PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE PAPASTAVROU c. GRÈCE
(Requête no 63054/13)
ARRÊT
STRASBOURG
16 avril 2015
DÉFINITIF
16/07/2015
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Papastavrou c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Elisabeth Steiner, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Julia Laffranque,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Erik Møse,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 mars 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 63054/13) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Stavros Papastavrou (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 septembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me V. Chirdaris, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. I. Bakopoulos, assesseur au Conseil juridique de l’État, et Mme M. Skorila, auditrice au Conseil juridique de l’État.
3. Le requérant allègue une violation de l’article 3 de la Convention en raison de la non-exécution d’une décision judiciaire ordonnant la suspension de sa peine pour lui permettre de se faire soigner dans un hôpital public.
4. Le 7 janvier 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1970. Il est actuellement incarcéré à la prison de Korydallos.
A. Le suivi médical du requérant lors de sa détention dans les prisons de Khalkida, de Patras et de Korydallos
6. Le requérant commença à purger, à la prison de la ville de Khalkida, de longues peines de prison auxquelles il avait été condamné par dix-neuf décisions de justice rendues entre 2008 et 2011 (entre autres, pour tentative d’homicide, instigation à port et usage illégaux d’arme, fraude, faux et usage de faux, tentative de chantage, vol, diffamation calomnieuse). Souffrant d’une grave maladie cardiovasculaire et alors qu’il était à l’époque détenu à la prison de la ville de Grevena, il subit une intervention chirurgicale de revascularisation du myocarde à l’hôpital Evangelismos d’Athènes le 10 mai 2011.
7. Le 20 août 2012, le requérant fut transféré à l’hôpital de Khalkida où le médecin qui l’examina lui prescrivit un examen par scintigraphie du myocarde et un examen coronarographique.
8. Le 27 août 2012, il fut emmené à l’hôpital de la prison de Korydallos en vue de cet examen, qui eut lieu à l’hôpital Evangelismos le 16 octobre 2012. Dans son rapport y relatif, la directrice du service de médecine nucléaire de l’hôpital notait : « Étude négative quant à l’existence d’une ischémie du myocarde ». Le 24 octobre 2012, le requérant reçut une fiche de sortie de l’hôpital de la prison de Korydallos, sur laquelle le cardiologue de cet hôpital mentionnait : « (...) la scintigraphie du myocarde n’a pas indiqué de trouble du flux sanguin dans le ventricule gauche (...) il sort avec le traitement [suivait la prescription des médicaments] ». Le 24 octobre 2012, le requérant fut autorisé à quitter l’hôpital.
9. Le 29 octobre 2012, le requérant revint à la prison de Khalkida.
10. Le 5 décembre 2012, l’hôpital Evangelismos émit un certificat d’hospitalisation à la demande du requérant, qui indiquait qu’en cas de complication de la maladie coronarienne et compte tenu du fait que celui-ci avait été opéré dans le service de cardiologie, il pouvait et devait être hospitalisé dans ce même hôpital. En outre, un certificat médical délivré par les médecins traitants du requérant, C.C. et M.A., soulignait que l’opération subie par le requérant avait pallié provisoirement la maladie qui avait mis sa vie en danger. Toutefois, si les facteurs qui influençaient l’évolution de la maladie (alimentation, environnement stressant) n’étaient pas mis sous contrôle, le pronostic vital du requérant serait gravement engagé, malgré la réussite de l’opération.
11. Le 21 décembre 2012, le requérant déposa auprès des autorités de la prison, par l’intermédiaire de son avocat, une demande tendant à son transfert à l’hôpital de Korydallos pour un examen coronarographique. Il soulignait que lors de son dernier séjour à l’hôpital, il n’avait été soumis qu’à une scintigraphie et non à une coronarographie, alors que le cardiologue de l’hôpital de Khalkida avait recommandé les deux examens.
12. Le 21 décembre 2012, le médecin de la prison de Khalkida informa les autorités de la prison que le 16 octobre 2012, le cardiologue de l’hôpital Evangelismos avait considéré que la coronarographie n’avait pas été jugée nécessaire, car la scintigraphie avait été négative quant à l’ischémie. Le 28 décembre 2012, le cardiologue de l’hôpital de Korydallos confirma dans son rapport la décision en ce sens prise par le cardiologue de l’hôpital Evangelismos.
13. Le 29 décembre 2012, le requérant, qui s’était plaint d’une douleur précordiale rétrosternale et d’un épisode d’évanouissement, fut transféré à l’hôpital de Khalkida pour de nouveaux examens médicaux. Le 31 décembre 2012, le directeur de la clinique de cardiologie de cet hôpital diagnostiqua une douleur thoracique sans indices d’ischémie aigüe et recommanda un examen plus approfondi dans un hôpital d’Athènes.
14. Le 2 janvier 2013, le requérant fut transféré à l’hôpital de la prison de Korydallos. Il en sortit le 11 janvier. La fiche de sortie indiquait : « Le patient est arrivé pour un examen coronarographique, mais il a refusé de le subir. La scintigraphie qu’il avait faite en octobre 2012 était négative et il sort avec le traitement qui lui avait déjà été prescrit ».
15. Le 2 février 2013, le requérant fut admis à la clinique de cardiologie de l’hôpital de Khalkida. La fiche de sortie de cet établissement, du 5 février 2013, mentionnait que le requérant avait été admis avec une « douleur thoracique non déterminée » et sortait en présentant une certaine « amélioration ».
16. Le 11 février 2013, le directeur du service de cardiologie de l’hôpital Evangelismos, C.C., se fondant sur les résultats des examens effectués à l’hôpital de Khalkida, demanda par écrit le transfert immédiat du requérant à l’hôpital Evangelismos. Selon le requérant, ce transfert ne fut pas effectué, car la demande précitée avait été soustraite de son dossier médical.
