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16/10/2024 | CJUE | N°T-494/23

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, HG contre Commission européenne., 16/10/2024, T-494/23


 ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

16 octobre 2024 ( *1 )

« Fonction publique – Fonctionnaires – Réparation du préjudice subi par l’Union – Recouvrement d’une créance par compensation – Délai de prescription – Droit applicable – Article 98, paragraphe 2, second alinéa, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 – Notion de “circonstances normales” – Décision formelle préalable établissant la créance ayant fait l’objet de recours »

Dans l’affaire T‑494/23,

HG, représenté par Me L. Levi, a

vocate,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Bohr et L. Hohenecker, en qualité d’agents,...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

16 octobre 2024 ( *1 )

« Fonction publique – Fonctionnaires – Réparation du préjudice subi par l’Union – Recouvrement d’une créance par compensation – Délai de prescription – Droit applicable – Article 98, paragraphe 2, second alinéa, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 – Notion de “circonstances normales” – Décision formelle préalable établissant la créance ayant fait l’objet de recours »

Dans l’affaire T‑494/23,

HG, représenté par Me L. Levi, avocate,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Bohr et L. Hohenecker, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),

composé de Mme O. Porchia, présidente, MM. M. Jaeger, L. Madise (rapporteur), P. Nihoul et S. Verschuur, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1 Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, le requérant, HG, demande, d’une part, l’annulation des décisions de la Commission européenne du 10 octobre 2022 (BUDG.C.4.001/AM/444), du 13 octobre 2022 (BUDG.C.4.001/PRS/444), du 11 novembre 2022 (BUDG.C.4.001/AM/444_3), du 12 décembre 2022 (BUDG.C. 4.001/AM/444_4), du 9 janvier 2023 (BUDG.C.4.001/AM/444_5), du 19 janvier 2023 (BUDG.C.4.001/PRS/444_6), du 9 février 2023 (BUDG.C.4.001/LM/444), du 10 mars 2023 (BUDG.C.4.001/LM/444) et du 11 avril 2023
(BUDG.C.4.001/PRS/444) relatives à la compensation de créances le concernant (ci-après les « décisions attaquées ») et, d’autre part, la condamnation de la Commission au remboursement des sommes recouvrées d’un montant de 24092,59 euros, majoré d’intérêts de retard.

Faits

2 Par décision du 10 février 2015 (ci-après la « décision du 10 février 2015 »), la Commission a imposé une sanction disciplinaire au requérant, un de ses fonctionnaires, et l’a condamné à réparer un préjudice subi par l’Union européenne à hauteur de 108596,35 euros sur le fondement de l’article 22, premier alinéa, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »). Cette décision, que le requérant a contestée, est entrée en vigueur le 1er mars 2015.

3 Par arrêt du 15 décembre 2021, HG/Commission (T‑693/16 P‑RENV‑RX, EU:T:2021:895), le Tribunal a notamment réduit le montant de la réparation demandée au requérant à 80000 euros au jour du prononcé de l’arrêt, au motif que la Commission avait contribué à la réalisation du préjudice. Le pourvoi du requérant formé à l’encontre de cet arrêt a été rejeté pour incompétence manifeste de la Cour (ordonnance du 30 juin 2022, HG/Commission, C‑150/22 P, non publiée, EU:C:2022:523).

4 Aucune note de débit n’a été envoyée au requérant entre l’adoption de la décision du 10 février 2015 et le prononcé de l’arrêt du 15 décembre 2021, HG/Commission (T‑693/16 P‑RENV‑RX, EU:T:2021:895). L’ordonnateur compétent de la Commission a adressé une note de débit au requérant datée du 3 mars 2022, pour le montant de 80000 euros, indiquant le 19 avril 2022 comme date limite pour le paiement La demande de retrait de cette note, formulée par le requérant le 18 mars 2022 au motif de l’existence
d’une prescription quinquennale, a été rejetée par l’ordonnateur par courriel du 1er avril 2022. Le 30 mai 2022, le requérant a présenté une réclamation, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut, à l’encontre de la décision de procéder à la récupération du montant de 80000 euros. Le 31 mai 2022, le requérant a reçu une lettre de rappel du comptable. Des échanges ont ensuite eu lieu avec le comptable avant que, par décision du 27 septembre 2022, l’autorité investie du pouvoir de
nomination rejette comme irrecevable la réclamation du 30 mai 2022.

