt initial et de la reprise de la procédure disciplinaire dirigée à son encontre. En adoptant la décision attaquée sur le fondement de l’avis adopté par le conseil de discipline le 27 avril 2018, qui prenait en considération la décision du 19 novembre 2010 lui infligeant un blâme, laquelle serait nulle,
l’AHCC tripartite aurait mal exécuté l’arrêt initial et violé plusieurs dispositions de la Charte et du traité UE.
94 À titre subsidiaire, le requérant soutient en substance que, à supposer que l’AHCC tripartite ait décidé de rouvrir la procédure disciplinaire en cause sur le fondement de l’article 11 de l’annexe IX du statut, laquelle ne requiert pas la consultation de cet organe, elle ne disposait pas de la faculté de lui infliger la sanction de résiliation de l’engagement, mais pouvait uniquement prononcer un avertissement par écrit ou un blâme.
95 La Commission répond qu’une nouvelle consultation du conseil de discipline n’était pas nécessaire. D’abord, ce dernier s’était déjà prononcé sur la réalité des faits sans que ceux-ci aient été remis en cause par l’arrêt initial. Ensuite, aucun fait nouveau ne serait intervenu à la suite de l’adoption de la décision du 21 août 2019. Enfin, la seule conséquence à tirer de l’arrêt initial en vue du choix de la sanction appropriée serait la nécessité de ne pas tenir compte de la sanction de blâme
infligée au requérant.
[omissis]
2) Sur l’exécution défaillante de l’arrêt initial
99 Ainsi qu’il ressort du point 93 ci-dessus, le requérant reproche à la Commission d’avoir mal exécuté l’arrêt initial en raison de l’absence de nouvelle consultation du conseil de discipline. Il convient de considérer que, par ce grief, il invoque en substance la violation de l’article 266 TFUE en ce que l’AHCC tripartite aurait commis un vice de procédure.
100 À titre liminaire, il convient de relever que, aux termes de l’article 11 de l’annexe IX du statut, relatif à la procédure disciplinaire sans consultation préalable du conseil de discipline :
« L’autorité investie du pouvoir de nomination peut décider de la sanction d’avertissement par écrit ou de blâme sans consultation du conseil. Le fonctionnaire concerné est préalablement entendu par l’autorité investie du pouvoir de nomination. »
101 Aux termes de l’article 12, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, relatif à l’obligation pour l’autorité compétente de communiquer au conseil de discipline un rapport, « [l]e conseil [de discipline] est saisi d’un rapport émanant de l’autorité investie du pouvoir de nomination, qui doit indiquer clairement les faits reprochés et, s’il y a lieu, les circonstances dans lesquelles ils ont été commis, y compris toutes les circonstances aggravantes ou atténuantes ».
102 Aux termes de l’article 49, paragraphe 1, du RAA, sur lequel la sanction prononcée contre le requérant est en partie fondée, « [a]près accomplissement de la procédure disciplinaire prévue à l’annexe IX du statut, applicable par analogie, l’engagement peut être résilié sans préavis pour motif disciplinaire en cas de manquement grave aux obligations auxquelles l’agent temporaire est tenu, commis volontairement ou par négligence ».
103 Il convient de relever que, dans la décision attaquée, l’AHCC tripartite a décidé d’infliger la sanction de résiliation sans préavis de l’engagement du requérant, qui ne figure pas au nombre de celles que l’article 11 de l’annexe IX du statut lui permet de prononcer sans consultation du conseil de discipline. En outre, l’avis du conseil de discipline figure parmi les visas de la décision attaquée.
104 Il convient dès lors de constater que, en adoptant la décision attaquée, l’AHCC tripartite s’est fondée sur l’article 12 de l’annexe IX du statut et non sur l’article 11 de la même annexe.
105 Il y a lieu, en conséquence, d’examiner le moyen tiré de la violation de l’article 266 TFUE en ce que l’AHCC tripartite aurait omis de consulter le conseil de discipline au titre de l’article 12 de l’annexe IX du statut.
