DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE VUČKOVIĆ ET AUTRES c. SERBIE
(Requête no 17153/11 et 29 autres requêtes visées à l’annexe jointe au présent arrêt)
ARRÊT
STRASBOURG
28 août 2012
CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT
LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE
25/03/2014
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Vučković et autres c. Serbie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, Présidente,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 juillet 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouvent trente requêtes dirigées contre la Serbie, dont la Cour a été saisie en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 14 février 2011. Les requérants sont tous des ressortissants serbes. Leurs coordonnées complètes figurent à l’annexe jointe au présent arrêt.
2. Les requérants ont été représentés par Me S. Aleksić, avocat à Niš. Le gouvernement serbe (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. S. Carić.
3. Les requérants s’estimaient victimes de discrimination et d’une jurisprudence incohérente relativement au paiement d’indemnités journalières auxquelles pouvaient prétendre tous les réservistes qui avaient servi dans l’armée yougoslave de mars à juin 1999.
4. Le 24 août 2011, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement. La Cour a décidé également de se prononcer en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire (article 29 § 1).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
A. Le contexte et les actions engagées par les requérants
6. Les requérants sont tous des réservistes qui ont été réquisitionnés par l’armée yougoslave dans le cadre de l’intervention menée en Serbie par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Ils ont ainsi servi dans l’armée de mars à juin 1999 et, à ce titre, avaient droit à une indemnité journalière, en vertu de plusieurs décisions et ordonnances d’avril 1999 signées par le Chef d’état-major de l’armée yougoslave et reposant sur les arrêtés pertinents adoptés conformément à la législation relative aux forces armées, en particulier sur le Règlement sur les frais de déplacement et autres dans l’armée yougoslave (Pravilnik o naknadi putnih i drugih troškova u Vojsci Jugoslavije) tel que modifié en mars 1999.
7. Or, après la démobilisation, le Gouvernement refusa d’honorer son obligation envers les réservistes, parmi lesquels les requérants.
8. Les réservistes organisèrent alors une série de protestations publiques, dont certaines aboutirent à une confrontation ouverte avec la police. En définitive, après de longues négociations, le Gouvernement parvint le 11 janvier 2008 à un accord avec certains des réservistes, qui résidaient dans les communes de Kuršumlija, Lebane, Bojnik, Žitorađa, Doljevac, Prokuplje et Blace. Cet accord prévoyait le versement aux réservistes bénéficiaires d’un paiement en six mensualités, qui leur seraient versées par leurs municipalités respectives, des montants globaux ayant été fixés pour chaque commune. Les communes en question avaient été choisies en raison de leur situation « défavorisée », ce qui impliquait que les réservistes qui y résidaient étaient indigents. Les réservistes signataires de l’accord acceptaient pour leur part de renoncer à toute créance non réglée au titre du service militaire qu’ils avaient effectué en 1999 et en particulier de se désister des actions qu’ils avaient engagées devant les juridictions civiles. Enfin, il était précisé que les critères d’attribution de l’« aide financière » accordée dans le cadre de l’accord seraient déterminés par une commission composée de représentants des autorités locales et de représentants des réservistes.
9. De même que tous les autres réservistes non résidents de ces communes, les requérants ne purent bénéficier de l’accord du 11 janvier 2008.
10. Le 26 mars 2009, ils engagèrent donc une action civile contre l’Etat défendeur aux fins d’obtenir le paiement de leurs indemnités journalières. Ils alléguaient être victimes de discrimination.
11. Le 8 juillet 2010, le tribunal de première instance (Osnovni sud) de Niš les débouta. Il reconnut que leur action avait une base légale mais, faisant droit à l’argument de l’Etat défendeur selon lequel le délai de prescription applicable était de trois ans à compter de la démobilisation, en vertu de l’article 376 § 1 de la loi sur les obligations, il jugea leur action tardive.
12. Le 16 novembre 2010, la cour d’appel (Apelacioni sud) de Niš confirma ce jugement, qui devint donc définitif. Dans son raisonnement, elle nota que tant le délai de prescription de trois ans que celui de cinq ans, prévus respectivement à l’article 376 §§ 1 et 2 de la loi sur les obligations, s’étaient écoulés avant que les requérants n’introduisent leur action civile (paragraphe 40 ci-dessous).
13. Après que l’arrêt de la cour d’appel leur eut été communiqué, le 21 janvier 2011, les requérants saisirent la Cour constitutionnelle (Ustavni sud), soutenant notamment que cet arrêt s’écartait de la jurisprudence des autres juridictions d’appel serbes – les tribunaux de district (okružni sudovi) lorsqu’ils existaient, puis les cours supérieures et les cours d’appel (viši i apelacioni sudovi) – celles-ci ayant appliqué pour les mêmes faits un délai de prescription plus long (dix ans) et statué en faveur des demandeurs (voir l’article 371 de la loi sur les obligations au paragraphe 39 ci-dessous). Dans leur recours, ils mentionnaient également l’accord conclu entre le Gouvernement et certains des réservistes le 11 janvier 2008, d’où étaient exclus tous les autres réservistes y compris eux-mêmes.
14. La procédure devant la Cour constitutionnelle est toujours pendante.
B. Les autres actions civiles
15. Entre l’année 2002 et le début du mois de mars 2009, des juridictions de première instance et d’appel de divers lieux de Serbie statuèrent sur les cas de réservistes qui se trouvaient dans une situation similaire à celle des requérants, parfois en leur faveur parfois en leur défaveur, en appliquant soit des délais de prescription de trois ans ou de cinq ans soit un délai de prescription de dix ans.
16. Entre-temps, en 2003 et en 2004, la Cour suprême rendit deux avis juridiques (pravna shvatanja) impliquant l’un et l’autre que le délai de prescription applicable devait être de trois ou cinq ans en vertu de l’article 376 §§ 1 et 2 de la loi sur les obligations (paragraphes 40, 43 et 44 ci-dessous).
17. Le Gouvernement allègue aussi que la Cour suprême a rendu un autre avis juridique sur la question en 2009, dans le même sens mais en termes plus précis, cependant aucun avis de ce type n’a jamais été publié dans son bulletin officiel de jurisprudence (Bilten sudske prakse).
18. Entre le 25 février 2010 et le 15 septembre 2011, différentes juridictions d’appel statuèrent au fond conformément aux avis rendus par la Cour suprême en 2003 et en 2004 (voir par exemple les décisions de la cour supérieure de Kraljevo, Gž. 1476/11, 15 septembre 2011, de la cour supérieure de Valjevo, Gž. 252/10, 25 février 2010, 806/10, 27 mai 2010, 1301/10, 30 septembre 2010, 1364/10, 4 novembre 2010, et 355/11, 24 mars 2011, de la cour supérieure de Kruševac, Gž. 38/11, 27 janvier 2011, 282/11, 7 avril 2011, et 280/11, 26 avril 2011, et de la cour d’appel de Niš, Gž. 2396/10, 23 juin 2010, 3379/2010, 2 juillet 2010, 2373/2010, 21 juillet 2010, et 4117/2010, 30 novembre 2010).