17. À la même date, le médecin de la prison de Khalkida informa les autorités de la prison que le requérant avait refusé de poursuivre son traitement, qu’il l’avait convoqué au dispensaire de la prison pour lui expliquer les conséquences de son attitude et que, malgré ces conseils, le requérant persistait à ne pas accepter ses médicaments. L’examen médical effectué le même jour fit apparaître que le requérant souffrait de tachycardie.
18. Le 12 février 2013, le même médecin informa à nouveau les autorités de la prison que le requérant persistait dans son refus pour le deuxième jour, ce qui avait entraîné l’augmentation de son rythme cardiaque. Il recommanda l’admission du requérant à la clinique de cardiologie de l’hôpital de Khalkida, laquelle eut lieu le même jour. Le 13 février 2013, le requérant sortit de l’hôpital, son état présentant une « amélioration », selon la fiche de sortie. En même temps, un rapport du médecin de l’hôpital de la prison de Korydallos, daté du 12 février 2013, recommandait le transfert du requérant à l’hôpital Evangelismos.
19. Le 18 février 2013, le requérant fut transféré à l’hôpital de la prison de Korydallos. Le 19 février 2013, le cardiologue de cet hôpital rédigea une note de renvoi du requérant à l’hôpital Evangelismos. Ce jour-là, vers 16 heures environ, les agents de police devant escorter le requérant vers cet hôpital furent intrigués par le fait que celui-ci savait dans quel hôpital il allait être transféré alors que la note de renvoi n’en faisait pas mention, et qu’il avait rassemblé pour emporter avec lui « des affaires personnelles de première nécessité en quantité excessive ». Saisis de doutes en ce qui concernait la sécurité du transfert, ceux-ci consultèrent leur supérieur hiérarchique. Il fut décidé de changer la destination prévue, et de conduire le requérant à l’hôpital universitaire Atticon. Arrivé à cet hôpital et constatant que ce n’était pas l’hôpital Evangelismos, le requérant refusa de se soumettre à l’examen.
20. Le 21 février 2013, le requérant fut transféré à l’hôpital Thriasio dans la ville d’Elefsina. Les examens d’ordre clinique, électrocardiographique et écho-cardiographique n’indiquèrent pas d’éléments d’ischémie.
21. Le 22 février 2013, le requérant fut admis au service de cardiologie de l’hôpital de Nikaia, à cause de gênes d’angine de poitrine. L’électrocardiogramme effectué indiqua une légère tachycardie sans altération de type ischémique. Le 23 février le requérant sortit de l’hôpital et le 29 février il rentra à la prison de Khalkida.
22. Le 12 mars 2013, alors que le requérant avait été transféré à la prison de Korydallos (afin de comparaître devant la cour d’appel), il fut examiné par son médecin traitant à l’hôpital Evangelismos, qui lui diagnostiqua pour la première fois qu’il était affecté d’une fibrillation du ventricule et lui prescrivit de rester alité pendant dix jours et de faire un examen avec un holter rythmique.
23. Le 12 avril 2013, le requérant fut transféré à l’hôpital Aghia Varvara pour l’examen avec le holter.
24. Le 13 mai 2013, le médecin traitant du requérant à l’hôpital Evandelismos lui prescrivit un nouvel examen sous une dizaine de jours pour un problème d’arythmie. Rendez-vous fut pris pour le 21 mai 2013 dans ce même hôpital. Toutefois, arrivé à l’hôpital pour l’examen programmé, le requérant refusa de s’y soumettre parce qu’il insistait pour être examiné par ses deux médecins traitants dans cet hôpital, C.C. et M.A.
25. Le 22 mai 2013, le requérant adressa au procureur près la Cour de cassation une plainte contre toute personne responsable pour mise en danger de sa personne, violation des devoirs professionnels et induction en erreur de ses médecins traitants.
26. Le 27 mai 2013, le requérant fut transféré à la prison de Patras.
27. Le 28 mai 2013, il fut examiné au dispensaire de la prison. Le 29 mai 2013, il fut transféré à l’hôpital universitaire de Patras pour un examen cardiologique. Le médecin recommanda un changement du traitement médicamenteux.
28. Le 30 mai 2013, le requérant fut à nouveau examiné par un médecin du dispensaire de la prison de Patras, qui estima que le requérant devait faire l’objet d’examens cardiologiques réguliers à l’hôpital universitaire de Patras. Toutefois, le 31 mai 2013, le requérant refusa de s’y rendre, car il souhaitait être transféré à l’hôpital Evangelismos.
29. Le 3 juin 2013, le requérant se présenta de sa propre initiative au dispensaire de la prison de Patras pour se faire examiner. Le médecin recommanda que le requérant soit examiné par un cardiologue et un spécialise de chirurgie cardiothoracique. Le 5 juin 2013, le requérant fut transféré aux consultations extérieures de l’hôpital universitaire de Patras, où le cardiologue qui l’examina lui prescrivit un traitement médicamenteux et une épreuve d’effort.
30. Le 6 juin 2013, le médecin du dispensaire de la prison de Patras prescrivit au requérant un examen hématologique, mais celui-ci refusa de se rendre à l’hôpital universitaire de Patras, tant le 10 juin pour subir cet examen que le 11 juin pour l’épreuve d’effort.
31. Le 17 juin 2013, le requérant fut transféré à un hôpital de garde en raison d’une douleur d’angine dont il se plaignait. Il sortit le lendemain avec une prescription pour un nouveau traitement médicamenteux et un suivi cardiologique régulier.
32. Le 27 juin 2013, le requérant fut transféré à l’hôpital universitaire de Patras pour un examen hématologique, car il avait modifié de son propre chef son anticoagulant. Le 1er juin 2013, à la suite d’un contrôle des facteurs de coagulation du sang, le requérant se vit modifier son traitement et le 10 juin, le médecin du dispensaire de la prison lui augmenta le dosage.
