La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/10/2015 | CEDH | N°001-158145

CEDH | CEDH, AFFAIRE KALAMIOTIS ET AUTRES c. GRÈCE, 2015, 001-158145


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KALAMIOTIS ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 53098/13)

ARRÊT

STRASBOURG

29 octobre 2015

DÉFINITIF

29/01/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Kalamiotis et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto

de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré e...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KALAMIOTIS ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 53098/13)

ARRÊT

STRASBOURG

29 octobre 2015

DÉFINITIF

29/01/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Kalamiotis et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 octobre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53098/13) dirigée contre la République hellénique et dont quinze ressortissants de cet État, un ressortissant iraquien, un ressortissant albanais et un ressortissant roumain, dont les noms figurent en annexe (« les requérants »), ont saisi la Cour le 16 août 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Mes E.-L. Koutra et X. Moisidou, avocates à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’Etat, et Mme K. Karavassili, auditrice au Conseil juridique de l’Etat.

3. Les requérants allèguent en particulier une violation de l’article 3 de la Convention en raison de leurs conditions de détention dans la prison de Larissa.

4. Le 7 avril 2014, les griefs concernant les articles 3 et 13 ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants étaient tous détenus à la prison de Larissa à la date de l’introduction de la requête.

A. Situation dénoncée par tous les requérants

6. Tous les requérants dénoncent leurs conditions de détention à la prison de Larissa en raison :

. du surpeuplement : ils sont placés dans des cellules de 25 m² avec douze ou treize autres détenus. Les cellules contiennent dix lits seulement et une toilette ;

. du manque d’hygiène : aucun produit de nettoyage ne leur est fourni ;

. du manque de chauffage suffisant, notamment pendant la période hivernale, du manque d’eau chaude, d’aération et d’eau potable ;

. de la non séparation entre prévenus et condamnés, malades et bien portants, condamnés pour des crimes de sang et condamnés pour infractions économiques ;

. de la nourriture insuffisante ;

. de l’absence d’activités récréatives et de discrimination dans l’attribution de postes de travail.

7. Le 17 juillet 2013, certains des requérants saisirent, en vertu de l’article 572 du code de procédure pénale, le procureur près le tribunal correctionnel de Larissa, responsable de la prison, pour demander l’amélioration de leurs conditions de détention, de manière à la rendre conforme à la Convention.

8. Le requérant Attalidis fut détenu du 14 janvier 2010 au 16 mai 2013, date à laquelle il fut mis en liberté.

9. Le requérant Alvanos fut détenu du 5 juin 2012 au 7 mai 2013, date à laquelle il fut aussi mis en liberté.

B. Situation générale selon le Gouvernement

10. Les détenus reçoivent à intervalles réguliers du papier hygiénique, du savon et des produits d’entretien. En raison de la crise économique actuelle et pour faire face aux restrictions budgétaires de la prison, le service social de la prison, en collaboration avec des organisations de charité, fournissent aux détenus indigents et étrangers des produits d’hygiène corporelle.

11. Le Gouvernement affirme que des désinfections et des dératisations ont lieu régulièrement dans la prison par une entreprise extérieure et que le linge de lit est nettoyé à la laverie de la prison.

12. Le Gouvernement fournit, à titre d’exemple, dix menus hebdomadaires prévus pour les détenus pendant la période d’incarcération du requérant et précise que l’eau potable dans la prison est la même que celle qui alimente la ville de Larissa.

13. Pour leur divertissement, les détenus peuvent regarder la télévision ou faire du sport (basketball, football) et de l’exercice dans la cour de la prison ou dans la salle de sport qui est dotée d’équipements d’haltérophilie et d’un sac de boxe. En outre, au deuxième étage de chaque aile, il y a un tennis de table.

C. Situation du requérant Rasho-Halijani selon le Gouvernement

14. Le requérant Rasho-Halijani y est toujours détenu depuis le 6 mai 2010. Selon les informations fournies par le Gouvernement, ce requérant est placé, depuis le 20 juin 2011, dans l’aile D, réservée à ceux qui travaillent dans la prison, dans une chambrée de 221 m² avec 40 à 56 autres détenus. À côté de la chambrée, il y a une salle d’eau d’une surface de 23,56 m² équipée de plusieurs douches, toilettes et lavabos. Par conséquent, l’espace personnel du requérant variait de 3,43 m² à 4,81 m² en fonction du nombre total des détenus qui variait de 40 à 56.

15. Le Gouvernement précise que la chambrée du requérant dispose de 28 lits superposés, une dizaine de tables, de tabourets, un réfrigérateur et un congélateur et plusieurs cintres. Il y a, en outre, un téléviseur pour chaque lit et une table de nuit par détenu. La chambrée est chauffée et l’eau chaude est disponible de 19 h à 19 h 30 et de 20 h 30 à 21 h en hiver et de 12 h à 13 h et de 20 h à 21 h en été. L’aération et la lumière naturelle dans la chambrée sont assurées par cinq fenêtres (mesurant chacune 1,55 m sur 1,65 m) et par une fenêtre dans la salle d’eau (de la même dimension).

II. DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

16. Pour le droit et la pratique internes pertinents, se référer à la décision Chatzivasiliadis c. Grèce (no 51618/12, §§ 17-21, 26 novembre 2013).

III. LES CONSTATS DU COMITE POUR LA PREVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DEGRADANTS (CPT)

17. Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le CPT relevait ce qui suit en ce qui concerne la prison de Larissa.

18. La prison était constituée de cinq ailes et avait une capacité officielle de 600 détenus. À l’époque de la visite, elle accueillait 892 détenus. La surpopulation était apparente à travers l’ensemble de la prison. Les ailes A, B et C accueillaient entre 220 et 270 personnes chacune dans des cellules. Une cellule ordinaire avait une surface de 23 m² et était équipée de cinq lits superposés, une table et quelques chaises. Dans l’aile A, la délégation du CPT a constaté que dans certaines cellules séjournaient jusqu’à douze détenus et qu’en conséquence certains dormaient sur des matelas posés à même le sol ou à deux sur les lits. Un certain nombre de cellules étaient humides et avaient besoin de travaux d’entretien (peinture murale écaillée, vitres cassées) et plusieurs autres de réparations plus importantes. Chaque cellule disposait d’un espace supplémentaire de 5 m² contenant un WC, une douche et un robinet.

19. L’aile D accueillait dans deux chambrées environ 135 détenus qui travaillaient ou sein de la prison ou qui avaient un certain âge. Les chambrées avaient des rangées de lits superposés, qui laissaient à chaque détenu un espace personnel de 3 m². À côté de chaque lit, il y avait une table et deux tabourets. La salle d’eau adjacente contenait six douches, six WC et quatre robinets.

20. Toutefois, le CPT a constaté que les ailes de la prison étaient infestées d’insectes et de poux et que les conditions d’hygiène n’étaient pas satisfaisantes. Les détenus se sont aussi plaints auprès des représentants du CPT que les matelas et les couvertures fournis étaient sales, ce que ces derniers ont pu constater par eux-mêmes. Des produits d’hygiène corporelle n’étaient pas fournis ou alors fournis en quantité limitée, de sorte que les détenus étaient obligés de les acheter eux-mêmes au magasin de la prison ou demander à la famille ou des amis d’en apporter lors de leurs visites. Enfin, le chauffage était allumé pour des périodes très courtes pendant les mois d’hiver, ce qui obligeait les détenus à dormir avec leurs vêtements.

EN DROIT

SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION

21. Les requérants se plaignent de leurs conditions de détention dans la prison de Larissa. Ils allèguent une violation de l’article 3 de la Convention à cet égard. Invoquant l’article 13, les requérants se plaignent également de l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de leurs conditions de détention. Ces articles sont ainsi libellés :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. En ce qui concerne les requérants nos 4 à 18

22. Le 16 mars 2015, la Cour a reçu la déclaration de règlement amiable signée par le Gouvernement qui déclare s’engager à verser à chacun des requérants nos 4 à 18 les sommes suivantes : M. Kalamiotis : 6 200 EUR; M. Vasilopoulos : 9 300 EUR; M. Dimitropoulos : 7 600 EUR; M. Kadiroglou : 8 800 EUR; M. Karachalios : 8 200 EUR; M. Korakas : 5 500 EUR; M. Loulourgas : 10 500 EUR; M. Lenteris : 8 200 EUR; M. Paraskevopoulos : 8 800 EUR; M. Serifoglou : 9 500 EUR; M. Chalilopoulos : 7 600 EUR; M. Fraggoulis : 6 500 EUR; M. Ali Oglou : 8 800 EUR; M. Ciubotaru : 8 600 EUR; M. Mandalawy : 14 000 EUR. Ces sommes couvriront tout préjudice moral, ainsi que les frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par ces requérants. Les requérants devront renoncer à toute autre prétention à l’encontre de la Grèce à propos des faits à l’origine de leur requête. Lesdites sommes seront versées dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision de la Cour. À défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement s’engage à verser, à compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au règlement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage. Ce versement vaudra règlement définitif de l’affaire.

23. Le 25 mai 2015, les requérants se sont déclarés prêts à accepter la proposition du règlement amiable du Gouvernement à condition que les sommes proposées soient versées sur le compte bancaire de leur représentante, comme ils l’avaient indiqué dans leur déclaration officielle, et sans autres éclaircissements à part ceux existants dans le dossier de l’affaire.

24. La Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties. Elle estime que celui-ci s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention et ses protocoles et n’aperçoit par ailleurs aucun motif justifiant de poursuivre l’examen de la requête. Elle considère, en outre, que le Gouvernement doit verser les sommes ci-dessus directement sur le compte bancaire indiqué par les avocates des intéressés (voir, Taggatidis et autres c. Grèce, no 2889/09, § 34, 11 octobre 2011).

25. En conséquence, il convient de rayer l’affaire du rôle en ce qui concerne les requérants susmentionnés.

B. En ce qui concerne les requérants nos 1 à 3

1. Sur la recevabilité

26. En premier lieu, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour autant qu’elle a été introduite par les requérants Attalidis et Alvanos pour non-épuisement des voies de recours internes : ces requérants, ayant été libérés avant la date de l’introduction de leur requête à la Cour, ils auraient dû engager une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.

27. Les requérants contestent l’effectivité de l’action fondée sur l’article 105 précité et soulignent que le Gouvernement ne fournit aucun arrêt des tribunaux internes qui aurait accepté d’accorder à un détenu (même s’il a été libéré avant la saisine de la Cour) une indemnité pour violation de l’article 3 de la Convention. En outre, cette procédure est très onéreuse et risque de durer plusieurs années. Les requérants invoquent à l’appui de leurs thèses les arrêts Adamantidis c. Grèce (no 10587/10, 17 avril 2014), de los Santos et de la Cruz c. Grèce (no 2134/12 et 2161/12, 26 juin 2014) et A.L.K. c. Grèce (no 63542/11, 11 décembre 2014) dans lesquels, la Cour a rejeté l’exception du Gouvernement fondée sur l’article 105 précité.

28. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, s’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, la situation peut être différente entre une personne qui a été détenue dans des conditions qu’elle estime contraires à l’article 3 de la Convention et qui saisit la Cour après sa mise en liberté et un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce (Chatzivasiliadis c. Grèce (déc.), no 51618/12, § 30, 26 novembre 2013). Elle rappelle, en outre, que dans son arrêt A.F. c. Grèce (no 53709/11, §§ 55-60, 13 juin 2013) elle a estimé qu’il convenait d’examiner si les dispositions d’un texte législatif ou réglementaire susceptibles d’être invoquées aux fins d’une action en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil étaient rédigées en termes suffisamment précis et garantissaient des droits « justiciables » (ibid. § 32).

29. En l’espèce, la Cour observe que les requérants Attalidis et Alvanos ont été mis en liberté respectivement les 16 et 7 mai 2013 (paragraphes 8-9 ci-dessus). En saisissant la Cour le 16 août 2013, ils ne visaient de toute évidence pas à empêcher la continuation de sa détention dans des conditions inhumaines ou dégradantes, mais à obtenir un constat postérieur de violation de l’article 3 de la Convention par la Cour et, le cas échéant, une indemnité pour le dommage moral qu’ils estiment avoir subi.

30. La Cour relève que les deux requérants étaient détenus à la prison de Larissa et étaient ainsi soumis aux dispositions du code pénitentiaire. À cet égard, la présente affaire se distingue des affaires Adamantidis, de los Santos et de la Cruz et A.L.K. précités invoqués par les requérants et qui concernaient les conditions de détention dans les commissariats de police et les centres de rétention dans lesquels le code pénitentiaire ne s’applique pas.