19. Entre le 17 juin 2009 et le 23 novembre 2011, les juridictions d’appel rendirent aussi plusieurs décisions dans lesquelles elles statuèrent contre les réservistes mais pour un motif différent : elles rejetèrent les demandes au motif qu’elles étaient de nature administrative et ne relevaient donc pas de la compétence des juridictions civiles – ce qui n’a pas été le cas dans les affaires des requérants (voir la décision Gž. 7773/09 du 17 juin 2009 du tribunal de district de Belgrade et les décisions Gž. 11139/10 du 17 novembre 2010, Gž. 11636/10 du 23 novembre 2011 et Gž. 10897/10 du 23 novembre 2011 de la cour supérieure de Belgrade).
20. Le 17 juillet 2010, le tribunal de première instance de Leskovac rendit un jugement par défaut en faveur d’un réserviste (P.br. 1745/07). Au regard des informations communiquées par les parties, rien ne permet de dire que ce jugement soit devenu définitif.
C. Les autres faits relatifs à l’accord du 11 janvier 2008
21. Le 17 janvier 2008, le Gouvernement valida l’accord du 11 janvier 2008 et décida de verser aux municipalités concernées les sommes qui y étaient indiquées.
22. Le 28 août 2008, le Gouvernement mit en place un groupe de travail chargé de traiter les demandes de tous les autres réservistes, c’est-à-dire ceux qui ne résidaient pas dans l’une des sept communes. Après avoir discuté de la question avec différents groupes de réservistes, ce groupe de travail conclut finalement que leurs demandes n’étaient pas acceptables, notamment parce que : i) ils ne les avaient pas harmonisées ni détaillées ; ii) il n’était pas certain que tous leurs représentants aient réellement qualité pour les représenter ; iii) l’Etat ne disposait pas de suffisamment de fonds pour faire droit à ces demandes ; et iv) dans la plupart des cas, les réservistes avaient déjà perçu des indemnités journalières de guerre.
23. Le 26 juillet 2011, la commissaire à la Protection de l’Egalité (Poverenica za zaštitu ravnopravnosti), dont la fonction, proche de celle d’un médiateur, avait été créée par la loi sur l’interdiction de la discrimination (publiée au journal officiel de la République de Serbie (JORS) no 22/09), examina les plaintes introduites par une organisation représentant les intérêts de réservistes qui se trouvaient dans une situation analogue à celle des requérants et conclut que les intéressés avaient été victimes d’une discrimination fondée sur leur lieu de résidence, c’est-à-dire sur le fait qu’ils n’étaient pas résidents de l’une de sept communes privilégiées. Elle recommanda au Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le versement à tous les réservistes des paiements acceptés par la décision du 17 janvier 2008, et l’invita à lui communiquer un « plan d’action » approprié dans un délai de trente jours. Dans son raisonnement, elle estima notamment que, même si le Gouvernement avait choisi de les considérer comme des prestations sociales (socijalna pomoć) octroyées aux personnes nécessiteuses, les paiements en question étaient bel et bien des indemnités journalières, et que la meilleure illustration en était le fait que les réservistes bénéficiaires, résidant dans l’une ou l’autre des sept communes, avaient dû renoncer à leurs créances sur les indemnités journalières et n’avaient jamais dû prouver leur indigence (imovinsko stanje i socijalnu ugroženost). Il n’y avait donc selon elle pas de justification objective et raisonnable à la différence de traitement appliquée aux réservistes sur la seule base de leur lieu de résidence.
24. Le 7 décembre 2011, le ministère du Travail et des Affaires sociales (Ministarstvo rada i socijalne politike) indiqua qu’il fallait poursuivre les discussions avec les différents groupes de réservistes et, si possible, apporter une aide financière aux plus indigents d’entre eux.
D. Le mémorandum du 16 mars 2009
25. Dans un mémorandum du 16 mars 2009, le ministère de l’Economie et du Développement régional (Ministarstvo ekonomije i regionalnog razvoja) appela l’attention du ministère de la Justice (Ministarstvo pravde) sur le fait que de nombreuses actions civiles concernant des conflits du travail étaient introduites contre des entreprises publiques ou anciennement publiques. Soulignant que cette situation risquait de mettre en péril la stabilité économique du pays, il lui demandait d’examiner la possibilité de conseiller aux tribunaux de suspendre certains types de procédures de cet ordre jusqu’à la fin de l’année 2009 et de renoncer à faire exécuter les décisions définitives qui auraient déjà été adoptées dans pareilles procédures. De nombreux médias ont rapporté que, lorsqu’il reçut ce mémorandum, le ministère de la Justice le transmit à la Cour suprême (Vrhovni sud), qui le communiqua par télécopie aux présidents des juridictions d’appel pour information.
26. Le 23 mars 2009, la Cour suprême informa le public qu’elle avait rejeté la recommandation du ministère de l’Economie et du Développement régional. Elle souligna notamment que l’ordre judiciaire serbe était indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La Constitution de la République de Serbie (Ustav Republike Srbije, publiée au journal officiel de la République de Serbie no 98/06)
27. Les dispositions pertinentes de la Constitution sont ainsi libellées :
Article 21 §§ 2 et 3
« Chacun a droit à l’égale protection de la loi, sans discrimination.
Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur quelque motif que ce soit, en particulier sur la race, le sexe, l’origine nationale ou sociale, la naissance, la religion, les opinions politiques ou autres, la fortune, la culture, la langue, l’âge ou le handicap mental ou physique est interdite. »
Article 32 § 1
« Chacun a droit à (...) [un procès équitable devant un] (...) tribunal (...) [qui statuera] (...) sur ses droits et obligations (...) »
Article 36 § 1
« L’égale protection des droits devant les tribunaux (...) est garantie. »
Article 170
« Les mesures prises par les organes ou organismes de l’Etat dans l’exercice de leur pouvoirs délégués de puissance publique et emportant violation ou privation des droits et libertés de l’homme et des minorités garantis par la Constitution peuvent faire l’objet d’un recours constitutionnel si les autres recours juridiques permettant de protéger ces droits et libertés ont été épuisés ou n’existent pas. »
B. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle
28. Le 9 juin 2010 et le 17 février 2011, la Cour constitutionnelle rejeta deux recours constitutionnels distincts introduits par des réservistes qui se trouvaient dans une situation analogue à celle des requérants. Elle jugea notamment que les décisions rendues en leur défaveur par les juridictions civiles étaient « fondées sur la législation interne applicable ». Cela étant, ces réservistes n’avaient jamais expressément argué que la jurisprudence en la matière était incohérente ni qu’ils avaient été victimes de discrimination (Už. 460/08 et Už. 2293/10).
