CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE FOULON ET BOUVET c. FRANCE
(Requêtes nos 9063/14 et 10410/14)
ARRÊT
STRASBOURG
21 juillet 2016
DÉFINITIF
21/10/2016
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Foulon et Bouvet c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Angelika Nußberger, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Erik Møse,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Carlo Ranzoni, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 juin 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 9063/14 et 10410/14) dirigées contre la République française, dont la Cour a été saisie en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La requête no 9063/14 a été introduite le 24 janvier 2014 par un ressortissant français, M. Didier Foulon (« le premier requérant »), ainsi que par Mlle Emilie Sanja Lauriane Foulon (« la deuxième requérante »). La requête no 10410/14 a été introduite le 29 janvier 2014 par un ressortissant français, M. Philippe Bouvet (« le troisième requérant »), ainsi que par MM. Adrien Bouvet (« le quatrième requérant ») et Romain Bouvet (« le cinquième requérant »). La nationalité des deuxième, quatrième et cinquième requérants n’est pas précisée dans la requête.
2. Les requérants sont représentés par Me Caroline Mécary, avocate à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Les requérants allèguent en particulier que le refus de transcription de l’acte de naissance indien des deuxième, quatrième et cinquième d’entre eux sur les registres de l’état civil français emporte violation de l’article 8 de la Convention.
4. Les 15 et 16 janvier 2015, le grief concernant l’article 8 de la Convention a été communiqué au Gouvernement ; les requêtes ont été déclarées irrecevables pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Requête no 9063/14
5. Le premier requérant, M. Didier Foulon, est né en 1971. La seconde requérante, Mlle Emilie Sanja Lauriane Foulon, est née le 31 juillet 2009. Ils déclarent élire domicile au cabinet de Me Mécary.
6. La seconde requérante est née en Inde, à Bombay, d’une mère indienne et du premier requérant, qui figurent tous les deux, en qualité de mère et de père de la seconde requérante, sur l’acte de naissance de celle-ci, délivré le 20 août 2009 par l’administration indienne.
7. Le premier requérant avait effectué une reconnaissance de paternité à la mairie de Paris le 29 juillet 2009.
1. Le refus de transcrire l’acte de naissance sur les registres de l’état civil français
8. Le premier requérant effectua diverses démarches auprès du consulat général de France à Bombay en août 2009 en vue de la transcription de l’acte de naissance de la deuxième requérante. Il déposa toutes les pièces nécessaires le 31 août 2009.
9. Le 9 octobre 2009, la consule adjointe informa le premier requérant que le Ministère des affaires étrangères et européennes refusait la transcription de l’acte de naissance en raison – sans plus de précisions – d’un refus du Parquet de Nantes. Elle ajouta que cela faisait obstacle à la délivrance d’un titre de voyage français en faveur de la deuxième requérante.
10. Le premier requérant essaya vainement d’obtenir des explications du consulat puis du procureur de la République de Nantes. Il s’adressa à une avocate, qui effectua diverses démarches à cette fin.
11. Le 30 octobre 2009, le procureur adjoint de Nantes informa le premier requérant et son avocate qu’il s’opposait à la transcription de l’acte de naissance de la deuxième requérante « au motif que les discordances dans [les] déclarations [du premier requérant] et les similitudes avec d’autres dossiers similaires [le laissaient] penser que, malgré [ses] dénégations, [le premier requérant avait] eu recours à un contrat de gestation pour autrui prohibé par l’article 16-7 du code civil ». Le 5 novembre 2009, l’avocate du premier requérant envoya une lettre au procureur adjoint lui demandant de lui communiquer les pièces sur lesquelles il se fondait. Elle n’obtint pas de réponse.
12. Le 22 janvier 2010, les requérants arrivèrent en France.
2. Le jugement du tribunal de grande instance de Nantes du 10 juin 2010
13. Le 26 janvier 2010, le premier requérant et la mère de la deuxième requérante assignèrent le procureur de la République de Nantes devant le tribunal de grande instance de Nantes afin d’obtenir la transcription de l’acte de naissance sur les registres de l’état civil.
14. Par un jugement du 10 juin 2010, le tribunal de grande instance fit droit à cette demande et rejeta la demande reconventionnelle du parquet en annulation de la reconnaissance de paternité, relevant à cet égard que la filiation paternelle n’était pas mise en cause. Il constata tout d’abord que le parquet ne contestait pas la régularité formelle de l’acte de naissance indien de la deuxième requérante, ne prétendait pas qu’il avait été falsifié ni ne mettait en cause l’énonciation de la filiation qui y était indiquée. Il jugea ensuite que le parquet n’avait pas démontré que la deuxième requérante était issue d’un contrat de gestation pour autrui conclu entre sa mère et le premier requérant.