31. Leurs principaux griefs concernant leurs conditions de détention, formulés devant la Cour, portent notamment sur la surpopulation régnant dans cette prison, sur des problèmes d’hygiène et sur une insuffisance de nourriture. Or de l’avis de la Cour, les articles 21, 25 et 32 du code pénitentiaire garantissent en ces domaines des droits subjectifs et pouvant être invoqués devant les juridictions (paragraphe 16 ci-dessus). L’action indemnitaire fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil combiné avec les articles susmentionnés du code pénitentiaire, et également avec l’article 3 de la Convention qui est directement applicable dans l’ordre juridique interne, constituait ainsi une voie de recours qui aurait dû être intentée par ces requérants.

32. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, pour autant qu’elle concerne les requérants Attalidis et Alvanos.

33. La Cour constate, par ailleurs, que la requête, pour autant qu’elle est introduite par le requérant Baskim-Kristo Rasho-Halijani, toujours détenu à Larissa au jour de l’introduction de la requête, n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

2. Sur le fond

34. Le Gouvernement se réfère à sa version des conditions de détention du requérant dans la prison de Larissa (paragraphes 10-15 ci-dessus) et souligne que, si elles ne sont pas totalement satisfaisantes, elles ne dépassent pas le seuil de gravité requis pour être considérées comme un traitement inhumain et dégradant. Il soutient également que les allégations du requérant sont vagues et ne se réfèrent pas à sa situation personnelle. Se référant aux constats de la Cour dans l’arrêt Kanakis c. Grèce (no 2) (no 4016/11, 12 décembre 2013) concernant la même prison ainsi que les constats du CPT, il souligne que le fait que certaines ailes de la prison étaient confrontées aux problèmes relevés par le CPT en raison de la surpopulation, ne signifie pas que ces problèmes concernaient l’ensemble de la prison. Or, le requérant était placé dans une aile qui n’était pas surpeuplée.

35. Le requérant se prévaut de l’arrêt Kanakis (no 2) précité et des constats du CPT.

36. S’agissant des conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, § 46, CEDH 2001–II). En particulier, le temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important (Kalashnikov c. Russie, no 47095/99, § 102, CEDH 2002–VI, Kehayov c. Bulgarie, no 41035/98, § 64, 18 janvier 2005, et Alver c. Estonie, no 64812/01, § 50, 8 novembre 2005).

37. Par ailleurs, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, la Cour considère que le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention (voir, en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 40, 7 avril 2005).

38. La Cour rappelle que, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, elle a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, il s’agissait de cas où l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² (Samaras et autres c. Grèce, no 11463/09, § 71, 28 février 2012 ; Tzamalis et autres c. Grèce, no 15894/09, § 49, 4 décembre 2012 ; Kantyrev c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007 ; Andreï Frolov c. Russie, no 205/02, §§ 47-49, 29 mars 2007 ; Kadiķis c. Lettonie, no 62393/00, § 55, 4 mai 2006 ; Melnik c. Ukraine, no 72286/01, § 102, 28 mars 2006). En revanche, lorsque le manque d’espace n’était pas aussi flagrant, la Cour a pris en considération d’autres aspects concernant les conditions matérielles de détention pour apprécier la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention. Ainsi, même dans les cas où un requérant disposait dans une cellule d’un espace personnel plus important, compris entre 3 m² et 4 m², la Cour a néanmoins conclu à la violation de l’article 3 en prenant en compte l’exiguïté combinée avec, par exemple, l’absence établie de ventilation et d’éclairage appropriés (Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008 ; Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007 ; Trepachkine c. Russie, no 36898/03, § 94, 19 juillet 2007, et Torreggiani et autres c. Italie, nos 57875/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10, § 69, 8 janvier 2013).

39. En l’espèce et en ce qui concerne d’abord le grief relatif à la surpopulation, la Cour note que selon les informations fournies par le Gouvernement, le requérant était placé, depuis le 20 juin 2011, dans l’aile réservée à ceux qui travaillaient dans la prison, dans une chambrée de 221 m² avec 40 à 56 autres détenus et à côté de laquelle il y avait une salle d’eau d’une surface de 23,56 m² équipée de plusieurs douches, toilettes et lavabos. Par conséquent, l’espace personnel du requérant variait, selon les calculs faits par le Gouvernement lui-même, de 3,43 m² à 4,81 m² lorsque le nombre total des détenus variait entre 40 et 56. Or, cette version des faits et ce mode de calcul n’ont pas été contestés par le requérant. Aux termes de la jurisprudence de la Cour, un tel espace personnel ne saurait être constitutif, à lui seul, d’une violation de l’article 3 de la Convention (G.C. c. Italie, no 73869/10, § 81, 22 avril 2014).

40. Pour autant que le requérant se plaignait, comme les dix-huit autres requérants, du manque des produits de nettoyage, du manque d’eau chaude, d’aération et d’eau potable, du manque d’activités récréatives, du chauffage insuffisant pendant l’hiver et de la nourriture insuffisante, la Cour constate que l’intéressé n’a fourni aucun élément permettant de contester l’affirmation du Gouvernement selon laquelle la chambrée était dotée de cinq fenêtres, qu’elle était chauffée et que l’eau chaude était fournie de 19 h à 19 h 30 et de 20 h 30 à 21 h en hiver et de 12 h à 13 h et de 20 h à 21 h en été.

41. La Cour note, de surcroit, que le Gouvernement fournit des factures d’une société privée qui procédait à des désinfections des lieux dans la prison ainsi que des fiches indiquant le menu hebdomadaire des détenus. D’autre part, selon les affirmations du Gouvernement, les détenus pouvaient regarder la télévision ou pratiquer des sports et faire de l’exercice dans la cour de la prison ou dans la salle de sport (paragraphes 13-15 ci-dessus). Or, dans ses observations, le requérant ne répond à aucune de ces affirmations et, qui plus est, il ne précise pas comment il était personnellement affecté par les problèmes constatés par le CPT dans cette prison (paragraphe 20 ci-dessus). La simple référence à un arrêt antérieur de la Cour concernant la prison de Larissa et au rapport du CPT ne suffisent pas à réfuter les allégations précises du Gouvernement quant aux différentes aspects de la détention du requérant.

42. Dans ces conditions, la Cour estime que les conditions de détention du requérant ne sauraient être considérées comme contraires à l’article 3 de la Convention, notamment sous l’angle des effets de la surpopulation carcérale.

43. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de rayer la requête du rôle en application de l’article 39 de la Convention en ce qui concerne les requérants nos 4 à 18 ;

2. Dit que les sommes allouées aux requérants nos 4 à 18 seront versées directement sur le compte bancaire indiqué par leurs avocates ;

3. Déclare la requête recevable en ce qui concerne le requérant no 3, et irrecevable quant aux requérants nos1 et 2 ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne le requérant no 3.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 octobre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Søren NielsenAndrás Sajó
GreffierPrésident

ANNEXE

1)Dimitrios ATTALIDIS, de nationalité hellénique, né le 13 juin 1958

2)Leonidas ALVANOS, de nationalité hellénique, né le 7 septembre 1967

3)Baskim-Kristo RASHO-HALIJANI, de nationalité albanaise, né le 1er janvier 1969

4)Georgios KALAMIOTIS, de nationalité hellénique, né le 27 novembre 1981

5) Panagiotis VASILOPOULOS, de nationalité hellénique, né le 25 août 1987

6)Athanasios DIMITROPOULOS, de nationalité hellénique, né le 15 mars 1980

7)Taliat KADIROGLOU, de nationalité hellénique, né le 11 novembre 1970

8)Stavros KARACHALIOS, de nationalité hellénique, né le 15 décembre 1981

9)Gerasimos KORAKAS, de nationalité hellénique, né le 15 janvier 1965

10)Georgios LOULOURGAS, de nationalité hellénique, né le 27 septembre 1974

11) Christos LENTERIS, de nationalité hellénique, né le 1er janvier 1984

12) Nikolaos PARASKEVOPOULOS, de nationalité hellénique, né le 21 janvier 1952

13) Ferit-Dimitrios SERIFOGLOU, de nationalité hellénique, né le 1er avril 1973

14) Sozon CHALILOPOULOS, de nationalité hellénique, né 1er janvier 1990

15) Vasilios FRAGGOULIS, de nationalité hellénique, né le 7 août 1978

16) Aydin ALI OGLOU, de nationalité hellénique, né le 23 juillet 1972

17) Mihai-Bogdan CIUBOTARU, de nationalité roumaine, né le 13 septembre 1987

18) Sami MANDALAWY, de nationalité irakienne, né le 1er juillet 1958


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-158145
Date de la décision : 29/10/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Non-violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : KALAMIOTIS ET AUTRES
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : KOUTRA E.-L. ; MOISIDOU X.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award