CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE WINTERSTEIN ET AUTRES c. FRANCE
(Requête no 27013/07)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
28 avril 2016
DÉFINITIF
28/07/2016
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Winterstein et autres c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Angelika Nußberger, présidente,
Ganna Yudkivska,
Erik Møse,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 mars 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 27013/07) dirigée contre la République française et dont vingt-cinq ressortissants français, en leur nom et au nom de leurs enfants mineurs (« les requérants »), ont saisi la Cour le 13 juin 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Mes F. Poupardin et M.‑A . Soubré M’Barki, avocates à Pontoise. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, à laquelle a succédé M. F. Alabrune.
3. Par un arrêt du 17 octobre 2013 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’il y avait eu, pour l’ensemble des requérants, violation de l’article 8 de la Convention dans la mesure où ils n’avaient pas bénéficié, dans le cadre de la procédure d’expulsion des terrains qu’ils occupaient dans le bois du Trou-Poulet à Herblay, d’un examen de la proportionnalité de l’ingérence conforme aux exigences de cet article. En outre, elle a jugé qu’il y avait également eu violation de l’article 8 pour ceux des requérants qui avaient demandé un relogement sur des terrains familiaux, en raison de l’absence de prise en compte suffisante de leurs besoins.
4. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, les requérants réclamaient diverses sommes en réparation de leur préjudice matériel et moral, ainsi que le remboursement des frais exposés devant la Cour.
5. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt serait devenu définitif, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 190, et point 4 du dispositif).
6. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations.
7. Le 20 mars 2014, le Mouvement ATD Quart Monde, qui était requérant dans l’arrêt au principal, a informé la Cour que Rosita Ricono était décédée le 9 mars 2013, laissant comme héritiers ses enfants Sony et Brenda Winterstein, nés en 1993 et 1999 de son union avec Jessy Winterstein (également requérant en son nom et en leur nom), ainsi que Manzon Ricono, né en 2007 de son union avec Francis Dorkel (non requérant). Le 16 décembre 2015, Sony et Brenda Winterstein ont exprimé le souhait de poursuivre la requête au nom de leur mère.
EN FAIT
I. LES FAITS INTERVENUS APRÈS L’ARRÊT AU PRINCIPAL
8. Dans l’arrêt au principal (§ 40), la Cour a distingué trois groupes de de requérants : les familles relogées en logement social, les familles restées ou revenues à Herblay et celles ayant quitté la région. Selon les dernières informations dont dispose la Cour, la situation de certains des requérants a évolué de la façon suivante :
- Martine Payen, qui était restée au bois du Trou-Poulet, a accepté un logement social dans les Deux-Sèvres pour se rapprocher de sa fille ;
- Mario Guitton vit actuellement avec Stella Huet et leurs enfants au bois du Trou-Poulet auprès de ses parents, Germain Guitton et Michèle Périoche ;
- Steeve Lefevre, Graziella Avisse et leur enfant vivent auprès de membres de leur famille sur un terrain à Saint-Ouen l’Aumône pour lequel ils n’ont pas de titre ;
- Pierre Mouche vit sur une aire d’accueil à Gargenville, auprès de sa fille Vanessa Ricono, du fils de celle-ci et d’autres membres de leur famille ;
- Franck Mouche, fils de Pierre Mouche, a vécu sur des aires d’accueil et parkings de zone commerciale, parfois aux côtés de son père. Son adresse actuelle n’est pas connue ;
- Philippe Lefèvre, avec sa compagne (non requérante) et leur enfant, n’a pas d’hébergement fixe et fait le va-et-vient entre ses beaux-parents dans la Mayenne et le Val d’Oise ;
- Jessy Winterstein est hébergé chez des proches à divers endroits (Argenteuil, Evreux, Herblay et Méry-sur Oise). Quant à Sony et Brenda, les enfants qu’il a eus avec Rosita Ricono, décédée le 9 mars 2013, le premier, en couple, est hébergé par la famille de sa compagne et la seconde vit, soit avec son père, soit avec ses tantes ;
- Gypsy Debarre a été hébergée avec trois de ses enfants chez un oncle en Haute-Savoie, puis s’est vu proposer un hébergement provisoire chez des proches à Grenoble ; son ex-compagnon, Paul Mouche, n’a pas d’hébergement fixe. Leur adresse actuelle n’est pas connue.
