QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE TONI KOSTADINOV c. BULGARIE
(Requête no 37124/10)
ARRÊT
STRASBOURG
27 janvier 2015
DÉFINITIF
27/04/2015
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Toni Kostadinov c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Nona Tsotsoria,
Zdravka Kalaydjieva,
Paul Mahoney,
Krzysztof Wojtyczek, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 janvier 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 37124/10) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. Toni Ivanov Kostadinov (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 juin 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me E. Nedeva, avocate à Plovdiv. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Y. Stoyanova, du ministère de la Justice.
3. Le requérant allègue qu’il a été arrêté en dépit de l’absence de données suffisantes pour le soupçonner de la commission d’une infraction pénale, que sa détention a continué au-delà de tout délai raisonnable, qu’il n’a pas pu effectivement contester la légalité et la nécessité de sa détention et qu’il n’a pas eu la possibilité d’obtenir réparation pour le préjudice subi en raison de ces faits. Il allègue par ailleurs que sa présomption d’innocence a été remise en cause par les propos du ministre de l’Intérieur en exercice à l’époque des faits.
4. Le 29 janvier 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1960 et réside à Vratsa.
6. Avant les faits de la présente espèce, le requérant avait servi pendant plusieurs années dans la police nationale. Entre 2005 et septembre 2009, il avait occupé successivement les postes de chef de deux commissariats de police, à Kozloduy et à Byala Slatina.
A. Le placement en détention du requérant et l’examen de ses demandes de libération
7. Le 19 décembre 2009, le requérant fut arrêté par la police pour des soupçons d’avoir participé à un groupe criminel, soupçonné de cambriolages dans différentes localités sur le territoire du pays.
8. Le 21 décembre 2009, un enquêteur du service de l’investigation près du parquet régional de Plovdiv inculpa le requérant de participation, en sa qualité de fonctionnaire public, à une organisation de malfaiteurs pendant la période comprise entre avril et décembre 2009, infraction pénale réprimée par l’article 321, alinéa 3 du code pénal (ci-après le CP). L’acte d’inculpation énumérait en particulier : les noms, patronymes et prénoms des neuf autres membres présumés du groupe, ainsi que leur numéros uniques personnels d’identification ; les sept villes et villages où le groupe aurait été actif, à savoir Plovdiv, Sofia, Haskovo, Merichleri, Troyan, Kozloduy et Trud ; l’activité criminelle principale du groupe, à savoir la commission de vols aggravés.
9. Le 22 décembre 2009, les dix membres présumés du groupe en cause, y compris le requérant, furent traduits devant le tribunal régional de Plovdiv. Les avocats de neuf des suspects, y compris ceux du requérant, contestèrent la compétence territoriale du tribunal régional de Plovdiv au motif que les dispositions du code de procédure pénale (ci-après le CPP) attribuaient l’examen de la question relative au placement en détention provisoire aux tribunaux d’une autre région du pays. Le tribunal régional rejeta cette exception d’incompétence territoriale en se référant aux dispositions des articles 36, 194 et 195 du CPP.
10. Les deux avocates du requérant soutinrent devant le tribunal régional que les preuves présentées à l’encontre de leur client, notamment des transcriptions d’écoutes téléphoniques et les dépositions de deux témoins anonymes, étaient irrecevables et insuffisantes pour justifier son placement en détention. Elles invoquèrent également les arrêts Ilijkov c. Bulgarie, no 33977/96, 26 juillet 2001, et Danov c. Bulgarie, no 56796/00, 26 octobre 2006, rendus par Cour. Plusieurs circonstances démontraient que leur client ne risquait pas de se soustraire à la justice ou de commettre des infractions pénales s’il était laissé en liberté : il n’avait pas d’antécédents judiciaires ; il jouissait d’une bonne réputation ; il avait un domicile bien établi ; il avait des problèmes de santé et les membres de sa famille avaient besoin de son soutien financier.
11. Par une décision rendue à l’issue de l’audience en cause, le tribunal régional décida de placer tous les dix suspects en détention provisoire. S’appuyant sur les preuves rassemblées au cours de l’enquête – les dépositions des témoins anonymes, les preuves documentaires et matérielles, les transcriptions des écoutes téléphoniques des conversations entre les suspects – le tribunal jugea qu’il existait des raisons plausibles de soupçonner tous les suspects de faire partie d’un groupe criminel organisé qui avait commis plusieurs vols aggravés dans plusieurs villes et villages différents en l’espace de quelques mois. Concernant le requérant, le tribunal observa qu’il était soupçonné d’avoir participé aux préparatifs de ces vols et d’avoir pris part à l’organisation criminelle en question en sa qualité de fonctionnaire de police. Le tribunal estima qu’il existait un risque de commission de nouvelles infractions de la part de tous les suspects, y compris le requérant, compte tenu de la gravité des faits reprochés, du mode opératoire du groupe criminel présumé, de la période et de l’étendue territoriale de son activité. Concernant le requérant, le tribunal estima également que l’absence d’antécédents judiciaires, ses situations familiale, personnelle et professionnelle et son état de santé ne suffisaient pas pour justifier l’imposition d’une mesure de contrôle judiciaire moins contraignante à celui-ci.
12. Le 29 décembre 2009, statuant sur le recours formé par le requérant, la cour d’appel de Plovdiv confirma la décision du tribunal inférieur en reprenant les motifs de celle-ci. La juridiction d’appel prit également en compte le fait que le requérant était fonctionnaire de police, ce qui, à la lumière des autres preuves recueillies, notamment des écoutes téléphoniques effectuées au cours de l’enquête, aurait démontré, dans son chef, l’existence d’un risque de nouvelles infractions. Elle estima par ailleurs qu’en vertu de l’article 41, alinéa 2 du CPP, les tribunaux de Plovdiv avaient la compétence territoriale nécessaire pour statuer sur le placement en détention de tous les suspects : deux des actes criminels les plus graves reprochés aux complices présumés auraient été commis dans cette région du pays.
13. Le 19 mars 2010, le tribunal régional rejeta la première demande de libération du requérant. Celui-ci interjeta appel.
14. Le 24 mars 2010, l’avocate du requérant se rendit au greffe de la cour d’appel et consulta les transcriptions des écoutes téléphoniques versées au dossier. Elle voulut prendre des notes, mais la greffière lui expliqua que, en raison du caractère confidentiel de cette information, toute note manuscrite concernant ces documents devait être écrite dans un cahier spécial enregistré et gardé au greffe du tribunal. Elle ajouta que les notes qu’elle aurait éventuellement prises pouvaient lui être envoyées à son cabinet si elle tenait un registre des informations confidentielles et disposait d’un employé chargé de garder ce type de documents.
15. À l’audience du 25 mars 2010, l’avocate du requérant déclara devant la cour d’appel de Plovdiv qu’elle avait pris connaissance de toutes les pièces du dossier. Elle soutint que les preuves rassemblées ne pouvaient pas servir de base suffisante pour conclure que son client avait probablement commis les infractions pénales en question. Elle soutint également qu’il n’existait aucun risque que son client prît la fuite ou commît de nouvelles infractions.
16. Par une décision rendue le même jour, la cour d’appel confirma la décision du tribunal inférieur. Elle estima que les soupçons de commission d’une infraction pénale qui pesaient sur le requérant persistaient. Elle observa à cet égard que les organes d’enquête avaient entre-temps rassemblé des preuves supplémentaires, notamment les dépositions de quelques témoins, qui corroborant les preuves déjà versées au dossier. Elle indiqua que le risque de commission de nouvelles infractions était toujours présent : selon la juridiction d’appel, le fait que le requérant encourait une peine d’emprisonnement lourde laissait à penser qu’il pouvait commettre de nouvelles infractions, voire chercher à freiner le cours de l’enquête. La cour d’appel constata que l’enquête pénale en cause était menée avec la diligence particulière requise parce que plusieurs nouvelles mesures d’instruction avaient été réalisées voire planifiées. Elle conclut que la durée de la détention du requérant n’était pas allée au-delà du délai raisonnable.
17. Le 16 avril 2010, le requérant forma devant le tribunal régional de Plovdiv un nouveau recours visant à sa remise en liberté. Il demanda et obtint la récusation de la juge M.B. qui avait examiné ses deux recours précédents.
18. Le 23 avril 2010, l’avocate du requérant se rendit au greffe du tribunal régional et consulta les transcriptions des écoutes téléphoniques contenues dans le dossier de l’enquête. Lorsqu’elle demanda à pouvoir prendre des notes, la greffière lui répondit que, en raison du caractère confidentiel de l’information en cause, cela ne pourrait être fait que dans un cahier enregistré et gardé au greffe du tribunal.