33. Le 19 juillet 2013, le requérant refusa son transfert à l’hôpital universitaire de Patras, mais il y consentit le 23 juillet pour y subir un nouvel examen hématologique.
34. Le 14 août 2013, alors que le requérant se trouvait à la prison de Korydallos pour assister à une audience le concernant, il fut examiné à l’hôpital de la prison où on ne lui diagnostiqua pas de syndrome clinique. Le 21 août 2013, alors qu’il s’y trouvait encore, il se plaignit d’un angor. Il fut transféré à l’hôpital Tzaneio où il subit un électrocardiogramme. Il en sortit le 22 août 2013, « sans fièvre, asymptomatique et hémodynamiquement stable » avec le conseil de maintenir son poids, de suivre un régime sans sel ni graisse et de consulter ses médecins traitants à l’hôpital Evangelismos.
35. Le 23 août 2013, après l’avoir examiné, son médecin traitant à l’hôpital Evangelismos affirma que le requérant ne devait pas subir d’opération chirurgicale.
36. Le 17 septembre 2013, le cardiologue de l’hôpital de la prison de Korydallos, constatant la dégradation de l’état de santé du requérant, demanda le transfert de celui-ci à l’hôpital Evangelismos. Dans son rapport, il soulignait que tout retard dans le transfert risquait de causer au requérant un dommage irréparable.
37. Le 20 novembre 2013, le requérant fut transféré à l’hôpital public de Patras pour un examen hématologique, puis à l’hôpital universitaire de Patras pour un examen cardiologique dans le cadre de ses contrôles réguliers. L’échocardiographie ne décela pas d’indices d’ischémie du myocarde.
38. Le 1er décembre 2013, après une bagarre avec un codétenu, le requérant fut emmené au dispensaire de la prison de Patras se plaignant de gênes d’angine de poitrine. En raison de son historique, il fut jugé opportun de le transférer à l’hôpital de garde. Le diagnostic indiqua qu’il souffrait de « douleur précordiale ». Le lendemain, il sortit de l’hôpital.
39. Le 10 décembre 2013, le requérant subit l’examen cardiologique régulier qui s’effectuait à l’hôpital universitaire de Patras, mais le 3 janvier 2014, il s’y refusa.
40. Le 12 février 2014, le requérant, se plaignant d’une gêne d’angine de poitrine, fut admis à l’hôpital public de Patras, mais il en sortit le lendemain.
41. Le 14 février 2013, après une bagarre avec un codétenu, le requérant fut emmené au dispensaire de la prison, puis à l’hôpital de garde de la ville pour être examiné par un ophtalmologiste.
42. Le 5 mars 2014, le requérant fut transféré pour un examen cardiologique et cardiothoracique à l’hôpital universitaire de Patras. Toutefois, le 6 mars 2014, il refusa de subir un examen hématologique et ophtalmologique.
43. Le 6 mai 2014, ayant fait état d’une douleur thoracique, le requérant fut emmené à l’hôpital Tzanneio.
44. Le 29 mai 2014, le requérant refusa de se soumettre à une coronarographie à l’hôpital Atticon, où rendez-vous avait été pris à l’avance. Il justifia son refus par son souhait que tout examen clinique soit effectué à l’hôpital Evangelismos.
B. Les demandes du requérant tendant à la suspension de l’exécution de sa peine, en application de l’article 557 du code de procédure pénale
1. La demande du 16 octobre 2012 et la décision no 178/2013 du tribunal correctionnel de Khalkida
45. Le 16 octobre 2012, alors que le requérant se trouvait à l’hôpital de la prison de Korydallos, il introduisit une demande de suspension de l’exécution de sa peine (article 557 du code de procédure pénale) devant le tribunal correctionnel du Pirée. Il soulignait que l’aggravation de la sténose l’exposait de plus en plus à un risque accru d’infarctus et par conséquent au risque d’une dégradation irréversible de son état de santé. Il demandait à être transféré à la clinique de cardiologie de l’hôpital Evangelismos et à y rester jusqu’à ce que le tribunal correctionnel du Pirée se prononce sur sa demande.
46. L’audience eut lieu le 3 décembre 2012 devant le tribunal correctionnel de Khalkida, car le requérant avait entre-temps été transféré de l’hôpital de la prison de Korydallos à la prison de Khalkida. À cette date, l’audience fut reportée au 12 décembre 2012 afin que le requérant produise des justificatifs manquants prévus à l’article 557 précité. Elle fut à nouveau ajournée au 20 décembre puis au 31 décembre 2012.
47. Il est rappelé que le 5 décembre 2012, l’hôpital Evangelismos émit un certificat d’hospitalisation attestant que le requérant y avait été hospitalisé du 3 au 30 mai 2011 et qu’en cas de complication de la maladie coronarienne il devait y être transféré à nouveau pour recevoir des soins (paragraphe 10 ci-dessus).
