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09/01/2014 | CEDH | N°001-140038

CEDH | CEDH, AFFAIRE VAN MEROYE c. BELGIQUE, 2014, 001-140038


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE VAN MEROYE c. BELGIQUE

(Requête no 330/09)

ARRÊT

STRASBOURG

9 janvier 2014

DÉFINITIF

09/04/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Van Meroye c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André P

otocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 déce...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE VAN MEROYE c. BELGIQUE

(Requête no 330/09)

ARRÊT

STRASBOURG

9 janvier 2014

DÉFINITIF

09/04/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Van Meroye c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 décembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 330/09) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet Ėtat, M. Ferdinand Van Meroye (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 décembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me P. Verpoorten, avocat à Herentals. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue que son maintien en détention dans un lieu inapproprié à son état de santé emporte violation de l’article 5 § 1 de la Convention. Il se plaint également de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif (article 5 § 4).

4. Le 11 mars 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1962. Il est actuellement interné à l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas.

6. Entre 1982 et 2004, le requérant fut arrêté à plusieurs reprises pour atteinte à la pudeur, vols, conduite en état d’ébriété, violences, rébellion, etc. Il fit l’objet de multiples mesures d’internement, de libérations conditionnelles et de nouveaux internements à la suite du non-respect des conditions mises à sa libération. Les mesures d’internement furent chaque fois prises par décision de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Louvain sur la base de l’avis de plusieurs psychiatres attestant que le requérant souffrait de troubles mentaux sérieux et de la persistance de ces troubles.

7. D’après un rapport établi par le psychiatre de la prison le 1er mars 2004, le requérant ne semblait pas conscient de la gravité de la situation ni des actes commis et devait être considéré comme une personne psychopathique, souffrant d’un retard mental, de paranoïa, d’accès de violence et de dépression. Cette analyse fut confirmée dans un autre rapport établi par le psychiatre de la prison le 25 août 2006.

8. Le 25 juin 2004, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Louvain ordonna l’internement du requérant à la suite du viol continu depuis 2001 de ses beaux-enfants, tous deux mineurs. Considérant que le requérant n’était pas responsable de ses actes, elle décida du placement provisoire du requérant à l’aile psychiatrique de la prison de Louvain dans l’attente que la commission de défense sociale compétente (« CDS ») désigne le lieu d’internement conformément à la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels (« loi de défense sociale »).

9. Le 7 février 2005, la CDS de Louvain décida de mettre le requérant en liberté à l’essai à condition qu’il séjourne obligatoirement dans un institut de psychiatrie médico-légale, le centre psychiatrique universitaire de St. Camillus à Bierbeek, et qu’il conclue un accord de coopération. A partir du 15 février 2006, il put vivre en liberté à condition de se rendre une fois par semaine au centre St. Camillus.

10. Le requérant fut à nouveau arrêté le 24 mai 2006 pour non-respect des conditions mises à sa libération sur avis du psychiatre. Il fut placé provisoirement à la prison de Louvain.

11. Le 29 septembre 2006, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Louvain décida que l’internement du requérant, ordonné le 25 juin 2004, serait prolongé eu égard au danger qu’il continuait de représenter pour la société. Elle ordonna le placement provisoire du requérant à l’aile psychiatrique de la prison de Louvain dans l’attente que la CDS désigne le lieu d’internement. Le requérant fit appel.

12. Le 14 décembre 2006, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles confirma la décision entreprise. Elle considéra que les faits que le requérant avait commis étaient passibles, en vertu du code pénal, de peines criminelles et/ou correctionnelles mais qu’au moment où il les avait commis, il était dans un état de démence et se trouvait dans un état de troubles mentaux qui le rendaient incapables de contrôler ses actes et que cet état n’avait pas évolué.

13. Le 4 juin 2007, la CDS décida du maintien de l’internement jusqu’au transfèrement dans un établissement psychiatrique de sécurité moyenne. Le requérant fut transféré à l’aile psychiatrique de la prison de Turnhout en raison de problèmes avec ses codétenus à la prison de Louvain.

14. Le 3 décembre 2007, la CDS maintint sa décision et considéra que des permissions de sortie étaient prématurées. Cette décision fut confirmée le 7 juillet 2008. Le requérant fit appel.

15. Le 7 août 2008, la Commission supérieure de défense sociale (« CSDS ») déclara l’appel du requérant recevable mais non fondé.

16. Le 21 octobre 2008, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par l’avocat du requérant.

17. Le 31 octobre 2008, le requérant assigna l’Ėtat en référé. Il demandait au président du tribunal de première instance de Turnhout de condamner, sous peine d’astreinte, l’Ėtat à donner suite aux décisions de la CDS de le transférer dans un établissement spécialisé de sécurité moyenne pour la poursuite de son internement. Accessoirement, il demandait que l’Ėtat soit condamné à mettre à sa disposition à raison de deux fois deux heures par semaine un psychiatre et une infirmière psychiatrique et à lui assurer le suivi thérapeutique qui lui serait prescrit.

18. Un test PCL-R (Psychopathy Check List - Revised), effectué par les services de la prison de Turnhout, le 2 février 2009, révéla que le requérant ne pouvait pas être qualifié de psychopathe même si une partie des caractéristiques des psychopathes se retrouvait en lui. D’après un test SVR-20 (Sexual Violence Risk), le risque de délinquance sexuelle était en revanche élevé.

19. Le 2 mars 2009, la CDS confirma sa décision du 7 juillet 2008 de maintenir l’internement du requérant à Turnhout. Elle se dit consciente que la qualité des infrastructures et de l’accompagnement devrait être meilleure et que la Belgique avait été condamnée à plusieurs reprises par les instances internationales pour manquement dans le traitement des personnes malades mentales. Elle rappela que le législateur n’avait toutefois pas accordé aux CDS la compétence d’imposer des mesures à l’administration ni la compétence d’imposer à des établissements d’accepter un interné et que leur marge de manœuvre était très limitée. Elle souligna que la situation dénoncée par le requérant était principalement le résultat d’un problème structurel persistant depuis des années lié à une infrastructure vieillissante et à un manque de personnel. Ni le ministère de la Justice ni la Communauté flamande n’avaient pris les mesures appropriées pour remédier à cette situation. S’agissant du requérant, la CDS poursuivait en ces termes :

(traduction)

« Van Meroye a droit à un traitement en tant qu’interné mais la commission ne lui conteste pas ce droit. La commission ne conteste pas qu’en pratique il ne bénéficie pas toujours d’un traitement suffisant mais il n’en résulte pas que sa privation de liberté serait irrégulière au sens de l’article 5 § 4 de la Convention ni que la loi serait inconstitutionnelle. La privation de liberté demeure possible au regard des articles 5 § 1, 3 et 8 de la Convention. Le droit à un traitement est reconnu par la commission, mais cela n’implique pas que la commission soit investie d’une compétence légale pour ordonner un traitement ou pour contraindre les établissements à le dispenser. Une éventuelle détention sans traitement pourrait constituer une violation de l’article 3 combiné avec l’article 5 de la Convention mais la sanction ne doit pas et ne peut pas être la libération vu le risque pour la vie ou l’intégrité sexuelle des tiers. (...) L’engagement de la direction et du personnel accompagnant pour améliorer les conditions de vie et d’accompagnement à Turnhout est bien connue. (...) La commission estime que [Van Meroye] est, malgré l’inadéquation des mesures structurelles, dans un établissement approprié et accompagné dans des conditions acceptables.