19. Le même jour, à 13 h 30, le tribunal régional examina la demande de libération du requérant. L’avocate de l’intéressé mit en cause l’impossibilité qui lui avait été faite de prendre librement des notes sur les documents versés au dossier. Elle contesta la recevabilité et la pertinence des écoutes téléphoniques et des témoignages de divers agents de police pour l’examen de la légalité de la détention de son client. Elle soutint encore qu’il n’y avait aucune raison de considérer que son client pût commettre d’autres infractions pénales s’il était remis en liberté. Les deux autres représentantes du requérant plaidèrent que son maintien en détention n’était pas nécessaire.
20. Par une décision du même jour, le tribunal régional rejeta la demande de libération du requérant. Il estima que les soupçons vis-à-vis du requérant étaient fondés sur les témoignages d’un certain nombre d’agents de police et sur les écoutes de ses conversations téléphoniques avec l’un des autres suspects. Il ajouta que la dangerosité des infractions reprochées, vue à la lumière de la fonction exercée par le requérant à l’époque des faits, démontrait l’existence d’un danger réel de perpétration de nouvelles infractions.
21. Le requérant interjeta appel. Il demanda et obtint la récusation de la juge V.S. au motif que celle-ci avait participé à l’examen par la cour d’appel de ses deux recours précédents visant à sa remise en liberté.
22. À l’audience d’appel du 4 mai 2010, la défense du requérant réitéra les arguments déjà exposés devant le tribunal régional. Par une décision rendue le même jour, la cour d’appel rejeta la demande de libération. Elle observa d’emblée que la participation d’un même juge dans la formation appelée à statuer sur les demandes successives de libération du requérant ne justifiait pas à elle seule la récusation de ce juge. Elle indiqua qu’il n’existait aucun indice de l’existence d’un parti pris des membres de la formation de jugement. Elle estima ensuite que les preuves recueillies au cours de l’enquête, en particulier les dépositions de deux agents de police et les conversations interceptées entre le requérant et l’un de ses complices présumés, étaient des indices suffisants pour que l’on pût soupçonner l’intéressé de participation à une organisation de malfaiteurs. Elle ajouta qu’il s’agissait d’éléments de preuve recevables et pertinents pour l’affaire. Elle considéra de surcroît qu’il existait suffisamment d’indices démontrant la persistance d’un risque de commission de nouvelles infractions : le requérant encourait une peine d’emprisonnement ; l’activité du groupe de malfaiteurs présumés était de grande envergure ; les actes reprochés avaient été commis avec une persévérance particulière ; en sa qualité de fonctionnaire de police, le requérant avait eu des contacts réguliers avec l’un des autres suspects qui était directement impliqué dans les vols reprochés au groupe. La cour d’appel ajouta enfin que les données personnelles positives recueillies au sujet du requérant, sa situation familiale et ses difficultés financières n’étaient pas suffisantes pour justifier une mesure de contrôle judiciaire moins contraignante à son égard.
23. Entre-temps, l’avocate du requérant s’était plainte auprès des présidents du tribunal régional et de la cour d’appel de Plovdiv de l’impossibilité de prendre des notes écrites sur le contenu des transcriptions des conversations téléphoniques des suspects. Par deux lettres datées du 23 et du 26 avril 2010, les présidents des deux tribunaux lui répondirent qu’il s’agissait de mesures imposées par la loi sur la protection de l’information classifiée, qu’elle avait plein accès aux documents en question et qu’elle aurait pu prendre des notes dans des cahiers spéciaux gardés aux greffes respectifs de ces juridictions. Dès lors, elle n’aurait été nullement empêchée de préparer la défense de son client. Par ailleurs, il existait la possibilité de lui envoyer ses notes dans son cabinet d’avocat si elle tenait un registre des informations confidentielles et disposait d’un employé chargé de garder ce type de documents.
24. Le 17 juin 2010, l’avocate du requérant demanda au procureur régional de libérer son client sous caution. Elle fit valoir que, compte tenu du stade avancé de la procédure pénale, il n’existait plus aucun danger de fuite ou de commission de nouvelles infractions de la part du requérant.
25. Par une ordonnance du 23 juin 2010, le procureur régional de Plovdiv accueillit cette demande pour les motifs suivants :
« A la lumière des résultats de l’enquête menée jusqu’à présent, il convient d’accepter qu’il existe encore des soupçons raisonnables à l’encontre de l’inculpé Kostadinov qu’il a commis les infractions pénales pour lesquelles il est poursuivi pénalement. Cependant, au bout des six mois de détention, pendant lesquels l’inculpé a enduré les contraintes de la mesure de contrôle judiciaire la plus sévère, l’existence de ces soupçons ne suffit plus. Il faut également que le danger de soustraction à la justice ou de commission de nouvelles infractions persiste. Compte tenu de l’absence d’antécédents judiciaires de l’inculpé, du degré de son implication dans les actes incriminés (il transmettait de l’information qu’il connaissait en sa qualité de fonctionnaire à l’inculpé A. sans pour autant participer directement à l’accomplissement des atteintes criminelles à la propriété), au vu du stade avancé de l’enquête (...) qui ne pourrait plus être influencée de manière négative par lui, au vu du domicile bien établi, du statut social et du profil personnel positif de l’inculpé, il convient d’accepter que le danger de soustraction à la justice ou de commission de nouvelles infractions par celui-ci ne persiste plus. (...) »
26. Le procureur imposa au requérant une caution de 1 000 levs bulgares (environ 511 euros). L’intéressé fut libéré le même jour, après le paiement de cette somme.
B. Les propos du ministre de l’Intérieur
27. Le 20 décembre 2009, soit le lendemain de l’arrestation du requérant, le commissaire en chef de la police à Plovdiv et le ministre de l’Intérieur donnèrent une conférence de presse à l’occasion de l’arrestation de l’intéressé et de ses complices présumés. Lors de l’ouverture de la conférence de presse, il fut annoncé aux journalistes que Toni Kostadinov, ex-chef de commissariat de police à Byala Slatina, avait été arrêté pour participation à une bande qui avait commis des cambriolages dans différentes banques et bureaux d’entreprises. Le ministre de l’Intérieur tint les propos suivants :
« Toni Kostadinov a collaboré [avec les cambrioleurs] et a fourni des informations sur la succursale de la banque CCB à Kozloduy qui a été cambriolée en août dernier et d’où ont disparu 80 000 levs, ainsi que sur d’autres établissements à Mizia. (...) Il s’est montré tellement arrogant que, juste avant son anniversaire, il a pointé du doigt un établissement à Mizia en disant : « Allez-y, dépêchez-vous, faites-moi plaisir avec quelque chose. »
28. La conférence de presse fut largement médiatisée et les propos du ministre furent publiés le lendemain dans la presse écrite.
29. Le 5 mars 2010, le ministre de l’Intérieur donna une interview dans le cadre de l’émission « Panorama » de la première chaîne de la télévision nationale. Le présentateur lui posa plusieurs questions sur l’actualité politique et judiciaire. Répondant à une série de questions sur les relations entre son ministère et le pouvoir judiciaire, le ministre tint les propos suivants concernant les tribunaux à Plovdiv :
« (...) S.T. est un juge brillant et je dois vous dire que, en ce qui concerne les personnes qui sont détenues à Plovdiv, on est plus tranquille concernant les décisions judiciaires. (...) Là, où nous avons commis des imperfections, nous acceptons les décisions des tribunaux comme objectives et continuons à travailler sans se heurter [à eux] (...) »
C. La procédure pénale menée contre le requérant
30. Le 17 décembre 2010, le parquet régional de Plovdiv dressa un acte d’accusation et renvoya le requérant et ses complices présumés en jugement devant le tribunal régional de Plovdiv. L’intéressé fut accusé, en vertu de l’article 321 du CP, d’avoir participé à une organisation de malfaiteurs et, sur la base de l’article 387, alinéa 2 du CP, d’avoir enfreint ses devoirs de fonctionnaires en servant d’informateur de personnes impliquées dans la commission d’infractions pénales et en omettant d’informer ses supérieurs de ses contacts avec des personnes exerçant des activités criminelles.
31. Le tribunal régional examina l’affaire pénale entre mars 2011 et mai 2012. À l’audience du 14 mai 2012, le procureur régional déclara qu’il ne maintenait plus la charge de participation à une organisation de malfaiteurs soulevée à l’encontre du requérant. La partie pertinente de sa plaidoirie se lit comme suit :
« Je ne maintiens plus la charge de participation à une organisation de malfaiteurs à l’encontre de l’accusé Toni Kostadinov (...). Des preuves dans ce sens n’ont pas été réunies et je ne soutiens plus cette accusation. Il est établi que Toni Kostadinov a contacté uniquement l’accusé A. (...) Ce qui est important dans le cas d’espèce c’est le degré de connaissance de l’activité du groupe organisé et le degré d’implication de l’accusé dans l’activité de ce groupe. (...) Pour que je retienne la charge de participation à une organisation criminelle il faudrait que l’accusé Kostadinov ait disposé d’informations pertinentes ou ait participé dans la commission d’un acte criminel concret commis par les autres accusés. Je ne pourrais par me permettre de garder ce chef d’accusation étant donné que Kostadinov a affirmé qu’il avait entretenu des contacts personnels uniquement avec l’accusé A. et que le contenu de leurs conversations ne démontre pas que l’accusé Kostadinov était au courant des activités criminelles de l’accusé A. (...) »
32. Le procureur poursuivit néanmoins les charges de manquement aux devoirs d’un fonctionnaire contre le requérant.
33. Par un jugement du 19 mai 2012, le tribunal régional de Plovdiv acquitta le requérant des charges de participation à une organisation de malfaiteurs et d’avoir fourni de l’information au leader présumé de la bande criminelle en question. L’intéressé fut reconnu coupable de manquements à ses devoirs de fonctionnaire : il n’avait pas informé ses supérieurs de ses contacts réguliers avec des personnes impliquées dans des activités criminelles. Le tribunal régional imposa au requérant une sanction administrative : il fut condamné au paiement d’une amende de 500 BGN (l’équivalent d’environ 250 euros).
34. Trois des coaccusés du requérant furent reconnus coupables de participation à une organisation de malfaiteurs. Trois autres accusés furent reconnus coupables d’avoir participé à une tentative de vol aggravé.
35. Le parquet interjeta appel sans contester pour autant l’acquittement du requérant des charges de participation à une organisation de malfaiteurs. Le requérant interjeta appel en contestant sa condamnation pour manquement aux devoirs d’un fonctionnaire.
36. Par un jugement du 11 février 2013, la Cour d’appel de Plovdiv acquitta le requérant de tous les chefs d’accusation. Le parquet introduisit un pourvoi en cassation.
37. D’après l’information disponible dans la base de données publiques de la Cour suprême de cassation, [www.vks.bg/vks_p03.htm](http://www.vks.bg/vks_p03.htm), par un arrêt du 24 janvier 2014, la Cour suprême de cassation infirma le jugement de la cour d’appel et lui renvoya l’affaire pénale pour réexamen.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La détention provisoire et les recours en libération
38. L’article 63, alinéa 1 du CPP prévoit la possibilité de placer un prévenu en détention provisoire lorsqu’il existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis une infraction pénale et s’il existe un risque réel de le voir se soustraire à la justice ou commettre d’autres infractions pénales. La détention provisoire est ordonnée par le tribunal de première instance à l’issue d’une audience publique tenue en présence du procureur, du prévenu et de son défenseur (article 64, alinéas 1 et 3, du CPP).
39. En vertu de l’article 36, alinéa 1 du CPP, le tribunal territorialement compétent à examiner une affaire pénale est celui du lieu de la commission de l’infraction pénale en cause. L’article 41, alinéa 1 du même code permet le regroupement des affaires pénales liées qui sont alors examinées par un seul tribunal. Dans ce cas de figure, le tribunal compétent est celui de degré supérieur ou celui dans le ressort duquel a été commise la plus grave des infractions poursuivies (article 41, alinéa 2 du CPP).
40. La personne placée en détention provisoire peut former à tout moment une demande de mise en liberté qui sera examinée par le tribunal pénal de première instance en audience publique, en présence du procureur, du prévenu et de son défenseur (article 65, alinéas 1 et 3, du CPP). La décision du tribunal de première instance peut être attaquée devant le tribunal supérieur (article 65, alinéa 7, du CPP).
41. En vertu de l’article 63, alinéa 6, du CPP, le procureur peut décider de libérer la personne placée en détention provisoire s’il estime que le risque de commission de nouvelles infractions ou de soustraction à la justice n’est plus présent.
B. L’accès à l’information classifiée dans le cadre de la procédure pénale
42. En vertu de l’article 39, alinéa 3, point 3, de la loi sur la protection de l’information classifiée, les juges, procureurs, enquêteurs et avocats ont accès d’office aux informations secrètes contenues dans le dossier de l’affaire sur laquelle ils travaillent, dans le respect du principe de la « nécessité de savoir ». La même règle s’applique à tout particulier pour autant que l’accès à l’information classifiée se révèle nécessaire à l’exercice de son droit constitutionnel de défense (article 39a de la loi), notamment dans le cadre d’une procédure pénale.
43. En vertu de l’article 107 du règlement d’application de la loi sur la protection de l’information classifiée, les notes manuscrites concernant le contenu de documents classifiés peuvent être prises dans des cahiers prévus à cet effet, qui sont enregistrés et conservés au greffe ou au secrétariat de l’organisation gardant les documents secrets.
C. La présomption d’innocence
44. En vertu de l’article 31, alinéa 3 de la Constitution et de l’article 16 du CPP, l’inculpé est présumé innocent jusqu’à l’établissement du contraire par un jugement définitif.
45. L’article 147 du CP, réprimant la diffamation, est libellé comme suit :
« (1) Quiconque énonce une circonstance déshonorante pour autrui, voire lui impute une infraction pénale, est puni, pour diffamation, d’une amende allant de trois mille à sept mille levs et d’une réprimande.
(2) L’auteur n’est pas puni si la véracité des circonstances ou infractions pénales imputées est prouvée. »
46. L’article 148, alinéa 2, du CP prévoit une amende de cinq mille à quinze mille levs et une réprimande si la diffamation a été commise publiquement, disséminée par des médias ou commise par un fonctionnaire dans le cadre de ses fonctions.
47. Aux termes de l’article 161 du CP, la diffamation n’est pas une infraction pénale poursuivie d’office. Les poursuites pénales pour ce chef doivent être engagées par le dépôt d’une plainte pénale, par la victime et directement auprès des tribunaux. La plainte peut être accompagnée d’une action en dommages et intérêts (article 84, alinéa 1, du CPP).
D. La loi sur la responsabilité de l’État
48. Les dispositions pertinentes de la loi sur la responsabilité de l’Etat pour dommages tels qu’elles étaient en vigueur jusqu’au mois de décembre 2012, ainsi que la jurisprudence des tribunaux internes en la matière, ont été résumées dans les arrêts Kandjov c. Bulgarie, nº 68294/01, §§ 35-39, 6 novembre 2008 et Botchev c. Bulgarie, nº 73481/01, §§ 37-39, 13 novembre 2008.
49. Le 23 juillet 2012, un projet de loi portant modification de la loi sur la responsabilité de l’État fut introduit à l’Assemblé nationale par le Conseil des ministres. La partie pertinente des motifs de ce projet se lit comme suit :
« L’analyse des arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour) à l’encontre de la Bulgarie fait apparaître l’existence de violations répétées en raison de l’absence de voies de recours internes permettant la protection des personnes concernées. En particulier, il s’agit de créer une voie de recours interne permettant aux personnes concernées d’obtenir réparation du préjudice subi en raison de la violation d’un des droits garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention) perpétrée par l’État, ses organes ou ses fonctionnaires. Le constat, fait par la Cour, de l’absence de telles voies de recours en droit bulgare impose l’instauration de ceux-ci par l’intermédiaire d’une extension du champ d’application de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage (la loi sur la responsabilité de l’État). Ainsi, l’approche précédente de la loi, consistant à engager la responsabilité de l’État dans des circonstances énumérées de manière exhaustive, et qui a donné lieu à l’adoption de multiples arrêts de violation contre la Bulgarie, est abandonnée.
Pour ces raisons, il est proposé d’apporter les modifications suivantes à la loi :
1. Les amendements proposés de l’article 2, alinéa 1, points 1 et 2 de la loi donnent la possibilité d’obtenir un dédommagement pour violation des droits garantis par l’article 5 de la Convention. Il existe une multitude d’arrêts de la Cour de Strasbourg où l’État a été condamné pour absence de droit d’indemnisation ou pour comparution tardive devant un tribunal compétent pour examiner la nécessité de la mesure de contrôle judiciaire. Les tribunaux détermineront si, en ordonnant une détention conformément à la loi interne, les organes compétents ont violé les paragraphes 2-4 de l’article 5 : information dans une langue compréhensible des raisons de l’arrestation, prompte comparution devant un tribunal et examen de la détention dans un délai raisonnable, droit de contester la légalité de la détention, etc.
Toute détention qui contredit les critères de l’article 5 de la Convention doit engager la responsabilité de l’État.
En examinant les dispositions de la loi sur la responsabilité de l’État sous l’angle de l’article 5 § 5 de la Convention, la Cour a constaté que, lorsque la détention a été ordonnée conformément aux exigences du code de procédure pénale, l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État ne trouve pas à s’appliquer et le droit à réparation n’est assuré par aucune autre disposition du droit interne – « En vertu de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État, la personne qui a été placée en détention provisoire peut réclamer un dédommagement seulement si la détention a été annulée en raison de « l’absence de fondement légal ». Il apparaît que cette dernière expression fait référence à « l’illégalité » en vertu du droit (les arrêts Yankov, Belchev, Hamanov).