II. L’EVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE INTERNE
9. Après l’adoption de l’arrêt au principal, plusieurs décisions ont tiré les conséquences du constat de violation qu’il comporte relativement à l’absence de prise en compte par les juges internes de la proportionnalité de l’ingérence dans les droits que les requérants tirent de l’article 8 de la Convention (§§ 155-158).
10. Ainsi, par deux ordonnances des 24 janvier et 2 juillet 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny a rejeté les demandes formées respectivement par une société privée et par la commune de Bobigny, visant l’expulsion de campements de Roms installés illégalement sur des terrains leur appartenant. S’appuyant notamment sur l’article 8 de la Convention et sur les arrêts rendus par la Cour dans la présente affaire et dans l’affaire Yordanova et autres c. Bulgarie (no 25446/06, 24 avril 2012), le juge s’est livré à un examen de la proportionnalité des mesures d’expulsion demandées qui l’a conduit à mettre en balance, d’un côté, le droit de propriété des demandeurs et, de l’autre, le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des défendeurs, pour faire prévaloir ce dernier. Il a notamment tenu compte de l’ancienneté et de la stabilité de l’installation, de l’intérêt supérieur des nombreux enfants scolarisés et de l’absence de mesures de relogement.
11. Dans un arrêt du 22 janvier 2015, la cour d’appel de Paris, tout en confirmant une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris qui avait ordonné l’expulsion d’un campement de Roms d’un terrain appartenant à la ville de Paris, a néanmoins jugé qu’il lui appartenait d’apprécier la proportionnalité de cette mesure « à l’aune de leur droit au respect de leur vie privée et familiale, de leur droit à la dignité et de leur droit au logement, qui sont de valeur égale au droit de propriété de la ville de Paris ». En l’espèce, la cour d’appel a estimé que l’expulsion n’était pas disproportionnée mais a accordé aux occupants un délai de six mois pour permettre aux services de l’État de procéder au diagnostic et à l’accompagnement prévus par la circulaire interministérielle du 26 août 2012 relative aux modalités des opérations d’évacuation des campements illicites.
12. Enfin, le 17 décembre 2015, la Cour de cassation (3e chambre civile) a, au visa de l’article 8 de la Convention, cassé un arrêt de la cour d’appel de Versailles qui, dans une affaire opposant à la commune de Herblay la propriétaire d’un terrain sur lequel avaient été installés des cabanons et caravanes qu’elle occupait avec sa famille, avait fait droit à la demande en référé de la commune visant leur enlèvement pour non‑conformité aux règles d’urbanisme. La cour d’appel avait retenu que ni l’article 8, ni le droit au logement ne pouvaient faire obstacle au respect des règles d’urbanisme, ni faire disparaître le trouble résultant de leur violation ou effacer son caractère manifestement illicite.
13. La Cour de cassation s’est exprimée ainsi :
« (...) en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit à la vie privée et familiale et du domicile [des intéressés], la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
En conséquence, la Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Versailles autrement composée.
EN DROIT
I. SUR LA QUALITE POUR AGIR DE SONY ET BRENDA WINTERSTEIN
14. La Cour constate que Sony et Brenda Winterstein, héritiers de Rosita Ricono, ont manifesté leur souhait de poursuivre la requête au nom de leur mère et leur reconnaît qualité pour se substituer désormais à elle. Le présent arrêt continuera à désigner Rosita Ricono comme requérante, bien qu’il faille désormais attribuer cette qualité à ses héritiers (voir notamment Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 1, CEDH 1999‑VI et Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000‑XII).
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
15. La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation, l’État défendeur a l’obligation, en vertu de l’article 46 de la Convention non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41, mais aussi de prendre des mesures individuelles et/ou, le cas échéant, générales dans son ordre juridique interne, afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer les conséquences, l’objectif étant de placer le requérant, autant que possible, dans une situation équivalente à celle dans laquelle il se serait trouvé s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 138, CEDH 2013 et la jurisprudence citée).