3. L’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 10 janvier 2012
15. Le 10 janvier 2012, saisie par le ministère public, la cour d’appel de Rennes infirma le jugement du 10 juin 2010 :
« (...) La cour écartera l’ensemble des considérations mises en avant par le parquet de Nantes qui font référence à des « affaires similaires » ou à « la réputation » de l’hôpital où la mère a accouché ; le caractère général et partiellement hypothétique de ces moyens les rendant irrecevables. En revanche, les recherches et constatations du consulat général de France à Bombay, permettent de retenir le court séjour sans objet particulier de l’intimé en Inde à l’époque de la conception, l’absence de connaissance respective des parents de leurs biographies, qu’ainsi apparaît pour le moins insolite le fait, si son abandon était envisagé, de confier l’enfant né de cette relation supposée à un étranger inconnu plutôt qu’à un service d’adoption ; qu’en l’absence de projet commun tant de vie de couple que de suivi de l’enfant, la seule justification qui vaille est la somme versée par le père qui ne doit pas être appréciée en fonction de la situation de celui-ci, mais de celle de la mère d’origine extrêmement modeste pour qui 1 500 EUR représentent trois ans de salaire. Cette somme étant manifestement sans relation avec les frais mêmes « confortables » de sa grossesse.
Ainsi, il ne s’agit pas seulement en l’espèce d’un contrat de mère porteuse prohibé par la loi française, mais encore d’un achat d’enfant, évidemment contraire à l’ordre public. « L’intérêt supérieur de l’enfant » ne peut utilement être mis en avant par [le premier requérant] qui a fait le choix délibéré de mettre cette enfant et lui-même hors la loi ; de même qu’il ne peut alléguer d’une atteinte à la vie privée au sens de l’article 8 de la [Convention], en ce qu’il a été admis à faire pénétrer cette même enfant sur le territoire français.
Le jugement déféré sera donc infirmé et sera annulée la reconnaissance de paternité souscrite (...) par [le premier requérant]. »
4. L’arrêt de la cour de cassation du 13 septembre 2013
16. Le premier requérant et la mère de la deuxième requérante se pourvurent en cassation. Ils reprochaient notamment à la cour d’appel de ne pas avoir caractérisé sa décision relative au refus de transcrire l’acte de naissance de la deuxième requérante et à l’annulation de la reconnaissance de paternité au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ils en déduisaient une violation de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant et de l’article 8 de la Convention. Invoquant cette dernière disposition, ils soulignaient en outre que là où l’existence d’un lien familial avec un enfant est établie, l’État doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer et accorder une protection juridique rendant possible l’intégration de l’enfant dans sa famille, et soutenaient que ce refus et cette annulation rendaient la filiation paternelle inopposable en France et en privait la deuxième requérante, et portait atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant et à leur droit au respect de la vie privée et familiale.
17. La Cour de cassation (première chambre civile) rejeta le pourvoi le 13 septembre 2013 par un arrêt ainsi motivé s’agissant du refus de transcription :
« (...) attendu qu’en l’état du droit positif, est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ;
Qu’en l’espèce, la cour d’appel, qui a caractérisé l’existence d’un tel processus frauduleux, comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui conclue entre [le premier requérant] et [la mère de la seconde requérante], en a déduit à bon droit que l’acte de naissance de l’enfant établi par les autorités indiennes ne pouvait être transcrit sur les registres de l’état civil français ;
Qu’en présence de cette fraude, ni l’intérêt supérieur de l’enfant que garantit l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sauraient être utilement invoqués ; (...) »
Reprenant ce dernier motif, la Cour de cassation considéra par ailleurs que la cour d’appel avait exactement déduit du fait qu’il y avait eu fraude à la loi de la part du premier requérant que la reconnaissance de paternité devait être annulée.
18. Les requérants ne fournissent pas d’information sur les conditions actuelles de leur vie familiale.
B. Requête no 10410/14
19. Le troisième requérant, M. Philippe Bouvet, est né en 1965. Les quatrième et cinquième requérants, Adrien Bouvet et Romain Bouvet, sont nés le 26 avril 2010. Ils déclarent élire domicile au cabinet de Me Mécary.
20. Les quatrième et cinquième requérants sont nés en Inde, à Bombay, d’une mère indienne et du troisième requérant, qui figurent tous les deux, en qualité de mère et de père des quatrième et cinquième requérants, sur les actes de naissance de ceux-ci, délivrés le 3 mai 2010 par l’administration indienne.
