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09/06/2016 | CEDH | N°001-163436

CEDH | CEDH, AFFAIRE CHAPIN ET CHARPENTIER c. FRANCE, 2016, 001-163436


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE CHAPIN ET CHARPENTIER c. FRANCE

(Requête no 40183/07)

ARRÊT

STRASBOURG

9 juin 2016

DÉFINITIF

09/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Chapin et Charpentier c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Erik Møse,
André Potocki,
F

aris Vehabović,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil l...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE CHAPIN ET CHARPENTIER c. FRANCE

(Requête no 40183/07)

ARRÊT

STRASBOURG

9 juin 2016

DÉFINITIF

09/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Chapin et Charpentier c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Erik Møse,
André Potocki,
Faris Vehabović,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 mai 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 40183/07) dirigée contre la République française et dont deux ressortissants de cet État, MM. Stéphane Chapin et Bertrand Charpentier (« les requérants »), ont saisi la Cour le 6 septembre 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me C. Mécary, avocate à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, à laquelle a succédé M. F. Alabrune.

3. Les requérants allèguent en particulier la violation de l’article 14 combiné avec les articles 8 et 12 de la Convention en raison de l’annulation de leur mariage.

4. Le 7 avril 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement. Les parties ont soumis des observations sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

5. Le 31 août 2010, la chambre a décidé d’ajourner sa décision sur la tenue d’une audience dans l’attente de l’arrêt dans l’affaire Schalk et Kopf c. Autriche (no 30141/04, CEDH 2010).

6. Le 8 avril 2011, le président de la chambre a décidé, comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond. Les parties ont soumis des observations complémentaires.

7. Le 24 octobre 2012, le président a décidé d’ajourner l’examen de la requête dans l’attente de l’adoption du projet de loi permettant le mariage entre personnes de même sexe.

8. À la suite de la promulgation de la loi du 17 mai 2013 « ouvrant le mariage aux couples de même sexe », les parties ont présenté de nouvelles observations complémentaires.

9. Des observations communes ont également été reçues de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme), de la CIJ (Commission internationale des juristes) de l’AIRE Centre (Advice on Individual Rights in Europe) et de ILGA-Europe (European Region of the International Lesbian and Gay Association), représentés par M. R. Wintermute, que le président avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite en tant que tierces parties (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 a) du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

10. Les requérants sont nés respectivement en 1970 et 1973 et résident à Plassac (Gironde).

11. En mai 2004, les requérants déposèrent un dossier de demande de mariage auprès des services de l’état civil de la mairie de Bègles (Gironde). Le 25 mai 2004, l’officier d’état civil de la mairie publia les bans du mariage.

12. Par actes d’huissier délivrés respectivement les 27 mai et 3 juin 2004, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux fit notifier son opposition au mariage à l’officier d’état civil de la commune de Bègles ainsi qu’aux requérants.

13. Le 5 juin 2004, malgré cette opposition, le maire de Bègles, en sa qualité officier d’état civil, célébra le mariage des requérants et le transcrivit sur les registres de l’état civil.

14. Le 22 juin 2004, le procureur de la République fit assigner à jour fixe les requérants devant le tribunal de grande instance de Bordeaux en vue de voir prononcer la nullité du mariage.

15. Par jugement du 27 juillet 2004, le tribunal fit droit à cette demande. Il constata que selon le droit français la différence des sexes était une condition du mariage, estima que cette condition ne constituait pas une atteinte aux articles 12, 8 et 14 de la Convention tels qu’interprétés par la Cour et conclut que, si l’évolution des mœurs ou le respect d’un principe d’égalité pouvait conduire à une redéfinition du mariage, cette question devait faire l’objet d’un débat et nécessitait l’intervention du législateur. En conséquence, le tribunal annula le mariage des requérants et ordonna la transcription du jugement en marge de leurs actes de naissance et de l’acte de mariage.

16. Par arrêt du 19 avril 2005, la cour d’appel de Bordeaux confirma le jugement. Elle constata en premier lieu, comme le tribunal, qu’en droit français la différence de sexe était une condition de l’existence du mariage. Examinant ensuite cette condition au regard des articles 12, 8 et 14 de la Convention, la cour d’appel releva tout d’abord que la législation française permettait, notamment au travers du concubinage et du pacte civil de solidarité, ouverts aux personnes de même sexe ou de sexe différent, « de multiples possibilités de vie en couple, avec ou sans enfant, la loi assurant une égale protection pour tous, avec jurisprudence adaptée, droits égaux pour les enfants », si bien qu’elle ne découvrait « aucune discrimination dans le droit de fonder un couple, de vivre en couple, de même sexe ou de sexe différent, ni de fonder une famille librement choisie naturelle ou légitime, avec possibilité d’adoption. »

17. La cour d’appel ajouta ce qui suit :

« La spécificité, et non pas discrimination, provient de ce que la nature n’a rendu potentiellement féconds que les couples de sexe différent et que le législateur (...) a désiré prendre en compte cette réalité biologique et « déterminer ses formes » en englobant le couple et sa conséquence prévisible, les enfants communs, dans une institution spécifique appelé mariage, choix législatif maintenu dans le temps (...)