À titre d’exemple, dans l’affaire Stoitchkov, la Cour a constaté que : « Etant donné que la détention du requérant n’était pas contraire à la législation interne, il n’a pas droit à réparation en vertu de la loi sur la responsabilité de l’État, parce que l’article 2 de la loi prévoit un dédommagement seulement quand la détention a été « illégale » (paragraphe 74 de l’arrêt).
La référence directe aux dispositions de la Convention vise à éviter l’application restrictive de la loi sur la responsabilité de l’État uniquement aux cas de figure énumérés de manière exhaustive par la loi et de donner la possibilité au tribunal compétent d’apprécier les actes des autorités nationales à l’aune de la Convention et de la jurisprudence de la Cour parce que les hypothèses d’application peuvent être diverses et variées. »
50. Le projet de loi fut adopté par l’Assemblée nationale et, le 11 décembre 2012, la disposition nouvellement amendée de l’article 2 de ladite loi fut publiée au Journal officiel. La partie pertinente de cet article se lit désormais comme suit :
Article 2
« (1) L’état est responsable du dommage causé aux particuliers par les organes d’enquête pénale, le parquet et les tribunaux en cas de :
1. Placement en détention provisoire (...) ou assignation à résidence, quand ces mesures ont été annulées, (...) ainsi que pour toute autre privation de liberté imposée en violation de l’article 5 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, ci‑après la Convention ;
2. Violation des droits garantis par l’article 5 §§ 2-4 de la Convention (...) »
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION
51. Le requérant allègue qu’il a été arrêté malgré l’absence de tout soupçon de commission d’une infraction pénale à son encontre, que sa détention a duré trop longtemps, qu’il n’a pas pu contester la légalité et la nécessité de sa détention dans le cadre d’une procédure effective et qu’il a été privé de toute possibilité d’obtenir une compensation pour le préjudice subi. Il invoque l’article 5 §§ 1, 3, 4 et 5 de la Convention, libellé comme suit dans sa partie pertinente:
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
(...)
3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. (...)
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »
A. Sur la recevabilité
1. Thèses des parties
a) Le Gouvernement
52. Le Gouvernement soutient, en premier lieu, que cette partie de la requête a été introduite prématurément. Il fait valoir, à cet égard, que la procédure pénale à l’encontre de l’intéressé est toujours pendante devant les juridictions internes.
53. En deuxième lieu, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il fait référence à la nouvelle rédaction de l’article 2, alinéa 1, points 1 et 2 de la loi sur la responsabilité de l’État qui aurait permis au requérant d’obtenir la reconnaissance des violations alléguées de ses droits garantis par l’article 5 de la Convention, ainsi qu’une réparation des préjudices matériel et moral subis.
54. Le Gouvernement admet que la nouvelle rédaction de ces dispositions est entrée en vigueur après l’introduction de la présente requête. Il fait observer qu’en règle générale, la Cour apprécie l’efficacité et la disponibilité d’une voie de recours interne à la date de l’introduction de la requête. Cependant, la jurisprudence de la Cour envisage également des exceptions à cette règle, par exemple, lorsqu’il existe des circonstances particulières telles que le constat de la part de la Cour d’un problème systémique au niveau du droit interne et la mise en œuvre consécutive d’une nouvelle voie de recours permettant de redresser le même type de violations de la Convention dans des cas similaires (Łatak c. Pologne (déc.), no 52070/08, 12 octobre 2010).
55. Le Gouvernement considère qu’il existe, en l’occurrence, des circonstances justifiant l’application d’une telle exception. D’une part, la procédure pénale menée contre le requérant n’est pas encore terminée et, d’autre part, l’amendement de la disposition de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État vise expressément à mettre en conformité le droit interne avec les standards établis dans la jurisprudence de la Cour et à offrir aux citoyens bulgares une voie de recours suffisamment effective pour remédier aux violations alléguées de l’article 5 la Convention.
b) La partie requérante
56. La partie requérante invite la Cour à rejeter l’exception d’irrecevabilité du Gouvernement tiré du caractère prématuré de la requête. Il observe que la poursuite de la procédure pénale à l’encontre de l’intéressé n’a aucune pertinence pour la recevabilité de ses griefs sous l’angle de l’article 5, ceux-ci étant liés à sa détention provisoire et non pas à l’issue des poursuites pénales.
57. La partie requérante estime que l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes doit être également rejetée. Elle fait observer qu’une action en dommages et intérêts reposant sur l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État ne peut pas être considérée comme une voie de recours suffisamment effective en l’occurrence. En particulier, en vertu de la jurisprudence constante des tribunaux bulgares, une telle action est tributaire d’une déclaration formelle et préalable de la part du tribunal pénal que la détention provisoire du demandeur est illégale au regard du droit interne ou bien qu’elle a violé ses autres droits garantis par l’article 5 de la Convention. Il n’existe, de surcroît, aucune décision de justice permettant de conclure que le tribunal civil, examinant une telle action, puisse chercher à établir de manière autonome si la détention en cause ait été conforme au droit interne ou aux dispositions de l’article 5 de la Convention.
58. En l’espèce, tant la légalité que la nécessité de la détention du requérant avaient fait l’objet de plusieurs examens par les tribunaux pénaux. À aucun moment, la détention provisoire n’a été remise en cause par les juridictions internes. Ainsi, en l’absence d’une décision favorable au requérant dans le cadre des procédures de contestation de sa détention provisoire, toute action en dommages et intérêts en vertu de la loi sur la responsabilité de l’État aurait été vouée à l’échec.
59. Cette voie de recours est inefficace en pratique, parce que la jurisprudence interne perpétue une approche rigide concernant l’établissement, par les demandeurs, du préjudice moral subi, parce que les tribunaux sont réticents à allouer des sommes importantes, étant donné que celles-ci seraient payées du budget consolidé du pouvoir judiciaire, parce qu’il n’existe aucune possibilité de demander l’exécution forcée d’une décision de justice à l’encontre des organes de l’État.
60. Le requérant considère enfin qu’il n’y a aucune raison, en l’espèce, susceptible de justifier une exception de la règle selon laquelle l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie au moment de l’introduction de la requête. Il n’existe aucune décision de justice démontrant que la nouvelle rédaction de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État serait applicable et rendrait possible la reconnaissance d’une violation de l’article 5 et l’obtention d’une compensation dans des cas de figure semblables à ceux du requérant.
2. Appréciation de la Cour
61. La Cour estime opportun de déterminer d’abord si la règle de l’épuisement des voies de recours interne a été respectée dans le cas d’espèce.
62. Elle rappelle que la règle énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention impose aux requérants l’obligation d’utiliser en premier lieu les recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne de leur pays pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Lesdits recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir parmi beaucoup d’autres, Salman c. Turquie [GC], nº [21986/93](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2221986/93%22%5D%7D), § 81, CEDH 2000‑VII, et İlhan c. Turquie [GC], nº [22277/93](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2222277/93%22%5D%7D), § 58, CEDH 2000‑VII).
63. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours qu’il suggère était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique. Une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a bien été employé ou que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de l’obligation de l’exercer (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV).
64. L’épuisement des voies de recours internes s’apprécie, en règle générale, à la date d’introduction de la requête devant la Cour (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, CEDH 2001‑V (extraits)). Cependant, cette règle ne va pas sans exceptions, qui peuvent être justifiées par les circonstances particulières de chaque cas d’espèce. La Cour s’est écartée de cette règle générale dans des affaires concernant des recours formés pour durée excessive d’une procédure (Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001‑IX; Nogolica c. Croatie (déc.), no 77784/01, CEDH 2002‑VIII; Andrášik et autres c. Slovaquie (déc.), nos 57984/00, 60237/00, 60242/00, 60679/00, 60680/00, 68563/01 et 60226/00, CEDH 2002‑IX ; Balakchiev et autres c. Bulgarie (déc.), no 65187/10, § 83, 18 juin 2013), dans des affaires concernant les conditions de détention inadéquates (Łatak, précité, §§ 80‑82 ; Łominski c. Pologne (déc.), no 33502/09, §§ 71-73, 12 octobre 2010 ; Stella et autres c. Italie (déc.), no 49169/09, §§ 42-45, 16 septembre 2014), ou encore dans des affaires concernant le droit au respect des biens (Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04, 19993/04 et 21819/04, §§ 87 et 88, 1 mars 2010). Dans ces affaires, tout en rappelant le caractère subsidiaire de son rôle en tant qu’ultime garant des droits et libertés garantis par la Convention, la Cour a tenu compte du caractère répétitif des violations alléguées, de l’existence avérée de problèmes systémiques dans le droit ou la pratique au niveau interne, et de la création, à l’initiative du Gouvernement, de voies de recours susceptibles de remédier à cette situation.
65. La Cour observe que la présente requête a été introduite le 10 juin 2010. À cette époque, le requérant demeurait détenu, tous les tribunaux qui avaient examiné ses recours en libération avaient estimé que son maintien en détention était légal et justifié et la procédure pénale à son encontre était pendante devant le tribunal de première instance (paragraphes 9-24 et 30 ci‑dessus).
