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03/07/2012 | CEDH | N°001-111960

CEDH | CEDH, AFFAIRE MAHMUT ÖZ c. TURQUIE, 2012, 001-111960


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MAHMUT ÖZ c. TURQUIE

(Requête no 6840/08)

ARRÊT

STRASBOURG

3 juillet 2012

DÉFINITIF

03/10/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Mahmut Öz c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Danutė Jočienė,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl K

arakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 ju...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MAHMUT ÖZ c. TURQUIE

(Requête no 6840/08)

ARRÊT

STRASBOURG

3 juillet 2012

DÉFINITIF

03/10/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mahmut Öz c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Danutė Jočienė,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 juin 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 6840/08) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Mahmut Öz (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 janvier 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me İ. Akmeşe, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

3. Le 21 septembre 2010, la requête a été déclarée partiellement irrecevable et les griefs tirés des articles 5 §§ 3, 4 et 5 ainsi que des articles 6 et 13 ont été communiqués au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1990 et réside à Istanbul.

5. Le 15 janvier 2007, le requérant mineur fut arrêté pour vol avec violence en bande. Il était soupçonné d’avoir soustrait le téléphone portable d’un mineur sous la menace d’un couteau.

6. Le même jour, il fut entendu par le procureur de la République de Bakırköy puis traduit devant le juge près le tribunal pour mineur de cette ville. A l’issue de l’audition, le juge ordonna le placement de l’intéressé en détention provisoire compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée, de l’état des preuves, du risque de destruction et d’altération des preuves ainsi que du risque de pression sur la victime et les témoins.

7. Le 17 mai 2007, le procureur inculpa le requérant et ses amis pour les faits reprochés. Le procès débuta devant la cour d’assises pour mineur de Bakırköy (« la cour d’assises pour mineur »).

8. Le 24 mai 2007, la cour d’assises pour mineur ordonna le maintien en détention provisoire du requérant compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée, de l’état des preuves et de la date de placement en détention provisoire.

9. Le 26 juillet 2007, la cour d’assises pour mineur tint la première audience, à huis-clos. Elle entendit les accusés en leur défense. Les coaccusés affirmèrent que c’était le requérant qui avait menacé la victime avec son couteau, ce que celui-ci nia. Au terme de l’audience, la cour rejeta la demande d’élargissement du requérant et ordonna son maintien en détention provisoire, vu la nature et la qualification de l’infraction reprochée, l’état des preuves et l’existence de faits concrets quant à l’existence d’un risque de fuite.

10. Lors de l’audience du 18 octobre 2007, la cour d’assises pour mineur releva que le requérant n’avait pas pu être conduit à l’audience en raison du manque de personnel pour assurer son transfèrement. À l’issue de l’audience, elle ordonna le maintien en détention provisoire du requérant pour les mêmes motifs que ceux avancés lors de la première audience. Au cours de cette audience, elle entendit la victime en ses déclarations ; celle-ci expliqua que les familles des accusés avaient présenté des excuses et l’avaient indemnisé, et précisa qu’il ne maintenait pas sa plainte contre ses agresseurs.

11. Le 19 octobre 2007, l’avocat du requérant forma opposition contre la décision de maintien en détention provisoire devant la cour d’assises pour mineur de Beyoğlu et demanda la remise en liberté de son client, au besoin sous caution.

12. Le 30 octobre 2007, le président de la cour d’assises pour mineur de Beyoğlu invita le procureur de la République de cette ville à présenter son avis écrit. En réponse, le procureur demanda le rejet de l’opposition et le maintien en détention provisoire du requérant compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée, de l’état des preuves et de la période passée en détention.

13. Le 31 octobre 2007, statuant sur dossier et conformément à l’avis du procureur, la cour d’assises pour mineur de Beyoğlu rejeta l’opposition, vu l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée, la nature de celle-ci et la peine encourue et aussi parce qu’il s’agissait d’une infraction visée par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale.

14. Le 15 novembre et le 14 décembre 2007, dans le cadre d’un examen d’office, la cour d’assises pour mineur ordonna le maintien en détention du requérant.

15. À l’issue de l’audience du 4 janvier 2008, la cour d’assises pour mineur ordonna la mise en liberté du requérant dans la mesure où les preuves avaient été recueillies dans une grande mesure et compte tenu de la période passée en détention.