5 À compter du 10 octobre 2022, le requérant s’est vu notifier des décisions successives du comptable tendant à la compensation entre la dette qu’il avait à l’égard de la Commission et son salaire ou d’autres créances qu’il avait sur celle-ci. La compensation sur le salaire mensuel était de 3350 euros et la compensation sur des frais de mission était intégrale. Le requérant a déposé des réclamations contre ces décisions, qui ont été rejetées par décision du 5 mai 2023. Dans cette décision,
l’autorité investie du pouvoir de nomination indique notamment que la prescription quinquennale que le requérant a invoquée sur le fondement du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision
no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier de 2018 ») n’est pas applicable à la situation, qui serait régie par le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1, ci-après le « règlement financier de 2012 »). Ladite
autorité ajoute que, en l’absence de prescription réglementaire applicable, le principe exigeant que l’administration agisse dans un délai raisonnable n’a pas été méconnu compte tenu des circonstances.

6 Le 10 août 2023, le requérant a introduit le présent recours, en demandant notamment, comme indiqué au point 1 ci-dessus, l’annulation des décisions attaquées. Des décisions subséquentes similaires ne font pas l’objet du présent recours.

Conclusions des parties

7 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler les décisions attaquées ;

– en tant que de besoin, annuler la décision du 5 mai 2023 rejetant ses réclamations ;

– condamner la Commission au remboursement des sommes recouvrées au titre des décisions attaquées, soit 24092,59 euros, ce montant devant être augmenté d’un intérêt de retard calculé au taux de la Banque centrale européenne (BCE), augmenté de 2 points ;

– condamner la Commission aux dépens.

8 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours comme non fondé ;

– condamner le requérant aux dépens.

Sur les conclusions en annulation

9 Le requérant demande l’annulation des décisions attaquées et, pour autant que de besoin, de la décision du 5 mai 2023 rejetant ses réclamations. Il ressort d’une jurisprudence constante que des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation formée au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut ont pour effet de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation est présentée lorsqu’elles sont, en tant que telles, dépourvues de contenu
autonome (voir arrêt du 16 janvier 2018, SE/Conseil, T‑231/17, non publié, EU:T:2018:3, point 21 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, EU:C:1989:8, point 8).

10 En l’espèce, les conclusions tendant à l’annulation de la décision de rejet des réclamations sont dépourvues de contenu autonome, en ce sens que cette décision confirme les décisions attaquées, que la situation du requérant n’a pas été réexaminée en fonction d’éléments de droit ou de fait nouveaux et que cette décision ne modifie pas et ne complète pas les décisions attaquées. Par conséquent, les conclusions en annulation présentées par le requérant doivent être comprises comme étant dirigées
contre les décisions attaquées (voir, en ce sens, arrêt du 24 avril 2017, HF/Parlement, T‑584/16, EU:T:2017:282, points 71 et 72 et jurisprudence citée).

11 À l’appui de sa demande en annulation, le requérant soulève trois moyens. Il invoque la violation des articles 98, 100, 101 et 102 du règlement financier de 2018, la violation du principe du respect d’un délai raisonnable et la violation du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude.