66. À l’occasion d’autres affaires similaires contre la Bulgarie, la Cour a pu constater qu’une action en dommages et intérêts sous l’angle de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État, dans son ancienne rédaction en vigueur en juin 2010, ne présentait aucune chance de succès dans les circonstances décrites ci-dessus. En particulier, l’article 2, alinéa 1 de la loi exigeait la reconnaissance préalable de l’illégalité de la détention par les tribunaux chargés d’examiner les demandes de mise en liberté des intéressés et la disposition de l’article 2, alinéa 2 prévoyait l’octroi d’une compensation pour détention illégale lorsque l’accusé avait été acquitté ou les poursuites pénales à son encontre avaient été abandonnées (voir, entre autres, Danov c. Bulgarie, no 56796/00, § 50, 26 octobre 2006; Botchev c. Bulgarie, no 73481/01, §§ 37, 38 et 77, 13 novembre 2008; Svetoslav Hristov c. Bulgarie, no 36794/03, §§ 62 et 63, 13 janvier 2011). Compte tenu de cette jurisprudence et des circonstances spécifiques du cas d’espèce, la Cour considère qu’une action en dédommagement en vertu de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État, dans son ancienne rédaction, ne représentait pas une voie de recours interne effective à la date du 10 juin 2010 et qu’à cette époque, le requérant n’était pas tenu de l’exercer préalablement à l’introduction de sa requête.
67. La Cour constate cependant que, depuis l’introduction de la présente requête, il y a eu des changements considérables tant dans la situation du requérant qu’au niveau du droit interne pertinent. La détention du requérant a pris fin le 23 juin 2010 quand il a été libéré sous caution sur décision du parquet régional (paragraphes 25 et 26 ci-dessus). Le 23 juillet 2012, le Conseil des ministres a introduit à l’Assemblée nationale un projet de loi portant modification des dispositions de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État qui visait expressément à remédier à l’absence constatée de voies de recours internes effectives en cas d’allégations de violations de l’article 5 §§ 1-4 de la Convention (paragraphe 49 ci-dessus). Ce projet de loi a été adopté et la nouvelle rédaction de l’article 2, alinéa 1 de la loi sur la responsabilité de l’État est entrée en vigueur en décembre 2012 (paragraphe 50 ci-dessus). Il se pose donc la question de savoir s’il y a lieu d’appliquer en l’occurrence une exception de la règle selon laquelle l’épuisement de voies de recours internes s’apprécie au moment de l’introduction de la requête (voir paragraphe 64 ci-dessus).
68. Le but principal des amendements de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État de 2012, tel qu’il était affiché dans les motifs du projet de loi (paragraphe 49 ci-dessus), était de répondre aux multiples arrêts de la Cour constatant la violation de l’article 5 de la Convention, en créant notamment une voie de recours interne permettant aux personnes alléguant une violation de leurs droits garantis par ce même article d’obtenir la reconnaissance officielle de cette violation par un tribunal et, le cas échéant, une réparation pécuniaire du dommage subi. Il s’agit dès lors d’une voie de recours compensatoire, qui n’est pas susceptible, à elle seule, de mettre fin à une situation continue qui est incompatible avec les dispositions de l’article 5, par exemple, de mettre fin à une détention ordonnée en l’absence de soupçons plausibles, ou d’amener à la libération d’une personne dont la détention dépasse le délai raisonnable. Cependant, la Cour n’exclut pas que, dans des cas de figure comme celui en l’espèce, où la situation litigieuse donnant lieu à un grief sous l’angle de l’article 5 a déjà pris fin, cette nouvelle voie de recours puisse s’avérer suffisamment effective pour réparer les conséquences néfastes de cette violation au niveau du droit interne.
69. L’amendement de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État témoigne de l’existence d’une volonté des institutions exécutives et législatives bulgares d’assurer aux personnes se trouvant sous la juridiction de l’État bulgare la jouissance effective des droits garantis par l’article 5 de la Convention, ainsi que de mettre en place les instrument juridiques permettant à ceux-ci de défendre effectivement leurs droits au niveau interne. La Cour considère cependant que, compte tenu de l’état actuel de la jurisprudence des tribunaux bulgares relative à l’application de la loi sur la responsabilité de l’État et du nouveau libellé de son l’article 2, alinéa 1, l’effectivité de ce nouveau recours dans le futur dépendra de la direction que prendra la jurisprudence des tribunaux internes dans le cadre de son application. La Cour rappelle, à titre d’exemple, que l’émergence d’une jurisprudence des juridictions internes a déjà été prise en compte par elle, parmi d’autres éléments, pour apprécier l’effectivité d’un nouveau recours interne compensatoire et pour appliquer une exception à la règle selon laquelle l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie au moment de l’introduction de la requête (voir, mutatis mutandis, Łatak, précité, §§ 80‑82 ; Łominski, précité, §§ 70-73).
70. Il est vrai que la période de temps qui s’est écoulée depuis l’entrée en vigueur de cette disposition, au mois de décembre 2012, n’est pas suffisamment longue pour permettre la mise en place d’une jurisprudence abondante et constante des juridictions internes. Une telle jurisprudence doit éclaircir certains points cruciaux pour l’exercice du nouveau recours, comme par exemple : la question de savoir si le constat de violation de l’article 5 de la Convention doit être fait par le tribunal également compétent pour accorder le dédommagement pécuniaire et dans le cadre d’une seule et même procédure ; quel serait le point de départ du délai de prescription de l’action en dédommagement ; quels seraient concrètement les critères appliqués par les tribunaux compétents pour constater une violation de l’article 5 de la Convention ; quel serait le poids à donner aux arguments exposés par les tribunaux pénaux ayant examiné la légalité et la nécessité de la détention de l’intéressé dans le cadre de la procédure de constat de violation de la Convention et d’octroi de dédommagement. Force est de constater que le Gouvernement, qui selon la jurisprudence de la Cour, doit apporter la preuve de l’efficacité du recours invoqué (voir paragraphe 63 ci-dessus) n’a présenté aucune décision judiciaire qui applique l’article 2, alinéa 1 de la loi amendé. De surcroît, la Cour observe que ledit amendement législatif ne prévoit pas de manière expresse l’application de ce nouveau recours dans des cas, comme celui en l’espèce, où les faits donnant lieu aux violations alléguées de l’article 5 précèdent l’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de l’article 2, alinéa 1 de la loi. Dans ces circonstances, la Cour considère qu’elle ne dispose pas, à présent, de suffisamment d’éléments lui permettant de constater l’efficacité du nouveau recours établi par l’article 2, alinéa 1 de la loi sur la responsabilité de l’État. Elle estime également qu’il n’y pas lieu de s’écarter en l’espèce de la règle lui imposant d’apprécier l’épuisement des voies de recours internes au moment de l’introduction de la requête.
71. Compte tenu des arguments exposés ci-dessus, la Cour estime qu’il convient de rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement sous l’angle de l’article 35 § 1 de la Convention.
72. La Cour tient à souligner que ce constat ne se réfère qu’aux circonstances spécifiques de la présente affaire et qu’il ne préjuge en rien de l’issue d’autres affaires soulevant des griefs sous l’angle de l’article 5 qu’elle peut être amenée à examiner dans le futur. Elle se borne simplement à observer que l’émergence d’une jurisprudence des tribunaux internes en application du nouvel article 2, alinéa 1 de la loi sur la responsabilité de l’État, conforme aux standards élaborés dans sa jurisprudence concernant l’article 5, sera un facteur important pour l’appréciation de l’épuisement des voies de recours internes dans ce type de requêtes.
73. Le Gouvernement a également soutenu que cette partie de la requête a été introduite prématurément, compte tenu notamment du fait que la procédure pénale contre le requérant est toujours pendante (paragraphe 52 ci-dessus). La Cour observe pour sa part que la procédure pénale initiée contre le requérant visait à établir s’il y avait lieu d’engager sa responsabilité pénale pour des charges de participation dans une organisation de malfaiteurs et pour non-observation des obligations d’un fonctionnaire (paragraphe 30 ci-dessus). Elle considère qu’une éventuelle condamnation ou un éventuel acquittement du requérant dans le cadre de cette procédure n’est pas pertinent pour l’examen des griefs soulevés sous l’angle de l’article 5 de la Convention. Il convient donc de rejeter cette autre exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.
74. La Cour estime de surcroît que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention
75. Invoquant l’article 5 § 1 c) de la Convention, le requérant allègue qu’il a été arrêté et détenu en dépit de l’absence de toute raison plausible de le soupçonner de la commission d’une infraction pénale. L’intéressé affirme que les preuves retenues par le tribunal régional pour conclure qu’il avait probablement participé à l’activité d’un groupe de malfaiteurs n’étaient pas pertinentes et suffisantes pour justifier une telle conclusion.
