GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE BOULOIS c. LUXEMBOURG
(Requête no 37575/04)
ARRÊT
STRASBOURG
3 avril 2012
En l’affaire Boulois c. Luxembourg,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,
Jean-Paul Costa,
Françoise Tulkens,
Josep Casadevall,
Nina Vajić,
Boštjan M. Zupančič,
Elisabet Fura,
Egbert Myjer,
Ján Šikuta,
Ineta Ziemele,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano, juges,
et de Vincent Berger, jurisconsulte,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 31 août 2011 et 22 février 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 37575/04) dirigée contre le Grand-Duché de Luxembourg et dont un ressortissant français, M. Thomas Boulois (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 octobre 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me O. Lang, avocat à Luxembourg. Le gouvernement luxembourgeois (« le Gouvernement ») est représenté par son conseil, Me N. Decker, avocat à Luxembourg.
3. Le requérant alléguait en particulier avoir été privé de son droit à un procès équitable et à l’accès à un tribunal à l’occasion des refus opposés à ses demandes de congé pénal.
4. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Dans la mesure où M. Dean Spielmann, juge élu au titre du Luxembourg, s’est déporté (article 28) et où le gouvernement défendeur a renoncé à l’usage de son droit de désignation, une chambre de ladite section a désigné pour siéger à sa place Mme Françoise Tulkens, juge élue au titre de la Belgique (article 26 § 4 de la Convention et article 29 §§ 1 et 2 du règlement). Le 7 décembre 2006, une chambre de ladite section, composée de Christos Rozakis, président, Loukis Loucaides, Françoise Tulkens, Nina Vajić, Elisabeth Steiner, Khanlar Hajiyev, Sverre Erik Jebens, juges, et de Søren Nielsen, greffier de section, a décidé de communiquer la requête au Gouvernement.
5. Ayant été informé, le 12 décembre 2006, qu’il pouvait présenter des observations écrites en vertu des articles 36 § 1 de la Convention et 44 du règlement, le gouvernement français a fait savoir, le 27 mars 2007, qu’il n’entendait pas se prévaloir de son droit à cet égard.
6. Le 2 septembre 2008, l’examen de l’affaire a été ajourné en attendant l’issue de l’affaire Enea c. Italie (no 74912/01), alors pendante devant la Grande Chambre.
7. Le 14 décembre 2010, à la suite d’un changement dans la composition des sections, une chambre de la deuxième section, composée de Ireneu Cabral Barreto, président, Françoise Tulkens, Danutė Jočienė, Dragoljub Popović, András Sajó, Işıl Karakaş, Guido Raimondi, juges, et de Stanley Naismith, greffier de section, a déclaré, à la majorité, la requête recevable. Elle a par ailleurs conclu, par quatre voix contre trois, à la violation de l’article 6 de la Convention.
8. Le 4 mars 2011, le Gouvernement a demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande chambre en vertu des articles 43 de la Convention et 73 du règlement. Le 11 avril 2011, un collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.
9. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Lors des délibérations finales, Jean-Paul Costa a continué de siéger après l’expiration de son mandat, en vertu des articles 23 § 3 de la Convention et 24 § 4 du règlement.
10. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des mémoires.
11. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 31 août 2011 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
Me N. Decker, avocat, conseil,
Me A. Ferreira Da Silva, avocate,
M. J. Wallendorf, conseiller à la cour d’appel, conseillers ;
– pour le requérant
Me O. Lang, avocat, conseil,
Me R. Schons, avocat, conseiller,
M. T. Boulois,requérant.
La Cour a entendu en leurs déclarations Me Lang et Me Decker.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
12. Le requérant, né en 1972, était détenu au centre pénitentiaire de Schrassig (Luxembourg) à la date de l’introduction de sa requête. Il est actuellement domicilié à Peppange (Luxembourg).
13. Le 15 décembre 1998, il fut placé en détention provisoire.
14. Par un arrêt du 22 octobre 2001, la chambre criminelle de la cour d’appel le condamna à quinze ans de réclusion, dont trois avec sursis, pour coups et blessures volontaires, viol et séquestration avec tortures commis le 10 décembre 1998.
15. Plusieurs décisions judiciaires – communiquées à la Cour par le requérant – statuant sur la question du droit de visite de celui-ci à l’égard de ses trois enfants mineurs furent rendues entre le 14 juin 2001 et le 13 avril 2005, à la suite de son divorce prononcé le 19 octobre 2000.
16. Durant son incarcération, le requérant demanda sa libération conditionnelle, son transfert vers le centre pénitentiaire semi-ouvert de Givenich, ainsi que des autorisations de sortie (« congé pénal »). Ce sont ces dernières demandes qui font l’objet de la présente affaire.
A. La première demande de congé pénal
17. Le requérant indique avoir présenté, au mois d’octobre 2003, une demande de congé pénal auprès du procureur général.
18. A la demande du psychologue du service psycho-socio-éducatif, le requérant expliqua, le 16 octobre 2003, qu’il s’agissait d’une demande de congé pénal d’un jour et qu’il n’était pas opposé à l’idée d’être accompagné pendant ce congé. Il motiva sa demande par des formalités administratives à régler, qu’il énuméra comme suit :
« – passage chez un photographe ou cabine pour obtenir des photos passeport
– passage au ministère du Transport pour renouvellement de mon permis de conduire (certificat médical déjà obtenu...)
– passage à l’ambassade pour le renouvellement de ma carte d’immatriculation consulaire
– passage au commissariat de police de Luxembourg chez Monsieur [B.], section de recherches. Ceci pour reprendre une enveloppe contenant des documents qu’un ancien client requiert
– passage chez le gérant de la banque [B.] de Esch/Alzette
– passage à l’administration des contributions directes à Esch/Alzette
– rencontre de plusieurs amis dans un restaurant dans les alentours de Esch/Alzette
– passage dans mon appartement à Differdange pour ramasser les documents manquants pour le même client
– prendre quelques mesures de pièces que je pourrais préparer dans l’atelier du [centre pénitentiaire]
– passage à la commune de Differdange pour un entretien personnel avec le Bourgmestre (...)
– passage à Luxembourg au domicile de Madame [S.] pour faire connaissance de son mari
– passage à l’étude de mon avocat pour lui remettre les pièces manquantes de mon ancien client
– dans la mesure du possible, passage dans la librairie proche du domicile de [S.] »
Dans sa réponse, le requérant précisait également ceci :
« (...) La partie civile n’est malheureusement pas encore réglée. Loin de là, comme je n’ai même pas encore eu les moyens de verser un acompte. Actuellement je suis toujours occupé à rembourser mes prêts et d’autres dettes envers les différentes administrations selon arrangement pris avec les services contentieux pour éviter une première saisie qui ferait une suite sans fin. (...) »
19. Le 29 octobre 2003, une psychologue délivra une attestation selon laquelle le requérant avait suivi une psychothérapie, entamée le 19 mai 1999 et interrompue le 30 septembre 2002 pour des raisons indépendantes de la volonté de l’intéressé. Elle soulignait que ce dernier était motivé pour comprendre ce qui l’avait amené à commettre les faits et pour tout mettre en œuvre afin de ne pas récidiver. Le 25 novembre 2003, un autre psychologue, qui certifia avoir des entretiens réguliers avec le requérant depuis le début de l’année 2003, souscrivit aux observations faites dans l’attestation du 29 octobre 2003.
20. Le 5 novembre 2003, la déléguée du procureur général d’Etat communiqua au directeur du centre pénitentiaire une note indiquant notamment ceci :
« (...) avec prière de faire informer le détenu Boulois Thomas,
que par décision de la commission pénitentiaire
[la] demande en congé pénal (...) [est] rejetée vu le risque d’expulsion (le ministère de la Justice a été saisi en date du 25 juin 2003, mais n’a pas encore pris de décision). Il existe par ailleurs un risque de fuite, étant donné que le détenu manque d’introspection par rapport à son crime. Avant toute faveur, il doit commencer à payer la partie civile. »
B. La deuxième demande de congé pénal
21. Le 17 janvier 2004, le requérant réitéra sa demande, justifiée par les mêmes motifs et prévoyant le même déroulement pour la journée de congé pénal. Le 27 janvier 2004, son avocat confirma cette demande, en ajoutant notamment ce qui suit :
« (...) le fait d’accorder [au requérant] un jour de congé pénal au cours duquel il pourrait commencer à se réorganiser pour pouvoir reprendre pied dans sa vie [post] carcérale d’indépendant, [est une] mesure qui [va] non seulement dans [le] sens de réinsertion et de resocialisation, mais qui permettrai[t] aussi [au requérant] de commencer le paiement de sa partie civile dans les meilleurs délais. (...)»