21. Le troisième requérant avait effectué une reconnaissance de paternité à la mairie de La Grand-Croix le 31 mars 2010.
1. Le refus de transcrire les actes de naissance sur les registres de l’état civil français
22. Le troisième requérant effectua des démarches auprès du consulat général de France à Bombay en vue de la transcription des actes de naissance des quatrième et cinquième requérants sur les registres de l’état civil français. Le dossier fut complété le 1er juin 2010. Le troisième requérant transmit d’autres documents à la demande des autorités le 13 juin 2013.
23. Il fut informé le 16 juin 2010 que le dossier avait été transmis au procureur de la République de Nantes. Laissé sans nouvelle malgré des demandes d’informations réitérées, le troisième requérant prit un avocat qui, le 29 septembre 2010, envoya une réclamation aux services du procureur assortie d’une demande de délivrance d’un laissez-passer nécessaire pour faire venir les quatrième et cinquième requérants en France.
24. Le 13 octobre 2010, le procureur de la République de Nantes répondit qu’il y avait de nombreux indices laissant penser que le troisième requérant avait eu recours en Inde aux services d’une mère porteuse en violation de l’interdiction posée par l’article 16-7 du code civil. Il précisa que, « comme pour d’autres dossiers actuellement soumis à l’examen de la cour d’appel de Rennes, [le troisième requérant] a[vait] eu recours aux mêmes intermédiaires indiens pour mener à bien un contrat de gestation pour autrui et, notamment, M. [S.], son compagnon, avec lequel il a[vait] conclu un PACS, lui-même, étant par ailleurs mis en examen par un juge d’instruction de Saint-Etienne pour provocation à l’abandon et délaissement d’enfants après avoir ramené en France deux enfants jumeaux, nés dans les mêmes conditions, par l’intermédiaire du consulat d’Espagne en Inde ». Il ajouta qu’il avait, le 23 septembre 2010, invité le Consulat général de France à Bombay à notifier au troisième requérant sa « décision de surseoir à la transcription des actes de naissance ».
2. Le jugement du tribunal de grande instance de Nantes du 17 mars 2011
25. Le 17 novembre 2010, le troisième requérant assigna le procureur de la République de Nantes devant le tribunal de grande instance de Nantes pour que soit ordonnée la transcription des actes de naissance des quatrième et cinquième requérants sur les registres de l’état civil français.
26. Le 17 mars 2011, le tribunal de grande instance fit droit à cette demande par un jugement ainsi motivé :
« (...) Au-delà des moyens généraux de procédure soulevés par le demandeur au sujet de la recevabilité de certains moyens de preuve présentés par le parquet et en tenant même pour acquis aux débats que M. Bouvet a eu recours à un centre spécialisé indien de Bombay pour faire inséminer une femme indienne rétribuée à cette fin moyennant l’engagement de cette dernière de lui remettre l’enfant après sa naissance, M. Bouvet aurait conclu une convention portant sur la procréation ou la gestation pour autrui. Ce contrat est nul, de nullité d’ordre public selon la loi française aux termes de l’article 16-7 du code de procédure civil et ceux qui y ont été parties ne peuvent lui faire produire d’effets juridiques en France.
Pour autant, la conséquence des agissements contraires à la loi française de M. Bouvet ne peut être de priver les enfants, dont la filiation est certaine et établie vis-à-vis de leur père français, de l’état civil auquel ils ont droit en France. La transcription de leur acte de naissance sur les registres de l’état civil français répond à l’intérêt supérieur de ces enfants, dont la considération doit être primordiale dans toute décision les concernant selon l’article 3-1 de la convention européenne des droits de l’homme [sic] d’application directe par les juridictions françaises. Les enfants dont il s’agit ne peuvent être considérés comme le produit d’un contrat prohibé dont les existences pourraient être niées, mais comme des sujets de droit étranger aux arrangements de leurs auteurs. L’intérêt des enfants doit en l’espèce prévaloir sur la sanction d’éventuels agissements frauduleux de M. Bouvet qui doit être, le cas échéant, autrement recherchée qu’au travers d’un refus de transcription des actes de naissance qui nuit exclusivement à des mineurs auxquels il est dû une protection particulière. (...) »
27. Le tribunal ordonna l’exécution provisoire de son jugement.
28. Le 20 avril 2011, les autorités françaises délivrèrent un passeport provisoire aux quatrième et cinquième requérants. Les requérants arrivèrent en France le 11 mai 2011.
3. L’ordonnance de référé du 28 juin 2011 et l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 21 février 2012
29. Saisie par le procureur de la République de Nantes, le premier président de la cour d’appel de Rennes prit, le 28 juin 2011, une ordonnance arrêtant l’exécution provisoire attachée au jugement du 17 mars 2011.