76. Le Gouvernement fait observer que la décision des tribunaux de placer le requérant en détention provisoire reposait sur l’existence de raisons plausibles de le soupçonner de la commission d’infractions pénales. Cette conclusion des tribunaux était amplement motivée et reposaient sur des preuves suffisamment convaincantes rassemblées au cours de l’instruction préliminaire.
77. La Cour rappelle que l’arrestation et la détention couvertes par l’article 5 § 1 c) doivent, entre autres, reposer sur des raisons plausibles de soupçonner la personne concernée d’avoir commis une infraction. La « plausibilité des soupçons » constitue un élément essentiel de la protection offerte par l’article 5 § 1 c) contre les privations de liberté arbitraires. L’existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou renseignements propres à persuader un observateur neutre et objectif que l’individu en cause peut avoir accompli l’infraction (Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 32, série A no 182). Cependant, les faits donnant naissance à des soupçons ne doivent pas être du même niveau que ceux nécessaires pour justifier une condamnation ou même pour porter une accusation, ce qui intervient dans une phase suivante de la procédure pénale (voir, parmi d’autres, Murray c. Royaume-Uni, 28 octobre 1994, § 55, série A no 300‑A ; Erdagöz c. Turquie, 22 octobre 1997, § 51, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VI).
78. Se tournant vers les faits de la présente affaire, la Cour constate que le requérant a été arrêté le 19 décembre 2009 pour des soupçons d’appartenance à un groupe de malfaiteurs (paragraphe 7 ci-dessus). Les tribunaux qui l’ont placé en détention provisoire et qui ont examiné ses demandes de libération ont conclu qu’il y avait des raisons plausibles de le soupçonner de participation à ce même groupe criminel organisé : ils se sont appuyés sur les dépositions d’un certain nombre de témoins, y compris des policiers, ainsi que sur le contenu des conversations téléphoniques interceptées entre le requérant et l’un des autres membres principaux présumés du groupe criminel (paragraphes 11, 16, 20 et 22 ci-dessus). La Cour considère que ces données factuelles s’analysaient bel et bien en renseignements propres à persuader un observateur neutre et objectif, au stade de l’instruction préliminaire de l’affaire, que le requérant faisait probablement partie d’un groupe criminel en fournissant de l’information à ses autres membres présumés.
79. La Cour ne perd pas de vue que ce même chef d’accusation à l’encontre du requérant - participation à un groupe criminel organisé, a été abandonné par le parquet au stade de l’examen de l’affaire devant le tribunal de première instance (paragraphe 31 ci-dessus) pour des raisons d’insuffisance de preuves. Or, la Cour rappelle que ce fait ne saurait remettre en cause l’existence de soupçons plausibles à l’encontre du requérant au stade de l’instruction préliminaire (voir paragraphe 77 in fine avec les références).
80. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il n’y pas eu violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention en l’occurrence.
2. Grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention
81 Le requérant soutient que la durée de sa détention a dépassé la limite du délai raisonnable. Il allègue, en particulier, qu’il n’y avait pas de raisons plausibles de le soupçonner de l’appartenance à un groupe criminel organisé et que les tribunaux se sont appuyés uniquement sur la gravité des faits qu’on lui reprochait pour le maintenir en détention, ce qui n’était pas une raison pertinente et suffisante au regard de la jurisprudence constante de la Cour.
82. Le Gouvernement considère que le maintien prolongé du requérant en détention était pleinement justifié. Celui-ci a été libéré au moment où les organes internes ont constaté que le danger de commission de nouvelles infractions et de soustraction à la justice ne persistait plus.
83. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante en application de l’article 5 § 3, la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Toutefois, au bout d’un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle recherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, parmi d’autres, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, §§ 152‑153, CEDH 2000‑IV).
84. Le requérant a été détenu le 19 décembre 2009 et a été libéré sous caution le 23 juin 2010. Sa détention provisoire a donc duré six mois et quatre jours.
85. Pour ce qui est de la première condition de régularité de la détention, posée par l’article 5 § 3, la Cour renvoie à son constat ci-dessus concernant l’existence de raisons plausibles de soupçonner le requérant d’appartenir à un groupe criminel organisé (paragraphe 78 ci-dessus). A la lumière de toutes les circonstances pertinentes en l’espèce, elle considère que ce soupçon a persisté tout au long de la détention du requérant. Elle réitère que l’abandon subséquent des charges d’appartenance à un groupe criminel organisé par le parquet régional à un stade ultérieur des poursuites pénales n’a aucunement affecté l’existence de ces soupçons au cours de l’instruction préliminaire (paragraphe 79 ci-dessus).
86. La régularité de la détention provisoire de l’intéressé a été examinée à plusieurs reprises par les tribunaux de Plovdiv. Ceux-ci ont estimé qu’il existait un danger persistant de commission de nouvelles infraction de la part du requérant en s’appuyant sur les circonstances suivantes : la gravité des faits reprochés, le mode opératoire des infractions reprochées aux membres présumés du groupe en question, la longue période d’activité du groupe et l’ampleur territoriale de celle-ci, ainsi que la qualité de fonctionnaire public du requérant au moment de la commission des faits reprochés (voir paragraphes 11, 12, 16, 20 et 22 ci-dessus). La Cour considère que ce sont des circonstances pertinentes démontrant l’existence d’un risque élevé de perpétration de nouvelles infractions et que celles-ci ont été suffisantes dans le cas d’espèce pour justifier le maintien du requérant en détention.
87. La Cour observe également que la procédure pénale n’a pas été indûment retardée par les autorités. Il apparaît que les organes de l’enquête ont activement travaillé sur l’affaire pénale pendant la période de détention du requérant et qu’ils ont cherché à recueillir davantage de preuves pour établir les faits en l’espèce (voir paragraphe 16 ci-dessus).
88. Ces éléments suffisent à la Cour pour constater que le maintien du requérant en détention pendant six mois et quatre jours a été pleinement justifié. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
3. Grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention
89. Le requérant allègue qu’il n’a pas pu contester de manière effective la légalité et la nécessité de sa détention. Selon lui, la procédure suivie en l’espèce ne garantissait pas l’impartialité et l’indépendance des juges examinant les demandes de mise en liberté. Les mêmes magistrats pouvaient examiner plusieurs recours successifs du même prévenu et ainsi former par avance leur opinion sur la nécessité de sa détention. Les tribunaux de Plovdiv n’étaient pas territorialement compétents pour examiner les questions relatives au placement des prévenus en détention provisoire. Certains propos du ministre de l’Intérieur en exercice à cette époque laissaient à penser que les tribunaux de Plovdiv étaient prédisposés à se prononcer en faveur de l’accusation. Le requérant dénonce l’interdiction faite à ses représentants de prendre des notes concernant le contenu de certains pièces à conviction versées au dossier de l’affaire pénale. Il allègue enfin que les tribunaux internes n’ont pas pris en compte toutes les circonstances militant pour sa libération.
90. Le Gouvernement s’oppose à la thèse du requérant. Il fait observer que la procédure de contestation de la détention provisoire de l’intéressé garantissait à ce dernier toute la palette de droits procéduraux nécessaires à la défense de ses droits et intérêts légitimes. En particulier, la procédure s’est déroulée devant les tribunaux et elle était contradictoire, le requérant était assisté d’un avocat qui avait pris préalablement connaissance de tous les documents du dossier, les tribunaux ont examiné toutes les circonstances pertinentes en l’espèce, les décisions du tribunal de première instance étaient susceptibles d’un recours en appel.
91. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 de la Convention confère à toute personne arrêtée ou détenue le droit d’introduire un recours au sujet du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité » – au sens de l’article 5 § 1 de la Convention – de sa privation de liberté. Si la procédure au titre de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles exigées par l’article 6 pour les procès civils et pénaux – les deux dispositions poursuivant des buts différents (Reinprecht c. Autriche, nº 67175/01, § 39, CEDH 2005‑XII) –, il faut qu’elle revête un caractère judiciaire et qu’elle offre des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté en question (D.N. c. Suisse [GC], nº 27154/95, § 41, CEDH 2001‑III). En particulier, un procès portant sur un recours formé contre une détention doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties, à savoir le procureur et la personne détenue (Nikolova c. Bulgarie [GC], nº 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II). La législation nationale peut remplir cette exigence de diverses manières, mais la méthode adoptée par elle doit garantir que la partie adverse soit au courant du dépôt d’observations et qu’elle jouisse d’une possibilité véritable de les commenter (Lietzow c. Allemagne, nº 24479/94, § 44, CEDH 2001‑I). Pour déterminer si une procédure relevant de l’article 5 § 4 offre les garanties nécessaires, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, série A nº 237‑A). En particulier, l’égalité des armes n’est pas assurée si l’avocat se voit refuser l’accès aux pièces du dossier qui revêtent une importance essentielle pour une contestation efficace de la légalité de la détention de son client (voir, parmi d’autres, Lamy c. Belgique, 30 mars 1989, § 29, série A nº 151, Nikolova, précité, § 58, Schöps c. Allemagne, nº 25116/94, § 44, CEDH 2001-I, Lietzow, précité, § 44, et Mooren c. Allemagne [GC], nº 11364/03, § 124, 9 juillet 2009, et Ceviz c. Turquie, nº 8140/08, § 41, 17 juillet 2012). Pour ce qui est de la substance même du recours prévu à l’article 5 § 4, la Cour rappelle que le tribunal compétent doit vérifier à la fois l’observation des règles de procédure de la législation interne et le caractère raisonnable des soupçons motivant l’arrestation, ainsi que la légitimité du but poursuivi par celle-ci puis par la garde à vue (Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 65, série A no 145‑B).