48. À la suite d’un nouveau report, l’audience eut lieu le 9 janvier 2013. Par une décision no 178/2013 de la même date, le tribunal correctionnel de Khalkida ordonna la suspension de l’exécution de la peine du requérant pendant cinq mois à condition que celui-ci soit hospitalisé à l’hôpital Evangelismos. La décision relevait ce qui suit :
« (...) Le demandeur a présenté une maladie coronarienne grave et a subi une intervention chirurgicale (pontage) le 10 mai 2011 à l’hôpital Evangelismos. À la suite de cette opération, il a été hospitalisé à l’hôpital Tzaneio et à l’hôpital Attiko pour fibrillation du ventricule et a subi un nouvel examen coronarien à l’hôpital Evangelismos et à l’hôpital Attiko pour une angine de poitrine. Compte tenu de la gravité de son état de santé, l’hôpital de Khalkida a considéré qu’un contrôle cardiologique plus approfondi dans un hôpital d’Athènes était nécessaire et pour cette raison il a été transféré à l’hôpital de la prison de Korydallos. Comme il est précisé dans l’attestation du service de cardiologie de l’hôpital Evangelismos, du 5 décembre 2012, signée par les directeurs [C.C. et M.A.], “l’intervention chirurgicale précitée n’a pas apporté une solution définitive à son problème de santé ; elle a pallié provisoirement la maladie qui a mis sa vie en danger. Si les facteurs qui influencent l’évolution de la maladie (alimentation, environnement stressant) ne sont pas mis sous contrôle, le pronostic vital du requérant sera gravement engagé, malgré la réussite de l’opération”. Dans l’hôpital de la prison de Korydallos où il est actuellement hospitalisé, il n’est pas possible de suivre son état de santé ni de faire face à des complications éventuelles. (...) »
49. Le procureur près le tribunal correctionnel de Khalkida invita alors le directeur de la prison à suspendre l’incarcération du requérant afin de se conformer à la décision no 178/2013. Toutefois, les autorités de la prison demandèrent des éclaircissements au procureur quant à la possibilité d’exécuter la décision précitée : elles informèrent le procureur que le 28 décembre 2012, la cour d’appel criminelle d’Athènes avait rendu un arrêt no 1123/2012 (à la demande du requérant, qui sollicitait une confusion des peines) qui augmentait tant la durée de la réclusion que le montant de la sanction pécuniaire qui lui étaient infligées. Or, la décision no 178/2013 se fondait sur l’arrêt antérieur (arrêt no 2084/2010 portant confusion des peines) à l’arrêt no 1123/2012, qui s’y substituait. Le procureur demanda alors au tribunal correctionnel de Khalkida de rectifier sa décision no 178/2013.
50. Par une décision no 588/2013 du 29 janvier 2013, le tribunal correctionnel de Khalkida considéra qu’il n’y avait pas lieu à rectification, car l’arrêt no 1123/2012 n’avait jamais été portée à sa connaissance et ne faisait donc pas partie du dossier.
51. Le 29 janvier 2013, le procureur notifia la décision no 588/2013 au requérant et lui suggéra de déposer une nouvelle demande de suspension, car la décision no 178/2013 ne pouvait pas être exécutée.
2. La demande du 31 janvier 2013
52. Le 31 janvier 2013, le requérant introduisit une demande tendant à son transfert immédiat à l’hôpital Evangelismos. La demande était fondée sur l’article 557 du code de procédure pénale. L’audience devant le tribunal correctionnel de Khalkida fut fixée au 11 février 2013. Elle fut ajournée au 13 février, puis aux 18 février, 25 février, 4 mars et 27 mars 2013, chaque fois à la demande du requérant (pour cause d’indisponibilité de son avocat). À l’audience du 27 mars 2013, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, déclara se désister de sa demande. En fait, depuis un arrêt du 8 mars 2012 mettant fin à certaines poursuites pour cause de prescription, il ne purgeait que les peines prononcées par l’arrêt no 2084/2010 auquel se référait la décision no 178/2013. Le requérant donna aussi pouvoir à ses avocats de saisir le procureur compétent afin de faire exécuter la décision précitée.
53. Par une décision no 1974/2013 du 27 mars 2013, le tribunal correctionnel de Khalkida rejeta la demande du requérant comme irrecevable.
C. Les objections du procureur près le tribunal correctionnel de Patras et la décision no 3330/2013 du tribunal correctionnel de Patras
54. Le 7 août 2013, le procureur près le tribunal correctionnel de Khalkida demanda que la décision no 178/2013 soit exécutée.
55. Toutefois, le 9 août 2013, le procureur près le tribunal correctionnel de Patras (ville dans laquelle le requérant était détenu depuis le 27 mai 2013) décida de présenter, en application de l’article 565 du code de procédure pénale, des objections concernant le caractère exécutoire des quinze arrêts de condamnation du requérant mentionnés dans le dispositif de la décision no 178/2013. Il soulignait qu’il n’était pas possible d’ordonner la suspension des peines prononcées, car le requérant n’avait pas encore commencé à les purger.
56. Par une décision no 3330/13 du 10 août 2013, le tribunal correctionnel de Patras accueillit les objections. Il considéra que ces arrêts étaient encore exécutoires, car, à la date de l’adoption de la décision no 178/2013, le requérant n’avait pas encore commencé à purger les peines qu’ils lui avaient infligées.
D. Les recours du requérant et les décisions judiciaires internes postérieures à la saisine de la Cour
57. Le 12 décembre 2013, le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt no 3330/2013. Il soutenait que le retard dans l’exécution de la décision no 178/2013 emportait violation de l’article 3 de la Convention, en raison de la dégradation irréversible de son état de santé.
58. Les 3 février 2014 et 26 mars 2014, le requérant envoya respectivement au procureur près la Cour de cassation et le procureur près le tribunal correctionnel du Pirée deux rapports dans lesquels il prétendait que la Cour européenne (qu’il avait déjà saisie) avait rendu le 7 janvier 2014, date de la communication de la requête au Gouvernement, sa décision dans son affaire et avait conclu à la violation des articles 2 et 3 de la Convention en raison de la non-exécution de la décision no 178/2013.
59. Le 5 février 2014, la cour d’appel criminelle d’Athènes, prononçant la confusion des peines du requérant, fixa à 60 ans, 4 mois et 15 jours la peine de réclusion du requérant (dont il devait purger 25 ans), et à 25 000 euros la sanction pécuniaire à son encontre (arrêt no 412/2014).
60. L’arrêt no 412/2014 cessa de produire ses effets à compter du 6 juin 2014, lorsque le tribunal correctionnel d’Athènes suspendit les peines prononcées par certains arrêts de condamnation sur lesquels l’arrêt no 412/2014 se fondait. À partir de cette date, le requérant était donc détenu en vertu de l’arrêt no 2084/2010 portant confusion de ses peines et auquel la décision no 178/2013 se référait.