106 Selon une jurisprudence constante, la procédure visant à remplacer un acte annulé doit être reprise au point précis auquel l’illégalité est intervenue, l’annulation d’un acte n’affectant pas nécessairement les actes préparatoires. L’annulation d’un acte mettant un terme à une procédure administrative comprenant différentes phases n’entraîne pas nécessairement l’annulation de toute la procédure précédant l’adoption de l’acte attaqué indépendamment des motifs, de fond ou de procédure, de l’arrêt
d’annulation. L’auteur de l’acte doit ainsi se placer à la date à laquelle il avait adopté l’acte annulé pour adopter l’acte de remplacement (voir arrêt du 10 novembre 2021, Di Bernardo/Commission, T‑41/20, non publié, EU:T:2021:778, points 89 et 90 et jurisprudence citée).
107 Dès lors que le requérant fait valoir que la procédure tendant à remplacer la décision du 21 août 2019 n’a pas été reprise au point précis auquel l’illégalité est intervenue, il convient de déterminer à quel point celle-ci est intervenue et d’apprécier si c’est à celui-ci que la procédure a été reprise. À cette fin, il convient de rechercher si l’avis du conseil de discipline et le rapport de saisine de ce dernier ont été affectés par l’illégalité ayant justifié l’annulation de ladite décision.
108 […] le 25 juillet 2017, l’AHCC a saisi le conseil de discipline en lui transmettant un rapport, en application de l’article 12 de l’annexe IX du statut. Par son avis, adopté le 16 avril 2018, le conseil de discipline a recommandé la sanction de résiliation sans préavis de l’engagement du requérant. Le 21 mai 2019, le requérant a été convoqué à une audition devant l’AHCC tripartite, avant que la première sanction disciplinaire ne soit prononcée le 21 août […].
109 À la suite du prononcé, le 6 octobre 2021, de l’arrêt initial et afin d’assurer son exécution, ainsi qu’il a été rappelé aux points 18 à 20 ci-dessus, l’AHCC tripartite a convoqué le requérant à une nouvelle audition. Le requérant a présenté des observations par lettre le 24 novembre 2021, puis, le 3 décembre 2021, l’audition du requérant, représenté par son avocat, a eu lieu par vidéoconférence. Enfin, le 18 janvier 2022, l’AHCC a adopté la décision attaquée.
110 Au point 6 de cette dernière, l’AHCC tripartite vise l’avis du conseil de discipline, adopté le 16 avril 2018, erronément daté du 27 du même mois audit point. Toutefois, au point 49 de la décision attaquée, elle écarte le critère, retenu par ce dernier, de la récidive, prévu à l’annexe IX du statut, au motif que « la décision de blâme du 19 novembre 2010 ne figure plus dans le dossier personnel [du requérant] ».
111 Il ressort de ce qui précède que, à la suite du prononcé de l’arrêt initial, l’AHCC tripartite a repris la procédure disciplinaire au stade de l’audition du requérant sans consulter à nouveau le conseil de discipline.
112 Ainsi qu’il ressort du point 62 ci-dessus, dans l’arrêt initial, le Tribunal a jugé que l’AHCC tripartite avait commis une erreur de droit lorsqu’elle s’était fondée, dans la décision du 21 août 2019, au titre de la récidive, sur un blâme infligé au requérant antérieurement aux faits faisant l’objet de ladite décision, alors même qu’il avait été fait droit à sa demande tendant à ce qu’aucune mention de cette sanction ne subsiste dans son dossier individuel. Cette erreur de droit avait conduit
l’AHCC tripartite à prendre en compte illégalement cette sanction en tant que circonstance aggravante.
113 Il ressort de l’arrêt initial que l’erreur de droit affectant la décision du 21 août 2019 et justifiant son annulation a été commise par l’AHCC tripartite.
114 Toutefois, il ne saurait en être déduit que l’illégalité en cause s’est produite au seul stade final de la procédure, auquel l’AHCC tripartite est impliquée, à savoir lors de l’adoption de la décision du 21 août 2019 (voir, par analogie, arrêt du 22 octobre 2008, Tzirani/Commission, F‑46/07, EU:F:2008:129, point 68).
115 À ce titre, d’une part, il convient de relever que le rapport transmis par l’AHCC au conseil de discipline aux fins de sa saisine mentionnait le blâme infligé au requérant par la décision du 19 novembre 2010. Ladite décision était annexée audit rapport, dans lequel l’AHCC tripartite consacrait cinq paragraphes à cette question en tant que, selon elle, celle-ci constituait le passé disciplinaire du requérant. Elle y indiquait que la circonstance que, dans les faits de l’espèce, le requérant avait
agi de façon similaire démontrait que celui-ci n’avait pas tiré les enseignements de cette précédente sanction et continuait à privilégier ses intérêts personnels sur ceux de l’institution. L’AHCC tripartite en a déduit qu’un tel fait constituait une circonstance aggravante.
116 La conclusion de ce rapport indiquait que le requérant, par l’introduction de deux demandes de remboursement ne correspondant pas à la réalité des soins dont il avait bénéficié, avait gravement enfreint les articles 11 et 12 du statut, de sorte que ce comportement, apprécié à la lumière d’un manquement disciplinaire qui lui avait été reproché précédemment, avait définitivement rompu le lien de confiance personnel qui devait exister entre lui et son institution. Ainsi, la conclusion du rapport
était fondée non seulement sur la gravité des faits, mais aussi sur le constat d’une récidive.
117 D’autre part, il ressort de l’avis du conseil de discipline que celui-ci a tenu compte de la sanction infligée au requérant par la décision du 19 novembre 2010. En effet, aux points 94 et 95 dudit avis, le conseil de discipline a relevé que ladite décision avait infligé un blâme au requérant en raison d’une fraude similaire aux faits de l’espèce et a qualifié lesdits faits de constitutifs d’une récidive. Ainsi qu’il ressort des points 97 et 98 de l’avis du conseil de discipline, ce dernier a
considéré que le requérant avait rompu le lien de confiance qui le liait à la Commission et a conclu que la sanction appropriée en l’espèce consistait en la résiliation, sans préavis, de son contrat d’engagement.
118 Le rapport de saisine du conseil de discipline et l’avis de ce dernier sont donc affectés par l’illégalité ayant justifié l’annulation de la décision du 21 août 2019.
119 Par conséquent, l’illégalité est intervenue au stade de la transmission du rapport de l’AHCC au conseil de discipline.
120 La Commission fait toutefois valoir que l’avis du conseil de discipline n’est pas contraignant à l’égard de l’AHCC tripartite. Ainsi, elle soutient, en substance, que le fait que ledit avis tienne compte du critère de la récidive est sans effet sur la légalité de la décision attaquée. En outre, elle soutient que l’AHCC tripartite dispose d’une marge d’appréciation quant à l’utilité d’une nouvelle consultation du conseil de discipline dans des circonstances telles que celles de l’espèce, où aucun
fait nouveau n’est intervenu depuis l’adoption de la décision du 21 août 2019 et où la seule conséquence de l’annulation de cette dernière serait l’impossibilité de prendre en compte le critère de la récidive. L’AHCC tripartite serait à même, dans ce contexte, de déterminer seule la sanction appropriée.
121 Ainsi qu’il résulte d’une interprétation systématique du statut, et en particulier des articles 18, 22 et 25 de son annexe IX, l’avis du conseil de discipline, qui est un organe de caractère consultatif, ne lie pas l’autorité disciplinaire quant à la réalité des faits incriminés (arrêts du 3 juin 2015,Bedin/Commission, F‑128/14, EU:F:2015:51, points 23 à 29, et du 10 juin 2016, HI/Commission, F‑133/15, EU:F:2016:127, points 147 et 148 ; voir, également, arrêt du 29 janvier 1985, F./Commission,
228/83, EU:C:1985:28, point 16).
122 Par ailleurs, il convient de relever que l’AHCC dispose du pouvoir de procéder à une appréciation de la responsabilité du fonctionnaire, différente de celle portée par le conseil de discipline, ainsi que de choisir, par la suite, la sanction disciplinaire qu’elle estime adéquate pour sanctionner les fautes disciplinaires retenues (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2019, DK/SEAE, T‑217/18, non publié, EU:T:2019:571, point 71 et jurisprudence citée).
123 Par conséquent, l’avis du conseil de discipline ne lie pas l’AHCC tripartite.
124 Toutefois, la consultation du conseil de discipline n’en constitue pas moins une obligation procédurale qui s’impose à l’AHCC.
125 En premier lieu, il convient de rappeler que, lorsque la procédure disciplinaire comporte l’intervention du conseil de discipline, c’est-à-dire, compte tenu des dispositions des articles 3 et 11 de l’annexe IX du statut, lorsque l’AHCC ouvre une procédure disciplinaire en envisageant qu’elle puisse conduire à infliger une sanction plus sévère que l’avertissement par écrit ou le blâme, cette intervention constitue un élément essentiel de la procédure, car, d’une part, elle constitue le moment
d’un débat contradictoire approfondi avec, éventuellement, la conduite d’une enquête complémentaire et, d’autre part, l’AHCC se prononce ensuite en tenant compte des travaux du conseil de discipline, c’est-à-dire en tenant compte de son avis motivé adopté à la majorité ainsi que d’éventuelles opinions divergentes exprimées par certains de ses membres, ainsi qu’il résulte des articles 12 à 18 de la même annexe. Ainsi, lorsque l’AHCC s’écarte de l’avis du conseil de discipline, elle doit en
exposer les motifs de manière circonstanciée (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2021, HG/Commission, T‑693/16 P RENV‑RX, EU:T:2021:895, point 170 et jurisprudence citée). Il convient d’ajouter que la Cour a jugé que l’avis même du conseil de discipline pouvait faire l’objet d’une demande en annulation recevable (arrêt du 29 janvier 1985, F./Commission, 228/83, EU:C:1985:28, point 16).
126 Par conséquent, l’intervention du conseil de discipline constitue, lorsque celui-ci doit être saisi comme en l’espèce, une formalité substantielle de la procédure dont un fonctionnaire sanctionné à l’issue de cette procédure doit pouvoir en principe contester l’avis, lorsque l’autorité investie du pouvoir de nomination (AIPN) reprend à son compte l’appréciation des faits par le conseil de discipline (arrêt du 15 décembre 2021, HG/Commission, T‑693/16 P RENV‑RX, EU:T:2021:895, point 170).
127 En second lieu, il convient de rappeler que le droit pour chaque agent de voir son dossier disciplinaire examiné par le conseil de discipline et de voir ce dernier prendre connaissance de l’ensemble des faits reprochés et des circonstances dans lesquelles ils ont été commis constitue une garantie essentielle du respect des droits de la défense (voir, par analogie, arrêt du 26 janvier 1995, D/Commission, T‑549/93, EU:T:1995:15, point 48).
128 L’existence d’un tel droit est corroborée par plusieurs garanties, prévues par le statut, dont bénéficie un agent dans le cadre de la procédure disciplinaire.
129 Premièrement, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, le conseil de discipline est un organe composé paritairement (arrêt du 26 janvier 1995, D/Commission, T‑549/93, EU:T:1995:15, point 48). En outre, aux termes de l’article 6, paragraphe 5, de l’annexe IX du statut, « le fonctionnaire concerné a le droit de récuser un des membres du conseil ».
130 Deuxièmement, le conseil de discipline est un organe devant lequel l’agent peut se défendre (voir, par analogie, arrêt du 26 janvier 1995, D/Commission, T‑549/93, EU:T:1995:15, point 48). Il dispose à cet effet de garanties procédurales. En effet, en application de l’article 16, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut, l’agent concerné « est entendu par le conseil ; à cette occasion, il peut présenter des observations écrites ou verbales, personnellement ou par l’intermédiaire d’un représentant
de son choix » et « [i]l peut faire citer des témoins ».
131 De plus, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, de l’annexe IX du statut, l’agent dispose d’un délai de quinze jours à compter de la date de réception du rapport ouvrant la procédure disciplinaire, prévue à l’article 12, paragraphe 2, de l’annexe IX du statut, pour préparer sa défense. Dans ce contexte, celui-ci a le droit d’obtenir la communication intégrale de son dossier individuel (article 13, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut) et d’être assisté d’une personne de son choix (article 13,
paragraphe 3, de l’annexe IX du statut).
132 En l’espèce, l’AHCC tripartite n’a pas consulté à nouveau le conseil de discipline, alors qu’elle l’avait initialement saisi en lui transmettant un rapport affecté par l’illégalité relevée par le Tribunal dans l’arrêt initial. En se contentant d’écarter le contenu de cet avis, alors qu’elle pouvait déduire dudit arrêt que celui-ci était également affecté par l’illégalité ayant justifié l’annulation de la décision du 21 août 2019, l’AHCC tripartite n’a pas permis au conseil de discipline de tenir
compte, aux fins de la formulation de son avis, du retrait du dossier individuel du requérant de la décision du 19 novembre 2010. En procédant ainsi, l’AHCC tripartite a donc privé le conseil de discipline de la possibilité de tenir compte des seules circonstances dans lesquelles les faits reprochés au requérant avaient été commis et d’évaluer leur gravité.
133 Par conséquent, d’une part, l’AHCC tripartite n’a pas permis que le débat contradictoire approfondi auquel ouvre droit la procédure devant le conseil de discipline ait lieu en pleine connaissance des éléments à la disposition de ce dernier et a privé le requérant du bénéfice des garanties lui permettant d’assurer le respect de ses droits de la défense.
134 D’autre part, l’AHCC tripartite a privé le conseil de discipline de la possibilité de recommander une sanction sur le fondement d’une appréciation des circonstances factuelles exactes qui justifiaient sa saisine. L’AHCC tripartite n’a donc pas pu se voir recommander par le conseil de discipline une sanction qui tenait compte des motifs de l’arrêt initial et desdites circonstances.
135 Eu égard au fait que le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit de l’Union qui s’applique à toute personne et doit être garanti dans toutes les procédures susceptibles d’aboutir à un acte faisant grief (voir arrêt du 14 octobre 2021, Bernaldo de Quirós/Commission, C‑583/19 P, EU:C:2021:844, point 60 et jurisprudence citée) ainsi qu’à la nature de formalité substantielle de la consultation du conseil de discipline, l’absence de caractère contraignant de l’avis
à l’égard de l’AHCC tripartite, relevée au point 123 ci-dessus, est sans influence sur l’obligation à laquelle celle-ci était tenue, afin d’assurer l’exécution de l’arrêt initial et en vertu des dispositions de l’annexe IX du statut, de saisir ledit conseil d’un nouveau rapport dont le contenu tenait compte des motifs de l’arrêt initial. L’AHCC tripartite ne disposait pas de marge d’appréciation à cet égard.
136 Il résulte de ce qui précède que, lors de l’exécution de l’arrêt initial, l’AHCC était tenue de reprendre la procédure au stade de la saisine du conseil de discipline. Elle ne pouvait donc pas, comme elle l’a fait en l’espèce, reprendre cette procédure à un stade ultérieur.
137 Il en découle que l’AHCC tripartite a violé une formalité substantielle au regard de l’article 12 de l’annexe IX du statut en ne saisissant pas à nouveau le conseil de discipline. Ainsi, par ladite violation, celle-ci n’a pas assuré l’exécution de l’arrêt initial tel qu’elle en avait l’obligation en vertu de l’article 266 TFUE et a, par conséquent, violé cette disposition.
138 La Commission fait, toutefois, valoir que, en vertu de la jurisprudence, une irrégularité de procédure ne peut justifier l’annulation d’une décision que lorsque la procédure administrative en cause aurait pu aboutir à un autre résultat si ladite irrégularité n’avait pas été commise. Or, selon elle, le requérant n’a pas démontré qu’une nouvelle consultation du conseil de discipline aurait été susceptible de modifier l’issue de la procédure disciplinaire en cause.
139 Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 126 ci-dessus, l’intervention du conseil de discipline au cours de la procédure disciplinaire revêt le caractère d’une formalité substantielle.
140 Or, il ressort de la jurisprudence que la violation d’une formalité substantielle entraîne l’annulation de l’acte vicié, indépendamment de la question de savoir si cette violation a causé un préjudice à celui qui l’invoque ou si la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent [voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Gordon/Commission, C‑198/07 P, EU:C:2008:761, points 73 et 74 ; du 23 mars 2000, Gogos/Commission, T‑95/98, EU:T:2000:85, points 53 et 54, et du
11 novembre 2014, De Nicola/BEI, F‑52/11, EU:F:2014:243, point 145 ; voir également, par analogie, arrêt du 6 avril 2022, Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific) e.a./Commission, T‑508/19, EU:T:2022:217, point 290].
141 Dès lors, le requérant n’était pas tenu de démontrer qu’une nouvelle consultation du conseil de discipline aurait été susceptible de modifier l’issue de la procédure disciplinaire en cause.
142 En conséquence, l’AHCC tripartite a violé l’article 266 TFUE et l’article 12 de l’annexe IX du statut. Il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen et d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner le troisième moyen.
[omissis]
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre)
déclare et arrête :
1) La décision de la Commission européenne du 18 janvier 2022 infligeant à IP la sanction disciplinaire de résiliation sans préavis de son contrat d’engagement est annulée.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Chaque partie supportera ses propres dépens.
Truchot
Kanninen
Frendo
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 octobre 2024.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le portugais.
( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.