92. Le requérant conteste en premier lieu l’absence d’indépendance et le parti pris des tribunaux de Plovdiv qui ont examiné ses demandes de mise en liberté. Il évoque en particulier trois circonstances qui, à ses yeux, jettent un doute sur l’impartialité et l’indépendance des magistrats du siège à Plovdiv : le fait que l’affaire pénale a été examinée par les tribunaux de Plovdiv en violation des règles internes régissant la compétence territoriale des juridictions, la possibilité qu’un et même magistrat procède à l’examen des recours successifs de l’intéressé, les propos du ministre de l’Intérieur devant les médias qu’il était plus confiant quand les affaires pénales sont examinées à Plovdiv.
93. La Cour constate pour sa part que le premier de ces arguments a été soulevé devant les tribunaux internes lors de la première comparution du requérant devant un juge habilité à statuer sur son placement en détention (paragraphe 9 ci-dessus). Les tribunaux internes ont rejeté ce moyen soulevé par le requérant pour le motif que les règles de compétence territoriale leur permettaient d’examiner l’affaire pénale du requérant et de ses coaccusés parce que deux des actes criminels les plus graves reprochés aux coaccusés avaient eu lieu dans la région de Plovdiv (voir paragraphe 12 in fine ci‑dessus). La Cour considère que cette conclusion des tribunaux n’est ni arbitraire, ni dépourvue de justification. La procédure pénale en cause étaient menée à l’encontre de dix suspects, pour divers actes criminels, commis au cours d’une longue période et dans plusieurs localités, y compris dans la région de Plovdiv (paragraphe 8 ci-dessus). La Cour considère dès lors que l’examen de la légalité et de la nécessité des mesures de détention des coaccusés par les tribunaux de Plovdiv, en vertu de l’application des règles du droit interne régissant la compétence territoriale des juridictions pénales, ne peut pas être considéré dans le cas d’espèce comme un indice de parti pris à l’encontre de l’intéressé.
94. Concernant le deuxième argument de l’intéressé, relatif au fait que rien n’empêche les mêmes juges d’examiner ses demandes successives de mise en liberté, la Cour considère que ce n’est pas un indice démontrant à lui-seul le parti pris des magistrats appelés à statuer sur les recours en libération du même suspect. Elle rappelle, à cet égard, que les raisons ayant justifié le placement en détention initial d’un suspect sont susceptibles d’évoluer avec le temps et que, dans ce sens, l’exigence d’exposer des arguments « pertinents et suffisants » pour prolonger la détention est une garantie fondamentale contre l’arbitraire et le parti pris des juges. La Cour renvoie à son constat sous l’angle de l’article 5 § 3 (paragraphe 86 ci‑dessus), selon lequel les tribunaux de Plovdiv ont apporté suffisamment d’arguments pertinents et convaincants pour justifier le maintien en détention de l’intéressé.
95. Le requérant évoque également les propos du ministre de l’Intérieur lors d’une interview à la télévision nationale le 5 mars 2010 qui seraient susceptibles de jeter un doute sur l’indépendance des tribunaux de Plovdiv vis-à-vis de la police. La Cour observe pour sa part que ces propos du ministre (voir paragraphe 29 ci-dessus) sont assez flous, dans la mesure où il n’est pas clair que ceux-ci se rapportent personnellement au juge S.T. ou à tous les juges des tribunaux de Plovdiv. De même, ces propos sont équivoques quant aux procédures visées, celles de placement en détention ou celles sur le fond. La Cour n’estime pas que lesdits propos du ministre de l’Intérieur, à eux seuls et, dans le contexte de la conversation menée avec le présentateur de l’émission en question, aient pu être interprétés comme un indice de la dépendance et partialité de tous les juges pénaux des tribunaux de différentes instances de Plovdiv.
96. Le requérant se plaint ensuite que ses défenseurs n’ont pas eu la possibilité de prendre des notes sur les enregistrements des conversations contenus dans le dossier pénal, ce qui l’aurait mis en position de net désavantage par rapport à l’autre partie de la procédure, le parquet.
97. La Cour tient à souligner, en premier lieu, que la défense du requérant a eu libre accès à toutes les pièces du dossier pénal dans les locaux du greffe des tribunaux régional et d’appel de Plovdiv, ses avocats ont consulté ces documents à plusieurs reprises et ont contesté la pertinence de l’information qu’ils contenaient pour le maintien en détention de leur client (paragraphes 14, 15, 18 et 19 ci-dessus).
98. Il est vrai que la possibilité de prendre des notes étaient assujettie à une procédure spéciale en raison notamment du caractère confidentiel de l’information en cause : les notes de l’avocat devaient être consignées dans un cahier spécial gardé dans le greffe du tribunal compétent (voir paragraphes 14, 18 et 43 ci-dessus). Force est de constater que la partie requérante n’a pas précisé si ses avocats ont utilisé cette possibilité. De surcroît, d’après les réponses des présidents des tribunaux concernés, envoyées à l’une des avocates du requérant, il existait même la possibilité que ses notes lui soient envoyées à son étude, si elle tenait un registre des informations confidentielles et disposait d’un employé chargé de garder ce type de documents (voir paragraphe 23 in fine ci-dessus). La partie requérante n’a pas précisé si son avocate remplissait ces conditions et si elle avait formulé une demande d’envoi de ces documents dans son cabinet. A la lumière de ces circonstances, la Cour estime que le requérant n’a pas démontré qu’il a été mis en situation de net désavantage par rapport au parquet pour ce qui est de la consultation et de l’accès aux pièces essentielles du dossier pénal. Elle considère, dès lors, que la règle de l’égalité des armes entre les parties n’a pas été méconnue en l’occurrence.
99. Le requérant conteste enfin l’étendue limitée du contrôle exercé par les juridictions internes sur la légalité et la nécessité de sa détention. Il soutient que les tribunaux n’ont pas pris en compte toutes les circonstances qui militaient pour sa libération.
100. La Cour constate que les tribunaux saisis des demandes successives de libération introduites par le requérant se sont penchés tant sur l’existence de raisons plausibles de soupçonner celui-ci de la commission d’une infraction pénales que sur l’existence d’un danger de fuite ou de commission de nouvelles infractions (paragraphes 11-22 ci-dessus). Ils ont également répondu aux arguments soulevés par le requérant concernant le parti pris allégué des juridictions internes, l’absence de compétence territoriale des tribunaux de Plovdiv pour d’examiner son affaire, son état de santé et sa situation personnelle et familiale (ibidem). Au vu de ces constats, la Cour estime que les questions essentielles relatives à la légalité et à la nécessité de la détention ont été abordées dans le cadre de l’examen des recours en libération de l’intéressé. Les tribunaux ont rendu des décisions amplement motivées et dépourvues d’arbitraire.
101. Les éléments exposés ci-dessus suffisent à la Cour pour conclure que les recours en libération exercés par le requérant ont été conformes aux standards posés par l’article 5 § 4. Il n’y a donc pas eu violation de cette disposition de la Convention.
4. Grief tiré de l’article 5 § 5 de la Convention
102. Le requérant se plaint enfin qu’il n’a pas eu droit à une réparation en vertu de l’article 5 § 5 de la Convention.
103. La Cour rappelle que le paragraphe 5 de l’article 5 garantit un droit exécutoire à réparation aux seules victimes d’une arrestation ou d’une détention opérée dans des conditions contraires à l’article 5 (Benham c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III). Ayant constaté l’absence de violation de l’article 5 §§ 1, 3 et 4 en l’espèce, elle conclut que l’article 5 § 5 ne trouve pas à s’appliquer.
104. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION
105. Le requérant allègue que les propos du ministre de l’Intérieur ont méconnu son droit à la présomption d’innocence, garanti par l’article 6 § 2 de la Convention qui se lit comme suit :
« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
A. Sur la recevabilité
106. Le Gouvernement affirme, en premier lieu, que ce grief a été introduit prématurément parce que les poursuites pénales contre l’intéressé sont encore pendantes. En deuxième lieu, il fait observer que le requérant auraient omis d’épuiser les voies de recours internes disponibles, notamment d’initier une procédure de diffamation à l’encontre du ministre de l’Intérieur en vertu des articles 147 et 148 du code pénal.