16. Le 26 novembre 2008, la cour d’assises pour mineur reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à trois ans et quatre mois de prison.

17. Ainsi qu’il ressort de la consultation du dossier sur le site Internet de la Cour de cassation turque, l’examen du pourvoi est toujours pendant à ce jour.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

18. Pour le droit et la pratique interne pertinents, voir l’affaire Altınok c. Turquie (no 31610/08, §§ 28-32, 29 novembre 2011).

Selon l’article 100 du code de procédure pénale, la mise en détention provisoire d’une personne n’est possible que s’il existe de forts soupçons que la personne concernée ait commis l’infraction reprochée et s’il existe un motif de détention, à savoir le risque de fuite ou d’altération des preuves. Cela étant, pour certains délits particulièrement graves parmi lesquels figure celui reproché au requérant, l’article 100 § 3 de la loi indique que l’on peut présumer l’existence des motifs de détention (risque de fuite et/ou d’altération des preuves) lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis l’infraction.

EN DROIT

I. SUR LA DISJONCTION DE LA REQUÊTE

19. Le 21 septembre 2010, la Cour avait décidé de joindre la présente requête aux requêtes nos 49651/06 et 8076/08, eu égard à la similarité des affaires. Elle estime cependant qu’il est nécessaire de les disjoindre et décide de les examiner séparément.

II. SUR LA RECEVABILITÉ

20. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, relevant que le requérant n’a pas soulevé, même en substance, ses griefs tirés des articles 5 § 3 et 6 § 1 (durée de la détention provisoire et durée de la procédure pénale) devant les instances nationales. D’après lui, le requérant aurait dû, en outre, déposer un recours en indemnisation devant les juridictions internes sur le fondement des articles 141 et suivants de la loi sur la procédure pénale, qui ont repris les dispositions de la loi no 466.

Le Gouvernement produit de nombreuses décisions relatives à l’octroi d’indemnités, sur le fondement de ces dispositions, à des personnes acquittées au terme de la procédure diligentée contre elles ou bien libérées sans avoir fait l’objet de poursuites pénales.

21. Le requérant conteste les exceptions du Gouvernement.

22. Pour autant que ces exceptions concernent le grief tiré de la durée de la détention provisoire, la Cour rappelle qu’elle a déjà examiné la première branche de l’exception dans plusieurs affaires similaires et l’a rejetée (voir, entre autres, Koşti et autres c. Turquie, no 74321/01, §§ 16-26, 3 mai 2007, et, plus récemment, Tunce et autres c. Turquie, nos 2422/06, 3712/08, 3714/08, 3715/08, 3717/08, 3718/08, 3719/08, 3724/08, 3725/08, 3728/08, 3730/08, 3731/08, 3733/08, 3734/08, 3735/08, 3737/08, 3739/08, 3740/08, 3745/08 et 3746/08, § 14, 13 octobre 2009). Elle ne voit aucune raison de s’écarter de sa précédente conclusion et rejette cette branche de l’exception.

23. Quant à l’omission de déposer un recours en indemnisation, la Cour note que le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire – grief qui relève de l’article 5 § 3 de la Convention – alors que le moyen avancé par le Gouvernement concerne le droit d’obtenir réparation à raison d’une détention et se rapporte ainsi à l’article 5 § 5 de la Convention. La Cour rappelle que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ou libéré pendant la procédure se distingue de celui de recevoir un dédommagement pour une détention, le paragraphe 3 de l’article 5 de la Convention concerne le premier, et le paragraphe 5 le second (Yağcı et Sargın c. Turquie, 8 juin 1995, § 44, série A no 319‑A, ou, plus récemment, Tunce et autres, précité, § 15). En d’autres termes, une demande d’indemnisation telle que suggérée par le Gouvernement ne permet pas de mettre fin à une détention d’une durée excessive au sens de l’article 5 § 3 de la Convention et ne peut donc être considérée comme un remède efficace dans ces circonstances (Barış c. Turquie, no 26170/03, § 17, 31 mars 2009). Par conséquent, elle rejette aussi cette exception préliminaire.

24. Pour autant que les exceptions du Gouvernement concernent la durée de la procédure pénale, la Cour note qu’elles sont étroitement liées au grief du requérant fondé sur l’article 13 de la Convention et tiré de l’inexistence d’une juridiction à laquelle s’adresser pour se plaindre de la durée de la procédure (Daneshpayeh c. Turquie, no 21086/04, § 24, 16 juillet 2009). Partant, elle décide de les joindre au fond.

25. Enfin, pour autant que le requérant se plaint de l’ineffectivité de la procédure d’examen d’office de la détention provisoire, la Cour estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer, au regard de l’article 5 § 4, sur les décisions adoptées ex officio et relatives à la prolongation de la détention (voir Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 76, 28 octobre 2010 et Altınok, précité, § 40). Il s’ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

26. La Cour constate qu’aucun des griefs restant à examiner n’est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention ni ne se heurte par ailleurs à un quelconque autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de déclarer le restant de la requête recevable.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

A. Sur l’article 5 § 3 de la Convention

27. Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire. Il invoque l’article 5 § 3 de la Convention, dont les passages pertinents sont rédigés comme suit :

« 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

28. Le Gouvernement soutient que la durée de la détention subie par le requérant était raisonnable compte tenu de la gravité, de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée. Il fait observer que l’intéressé était accusé de s’être livré à un vol à main armée et que sa détention était exigée pour sauvegarder l’ordre et la sécurité public. D’après le Gouvernement, les autorités judiciaires ont décidé de placer et de maintenir le requérant en détention provisoire pour éviter que celui-ci ne commette à nouveau la même infraction ainsi que pour sauvegarder la vie des innocents.

29. Le requérant fait remarquer qu’il a été détenu pendant six mois alors qu’il était mineur et se plaint que les décisions relatives à son maintien en détention provisoire n’étaient pas suffisamment motivées.

30. La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et en rendre compte dans leurs décisions rejetant les demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non controversés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII). La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Cependant, au bout d’un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 153, CEDH 2000‑IV).

31. La Cour rappelle que dans plusieurs affaires contre la Turquie, elle a exprimé son inquiétude face à la pratique consistant à placer des mineurs en détention provisoire et conclu à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Selçuk c. Turquie, no 21768/02, §§ 26-37, 10 janvier 2006, Güveç c. Turquie, no 70337/01, §§ 106-110, 29 janvier 2009, et Nart c. Turquie, no 20817/04, §§ 28-35, 6 mai 2008). Dans l’affaire Nart, prenant en considération la richesse des textes internationaux pertinents en matière de protection de l’enfance, la Cour a énoncé que la détention provisoire des mineurs devait être envisagée comme une solution de dernier ressort, qu’elle devait être la moins longue possible et qu’enfin lorsque cette mesure est inévitable, le mineur devait être détenu séparément des adultes (Nart, précité, § 31).

32. En l’espèce, la période à considérer a débuté le 15 janvier 2007 avec l’arrestation du requérant pour s’achever le 4 janvier 2008 avec sa remise en liberté (paragraphes 5 et 15 ci-dessus). Elle a donc duré environ un an. Pendant cette période, la question du maintien en détention provisoire du requérant a été régulièrement examinée. Les décisions des juges sur le maintien en détention ont été fondées sur la nature de l’infraction reprochée, la peine encourue, l’état des preuves, l’existence de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis l’infraction, le risque de fuite, le risque d’altération des preuves et de pression sur la victime et les témoins et enfin la présomption établie par l’article 100 § 3 de la loi sur la procédure pénale (paragraphes 6, 8-10 et 12-13 ci-dessus).

33. La Cour note d’abord que les arguments du Gouvernement relatifs à la sauvegarde de l’ordre public et à la crainte de récidive du requérant n’ont semblent-ils pas été pris en considération par les autorités judiciaires internes. En tout état de cause, elle rappelle que de tels motifs ne peuvent être avancés par le Gouvernement que dans la mesure où ils seraient prévus par le droit interne. Or le droit turc ne mentionne ni l’atteinte à l’ordre public ni le risque de récidive parmi les motifs de détention provisoire (Letellier c. France, 26 juin 1991, § 51, série A no 207).

34. Pour ce qui est des motifs avancés par les autorités judicaires pour le maintien en détention provisoire du requérant, la Cour note que le risque d’altération des preuves ainsi que le risque de pression sur la victime et les témoins ne sont expressément évoqués que dans la décision de placement en détention provisoire. En tout état de cause, le maintien en détention du requérant pouvait difficilement reposer sur ces motifs au-delà du 18 octobre 2007, date de la deuxième audience. En effet, à cette dernière date, les principales preuves avaient été recueillies, tant les accusés que la victime avaient été entendus par la cour d’assises pour mineur.