61. Par un arrêt no 778/2014 du 11 juin 2014, la Cour de cassation accueillit le pourvoi du requérant et renvoya l’affaire au tribunal correctionnel de Patras, siégeant dans une composition différente, pour nouvel examen. La Cour de cassation considéra que dans son arrêt no3330/13, le tribunal correctionnel avait statué ultra petita, car les objections du procureur contre le caractère exécutoire des arrêts de condamnation étaient en réalité destinées à contester la légalité de la décision no 178/2013, devant le même tribunal que celui qui les avait rendues, ce qui ne pouvait être fait que par le procureur près la Cour de cassation.
62. Le 8 août 2014, le tribunal correctionnel de Khalkida rejeta les objections du procureur (jugement no 3066/2014). Il releva que la décision no 178/2013 n’était pas une décision de condamnation et ne prononçait pas une peine et que l’article 565 du code de procédure pénale visait la procédure d’objections concernant le caractère exécutoire seulement des arrêts de condamnation. En outre, l’arrêt no 778/2014 ne rendait pas irrévocable la décision no 178/2013 qui n’avait jamais fait l’objet d’une voie de recours.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
63. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisent ainsi :
Article 557
« 1. L’exécution d’une peine privative de liberté peut être suspendue dans les cas prévus par les articles 429 § 3 et 556 al. a, b et c, ainsi que par les paragraphes 2 et 7 du présent article.
2. Dans le cas où le détenu qui purge sa peine est hospitalisé, comme le prévoient les dispositions pertinentes, et s’il souffre d’une maladie tellement grave que le maintien de son hospitalisation dans tout hôpital ne permet pas d’empêcher la dégradation irréversible de son état de santé ou présente un danger pour sa vie, celui-ci peut, si ladite prévention nécessite son hospitalisation dans un autre établissement spécifiquement mentionné, solliciter son admission dans celui-ci pour poursuivre son traitement à ses propres frais. Le traitement médical à domicile est exclu.
3. Le tribunal compétent se prononce sur cette demande par une motivation spécifique et circonstanciée. Cette décision est rendue après la production de a) l’avis de deux médecins légistes ou, à défaut, de deux médecins engagés par un établissement public sur la nécessité de transférer le demandeur au centre hospitalier proposé par lui-même, b) l’avis de l’établissement où l’intéressé est hospitalisé et c) l’avis du centre hospitalier vers lequel l’intéressé sollicite son transfert.
4. Si le tribunal fait droit à la demande du requérant, il ordonne le sursis à exécution de la peine de l’intéressé pour une période maximale de cinq mois. À la demande de l’intéressé et du procureur, soumise avant l’expiration de ce délai, le tribunal peut proroger le sursis à exécution de la peine par périodes de six mois au maximum, dans le cas où cela est nécessaire.
(...)
7. Dans des cas exceptionnels, le tribunal peut, à la demande du détenu, ordonner son élargissement si le sursis à exécution de la peine ne peut empêcher un dommage irréversible à la santé de l’intéressé ou si son pronostic vital est engagé. Le traitement médical du patient à domicile doit véritablement [être de nature à] empêcher la détérioration irréversible de son état de santé.
(...) »
Article 560
« 1. Le tribunal examine la question sur demande [du] condamné ou du procureur (...).
2. Celui qui demande la suspension ou l’interruption de l’exécution de la peine est cité à comparaître devant le tribunal (...) ou [à s’y faire] représenter (...).
3. Lorsque le tribunal est saisi d’une demande de suspension ou d’interruption de l’exécution de la peine pour cause de grossesse, ou de maladie physique ou mentale, le procureur chargé de l’exécution de la peine a l’obligation d’ordonner préalablement l’examen [de la personne condamnée] par deux médecins, si possible spécialistes. (...) »
Article 561
« Les décisions des tribunaux compétents selon les dispositions de l’article 559 ne sont pas susceptibles d’appel (...). Celui qui a formulé la demande peut interjeter appel contre la décision du procureur prise en vertu de l’alinéa c) de l’article 559. Le procureur peut aussi renvoyer au tribunal la demande, s’il doute ou s’il hésite sur la décision à prendre (...). Le tribunal se prononce de manière définitive (...). »
Article 565
« Tout doute ou objection concernant le caractère exécutoire de la peine et le type ou la durée de celle-ci est examiné par le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée. (...) Le procureur ou le condamné peuvent se pourvoir en cassation contre la décision du tribunal correctionnel. »
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
64. Le requérant se plaint que la non-exécution par les autorités de la décision no 178/2013 du tribunal correctionnel de Khalkida, du 9 janvier 2013, met sa vie en grave danger et constitue un traitement inhumain et dégradant. Il allègue une violation des articles 2, 3 et 5 de la Convention.
65. Maîtresse de la qualification juridique des faits, la Cour estime que l’affaire doit être examinée à la lumière du seul article 3 de la Convention, le requérant n’ayant pas suffisamment étayé le danger pour sa vie et n’apportant aucune précision concernant son grief sous l’article 5. L’article 3 de la Convention est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
1. Sur le respect du délai de six mois
66. En premier lieu, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour non-respect du délai de six mois. Il expose :
– que le 29 janvier 2013, le requérant savait déjà que le tribunal correctionnel de Khalkida avait rejeté la demande de rectification introduite par le procureur contre la décision no 178/2013 ;
– que, de surcroît, ladite décision était déjà irrévocable dès son prononcé, le 9 janvier 2013.
67. Le requérant rétorque :
– que le refus de le transférer à l’hôpital Evangelismos s’analyse en une situation continue ;
– qu’ainsi, tant que cette situation perdure, la règle des six mois ne trouve pas à s’appliquer.