30. La cour d’appel de Rennes rendit son arrêt le 21 février 2012. Elle constata que le troisième requérant ne contestait pas la fraude à l’ordre public français à l’origine de la paternité qu’il revendiquait, et que les éléments réunis par le ministère public établissaient l’existence d’un contrat prohibé par les dispositions de l’article 16-7 du code civil. Elle observa toutefois qu’elle n’était pas saisie de la validité d’un contrat de gestation pour autrui, mais de la transcription d’un acte de l’état civil dont [n’étaient] contestés ni la régularité formelle, ni la conformité à la réalité de ses énonciations ». Elle conclut qu’il y avait lieu de confirmer le jugement « dès lors que [les actes de l’état civil des quatrième et cinquième requérants] satisf[aisaient] aux exigences de l’article 47 du code civil, sans qu’il y ait lieu d’opposer ou de hiérarchiser des notions d’ordre public tel l’intérêt supérieur de l’enfant ou l’indisponibilité du corps humain ».
4. L’arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2013
31. Le procureur général près la cour d’appel de Rennes se pourvut en cassation.
32. Par un arrêt du 13 septembre 2013, la cour de cassation (première chambre civile) cassa l’arrêt du 21 février 2012 et renvoya cause et parties devant la cour d’appel de Paris. L’arrêt est ainsi motivé :
« (...) Attendu qu’en l’état du droit positif, est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public selon les termes des deux premiers textes susvisés ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que des jumeaux (...) sont nés le 26 avril 2010 à Mumbai (Inde), de Mme (...) et [du troisième requérant], lequel, de nationalité française, les avait préalablement reconnus en France ; que le 11 mai 2010, ce dernier a demandé la transcription sur un registre consulaire des actes de naissance des enfants ; que sur instructions du procureur de la République, le consulat de France a sursis à cette demande ;
Attendu que, pour ordonner cette transcription, la cour d’appel a retenu que la régularité formelle et la conformité à la réalité des énonciations des actes litigieux n’étaient pas contestées ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que les éléments réunis par le ministère public caractérisaient l’existence d’un processus frauduleux comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui (...), ce dont il résultait que les actes de naissance des enfants ne pouvaient être transcrits sur les registres de l’état civil français, la cour d’appel a violé les [articles 16-7, 16-9 et 336 du code civil] ; (...) »
33. Au vu de cet arrêt, de l’arrêt rendu le même jour en la cause des premier et deuxième requérants, et des arrêts de la Cour de cassation du 6 avril 2011 (voir Mennesson c. France, no 65192/11, §§ 27 et 33, CEDH 2014 (extraits), et Labassee c. France, no 65941/11, §§ 17 et 24, 26 juin 2014), les requérants ont considéré qu’il serait vain de saisir la cour d’appel de Paris, juridiction de renvoi.
34. Les requérants ne fournissent pas d’information sur les conditions actuelles de leur vie familiale.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
35. La Cour renvoie au droit et la pratique internes exposés dans les arrêts Mennesson (précité, §§ 29-36) et Labassee (précité, §§ 18-27).
36. Elle note que la jurisprudence de la Cour de cassation a évolué postérieurement à ces arrêts. Par deux arrêts du 3 juillet 2015, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a, d’une part, cassé partiellement un arrêt de la cour d’appel de Rennes du 15 avril 2014, qui refusait de faire droit à la transcription sur un registre consulaire de l’acte de naissance établi en Russie d’un enfant né dans ce pays d’une gestation pour autrui et, d’autre part, rejeté le pourvoi dirigé contre un arrêt de cette même juridiction du 16 décembre 2014, qui faisait droit à une telle transcription. La Cour de cassation a en particulier retenu dans le second de ces arrêts « qu’ayant constaté que l’acte de naissance n’était ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité, la cour d’appel en a[vait] déduit à bon droit que la convention de gestation pour autrui (...) ne faisait pas obstacle à la transcription de l’acte de naissance ».
37. Le 7 juillet 2015, le Ministère de la Justice a diffusé une dépêche invitant le parquet général de Rennes à tirer les conséquences de ces arrêts en faisant procéder à la transcription des actes de naissance des enfants concernés, dès lors que leurs actes d’état civil étrangers sont conformes aux dispositions de l’article 47 du code civil.