35. Quant au risque de fuite, la cour d’assises pour mineur l’a évoqué lors des audiences du 26 juillet et du 18 octobre 2007 en indiquant qu’il y avait des faits concrets quant à son existence. Cependant force est de constater que la cour d’assises ne donnent aucune indication à cet égard. La Cour note également que l’avocat du requérant a formé opposition contre la décision de maintien en détention provisoire prise à l’issue de l’audience du 18 octobre 2007. A cette occasion, il a demandé la remise en liberté de son client, au besoin sous caution. Or le juge appelé à se prononcer sur l’opposition n’a pas répondu à cette demande et n’a pas fourni d’explication quant au caractère insuffisant de cette mesure pour assurer la comparution de l’intéressé au procès.

36. De plus, les motivations avancées par la cour d’assises pour mineur dans ses décisions de maintien en détention provisoire ne permettent pas de penser que cette mesure ait été utilisée – au regard de l’âge du requérant – qu’en dernier recours, ce conformément aux obligations de la Turquie tant en droit interne qu’en vertu de plusieurs conventions internationales (voir, par exemple, Nart, précité, § 22, ou, plus récemment, Güveç, précité, § 108).

37. La Cour n’estime pas nécessaire de rechercher de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure.

38. La Cour conclut à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

B. Sur l’article 5 § 4 de la Convention

39. Le requérant se plaint de l’ineffectivité du recours en opposition contre la décision du 18 octobre 2007. Il allègue la violation de l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

40. La Cour rappelle qu’un procès portant sur un recours formé contre une détention doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties – le procureur et le détenu (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II). La législation nationale peut remplir cette exigence de diverses manières, mais la méthode adoptée par elle doit garantir que la partie adverse soit au courant du dépôt d’observations et jouisse d’une possibilité véritable de les commenter (Lietzow c. Allemagne, no 24479/94, § 44, CEDH 2001‑I).

41. La première garantie procédurale découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention (Nikolova, précité, § 58, Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005‑XII, et Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000‑XI).

42. La Cour note qu’au terme de l’audience du 18 octobre 2007, la cour d’assises pour mineur de Bakırköy a ordonné, en l’absence du requérant, le maintien en détention provisoire de l’intéressé. Le 31 octobre 2007, statuant sur dossier et conformément à l’avis écrit du procureur de la République, la cour d’assises pour mineur de Beyoğlu a rejeté l’opposition formée contre cette décision.

43. La Cour rappelle qu’elle a déjà admis que dans un système comme celui mis en place en Turquie, l’exigence d’une audience lors de l’examen de chaque opposition pourrait entraîner une certaine paralysie de la procédure pénale. Tenant aussi compte du caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4, notamment de l’exigence de célérité, elle a estimé que la tenue d’une audience ne s’imposait pas à chaque recours en opposition. Dans l’affaire Altınok c. Turquie, elle a ainsi conclu que le défaut de comparution lors de la procédure d’opposition n’enfreignait pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention dans la mesure où le requérant avait pu comparaître, quelques jours avant, devant le juge appelé à se prononcer sur sa détention en première instance (Altınok, précité, §§ 54-56).

44. Or la Cour note que tel n’est pas le cas dans la présente affaire. Le requérant n’a comparu devant les juges appelés à se prononcer sur sa détention provisoire ni lors de l’audience du 18 octobre 2007 tenue devant la cour d’assises pour mineur de Bakırköy, statuant en première instance, ni lors de l’examen de son opposition le 31 octobre 2007 par la cour d’assises pour mineur de Beyoğlu.

45. La Cour relève ainsi que lors de l’adoption de la décision objet du présent grief – la décision du 31 octobre 2007 – la dernière comparution de l’intéressé devant un juge remontait à plus de trois mois, à savoir à l’audience du 26 juillet 2007. La Cour rappelle ici que le droit d’être entendu par le juge saisi d’un recours contre la détention doit pouvoir être exercé à des intervalles raisonnables (Knebl, précité, § 85). Or elle estime que lorsque la liberté personnelle est en cause, l’on ne saurait qualifier de « raisonnable » une période qui s’étend, comme en l’espèce, à plus de trois mois.