68. La Cour rappelle que le délai de six mois court à compter de la décision définitive dans le cadre de l’épuisement des voies de recours internes (Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni (déc.), no 46477/99, 7 juin 2001).
69. En l’espèce, la Cour note qu’en l’occurrence, la question du caractère exécutoire de la décision no 178/2013 a été rendue tributaire de la question de savoir quels étaient les arrêts qui avaient servi de base pour l’adoption de cette décision, question sur laquelle étaient fondées les objections du procureur à l’encontre de l’exécution de la décision précitée, examinées dans la décision du 10 août 2013.
70. Or, cette question fut résolue de manière définitive par le jugement no 3066/2014 du tribunal correctionnel de Khalkida statuant sur renvoi, le 8 août 2014. Il s’ensuit que l’on ne saurait reprocher au requérant d’avoir saisi la Cour en dehors du délai de six mois.
2. Sur l’épuisement des voies de recours internes
71. En deuxième lieu, le Gouvernement allègue que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il expose :
– d’une part, que le requérant s’est désisté de sa demande du 31 janvier 2013 ;
– d’autre part, qu’il a encore aujourd’hui la possibilité d’introduire une nouvelle demande de suspension de sa peine fondée sur un dommage irréparable de son état de santé ;
– enfin, que son pourvoi en cassation ne constituait pas une voie de recours contre la décision no 178/2013.
72. Le requérant rétorque :
– que son désistement était dû non pas à un désintérêt pour son état de santé, mais uniquement au fait que la décision no 178/2013, devenue exécutoire, rendait sa demande du 31 janvier 2013 sans objet (en effet, à partir du 8 mars 2013, il n’était plus détenu en vertu de l’arrêt no 1123/2013, mais en vertu de l’arrêt 2084/2010 portant confusion de ses peines et auquel la décision no 178/2013 se référait) ;
– que, par ailleurs, l’arrêt 412/2014 avait cessé de produire ses effets à compter du 6 juin 2014 (paragraphe 60 ci‑dessus).
73. En vertu de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut examiner une question que lorsque tous les recours internes ont été épuisés. La finalité de cette disposition est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises à la Cour (voir, entre autres, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). Lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une autre voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé (voir, entre autres, Kozacıoğlu c. Turquie [GC], no 2334/03, § 40, 19 février 2009 et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 58, 15 octobre 2009).
74. De l’avis de la Cour, en l’espèce, la demande du 31 janvier 2013 dont s’est désisté le requérant, mentionnée par le Gouvernement, n’était pas déterminante aux fins de l’épuisement des voies de recours internes. N’ayant fait l’objet d’aucune voie de recours, la décision no 178/2013 était devenue définitive. Ce n’est qu’à la suite des objections présentées par le procureur que cette décision n’a pas été exécutée, et qu’il a fallu attendre l’issue de la procédure y relative, qui a pris fin avec le jugement no 3066/2014 du tribunal correctionnel de Khalkida le 8 août 2014.
75. Il s’ensuit que le requérant n’a pas failli à son obligation d’épuiser les voies de recours internes.
3. Perte de la qualité de victime
76. En troisième lieu, le Gouvernement soutient :
– que la non-exécution de la décision no 178/2013 n’est pas due à une omission ou un manque de volonté de la part des autorités, celles-ci ayant bien épuisé les possibilités dont elles disposaient pour la faire rectifier ;
– qu’ainsi, il n’appartenait plus qu’au requérant lui-même d’entreprendre les démarches nécessaires afin d’obtenir l’adoption d’une nouvelle décision ;
– qu’en déposant une nouvelle demande le 31 janvier 2013, le requérant a admis que sa situation dépendait de ses propres initiatives ;
– que, par conséquent, le requérant a cessé, depuis cette date, de pouvoir se prétendre « victime » de la violation dénoncée.
77. Le requérant rétorque que tant qu’il ne sera pas transféré à l’hôpital Evangelismos, en exécution de la décision no 178/2013, il conservera la qualité de « victime ».
78. La Cour rappelle que par « victime », l’article 34 de la Convention désigne la personne directement concernée par l’acte ou omission litigieux, l’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se concevant même en l’absence de préjudice. Un requérant ne peut se prétendre « victime » que s’il est ou a été directement touché par l’acte ou omission litigieux : il faut qu’il en subisse ou risque d’en subir directement les effets. Un acte ayant des effets juridiques temporaires peut suffire (Monnat c. Suisse, no 73604/01, §§ 31 et 33, 21 septembre 2006).
79. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour note qu’en dépit de la décision no 178/2013, les autorités pénitentiaires n’ont pas transféré le requérant à l’hôpital Evangelismos, comme elle le prévoyait, sous prétexte que celui-ci n’était pas incarcéré au titre d’une peine prononcée par l’arrêt auquel se référait cette décision, mais au titre de celle prononcée par un autre arrêt. Cette situation a duré au moins jusqu’au 8 août 2014, date du jugement du tribunal de Khalkida statuant sur renvoi, qui fut favorable au requérant. En outre, la Cour note que le désistement du requérant de sa demande du 31 janvier 2013 était dû au fait que celle-ci était devenue sans objet à partir du 8 mars 2013, lorsqu’il était établi que le requérant était incarcéré au titre de la peine prononcée par l’arrêt no 2084/2010, sur lequel se fondait la décision no 178/2013.
80. En résumé, la Cour est d’avis que le requérant pouvait, au moins jusqu’au 8 août 2014, se prétendre victime du manquement allégué.