38. Par ailleurs, par un arrêt du 12 décembre 2014, le Conseil d’État avait rejeté les recours en annulation dirigés contre la circulaire adressée le 25 janvier 2013 par la garde des Sceaux aux procureurs généraux près les cours d’appel, au procureur près le tribunal supérieur d’appel, aux procureurs de la République et aux greffiers des tribunaux d’instance. Cette circulaire concerne la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à l’étranger de parents français « lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui ». Elle indique que dans un tel cas, cette circonstance « ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de certificats de nationalité française », et invite ses destinataires à veiller à ce qu’il soit fait droit aux demandes de délivrance lorsque les conditions légales sont remplies (voir, précités, Mennesson, § 36, et Labassee, § 27). Dans son arrêt, le Conseil d’État rappelle que les contrats de gestation ou de procréation pour autrui sont interdits par le code civil et que cette interdiction est d’ordre public. Il juge cependant que la seule circonstance qu’un enfant soit né à l’étranger dans le cadre d’un tel contrat, même s’il est nul et non avenu au regard du droit français, ne peut conduire à priver cet enfant de la nationalité française. Il précise que cet enfant y a droit, dès lors que sa filiation avec un Français est légalement établie à l’étranger, en vertu de l’article 18 du code civil et sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Il ajoute que le refus de reconnaître la nationalité française porterait dans de telles circonstances une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée de l’enfant, garantie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
EN DROIT
I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES Nos 9063/14 ET 10410/14
39. Compte tenu de la similitude des requêtes nos 9063/14 et 10410/14 quant aux faits et aux questions de fond qu’elles posent, la Cour juge approprié de les joindre, en application de l’article 42 § 1 de son règlement.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
40. Les requérants se plaignent d’une violation de leur droit au respect de leur vie privée et familiale résultant du refus de transcription de l’acte de naissance indien des deuxième, quatrième et cinquième d’entre eux sur les registres de l’état civil français au motif que le premier et le troisième requérants avaient eu recours à une convention de gestation pour autrui. Le premier requérant et la deuxième requérante dénoncent en outre l’annulation, pour le même motif, de la reconnaissance de paternité effectuée par le premier requérant. Ils invoquent l’article 8 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A.Sur les déclarations unilatérales du Gouvernement
41. Par des lettres du 13 novembre 2015, auxquelles se trouve joint le texte de déclarations unilatérales, le Gouvernement invite la Cour à rayer les requêtes du rôle en application de l’article 37 § 1 c) de la Convention.
42. Ayant examiné les termes de ces déclarations unilatérales, la Cour estime qu’elles n’offrent pas une base suffisante pour conclure que le respect des droits de l’homme n’exige pas la poursuite de l’examen des requêtes. Elle constate en particulier que, si le droit positif français a évolué depuis qu’elle a adopté les arrêts Mennesson et Labassee précités (voir les paragraphes 36-38 ci-dessus), des interrogations subsistent quant à la situation des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui lorsque, comme en l’espèce et dans ces deux affaires, les juridictions françaises ont rendu une décision définitive annulant ou refusant la transcription de leurs actes de naissance étrangers dans les registres français (voir les paragraphes 52-54 et 56 ci-dessous). La procédure relative à l’exécution des arrêts Mennesson et Labassee est du reste toujours pendante devant le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.
43. Partant, la Cour rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation des requêtes du rôle.
B. Sur la recevabilité
44. La Cour constate que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elles ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle les déclare donc recevables.
C. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Les requérants
45. Les requérants soulignent que leur situation est similaire à celle des familles Mennesson et Labassee (arrêts précités). Ils estiment que l’ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée et familiale qu’ils dénoncent ne poursuivait aucun des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8, et qu’elle n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
46. S’agissant de l’atteinte à leur droit au respect de leur vie familiale, ils mettent l’accent sur le fait que les enfants soupçonnés d’être nés à l’étranger d’une gestation pour autrui sont confrontés à des obstacles concrets majeurs en raison de l’absence de reconnaissance en droit français de leur lien de filiation et se trouvent dans une situation juridique incertaine. Premièrement, les arrêts de la Cour de cassation du 3 juillet 2015 n’auraient pas levé les obstacles à la transcription de leurs actes de naissances étrangers, en raison notamment de l’attitude du Parquet compétent. Deuxièmement, ils auraient les plus grandes difficultés à obtenir une carte d’identité ou un passeport français. Troisièmement, nombre d’entre eux ne parviendraient toujours pas à obtenir un certificat de nationalité, malgré la circulaire du 25 janvier 2013 (Mennesson, précité, § 36 ; Labassee, précité, § 27) et l’arrêt du Conseil d’État du 12 décembre 2014. Quatrièmement, les enfants ainsi que les parents d’intention seraient confrontés à des difficultés récurrentes devant toutes les administrations, qui réclameraient systématiquement un acte de naissance transcrit ou des documents non prévus par la loi, que ce soit pour les inscriptions à l’école, la perception de prestations sociales, l’inscription à la sécurité sociale ou pour l’obtention d’un congé parental. Cinquièmement, les parents d’intention rencontreraient de nombreuses difficultés quant à l’exercice de l’autorité parentale, et les droits successoraux des enfants à leur égard seraient amoindris. Les requérants observent que la cour d’appel et la Cour de cassation n’ont pris en compte ni leur situation concrète, ni les obstacles pratiques auxquels ils se trouvent confrontés, ni l’intérêt supérieur de l’enfant.