Tous les couples de sexe différent, ainsi concernés par une éventualité de filiation commune, sont traités à égalité puisqu’ils ont libre choix et libre accès au mariage. Certes, les couples de même sexe, et que la nature n’a pas créés potentiellement féconds, ne sont en conséquence pas concernés par cette institution. En cela leur traitement juridique est différent, parce que leur situation n’est pas analogue.

Mais ils disposent par ailleurs du droit de voir reconnaître leur union dans les mêmes conditions que tous les couples de sexe différent ne désirant pas se marier, si bien que la distinction résultant de cette spécificité est objectivement fondée, justifiée par un but légitime et respecte un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens utilisés et le but visé. »

18. Enfin, la cour d’appel examina les conséquences prévisibles – notamment sur plusieurs dispositions du code civil – de l’infirmation éventuelle du jugement, qui aboutirait, sans préparation législative, à un « bouleversement des principes » régissant les règles de la filiation et estima, comme le tribunal, qu’il ne lui appartenait pas de trancher un problème de société qui ne pouvait que faire l’objet d’un débat politique et d’une intervention du législateur.

19. Les requérants se pourvurent en cassation. Dans leur mémoire ampliatif, ils invoquèrent les articles 8, 12 et 14 de la Convention et se fondèrent sur la jurisprudence pertinente de la Cour.

20. Par arrêt du 13 mars 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, en relevant notamment que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme » et que ce principe n’était contredit par aucune des dispositions de la Convention et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont elle souligna qu’elle n’avait pas en France de force obligatoire.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

21. À l’époque des faits, l’article 144 du code civil était ainsi rédigé :

« L’homme avant dix-huit ans révolus, la femme avant quinze ans révolus, ne peuvent contracter mariage. »

22. Par ailleurs, l’article 75 du même code, relatif à la célébration du mariage, disposait en son dernier paragraphe que l’officier d’état civil devait recevoir de chaque partie « la déclaration qu’elles veulent se prendre pour mari et femme. »

23. Saisi le 16 novembre 2010 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur ces dispositions du code civil, le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution par décision du 28 janvier 2011. Il a notamment considéré que le droit de mener une vie familiale normale n’impliquait pas le droit de se marier pour les couples de même sexe, qu’en maintenant le principe selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, le législateur avait estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme pouvait justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille et qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur.

24. Après l’adoption de la loi no 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, le nouvel article 143 du code civil se lit ainsi : « Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe. »

25. Aux termes de l’article 515-1 du code civil, le pacte civil de solidarité (Pacs), institué par la loi du 15 novembre 1999, est « un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune. » Le Pacs implique pour les partenaires un certain nombre d’obligations, dont celles de maintenir une vie commune et de s’apporter une aide matérielle et une assistance réciproques.

Le Pacs confère également aux partenaires certains droits en matière fiscale, patrimoniale et sociale. Les partenaires forment ainsi un seul foyer fiscal ; ils sont par ailleurs assimilés aux conjoints mariés pour l’exercice de certains droits, spécialement au titre de l’assurance maladie et maternité et de l’assurance décès. Certains effets propres au mariage restent inapplicables aux partenaires du Pacs, la loi notamment ne créant pas de lien d’alliance ou de vocation héréditaire entre partenaires. En particulier, la dissolution du Pacs échappe aux procédures judiciaires de divorce et peut intervenir sur simple déclaration conjointe des partenaires ou décision unilatérale de l’un d’eux signifiée à son cocontractant (article 515-7 du code civil). De plus, le Pacs n’a aucune incidence sur les dispositions du code civil relatives à la filiation adoptive et à l’autorité parentale (Gas et Dubois c. France, no 25951/07, § 24, CEDH 2012).

26. Quant au concubinage, il est défini par l’article 515-8 du même code comme « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple. »

27. Un exposé du droit comparé en la matière, ainsi que des textes pertinents du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, se trouve dans l’arrêt Oliari et autres c. Italie (nos 18766/11 et 36030/11, §§ 53-64, 21 juillet 2015).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 12 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

28. Les requérants estiment que le fait de limiter le mariage aux personnes de sexe différent porte une atteinte discriminatoire au droit de se marier. Ils invoquent les articles 12 et 14 combinés de la Convention, qui se lisent ainsi :

Article 12

« A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

29. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

30. Dans ses observations initiales, le Gouvernement a soulevé l’incompatibilité ratione materiae de ce grief avec les dispositions de la Convention.