La commission, (...)

Décide de ne pas procéder à une visite des lieux au motif que les circonstances [dénoncées] sont déjà connues par la commission.

N’ordonne pas le transfèrement immédiat de Van Meroye vers un établissement de sécurité moyenne pour la poursuite de son internement. »

20. Le 26 mars 2009, la CSDS rejeta l’appel formé par le requérant contre la décision de la CDS. Elle considéra qu’il n’y avait aucune raison de demander la visite de l’aile psychiatrique de la prison de Turnhout, que l’état mental du requérant ne s’était pas suffisamment amélioré, que son reclassement était improbable et qu’il n’était pas possible de le placer dans un autre endroit protégeant la société. Elle ajouta qu’elle ne pouvait pas ordonner le transfèrement d’un interné sans la preuve d’une éventuelle admission et que la prolongation de l’internement d’un interné ne remplissant pas les conditions pour sa libération n’emportait pas violation de l’article 5 de la Convention.

21. Le requérant se pourvut en cassation contre cette décision. Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, il se plaignait que le refus opposé par les instances de défense sociale d’effectuer une visite de son lieu de détention l’avait privé de la seule possibilité de bénéficier d’un débat contradictoire sur ses conditions de détention et donc d’un recours effectif. Il tirait également grief de l’article 5 § 1 e) de la Convention au motif qu’il était maintenu en détention dans un établissement inapproprié à ses besoins.

22. Par un arrêt du 2 juin 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant ; elle jugea que la décision relative au transfèrement d’un interné dans un établissement psychiatrique privé était une modalité d’exécution de l’internement qui n’était pas susceptible d’un pourvoi en cassation. Par conséquent, dans la mesure où le grief du requérant était dirigé contre la décision rendue sur sa demande tendant à un transfèrement immédiat dans une telle structure, son moyen n’était pas recevable.

23. Le 22 juillet 2009, le requérant fut transféré, sur décision de la CDS, à l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas dans la section de soins sécurisés De Haven.

24. Un rapport relatif à l’évolution du requérant établi par le service psycho-social de la prison de Merksplas en septembre 2009 conclut que, au regard des résultats de l’évaluation des risques effectuée le 2 février 2009, le requérant continuait de présenter un risque élevé de comportement sexuel violent. Il recommandait de maintenir l’internement à Merksplas jusqu’à l’admission dans une institution de sécurité moyenne, tout en constatant qu’aucune institution ne s’était encore montrée disposée à admettre le requérant.

25. Le 10 septembre 2009, considérant que l’état du requérant ne s’était pas suffisamment amélioré et qu’il continuait de représenter un danger pour la société, la CDS de Louvain décida de maintenir le requérant à l’aile psychiatrique de Merksplas dans l’attente d’un placement dans une institution de soins résidentielle. Elle considéra que des permissions de sortie étaient prématurées.

26. Le 8 octobre 2009, la demande en référé, introduite par le requérant le 31 octobre 2008, fut rejetée au motif qu’elle était sans fondement. Le président du tribunal de première instance de Turnhout s’exprima ainsi :

(traduction)

« S’agissant des établissements pénitentiaires où se trouvent les internés, aucune norme spécifique n’est applicable. Le juge en référé ne dispose que d’un pouvoir d’appréciation marginal des conditions réelles dans lesquelles une personne internée se trouve (...). Il ressort des pièces 12 à 15 soumises par la partie défenderesse [l’Ėtat], que le demandeur bénéficie indéniablement de soins et d’un accompagnement psychiatriques dans la limite de leur accessibilité.

Il n’appartient pas au juge en référé de s’exprimer sur la prise en charge et l’accompagnement psychiatriques et psychologiques auxquels le demandeur n’aurait pas accès. Le demandeur n’est certes pas resté en défaut de chercher à être admis dans une autre institution mais cela s’avère impossible en raison de l’attitude du demandeur lui-même. Etant donné qu’il est sans fondement de soutenir que l’accompagnement et la prise en charge seraient totalement absents, il n’y a pas de raison d’accorder les mesures sollicitées dans le cadre de la procédure en référé.

S’agissant d’une visite des lieux ou de l’audition d’un témoin, eu égard aux considérations qui précèdent, elles ne constituent pas une façon d’apporter des données importantes pour le règlement du différend dans le cadre de la procédure en référé. »

27. Un rapport relatif à l’évolution du requérant établi par le service psycho-social de la prison de Merksplas, le 24 mars 2010, constata que le requérant semblait se sentir mieux à Merksplas tout en ne manifestant toujours pas la volonté de participer aux activités organisées à la section De Haven. Ses relations avec le service psycho-social s’étaient un peu améliorées et il n’y avait plus eu d’incident de violence. Le requérant ne reconnaissait toujours pas les faits qui lui étaient reprochés. Les résultats de l’évaluation des risques effectuée le 2 février 2009 étaient considérés comme étant toujours pertinents. D’après le rapport, le requérant disposait d’une autorisation de l’Agence flamande pour les personnes avec un handicap (Vlaams Agentschap voor Personen met een Handicap, VAPH) en vue de son admission dans un foyer pour personnes actives mais la poursuite de ces démarches dépendait de l’existence de troubles autistiques.

28. Le 12 avril 2010, la CDS de Louvain décida à nouveau de maintenir le requérant à l’aile psychiatrique de Merksplas dans l’attente d’un placement dans une structure où une surveillance permanente existerait et dans l’attente des résultats de la recherche de troubles autistiques. La CDS autorisa l’organisation d’une sortie accompagnée.

29. Le 2 août 2010, le groupe interdisciplinaire sur les troubles du comportement parvint à la conclusion que le requérant souffrait du trouble du spectre de l’autisme et devait être considéré comme une personne handicapée mentale modérée ayant le niveau de développement d’un enfant de sept ans.

30. Il ressort du rapport consultatif établi le 28 septembre 2010 par le service psycho-social de Merksplas qu’à la suite des conclusions du rapport relatif aux troubles de comportement du requérant, une demande d’autorisation de la VAPH avait été introduite en vue de son admission au sein d’un foyer pour personnes non-actives.