47. S’agissant de l’atteinte à leur droit au respect de leur vie privée, les requérants renvoient aux conclusions de la Cour dans les affaires Mennesson et Labassee précitées. Ils font valoir que l’ingérence qu’ils dénoncent a pour effets : de nier la filiation des deuxième, quatrième et cinquième requérants valablement établie en Inde et de les priver de la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française, d’hériter de leur père en l’absence de legs ou de testament ou d’hériter de lui dans les mêmes conditions qu’un enfant disposant d’un acte de naissance français, et d’établir la substance de leur identité ; de priver le premier requérant de la titularité de l’autorité parentale.
48. Les requérants rappellent ensuite que le Gouvernement a l’obligation de mettre fin à la violation de l’article 8 de la Convention, qui ne cessera selon eux que lorsque les actes de naissance des deuxième, quatrième et cinquième d’entre eux seront transcrits et que l’annulation de la reconnaissance de paternité du premier d’entre eux sera privée d’effet. Ils soulignent que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, l’autorité de la chose jugée n’y fait pas obstacle.
49. Enfin, les troisième, quatrième et cinquième requérants contestent la thèse du Gouvernement selon laquelle, si l’autorité de la chose jugée fait obstacle à la transcription des actes de naissance des quatrième et cinquième d’entre eux, elle n’empêche pas de faire établir leur lien de filiation par la reconnaissance de paternité ou la possession d’état. Sur le premier point, ils rappellent que le troisième requérant a déjà fait une reconnaissance de paternité (le 31 mars 2010), et soulignent que c’est l’acte de naissance qui établit la filiation, la reconnaissance de paternité ne faisant que renforcer cette filiation. Sur le second point, ils rappellent que la Cour de cassation a jugé le 6 avril 2011 que le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes fait obstacle aux effets en France d’une possession d’état lorsque la filiation est la conséquence d’une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, fût-elle licitement conclue à l’étranger, en raison de la contrariété à l’ordre public international français d’une telle convention. Ils ajoutent qu’aux termes de l’article 311-2 du code civil, la possession d’état doit être continue, paisible et non équivoque, et que la circulaire de présentation de l’ordonnance no 759-2005 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, du 30 juin 2006, indique que le caractère équivoque peut notamment résulter d’une fraude ou d’une violation de la loi, ajoutant qu’il peut en aller ainsi lorsque la possession d’état est invoquée pour contourner les règles régissant la gestation pour le compte d’autrui. Les requérants précisent de plus que la possession d’état et la reconnaissance de paternité ne permettent pas à l’enfant de disposer d’un acte de naissance français.
b) Le Gouvernement
50. Le Gouvernement déclare ne contester ni que les relations en cause relèvent de la vie privée et familiale, ni que le refus de procéder à la transcription des actes de naissance sur le registres de l’état civil et l’annulation de la reconnaissance de paternité puissent être regardés comme une ingérence dans la vie familiale. Notant par ailleurs que les requérants ne contestent pas que cette ingérence est prévue par la loi, il observe que la question qui se pose à la Cour est celle de la légitimité de l’ingérence et de sa proportionnalité par rapport aux buts poursuivis.
51. Le Gouvernement souligne ensuite que, si la Cour de cassation a en l’espèce refusé la transcription des actes de naissance au motif que la convention de gestation pour autrui était entachée d’une nullité d’ordre public, elle a, le 3 juillet 2015, opéré un revirement de jurisprudence : en présence d’un acte étranger établi régulièrement selon le droit local et permettant d’établir le lien de filiation avec le père biologique, plus aucun obstacle ne peut être opposé à la transcription de la filiation biologique. Il indique que, le 7 juillet 2015, la garde des Sceaux a adressée aux parquets concernés une dépêche indiquant qu’il convenait de procéder à la transcription des actes de naissance étrangers des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui, sous réserve de leur conformité à l’article 47 du code civil.
52. Le Gouvernement ajoute cependant que cette évolution jurisprudentielle ne peut s’appliquer aux demande de transcription ayant déjà fait l’objet d’une décision juridictionnelles de refus ou d’annulation de transcription revêtues de l’autorité de la chose jugées, comme c’est le cas en l’espèce. Du fait de l’identité de cause et de parties, au sens de l’article 1351 du code civil, une nouvelle demande de transcription se heurterait à l’autorité de la chose jugée, règle fondamentale de la procédure civile française, garante de sécurité juridique et d’une bonne administration de la justice en ce qu’elle réduit le risque de manœuvres dilatoires et favorise un jugement dans un délai raisonnable.