31. La Cour rappelle que, dans l’arrêt Schalk et Kopf c. Autriche (no 30141/04, § 61, CEDH 2010) elle a admis, en se référant notamment à l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, que l’article 12 s’appliquait au grief des requérants (voir également Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, § 110, CEDH 2014 et Oliari et autres précité, § 191). Elle ne voit aucune raison de conclure différemment dans la présente affaire.

32. Dès lors, l’exception du Gouvernement doit être rejetée. La Cour constate en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties et des tierces parties

a) Les parties

33. Les requérants estiment avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur leur orientation sexuelle pour leur interdire le bénéfice du droit au mariage garanti par l’article 12. Ils font valoir que, s’ils avaient eu une orientation hétérosexuelle, ils auraient eu accès à trois régimes de protection du couple (le concubinage, le Pacs et le mariage) et soulignent que la protection juridique offerte par le Pacs est inférieure à celle du mariage. Ils considèrent que cette discrimination ne vise aucun but légitime (et qu’en particulier la protection de l’équilibre juridique relatif à la famille et à la filiation, citée par le Gouvernement ne constitue pas un tel but) et qu’elle n’est pas proportionnée.

34. S’appuyant sur l’arrêt Schalk et Kopf précité, et sur l’affirmation qu’y fait la Cour que « l’article 12 n’impose pas au gouvernement défendeur l’obligation d’ouvrir le mariage à un couple homosexuel tel que celui des requérants », le Gouvernement en déduit que les requérants ne peuvent se prévaloir d’une quelconque discrimination à leur encontre du fait que la législation française réserve le mariage aux couples constitués d’un homme et d’une femme. Dans ses dernières observations, il souligne qu’à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 17 mai 2013, les requérants peuvent désormais conclure un mariage conformément aux lois de la République.

b) Les tierces parties

35. Les quatre organisations tiers-intervenantes ont fait parvenir des observations identiques à celles qu’elles ont déposées dans l’affaire Schalk et Kopf précitée (§§ 47-48).

2. Appréciation de la Cour

36. Dans l’arrêt Schalk et Kopf (§§ 58-63), la Cour a dit que, si l’institution du mariage avait été profondément bouleversée par l’évolution de la société depuis l’adoption de la Convention, il n’existait pas de consensus européen sur la question du mariage homosexuel. Elle a considéré que l’article 12 de la Convention s’appliquait au grief des requérants, mais que l’autorisation ou l’interdiction du mariage homosexuel était régie par les lois nationales des États contractants. Elle a retenu que le mariage possédait des connotations sociales et culturelles profondément enracinées susceptibles de différer notablement d’une société à une autre et rappelé qu’elle ne devait pas se hâter de substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales, mieux placées pour apprécier les besoins de la société et y répondre. Elle a donc conclu que l’article 12 n’imposait pas au gouvernement défendeur l’obligation d’ouvrir le mariage à un couple homosexuel tel que celui des requérants (voir également Gas et Dubois c. France, no 25951/07, § 66 CEDH 2012).

37. La Cour a réitéré cette conclusion dans les récents arrêts Hämäläinen et Oliari et autres précités. Dans l’arrêt Hämäläinen (§ 96), elle a rappelé que l’article 12 consacrait le concept traditionnel du mariage, à savoir l’union d’un homme et d’une femme et que, s’il était vrai qu’un certain nombre d’États membres avaient ouvert le mariage aux partenaires de même sexe, cet article ne pouvait être compris comme imposant pareille obligation aux États contractants.

38. Dans l’arrêt Oliari et autres (§§ 192-194), elle a affirmé que ces conclusions restaient valables malgré l’évolution graduelle des États en la matière, onze États membres du Conseil de l’Europe autorisant désormais le mariage entre personnes de même sexe. Elle a rappelé avoir dit dans l’arrêt Schalk and Kopf que, pas plus que l’article 12, l’article 14 combiné avec l’article 8, dont le but et la portée sont plus généraux, ne pouvait s’interpréter comme imposant aux États contractants l’obligation d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels. Elle en a déduit que la même approche était valable pour l’article 12 combiné avec l’article 14 et a rejeté ce grief comme étant manifestement mal fondé (§ 194).

39. La Cour ne voit aucune raison d’arriver à une conclusion différente dans la présente affaire, vu le bref laps de temps écoulé depuis les arrêts qu’elle a rendus dans les affaires Hämäläinen et Oliari et autres. Elle note au surplus que, depuis l’introduction de la requête, la loi du 17 mai 2013 a ouvert le mariage aux couples homosexuels (paragraphe 24 ci-dessus) et que les requérants sont désormais libres de se marier.

40. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, violation de l’article 12 combiné avec l’article 14 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

41. Les requérants estiment avoir été victimes, dans l’exercice de leur droit au respect de leur vie privée et familiale, d’une discrimination fondée sur leur orientation sexuelle. Ils invoquent l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention. L’article 8 est ainsi rédigé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

42. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

43. Dans ses observations initiales, le Gouvernement a soulevé l’incompatibilité ratione materiae de ce grief avec les dispositions de la Convention.

44. Au vu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime établi que les faits de la cause entrent dans le champ d’application de la notion de « vie privée » ainsi que de celle de « vie familiale » au sens de l’article 8 et que, dès lors, l’article 14 combiné avec l’article 8 trouve à s’appliquer (Schalk et Kopf précité, § 95, Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 71, CEDH 2013 (extraits) et Oliari et autres précité, § 103). Il y a donc lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

La Cour constate en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties et des tierces parties

a) Les parties

45. Les requérants estiment faire l’objet d’une discrimination fondée sur leur orientation sexuelle dans la mesure où le mariage ne leur est pas ouvert. Ils admettent avoir accès au Pacs, mais font valoir que la protection juridique qu’il offre est largement inférieure à celle résultant du mariage. Ils énumèrent les différences entre les deux régimes, notamment en matière de droit au séjour, de nationalité, de pension de réversion ou de régime des biens acquis durant l’union. Ils estiment que la différence de traitement qu’ils ont subie n’a aucun but légitime et n’est pas proportionnée.

46. Le Gouvernement cite l’arrêt Schalk et Kopf (§ 101), dans lequel la Cour a conclu que l’article 14 combiné avec l’article 8 ne pouvait être compris comme imposant aux États contractants l’obligation d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels. Il fait valoir par ailleurs que la législation française, loin de porter atteinte à la vie privée des requérants, la favorise. En effet, les couples homosexuels peuvent être liés par un Pacs, dont le régime juridique permet de leur assurer une reconnaissance en tant que couple et entraîne des conséquences très similaires ou identiques à celle du mariage dans différents domaines de leur vie (fiscalité, droit de la location, libéralités, régime patrimonial, droit du travail). Dans ses dernières observations, le Gouvernement précise qu’à la suite de l’adoption de la loi du 17 mai 2013, les requérants peuvent se marier.

b) Les tierces parties

47. Les quatre organisations tiers-intervenantes ont soumis des observations identiques à celles qu’elles ont déposées dans l’affaire Schalk et Kopf précitée (§§ 84-86).

2. Appréciation de la Cour

48. La Cour rappelle que les États demeurent libres au regard de l’article 14 combiné avec l’article 8 de n’ouvrir le mariage qu’aux couples hétérosexuels et qu’ils bénéficient d’une certaine marge d’appréciation pour décider de la nature exacte du statut conféré par les autres modes de reconnaissance juridique (Schalk et Kopf précité, § 108 et Gas et Dubois précité, § 66).

49. Elle relève que, si à l’époque des faits le mariage n’était pas ouvert en droit français aux requérants, ils pouvaient néanmoins conclure un pacte civil de solidarité, prévu par l’article 515-1 du code civil, qui confère aux partenaires un certain nombre de droits et obligations en matière fiscale, patrimoniale et sociale (voir paragraphe 25 ci-dessus).

50. En cela, la situation se distingue de celle d’autres affaires où la Cour a conclu à la violation des articles 8 et 14 combinés, à savoir l’affaire Vallianatos précitée, où le pacte de vie commune n’était ouvert par la loi grecque qu’aux couples de sexe opposé et l’affaire Oliari et autres, où le droit italien ne prévoyait aucun mode de reconnaissance juridique des couples de même sexe.

51. Pour autant que les requérants font valoir les différences existant entre le régime du mariage et celui du pacte civil de solidarité, la Cour réitère qu’elle n’a pas à se prononcer en l’espèce sur chacune de ces différences de manière détaillée (Schalk et Kopf précité, § 109). Elle note en tout état de cause, comme elle l’a relevé dans cet arrêt, que ces différences correspondent dans l’ensemble à la tendance observée dans d’autres États membres et ne discerne nul signe indiquant que l’État défendeur aurait outrepassé sa marge d’appréciation dans le choix qu’il a fait des droits et obligations conférés par le pacte civil de solidarité (ibidem).

Au surplus, comme rappelé ci-dessus (paragraphe 39), la loi du 17 mai 2013 a ouvert le mariage aux couples homosexuels et les requérants sont désormais libres de se marier.

52. Dès lors, la Cour estime qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 12 combiné avec l’article 14 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente


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