31. Le 4 octobre 2010, la CDS de Louvain confirma le maintien du requérant à la prison de Merksplas.

32. Courant 2011, quatre établissements privés furent contactés, sur demande du requérant, en vue de sa prise en charge. L’un refusa en raison de la gravité des faits du dossier, le deuxième demanda des informations supplémentaires et les deux derniers ne répondirent pas.

33. Un nouveau rapport relatif à la problématique de délinquance sexuelle du requérant fut établi par le service psycho-social de la prison de Merksplas le 1er avril 2011. Selon ce rapport, les résultats de l’évaluation des risques effectuée le 2 février 2009 étaient toujours pertinents. Il indiquait que la demande d’autorisation en vue de l’admission du requérant au sein d’un foyer pour personnes non actives était en cours, que le requérant avait bénéficié d’une sortie accompagnée et que d’autres sorties pouvaient être envisagées. En conclusion, il recommandait le maintien du requérant à De Haven dans l’attente de trouver une structure dépendant de la VAPH.

34. Un document, non daté, et intitulé « Offre de soins à M. Van Meroye » indique que le requérant a accès au sein de la section De Haven à des outils individualisés d’ergothérapie, que des moments individuels de discussion avec l’équipe soignante sont prévus et que diverses activités de soutien et de support sont organisées. Ce document mentionne également un accompagnement individuel du requérant et une concertation entre les intervenants et le service pénitentiaire à son sujet.

35. D’après un « bilan des soins » établi le 5 mai 2011, le requérant participait aux activités de jardinage et de cuisine organisées au sein de la section De Haven et une évolution positive de son comportement avait été constatée. Le bilan faisait état de ce qu’entre 2004 et 2011, le requérant avait bénéficié de huit consultations auprès du psychiatre de la prison.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

36. Les dispositions applicables en l’espèce figurent dans la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels (« loi de défense sociale »).

37. Cette loi doit être remplacée par la loi du 21 avril 2007 relative à l’internement des personnes atteintes d’un trouble mental, qui n’est toutefois pas encore entrée en vigueur.

A. Décision et durée de l’internement

38. La loi de défense sociale prévoit deux types de mesures à l’égard des inculpés qui se trouvent dans un état prévu par l’article 1er de la loi, « soit en état de démence, soit dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale [les] rendant incapable[s] du contrôle de [leurs] actions ». La première mesure est la mise en observation qui a pour but d’établir un diagnostic sur leur état mental et dont il n’est pas question en l’espèce. La deuxième est la mesure de « défense sociale » à durée indéterminée, ou d’internement, qui se substitue à la peine.

39. L’internement est, dans ce cas, décidé par une juridiction :

Article 7

« Les juridictions d’instruction, à moins qu’il ne s’agisse d’un crime ou d’un délit politique ou de presse, et les juridictions de jugement peuvent ordonner l’internement de l’inculpé qui a commis un fait qualifié crime ou délit et qui est dans un des états prévus à l’article premier. (...) »

40. L’internement peut également concerner les personnes condamnées qui développent un trouble mental au cours de leur détention :

Article 21

« Les condamnés pour crimes et délits qui, au cours de leur détention, sont reconnus en état de démence ou dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale les rendant incapables du contrôle de leurs actions, peuvent être internés en vertu d’une décision du Ministre de la Justice rendue sur avis conforme de la commission de défense sociale.

(...)

Si, avant l’expiration de la durée prévue pour la peine, l’état mental du condamné est suffisamment amélioré pour ne plus nécessiter son internement, la commission le constate et le Ministre de la Justice ordonne le retour du condamné au centre pénitentiaire où il se trouvait antérieurement détenu.

(...) »

B. Les instances de défense sociale

41. Les commissions de défense sociale (« CDS ») sont responsables de la mise en œuvre de l’internement :

Article 12

« Il est institué auprès de chaque annexe psychiatrique une commission de défense sociale.

Les commissions de défense sociale sont composées de trois membres : un magistrat effectif ou honoraire qui en est le président, un avocat et un médecin.

Les membres des commissions sont nommés pour trois ans ; ils ont chacun un ou plusieurs suppléants. (...) »

Article 13

« Il est institué également une commission supérieure de défense sociale composée de trois membres : un magistrat effectif ou honoraire de la Cour de cassation ou d’une Cour d’appel, qui en est le président, un avocat et le médecin directeur du service d’anthropologie pénitentiaire. (...) »

42. Les CDS décident du lieu d’internement :

Article 14

« L’internement a lieu dans l’établissement désigné par la commission de défense sociale.

Celui-ci est choisi parmi les établissements organisés par le gouvernement. La commission peut toutefois, pour des raisons thérapeutiques et par décision spécialement motivée, ordonner le placement et le maintien dans un établissement approprié quant aux mesures de sécurité et aux soins à donner. (...) »

Article 15

« La commission peut d’office ou à la demande du Ministre de la Justice, du procureur du Roi, de l’interné ou de son avocat ordonner le transfèrement de l’interné dans un autre établissement.

La demande de l’interné ou de son avocat ne peut être représentée qu’après l’expiration d’un délai de six mois.

La commission peut admettre l’interné à un régime de semi-liberté dont les conditions et modalités sont fixées par le Ministre de la Justice. »

Article 17

« En cas d’urgence, le président de la commission peut ordonner à titre provisoire le transfèrement dans un autre établissement. Sa décision est soumise à la commission qui statue lors de sa plus prochaine séance.

Dans le même cas, et pour des raisons de sécurité, le Ministre de la Justice peut également ordonner, à titre provisoire, le transfèrement de l’intéressé dans un autre établissement. Il en informe immédiatement la commission. »

43. Les décisions des instances de défense sociale visées aux articles 14 à 17 de la loi de défense sociale ne sont pas susceptibles d’un pourvoi en cassation car elles sont considérées comme une modalité d’exécution de l’internement (parmi d’autres : Cass., 2 juin 2009, P.09.0586.N et P.09.0735.N).

44. Par un arrêt no 142/2009 du 17 septembre 2009, la Cour constitutionnelle, saisie d’une question préjudicielle, s’est prononcée sur le point de savoir si la loi de défense sociale était compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution belge combinés avec l’article 5 § 1 de la Convention en ce qu’elle ne prévoit pas que la CDS puisse obliger un « établissement approprié » visé par l’article 14 alinéa 2 de la loi à accueillir un interné, ce qui aurait pour effet qu’il ne peut être garanti que les décisions relatives à l’accueil de cet interné dans un établissement psychiatrique adapté soient exécutées dans un délai raisonnable (B.1). La Cour constitutionnelle se prononça en ces termes :

« B.7.3. Lorsque la juridiction compétente a jugé qu’une personne internée doit être accueillie dans un établissement approprié, il appartient aux autorités compétentes de faire en sorte que cette personne puisse y être accueillie (CEDH, Johnson c. Royaume-Uni, 24 octobre 1997 ; Brand c. Pays-Bas, 11 mai 2004 ; Morsink c. Pays-Bas, 11 mai 2004). Si, lorsque l’établissement désigné par la commission de défense sociale ne peut accueillir la personne internée, un équilibre raisonnable doit être recherché entre les intérêts des autorités et ceux de l’intéressé, un tel équilibre est rompu lorsque celui-ci est laissé indéfiniment dans un établissement que la juridiction compétente a jugé inadapté pour permettre son reclassement.