22. Le 17 mars 2004, la déléguée du procureur général d’Etat communiqua au directeur du centre pénitentiaire une note qui indiquait notamment :
« (...) avec prière de faire informer le détenu Boulois Thomas,
que par décision de la commission pénitentiaire
la décision de refus du 5 novembre 2003 concernant le congé pénal (...) est maintenue. »
C. Le recours intenté devant les juridictions administratives à la suite du refus des deux demandes de congé pénal
23. Le 25 mai 2004, le requérant introduisit devant le tribunal administratif un recours en annulation contre les décisions de la commission pénitentiaire du 5 novembre 2003 et du 17 mars 2004.
24. Lors de l’audience du 6 décembre 2004, le tribunal administratif souleva d’office la question de savoir s’il était compétent pour connaître du recours en annulation. Le Gouvernement, qui n’avait pas soulevé cette exception, s’en remit à la sagesse du tribunal. Le requérant conclut à la compétence du tribunal.
25. Le 23 décembre 2004, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours en annulation, aux motifs suivants :
« (...) Il y a lieu de distinguer entre les mesures d’administration concernant le traitement d’un détenu en milieu carcéral (telle une décision de placement dans un quartier de plus grande sécurité, notamment un placement en régime cellulaire strict, cf. trib. adm. 10 juillet 2002, no 14568 du rôle) qui sont des décisions administratives prises dans le cadre de l’exécution du service pénitentiaire, d’une part, et les décisions susceptibles de modifier la nature ou les limites d’une peine prononcée par les juridictions judiciaires, auxquelles il convient de reconnaître une nature judiciaire et non pas administrative, d’autre part.
En l’espèce, force est de constater que l’octroi ou le refus de la faveur d’un congé pénal présente le caractère d’une mesure qui modifie les « limites » de la peine à laquelle l’intéressé a été condamné par la juridiction judiciaire.
Ainsi, les deux décisions attaquées ont une nature judiciaire.
Par conséquent, eu égard à leur nature ci-avant dégagée, les décisions litigieuses ne sont pas susceptibles d’un recours contentieux devant les juridictions administratives (...) »
26. Le 14 avril 2005, la cour administrative confirma ce jugement, dans les termes suivants :
« Le [requérant] estime que c’est à tort que le tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître de son recours en faisant valoir les arguments suivants : il n’existe pas d’autre recours contre une telle décision de refus, de sorte que l’article 2(1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif doit s’appliquer ; les décisions attaquées ne modifient pas les limites de la peine ; le tribunal a commis un déni de justice et contrevenu à l’article [6 § 1] de la [Convention] en privant l’intéressé d’un procès équitable.
(...) Le cas du [requérant] concerne une demande en bénéfice d’un congé pénal, soit d’une décision qui modifie la nature de l’exécution de la peine prononcée par les juridictions judiciaires et à laquelle il convient par conséquent de reconnaître une nature judiciaire et non pas administrative.
Le terme de « limites de la peine à laquelle l’intéressé a été condamné » employé par le tribunal n’est pas à comprendre dans le cas d’espèce comme limite dans le temps, mais dans un sens large comme mode d’exécution de la peine.
C’est partant à bon droit que le tribunal administratif s’est déclaré incompétent pour connaître de la demande.
La constatation par les juridictions administratives de leur incompétence d’attribution ne saurait être interprétée comme acte de volonté desdites juridictions de ne pas statuer, de sorte que le reproche d’un déni de justice est à écarter comme non fondé.
L’article [6 § 1] de la [Convention] n’est pas applicable par rapport à un organe sans pouvoir décisionnel au fond. (...) »
D. Les autres demandes de congé pénal présentées par le requérant et refusées par la commission pénitentiaire
27. Le 11 août 2004, le requérant formula une troisième demande de congé pénal précisant notamment ceci :
« (...) j’ai suivi avec succès plusieurs cours auprès de la CEP-L [chambre des employés privés] et j’aimerais bien pouvoir continuer les cours en voie d’obtention des diplômes respectifs.
Il s’agit de diplômes de comptable ainsi que de l’utilisateur bureautique (PC). J’ai bien passé les cours précédents, mais pour des raisons de faisabilité il devient indispensable de pouvoir se rendre au cours même de la CEP-L lors des sessions d’automne. (...) »
28. Par une décision du 21 septembre 2004, la demande fut rejetée, au motif que le requérant pouvait suivre des cours au centre pénitentiaire et qu’il n’avait pas encore fait d’effort substantiel pour indemniser la victime. La décision renvoyait pour le surplus à la motivation de celle du 5 novembre 2003.
29. Le requérant formula une quatrième demande de congé pénal – qu’il n’a produite pour la première fois que devant la Grande Chambre –, datée du 14 octobre 2004 et motivée par le souhait de passer une journée avec ses enfants le week-end de la Saint-Nicolas.
30. Par une décision du 14 décembre 2004, cette demande fut refusée, le droit de visite à l’égard de ses enfants n’étant pas encore clairement établi.
31. Dans une cinquième demande, présentée le 24 février 2005, le requérant soutenait, notamment, qu’il lui était incompréhensible, en vue de sa resocialisation, qu’on lui refusât l’accès aux derniers cours nécessaires à l’obtention des diplômes de comptable et d’utilisateur bureautique. Il ajoutait que sa demande de congé pénal était motivée par le renouvellement de ses documents d’identité et de son permis de conduire, ainsi que par la mise en place d’une solution de remboursement de ses dettes envers les différentes institutions et la partie civile.
32. Le 23 mars 2005, sa demande fut refusée faute de motivation.
33. Le 12 juillet 2005, une sixième demande de congé pénal fut refusée en raison d’un risque de non-retour.
34. Le 4 mai 2006, une septième demande de congé pénal fut rejetée, au motif que l’intéressé ne faisait aucun effort notamment pour indemniser la partie civile et qu’il refusait de se conformer aux conditions qui lui étaient imposées.
E. Les développements ultérieurs jusqu’à la sortie de prison du requérant
35. A la suite du refus opposé le 4 mai 2006, le requérant saisit le parquet général à cinq reprises entre les 10 mai et 29 octobre 2006. Il demandait, d’une part, une assistance dans la mise en place d’un plan de remboursement adapté à sa situation et aux exigences de la partie civile et, d’autre part, une explication quant aux conditions qui lui étaient imposées en vue d’une resocialisation afin qu’il puisse s’y conformer. Par une lettre du 6 novembre 2006, le délégué du procureur général d’Etat lui indiqua que, en l’état actuel, il n’entendait pas répondre aux différents courriers qui, selon lui, n’appelaient aucun commentaire.
36. Le 20 novembre 2006, le procureur général d’Etat accusa réception d’une demande d’entrevue du requérant et lui indiqua qu’il le rencontrerait lors de l’un de ses prochains passages au centre pénitentiaire. Le requérant affirme ne pas avoir reçu la visite en question.
37. Le 31 octobre 2008, la commission pénitentiaire accorda un congé pénal d’un jour, à condition que le requérant soit pris et ramené par sa nouvelle compagne, chez qui il devait passer la journée.
38. Entre le 12 décembre 2008 et le 19 juin 2009, le requérant se vit accorder à cinq reprises un congé pénal de deux jours consécutifs, à passer auprès de sa compagne.
39. Le 20 mars 2009, son transfert au centre pénitentiaire semi-ouvert de Givenich fut accordé. Le même jour et par une décision séparée, le requérant se vit octroyer un congé pénal de dix jours pour rechercher un emploi et accomplir des démarches administratives, ainsi que la semi-liberté une fois qu’il aurait trouvé un travail.
40. Le 24 juin 2009, le requérant signa un contrat de réinsertion professionnelle en tant que cuisinier.
41. Le 25 septembre 2009, la libération conditionnelle lui fut accordée.
42. Par trois décisions (rendues le 25 septembre 2009, le 11 décembre 2009 et le 26 février 2010), le requérant se vit refuser la suspension de sa peine, dont l’échéance était prévue pour le 12 octobre 2010.
43. Le 10 février 2010, le requérant constitua une société unipersonnelle dont il est le gérant.
44. Le 15 juillet 2010, la suspension de sa peine lui fut accordée. Il ressort des observations du requérant que celui-ci quitta définitivement le centre pénitentiaire de Givenich à cette date.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La législation relative à l’exécution des peines privatives de liberté
45. L’article 1er de la loi du 26 juillet 1986 « relative à certains modes d’exécution des peines privatives de liberté » (« la loi de 1986 ») énumère les différentes modalités possibles d’exécution d’une peine privative de liberté :
« L’exécution d’une peine privative de liberté peut comporter l’une des modalités suivantes : exécution fractionnée, semi-liberté, congé pénal, suspension de la peine, libération anticipée. »
1. La définition du congé pénal
46. L’article 6 de la loi de 1986 définit le congé pénal comme suit :
« Le congé pénal constitue une autorisation de quitter l’établissement pénitentiaire, soit pendant une partie de jour, soit pendant des périodes de vingt-quatre heures, ce temps comptant pour la computation de la durée de la peine. »
2. Les conditions pour bénéficier d’un congé pénal
47. L’article 7 de la loi de 1986 précise ceci au sujet des objectifs du congé pénal :
« Cette faveur peut être accordée aux détenus ayant leur domicile ou leur résidence au pays, soit pour des raisons familiales, soit pour préparer leur reclassement et leur réinsertion dans la vie professionnelle, soit pour servir de mise à l’épreuve, en vue de l’application de la libération conditionnelle. »
48. L’article 8 de la loi de 1986 prévoit que cette mesure peut intervenir, pour les condamnés primaires, à l’expiration d’un tiers de la peine.