Sur le moyen tiré de la violation des articles 98, 100, 101 et 102 du règlement financier de 2018

12 Le requérant soutient pour l’essentiel que la créance est prescrite en vertu de l’article 98, paragraphe 2, second alinéa, du règlement financier de 2018, car la note de débit du 3 mars 2022 n’aurait pas été établie dans le délai de cinq ans prévu par cette disposition depuis le moment où la Commission aurait pu faire valoir sa créance. Il s’ensuivrait que l’ordonnateur compétent aurait dû, conformément à ce qui est prévu à l’article 101, paragraphe 2, sous b), de ce règlement, renoncer à
recouvrer la créance constatée, puisqu’il aurait été « impossible de recouvrer la créance compte tenu […] d’un retard dans l’envoi de la note de débit ainsi que le définit l’article 98, paragraphe 2 ».

13 Le requérant estime que l’applicabilité du règlement financier de 2018 ressort des décisions attaquées, qui le mentionnent comme base juridique. Le fait que les décisions de compensation postérieures à celles faisant l’objet du présent litige qui lui ont été adressées le mentionnent également comme base juridique confirmerait la volonté de la Commission de prendre les décisions en cause sur cette base. La Commission n’aurait pas la possibilité de modifier une base juridique au stade de la
procédure de réclamation, comme elle l’a fait dans la décision de rejet de ses réclamations du 5 mai 2023, en remplaçant la base juridique initialement utilisée par le règlement financier de 2012, qui ne prévoit pas de délai pour adopter une note de débit. Il découlerait du principe de sécurité juridique que la possibilité de changer les motifs d’une décision au stade de la réclamation ne saurait être comprise comme allant jusqu’à permettre d’en changer la base juridique.

14 Le requérant ajoute que la créance de la Commission était liquide, exigible et certaine à partir de l’adoption de la décision du 10 février 2015. Le caractère certain de la créance n’aurait pas été mis en cause par sa contestation, notamment contentieuse, et celle-ci n’aurait pas non plus suspendu le délai pour établir une note de débit. Son caractère liquide, quant à lui, n’aurait pas été affecté par le fait que le montant de la dette, tel qu’il avait été fixé dans la décision du 10 février
2015, a été réduit dans l’arrêt du 15 décembre 2021, HG/Commission (T‑693/16 P‑RENV‑RX, EU:T:2021:895). Ce dernier n’aurait pas donné lieu à une nouvelle créance mais à la réduction d’une créance existante. Enfin, le délai pour établir la note de débit n’aurait pas été suspendu par la contestation du requérant.

15 La Commission conteste l’applicabilité du règlement financier de 2018 au profit de celui de 2012, qui ne prévoit pas de délai pour la communication d’une note de débit.

16 La Commission fait valoir à cet égard que la détermination du règlement applicable devait se faire en fonction du moment à partir duquel sa créance était devenue certaine, liquide et exigible, c’est-à-dire celui de l’adoption de la décision du 10 février 2015. Or, en vertu de l’article 282, paragraphe 2, du règlement financier de 2018, ce dernier ne s’est appliqué qu’à partir du2 août 2018. Aucune disposition transitoire ne prévoirait une application rétroactive du délai de cinq ans mentionné à
l’article 98, paragraphe 2, de ce règlement aux créances déjà exigibles avant son entrée en vigueur. Ainsi, ce délai ne s’appliquerait qu’aux créances devenues certaines, liquides et exigibles après l’entrée en vigueur du règlement financier de 2018, ce qui ne serait pas le cas de la créance en cause.

17 Une interprétation contraire conduirait à l’introduction rétroactive d’un délai pour l’envoi de la note de débit pour des créances déjà exigibles avant l’entrée en vigueur du règlement financier de 2018, qui irait à l’encontre de la sécurité juridique et du principe de bonne gestion et de protection des intérêts financiers de l’Union.