B.7.4. Cette atteinte au droit [à la liberté et à la sûreté] ne provient cependant pas de la disposition législative sur laquelle la Cour est interrogée. Elle est due à l’insuffisance de places disponibles dans les établissements dans lesquels la mesure ordonnée par le juge a quo pourrait être exécutée.

B.8. Une telle situation concerne l’application de la loi. Sa sanction relève des cours et tribunaux et échappe par conséquent à la compétence de la Cour, de telle sorte que la question préjudicielle appelle une réponse négative. »

(...)

C. Lieux d’internement

45. L’internement peut avoir lieu dans trois types d’établissements :

1. Les établissements psychiatriques hautement sécurisés

46. Il existe en Belgique quatre établissements présentant un haut degré de sécurisation. L’établissement de Paifve, situé en Wallonie, dépend du ministère de la Justice. Il est susceptible d’accueillir 208 internés. Deux autres établissements, également situés en Wallonie, relèvent respectivement de la compétence de la région wallonne et de l’intercommunale « Centre hospitalier universitaire Ambroise Paré ». Il s’agit de l’hôpital de soins psychiatriques sécurisé « Les Marronniers », à Tournai, dont la capacité d’accueil est de 376 internés et la section de défense sociale du centre hospitalier psychiatrique du « Chêne aux Haies », à Mons, dont la capacité d’accueil est de trente lits réservés aux femmes internées.

47. En outre, en 2009, la prison de Merksplas, en Flandre, a ouvert une section de soins sécurisée « De Haven », d’une capacité de soixante personnes, pour les internés présentant un handicap mental. Le rapport d’activités de 2009 de la direction générale des établissements pénitentiaires décrit la section en ces termes :

« Au sein de la section, le principe de soins sécurisés est poussé jusque dans les moindres détails. Les soins sécurisés tentent d’offrir des soins adaptés dans un environnement sécurisé. Les deux aspects, soins et sécurité, sont d’égale importance et sont indissociablement liés. L’objectif est d’offrir soins et repos à une population vulnérable dans un environnement sûr ainsi qu’une perspective d’épanouissement et de développement personnel. »

48. Enfin, il a été décidé en 2006, en exécution du « Plan pluriannuel justice 2005 de la ministre de la Justice », de développer le circuit de psychiatrie légale en Flandre en construisant, à Gand et Anvers, deux centres de psychiatrie légale hautement sécurisés. A Gand, l’établissement aura une capacité de 272 places et devrait être opérationnel en 2014. A Anvers, il est prévu que l’établissement ait une capacité de 180 places et ouvre ses portes en 2016.

2. Les établissements psychiatriques classiques

49. Il s’agit soit d’hôpitaux psychiatriques privés subventionnés, soit de structures dépendant des pouvoirs publics. Certaines institutions sont agréées de « sécurité moyenne » et peuvent accueillir des internés qui, en raison du danger qu’ils présentent pour la société, peuvent être considérés comme des patients ayant un sérieux trouble de comportement et/ou étant très agressifs et pour lesquels des mesures particulières de sécurité sont nécessaires. D’autres institutions sont agréées de « faible sécurité » et peuvent accueillir des internés qui ne présentent pas de danger particulier pour la société et dont la problématique psychiatrique présente les mêmes caractéristiques que la moyenne de la population d’un hôpital général psychiatrique.

3. Les ailes psychiatriques de prison

50. Onze prisons disposent d’ailes psychiatriques. Les « sections de défense sociale » rattachées aux prisons de Merksplas, Turnhout et Bruges sont spécifiquement instituées pour héberger des internés qui y vivent séparés des détenus de droit commun. Les « annexes psychiatriques » rattachées aux prisons d’Anvers, Gand, Louvain, Forest, Jamioulx, Lantin, Mons et Namur accueillent, quant à elles, non seulement des internés – soit qu’ils soient en attente d’une décision de la CDS quant à leur lieu d’internement, soit qu’ils attendent leur transfèrement vers le lieu de placement décidé par la CSD compétente – mais aussi des prévenus mis en observation et des détenus de droit ordinaire qui ont besoin d’une assistance psychiatrique.

51. Selon le rapport d’activités 2012 de la direction générale de l’administration pénitentiaire, le nombre d’internés séjournant dans une annexe psychiatrique ou section de défense sociale rattachée à une prison s’élevait en 2012 à 1 132, soit 10 % de la population carcérale, comparé à 790 internés en 1992. Plus de la moitié de ces internés, soit 667 personnes, l’étaient à l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas.

D. Encadrement thérapeutique dans les ailes psychiatriques des prisons

52. Chaque établissement pénitentiaire et de défense sociale dispose d’un service psycho-social qui apporte « une assistance professionnelle aux autorités compétentes par les avis qu’il formule, et contribue par une approche scientifique à la réintégration psychosociale des détenus afin de limiter la récidive tout en contribuant à l’exécution sûre et humaine de la peine » (administration des établissements pénitentiaires, rapport annuel d’activités, 1999). Le service est composé d’un directeur (qui est en principe le directeur d’établissement), un psychiatre, un psychologue, un assistant social et un assistant administratif.

53. La circulaire no 1800, adoptée par le ministre de la Justice le 7 juin 2007, prévoit que dans les établissements pénitentiaires disposant d’une annexe psychiatrique, l’équipe soignante se complète d’infirmiers psychiatriques, d’ergothérapeutes, de kinésithérapeutes et d’éducateurs (article 1er). En fonction de la taille de l’annexe, et donc du nombre d’internés, il s’agit d’effectifs à temps plein ou à temps partiel.

54. Cette même circulaire prévoit que l’interné a droit à des soins de santé équivalents à ceux dispensés dans la société libre et adaptés à ses besoins spécifiques ainsi qu’aux services de dispensateurs de soin possédant les qualifications requises en fonction de ses besoins spécifiques (article 3).

55. En 2011, selon les informations données par le ministre de la Justice en réponse à une question parlementaire, les douze prisons disposant d’une aile psychiatrique comptaient au total 19,79 psychologues et 27,38 psychiatres équivalent temps plein (question écrite no 5-2172 du 21 avril 2011, Sénat).