49. L’article 13 de la loi de 1986 dispose ceci :
« Pour l’application des modalités prévues par la présente loi, il est tenu compte de la personnalité du condamné, de son évolution et du danger de récidive. »
Le commentaire de cette disposition, joint au projet de loi lors de son dépôt, précise que l’octroi du bénéfice des modes d’exécution des peines « ne sera jamais de droit et relèvera toujours, en fin de compte, de l’appréciation souveraine de l’autorité chargée de l’exécution des peines qui se décidera librement en fonction des informations qu’elle aura pu obtenir sur les dispositions du condamné ».
50. Selon un règlement grand-ducal du 19 janvier 1989 « (...) fixant les modalités d’octroi du congé pénal », celui-ci peut être accordé à la demande de l’intéressé ou de son mandataire (article 4) ; la demande doit être présentée par écrit, sauf lorsque le détenu ne peut ou ne sait pas écrire. L’intervalle entre des congés successifs doit, sauf circonstance spéciale, être d’au moins un mois (article 5). En cas de rejet d’une demande de congé pénal, une nouvelle demande ne peut être formée, sauf en cas de survenance d’éléments nouveaux, avant l’expiration d’un délai de deux mois (article 6).
3. La procédure applicable aux demandes de congé pénal
51. L’article 12 de la loi de 1986 dispose :
« Pour les peines privatives de liberté supérieures à deux ans (...) les mesures prévues par la présente loi (...) sont prises par le procureur général d’Etat ou son délégué, de l’accord majoritaire d’une commission comprenant, outre le procureur général d’Etat ou son délégué, un magistrat du siège et un magistrat d’un des parquets.
(...)
La commission est convoquée par le procureur général d’Etat ou son délégué. La présidence est assurée par le magistrat du siège.
A l’exception du procureur général d’Etat ou de son délégué, les membres titulaires ainsi que leurs suppléants sont nommés par arrêté ministériel pour une durée de trois ans. Leur mandat est renouvelable. »
4. La Recommandation no 30 du médiateur du Grand-Duché de Luxembourg relative à une nouvelle répartition des compétences en matière d’exécution des peines privatives de liberté, et ses suites
52. Dans une recommandation no 30, relatée dans son rapport d’activité du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2008, le médiateur a jugé nécessaire un remaniement du système d’exécution des peines au Luxembourg et préconisé la création de la fonction de juge à l’application des peines. Il estimait que ce dernier devait, à l’issue d’une procédure contradictoire, rendre une décision susceptible d’appel sur les demandes qui lui seraient soumises en matière de congé pénal.
53. Dans son rapport d’activité du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2010, le médiateur a pris acte de ce que le ministre de la Justice s’était prononcé, dans le cadre d’un article publié par un quotidien luxembourgeois, pour l’idée de voir attribuer à une instance judiciaire certaines compétences actuellement dévolues au délégué à l’exécution des peines ou à la commission pénitentiaire. Le 22 décembre 2011, le ministre de la Justice a présenté les grandes lignes de sa réforme pénitentiaire. Cette dernière comprend un projet de loi, approuvé par le gouvernement en conseil le 16 décembre 2011, portant réforme de l’exécution des peines en créant, notamment, une chambre de l’application des peines. Ce projet de loi doit à présent suivre les voies de la procédure législative.
B. La pratique en matière de congé pénal : les statistiques fournies par le Gouvernement
54. Il existe au Luxembourg deux centres pénitentiaires, pour une population carcérale d’environ sept cents personnes : les détenus sont majoritairement emprisonnés au centre pénitentiaire de Luxembourg, qui constitue une structure d’accueil fermée. Dans la structure semi-ouverte, le centre pénitentiaire de Givenich, sont principalement détenues des personnes en fin de peine ou purgeant une peine moins importante, dont la plupart se rendent quotidiennement sur leur lieu du travail.
55. Le Gouvernement estime nécessaire de distinguer selon que les demandes de congé pénal sont présentées par les détenus de l’un ou l’autre des centres pénitentiaires.
1. Les demandes de congé pénal présentées par les personnes détenues au centre pénitentiaire de Luxembourg
56. En 2009, 146 demandes de congé pénal ont été accordées et 169 ont été refusées, contre 114 et 128, respectivement, en 2010.
57. Le Gouvernement observe que de nombreuses demandes de congé pénal sont vouées à l’échec en ce qu’elles sont formulées avant que la loi ne le permette, c’est-à-dire soit parce que les détenus n’ont pas purgé le tiers (pour les détenus primaires) ou la moitié (pour les récidivistes) de leur peine, soit parce que la demande est présentée moins de deux mois après la notification d’une réponse négative donnée à une précédente demande.
2. Les demandes de congé pénal présentées par les personnes détenues au centre pénitentiaire semi-ouvert de Givenich
58. En 2009, 376 demandes de congé pénal ont été accordées et 192 ont été refusées, contre 409 et 191, respectivement, en 2010.
III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT
A. La Recommandation no R (82) 16 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres sur le congé pénitentiaire (adoptée le 24 septembre 1982)
59. La recommandation indique notamment ce qui suit :
« Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,
(...)
Considérant que le congé pénitentiaire est un des moyens de faciliter la réintégration sociale du détenu ;
Vu l’expérience acquise dans ce domaine,
Recommande aux gouvernements des Etats membres :
1. d’accorder le congé pénitentiaire dans la plus large mesure possible pour des raisons médicales, éducatives, professionnelles, familiales et d’autres raisons sociales ;
2. de prendre en considération pour l’octroi du congé :
– la nature et la gravité de l’infraction, la durée de la peine prononcée ainsi que le temps de la peine déjà subie,
– la personnalité et le comportement du détenu de même que le risque qu’il peut présenter pour la société,
– la situation familiale et sociale du détenu qui peut avoir changé au cours de sa détention,
– le but du congé, sa durée et ses modalités ;
3. d’accorder un congé pénitentiaire dès que possible et aussi fréquemment que possible compte tenu de ce qui précède ;
4. de faire bénéficier du congé pénitentiaire non seulement les personnes détenues dans les prisons ouvertes, mais aussi les personnes détenues dans les prisons fermées, à condition que cela ne soit pas incompatible avec la sécurité publique ;
(...)
9. de donner dans la plus large mesure possible au détenu les raisons du refus d’un congé pénitentiaire ;
10. de prévoir la possibilité de réexaminer un refus ;
(...) »
B. La Recommandation Rec(2003)23 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée (adoptée le 9 octobre 2003)
60. La recommandation se lit comme suit dans ses parties pertinentes :
« Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,
(...)
Considérant la pertinence des principes contenus (...) notamment [dans] la Recommandation no R (82) 16 sur le congé pénitentiaire ;
(...)
1. Aux fins de la présente recommandation, (...) [un] détenu de longue durée est une personne purgeant une ou plusieurs peines de prison d’une durée totale de cinq ans ou plus.
(...)
2. Les buts de la gestion des (...) détenus de longue durée devraient être (...) d’accroître et d’améliorer la possibilité pour ces détenus de se réinsérer avec succès dans la société et de mener à leur libération une vie respectueuse des lois.
(...)
23 b. Il faudrait déployer des efforts particuliers pour permettre l’octroi de diverses formes de congé pénitentiaire, sous escorte si nécessaire, tenant compte des dispositions contenues dans la Recommandation no R (82) 16 sur le congé pénitentiaire.
(...) »
C. La Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres sur les règles pénitentiaires européennes (adoptée le 11 janvier 2006)
61. La recommandation indique notamment ceci :
« Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,
(...)
Soulignant que l’exécution des peines privatives de liberté et la prise en charge des détenus nécessitent la prise en compte des impératifs de sécurité, de sûreté et de discipline et doivent, en même temps, garantir (...) une prise en charge permettant la préparation à leur réinsertion dans la société ;
(...)
Approuvant encore une fois les normes contenues dans les recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (...) et plus spécifiquement (...) Rec(2003)23 concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée ;
(...)
103.2 Dès que possible après l’admission, un rapport complet doit être rédigé sur le détenu condamné décrivant sa situation personnelle, les projets d’exécution de peine qui lui sont proposés et la stratégie de préparation à sa sortie.
103.3 Les détenus condamnés doivent être encouragés à participer à l’élaboration de leur propre projet d’exécution de peine.
103.4 Ledit projet doit prévoir dans la mesure du possible (...) une préparation à la libération.
(...)
103.6 Un système de congé pénitentiaire doit faire partie intégrante du régime des détenus condamnés.
(...)