46. Quant au grief du requérant tiré de la non-communication de l’avis écrit du procureur de la République, la Cour relève que, lors de l’examen de l’opposition, le procureur a déposé devant la cour d’assises pour mineur de Beyoğlu ses conclusions écrites tendant au rejet de la demande d’élargissement, lesquelles conclusions n’ont pas été communiquées au requérant ou à son avocat. Ces derniers n’ont donc pas eu la possibilité de répondre à cet avis. La cour d’assises pour mineur a statué dans le sens de l’avis du procureur et a rejeté l’opposition formée par le requérant (paragraphe 13 ci-dessus). Dès lors, considérant que le requérant ou son avocat n’ont pas eu la possibilité de se voir communiquer l’avis du procureur ni d’y répondre, l’égalité des armes entre les parties n’a pas été respectée (voir dans le même sens Altınok, précité, § 60).

47. Partant, la Cour estime que le recours en opposition prévu en droit interne n’a pas satisfait aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention et elle conclut à la violation de cette disposition.

C. Sur l’article 5 § 5 de la Convention

48. Le requérant se plaint enfin de l’absence d’un recours qui lui aurait permis de demander réparation. Il invoque l’article 5 § 5 de la Convention, ainsi libellé :

« 5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

49. Le Gouvernement soutient que le requérant avait la possibilité d’obtenir une indemnisation en vertu des articles 141 et suivants du code de procédure pénale.

50. La Cour rappelle que le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 de l’article 5 de la Convention suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes de cette disposition ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH, 2002‑X). En l’espèce, la Cour ayant conclu à la violation des paragraphes 3 et 4 de l’article 5, il reste à déterminer si le requérant disposait de la possibilité de demander réparation pour le préjudice subi.

51. La Cour relève que l’article 141 du code de procédure pénale prévoit la possibilité pour une personne ayant fait l’objet d’une mesure de détention préventive de demander une indemnisation dans certains cas limitativement énoncés. Or la Cour observe, à la lecture de cette disposition, qu’aucun des cas de figure énumérés ne prévoit la possibilité de demander la réparation d’un préjudice subi en raison de défaillances procédurales du recours susceptible de remédier au grief de détention provisoire. A cet égard, le Gouvernement est resté en défaut de produire une quelconque décision de justice relative à l’octroi d’une indemnité, sur le fondement de cette disposition, à un justiciable se trouvant dans la situation du requérant.

52. La Cour observe en outre que cette disposition ne permet pas au justiciable d’intenter le recours indemnitaire au cours de la procédure engagée à son encontre, puisqu’au niveau interne le recours en question n’est recevable qu’après l’obtention d’une décision définitive (Kürüm c. Turquie, no 56493/07, § 20, 26 janvier 2010). En l’espèce, la procédure étant toujours pendante devant les juridictions nationales, le requérant n’a pas la possibilité d’exercer le recours en question pour le moment.

53. Partant, la Cour estime que la voie de l’indemnisation indiquée par le Gouvernement ne saurait constituer un recours effectif au sens de l’article 5 § 5 de la Convention. Elle conclut donc à la violation de l’article 5 § 5 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION

54. Le requérant se plaint de ce que sa cause n’a pas été entendue dans un délai raisonnable et de l’absence de voie de recours interne en vue de contester la durée de la procédure pénale engagée contre lui. Il invoque à ce titre les articles 6 et 13 de la Convention, ainsi libellés en leurs parties pertinentes :

Article 6

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

55. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur l’article 6 de la Convention

56. Le Gouvernement soutient que la durée de la procédure litigieuse ne peut pas être considérée comme déraisonnable et ajoute qu’aucun manque de diligence, d’après lui, ne saurait être reproché aux instances nationales dans le déroulement de la procédure en question.

57. Le requérant conteste ces arguments.

58. La période à considérer a débuté le 15 janvier 2007 et n’a pas encore pris fin, dans la mesure où elle est toujours pendante devant la Cour de cassation. Elle a donc déjà duré plus de cinq ans, pour deux degrés de juridiction.

59. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

60. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à la présente et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Pélissier et Sassi, précité). Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

61. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

B. Sur l’article 13 de la Convention

62. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes au motif que le requérant a omis de soulever, même en substance, son grief tiré de la durée de la procédure devant les juridictions internes. D’après lui, l’intéressé aurait dû en outre déposer une demande d’indemnisation en vertu des articles 141 et 142 de la loi sur la procédure pénale.

63. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI).