4. Conclusion
81. La Cour rejette les exceptions préliminaires du Gouvernement. Elle constate par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
82. Le Gouvernement expose qu’il ressort des circonstances de l’espèce que ni la santé ni, encore moins, la vie du requérant n’ont à quelque moment que ce soit été mises en danger. Chaque fois que le requérant se plaignait de douleurs thoraciques et chaque fois qu’il arrêtait son traitement, les autorités le transféraient immédiatement à l’hôpital de la prison de Korydallos, ou dans d’autres hôpitaux publics, voire même à l’hôpital Evangelismos, où exerçaient ses médecins traitants. Le fait que le requérant n’a encouru aucun danger est démontré, entre autres, par son attitude lors de la procédure, notamment par les quatre ajournements d’audience qu’il a demandés après celle du 31 décembre 2012. En outre, ni le certificat d’hospitalisation à l’hôpital Evangelismos, ni les certificats des médecins traitants du 5 décembre 2012 ne qualifiaient de « grave » la maladie du requérant et ne préconisaient une hospitalisation pour éviter un dommage irréparable à son état de santé : la formulation utilisée par les médecins traitants sur ces certificats revêtait, explique le Gouvernement, une connotation hypothétique.
83. Le Gouvernement affirme que même à la suite du désistement du requérant de sa demande du 31 janvier 2013, son suivi médical a été continu. Toutefois, ce suivi a été perturbé par le refus de celui-ci de se soumettre aux examens qui étaient prévus pour lui et à sa décision d’interrompre ou de modifier le traitement prescrit.
En outre, le Gouvernement souligne que les autorités ne pouvaient pas exécuter une décision à partir du moment où des doutes étaient soulevés concernant l’étendue de ses effets juridiques : une décision qui ordonne la suspension d’une peine est une mesure exceptionnelle, car pendant sa durée le détenu n’est plus considéré comme un détenu et toute fuite du lieu où il est placé ne constitue pas une évasion au sens de l’article 173 du code de procédure pénale.
84. Enfin, le Gouvernement soutient que, en vertu de l’arrêt no 412/2014 de la cour d’appel d’Athènes, le requérant a désormais la possibilité de déposer une nouvelle demande de suspension de sa peine.
85. Le requérant rétorque que l’attitude des autorités, qui persistent à ne pas exécuter la décision no 178/2013, le soumet à une angoisse et à une épreuve d’une telle intensité qui dépasse le seuil de souffrance inhérent à sa détention. Les autorités ne lui ont assuré aucun suivi médical régulier par des médecins spécialistes de son choix, ce qui constitue pourtant un droit inaliénable garanti par l’article 27 § 2 du code pénitentiaire. Le grand nombre de sorties inopinées pour consultations d’urgence en raison de la gêne causée par ses angines de poitrine l’a épuisé, tant physiquement que psychiquement, et cela en vain puisque les médecins consultés dans ce cadre ne connaissent pas son historique médical.
86. Le requérant explique que son refus de prendre les traitements proposés par divers médecins de garde aux urgences où il est amené est dû au fait que ces traitements s’écartent de celui que lui ont prescrit ses médecins traitants à l’hôpital Evangelismos. En outre, son refus de se soumettre à un contrôle cardiologique dans les divers hôpitaux où il est transféré est dû à l’incapacité, faute de services compétents dans ces hôpitaux, de prendre en charge les cas cardiologiques urgents. La permission de sortie délivrée par l’hôpital de la prison de Korydallos le 24 octobre 2012 était totalement dénuée de crédibilité, car fondée sur des tests non adaptés à son affection. Enfin, son niveau anormalement élevé de cholestérol est dû, explique-t-il, à la mauvaise qualité de la nourriture à l’intérieur de la prison.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
87. S’agissant de personnes privées de liberté, la Cour rappelle que l’article 3 impose à l’État l’obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis. Ainsi, le manque de soins médicaux appropriés, ou, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peuvent en principe constituer un traitement contraire à l’article 3. Qui plus est, outre la santé du prisonnier, c’est son bien-être qui doit être assuré d’une manière adéquate (Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX et Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 51, 2 décembre 2004).
88. La Cour a aussi jugé que les autorités nationales doivent faire en sorte que les diagnostics et les soins médicaux dans les lieux de détention, y compris les hôpitaux de prison, répondent à l’urgence et soit effectués de manière fiable. En outre, lorsque l’état de santé l’exige, le suivi médical doit se faire à des intervalles régulières et comporter un traitement adapté, destiné à le guérir ou du moins empêcher la dégradation de cet état (Sakhvadze c. Russie, no 15492/09, § 83, 10 janvier 2012) De manière générale, la Cour se reconnaît une grande souplesse pour définir le niveau requis des soins médicaux, en procédant à une appréciation au cas par cas. Ce niveau devrait être « compatible avec la dignité humaine » de chaque détenu, mais devrait aussi prendre en considération « les exigences pratiques de l’incarcération » (Aleksanyan c. Russie, no 46468/06, § 140, 22 décembre 2008).
89. Le seul fait qu’un détenu a été examiné par un médecin et s’est vu prescrire un certain type de traitement ne peut pas conduire automatiquement au constat que la prise en charge médicale a été adéquate (Hummatov c. Azerbaijan, no 9852/03 et 13413/04, § 116, 29 novembre 2007). Lorsqu’un suivi médical est rendu nécessaire par l’état de santé de l’intéressé, les autorités doivent veiller à ce que ce suivi soit régulier et systématique et soit accompagné d’une stratégie thérapeutique adéquate tendant à guérir le détenu de sa maladie ou à en prévenir l’aggravation, plutôt qu’à n’en traiter que les symptômes (ibid. §§ 109 et 114).
90. Enfin, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il ne peut y avoir violation de l’article 3 du seul fait de l’aggravation de l’état de santé de l’intéressé, mais qu’une telle violation peut en revanche découler de lacunes dans les soins médicaux (voir, dans ce sens, Melnik c. Ukraine, nº 72286/01, §§ 104-106, 28 mars 2006, Sakkopoulos c. Grèce, nº 61828/00, § 41, 15 janvier 2004, et Keenan c. Royaume-Uni, nº 27229/95, § 116, CEDH 2001-III). Ainsi, la Cour se doit de rechercher si les autorités nationales ont fait ce que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles vu la gravité de la maladie du requérant (Kotsaftis c. Grèce, no 39780/06, § 53, 12 juin 2008).
b) Application des principes en l’espèce
91. La Cour relève à titre liminaire que le 10 mai 2011, alors qu’il était en détention, le requérant a subi une intervention chirurgicale de revascularisation du myocarde à l’hôpital Evangelismos d’Athènes. Dans le cadre de son suivi postopératoire – et jusqu’à la décision no 178/2013 du 9 janvier 2013 ordonnant la suspension de sa peine à condition qu’il soit hospitalisé à l’hôpital Evangelismos –, il a été soumis à plusieurs examens : le 16 octobre 2012 à l’hôpital Evangelismos, le 29 décembre 20012 à l’hôpital de Khalkida, et le 2 janvier 2013 à l’hôpital de la prison de Korydallos. Les résultats de ces examens, et notamment ceux de la scintigraphie du myocarde, n’avaient pas démontré de détérioration de son état. Aussi, seul un traitement pharmaceutique lui a été prescrit, et les médecins qui l’ont examiné n’ont pas estimé nécessaire de procéder en sus à une coronarographie comme celui-ci le demandait.
92. La décision no178/2013 du 9 janvier 2013 précitée se fondait pour l’essentiel sur le certificat établi le 5 décembre 2012 par les médecins traitants du requérant à l’hôpital Evangelismos, dont elle empruntait les termes, en indiquant que l’opération avait provisoirement pallié la maladie qui mettait la vie du requérant en danger mais que si les facteurs qui influençaient l’évolution de la maladie (alimentation, environnement stressant) n’étaient pas mis sous contrôle, le pronostic vital de celui-ci serait gravement engagé, malgré la réussite de l’opération.
93. La Cour note que cette décision – qui en tant que telle n’a fait l’objet d’aucun recours – n’a pu être exécutée, à tout le moins jusqu’au 8 août 2014, en raison des objections soulevées d’abord par les autorités pénitentiaires, puis par le procureur compétent, qui a contesté devant le tribunal correctionnel la pertinence de la référence faite par cette décision à certains jugements de condamnation comme fondement de son incarcération à l’époque concernée.
94. Toutefois, la Cour constate qu’en dépit de la non-exécution de cette décision, le requérant n’a pas été privé des soins nécessaires. Il a en effet été transféré à de nombreuses reprises vers plusieurs hôpitaux – soit des hôpitaux du système pénitentiaire, soit des hôpitaux publics, y compris parfois l’hôpital Evangelismos – dans le cadre de son suivi postopératoire et chaque fois que lui-même l’a demandé auprès des autorités.
95. Ainsi, le requérant a été admis le 2 février 2013 à l’hôpital de Khalkida ; le 12 février dans le même hôpital ; le 18 février 2013 à l’hôpital de la prison de Korydallos ; le 19 février 2013 à l’hôpital Atticon ; le 21 février 2013 à l’hôpital Thriasio ; le 22 février 2013 à l’hôpital de Nikaia ; le 12 mars 2013 à l’hôpital Evangelismos ; le 12 avril 2013 à l’hôpital Aghia Varvara ; le 21 mai 2013 à l’hôpital Evangelismos ; le 29 mai 2013 à l’hôpital de Patras ; le 30 mai 2013 au dispensaire de la prison de Patras ; le 5 juin à l’hôpital de Patras ; le 17 juin 2013 dans un hôpital de garde ; le 27 juin 2013 à l’hôpital de Patras ; le 23 juillet à l’hôpital de Patras ; le 21 août 2013 à l’hôpital Tzaneio ; le 23 août 2013 à l’hôpital Evangelismos ; le 20 novembre 2013 à l’hôpital de Patras ; le 1er décembre 2013 à un hôpital de garde ; le 10 décembre 2013 à l’hôpital de Patras ; le 12 février 2014 à l’hôpital de Patras ; le 5 mars 2014 à l’hôpital de Patras ; le 6 mai 2014 à l’hôpital Tzaneio. La Cour note que le requérant a été transféré dans l’écrasante majorité des cas dans des hôpitaux publics, extérieurs au système hospitalier pénitentiaire, hôpitaux dans lesquels il a subi des examens cardiologiques et où des traitements lui ont été administrés. Dans aucun de ces hôpitaux, les médecins qui l’ont examiné n’ont préconisé son hospitalisation au-delà du temps nécessaire pour la réalisation des examens.
96. La Cour relève en outre que le requérant a refusé à plusieurs reprises soit de poursuivre le traitement qui lui était prescrit, soit d’être transféré dans certains hôpitaux. Il en a été ainsi les 11 et 19 février 2013, les 21 et 31 mai 2013, les 10 et 11 juin 2013, le 19 juillet 2013 et les 6 mars et 29 mai 2014. Il ressort du dossier que ces refus étaient motivés non pas par des considérations médicales, mais par l’insistance du requérant pour être transféré à l’hôpital Evangelismos.
97. La Cour considère que ni la vie ni même la santé du requérant n’ont été mises en danger pendant toute la période de la non-exécution de la décision précitée. Rien ne donne à penser que son état s’était détérioré en raison de son maintien en détention ou de l’impossibilité de se faire hospitaliser pendant cinq mois à l’hôpital Evangelismos. À cet égard, la Cour relève que le 23 août 2013, le médecin traitant du requérant dans cet hôpital a affirmé, après l’avoir examiné, que son état d’appelait pas d’intervention chirurgicale.
98. En conclusion, la Cour estime que les autorités n’ont pas manqué à l’obligation de fournir au requérant une assistance médicale conforme aux exigences de son état de santé.
99. Partant, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 avril 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren NielsenElisabeth Steiner
GreffierPrésidente