29. Le 17 février 2011, dans une autre affaire analogue à celle des requérants, la Cour constitutionnelle ignora un grief consistant à dire que l’accord du 11 janvier 2008 créait une différence de traitement entre les deux groupes de réservistes. En particulier, elle n’apprécia pas au fond la question soulevée par les requérants, indiquant qu’ils n’avaient pas apporté de preuve satisfaisante de l’existence de divergences de jurisprudence sur la question (Už. 2901/10).
30. Le 7 avril 2011, dans une autre affaire analogue à celle des requérants, la Cour constitutionnelle rejeta le grief tiré par les réservistes de l’issue de leur action devant les juridictions inférieures. La décision elle-même ne mentionne pas l’accord du 11 janvier 2008 et on ne sait pas bien si les auteurs du recours avaient soulevé la question (Už. 4421/10).
31. Le 8 mars 2012, dans une affaire analogue à celle des requérants mais dans laquelle les juridictions civiles avaient rejeté l’action des réservistes pour défaut de compétence ratione materiae (voir par exemple le paragraphe 19 ci-dessus), la Cour constitutionnelle statua en faveur des auteurs du recours, qui avaient argué d’une divergence de jurisprudence (entre les décisions adoptées dans leurs affaires respectives et d’autres décisions rendues par les tribunaux en 2002) et elle ordonna la réouverture des procédures civiles litigieuses. Elle estima toutefois que la divergence de jurisprudence n’avait pas constitué une discrimination étant donné que les décisions litigieuses n’avaient pas été prises sur la base d’une caractéristique personnelle (ličnog svojstva) des intéressés. Cette décision ne mentionne pas non plus l’accord du 11 janvier 2008 (Už. 2289/09).
32. Dans la décision Už. 61/09 du 3 mars 2011 ainsi que dans les décisions Už. 553/09, 703/09 et 792/09, toutes du 17 mars 2011, et dans les décisions Už. 2133/09, 1928/09, 1888/09, 1695/09, 1578/09, 1575/09, 1524/09, 1318/09 et 1896/09, rendues entre le 7 octobre 2010 et le 23 février 2012, la Cour constitutionnelle releva l’existence de divergences dans la jurisprudence interne en matière civile et jugea que cette situation allait à l’encontre du principe de la sécurité juridique, qui faisait partie intégrante du droit à un procès équitable. En revanche, elle rejeta pour défaut manifeste de fondement les griefs selon lesquels cette situation aurait été discriminatoire, les décisions de justice litigieuses n’ayant pas été rendues sur le fondement de caractéristiques personnelles des auteurs des recours. Elle n’ordonna pas de réouverture des procédures. Ces décisions concernaient des questions qui n’étaient factuellement pas liées à la situation des requérants en l’espèce.
C. La loi sur la procédure civile (Zakon o parničnom postupku, publiée aux JORS nos 125/04 et 111/09)
33. L’article 2 § 1 de cette loi dispose notamment que chaque partie a droit à l’égale protection de ses droits.
34. L’article 476 énonce les circonstances dans lesquelles il peut être rendu un jugement par défaut (presuda zbog izostanka). C’est le cas notamment lorsque le défendeur pourtant dûment cité à comparaître ne se présente pas à l’audience.
35. L’article 422.10 dispose qu’une affaire peut être rouverte si la Cour européenne des droits de l’homme a entre-temps rendu à l’égard de la Serbie un arrêt concernant la même question juridique ou une question juridique analogue.
D. La loi sur l’organisation des tribunaux (Zakon o uređenju sudova, publiée aux JORS nos 63/01, 42/02, 27/03, 29/04, 101/05 et 46/06)
36. L’article 40 §§ 2 et 3 dispose notamment que la Cour suprême doit tenir une réunion de division (sednica odeljenja) en cas de problème de cohérence de sa jurisprudence. Tous les avis juridiques (pravna shvatanja) adoptés lors de cette réunion sont contraignants pour les formations (veća) de la division en question.
E. Le règlement sur les frais de déplacement et autres dans l’armée yougoslave (Pravilnik o naknadi putnih i drugih troškova u Vojsci Jugoslavije, publié aux nos 38/93, 23/93, 3/97, 11/97, 12/98, 6/99 et 7/99 du Bulletin officiel de l’armée)
37. Ce règlement énonce les règles relatives au remboursement des dépenses engagées dans le cadre du service militaire.
F. La loi sur les obligations (Zakon o obligacionim odnosima, publiée aux nos 29/78, 39/85, 45/89 et 57/89 du journal officiel de la République socialiste fédérative de Yougoslavie et au no 31/93 du journal officiel de la République fédérale de Yougoslavie)
38. L’article 360 § 3 dispose que, dans le cadre des procédures portées devant eux, les tribunaux ne peuvent tenir compte de délais de prescription extinctive que si le débiteur a soulevé une exception en ce sens.
39. L’article 371 énonce que le délai général de prescription extinctive pour les actions civiles est de dix ans, sauf disposition contraire.
40. L’article 376 §§ 1 et 2 dispose notamment que le délai de prescription extinctive en matière d’action en indemnisation civile est de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu connaissance du préjudice en cause, sous réserve d’un délai de prescription maximal de cinq ans à compter de la date du préjudice.
41. Les articles 387 et 388 disposent notamment que la reconnaissance directe ou indirecte par le débiteur de la créance en cause et l’introduction par le demandeur d’une action civile relative à cette créance interrompent l’une comme l’autre le cours du délai de prescription extinctive.
42. L’article 392 §§ 1 à 3 dispose notamment qu’une telle interruption a pour effet de faire repartir au début le délai de prescription à la date de la reconnaissance de la créance par le débiteur ou de la conclusion de l’action civile.
G. Les avis juridiques adoptés par la Cour suprême
43. Le 26 mai 2003, la Cour suprême jugea notamment que, indépendamment de la compétence des autorités administratives quant aux demandes formulées par les réservistes relativement à leurs indemnités journalières, les juridictions civiles étaient compétentes pour connaître au fond de toutes affaires liées à cette situation dans lesquelles il était demandé réparation (paragraphe 40 ci-dessus) d’une faute alléguée de l’Etat (avis juridique de la chambre civile de la Cour suprême de Serbie établi à la réunion du 26 mai 2003, pravno shvatanje Građanskog odeljenja Vrhovnog suda Srbije utvrđeno na sednici od 26. maja 2003, publié au bulletin officiel de jurisprudence no 1/04).