18 En l’espèce, l’applicabilité du règlement financier de 2018 ne saurait résulter du seul fait que les décisions attaquées mentionnent ce règlement comme base juridique, puisque cette base serait erronée et aurait été valablement rectifiée au profit du règlement financier de 2012 dans la décision de rejet des réclamations du 5 mai 2023. En effet, il ressortirait de la procédure de réclamation précontentieuse prévue à l’article 90, paragraphe 2, du statut que l’administration garde la possibilité de
modifier les motifs sur le fondement desquels elle a adopté la décision contestée avant qu’elle ne soit soumise aux juridictions de l’Union. En outre, la Commission souligne que les décisions de compensation postérieures aux décisions attaquées ne font pas partie du litige. Par conséquent, les motifs et les dispositions auxquels elles font référence ne sauraient être pris en compte.

19 Enfin, selon la Commission, le délai de prescription de cinq ans prévu à l’article 81, paragraphe 1, du règlement financier de 2012 n’était pas expiré lors de l’adoption des décisions attaquées, puisqu’il n’avait commencé à courir qu’à partir de la date limite de paiement communiquée au requérant dans la note de débit, soit le 19 avril 2022.

20 L’article 98, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement financier de 2018 prévoit que « [t]oute créance identifiée comme certaine, liquide et exigible est constatée par un ordre de recouvrement par lequel l’ordonnateur compétent donne instruction au comptable de recouvrer la créance » et que « [l]’ordre de recouvrement est suivi d’une note de débit adressée au débiteur, [sauf exception non pertinente en l’espèce] ». L’article 98, paragraphe 2, second alinéa, du règlement financier de 2018 ajoute
que « [l]’ordonnateur envoie la note de débit immédiatement après la constatation de la créance et au plus tard dans un délai de cinq ans à compter du moment où l’institution de l’Union était, dans des circonstances normales, en mesure de faire valoir sa créance ». Cette même disposition précise que « [c]e délai ne s’applique pas dans le cas où l’ordonnateur compétent établit que, malgré les diligences entreprises par l’institution de l’Union, le retard à agir incombe au comportement du
débiteur ».

21 Il doit être observé que, conformément à l’article 282, paragraphe 2, du règlement financier de 2018, les dispositions de l’article 98, paragraphe 2, second alinéa, du même règlement, prévoyant la prescription quinquennale invoquée par le requérant, sont applicables à compter du même jour que celui de l’entrée en vigueur de ce règlement, le 2 août 2018. En effet, les dispositions transitoires prévues à l’article 279 du même règlement et les dates d’applicabilité rétroactives ou différées pour
certaines dispositions, prévues à son article 282, paragraphe 3, ne les concernent pas. L’article 281 du règlement financier de 2018 dispose par ailleurs que, sauf exception non pertinente en l’espèce, le règlement financier de 2012 est abrogé avec effet au 2 août 2018.

22 Ensuite, en ce qui concerne les principes de succession des règles dans le temps, il convient de rappeler qu’une règle nouvelle s’applique en principe immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 1970, Brock, 68/69, EU:C:1970:24, point 7). Les effets futurs d’une situation née sous l’empire d’une règle ancienne doivent se comprendre comme visant les effets actuels de cette situation au moment où la règle nouvelle
trouve à s’appliquer (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2002, D’Hoop, C‑224/98, EU:C:2002:432, point 25 et jurisprudence citée). L’application d’une règle nouvelle aux effets actuels d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne ne constitue pas une application rétroactive de la règle nouvelle (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 1986, Licata/CES, 270/84, EU:C:1986:304, point 31).

23 Ainsi, il est jugé de manière constante qu’une règle nouvelle s’applique à compter de sa date d’applicabilité fixée dans l’acte qui l’instaure et si, en principe, elle ne s’applique pas aux situations juridiques nées et définitivement acquises sous l’empire de la règle ancienne, elle s’applique aux effets futurs de celles-ci ainsi qu’aux situations juridiques nouvelles. Il ressort plus précisément de la jurisprudence que les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à
laquelle elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, de leur finalité ou de leur économie qu’un tel effet doit leur être attribué (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2015, Commission/Moravia Gas Storage, C‑596/13 P, EU:C:2015:203, points 32 et 33 et jurisprudence citée).