53. Le Gouvernement précise toutefois que, à la suite du revirement de jurisprudence opéré le 3 juillet 2015 par la Cour de cassation, les troisième, quatrième et cinquième requérants ont la possibilité d’établir leur lien de filiation par la voie de la reconnaissance de paternité (article 316 du code civil) ou de la possession d’état (article 317 du code civil) ; selon lui, « ces voies juridiques paraissent aujourd’hui envisageables compte tenu des évolutions jurisprudentielles actuelles ». Cela ne serait en revanche pas possible pour les premier et deuxième requérants, l’autorité de la chose jugée de la décision relative à l’annulation de la reconnaissance de paternité effectuée par le premier d’entre eux faisant obstacle à la mise en œuvre d’autres modalités d’établissement de la filiation biologique.
54. En conclusion, le Gouvernement déclare réfléchir à la possibilité d’une procédure de révision en matière civile afin d’apporter une solution à ce type de situation.
2. Appréciation de la Cour
55. La Cour constate que la situation des requérants en l’espèce est similaire à celle des requérants dans les affaires Mennesson et Labassee précitées, dans lesquelles elle a jugé qu’il n’y avait pas eu violation du droit au respect de la vie familiale des requérants (les parents d’intention et les enfants concernés), mais qu’il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée des enfants concernés.
56. La Cour prend bonne note des indications du Gouvernement selon lesquelles, postérieurement à l’introduction des présentes requêtes et au prononcé des arrêts Mennesson et Labassee précités, la Cour de Cassation a, par deux arrêts du 3 juillet 2015, procédé à un revirement de jurisprudence. Selon le Gouvernement, il résulte de cette jurisprudence nouvelle qu’en présence d’un acte étranger établi régulièrement selon le droit du pays dans lequel la gestation pour autrui a été réalisée et permettant d’établir le lien de filiation avec le père biologique, plus aucun obstacle ne peut être opposé à la transcription de la filiation biologique. Il ajoute que, le 7 juillet 2015, la garde des Sceaux a adressée aux parquets concernés une dépêche indiquant qu’il convenait de procéder à la transcription des actes de naissance étrangers des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui, sous réserve de leur conformité à l’article 47 du code civil (paragraphe 51 ci-dessus). La Cour relève ensuite que le Gouvernement entend déduire de ce nouvel état du droit positif français que le troisième requérant et les quatrième et cinquième requérants ont désormais la possibilité d’établir leur lien de filiation par la voie de la reconnaissance de paternité ou par celle de la possession d’état ; il indique à cet égard que « ces voies juridiques paraissent aujourd’hui envisageables » (paragraphe 53 ci-dessus). Elle relève toutefois le caractère hypothétique de la formule dont use le Gouvernement. Elle constate en outre que les intéressés contestent cette thèse et que le Gouvernement n’en tire lui-même aucune conclusion quant à la recevabilité ou au bien-fondé de leur requête.
57. Ceci étant souligné, et considérant les circonstances de l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de conclure autrement que dans les affaires Mennesson et Labassee.
58. La Cour conclut en conséquence qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit des requérants au respect de leur vie familiale, mais qu’il y a eu violation de cette disposition s’agissant du droit des deuxième, quatrième et cinquième requérants au respect de leur vie privée.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
59. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
60. Les premier et deuxième requérants réclament 20 000 EUR pour préjudice moral. Les troisième, quatrième et cinquième requérants réclament 50 000 EUR à ce titre. Le troisième requérant fait en outre valoir qu’il a été contraint de rester sur le sol indien durant un an et de prendre un congé sans solde, ce qui aurait entraîné une perte de revenus de 20 639 EUR ; il demande le paiement de cette somme au titre de son préjudice matériel.
61. Le Gouvernement rappelle que, dans les arrêts Mennesson et Labassee, la Cour a alloué 5 000 EUR à chaque enfant pour préjudice moral. Il estime que les deux premiers requérants pourraient se voir allouer ensemble 10 000 EUR au maximum, et les troisième, quatrième et cinquième requérants, 15 000 EUR ensemble, au maximum. Quant aux prétentions du troisième requérant relatives au préjudice matériel, il considère que les pièces produites ne permettent pas d’établir que la perte de revenus dont il est question est due à l’inertie des autorités françaises plutôt qu’au choix de l’intéressé de prendre un congé pour convenance personnelle.