16. Si l’État défendeur reste libre en principe, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 46 § 1 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour, cette dernière peut, dans certaines situations particulières et pour aider l’État défendeur à remplir lesdites obligations, indiquer le type de mesures, qui pourraient être prises pour mettre un terme à la situation ayant donné lieu à un constat de violation (Del Río Prada, précité, § 139 et la jurisprudence citée).
17. La Cour estime que tel est le cas en l’espèce. Elle rappelle, que, dans l’arrêt au fond, elle a conclu (§ 167) qu’il y avait eu, en ce qui concernait l’ensemble des requérants, violation de l’article 8 de la Convention dans la mesure où ils n’avaient pas bénéficié, dans le cadre de la procédure d’expulsion, d’un examen de la proportionnalité de l’ingérence conforme aux exigences de cet article. En outre, elle a conclu qu’il y avait également eu violation de l’article 8, pour ceux des requérants qui avaient demandé un relogement sur des terrains familiaux, en raison de l’absence de prise en compte suffisante de leurs besoins.
18. La Cour se félicite de l’évolution de la jurisprudence interne depuis l’adoption de l’arrêt au principal, ce dont témoigne en particulier l’arrêt rendu par la Cour de la cassation le 17 décembre 2015 (paragraphes 9‑13 ci‑dessus). Elle observe toutefois que l’arrêt de la cour d’appel du 13 octobre 2005 peut être exécuté à tout moment et que l’astreinte continue à courir à l’égard des requérants qui sont restés dans le bois du Trou-Poulet (paragraphe 113 de l’arrêt au principal). Le droit français ne permettant toujours pas, en matière civile, de rouvrir une procédure à la suite d’un arrêt constatant une violation de la Convention, la Cour considère que l’exécution de l’arrêt au principal implique en premier lieu que les autorités s’engagent à ne pas prendre de mesures en vue de l’exécution forcée de l’arrêt du 13 octobre 2005 précité (voir mutatis mutandis Yordanova et autres c. Bulgarie, no 25446/06, § 167, 24 avril 2012).
19. La Cour estime en outre que l’exécution de l’arrêt au principal implique que tous les requérants qui n’ont pas encore été relogés puissent, compte tenu de leur vulnérabilité et de leurs besoins spécifiques, être accompagnés en vue de leur accès à un hébergement, sur un terrain familial ou en logement social selon leurs souhaits, et bénéficient, dans cette attente, d’un hébergement durable sans risque d’expulsion.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
20. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
1. Dommage matériel
a) Arguments des parties
i) Les requérants
21. Plusieurs des requérants qui ont quitté le bois du Trou-Poulet font valoir qu’ils ont dû abandonner leurs chalets ou caravanes ainsi que les biens qu’ils contenaient et sollicitent l’indemnisation de leur préjudice matériel. Catherine Herbrecht réclame à ce titre 600 euros (EUR), Pierre Mouche, Rosita Ricono, Paul Mouche et Gypsy Debarre 2 000 EUR, Thierry Lefèvre et Sophie Clairsin, Patrick Lefèvre et Sylviane Huygue‑Bessin 3 000 EUR et Solange Lefèvre 5 000 EUR. Les couples composés de Thierry Lefèvre et Sophie Clairsin et Patrick Lefèvre et Sylviane Huygue‑Bessin précisent que la somme de 3 000 EUR qu’ils sollicitent comprend une part correspondant à l’investissement qu’ils ont fait en achetant le terrain sur lequel ils sont installés (§ 40 de l’arrêt au principal).
ii) Le Gouvernement
22. Le Gouvernement souligne qu’aucune pièce n’est produite pour attester de la réalité des pertes alléguées ni de leur montant. Il propose les sommes suivantes : 300 EUR pour Catherine Herbrecht, 1 000 EUR chacun pour Pierre Mouche, Rosita Ricono, Paul Mouche et Gypsy Debarre, 1 500 EUR pour chacun des couples composé de Thierry Lefèvre et Sophie Clairsin et Patrick Lefèvre et Sylviane Huygue‑Bessin et 2 500 EUR pour Solange Lefèvre.