44. Le 6 avril 2004, elle réaffirma pour l’essentiel ses conclusions du 26 mai 2003 et en étendit l’application à certaines autres « créances militaires ». Elle nota également qu’entre-temps, les tribunaux avaient rendu certaines décisions divergentes (avis juridique de la chambre civile de la Cour suprême de Serbie établi à sa 6e réunion, le 6 avril 2004, pravno shvatanje Građanskog odeljenja Vrhovnog suda Srbije utvrđeno na sednici od 6. aprila 2004, publié au bulletin officiel de jurisprudence no 1/04).
EN DROIT
I. JONCTION DES REQUÊTES
45. La Cour estime qu’il y a lieu de joindre les requêtes, conformément à l’article 42 § 1 de son règlement, eu égard à leur cadre factuel et juridique analogue.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
46. Sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de divergences dans la jurisprudence des tribunaux serbes, et en particulier du rejet de leurs actions respectives par la cour d’appel de Niš alors que d’autres juridictions civiles statuant sur des demandes identiques introduites par d’autres réservistes avaient fait droit aux demandeurs en interprétant différemment les délais de prescription applicables.
47. En ses parties pertinentes, l’article 6 § 1 est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Thèses des parties
48. Le Gouvernement indique que la Cour constitutionnelle a statué à ce jour sur vingt-trois affaires analogues à celle des requérants et qu’elle a rejeté les griefs correspondants pour des motifs liés au fond dans vingt et une de ces affaires et pour des motifs procéduraux dans les deux autres. Il précise cependant que dans ces affaires, aucun des auteurs des recours n’avait dûment exposé et/ou étayé ses griefs relatifs à une incohérence de la jurisprudence (voir par exemple les paragraphes 28 à 30 ci-dessus).
49. Le Gouvernement a également communiqué à la Cour la copie d’une décision rendue par la Cour constitutionnelle le 8 mars 2012 (paragraphe 31 ci-dessus) qui, selon lui, illustre le caractère effectif des recours portés devant cette juridiction, quoique dans un contexte légèrement différent.
50. Le recours des requérants étant toujours pendant devant la Cour constitutionnelle, le Gouvernement estime que leur requête devant la Cour est prématurée au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.
51. A titre subsidiaire, il soutient que les faits de la présente espèce font clairement apparaître une absence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention. En particulier : i) la Cour suprême aurait adopté, en 2003 et en 2004 respectivement, deux avis juridiques indiquant que le délai de prescription applicable en pareil cas était de trois ou cinq ans ; ii) elle aurait adopté en 2009 un avis exprès en ce sens, levant ainsi toute incertitude qui aurait pu subsister ; iii) depuis lors, la jurisprudence interne sur le sujet serait cohérente, c’est-à-dire que les tribunaux de première et de deuxième instances appliqueraient universellement des délais de prescription de trois ou cinq ans, la seule exception étant le jugement par défaut rendu en première instance dans un cas où la juridiction civile compétente n’aurait pas pu tenir compte du délai de prescription car le défendeur n’avait pas soulevé cette exception au préalable. Le Gouvernement conclut qu’il aurait donc dû être évident pour les requérants dès le début que leurs actions seraient rejetées pour tardiveté.
52. Enfin, le Gouvernement précise que la recommandation figurant dans le mémorandum émis par le ministère de l’Economie le 16 mars 2009 n’a jamais été appliquée (paragraphes 25 et 26 ci-dessus). Il estime donc que ce mémorandum est sans pertinence aux fins de la présente affaire.
53. Les observations des requérants faisant suite à la communication de l’affaire au Gouvernement ont été soumises après l’expiration du délai fixé par la Cour. Le président de la chambre a donc décidé, en vertu de l’article 38 § 1 du règlement, qu’elles ne devaient pas être versées au dossier pour examen par la Cour (voir aussi le paragraphe 20 de l’Instruction pratique concernant les observations écrites). En revanche, toutes les mises à jour factuelles ont été admises et transmises au Gouvernement pour information.
B. Appréciation de la Cour
54. Dans son récent arrêt de Grande Chambre Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie ([GC], no 13279/05, 20 octobre 2011), la Cour a rappelé les grands principes applicables aux affaires relatives à la question du conflit de jurisprudence (§§ 49-58). Ces principes peuvent se résumer comme suit.
i) Il n’appartient pas à la Cour de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction nationale, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I). De même, sauf dans les cas d’un arbitraire évident, il ne lui appartient pas de comparer les diverses décisions rendues par des tribunaux nationaux – même dans des litiges de prime abord voisins – car l’indépendance de ces tribunaux doit être respectée (Ādamsons c. Lettonie, no 3669/03, § 118, 24 juin 2008).
ii) L’éventualité de divergences de jurisprudence est naturellement inhérente à tout système judiciaire reposant sur un ensemble de juridictions du fond ayant autorité sur leur ressort territorial. De telles divergences peuvent également apparaître au sein d’une même juridiction. Cela, en soi, ne saurait être considéré comme contraire à la Convention (Santos Pinto c. Portugal, no 39005/04, § 41, 20 mai 2008, et Tudor Tudor c. Roumanie, no 21911/03, 24 mars 2009, § 29).
iii) Les critères qui guident l’appréciation que fait la Cour des conditions dans lesquelles des décisions contradictoires de différentes juridictions internes statuant en dernier ressort emportent violation du droit au procès équitable consacré à l’article 6 § 1 de la Convention consistent à déterminer s’il existe dans la jurisprudence des juridictions internes « des divergences profondes et persistantes », si le droit interne prévoit un mécanisme visant à supprimer ces incohérences, si ce mécanisme a été appliqué et quels ont été, le cas échéant, les effets de son application (Iordan Iordanov et autres c. Bulgarie, no 23530/02, 2 juillet 2009, §§ 49-50, voir aussi Beian c. Roumanie (no 1), no 30658/05, CEDH 2007‑XIII (extraits), §§ 34‑40, Ştefan et Ştef c. Roumanie, nos 24428/03 et 26977/03, §§ 33-36, 27 janvier 2009, Schwarzkopf et Taussik c. République tchèque (déc.), no 42162/02, 2 décembre 2008, Tudor Tudor, précité, § 31, et Ştefănică et autres c. Roumanie, no 38155/02, 2 novembre 2010, § 36).
iv) L’appréciation de la Cour a toujours reposé sur le principe de la sécurité juridique, qui est implicite à tous les articles de la Convention et qui constitue l’un des aspects fondamentaux de l’état de droit (voir, parmi d’autres, Beian (no 1), précité, § 39, Iordan Iordanov et autres, précité, § 47, et Ştefănică et autres, précité, § 31).
v) Le principe de la sécurité juridique garantit notamment une certaine stabilité des situations juridiques et contribue à la confiance du public dans la justice. La persistance de décisions de justice divergentes risque par ailleurs de créer un état d’incertitude juridique de nature à réduire la confiance du public dans le système judiciaire, alors même que cette confiance constitue l’une des composantes fondamentales de l’Etat de droit (Paduraru c. Roumanie, § 98, no 63252/00, CEDH 2005-XII (extraits), Vinčić et autres c. Serbie, nos 44698/06 et autres, § 56, 1er décembre 2009, et Ştefănică et autres, précité, § 38).
vi) Cependant, les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (UNEDIC c. France, no 20153/04, § 74, 18 décembre 2008). L’évolution de la jurisprudence n’est pas, en elle-même, contraire à la bonne administration de la justice, car l’abandon d’une approche dynamique et évolutive risquerait de faire obstacle à toute réforme ou amélioration (Atanasovski c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », no 36815/03, § 38, 14 janvier 2010).