56. Selon le rapport 2010 de la direction générale de l’administration pénitentiaire, l’équipe soignante en soins psychiatriques de la prison de Merksplas comptait trois psychiatres, quatre psychologues, dix infirmiers psychiatriques, trois ergothérapeutes, quatre éducateurs, des assistants sociaux et des musico-thérapeutes.

57. La prison de Merksplas travaille en collaboration avec le service externe Abagg de l’association « ’t Zwart Goor » spécialisé dans l’accompagnement et le soutien ambulant des personnes présentant des troubles mentaux ou de comportement.

E. Cours et tribunaux

58. Toute personne en mesure d’invoquer la violation d’un droit subjectif peut introduire une demande devant le tribunal de première instance et se plaindre d’une violation de toute disposition conventionnelle qui a un effet direct en droit belge. Le juge peut, éventuellement sous astreinte, faire cesser la violation et, dans la mesure où les conditions de l’article 1382 du code civil sont remplies, accorder une indemnité.

59. En vertu de l’article 584 du code judiciaire, le Président du tribunal de première instance, siégeant en référé, peut se prononcer, si l’urgence est remplie, sur toute demande en toutes matières, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire.

F. Documents du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe

60. Il est renvoyé à la partie « Documents internationaux pertinents » de l’arrêt Sławomir Musiał c. Pologne (no 28300/06, § 62, 20 janvier 2009) qui cite les parties pertinentes, s’agissant des soins psychiatriques en prison, des recommandations R (98)7 relatives aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire et R (2006)2 du Comité des Ministres aux Ėtats membres sur les règles pénitentiaires européennes.

III. DOCUMENTS PERTINENTS RELATIFS À LA SITUATION EN MATIÈRE D’INTERNEMENT EN BELGIQUE

61. La Cour a récemment rendu quatre arrêts de principe concernant la régularité de l’internement en Belgique de personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux au sein d’ailes psychiatriques de prisons ordinaires. Il s’agit des arrêts L.B. c. Belgique (no 22831/08, 2 octobre 2012), Claes c. Belgique (no 43418/09, 10 janvier 2013), Dufoort c. Belgique (no 43653/09, 10 janvier 2013), et Swennen c. Belgique (no 53448/10, 10 janvier 2013).

62. Les extraits pertinents de documents internes et internationaux relatifs aux problèmes structurels rencontrés en Belgique dans ce domaine figurent dans ces arrêts de principe auxquels la Cour renvoie (ibidem, §§ 72-74, §§ 42-69 et 70-72, §§ 37-62 et 63-65, §§ 29-53 et 54-56, respectivement).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

63. Le requérant se plaint d’être privé de sa liberté en violation de l’article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond. »

A. Sur la recevabilité

64. Le Gouvernement est d’avis que cette partie de la requête doit être rejetée au motif qu’elle est devenue sans objet. En effet, le requérant a porté ses griefs devant les instances de défense sociale alors qu’il était interné à la prison de Turnhout ; or, le 22 juillet 2009, quelques jours avant l’introduction de la requête devant la Cour, il a été transféré à la section De Haven de l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas. A supposer que le requérant puisse quand même faire valoir un intérêt actuel à dénoncer les conditions d’internement à Merksplas, il convient de rejeter cette partie de la requête pour défaut manifeste de fondement du fait que le requérant a omis d’apporter des preuves concrètes étayant l’absence alléguée de soins et les effets sur sa situation personnelle.

65. Le requérant soutient avoir fait état de manière étayée de l’insuffisance des soins et du caractère inapproprié de ses lieux de détention devant les autorités internes et avoir demandé en vain à ce que ces carences soient constatées sur place.

66. La Cour constate que le requérant l’a dûment informée de son transfèrement et de la poursuite de son internement à la section De Haven de la prison de Merksplas. Elle estime que les griefs formulés par le requérant sous l’angle de l’article 5 du fait du caractère inapproprié de son lieu d’internement posent des questions qui ne peuvent être tranchées qu’après un examen au fond de cette partie de la requête ; il s’ensuit qu’elle n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’ayant été relevé, il y a lieu en conséquence de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

67. Le requérant explique être une victime, parmi d’autres, d’un problème structurel en Belgique qui consiste à maintenir en détention ad vitam dans les ailes psychiatriques de prisons ordinaires des personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux sans leur offrir une prise en charge thérapeutique appropriée. Il expose cet argument de la même manière et s’appuie sur les mêmes données que les requérants dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts de principe précités (L.B., § 85, Claes, § 105, Dufoort, § 70, et Swennen, § 62).

68. Le Gouvernement développe un argumentaire comparable à celui qui était le sien dans ces affaires (ibidem, §§ 80-83, §§ 107 à 109, §§ 71 à 73, et §§ 64 à 66, respectivement) et qui peut se résumer comme suit. La présente affaire se distingue des affaires Aerts c. Belgique (30 juillet 1998, § 28, Recueil des arrêts et décisions 1998-V) et Morsink c. Pays-Bas (no 48865/99, 11 mai 2004) du fait que la CDS n’a désigné aucun autre établissement pour la détention du requérant. Le requérant a bénéficié à la prison de Turnhout de soins appropriés et séjourne à ce jour à la prison de Merksplas dans la section De Haven qui est un établissement spécialisé où il bénéficie de thérapies et d’un accompagnement individualisé et où il a accès à diverses activités. Les autorités belges ont constamment fait des efforts pour trouver un établissement extérieur approprié et l’échec de la prise en charge extérieure à la prison doit être attribuée à la gravité des troubles mentaux et au comportement du requérant.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

69. La Cour a rappelé dans les quatre arrêts précités les principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l’article 5 § 1 et qui lui permettent d’évaluer la régularité de la privation de liberté et du maintien en détention d’une personne atteinte de troubles mentaux (L.B., §§ 91 à 94, Claes, §§ 112 à 115, Dufoort, §§ 76, 77 et 79, et Swennen, §§ 69 à 72 et les références qui y sont citées).

b) Application des principes en l’espèce

70. La Cour observe que l’internement du requérant a été ordonné, en application de la loi de défense sociale, par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Louvain, en l’occurrence des ordonnances du 25 juin 2004 et du 29 septembre 2006 pour faits de viol, décisions séparées d’une période de mise en liberté à l’essai. La dernière ordonnance fut confirmée le 14 décembre 2006 par la cour d’appel de Bruxelles. En conséquence, en l’absence de « condamnation », la détention subie par l’intéressé relève de l’article 5 § 1 e) de la Convention pour autant qu’il concerne la détention des aliénés.