107. Le requérant répond qu’une plainte pénale de diffamation n’aurait aucune chance raisonnable de succès et que ce n’est pas une voie de recours interne effective en cas de propos du ministre de l’Intérieur qui portent préjudice à la présomption d’innocence. Le requérant soutient que son grief n’a pas été introduit de manière prématurée.
108. La Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur ces mêmes exceptions d’irrecevabilité soulevées dans le cadre d’une affaire similaire contre la Bulgarie. Dans son arrêt récent Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, §§ 172-180, CEDH 2013, elle a rejeté les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Gouvernement. La Cour a estimé, en premier lieu, que le requérant n’était pas tenu d’attendre l’issue des poursuites pénales à son encontre pour chercher une protection contre des propos du ministre de l’Intérieur mettant en cause sa présomption d’innocence (ibidem, § 176). Elle a ensuite constaté que l’efficacité de la plainte pénale pour diffamation dans des circonstances similaires que celle de la présente affaire n’a pas été prouvée : il existait notamment une incertitude au niveau de la jurisprudence et de la doctrine juridique internes concernant la répartition de la charge de la preuve dans ce types d’affaires (ibidem, § 179).
109. La Cour estime que les mêmes considérations trouvent à s’appliquer dans la présente affaire et que le Gouvernement n’a apporté aucun nouvel élément lui permettant de conclure que la plainte pénale pour diffamation aurait constitué une voie de recours interne effective en l’espèce. Il convient donc de rejeter les exceptions d’irrecevabilité du Gouvernement.
110. La Cour estime, par ailleurs, que le grief tiré de l’article 6 § 2 n’est pas manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
111. Le requérant allègue que les propos du ministre de l’Intérieur, lors d’une conférence de presse tenue le 20 décembre 2009, ont porté atteinte à sa présomption d’innocence. Les expressions employées par ce haut responsable politique auraient désigné sans équivoque le requérant comme l’un des membres influents d’un groupe de cambrioleurs.
112. Le Gouvernement fait observer que les propos contestés du ministre de l’Intérieur n’avait pour but que d’informer l’opinion publique sur le progrès de l’investigation dans une affaire pénale concernant le crime organisé. Ceux-ci n’ont aucunement remis en cause l’innocence présumée du requérant. Par ailleurs, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, les magistrats du siège étaient indépendants du ministre de l’Intérieur et ce dernier ne pouvait pas influencer leurs décisions, ce qui a été démontré par l’acquittement de l’intéressé par la cour d’appel.
2. Appréciation de la Cour
113. La Cour rappelle que la présomption d’innocence consacrée par le deuxième paragraphe de l’article 6 figure parmi les éléments d’un procès pénal équitable (voir entre autres Allen c. Royaume-Uni [GC], nº 25424/09, § 93, 12 juillet 2013). Elle se trouve méconnue si une déclaration officielle concernant un prévenu reflète le sentiment qu’il est coupable, alors que sa culpabilité n’a pas été légalement établie au préalable. Il suffit, même en l’absence de constat formel, d’une motivation donnant à penser que le magistrat considère l’intéressé comme coupable. Dans ce contexte, le choix des termes employés par les agents de l’État dans les déclarations qu’ils formulent avant qu’une personne n’ait été jugée et reconnue coupable d’une infraction revêt une importance particulière (voir parmi beaucoup d’autres, Daktaras c. Lituanie, nº 42095/98, § 41, CEDH 2000‑X). Ce qui importe, néanmoins, c’est le sens réel des déclarations litigieuses, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles elles ont été formulées (Y.B. et autres c. Turquie, nºs 48173/99 et 48319/99, § 44, 28 octobre 2004).
114. Une distinction doit être faite entre les décisions ou les déclarations qui reflètent le sentiment que la personne concernée est coupable et celles qui se bornent à décrire un état de suspicion. Les premières violent la présomption d’innocence, tandis que les deuxièmes sont considérées comme conformes à l’esprit de l’article 6 de la Convention (voir, entre autres, Marziano c. Italie, nº 45313/99, § 31, 28 novembre 2002).
115. Par ailleurs, l’atteinte à la présomption d’innocence peut émaner non seulement d’un juge, mais également d’autres autorités publiques : le président du parlement (Butkevičius c. Lituanie, nº 48297/99, §§ 49, 50, 53, CEDH 2002‑II (extraits)), le procureur (voir l’arrêt Daktaras précité, § 44) ; le ministre de l’Intérieur ou les fonctionnaires de police (Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, §§ 37 et 41, série A no 308).
116. Se tournant vers les faits en l’espèce, la Cour constate que le 20 décembre 2009, le commissaire en chef de la police à Plovdiv et le ministre de l’Intérieur ont donné une conférence de presse à l’occasion de l’opération qui avait conduit, la veille, à l’arrestation du requérant et de ses complices présumés. Au début de cette conférence de presse, l’identité du requérant a été révélée et il a été souligné qu’il était l’ex-chef du commissariat de police de Byala Slatina et qu’il avait été arrêté pour participation à un groupe de cambrioleurs (paragraphe 27 ci-dessus). Le ministre a ensuite continué par les propos suivants : « Toni Kostadinov a collaboré et a fourni des informations sur la succursale de la banque CCB à Kozloduy qui a été cambriolée en août dernier et d’où ont disparu 80 000 levs, ainsi que sur d’autres établissements à Mizia. (...) Il s’est montré tellement arrogant que, juste avant son anniversaire, il a pointé du doigt un établissement à Mizia en disant : « Allez-y, dépêchez-vous, faites-moi plaisir avec quelque chose. ».
117. La Cour observe que la conférence en presse en cause a eu lieu le lendemain de l’arrestation du requérant et avant toute comparution de ce dernier devant un tribunal (voir paragraphes 7 et 9 ci‑dessus). Les propos du ministre ont été largement médiatisés. La conférence de presse était spécialement consacrée à l’opération de démantèlement d’un groupe de cambrioleurs présumés. La Cour considère que, dans ces circonstances particulières et compte tenu de sa position de haut responsable du gouvernement en exercice, le ministre de l’Intérieur était tenu de prendre les précautions nécessaires afin d’éviter toute confusion quant à la portée de ses propos sur la conduite et les résultats de l’opération.
118. Elle estime que les propos contestés sont allés au-delà de la simple communication d’information. En particulier, la phrase « Toni Kostadinov a collaboré et a fourni des informations sur la succursale de la banque CCB à Kozloduy qui a été cambriolée en août dernier et d’où ont disparu 80 000 levs, ainsi que sur d’autres établissements à Mizia. » indiquait sans équivoque que le requérant était une source importante d’information des cambrioleurs présumés et collaborait activement à l’activité d’un groupe criminel ayant commis des braquages de banques et divers établissements commerciaux. Quant à la phrase « juste avant son anniversaire, il a pointé du doigt un établissement à Mizia en disant : « Allez-y, dépêchez-vous, faites-moi plaisir avec quelque chose. », la Cour estime qu’elle suggérait au public que le requérant incitait des cambrioleurs à dévaliser certains commerces et participait dans la répartition des gains illicites ainsi obtenus. Compte tenu du court laps de temps qui s’était écoulé depuis l’arrestation du requérant et de l’intérêt manifesté par les médias à l’égard de cette affaire pénale, la Cour estime que ces propos du ministre étaient susceptibles de créer chez le grand public l’impression que l’intéressé était parmi les membres les plus influents d’un groupe criminel qui avait commis plusieurs cambriolages.
119. La Cour rappelle à cet égard que l’absence d’intention de nuire à la présomption d’innocence n’exclut pas le constat de violation de l’article 6 § 2 de la Convention. Elle conclut donc que les propos du ministre de l’Intérieur ont porté atteinte à la présomption d’innocence du requérant.
120. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
121. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
122. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.
123. Le Gouvernement estime que la somme prétendue à titre de préjudice moral est exorbitante
124. La Cour considère que le requérant a subi un certain dommage moral en raison de la violation de son droit d’être présumé innocent. Statuant en équité, comme le lui impose l’article 41 de la Convention, elle considère qu’il y a lieu de lui octroyer la somme de 3 600 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
125. Le requérant demande également 3 541 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il demande que la somme octroyée à ce titre soit transférée directement à son représentant, Me Emilia Nedeva.
126. Le Gouvernement estime que cette prétention est exagérée et mal fondée.
127. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant, somme à verser directement sur le compte bancaire du représentant du requérant.
C. Intérêts moratoires
128. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;
4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
5. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;
6. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention ;
7. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares, au taux applicable à la date du règlement :
i) 3 600 EUR (trois mille six cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens, à verser directement sur le compte bancaire du représentant du requérant, Me E. Nedeva ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 janvier 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-PassosGuido Raimondi
GreffièrePrésident