55. En l’espèce, la Cour note premièrement que les requérants se plaignent d’avoir été déboutés par la cour d’appel de Niš alors que d’autres juridictions civiles ont accueilli des demandes identiques introduites par d’autres réservistes en interprétant différemment les délais de prescription applicables.
56. Deuxièmement, s’il y a clairement eu entre 2002 et début mars 2009, et peut-être même après cette dernière date, des divergences de jurisprudence sur ce point, il semble qu’en février 2010 la jurisprudence ait été réellement harmonisée en deuxième instance conformément aux avis rendus par la Cour suprême en 2003 et en 2004, c’est-à-dire par une application constante du délai de prescription de trois ou cinq ans et non du délai général de dix ans (paragraphes 15 à 18, 39 et 40 ci-dessus). Dans ce contexte, il importe peu de savoir si la Cour suprême a ou non adopté un avis supplémentaire en 2009 (paragraphe 17 ci-dessus).
57. Troisièmement, les requérants ont introduit leur action le 26 mars 2009, et le tribunal de première instance les a déboutés le 8 juillet 2010, appliquant le délai de prescription de trois ans (paragraphes 10 et 11 ci-dessus). Il s’ensuit que la jurisprudence pertinente des juridictions d’appel avait été harmonisée moins d’un an après l’introduction de leur action et, en tout état de cause, plus de quatre mois avant l’adoption du jugement de première instance dans leur affaire.
58. Quatrièmement, la Cour observe que, le 17 juillet 2010, le tribunal de première instance de Leskovac a adopté en faveur d’un réserviste un jugement par défaut, c’est-à-dire un jugement prononcé en cas de défaut de comparution du défendeur pourtant dûment convoqué (paragraphe 34 ci-dessus). Cependant, au vu des informations communiquées par les parties, rien ne permet de dire que ce jugement soit devenu définitif (paragraphe 20 ci-dessus). La Cour note également que, comme l’a souligné le Gouvernement, l’article 360 § 3 de la loi sur les obligations dispose que, dans le cadre des procédures menées devant elles, les juridictions civiles ne peuvent tenir compte du délai de prescription que si le débiteur en excipe expressément (paragraphe 38 ci-dessus). Or rien n’indique que tel ait été le cas en l’espèce. Enfin, la Cour relève que c’est plutôt le jugement du tribunal de première instance de Leskovac qui pourrait être considéré comme une exception à la jurisprudence harmonisée en février 2010 que l’inverse (voir, mutatis mutandis, Tomić et autres c. Monténégro, nos 18650/09 et autres, § 57, 17 avril 2012, non définitif).
59. Cinquièmement, aussi regrettable que puisse en être la teneur, le mémorandum du ministère de l’Economie en date du 16 mars 2009 est sans pertinence pour les griefs des requérants étant donné qu’il concernait un type d’affaire différent et n’a, de toute façon, jamais été appliqué (paragraphes 25 et 26 ci-dessus).
60. En pareilles circonstances, on ne peut pas dire, du moins en ce qui concerne les requérants, qu’il y ait eu « des divergences profondes et persistantes » dans la jurisprudence pertinente, ni qu’en ait découlé une insécurité juridique pendant la période en question. La Cour juge donc que les griefs formulés par les requérants à cet égard sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en vertu de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
61. Elle estime par ailleurs qu’à la lumière de cette conclusion il n’est pas nécessaire de statuer sur l’exception tirée par le Gouvernement du caractère selon lui prématuré des mêmes griefs.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
62. Les requérants s’estiment également victimes d’une discrimination découlant de l’accord du 11 janvier 2008 (paragraphes 8 et 21 ci-dessus). Ils invoquent l’article 14 de la Convention.
63. La Cour a communiqué ce grief au Gouvernement sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.
64. Ces dispositions sont ainsi libellées :
Article 14 de la Convention
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
65. Le Gouvernement soutient que les griefs des requérants doivent être rejetés en raison de leur caractère prématuré, le recours porté par les intéressés devant la Cour constitutionnelle étant encore pendant.
66. Il argue que, dans la décision Už. 2901/10 du 17 février 2011, la Cour constitutionnelle en date n’a pas comparé la situation des auteurs du recours à celle des réservistes bénéficiaires de l’accord du 11 janvier 2008 car rien ne montrait que les intéressés aient jamais fait de démarches pour conclure un accord de cette sorte avec le Gouvernement (paragraphe 29 ci-dessus). En revanche, dans de nombreuses autres affaires, la haute juridiction aurait statué en faveur des auteurs du recours (paragraphes 31 et 32 ci-dessus).
67. Dans leurs observations antérieures à la communication au Gouvernement de la présente requête, les requérants soutenaient que le recours constitutionnel, qu’ils avaient certes exercé, ne pouvait être considéré comme un recours interne effectif dans les circonstances particulières de la cause.
68. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. La finalité de cette disposition est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant qu’elle n’en soit saisie (voir par exemple Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 15, CEDH 2002-VIII). L’article 35 § 1 n’impose cependant que l’épuisement des recours à la fois relatifs aux violations alléguées de la Convention, effectifs, suffisants et disponibles. Pour qu’un recours soit effectif, il doit notamment être susceptible de remédier directement à la situation incriminée (Balogh c. Hongrie, no 47940/99, § 30, 20 juillet 2004).
69. En ce qui concerne la charge de la preuve, il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits (voir notamment Vernillo c. France, arrêt du 20 février 1991, série A no 198, pp. 11-12, § 27, et Dalia c. France, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 87-88, § 38). Une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières dispensaient l’intéressé de cette obligation (Dankevitch c. Ukraine, no 40679/98, § 107, 29 avril 2003).
70. La Cour rappelle aussi qu’en principe, pour ce qui est des systèmes juridiques où les droits fondamentaux sont protégés par la Constitution, il incombe à l’individu lésé d’éprouver l’ampleur de cette protection (Vinčić et autres, précité, § 51).
71. En l’espèce, la Cour note que les griefs dont l’ont saisie les requérants concernent une discrimination qui découlerait de l’accord du 11 janvier 2008. Ils se distinguent en cela d’éventuels griefs selon lesquels les divergences de jurisprudence litigieuses auraient donné lieu à une discrimination au détriment des réservistes devant les juridictions civiles elles-mêmes (voir par exemple les paragraphes 31 et 32 ci-dessus).
72. De plus, selon les informations dont la Cour dispose, des griefs analogues à ceux des requérants ont effectivement été portés devant la Cour constitutionnelle dans l’affaire Už. 2901/10, et celle-ci, lorsqu’elle s’est prononcée le 17 février 2011, les a ignorés, ne portant pas d’appréciation sur le fond de la question (paragraphe 29 ci-dessus). Le Gouvernement le reconnaît d’ailleurs dans ses observations, mais soutient que rien ne permet de dire que les auteurs de ce recours aient entrepris de démarches pour conclure un accord tel que celui du 11 janvier 2008. Cependant, même à supposer qu’elle soit pertinente pour le cas des requérants de la présente affaire, cette affirmation n’est pas confirmée par les faits, car il y avait eu d’importantes négociations entre le Gouvernement et l’ensemble des réservistes – qui se sont certes avérées vaines – aux fins d’étendre à tous les principes acceptés le 11 janvier 2008, et les requérants ont clairement montré à titre personnel qu’ils adhéraient à cette revendication en introduisant leur propre action civile le 26 mars 2009 (voir les paragraphes 8, 23 et 10 ci-dessus, dans cet ordre).
73. Enfin, le reste de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle invoquée par le Gouvernement est sans pertinence puisqu’elle concerne soit des divergences de jurisprudence et/ou une éventuelle discrimination résultant uniquement de ces divergences, soit des questions sans aucun lien avec la situation des requérants de la présente espèce. De surcroît, la Cour constitutionnelle a conclu même dans ces affaires à l’absence de discrimination (paragraphes 31 et 32 ci-dessus).
74. Dans ces conditions, il est clair que bien qu’un recours constitutionnel doive, en principe, être considéré comme un recours interne effectif au sens de l’article 35 § 1 de la Convention pour toutes les requêtes introduites contre la Serbie à compter du 7 août 2008 (Vinčić et autres, précité, § 51), cette voie de recours ne peut être considérée comme effective dans les affaires portant sur des griefs tels que ceux formulés par les requérants en l’espèce.
75. Partant, la Cour rejette l’exception soulevée par le Gouvernement à cet égard. Elle considère de plus que les griefs des requérants ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’ayant été constaté, ils doivent être déclarés recevables.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
76. Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas subi de discrimination.
77. Premièrement, l’accord du 11 janvier 2008 concernerait une sorte de prestation sociale plutôt que le paiement d’indemnités journalières. Deuxièmement, les ressources publiques ne seraient pas illimitées, raison pour laquelle il aurait été décidé d’apporter une aide aux réservistes les plus nécessiteux, à savoir ceux qui résidaient dans les communes les plus défavorisées de Serbie. Troisièmement, ces réservistes auraient dû renoncer à toute créance concernant leur service militaire alors que les requérants, de même que toutes les autres personnes se trouvant dans leur situation, auraient conservé la possibilité de s’adresser aux juridictions civiles pour obtenir réparation le cas échéant.
78. A la lumière de ce qui précède, le Gouvernement, admettant que les requérants ont effectivement été traités différemment de leurs collègues résidant dans l’une des sept communes concernées, argue que cette différence de traitement reposait sur une justification objective et raisonnable.
79. Comme indiqué ci-dessus, les observations des requérants faisant suite à la communication de l’affaire au Gouvernement ont été soumises à la Cour après l’expiration du délai qu’elle avait fixé. Le président de la chambre a donc décidé, en vertu de l’article 38 § 1 du règlement, qu’elles ne devaient pas être versées au dossier pour examen par la Cour (voir aussi le paragraphe 20 de l’Instruction pratique concernant les observations écrites). En revanche, toutes les mises à jour factuelles ont été admises et transmises au Gouvernement pour information.
2. Les principes pertinents
80. La Cour rappelle que l’article 14 ne fait que compléter les autres clauses matérielles de la Convention et de ses protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. L’application de l’article 14 ne présuppose pas nécessairement la violation de l’un des droits matériels garantis par la Convention. Il faut, mais il suffit, que les faits de la cause tombent « sous l’empire » de l’un au moins des articles de la Convention (Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 58, CEDH 2008‑). L’interdiction de la discrimination que consacre l’article 14 dépasse donc la jouissance des droits et libertés que la Convention et ses Protocoles imposent à chaque Etat de garantir. Elle s’applique aussi aux droits additionnels, pour autant qu’ils relèvent du champ d’application général de tout article de la Convention, que l’Etat a volontairement décidé de protéger. Ce principe est profondément ancré dans la jurisprudence de la Cour. Il a été exprimé pour la première fois dans l’Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » (arrêt au principal du 23 juillet 1968, série A no 6, § 9).
81. De plus, selon la jurisprudence constante de la Cour, seules les différences de traitement fondées sur une caractéristique identifiable (« situation ») sont susceptibles de revêtir un caractère discriminatoire aux fins de l’article 14 (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, § 56, série A no 23). En outre, pour qu’un problème se pose au regard de cette disposition, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 175, CEDH 2007, Burden [GC], précité, § 60). Une telle distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Par ailleurs, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des traitements différents (Burden [GC], précité, § 60).
3. Appréciation de la Cour
a) Sur l’applicabilité de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1
82. La Cour note que les indemnités journalières des requérants ont été officiellement reconnues en tant qu’obligation patrimoniale en souffrance de l’Etat défendeur en 1999 (paragraphe 6 ci-dessus). Elle observe également que les paiements mentionnés dans l’accord du 11 janvier 2008, dont les requérants n’ont pu bénéficier, étaient eux-mêmes liés à ces créances (paragraphes 8 et 21 ci-dessus). Il s’ensuit que les griefs des requérants concernent des droits qui sont de nature suffisamment patrimoniale pour tomber sous l’empire de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, Willis c. Royaume-Uni, no 36042/97, § 36, CEDH 2002‑IV).
83. La Cour considère en outre que, les requérants alléguant être victimes d’une discrimination fondée sur une distinction visée par l’article 14 de la Convention, à savoir leur lieu de résidence (voir, mutatis mutandis, Carson et autres c. Royaume-Uni [GC], no 42184/05, § 66, CEDH 2010), cette disposition doit aussi s’appliquer à leurs griefs.
b) Sur le respect de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1
84. La Cour note que les paiements mentionnés dans l’accord du 11 janvier 2008 et validés par le Gouvernement le 17 janvier 2008 correspondaient clairement à des indemnités journalières et non à des prestations sociales octroyées à des personnes dans le besoin. A cet égard, elle souscrit pleinement au raisonnement de la commissaire serbe à la Protection de l’Egalité retracé au paragraphe 23 ci-dessus.
85. De plus, l’accord prévoyait que les réservistes résidant dans les communes de Kuršumlija, Lebane, Bojnik, Žitorađa, Doljevac, Prokuplje et Blace se voyaient garantir un paiement échelonné d’une partie des sommes auxquelles ils avaient droit. Ces communes ont apparemment été choisies en raison de leur situation « défavorisée », censée impliquer que leurs habitants étaient indigents. Or les réservistes de ces communes n’ont jamais eu à fournir de preuve de leurs indigence supposée, alors que les requérants de la présente affaire, de même que tous les autres réservistes non résidents de ces communes, ont été exclus du bénéfice de l’accord, c’est-à-dire de la décision ultérieure du Gouvernement le validant, et ce indépendamment de leurs moyens financiers. Dès lors, même si la déclaration du Gouvernement relative au caractère limité de ses ressources ne doit pas être prise à la légère, et s’il poursuivait peut‑être un « objectif légitime », sa réponse à la situation globale a été tout simplement arbitraire (paragraphe 23 ci‑dessus).
86. Enfin, l’argument du Gouvernement selon lequel, à la différence des réservistes résidant dans l’une des sept communes bénéficiaires de l’accord, les requérants auraient eu la possibilité de se tourner vers les juridictions civiles pour obtenir réparation relève du cercle vicieux étant donné que c’est exactement ce qu’ils ont tenté de faire, mais en vain.
87. Compte tenu de ce qui précède et nonobstant la marge d’appréciation de l’Etat, la Cour ne peut que conclure que la différence de traitement subie par les requérants au seul motif de leur lieu de résidence ne reposait sur aucune « justification objective et raisonnable ». Partant, il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 12
88. La Cour a aussi communiqué au Gouvernement les griefs des requérants sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 12.
89. Toutefois, eu égard à sa conclusion sur le terrain de l’article 14, elle déclare ces griefs recevables sous l’angle de cet article mais considère qu’il n’y a pas lieu de les examiner séparément au fond (voir, mutatis mutandis, Savez crkava « Riječ života » et autres c. Croatie, no 7798/08, §§ 114 et 115, 9 décembre 2010).
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
90. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
91. Les requérants réclament chacun 3 000 EUR au titre du dommage matériel et moral qu’ils estiment avoir subi, ainsi que 250 EUR au titre des frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure devant la Cour. Ils indiquent aussi que la procédure civile en cause pourrait être rouverte (paragraphe 35 ci-dessus).
92. Le Gouvernement soutient que ces demandes sont tardives.
93. La Cour note que les requérants ont présenté leurs demandes au titre de la satisfaction équitable dans le formulaire de requête mais ne les ont soumises à nouveau (par voie postale) que le 5 mars 2012, soit quatre jours après l’expiration du délai afférent, qui avait été fixé au moment de la transmission des premières observations du Gouvernement. Ils n’ont donc pas respecté l’article 60 §§ 2 et 3 du règlement, ni le paragraphe 5 de l’Instruction pratique relative à la présentation des demandes de satisfaction équitable, qui, en ses parties pertinentes, prévoit que la Cour « écarte les demandes présentées dans les formulaires de requête mais non réitérées au stade approprié de la procédure [et] rejette aussi les demandes tardives ». La demande de satisfaction équitable doit donc être rejetée.
VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
94. L’article 46 de la Convention est ainsi libellé :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution (...) »
95. Il découle notamment de ces dispositions que l’Etat défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII).
96. Compte tenu de ce qui précède et du fait que plus de 3 000 requêtes concernant directement ou indirectement le même problème de discrimination sont actuellement pendantes devant la Cour, l’Etat défendeur doit, dans les six mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, prendre toutes les mesures appropriées pour assurer le paiement non discriminatoire des indemnités journalières de guerre en question à tous ceux qui y ont droit, étant entendu que certaines procédures de vérification factuelle et/ou administrative raisonnables et rapides peuvent être nécessaires à cet égard.
97. Quant aux nombreuses requêtes analogues déjà pendantes devant elle, la Cour décide de les suspendre pendant cet intervalle, cette décision étant sans préjudice de sa faculté, à tout moment, de déclarer irrecevable une affaire de ce type ou de la rayer de son rôle conformément aux dispositions de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;
2. Déclare, à la majorité, le grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1, ainsi que les griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 12, recevables ;
3. Déclare, à l’unanimité, les autres griefs irrecevables ;
4. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1;
5. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 12 ;
6. Dit, par six voix contre une, que l’Etat défendeur doit, dans un délai de six mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, prendre toutes les mesures appropriées pour assurer le paiement non discriminatoire des indemnités journalières de guerre en question à tous ceux qui y ont droit, étant entendu que certaines procédures de vérification factuelle et/ou administrative raisonnables et rapides peuvent être nécessaires à cet égard ;
7. Décide, à la majorité, de suspendre, pendant un délai de six mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt deviendra définitif, l’examen de toutes les requêtes analogues déjà pendantes devant elle, sans préjudice de sa faculté, à tout moment, de déclarer irrecevable une affaire de ce type ou de la rayer de son rôle conformément aux dispositions de la Convention ;
8. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 28 août 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-PassosFrançoise Tulkens
Greffière adjointePrésidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Sajó.
F.T.
F.E.P.
OPINION EN PARTIE CONCORDANTE ET EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJÒ
Je suis entièrement d’accord avec mes collègues en ce qui concerne leur conclusion selon laquelle les griefs tirés de la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention doivent être rejetés. Toutefois, je suis au regret de ne pouvoir souscrire à l’opinion de la majorité en ce qui concerne le constat de violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1. J’ai voté contre la recevabilité du grief formulé sur ce terrain, en partie au vu des faits établis dans le cadre de l’examen de la recevabilité du grief tiré de l’article 6 § 1.
Le recours constitutionnel des requérants est encore pendant. Les recours constitutionnels en Serbie sont considérés comme des recours généralement effectifs qui doivent être exercés avant de saisir la Cour (Vinčić et autres c. Serbie, nos 44698/06 et autres, décembre 2009). Dans l’affaire Vinčić, la Cour a dit qu’un recours constitutionnel devait, en principe, être considéré comme effectif pour toutes les requêtes (paragraphe 51). Il est dit dans le présent arrêt qu’il incombe au gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours qui aurait dû selon lui être exercé était effectif au moment considéré. Cette position ne tient pas compte du fait que l’arrêt Vinčić a renversé cette charge de la preuve. De plus, on ne peut pas prouver un fait négatif. Comme le Gouvernement l’a démontré, la Cour constitutionnelle a eu à connaître de décisions concernant d’autres réservistes et, dans ce cadre, elle a examiné les divergences de jurisprudence. Dans une affaire tranchée le 17 février 2011 où les auteurs du recours se plaignaient aussi de discrimination (paragraphe 29), elle a admis que le grief pouvait se rattacher au droit à une égale protection, mais elle a jugé que la question était celle du délai de prescription. Ces considérations s’appliquent aux griefs formulés en l’espèce par les requérants tant sur le terrain de l’article 6 que sur celui de l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.
Il semble que la Cour soit d’avis que l’accord de 2008 sur le paiement d’indemnités à certains groupes de réservistes ait créé un droit imprescriptible. Or la nature juridique de l’accord et son applicabilité aux requérants sont des questions qui sont intimement liées à l’interprétation du droit interne. Il n’appartient pas à une juridiction internationale d’apporter sa propre interprétation de ce droit en l’absence d’interprétation au niveau national, en particulier lorsque la Cour constitutionnelle est en train d’examiner la question.
Même à supposer que la requête soit recevable, je ne suis pas convaincu que l’article 14 soit applicable en l’espèce, car il n’y a ici aucun droit sur des biens susceptible de déclencher l’applicabilité de cet article. La Cour note, au paragraphe 82 de l’arrêt, que « les indemnités journalières des requérants ont été officiellement reconnues en tant qu’obligation patrimoniale en souffrance de l’Etat défendeur en 1999 (paragraphe 6 ci-dessus) », et elle dit que les griefs des requérants concernent des droits qui sont de nature « suffisamment patrimoniale » pour tomber sous l’empire de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, Willis c. Royaume-Uni, no 36042/97, § 36, CEDH 2002‑IV). Or, dans l’affaire Willis, le montant et les conditions d’applicabilité de la prestation, qui était définie par la loi, n’étaient pas contestés, l’objet du litige portait sur le fait que le requérant n’y avait pas droit pour un motif discriminatoire. La présente affaire est différente. Une « créance » peut constituer un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 si elle est suffisamment établie pour être exigible (Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 59, série A no 301‑B). Or, en l’espèce, aucun tribunal n’a jamais établi l’existence d’une créance exigible au bénéfice des requérants. Ils n’ont donc pas une créance certaine reconnue mais non exigible au seul motif qu’elle serait prescrite : leurs prétentions ne sont tout simplement pas reconnues. Aucun tribunal ne leur a jamais reconnu une créance certaine. Le tribunal de première instance a reconnu l’existence d’une créance seulement dans le sens d’un droit à réparation au titre d’un préjudice, mais il ne s’est pas prononcé sur le fond (c’est-à-dire sur le point de savoir si les requérants avaient ou non droit à une indemnisation d’un montant donné) car il ne pouvait plus le faire étant donné que, comme il l’a justement observé, le délai de prescription était écoulé. La créance des requérants demeure donc de nature spéculative.
On pourrait bien sûr arguer que les requérants avaient une espérance légitime en vertu de l’accord. Dans ce contexte, on pourrait au moins soutenir que le délai de prescription ne s’applique pas. Cependant, même dans cette hypothèse, la Cour aurait dû attendre l’arrêt définitif de la Cour constitutionnelle, compte tenu aussi du fait que, pour autant que l’accord soit applicable aux requérants (ce qui est contesté), il devrait assurément être appliqué progressivement. Un groupe de travail a été chargé d’examiner les demandes de tous les réservistes, même si on ne sait pas bien s’il est chargé d’agir à titre gracieux ou en reconnaissance de créances précises. Etant donné qu’il semble de prime abord que les revendications de certains autres réservistes aient reçu un accueil plus favorable, je respecte et comprends totalement la position de mes collègues, cependant je considère que dans les circonstances de l’espèce, même compte tenu des retards troublants, le principe de subsidiarité aurait dû prévaloir.
Annexe
No
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Requête
nos
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Nom du requérant
Date de naissance
Lieu de résidence
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1.
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17153/11
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Boban VUČKOVIĆ
27/09/1971
Niš
2.
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17157/11
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Ljubiša VELIČKOVIĆ
24/08/1954
Selo Prva Kutina
3.
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17160/11
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Igor VELIČKOVIĆ
10/06/1979
Niš
4.
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17163/11
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Saša GROZDANOVIĆ
29/04/1975
Niška Banja
5.
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17168/11
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Dragan GROZDANOVIĆ
05/12/1967
Niška Banja
6.
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17173/11
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Ljubiša MILOŠEVIĆ
03/10/1959
Niš
7.
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17178/11
|
Miodrag NIKOLIĆ
29/02/1956
Niška Banja
8.
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17181/11
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Siniša MILOŠEVIĆ
03/10/1958
Niš
9.
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17182/11
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Grujica MARKOVIĆ
25/06/1965
Niš
10.
|
17186/11
|
Radomir TODOROVIĆ
15/07/1958
Niška Banja
11.
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17343/11
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Dejan ZDRAVKOVIĆ
19/11/1971
Sićevo
12.
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17344/11
|
Marjan MITIĆ
10/02/1969
Niš
13.
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17362/11
|
Branislav MILIĆ
15/08/1944
Niš
14.
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17364/11
|
Miroslav STOJKOVIĆ
01/09/1947
Doljevac
15.
|
17367/11
|
Dejan SEKULIĆ
09/08/1970
Niška Banja
16.
|
17370/11
|
Slavoljub LUČKOVIĆ
24/06/1955
Niš
17.
|
17372/11
|
Goran LAZAREVIĆ
17/08/1970
Niš
18.
|
17377/11
|
Goran MITIĆ
15/02/1979
Niš
19.
|
17380/11
|
Petar ADAMOVIĆ
02/08/1952
Niš
20.
|
17382/11
|
Radisav ZLATKOVIĆ
12/04/1952
Niš
21.
|
17386/11
|
Jovan RANĐELOVIĆ
25/02/1944
Niš
22.
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17421/11
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Bratislav MARKOVIĆ
26/05/1949
Niška Banja
23.
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17424/11
|
Desimir MARKOVIĆ
08/07/1965
Niš
24.
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17428/11
|
Časlav SPASIĆ
21/02/1960
Niš
25.
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17431/11
|
Ljubiša NIKOLIĆ
05/12/1958
Selo Jelašnica
26.
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17435/11
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Dragan ĐORĐEVIĆ
19/02/1957
Niška Banja
27.
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17438/11
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Radiša ĆIRIĆ
10/02/1958
Niška Banja
28.
|
17439/11
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Siniša PEŠIĆ
31/10/1961
Niš
29.
|
17440/11
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Boban CVETKOVIĆ
28/08/1967
Niška Banja
30.
|
17443/11
|
Goran JOVANOVIĆ
15/01/1965
Suvi Do