b) Appréciation de la Cour
23. S’agissant de la demande au titre du préjudice matériel, la Cour rappelle qu’il doit y avoir un lien de causalité entre le dommage allégué par les requérants et la violation de la Convention (voir parmi d’autres Kurić et autres c. Slovénie (satisfaction équitable) [GC], no 26828/06, § 81, CEDH 2014). Pour déterminer en pareil cas le niveau de la satisfaction équitable qu’il est nécessaire d’allouer à chaque requérant pour ses pertes matérielles, la Cour jouit en la matière d’un pouvoir d’appréciation dont elle use en fonction de ce qu’elle estime équitable (ibidem, § 82 et la jurisprudence citée).
24. En l’espèce, la violation de l’article 8 constatée par la Cour tient au fait que les juridictions internes ont ordonné l’expulsion sous astreinte des requérants, sans avoir analysé la proportionnalité de cette mesure (§§ 156‑158 de l’arrêt au principal). Même si l’on ne peut spéculer sur ce qu’aurait été l’issue de la procédure dans le cas contraire, la Cour estime néanmoins probable, comme le montrent les décision intervenues depuis l’adoption de l’arrêt au principal (paragraphes 9-13 ci-dessus), qu’au vu de l’ancienneté et de la stabilité de l’installation des requérants et de la longue tolérance de la commune, de l’intérêt supérieur des nombreux enfants scolarisés et de l’absence de mesures de relogement pour la plupart d’entre eux, la mesure d’expulsion aurait été, soit rejetée, soit assortie de délais et garanties leur permettant de préparer dans de meilleures conditions leur départ.
25. Or il ressort du dossier que les requérants qui sont partis dans l’urgence à la suite de la procédure d’expulsion ont dû abandonner, soit leur caravane, soit les chalets ou bungalows qu’ils avaient construits (qui ont été immédiatement détruits par les autorités communales) avec les effets personnels qu’ils contenaient. La Cour estime donc que cet aspect du préjudice matériel qu’ils ont subi est en lien avec la violation constatée et qu’il y a lieu de l’indemniser. En revanche, la somme réclamée par Thierry Lefèvre et Sophie Clairsin, Patrick Lefèvre et Sylviane Huygue-Bessin au titre de l’investissement sur le terrain qu’ils occupent ne peut être prise en compte à ce titre et la somme sollicitée sera réduite en conséquence.
26. Compte tenu de la difficulté de chiffrer précisément les pertes subies par les requérants et des éléments dont elle dispose, la Cour décide de leur allouer les montants suivants : 600 EUR à Catherine Herbrecht, 2 000 EUR chacun à Pierre Mouche, Rosita Ricono, Paul Mouche et Gypsy Debarre, 2 000 EUR à chacun des couples composés de Thierry Lefèvre et Sophie Clairsin et Patrick Lefèvre et Sylviane Huygue‑Bessin et 3 000 EUR à Solange Lefèvre.
2. Préjudice moral
27. Au titre du préjudice moral, ceux des requérants qui sont restés au bois du Trou-Poulet (Laetitia Winterstein, Germain Guiton, Michelle Perioche ainsi que Mario Guiton et Stella Huet) sollicitent 7 500 EUR ; les autres requérants réclament des sommes allant de 15 000 EUR (Martine Payen, Thierry Lefèvre et Sophie Clairsin, Patrick Lefèvre et Sylviane Huygue‑Bessin, Catherine Herbrecht, Catherine Lefèvre, Sabrina Lefèvre, Solange Lefèvre et Sandrine Plumerez) à 20 000 EUR (Pierre Mouche, Paul Mouche, Franck Mouche, Gypsy Debarre, Steeve Lefèvre et Graziella Avisse, Jessy Winterstein, Rosita Ricono, Philippe Lefèvre et Vanessa Ricono).
28. Se référant à l’arrêt au fond, le Gouvernement fait valoir que le préjudice moral dont peuvent se prévaloir les requérants est différent selon qu’ils ont souffert uniquement des effets de l’absence d’examen de la proportionnalité de la mesure d’expulsion ou qu’ils ont également souffert de l’absence de relogement sur des terrains familiaux. Le Gouvernement observe que Solange Lefèvre, Catherine Lefèvre, Sabrina Lefèvre, Sandrine Plumerez et Martine Payen ont été logées en logements sociaux et estime que la somme de 3 000 EUR serait de nature à indemniser leur préjudice moral. Il propose un montant de 7 000 EUR pour les autres requérants.
29. La Cour constate que les requérants se divisent en trois groupes pour la présentation de leurs demandes : un premier groupe de requérants (ceux qui sont restés au bois du Trou-Poulet, à savoir Laetitia Winterstein, Germain Guiton, Michelle Perioche ainsi que Mario Guiton et Stella Huet) limitent à 7 500 EUR leurs prétentions au titre du préjudice moral. Liée par ces demandes, la Cour y fait droit dans leur intégralité.
Le deuxième groupe de requérants, qui ont été relogés en logements sociaux ou ont trouvé une installation relativement stable (à savoir Martine Payen, Thierry Lefèvre et Sophie Clairsin, Patrick Lefèvre et Sylviane Huygue‑Bessin, Catherine Herbrecht, Catherine Lefèvre, Sabrina Lefèvre, Solange Lefèvre et Sandrine Plumerez) sollicitent pour leur part 15 000 EUR et le troisième groupe, correspondant à ceux qui n’ont pas d’hébergement fixe (Pierre Mouche, Paul Mouche, Franck Mouche, Gypsy Debarre, Steeve Lefèvre et Graziella Avisse, Jessy Winterstein, Rosita Ricono, Philippe Lefèvre et Vanessa Ricono) 20 000 EUR. La Cour estime que ces sommes correspondent au préjudice subi par les requérants et décide de les leur accorder.
B. Frais et dépens
30. Les requérants demandent conjointement 12 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, se décomposant comme suit : 5 000 EUR en remboursement des honoraires de leurs avocats (dont ils justifient par des notes d’honoraires), 2 500 EUR au titre de frais divers de déplacement et de transport et 2 500 EUR au titre du travail d’actualisation depuis le 17 octobre 2013 (date de l’arrêt au fond).
31. Le Gouvernement note qu’à part les justificatifs des honoraires d’avocats, aucune pièce justificative n’est produite. Il propose d’allouer aux requérants une somme globale de 5 000 EUR.
32. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des justificatifs en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’accorder conjointement aux requérants la somme de 5 000 EUR pour la procédure devant elle.
C. Intérêts moratoires
33. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. pour dommage matériel
- 600 EUR (six cents euros) à Catherine Herbrecht,
- 2 000 EUR (deux mille euros) chacun à Pierre Mouche, Rosita Ricono (à répartir entre ses enfants Sony et Brenda Winterstein et Manzon Ricono), Paul Mouche et Gypsy Debarre,
- 2 000 EUR (deux mille euros) à chacun des couples composés de Thierry Lefèvre et Sophie Clairsin et Patrick Lefèvre et Sylviane Huygue‑Bessin,
- 3 000 EUR (trois mille euros) à Solange Lefèvre,
plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
ii. pour dommage moral
- 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros) chacun à Laetitia Winterstein, Germain Guiton et Michelle Perioche,
- 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros) conjointement à Mario Guiton et Stella Huet,
- 15 000 EUR (quinze mille euros) chacune à Martine Payen, Catherine Herbrecht, Catherine Lefèvre, Sabrina Lefèvre, Solange Lefèvre et Sandrine Plumerez,
- 15 000 EUR (quinze mille euros) à chacun des couples composé de Thierry Lefèvre et Sophie Clairsin et Patrick Lefèvre et Sylviane Huygue‑Bessin,
- 20 000 EUR (vingt mille euros) chacun à Pierre Mouche, Paul Mouche, Franck Mouche, Gypsy Debarre, Jessy Winterstein, Rosita Ricono (à répartir entre ses enfants Sony et Brenda Winterstein et Manzon Ricono), Philippe Lefèvre et Vanessa Ricono,
- 20 000 EUR (vingt mille euros) conjointement à Steeve Lefèvre et Graziella Avisse,
plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
iii. pour frais et dépens, 5 000 EUR (cinq mille euros) conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt,
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 avril 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente
ANNEXE
Les requérants
|
Nom
|
Date de naissance
|
|
Date d’installation
---|---|---|---|---
1
|
Mme Laëtitia Winterstein
|
1974
|
en son nom et en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs Salomé Winterstein, née en 1992, Cheyenne François, née en 1996, Cydelle François, née en 1999, Naomie François, née en 2001 et Chico François, né en 2005
|
1984
2
|
M. Jessy Winterstein
|
1973
|
en son nom et en sa qualité de représentant légal de ses enfants mineurs Sony Winterstein, né en 1993, et Brenda Winterstein, née en 1999
|
1982
3
|
Mme Rosita Ricono (décédée en 2013)
|
1976
|
|
1982
4
|
Mme Solange Lefèvre
|
1948
|
|
1967
5
|
M. Philippe Lefèvre
|
1988
|
|
6
|
Mme Catherine Lefèvre
|
1964
|
en son nom et en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs Mallaury Lefèvre, née en 1995, Davis Lefèvre, né en 2001 et Angie Lefèvre, née en 2003
|
1967
7
|
Mme Sabrina Lefèvre
|
1988
|
fille de Mme Catherine Lefèvre, en son nom et en sa qualité de représentante légale de son enfant mineur, Shawn Lefèvre, né en 2003
|
8
|
M. Steeve Lefèvre et Mme Graziella Avisse
|
1985
1984
|
|
9
|
M. Thierry Lefèvre et Mme Sophie Clairsin
|
1980
1981
|
en leur nom et en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs, Océane Debouis, née en 2000, Preston Clairsin, né en 2005 et Tyron Lefèvre, né en 2006
|
10
|
M. Patrick Lefèvre et
Mme Sylviane Huygue-Bessin
|
1970
1973
|
en leur nom et en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs, Jennifer Lefèvre, née en 1990, Laura Lefèvre, née en 1993, Stessy Lefèvre, née en 1995, Maelis Lefèvre, née en 2001, Jason Lefèvre, né en 2003 et Maïna Lefèvre, née en 2006
|
1970
11
|
Mme Vanessa Ricono
|
1988
|
fille de M. Pierre Mouche
|
12
|
Mme Michèle Perioche
|
1956
|
|
1990
13
|
Mme Sandrine Plumerez
|
1975
|
en son nom et en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs, Pamela Alison Plumerez, née en 1996, Dawson Emile Plumerez, né en 2003 et Kenny Steeve Plumerez, né en 2004
|
1993
14
|
M. Germain Guiton
|
1950
|
|
1990
15
|
M. Mario Guiton
Mme Stella Huet
|
1978
1976
|
en leur nom et en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs, Douglas Guiton, né en 2000 et Shelley Guiton, née en 2005
|
1990
16
|
Mme Martine Payen
|
1956
|
|
1980
17
|
Mme Catherine Herbrecht
|
1975
|
en son nom et en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs, Genissa Mouche, née en 1994, Mandy Mouche, née en 1996 et Chelsy Herbrecht, née en 2004
|
1993
18
|
M. Paul Mouche et
Mme Gypsy Debarre
|
1971
1974
|
en leur nom et en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs, Kelly Debarre, née en 1991, Gypsy-Falon Debarre, née en 1992, Dylan Debarre, né en 1995, Prosper Dujardin, né en 1999, Jordan Dujardin, né en 2000, et Kency Mouche, née le 29 novembre 2005
|
1998
19
|
M. Pierre Mouche
|
1950
|
|
1982
20
|
M. Frank Mouche
|
1974
|
|
1980