24 Il a été aussi jugé que, si une règle de prescription se rapportant à une dette douanière était une règle de fond, car elle régissait la dette douanière elle-même (voir, en ce sens, arrêts du 23 février 2006, Molenbergnatie, C‑201/04, EU:C:2006:136, points 39 à 41, et du 3 juin 2021, Jumbocarry Trading, C‑39/20, EU:C:2021:435, point 35), elle pouvait néanmoins s’appliquer aux effets futurs d’une situation dans laquelle la dette en cause n’était pas définitivement acquise, nonobstant la
circonstance que celle-ci soit née sous l’empire d’une règle antérieure (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Jumbocarry Trading, C‑39/20, EU:C:2021:435, point 38).

25 En l’espèce, la créance de l’Union à l’égard du requérant n’était pas définitivement acquise le 2 août 2018, puisque le requérant avait contesté cette créance et le recours contentieux à ce propos était encore pendant, et, partant, il ne saurait non plus être reconnu que, à la veille de cette date, soit environ trois ans et demi après la décision du 10 février 2015, compte tenu de ces circonstances, la Commission avait définitivement perdu le droit de recouvrer cette créance en raison d’un retard
à mettre en œuvre ce droit. En effet, d’une part, le règlement financier de 2012 ne fixait pas de délai particulier pour l’envoi d’une note de débit et, d’autre part, le délai raisonnable qu’une institution de l’Union doit néanmoins respecter dans ce type de situation pour exercer ses pouvoirs (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2016, Marchiani/Parlement, C‑566/14 P, EU:C:2016:437, point 96 et jurisprudence citée) n’était pas dépassé eu égard aux circonstances. Par conséquent, l’article 98,
paragraphe 2, second alinéa, du règlement financier de 2018 s’applique à l’égard de la créance en cause.

26 Compte tenu de la conclusion qui précède, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les arguments du requérant d’après lesquels la Commission ne pouvait pas changer la base juridique des décisions attaquées dans sa décision de rejet des réclamations du 5 mai 2023.

27 Néanmoins, contrairement à ce que soutient le requérant, la prescription prévue à l’article 98, paragraphe 2, second alinéa, du règlement financier de 2018 ne lui bénéficie pas.

28 En effet, cette disposition prévoit que le délai de prescription de cinq ans court « à compter du moment où l’institution de l’Union était, dans des circonstances normales, en mesure de faire valoir sa créance ».

29 Or, la Commission a pu à bon droit considérer que les circonstances de l’espèce caractérisées par une créance contestée qui pouvait être par la suite annulée ou réduite, comme cela s’est vérifié, puisque le Tribunal l’a réduite de 108596,35 euros à 80000 euros dans l’arrêt du 15 décembre 2021, HG/Commission (T‑693/16 P‑RENV‑RX, EU:T:2021:895), n’ont été normales, au sens de l’article 98, paragraphe 2, second alinéa, du règlement financier de 2018, qu’une fois ledit arrêt devenu définitif.

30 À cet égard, il convient de souligner que, dans une situation procédurale telle que celle de l’espèce où la créance a d’abord dû être établie, au terme d’une procédure particulière, par une décision formelle préalable à sa constatation, une telle interprétation de l’article 98, paragraphe 2, second alinéa, du règlement financier de 2018 est dans l’intérêt d’une bonne administration, parce qu’elle est favorable tant aux intérêts des institutions créancières qu’à ceux de leurs débiteurs ou
d’éventuels tiers concernés, puisqu’elle n’oblige pas en toutes circonstances l’ordonnateur compétent à ordonner le recouvrement de créances contestées dans leur principe ou dans leur montant par les débiteurs avant de connaître le sort définitif de ces créances et sans tenir compte des intérêts précités. En particulier, lorsque la créance existe à l’égard d’un fonctionnaire et que celui-ci la conteste tant dans son principe que dans son montant en demandant l’annulation ou la réformation de la
décision préalable qui l’établit, l’ordonnateur peut, pour déterminer le moment opportun pour constater la créance, ordonner son recouvrement et envoyer la note de débit, notamment prendre en considération, au regard du devoir de sollicitude de l’administration envers ses agents, qui l’oblige à tenir compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi de celui du fonctionnaire concerné (voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 1980, Kuhner/Commission, 33/79 et 75/79, EU:C:1980:139, point 22),
l’importance de la somme en jeu par rapport aux revenus du fonctionnaire et son appréciation de la possibilité que cette somme, en particulier si elle découle de la mise en jeu de la responsabilité du fonctionnaire, soit modifiée par le juge dans l’exercice d’un pouvoir de pleine juridiction.

31 Cette interprétation suit celle de la Cour qui a considéré que, même si une institution était normalement en mesure de faire valoir sa créance à partir de la date à laquelle celle-ci était certaine, liquide et exigible, à savoir, en l’espèce, le 1er mars 2015, date d’effet de la décision du 10 février 2015, il y avait lieu de tenir compte des circonstances propres à l’affaire pour apprécier si l’ordonnateur avait tardé à communiquer une note de débit au débiteur (voir, en ce sens, arrêt du
14 juin 2016, Marchiani/Parlement, C‑566/14 P, EU:C:2016:437, points 103 et 104). À cet égard, la Cour a précisé qu’il y avait notamment lieu de tenir compte de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et des différentes étapes procédurales que l’institution de l’Union avait suivies (arrêt du 14 juin 2016, Marchiani/Parlement, C‑566/14 P, EU:C:2016:437, point 99).

32 Ladite interprétation est aussi conforme à la volonté du législateur de l’Union qui a souhaité introduire les dispositions de l’article 98, paragraphe 2, second alinéa, du règlement financier de 2018, notamment, afin de tenir compte de la jurisprudence rappelée au point 31 ci-dessus, ainsi que cela ressort du point 8 des motifs de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et modifiant le règlement (CE)
no 2021/2002, les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1305/2013, (UE) no 1306/2013, (UE) no 1307/2013, (UE) no 1308/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014, (UE) no 652/2014 du Parlement européen et du Conseil et la décision no 541/2014/UE du Parlement européen et du Conseil [COM/2016/0605 final - 2016/0282 (COD)].

33 S’agissant de la violation alléguée des articles 100 et 102 du règlement financier de 2018, le requérant n’exprime aucun argument pour la soutenir. En vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et des règlements de procédure des juridictions de l’Union, tels qu’interprétés dans le cadre d’une jurisprudence constante, la requête doit contenir les moyens et les arguments invoqués exprimés d’une manière suffisamment claire et précise pour permettre à
la partie défenderesse de préparer sa défense et au juge de statuer, le cas échéant sans avoir à solliciter d’autres informations. À défaut, le grief obscur ou vague est irrecevable (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2019, Tàpias/Conseil, T‑527/16, EU:T:2019:856, points 64 et 65 et jurisprudence citée). Les griefs tirés de la violation des articles 100 et 102 du règlement financier de 2018 sont donc irrecevables.

34 Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la violation des articles 98, 100, 101 et 102 du règlement financier de 2018 doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du délai raisonnable

35 Le requérant soutient que, dans l’hypothèse où le règlement financier de 2012, qui ne précise pas le délai dans lequel une note de débit doit être communiquée, serait applicable, la Commission a méconnu son obligation de respecter un délai raisonnable et le principe de sécurité juridique qui l’empêcherait de retarder indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs.

36 Il doit être constaté que le requérant n’a avancé le moyen tiré de la méconnaissance du délai raisonnable qu’à titre subsidiaire dans l’hypothèse où le règlement financier de 2012 trouverait à s’appliquer. Or, ainsi qu’il est jugé au point 25 ci-dessus, le règlement financier de 2012 ne s’applique pas aux décisions attaquées.

37 Le moyen tiré de la méconnaissance du délai raisonnable doit donc, en tout état de cause, être écarté.

Sur les moyens tirés de la violation du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude

38 Le requérant soutient que l’absence de communication préalable des services de la Commission avec lui sur les modalités de recouvrement de la créance avant l’adoption des décisions attaquées constitue une violation du principe de bonne administration ainsi que du devoir de sollicitude. Notamment, il n’aurait pas été suffisamment informé sur les motifs ayant conduit à procéder à des compensations de créances, sur le calendrier des remboursements ou sur les possibilités d’un plan de rééchelonnement
de sa dette. Le requérant s’étonne aussi que la Commission ait finalement voulu récupérer sa créance en deux ans après en avoir attendu six pour la réclamer.

39 La Commission soutient avoir pris en compte tant les dispositions applicables que les intérêts du requérant en choisissant les modalités de recouvrement par compensation raisonnable sur environ deux ans compte tenu de la rémunération de l’intéressé. De plus, le requérant n’aurait pas fait valoir d’intérêt spécifique à un échelonnement particulier de sa dette. Si tel avait été le cas, la Commission aurait été prête à adapter le plan d’échelonnement.

40 Il doit être relevé que, dans le courriel de l’ordonnateur du 1er avril 2022, rejetant la demande de retrait de la note de débit du 3 mars (voir point 4 ci-dessus), produit par le requérant lui-même, ce dernier a été invité à prendre contact avec les services de la Commission au sujet des modalités de remboursement de sa dette. Or, il ne ressort pas du dossier que le requérant ait effectué une telle démarche, ni qu’il ait commencé spontanément à honorer cette dette, que ce soit avant ou après la
date limite de paiement du 19 avril 2022 mentionnée dans ladite note de débit. Dans ces conditions, en ayant procédé par compensation avec le traitement du requérant ou avec des remboursements de frais, comme l’y oblige l’article 102, paragraphe 1, du règlement financier de 2018, et en retenant d’office un plan d’échelonnement d’environ deux ans laissant à la disposition du requérant un revenu convenable compte tenu de son niveau de rémunération, le comptable de la Commission, en adoptant les
décisions attaquées, n’a violé ni le principe de bonne administration, ni le devoir de sollicitude des institutions envers leurs fonctionnaires.

41 Les moyens tirés de la violation du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude doivent donc être rejetés. Il convient, par suite, de rejeter les conclusions en annulation.

Sur la demande de remboursement

42 Le requérant soutient qu’il a subi un préjudice matériel en raison des décisions attaquées, correspondant au montant total des retenues qu’il a subies, à savoir 24092,59 euros. Il demande le paiement de cette somme, majoré d’intérêts de retard appliqués à compter de chacune des décisions attaquées et calculés selon les modalités indiquées dans ses conclusions.

43 La Commission conteste l’illégalité des décisions attaquées et donc tout préjudice.

44 Les moyens d’annulation des décisions attaquées ayant été rejetés, il apparaît que la demande de condamner la Commission au remboursement des sommes recouvrées ne saurait en tout état de cause prospérer, sans qu’il soit besoin d’examiner la recevabilité d’une telle demande. Il y a dès lors lieu de rejeter la demande de remboursement et, partant, le recours dans son intégralité.

Sur les dépens

45 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

déclare et arrête :

  1) Le recours est rejeté.

  2) HG est condamné aux dépens.

Porchia

Jaeger

Madise

  Nihoul

Verschuur

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 octobre 2024.

Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Dixième chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-494/23
Date de la décision : 16/10/2024

Analyses

Fonction publique – Fonctionnaires – Réparation du préjudice subi par l’Union – Recouvrement d’une créance par compensation – Délai de prescription – Droit applicable – Article 98, paragraphe 2, second alinéa, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 – Notion de “circonstances normales” – Décision formelle préalable établissant la créance ayant fait l’objet de recours.


Parties
Demandeurs : HG
Défendeurs : Commission européenne.

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2024:703

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