71. La Cour note qu’il n’est pas contesté que l’internement du requérant a été décidé « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

72. Rien ne permet, par ailleurs, à la Cour de douter que les conditions énoncées dans sa jurisprudence relative à l’article 5 § 1 e) (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33) pour qualifier le requérant d’« aliéné » et maintenir sa privation de liberté sont réunies en l’espèce. Le requérant souffre de troubles graves de la personnalité et du comportement présentant un danger pour la société ainsi que d’un retard mental important, attestés médicalement de manière certaine depuis 2004 et confirmés depuis. Des tests effectués en 2009 et en 2010 révélèrent en outre un risque élevé de récidive de délinquance sexuelle chez le requérant et des problèmes d’autisme. Une nouvelle évaluation de la problématique de délinquance sexuelle du requérant effectuée en 2011 confirma la persistance des risques.

73. La Cour doit donc examiner si, conformément à sa jurisprudence, la détention du requérant a lieu dans un établissement approprié.

74. La Cour observe que le requérant a fait l’objet à partir de 1982 de plusieurs mesures d’internement au sein d’ailes psychiatriques de prison entrecoupées de mises en liberté à l’essai. Telle que formulée devant la Cour, la requête ne se réfère toutefois qu’aux périodes d’internement postérieures au jugement du 25 juin 2004 de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Louvain. En 2005, une mise en liberté à l’essai échoua à nouveau et le requérant fut ré-interné en 2006. Depuis, le requérant fut détenu de façon continue au sein d’une aile psychiatrique de prison. La Cour constate que, depuis 2004, le requérant n’a pas fait l’objet d’une mise en liberté définitive et son statut n’a pas changé. Elle estime donc que les périodes d’internement consécutives du requérant doivent être considérées comme un tout.

75. Le Gouvernement fait valoir que le requérant, à la différence notamment du requérant dans l’affaire Aerts précitée, a toujours été interné dans un lieu que la CDS a désigné et considéré comme approprié.

76. La Cour note toutefois que la prise en charge du requérant à l’extérieur de la prison dans un cadre adapté est envisagée depuis 2007. Les instances de défense sociale ont en effet motivé le maintien du requérant dans une aile psychiatrique « dans l’attente d’un transfèrement vers un établissement psychiatrique de sécurité moyenne ». Il fut ensuite préconisé que le requérant demeure interné dans une aile psychiatrique dans l’attente de l’intégrer dans un foyer dépendant de l’Agence flamande pour les personnes avec un handicap. Les autorités ont pris contact à plusieurs reprises avec des établissements extérieurs mais ces démarches se sont révélées infructueuses en raison du refus opposé par ces structures d’admettre le requérant.

77. La Cour en déduit que le maintien du requérant dans une aile psychiatrique est conçu par les autorités elles-mêmes comme une solution « transitoire » dans l’attente de trouver une structure appropriée et adaptée à ses besoins, ce qui, implicitement, souligne l’inadéquation thérapeutique du maintien du requérant en milieu carcéral et que, si aucun autre établissement n’a été désigné par la CDS, c’est, en réalité, à défaut d’alternative (voir, mutatis mutandis, L.B., § 95, Claes, § 116, et Dufoort, § 81).

78. Le Gouvernement soutient que le requérant a toujours été entouré de soins adéquats en particulier depuis qu’il a été transféré à la section De Haven de la prison de Merksplas.

79. La Cour relève toutefois dans le dossier que le requérant n’a bénéficié que d’un nombre très faible de consultations auprès d’un psychiatre de la prison, soit un total de huit consultations depuis 2004. En outre, s’il semble effectivement que l’accompagnement du requérant se soit amélioré depuis son transfèrement à la section De Haven et qu’il participe désormais à des activités de soutien, il n’est nulle part question d’une prise en charge thérapeutique individuelle et spécialisée dans le traitement des troubles dont souffre le requérant.

80. Le Gouvernement attribue l’absence d’amélioration de l’état du requérant et l’échec de la prise en charge extérieure à son attitude, à son manque de motivation et à la gravité de ses pathologies.

81. La Cour n’est pas, quant à elle, convaincue que le requérant ait fait preuve d’une attitude visant à empêcher toute évolution de sa situation. Au contraire, elle relève que dans le cadre de la procédure en référé, le requérant a clairement formulé ses desiderata en vue de faire évoluer son état. Il demandait que l’Ėtat soit condamné, dans l’attente de son transfèrement, à une prise en charge thérapeutique individualisée au sein de la prison à raison de deux heures deux fois par semaine. Cette demande n’est pas, aux yeux de la Cour, manifestement déraisonnable et apparaît prima facie correspondre à des « soins adaptés » dans le cas d’une personne souffrant de troubles de la personnalité en plus d’être délinquant sexuel, d’un retard mental et d’avoir une conscience très faible de ses troubles (voir, mutatis mutandis, Swennen, § 80). Ce qui est préoccupant, selon la Cour, c’est qu’une telle prise en charge n’ait pas été disponible au sein de la prison de Turnhout et n’apparaît pas faire partie des soins prodigués au requérant à la prison de Merksplas.

82. Il résulte des affaires ayant donné lieu aux quatre arrêts de principe précités que le cas du requérant n’est pas isolé. Il y a, ainsi que la CDS l’a exposé clairement en l’espèce dans sa décision du 2 mars 2009, un problème structurel en Belgique dans la prise en charge des personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux. Nombre d’entre elles sont maintenues dans des ailes psychiatriques de prisons ordinaires dans l’attente de trouver une place dans une structure extérieure leur offrant des soins thérapeutiques pouvant contribuer à l’amélioration de leur état de santé et à une réintégration fructueuse dans la vie sociale. Ce problème est reconnu par les autorités belges et plusieurs instances internationales ont, de manière récurrente, exprimé leur préoccupation à ce sujet (L.B., § 95, Claes, § 116, Dufoort, § 81, et Swennen, § 81).

83. La Cour rappelle que dans l’affaire L.B., elle a conclu à la violation de l’article 5 § 1 de la Convention au motif que la détention du requérant, déclaré pénalement irresponsable de ses actes, pendant sept ans dans une aile psychiatrique de prison reconnue comme étant inadaptée à ses besoins, avait eu pour effet de rompre le lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a eu lieu (§§ 101 et 102). La Cour est parvenue à la même conclusion dans les affaires Claes (§§ 120 et 121), Dufoort (§§ 90 et 91) et Swennen (§§ 82 et 83).

84. Aucun élément du dossier du requérant ni de l’argumentation du Gouvernement ne permet à la Cour de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

85. En conclusion, la Cour considère que l’internement du requérant dans un lieu inadapté à son état de santé depuis 2004, avec une interruption de quinze mois, a rompu le lien requis par l’article 5 § 1 e) entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a lieu.

86. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

87. Le requérant dénonce une violation de l’article 6 § 1 de la Convention combiné avec l’article 13 de la Convention. Il soutient qu’il n’a pas bénéficié d’un recours effectif ni des garanties d’une procédure équitable pour faire valoir le caractère inapproprié de son lieu de détention.

88. Pour les mêmes raisons que celles exposées dans ses arrêts Claes (§ 123) et Dufoort (§ 92) précités, la Cour considère que les griefs que soulève le requérant doivent être examinés sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi formulé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

89. Le Gouvernement soutient que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes. Il est d’avis que le requérant n’a pas invoqué ce grief devant les instances nationales et qu’il n’a pas utilisé la procédure en référé.

90. La Cour constate que cette dernière affirmation est démentie par les faits. Elle note en effet que le 31 octobre 2008, le requérant a assigné l’Ėtat belge en référé et que le président du tribunal de première instance de Turnhout a rejeté la demande du requérant par une ordonnance du 8 octobre 2009. Elle relève, en outre, que le requérant a demandé tant aux instances de défense sociale qu’au juge judiciaire d’intervenir au moyen d’une visite de son lieu de détention pour démontrer le caractère inapproprié de ses conditions de détention. Devant la CSDS, il a invoqué une violation de son droit à un procès équitable, expliquant qu’il n’avait pas bénéficié d’une procédure contradictoire et que le refus de la CDS de procéder à une visite des lieux le privait de la seule possibilité légale dont il bénéficiait en tant qu’interné d’établir la réalité objective de ses conditions de détention.

91. Dans ces circonstances, la Cour estime que le requérant a soulevé devant les instances internes compétentes, dans des termes suffisants, le grief qu’il a porté devant elle et a épuisé les voies de recours internes. Le fait que le requérant se soit référé aux articles 6 § 1 et 13 de la Convention devant la CSDS plutôt qu’à l’article 5 § 4 ne change rien à cette conclusion. L’exception soulevée par le Gouvernement ne saurait donc être accueillie.

92. La Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

93. Le requérant se plaint que, en dépit du caractère notoire du défaut de soins dans les ailes psychiatriques en général et à l’aile psychiatrique de Turnhout en particulier et des éléments qu’il a portés à ce sujet à l’attention des instances de défense sociale, l’organe de recours n’a pas considéré qu’il s’agissait d’un commencement de preuve et n’a effectué aucune démarche en vue d’établir la réalité des faits à son endroit. En refusant d’effectuer une visite de son lieu d’internement, la CSDS a privé le requérant de sa seule possibilité légale dont il disposait pour que le caractère approprié de ce lieu soit évalué in concreto et discuté contradictoirement. Le requérant se plaint en outre qu’il n’est pas possible pour les avocats des internés de prendre copie des dossiers d’internement de leurs clients, ce qui porte également atteinte à leur droit à une procédure contradictoire.

94. En particulier, le requérant fait valoir que les demandes de visite des lieux de détention formulées devant les instances de défense sociale sont systématiquement rejetées dans des termes standards, à savoir que les intéressés bénéficient des soins appropriés et que le lieu de détention est « bien connu » de la CDS. Le requérant souligne qu’à sa connaissance, une seule visite a été ordonnée qui concernait la prison de Merksplas. Il reconnaît que ces fins de non-recevoir s’inscrivent dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a précisé que la loi de défense sociale ne prévoyait la visite des lieux de détention que dans le but que la CDS se tienne informée de l’état de l’interné en vue d’une éventuelle mise en liberté. Elle ne vise aucunement le contrôle des conditions de détention de l’interné et n’accorde pas à l’interné ou à son conseil le droit de requérir une telle visite.

95. Le requérant ajoute que la possibilité de saisir le juge judiciaire en référé, outre qu’il n’est pas en matière d’internement le juge de la mise en liberté au sens de l’article 5 § 4, ne vient pas remédier cette situation. Les seules pièces qui sont produites devant le juge et versées au débat sont celles que l’Ėtat a sélectionnées. De plus, selon la jurisprudence constante de la cour d’appel d’Anvers, le juge des référés ne peut faire qu’un contrôle marginal relatif aux circonstances individuelles concrètes dans lesquelles un interné se trouve et il ne peut ordonner des mesures qu’en cas d’absence totale d’assistance et d’accueil spécifiquement adaptés. Le requérant n’a d’ailleurs connaissance d’aucune décision du président du tribunal de première instance de Turnhout ou de la cour d’appel d’Anvers ayant procédé à une visite des lieux et/ou accordé les mesures concrètes sollicitées.

96. Le Gouvernement soutient que la voie la plus évidente permettant aux internés de se plaindre de leurs conditions de détention est la procédure devant le juge des référés. Cette voie peut s’avérer effective pour les internés qui peuvent obtenir du juge qu’il ordonne aux autorités d’exécuter les décisions de la CDS ou, à tout le moins, qu’il les oblige à leur donner l’accompagnement nécessaire. Un arrêt de la cour d’appel de Gand du 26 mai 2005 en atteste (Claes précité, §§ 73 et 125, et Dufoort précité, § 95). En dehors de l’action en référé, il est possible pour un interné d’introduire une demande devant le tribunal de première instance tirant grief de la violation d’une disposition de la Convention en rapport avec ses conditions de détention et visant à imposer la cessation de la violation et, si les conditions de l’article 1382 du code civil sont remplies, à obtenir une indemnité. Se référant à la décision de la CDS du 2 mars 2009, le Gouvernement fait valoir qu’en tout état de cause, en l’espèce, le requérant a bénéficié, conformément à la jurisprudence de la Cour telle qu’énoncée dans l’arrêt Dufoort précité, d’un contrôle de la part de la CDS du caractère approprié de son lieu de détention.

2. Appréciation de la Cour

97. La Cour rappelle que, dans les affaires Claes et Dufoort précitées, elle a résumé les principes généraux relatifs à l’article 5 § 4 de la Convention en ce qu’il s’applique en cas d’internement de personnes souffrant de troubles mentaux (§§ 126 à 129 et §§ 97 à 101, respectivement). Elle y renvoie pour les besoins de la présente affaire.

98. La Cour a ensuite examiné les voies de recours dont disposaient les requérants pour établir la réalité de leurs conditions de détention et le caractère inapproprié des ailes psychiatriques. Elle considéra que la portée limitée des compétences des instances de défense sociale avait eu pour effet de priver les requérants d’un contrôle assez ample pour s’étendre à l’une des conditions indispensables à la « légalité » de sa détention au sens de l’article 5 § 1 e), à savoir le caractère approprié du lieu de détention (Claes, §§ 133 et 134, et Dufoort, §§ 106 et 107). Dans ces affaires, la Cour examina également l’autre voie utilisée par les requérants – la saisine du juge judiciaire dans le cadre d’une demande en référé – pour évaluer s’ils avaient eu accès à un recours conforme à l’article 5 § 4. Dans la première affaire, la Cour considéra que cette voie de recours ne s’était pas avérée utile pour le requérant puisqu’il s’était vu débouter de son action pour incompétence, et elle conclut à une violation de l’article 5 § 4. Dans la deuxième, la Cour estima ne pas disposer de suffisamment d’éléments pour considérer que la procédure en référé n’était pas un recours conforme à cette disposition.