107.1 Les détenus condamnés doivent être aidés, au moment opportun et avant leur libération, par des procédures et des programmes spécialement conçus pour leur permettre de faire la transition entre la vie carcérale et une vie respectueuse du droit interne au sein de la collectivité.
107.2 Concernant plus spécialement les détenus condamnés à des peines de plus longue durée, des mesures doivent être prises pour leur assurer un retour progressif à la vie en milieu libre.
(...) »
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
62. Le requérant estime avoir été privé de son droit à un procès équitable et à l’accès à un tribunal à l’occasion du refus opposé à ses demandes de congé pénal. Il allègue la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente dispose ce qui suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
A. L’arrêt de la chambre
63. Dans son arrêt du 14 décembre 2010, la chambre a jugé que l’article 6 de la Convention n’était pas applicable sous son volet pénal. En revanche, elle a décidé que le grief du requérant était compatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, pour autant qu’il avait trait à l’article 6 sous son volet civil. Elle a estimé que le requérant pouvait, de manière défendable, soutenir qu’il disposait, en tant que détenu, d’un droit à l’octroi d’un congé pénal dès lors qu’il remplissait l’ensemble des conditions prévues par la législation. Par ailleurs, à ses yeux, les restrictions au droit à un tribunal que le requérant alléguait avoir subies dans le cadre de ses demandes de congé pénal concernaient un ensemble de droits que le Conseil de l’Europe a reconnus aux détenus par des règles pénitentiaires européennes, adoptées par le Comité des Ministres et précisées dans trois recommandations. La chambre en a conclu que l’on pouvait constater l’existence d’une contestation sur des « droits » au sens de l’article 6 § 1. Quant au « caractère civil » de ces droits, elle a rappelé que la procédure relative aux différentes demandes de congé pénal mettait en cause l’intérêt du requérant à réorganiser sa vie professionnelle et sociale à sa sortie de prison. Selon elle, les demandes de congé pénal étaient motivées par le souhait de l’intéressé de suivre des cours en vue de l’obtention de diplômes de comptable et d’utilisateur bureautique, et par celui d’accomplir des formalités administratives auprès de sa banque et de différentes institutions, qu’il s’agisse notamment du renouvellement de son permis de conduire ou de sa carte d’immatriculation consulaire. La chambre a estimé que la restriction alléguée par le requérant, outre ses retombées patrimoniales, relevait des droits de la personne, eu égard à l’importance de son intérêt à retrouver une place dans la société. Elle a considéré qu’une resocialisation était capitale pour la protection du droit du requérant de mener une vie privée et de développer son identité sociale. Elle en a déduit que le litige en question portait sur un droit de caractère civil.
64. La chambre a conclu à la violation de l’article 6 de la Convention, aux motifs que la commission pénitentiaire ne satisfaisait pas aux exigences requises d’un « tribunal » au sens de l’article 6 § 1 et que l’absence de toute décision sur le fond avait vidé de sa substance le contrôle exercé par le juge administratif sur les décisions de cette commission.
B. Les arguments des parties
1. Le Gouvernement
a) Sur l’applicabilité de l’article 6 de la Convention
65. Le Gouvernement plaide l’inapplicabilité de l’article 6 de la Convention au présent litige.
66. Rappelant les principes retenus par la jurisprudence de la Cour en la matière, il estime que le requérant ne bénéficiait pas d’un « droit » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
67. Selon le Gouvernement, il résulte clairement du libellé de la loi nationale que l’octroi d’un congé pénal ne constitue qu’une faveur dont le bénéfice n’est pas de droit.
68. Un arrêt de la cour d’appel du 9 février 2000 se serait indirectement prononcé sur la question de la nature de l’octroi du congé pénal : dans une affaire où la responsabilité des pouvoirs publics était recherchée à raison de faits dommageables causés par un détenu au cours de son congé pénal, la cour d’appel aurait précisé que, en prévoyant que les détenus pourraient bénéficier de certaines mesures permettant de favoriser le maintien de leurs liens familiaux et la préparation de leur réinsertion sociale, le législateur a fait naître pour les tiers un risque spécial dont la réparation incombe à la puissance publique.
69. Par ailleurs, la commission pénitentiaire disposerait d’un pouvoir d’appréciation souverain en la matière. En effet, le législateur n’aurait pas imposé d’obligation absolue d’accorder le congé pénal : à supposer même que les différents critères établis par l’article 7 de la loi de 1986 se trouvent remplis, la commission pénitentiaire aurait toute latitude pour apprécier si l’intéressé mérite cette faveur. Le Gouvernement en conclut que c’est à tort que l’arrêt de chambre a jugé que le requérant pouvait prétendre à un droit au congé pénal dès lors que les critères étaient réunis. Il estime que, même dans une telle hypothèse, la loi autorise les membres de la commission pénitentiaire à refuser la demande. Chaque cas serait en effet examiné en tenant compte de la nature et des circonstances de l’infraction commise, ainsi que de la personnalité du détenu.
70. Le Gouvernement ajoute que c’est à tort que la chambre a déduit l’existence de droits dans le chef du requérant sur la base des règles pénitentiaires européennes adoptées par le Comité des Ministres. Les recommandations, en tant que textes fixant des lignes directrices pour les Etats membres en vue d’harmoniser les règles en vigueur, ne constitueraient une source ni du droit national ni du droit international. Elles accorderaient aux Etats membres une large marge d’appréciation dans l’octroi du congé pénal et ne viseraient pas à créer un droit absolu à celui-ci, sans condition particulière, chaque fois qu’un détenu le réclame. En effet, selon le Gouvernement, les Etats membres sont obligés d’instaurer dans leur système juridique une politique de resocialisation, mais la manière dont ils procèdent pour ce faire ressort de leur pouvoir.
71. Le Gouvernement conteste en outre tout « caractère civil » au « droit » allégué par le requérant.
72. Il estime, d’une part, que la chambre a écarté à juste titre les motifs d’ordre familial invoqués par le requérant, ses demandes de congé pénal n’ayant pas été motivées par une rencontre avec ses enfants. D’autre part, le requérant ne pourrait prétendre que le refus du congé pénal l’aurait freiné dans ses tentatives de réinsertion. En effet, pour le Gouvernement, le système luxembourgeois offre aux détenus un large éventail de moyens en la matière, par le biais notamment d’un suivi psychologique et de possibilités de formation, dont le requérant a d’ailleurs pu bénéficier.
73. Enfin, le Gouvernement expose que l’affaire Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, CEDH 2009) se distingue de la présente affaire, dans laquelle le requérant, incarcéré selon le régime cellulaire commun, n’aurait subi que les restrictions inhérentes à toute peine privative de liberté.
b) Sur le fond
74. Le Gouvernement estime que la commission pénitentiaire remplit les conditions de l’article 6 § 1 de la Convention, sur le plan tant de l’indépendance que de l’impartialité. Ni l’institution de cet organe ni le fait que les juridictions administratives se sont déclarées incompétentes pour connaître du recours du requérant ne porteraient atteinte à la substance même d’un éventuel droit de ce dernier. En effet, la commission rendrait une décision motivée de refus ou d’octroi du congé pénal sur la base d’éléments objectifs et le détenu aurait la faculté de présenter autant de demandes de congé pénal qu’il le souhaite.
2. Le requérant
a) Sur l’applicabilité de l’article 6 de la Convention
75. Le requérant estime qu’il bénéficiait d’un « droit » au sens de l’article 6 de la Convention.
76. Il rappelle que la réunion des conditions objectives posées aux articles 7 et 8 de la loi de 1986 ne permet pas à elle seule l’octroi automatique du congé pénal, dès lors que l’article 13 de la loi exige en outre qu’il soit tenu compte de la personnalité du condamné, de son évolution et du danger de récidive. Il soutient que, la période « expiatoire » minimale – c’est-à-dire celle pendant laquelle il devait rester en détention sans pouvoir sortir – étant selon l’article 8 terminée au tiers de sa peine, il pouvait prétendre à partir de ce moment-là à un droit de bénéficier d’un congé pénal, quitte à ce que la commission estime que les critères de l’article 13 n’étaient pas remplis. Si, certes, le Gouvernement qualifie, à juste titre au vu de l’article 13, de « discrétionnaire » la décision prise par la commission, l’existence de ce pouvoir, légitime en matière d’exécution des peines, serait parfaitement conforme au principe de prééminence du droit, dès lors qu’il peut faire l’objet d’un contrôle. Or, lorsqu’un tel contrôle fait défaut, ce pouvoir deviendrait arbitraire. Le requérant en conclut qu’à partir du moment où les conditions énumérées aux articles 7 et 8 de la loi de 1986 étaient respectées, il disposait, au moins de manière défendable, du droit de voir sa demande de congé pénal examinée au regard des critères subjectifs de l’article 13 de ladite loi. Ainsi, le pouvoir discrétionnaire de la commission pénitentiaire ne permettrait-il aucunement d’exclure la qualification de « droit » pour la mesure litigieuse (voir, mutatis mutandis, H. c. Belgique, 30 novembre 1987, § 43, série A no 127-B).
77. Le requérant en voudrait pour preuve le fait, d’une part, que le bâtonnier de l’Ordre des avocats lui avait accordé l’assistance judiciaire dans ses démarches auprès de la commission pénitentiaire et des juridictions administratives (voir, mutatis mutandis, Z et autres c. Royaume‑Uni [GC], no 29392/95, § 89, CEDH 2001-V) et, d’autre part, que le délégué du Gouvernement avait accepté de débattre, sans aucune réserve, du fond de l’affaire qui était soumise au tribunal administratif. Il ajoute que le médiateur semble reconnaître le droit au congé pénal lorsqu’il plaide pour l’instauration d’un juge de l’application des peines. Il invoque également un passage des travaux parlementaires de la loi de 1986 qui met l’accent sur des peines qui préparent l’avenir en liberté lorsque la resocialisation est possible.
78. Le requérant ajoute que le congé pénal constitue également un droit au Luxembourg parce qu’il s’agit d’une mesure qui reflète un principe de droit international généralement reconnu par les Etats membres du Conseil de l’Europe et même, au-delà, par les Nations unies. Selon lui, pour appuyer la reconnaissance d’un « droit » dans l’ordre interne, la chambre s’est valablement référée à la jurisprudence de l’arrêt Enea (précité), qui cite les recommandations du Comité des Ministres, dépourvues certes de valeur contraignante, mais révélant un ensemble de droits dont les détenus des Etats membres sont titulaires.
79. Le requérant estime ensuite que son droit revêtait un « caractère civil ». Il dénonce la privation de toute perspective de réinsertion durant les cinq ans où il s’est vu refuser ses demandes de congé pénal. Il souligne que, en effet, le congé pénal doit promouvoir et favoriser les efforts de resocialisation et de réintégration du condamné temporairement mis à l’écart de la société.
b) Sur le fond
80. Le requérant estime qu’aucune des garanties de l’article 6 de la Convention n’a été respectée, que ce soit devant la commission pénitentiaire ou devant les juridictions administratives. Il met notamment en cause l’indépendance et l’impartialité de la commission pénitentiaire, composée de deux membres du ministère public. Il souligne que la déléguée du procureur général à l’exécution des peines qui a siégé au sein de la commission pénitentiaire qui a refusé ses deux premières demandes de congé pénal était précisément la même personne qui, en tant qu’avocat général assumant les fonctions de ministère public, avait requis contre lui devant la cour d’appel qui avait prononcé sa condamnation. D’un point de vue procédural, il déplore qu’il n’y ait pas eu d’audience et de débats.
C. L’appréciation de la Grande Chambre
1. Sur l’applicabilité de l’article 6 de la Convention
81. La Cour estime que l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement au titre de l’inapplicabilité de l’article 6 de la Convention est si étroitement liée à la substance du grief du requérant qu’il y a lieu de la joindre au fond de la requête.
2. Sur le fond
a) Considérations générales
82. La Cour réaffirme sa jurisprudence bien établie selon laquelle, d’une manière générale, les détenus continuent de jouir de tous les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention, à l’exception du droit à la liberté lorsqu’une détention régulière entre expressément dans le champ d’application de l’article 5 de la Convention. Il serait inconcevable qu’un détenu soit déchu de ces droits et libertés du simple fait qu’il se trouve incarcéré à la suite d’une condamnation (Hirst c. Royaume‑Uni (no 2) [GC], no 74025/01, §§ 69-70, CEDH 2005‑IX, Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, § 67, CEDH 2007‑V, et Stummer c. Autriche [GC], no 37452/02, § 99, CEDH 2011).
83. La Cour a également eu l’occasion de reconnaître le but légitime d’une politique de réinsertion sociale progressive des personnes condamnées à des peines d’emprisonnement (Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, § 72, CEDH 2002‑VIII, Maiorano et autres c. Italie, no 28634/06, § 108, 15 décembre 2009, et Schemkamper c. France, no 75833/01, § 31, 18 octobre 2005).
84. En l’espèce, la Cour rappelle que le requérant invoque l’article 6 de la Convention pour se plaindre du refus de ses demandes de congé pénal. Il appartient donc à la Cour d’examiner dans un premier temps si le grief du requérant est compatible ratione materiae avec cette disposition.
85. La Grande Chambre estime, avec la chambre, que le volet pénal de l’article 6 § 1 de la Convention n’entre pas en jeu, le contentieux pénitentiaire ne concernant pas, en principe, le bien-fondé d’une « accusation en matière pénale » (Enea, précité, § 97).
86. La Cour doit dès lors analyser si le requérant disposait d’un « droit de caractère civil », afin d’apprécier si les garanties procédurales prévues à l’article 6 § 1 de la Convention étaient applicables au litige portant sur ses demandes de congé pénal.
87. En vertu de la jurisprudence traditionnelle de la Cour, l’examen des demandes de mise en liberté provisoire ou des questions relatives aux modalités d’exécution d’une peine privative de liberté ne tombe pas sous le coup de l’article 6 § 1 (Neumeister c. Autriche, 27 juin 1968, p. 19, §§ 22 et 23, série A no 8, Lorsé et autres c. Pays-Bas (déc.), no 52750/99, 28 août 2001, et Montcornet de Caumont c. France (déc.), no 59290/00, CEDH 2003‑VII).
88. Il est vrai que la Cour a récemment jugé qu’un droit de « caractère civil » était en cause, par exemple, s’agissant de visites des membres de la famille ou de la correspondance d’un détenu (Enea, précité, § 119, et Ganci c. Italie, no 41576/98, §§ 20-26, CEDH 2003-XI). De l’avis de la Cour, cette jurisprudence ne concerne cependant pas la situation qui lui est soumise en l’espèce.
89. Afin de savoir si, en l’espèce, l’article 6 § 1 de la Convention, sous son volet civil, s’appliquait aux procédures concernant les demandes de congé pénal du requérant, il s’agit de déterminer en premier lieu si ce dernier disposait d’un « droit » au sens de cette disposition.
b) Sur l’existence d’un « droit »
i. Rappel de la jurisprudence
90. La Cour rappelle que, pour que l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer sous son volet « civil », il faut qu’il y ait « contestation » sur un « droit » que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne, que ce droit soit ou non protégé par la Convention. Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse, qui peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. Enfin, l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1 (voir, entre autres, Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 74, CEDH 2009).
91. L’article 6 § 1 n’assure aux « droits et obligations » (de caractère civil) aucun contenu matériel déterminé dans l’ordre juridique des Etats contractants : la Cour ne saurait créer, par voie d’interprétation de l’article 6 § 1, un droit matériel n’ayant aucune base légale dans l’Etat concerné (voir, par exemple, Fayed c. Royaume-Uni, 21 septembre 1994, § 65, série A no 294‑B, et Roche c. Royaume-Uni [GC], no 32555/96, § 119, CEDH 2005‑X). Il faut prendre pour point de départ les dispositions du droit national pertinent et l’interprétation qu’en font les juridictions internes (Masson et Van Zon c. Pays-Bas, 28 septembre 1995, § 49, série A no 327‑A, et Roche, précité, § 120). La Cour doit avoir des motifs très sérieux de prendre le contre-pied des juridictions nationales supérieures en jugeant, contrairement à elles, que la personne concernée pouvait prétendre de manière défendable qu’elle possédait un droit reconnu par la législation interne (ibidem).
92. Dans cette appréciation, il faut, par-delà les apparences et le vocabulaire employé, s’attacher à cerner la réalité (Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, § 38, série A no 50, et Roche, précité, § 121).
93. Le caractère discrétionnaire ou non du pouvoir d’appréciation des autorités leur permettant d’accorder le bénéfice d’une mesure sollicitée par un requérant peut être pris en considération voire s’avérer déterminant. Ainsi, dans l’affaire Masson et Van Zon (précitée, § 51), la Cour a conclu à l’absence d’un droit tandis que, dans l’arrêt Szücs c. Autriche (24 novembre 1997, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VII), elle en a au contraire reconnu l’existence. Néanmoins, la Cour a eu l’occasion de préciser que la seule présence d’un élément discrétionnaire dans le libellé d’une disposition légale n’exclut pas, en soi, l’existence d’un droit (Camps c. France (déc.), no 42401/98, 23 novembre 1999, et Ellès et autres c. Suisse, no 12573/06, § 16, 16 décembre 2010).
94. Parmi les autres critères dont la Cour peut tenir compte figurent la reconnaissance par les tribunaux internes, dans des situations semblables, du droit allégué ou l’examen par eux du bien-fondé de la demande d’un requérant (Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, § 41, CEDH 2007‑II).
ii. Application de ces principes au cas d’espèce
95. La Cour note tout d’abord qu’il y a « contestation » en l’espèce, concernant l’existence même du droit au congé pénal tel que revendiqué par le requérant.
96. Pour ce qui est de savoir si le droit interne reconnaît, au moins de manière défendable, un tel « droit », la Cour rappelle que l’article 6 de la loi de 1986 définit le congé pénal comme une autorisation de quitter l’établissement pénitentiaire, soit pendant une partie de la journée, soit pendant des périodes de vingt-quatre heures. L’article 7 de cette même loi prévoit qu’il s’agit d’une « faveur » qui « peut être accordée » aux détenus dans certaines circonstances (paragraphes 47-49 ci-dessus).
97. La notion de « faveur » peut avoir différentes acceptions selon les cas. En effet, il peut s’agir soit d’un avantage pouvant être accordé ou refusé à la guise des autorités, soit d’une mesure liant la compétence des autorités lorsque des conditions préétablies sont remplies par l’intéressé.
98. En l’espèce, la Cour estime que la qualification de « faveur » retenue par le législateur doit s’analyser conjointement aux termes « peut être accordée » et à la lumière du commentaire du projet de loi, qui précise que l’octroi du bénéfice des modes d’exécution des peines « ne sera jamais de droit et relèvera toujours, en fin de compte, de l’appréciation souveraine de l’autorité chargée de l’exécution des peines (...) » (paragraphe 49 ci-dessus). Ainsi, le législateur avait clairement l’intention de créer un privilège n’impliquant pas de voie de recours. Contrairement à l’affaire Enea (précitée), qui concernait une restriction au champ d’application existant de droits, la présente affaire concerne un avantage, créé en vue d’encourager les détenus.
99. Les parties s’accordent d’ailleurs à reconnaître qu’à supposer même que les différents critères établis par l’article 7 de la loi de 1986 se trouvent remplis, la commission pénitentiaire dispose d’un certain pouvoir discrétionnaire pour apprécier si le détenu mérite cette faveur. Il ressort des éléments fournis à la Cour que la loi de 1986 et le règlement grand-ducal du 19 janvier 1989 fixent les modalités et circonstances dans lesquelles un détenu peut se voir accorder, le cas échéant, un congé pénal. C’est dans ce cadre légal que la commission pénitentiaire examine, pour chaque demande qui lui est soumise, le rapport établi par un comité (le « comité de guidance ») au sujet d’un détenu. Elle tient compte de la personnalité et de l’évolution du comportement de ce dernier, ainsi que du danger de récidive, pour évaluer si l’intéressé peut bénéficier ou non d’un congé pénal. Les informations statistiques produites par le Gouvernement (paragraphes 54-58 ci-dessus) confirment le caractère discrétionnaire du pouvoir des autorités compétentes. Il s’ensuit que, au Luxembourg, les détenus ne disposent pas d’un droit de se voir accorder un congé pénal, quand bien même ils rempliraient formellement les critères requis.
100. Quant à la question de l’interprétation de la législation par les tribunaux internes, la Cour relève que les juridictions administratives se sont déclarées incompétentes pour examiner le recours en annulation du requérant. Elles ont jugé que, dès lors qu’elles modifiaient la nature de l’exécution de la peine prononcée par les juridictions judiciaires, les décisions attaquées par le requérant revêtent un caractère judiciaire et non administratif. Les parties n’ont pas été en mesure de produire d’autres décisions, judiciaires ou administratives, relatives au bien-fondé de recours exercés contre des refus de demandes de congé pénal d’un détenu (voir, a contrario, Vilho Eskelinen et autres, précité, § 41, et Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 78, CEDH 2000-V). La Cour fait remarquer que le constat auquel elle est parvenue dans l’arrêt Enea (précité) ne saurait être utilement transposé à la présente affaire : alors que la Cour constitutionnelle italienne avait conclu à l’inconstitutionnalité des articles 35 et 69 de la loi sur l’administration pénitentiaire en ce qu’ils ne prévoyaient pas de recours juridictionnel contre une décision susceptible de porter atteinte aux droits d’un détenu, les parties n’ont produit en l’espèce aucune décision d’une instance juridictionnelle luxembourgeoise qui se serait prononcée dans le même sens (voir, a contrario, Enea, précité, § 100).
101. Il ressort donc des termes de la législation luxembourgeoise, ainsi que des éléments fournis quant à la pratique applicable en matière de congé pénal, que le requérant ne pouvait se prétendre, de manière défendable, titulaire d’un « droit » reconnu dans l’ordre juridique interne.
102. Par ailleurs, il faut observer que, bien que la Cour ait reconnu le but légitime d’une politique de réinsertion sociale progressive des personnes condamnées à des peines d’emprisonnement (paragraphe 83 ci-dessus), ni la Convention ni ses Protocoles ne prévoient expressément un droit à un congé pénal. La Cour note aussi que le droit à un congé pénal n’est pas davantage reconnu, en tant que tel, au titre d’un éventuel principe de droit international tel que le requérant l’avance. En définitive, il n’existe aucun consensus au sein des Etats membres sur le statut et les modalités d’octroi du congé pénal : dans certains d’entre eux, l’autorité investie du pouvoir de décision est tenue d’accorder une permission de sortie lorsque les conditions légales sont remplies alors que, dans d’autres, elle dispose au contraire d’un pouvoir entièrement discrétionnaire en la matière ; de même, tous les Etats n’offrent pas un recours contre le refus de permission de sortie. Donc, à ce titre aussi, la présente espèce se distingue de l’affaire Enea (précitée).
103. En tout état de cause, la Cour constate que, loin de se désintéresser de la réinsertion des détenus, le Luxembourg offre d’autres moyens pour y parvenir que le droit à un congé pénal. Sa législation s’inspire notamment de la recommandation du Comité des Ministres sur le congé pénitentiaire qui, certes, préconise « la possibilité de réexaminer un refus » en la matière, mais énumère aussi différents éléments que les autorités nationales peuvent prendre en considération pour l’octroi d’un congé pénal (paragraphe 59 ci‑dessus). Par ailleurs, outre « un système de congé pénitentiaire [faisant] partie intégrante du régime des détenus condamnés», des programmes ont été mis en place leur permettant « de faire la transition entre la vie carcérale et une vie respectueuse du droit interne au sein de la collectivité » (paragraphe 61 ci-dessus). Enfin, la Cour note avec intérêt la réforme législative en cours sur l’exécution des peines (paragraphe 53 ci‑dessus).
104. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour ne saurait estimer que les revendications du requérant portaient sur un « droit » reconnu en droit luxembourgeois ou dans la Convention. Partant, elle conclut, avec le Gouvernement, à l’inapplicabilité de l’article 6 de la Convention.
105. Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir l’exception préliminaire du Gouvernement. Dès lors, l’article 6 n’a pas été violé.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Joint au fond, à l’unanimité, l’exception préliminaire du Gouvernement ;
2. Dit, par quinze voix contre deux, que l’article 6 de la Convention n’est pas applicable ;
3. Dit, par quinze voix contre deux, qu’il n’y a dès lors pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 3 avril 2012.
Vincent BergerNicolas Bratza
JurisconsultePrésident
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Tulkens et Yudkivska.
N.B.
V.B.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE DES JUGES TULKENS ET YUDKIVSKA
Avec tout le respect que nous lui devons, nous ne partageons pas la décision de la majorité selon laquelle l’article 6 de la Convention n’est pas applicable et, partant, n’a pas été violé.
L’objet et l’enjeu
1. Il importe de préciser d’emblée l’objet de cette affaire. Elle concerne, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, le droit d’un détenu à accéder à un tribunal et à bénéficier d’une procédure équitable pour se plaindre des six décisions de refus de ses demandes de congé pénal par la commission pénitentiaire. Il ne s’agit donc en aucune manière pour notre Cour de se prononcer sur l’opportunité et le bien-fondé de ces demandes mais uniquement, en application du principe de subsidiarité, de s’assurer qu’une juridiction interne puisse le faire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Tel est l’enjeu de cette affaire.
Le contexte
2. Le problème soumis à la Cour s’inscrit dans le contexte du développement du droit de l’exécution des peines que l’on observe aussi bien sur la scène internationale qu’en droit interne et qui est appelé à donner un fondement légal à l’ensemble de cette matière qui, jusqu’il y a peu, relevait quasi entièrement de l’exécutif et de l’administration compétente.
3. La question qui est au cœur de cette affaire est celle des modalités de l’exécution de la peine et, plus particulièrement, du statut juridique externe des détenus auquel sont rattachées les diverses mesures par lesquelles le condamné conserve ou recouvre, entièrement ou partiellement, temporairement ou définitivement, sa liberté. Des plus limitées aux plus étendues, ces diverses décisions sont les permissions de sortie et congés pénitentiaires, l’interruption de l’exécution de la peine, les arrêts de fin de semaine, les mesures de semi-liberté et de semi-détention et la détention limitée, l’assignation à résidence sous surveillance électronique, la libération provisoire et la libération conditionnelle.
4. Au Grand-Duché du Luxembourg, la loi du 26 juillet 1986 relative à certains modes d’exécution des peines privatives de liberté organise des modes d’exécution de nature à atténuer les conséquences désocialisantes de la détention et à aider le détenu à conserver, dans la mesure du possible, des contacts avec la famille, le lieu de travail et la société[1]. Pour les auteurs du projet de loi, il importe de le préparer à la remise en liberté. L’exposé des motifs est très clair en ce sens. « [P]our les condamnés dont on peut espérer une resocialisation, on doit, au lieu de la prison qui « désorganise le passé immédiat et le présent, trouver des peines qui préparent l’avenir, avenir qui sera vécu en liberté »[2].
5. Le congé pénal s’inscrit dans cette philosophie. Comme on le lit dans le rapport de la commission juridique sur le projet de loi, la finalité de « cette mesure s’analyse dans le cadre d’un traitement individualisé et à la lumière d’un plan de guidance. Faut-il souligner que l’octroi de cette mesure doit permettre de favoriser la resocialisation progressive des détenus et de réduire les tensions provoquées par la vie carcérale ? (...) Le congé pénitentiaire s’inscrit comme un moyen naturel de transition entre la vie carcérale et la vie en liberté (...) Le congé pénal est une mesure de transition utile qui augmente sensiblement les chances de réinsertion sociale d’un détenu qui a purgé sa peine[3] ». A ce titre, le congé pénal constitue au début de la mise en œuvre de cette mesure une autorisation de sortie ponctuelle qui trouve ensuite, en cas d’évolution positive du détenu, une application régulière s’étendant à plusieurs jours pour aboutir à un régime de semi-liberté suivie d’une éventuelle libération conditionnelle.
6. L’autorité compétente pour accorder les congés pénaux est le procureur général d’Etat ou son délégué. Pour les peines privatives de liberté supérieures à deux ans, ce qui est le cas en l’espèce, la décision de congé pénal est prise de l’accord majoritaire d’une commission pénitentiaire comprenant, outre le procureur général ou son délégué, un magistrat du siège et un magistrat d’un des parquets (article 12 de la loi du 26 juillet 1986). Toutefois, lors de l’élaboration de la loi du 26 juillet 1986, « le gouvernement, n’ayant pas envisagé de modifier le régime sur ce point, était cependant d’avis qu’une réforme paraissait souhaitable pour rencontrer les critiques faisant état des pouvoirs quasi discrétionnaires du procureur général d’Etat ou de son délégué pour décider de l’exécution effective des peines privatives de liberté[4] ». Aucun recours spécifique n’est prévu par la loi du 26 juillet 1986, notamment devant les juridictions pénales.
7. Enfin, en se fondant sur le droit comparé, on peut constater que, quelle que soit l’autorité compétente, la motivation de la décision est le plus souvent requise ainsi que la possibilité d’une voie de recours administratif ou juridictionnel. Ainsi, par exemple, en France, avant la loi du 9 mars 2004 qui dispose désormais que les ordonnances concernant notamment les permissions de sortir peuvent être attaquées par la voie de l’appel devant la chambre de l’application des peines de la cour d’appel par le condamné, par le procureur de la République et par le procureur général et même être l’objet d’un pourvoi en cassation, dans l’arrêt Schemkamper c. France, notre Cour a constaté qu’à l’époque des faits les ordonnances rendues en matière de permission de sortie ne pouvaient faire l’objet d’un recours de la part de l’intéressé, ce qui entraîne violation de l’article 13 de la Convention « à raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis au requérant de contester le refus de permission de sortir litigieux[5] ».
L’article 6 de la Convention
Applicabilité
8. S’il est vrai qu’en vertu d’une jurisprudence traditionnelle des organes de la Convention l’article 6 n’est, en principe, pas applicable aux procédures concernant l’exécution des peines, on observe une évolution dans la jurisprudence s’agissant des procédures menées en milieu carcéral. Ainsi, la Cour a récemment consacré l’applicabilité de l’article 6 § 1, sous son volet civil, au contentieux relatif à des mesures de sûreté (placement en cellule de sécurité ou niveau de surveillance élevé[6]) et des procédures disciplinaires[7].
9. Tout d’abord, en ce qui concerne l’existence d’un « droit », la majorité l’écarte catégoriquement en se fondant sur le fait que le congé pénal est qualifié dans la loi du 26 juillet 1986 de « faveur » et non de droit. Cet argument ne nous semble pas décisif.
10. Tout comme la notion de « matière pénale », la notion de « droit » dans l’article 6 est une notion autonome qu’il importe de définir à la lumière de l’objet et du but de la Convention et qui ne dépend pas nécessairement de la qualification retenue en droit interne. A défaut, cette notion recevrait une réponse différente selon les Etats membres pour une même mesure. Par ailleurs, la Cour a déjà accepté que « la seule existence d’un élément discrétionnaire dans le libellé d’une disposition légale n’exclut pas en soi l’existence d’un droit de caractère civil » (Lambourdière c. France, no 37387/97, § 24, 2 août 2000 ; Camps c. France (déc.), no 42401/98, 23 novembre 1999). Enfin, la doctrine pénale et pénologique actuelle a profondément évolué quant aux finalités et fonctions de la peine. Ni faveur, ni privilège, ni avantage, ni indulgence : le congé pénal (comme d’autres modalités d’exécution des peines privatives de liberté) est une mesure nécessaire en vue de la sortie du détenu, pour préparer celle-ci et envisager sa possibilité éventuelle. En cas d’échec de la mesure, celle-ci ne sera pas renouvelée, ce qui permet le maintien du contrôle et de la surveillance. Dès lors, le fait qu’une mesure d’exécution de la peine soit qualifiée de « faveur » en droit interne ne nous paraît pas suffisant pour priver la personne qui la revendique de son droit à voir statuer sur sa cause en conformité avec les principes de l’article 6 de la Convention.
11. En l’espèce, l’existence d’un tel droit est implicitement reconnue en droit interne puisque le requérant a pu introduire un recours en annulation des deux premières décisions de refus de la commission pénitentiaire devant les juridictions administratives. Si celles-ci se sont déclarées incompétentes, c’est pour un autre motif, à savoir que l’octroi ou le refus de la faveur d’un congé pénal présentait le caractère d’une mesure qui modifiait les limites de la peine à laquelle le requérant avait été condamné. Par conséquent, les décisions litigieuses n’étaient pas, eu égard à leur nature, susceptibles d’un recours contentieux devant les juridictions administratives. Le délégué du gouvernement avait d’ailleurs accepté de débattre, sans aucune réserve, du fond de l’affaire qui était soumise au tribunal administratif. Nous sommes dans une situation qui pourrait s’apparenter, mutatis mutandis, à l’arrêt Vilho Eskelinen et autres c. Finlande ([GC], no 63235/00, CEDH 2007-II) concernant l’applicabilité de l’article 6, sous son volet civil, aux fonctionnaires et agents de l’Etat, où la Cour constate « que dans de très nombreux Etats contractants l’accès à un tribunal est accordé aux fonctionnaires, de sorte que ceux-ci peuvent présenter des revendications relativement au salaire ou aux indemnités, voire au licenciement ou au recrutement, de la même façon que les salariés du secteur privé » (§ 57). Elle en conclut dès lors que « pour que l’Etat défendeur puisse devant la Cour invoquer le statut de fonctionnaire d’un requérant afin de le soustraire à la protection offerte par l’article 6, (...) le droit interne de l’Etat concerné doit avoir expressément exclu l’accès à un tribunal s’agissant du poste ou de la catégorie de salariés en question » (§ 62).
12. Quant au caractère civil de ce droit, certes, dans l’arrêt Aerts c. Belgique (30 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V), la Cour a estimé, en ce qui concerne les mesures d’internement des malades mentaux, que le droit à la liberté revêt un caractère civil mais, malheureusement, sans guère d’explication, ce qui a affaibli la portée de cet arrêt. En revanche, nous pouvons appliquer en l’espèce le raisonnement de la Grande Chambre dans l’arrêt Enea, précité, qui a été repris dans l’arrêt Stegarescu et Bahrin, précité, un arrêt devenu définitif. Tout d’abord, la Cour rappelle que « [l’]article 6 § 1 vaut pour les « contestations » relatives à des « droits » de caractère civil que l’on peut dire, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne, qu’ils soient ou non protégés de surcroît par la Convention ». En outre, elle observe « que certaines des limitations alléguées par le requérant – comme celles visant ses contacts avec sa famille et celles ayant une retombée patrimoniale – relèvent assurément des droits de la personne et, partant, revêtent un caractère civil » (Enea, précité, § 103).
13. Or tel est bien le cas en l’espèce puisqu’il est non contesté que le requérant a sollicité un congé pénitentiaire non seulement pour des raisons familiales mais aussi professionnelles et sociales. Ce droit est de « caractère civil » au vu notamment de l’importance des mesures permettant la réinsertion sociale du détenu. La procédure relative aux différentes demandes de congé pénal mettait donc en cause l’intérêt du requérant à réorganiser sa vie professionnelle et sociale à la sortie de prison, ce qui relève des droits de la personne. Plus concrètement, ses demandes de congé pénal présentées en 2005 tendaient à lui permettre d’exercer son droit de visite sur ses enfants à l’extérieur du cadre carcéral auquel ceux-ci étaient réfractaires. Quant aux autres demandes, elles étaient fondées sur un projet de réinsertion professionnelle et sociale ; le requérant voulait ainsi préparer le terrain pour être en mesure d’avoir des revenus par un travail, dans un souci d’indemnisation de sa victime et de règlement de ses dettes, notamment. Les décisions de refus que prit la commission pénitentiaire étaient directement déterminantes pour le droit de caractère civil en question.
14. Reconnaître, sous l’angle de l’article 6, qu’un détenu dispose d’un « droit de caractère civil », au vu notamment de l’importance des mesures permettant la réinsertion sociale du détenu, ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais une application et un développement de celle-ci dans le contexte cette fois du statut juridique externe du détenu, c’est-à-dire des mesures qui concernent la remise en liberté progressive de celui-ci (paragraphe 3 ci-dessus). Or lorsque les premières étapes du retour à la liberté dépendent du bon (ou du mauvais) vouloir d’une personne, c’est alors l’ensemble du projet de réinsertion qui peut se trouver entravé.
15. Enfin, d’après la jurisprudence constante des organes de la Convention, l’article 6 § 1 ne trouve à s’appliquer que s’il existe une « contestation » réelle et sérieuse (Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 81, série A no 52). La contestation peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice (voir notamment Zander c. Suède, 25 novembre 1993, § 22, série A no 279-B), et l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, l’article 6 § 1 ne se contentant pas, pour entrer en jeu, d’un lien ténu ni de répercussions lointaines (voir notamment Masson et Van Zon c. Pays-Bas, 28 septembre 1995, § 44, série A no 327-A, et Fayed c. Royaume-Uni, 21 septembre 1994, § 56, série A no 294-B). En l’espèce, il paraît clair qu’une « contestation » a surgi lorsque la commission pénitentiaire décida de refuser les demandes de congé pénal fondées notamment sur un projet de réinsertion professionnelle et sociale. Cette contestation, réelle et sérieuse, concernait l’existence même d’un droit de caractère civil, au sens de la Convention, revendiqué par le requérant. Aussi, en saisissant les juridictions administratives d’un recours en annulation, le requérant visait-il le renvoi de l’affaire devant l’autorité compétente, afin que celle-ci se prononce à nouveau sur ses demandes de congé pénal. L’issue devant les juridictions administratives était dès lors directement déterminante pour le droit en jeu.
Le fond
16. Dès lors que la contestation des décisions prises à son encontre doit être considérée comme relative à des « droits et obligations de caractère civil », le requérant avait droit à l’examen de sa cause par « un tribunal » remplissant les conditions de l’article 6 § 1 (Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, § 50, série A no 43). Toutefois, aux fins de l’article 6 § 1, un tribunal ne doit pas nécessairement être une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires. Ce qui importe pour assurer l’observation de l’article 6 § 1, ce sont les garanties, tant matérielles que procédurales, mises en place (Rolf Gustafson c. Suède, 1er juillet 1997, § 45, Recueil 1997-IV). Ainsi, un « tribunal » se caractérise au sens matériel par son rôle juridictionnel : trancher, sur la base de normes de droit et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence (Argyrou et autres c. Grèce, no 10468/04, § 24, 15 janvier 2009). Il doit aussi remplir une série d’autres conditions – indépendance, notamment à l’égard de l’exécutif, impartialité, durée du mandat des membres, garanties offertes par la procédure – dont plusieurs figurent dans le texte même de l’article 6 § 1 (Demicoli c. Malte, 27 août 1991, § 39, série A no 210). Sous cette réserve, dans la présente affaire, la commission pénitentiaire ne saurait satisfaire en soi aux exigences requises d’un « tribunal » au sens de l’article 6 § 1.
17. Après avoir introduit chacune de ses demandes de congé pénal, entre 2003 et 2006, le requérant se vit communiquer, par l’intermédiaire du directeur du centre pénitentiaire, les décisions de refus des 5 novembre 2003, 17 mars 2004, 21 septembre 2004, 14 décembre 2004, 23 mars 2005, 12 juillet 2005 et 4 mai 2006, sans que la commission pénitentiaire ne se soit prononcée « à l’issue d’une procédure organisée » (voir, a contrario, Argyrou et autres, précité, § 25). Un des problèmes ici réside dans la motivation. Comme on le voit, la majorité des demandes de congé pénal ont été rejetées pour le même motif, à savoir notamment le fait que le requérant n’a pas indemnisé la victime. C’est le cercle vicieux car, à défaut de pouvoir engager une quelconque activité professionnelle, l’indemnisation de la victime devient largement illusoire. Notre Cour, bien sûr, n’a pas à apprécier le fond de la motivation car c’est au juge interne de le faire mais, et c’est bien là le problème, la motivation est en l’espèce extrêmement sommaire.
18. A cela s’ajoute que la déléguée du procureur général à l’exécution des peines (qui siégeait dans la commission pénitentiaire refusant les deux premières demandes de congé pénal) était la même personne qui, en tant qu’avocat général assumant les fonctions de ministère public, avait requis contre le requérant devant la cour d’appel qui lui avait infligé la condamnation. De manière plus générale, le procureur général d’Etat ou son délégué, qui est, selon la loi, l’autorité décisionnelle en matière d’exécution des peines, ne peut manifestement pas être considéré comme une autorité judiciaire indépendante et impartiale au sens de l’article 6 (mutatis mutandis, Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, CEDH 2010 ; Moulin c. France, no 37104/06, 23 novembre 2010).
19. La question du recours est également en jeu. Le Gouvernement rappelle la nature discrétionnaire de la décision des autorités internes sur les demandes de congé pénal. Ceci voudrait donc dire que même lorsque les conditions/critères permettant l’octroi d’un congé pénal sont réunis, la commission pénitentiaire peut encore refuser la demande. A supposer même que l’existence d’un tel pouvoir discrétionnaire soit légitime en matière d’exécution des peines, il ne peut répondre à l’exigence du principe de la prééminence du droit qu’à partir du moment où il peut faire l’objet d’un contrôle. Lorsqu’un tel contrôle fait défaut, ce pouvoir se transforme en pouvoir arbitraire.
20. Le requérant introduisit un recours en annulation à l’encontre des deux premières décisions de refus de la commission pénitentiaire. Tant le tribunal administratif que la cour administrative se déclarèrent incompétentes pour en connaître, au motif que l’octroi ou le refus de la faveur d’un congé pénal présentait le caractère d’une mesure qui modifiait les limites de la peine à laquelle le requérant avait été condamné. Par conséquent, les décisions litigieuses n’étaient pas, eu égard à leur nature, susceptibles d’un recours contentieux devant les juridictions administratives. On touche du doigt ici la nécessité de disposer d’un juge ou d’une juridiction spécifique consacrée à l’application des peines, ce qui est heureusement le cas aujourd’hui dans de nombreux pays. En l’espèce, il en résulte que l’absence de toute décision sur le bien-fondé du recours a vidé de sa substance le contrôle exercé par le juge administratif sur les décisions de la commission pénitentiaire (mutatis mutandis, Enea, § 82 et Ganci, §§ 29-30, précités).
21. En conclusion, nous estimons que la requête peut être déclarée recevable et nous concluons à la violation de l’article 6 de la Convention.
* * *
[1]. Cf. A. et D. Spielmann, Droit pénal général luxembourgeois, Bruxelles, Bruylant, 2e éd., 2004, pp. 539 et suiv.
[2]. Projet de loi relatif à certains modes d’exécution des peines, Exposé des motifs, Doc. parl., no 2870, Chambre des députés, sess. ord. 1984-1985, 27 février 1985, p. 4, citant une étude de Ph. Graven, « La réforme pénale européenne et la révision partielle du C.P.S. », Rev. pén. suisse, 1969, pp. 225 et suiv.
[3]. Projet de loi relatif à certains modes d’exécution des peines, Rapport de la commission juridique, Doc. parl., no 2870, Chambre des députés, sess. ord. 1985-1986, 5 juin 1986, p. 3.
[4]. A. et D. Spielmann, Droit pénal général luxembourgeois, op. cit., pp. 541-542. Voir aussi Projet de loi relatif à certains modes d’exécution des peines, Exposé des motifs, Doc. parl., no 2870, Chambre des députés, sess. ord. 1984-1985, 27 février 1985, p. 3.
[5]. Schemkamper c. France, no 75833/01, § 44, 18 octobre 2005.
[6]. Ganci c. Italie, no 41576/98, §§ 20-26, CEDH 2003-XI ; Musumeci c. Italie, no 33695/96, § 36, 11 janvier 2005 ; Enea c. Italie [GC], no 74912/01, § 107, CEDH 2009 ; Stegarescu et Bahrin c. Portugal, no 46194/06, § 39, 6 avril 2010.
[7]. Gülmez c. Turquie, no 16330/02, §§ 27-31, 20 mai 2008.