64. Certes, la circonstance qu’un recours, en raison de sa nature purement indemnitaire, ne permette pas d’accélérer une procédure en cours n’est pas déterminante. La Cour rappelle à cet égard qu’elle a jugé que les recours dont un justiciable dispose au plan interne pour se plaindre de la durée d’une procédure sont « effectifs », au sens de l’article 13 de la Convention, lorsqu’ils permettent d’« empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée, ou [de] fournir à l’intéressé un redressement approprié pour toute violation s’étant déjà produite » (Hartman c. République tchèque, no 53341/99, § 81, CEDH 2003–VIII (extraits)). L’article 13 ouvre donc une option en la matière : un recours est « effectif » dès lors qu’il permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Kudła, précité, § 159). Selon la Cour, vu les « étroites affinités » que présentent les articles 13 et 35 § 1 de la Convention (Kudła, précité, § 152), il en va nécessairement de même pour la notion de recours « effectif » au sens de cette seconde disposition (Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, CEDH 2002–VIII).

65. S’agissant de la première branche des exceptions avancées par le Gouvernement, la Cour rappelle qu’elle a déjà écarté des exceptions similaires. En effet, elle a constaté que l’ordre juridique turc n’offrait pas aux justiciables un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée excessive des procédures pénales (Daneshpayeh, précité, §§ 35-38, 16 juillet 2009, et Tendik et autres c. Turquie, no 23188/02, § 36, 22 décembre 2005).

66. Quant à l’exception du Gouvernement relative aux articles 141 et 142 de la loi sur la procédure pénale, la Cour note que ces articles figurent dans le chapitre intitulé « Indemnité en raison des mesures préventives ». L’article 141 contient une liste exhaustive de cas de figure pouvant donner lieu à une demande d’indemnisation. Parmi ces cas, figure celui d’une personne ayant fait l’objet d’une mesure de détention provisoire et qui n’est pas jugée dans un délai raisonnable.

67. La Cour note d’abord que cette disposition ne vise a priori que l’indemnisation à raison d’une durée excessive de détention provisoire et non pas l’indemnisation à raison de la durée excessive de la procédure pénale. A cet égard, le Gouvernement est resté en défaut de produire une quelconque décision de justice relative à l’octroi d’une indemnité sur le fondement de cette disposition à un justiciable se plaignant de la longueur de la procédure pénale diligentée contre lui. Partant de là, la Cour estime que la voie d’indemnisation indiquée par le Gouvernement ne saurait constituer un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention pour obtenir une indemnisation lorsque c’est la procédure pénale dans son ensemble qui a excédée un délai raisonnable.

68. En tout état de cause, la Cour observe que cette disposition ne permet pas au justiciable d’exercer le recours indemnitaire en question au cours de la procédure engagée à son encontre, puisqu’au niveau interne un tel recours n’est recevable qu’après l’obtention d’une décision définitive (Kürüm, précité, § 20). En l’espèce, la procédure étant toujours pendante devant les juridictions nationales, le requérant n’a pas la possibilité d’exercer le recours en question pour le moment, quand bien même la longueur de la procédure aurait déjà dépassé un délai raisonnable.

69. Dès lors, l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes ne saurait être retenue et il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence en droit interne d’un recours permettant au requérant d’obtenir l’examen de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

70. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage moral

71. Le requérant réclame 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

72. Le Gouvernement conteste ce montant.

73. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 2 200 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

74. Le requérant demande également 4 938 livres turques (environ 2 250 EUR) pour les frais et dépens engagés devant la Cour. A titre de justificatif, il fournit le barème des honoraires de l’Union des barreaux de Turquie.

75. Le Gouvernement conteste ce montant.

76. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

Tenant compte du manque de documents pertinents en sa possession et des critères dégagés par sa jurisprudence, la Cour rejette la demande présentée à ce titre.

C. Intérêts moratoires

77. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de disjoindre la présente requête des requêtes nos 49651/06 et 8076/08 ;

2. Décide de joindre au fond l’exception du Gouvernement se rapportant à la durée de la procédure pénale et de la rejeter ;

3. Déclare la requête recevable, à l’exception du grief tiré de l’ineffectivité de la procédure d’examen d’office de la détention, qu’elle déclare irrecevable ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 §§ 3, 4 et 5 de la Convention ;

5. Dit qu’il y a eu violation des articles 6 et 13 de la Convention ;

6. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 200 EUR (deux mille deux cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, somme à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 juillet 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithFrançoise Tulkens
GreffierPrésidente


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