99. En l’espèce, la Cour note que la CDS confirma, par sa décision du 2 mars 2009, le maintien du requérant à l’aile psychiatrique de Turnhout au motif que, même s’il était établi qu’en Belgique les mesures structurelles générales à l’égard des internés étaient défaillantes, l’engagement du personnel de la prison de Turnhout pour améliorer les conditions de vie et d’accompagnement était connu et que le requérant se trouvait dans un établissement approprié et était accompagné dans des conditions acceptables. Elle refusa par ailleurs de faire suite à la demande du requérant d’effectuer une visite sur son lieu de détention pour constater in concreto son caractère inapproprié au motif que les circonstances dénoncées par le requérant lui étaient bien connues. Cette décision fut confirmée par l’organe de recours, la CSDS, le 26 mars 2009, et, dans le cadre de cette procédure, le requérant fut débouté de son pourvoi en cassation le 2 juin 2009.

100. La Cour est surprise par le contraste, en l’espèce, entre le constat, largement étayé, que la CDS dresse de l’insuffisance notoire en Belgique des mesures structurelles à l’égard des internés et celui, nettement plus laconique, selon lequel les conditions de détention à la prison de Turnhout sont bien connues et appropriées à l’endroit du requérant. En outre, de la même manière que dans l’affaire Dufoort, elle constate, d’après la motivation de la décision de la CSDS (paragraphe 19), que, même si la CDS avait examiné de manière circonstanciée les conditions de détention du requérant et avait effectué une visite des lieux, cela n’aurait pas pu la mener à conclure autrement vu que le transfèrement du requérant était tributaire de l’admission dans un établissement extérieur et qu’en cas de refus d’admission, ni la CDS ni la CSDS n’avait compétence pour ordonner la mise à disposition d’une place adaptée au requérant.

101. La Cour en déduit que les instances de défense sociale ne disposent pas d’un pouvoir de contrôle assez ample pour s’étendre à l’une des conditions indispensables à la « légalité » de la détention des internés ni des compétences requises pour redresser le grief que le requérant tirait du caractère inapproprié de son lieu de détention (voir, mutatis mutandis, Claes, précité, §§ 133 et 134, et Dufoort, précité, §§ 106 et 107).

102. Eu égard à ce qui précède, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur l’impact qu’aurait eu, en l’espèce, l’impossibilité alléguée par le requérant d’obtenir copie, par l’intermédiaire de son représentant, de son dossier d’internement.

103. Cela étant, la Cour relève que le requérant a également saisi le juge judiciaire dans le cadre d’une procédure en référé. A l’instar de la démarche qu’elle a effectuée dans les arrêts Claes et Dufoort précités, la Cour doit donc examiner si, dans le cadre de cette procédure, le requérant a bénéficié d’un recours effectif pour dénoncer ses conditions de détention.

104. Elle note que, dans une ordonnance du 8 octobre 2009 que le requérant n’a pas contestée en appel, le président du tribunal de première instance de Turnhout a exprimé sans ambiguïté que, dans le cadre du référé, le pouvoir de contrôle du juge judiciaire des conditions réelles de détention était marginal et qu’il ne pouvait intervenir que si la prise en charge et les soins étaient totalement absents. En l’espèce, il a considéré, à la lumière des pièces soumises par l’État, que cela n’était pas le cas et a rejeté la demande du requérant comme étant mal fondée. Il a également rejeté la demande de visite du lieu de détention au motif qu’une visite n’apporterait rien à la solution du litige (paragraphe 26).

105. A défaut pour le Gouvernement de les réfuter, la Cour tient par ailleurs pour avérées, à tout le moins en l’espèce, les lacunes procédurales alléguées par le requérant selon lesquelles il n’a pas eu accès, par son représentant, à son dossier d’internement et que le juge en référé ne disposait, pour se prononcer, que des pièces sélectionnées par l’État.

106. Dans de telles conditions, la Cour n’aperçoit pas de quel moyen disposait le requérant pour obtenir du juge en référé un redressement de la situation qu’il dénonçait. La Cour réaffirme à cet égard que, pour être effectif le recours dont il est question à l’article 5 § 4 de la Convention doit être assez ample pour porter sur chacune des conditions indispensables à la « légalité » de la détention non seulement au regard du droit interne mais également au regard de la Convention et que la recherche du caractère approprié d’un lieu de détention ne peut se résumer à un contrôle prima facie sans un examen sérieux de la réalité de la situation.

107. A cela s’ajoute que le Gouvernement n’apporte aucun exemple de décision prise en référé qui aurait été adoptée par les juridictions compétentes dans l’arrondissement judiciaire où se trouvent les prisons de Turnhout et de Merksplas et qui auraient mené à une visite de ces lieux de détention. La Cour rappelle que si l’effectivité d’un recours ne dépend certes pas de la certitude d’avoir une issue favorable, l’absence de toute perspective d’obtenir un redressement approprié pose problème (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000‑XI).

108. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’à la différence de l’affaire Dufoort précitée (§ 108), elle dispose, en l’espèce, d’éléments suffisants pour considérer que la procédure en référé, à supposer même que le requérant l’ait menée à son terme, n’était pas un recours conforme à l’article 5 § 4 de la Convention.

109. L’existence, mentionnée par le Gouvernement d’une troisième voie, à savoir le recours devant le juge judiciaire en dehors du référé, ne change rien à ce constat. La Cour ne dispose en effet d’aucun exemple attestant de l’effectivité de ce recours pour remédier aux problèmes que rencontrent les personnes délinquantes atteintes de troubles mentaux et qui, comme le requérant, contestent le caractère approprié du milieu carcéral comme lieu de détention.

110. Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

111. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

112. Le requérant réclame 96 150 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi du fait de sa détention dans des conditions inappropriées. Pour parvenir à ce montant, il s’inspire du montant de l’indemnité journalière pour détention inopérante rapportée à 1 923 jours de détention.

113. Le Gouvernement est d’avis que la comparaison avec la détention préventive inopérante n’est pas pertinente, le requérant ayant fait l’objet d’une détention régulière d’internement. Pour le reste, il s’en remet à la sagesse de la Cour.

114. La Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral certain en raison de son maintien en détention dans un établissement inapproprié. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui octroie 15 000 EUR au titre du préjudice moral.

115. De plus, la Cour est d’avis qu’en l’espèce, le transfèrement du requérant dans un établissement approprié à ses besoins constitue la manière adéquate de redresser la violation constatée.

B. Intérêts moratoires

116. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

4. Dit,

a) que l’Ėtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 15 000 EUR (quinze mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 janvier 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-140038
Date de la décision : 09/01/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1-e - Aliéné);Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Contrôle de la légalité de la détention)

Parties
Demandeurs : VAN MEROYE
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : VERPOORTEN P.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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