62. La Cour rappelle que le constat de violation de la Convention auquel elle parvient en l’espèce résulte uniquement d’un manquement au droit des deuxième, quatrième et cinquième requérants au respect de leur vie privée. Il convient donc de rejeter les demandes dans leur globalité pour autant qu’elles émanent des premier et troisième requérants, et pour autant qu’elles se rapportent à la violation du droit au respect de la vie familiale des autres requérants. Ceci étant souligné, la Cour estime qu’il convient d’accorder à ces derniers le même montant que celui qu’elle a retenu dans les affaires Mennesson et Labassee précitées. Partant, elle accorde 5 000 EUR à chacun des deuxième, quatrième et cinquième requérants.
B. Frais et dépens
63. Les premier et deuxième requérants demandent 17 126 EUR au titre des frais engagés devant les juridictions internes. Ils produisent des notes et factures d’honoraires (10 764 EUR), une demande de provision sur honoraires (1 495 EUR), une note de frais (248,77 EUR), un état de frais de postulation (204,24 EUR), une facture de provision (1 016 EUR), un état de frais (909,44 EUR), des décomptes de frais et honoraires d’huissiers (256,45 EUR), des factures de frais d’huissiers (446,86 EUR), un commandement de payer avec injonction adressé au premier requérant le 14 octobre 2010, relatif à sa condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et au dépens (534,14 EUR), un « mandat cash » (le document n’est pas lisible, mais les requérants indiquent qu’il était adressé à l’agent judiciaire du Trésor et portait sur 400 EUR), et un document daté du 31 mars 2011 émanant de la direction générale des finances publiques et relatif à l’exécution du jugement du 31 décembre 2009 (823,20 EUR). Les premier et deuxième requérants demandent en outre 20 500 EUR pour leurs frais relatifs à la procédure devant la Cour (ils produisant deux factures d’honoraires qui mentionnent quatre-vingt-deux heures de travail), ainsi qu’un montant qu’ils évaluent à 350 EUR, pour les frais de transport et d’hébergement de leur avocate en cas d’audience à Strasbourg.
64. Les troisième, quatrième et cinquième requérants demandent 12 232 EUR au titre des frais engagés devant les juridictions internes. Ils produisent des factures et notes d’honoraires (10 994,40 EUR), une note de frais (258,34 EUR), une demande de provision (837,20 EUR) et des factures d’huissiers de justice (142,16 EUR). Ils demandent en outre 20 100 EUR pour leurs frais relatifs à la procédure devant la Cour (ils produisent des factures d’honoraires qui mentionnent soixante-sept heures de travail), ainsi qu’un montant qu’ils évaluent à 350 EUR, pour les frais de transport et d’hébergement de leur avocate en cas d’audience à Strasbourg.
65. S’agissant spécifiquement des demandes relatives aux frais et dépens formulées par les premier et deuxième requérants au titre de la procédure interne, le Gouvernement observe qu’aucun justificatif n’est produit pour l’un des montants annoncés (248,77 EUR), que le « mandat cash » est illisible, que, par définition, le commandement de payer du 14 octobre 2010 et le titre de perception du 31 mars 2011 n’établissent pas que les sommes y indiquées ont été payées, et que le remboursement des frais d’huissier sollicité prête à confusion. D’un point de vue général, il estime que le montant global sollicité par les requérants au titre des frais et dépens est excessif et doit être ramené à de plus justes proportions. Il observe que l’avocate des requérants est familière de ce type de procédure, qu’elle a introduit trois requêtes similaires devant les juridictions internes, et qu’elle a décompté quatre-vingt-deux heures de travail pour la procédure relative à la requête no 9063/14 et soixante-sept heures pour celle relative à la requête no 10410/14 alors qu’elle a produit les mêmes écritures dans le cadre de ces deux requêtes et d’une troisième. Il ajoute que, comme il n’y a pas eu d’audience devant la Cour, les sommes réclamées à ce titre sont sans objet. Le Gouvernement propose d’allouer 9 000 EUR en tout aux premier et deuxième requérant, d’une part, et au troisième, quatrième et cinquième requérants, d’autre part.
66. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’allouer la somme globale de 15 000 EUR, tous frais confondus, aux requérants Foulon, et la même somme aux requérants Bouvet.
C. Intérêts moratoires
67. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes nos 9063/14 et 10410/14 ;
2. Rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation des requêtes du rôle ;
3. Déclare les requêtes recevables quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention ;
4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit des requérants au respect de leur vie familiale ;
5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit des deuxième, quatrième et cinquième requérants au respect de leur vie privée ;
6. Dit
a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i) aux deuxième, quatrième et cinquième requérants, chacun, 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) aux requérants Foulon, 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
iii) aux requérants Bouvet, 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 juillet 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente