DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE G.U. c. TURQUIE
(Requête no 16143/10)
ARRÊT
STRASBOURG
18 octobre 2016
DÉFINITIF
18/01/2017
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire G.U. c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Julia Laffranque, présidente,
Işıl Karakaş,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 septembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16143/10) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet État, Mme G.U. (« la requérante »), a saisi la Cour le 5 mars 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par la requérante (article 47 § 4 du règlement).
2. La requérante a été représentée par Me S. Cengiz, avocat à İzmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le 31 août 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. La requérante est née le 6 décembre 1984 et réside à Istanbul.
5. Le 7 octobre 2002 vers 22 heures, la mère de la requérante signala à la police la disparition de cette dernière, qui avait quitté la maison le matin pour se rendre au lycée et n’était toujours pas rentrée.
6. Le lendemain, la mère de la requérante retourna au poste de police. Elle expliqua que, d’après ses recherches personnelles, sa fille avait été enlevée sous la menace par un dénommé F.T.
7. Le 9 octobre 2002, vers 17 heures, la requérante se présenta au commissariat de police, accompagnée de sa mère. Elle expliqua avoir fugué parce qu’elle était victime de viols commis par son beau-père, M.S.
8. Vers 19 heures, la police procéda à l’arrestation de M.S. Suivant les indications données par celui-ci, des policiers se rendirent à son domicile pour y saisir l’arme avec laquelle la requérante avait indiqué avoir été menacée. Au commissariat, celle-ci reconnut le pistolet à grenaille rapporté par la police comme étant l’arme avec laquelle son beau-père l’avait menacée.
9. Vers 20 h 30, la requérante fut conduite à l’hôpital pour y subir un examen qui révéla une rupture ancienne de l’hymen, impossible à dater. Le rapport indiquait une absence de trace physique de viol sur le corps de l’intéressée.
10. Vers 22 h 45, deux agents de police recueillirent la déposition de la requérante. Celle-ci expliqua que, depuis environ un an, lorsque sa mère et sa sœur n’étaient pas à la maison, son beau-père la regardait d’une manière qui la gênait et qu’elle ressentait comme du harcèlement. Elle indiqua que, environ quinze à vingt jours avant sa fugue, à son retour du lycée et en l’absence de sa mère et de sa sœur, son beau-père s’était mis à la fixer du regard. Elle lui aurait demandé pourquoi il la regardait ainsi et lui aurait dit que cela la gênait, puis elle serait allée dans sa chambre. Son beau-père l’y aurait suivie, se serait jeté sur elle, l’aurait dévêtue de force et l’aurait violée sans qu’elle pût l’en empêcher parce qu’il était, selon elle, plus fort qu’elle. Après le rapport sexuel, elle aurait saigné. Elle affirma qu’elle avait perdu sa virginité à cette occasion. Elle aurait pleuré et menacé de tout raconter à sa mère. Son beau-père aurait répondu que, si elle le faisait, leur famille éclaterait, que c’est elle et sa mère qui en pâtiraient et qu’elles se retrouveraient sans domicile puisque la maison dans laquelle ils vivaient était la sienne. Il aurait ensuite promis de la conduire chez un médecin pour procéder à une chirurgie réparatrice de l’hymen. La requérante ajouta que son beau-père avait menacé de la tuer avec une arme qu’il possédait. Après cette date, elle aurait eu des relations sexuelles forcées avec lui à trois ou quatre reprises. Elle se serait mise à le haïr et aurait décidé de fuguer. Le jour de sa fugue, elle aurait rejoint après les cours son petit ami, F.T., et lui aurait dit qu’elle ne retournerait plus à la maison, mais sans le mettre au courant des agissements de son beau-père. F.T. n’ayant pas réussi à la convaincre de rentrer chez elle, ils auraient alors passé la nuit à l’hôtel, sans avoir de relations sexuelles. La requérante souligna qu’elle n’avait été ni enlevée ni séquestrée par F.T. Elle aurait passé la nuit suivante chez une amie et aurait décidé de rentrer après avoir reçu un message de sa sœur sur son téléphone portable. Elle ajouta que, environ un an avant les faits dénoncés, son beau-père lui avait pincé la jambe et que sa mère, voyant cela, l’avait réprimandé en lui interdisant de recommencer. Elle confirma que c’était bien avec l’arme retrouvée à leur domicile que son beau-père l’avait menacée, précisant qu’elle n’en connaissait pas le nom et que c’était au commissariat qu’elle avait appris qu’il s’agissait d’un pistolet à grenaille.
11. Dans sa déposition recueillie le même jour, la mère de la requérante déclara que sa fille lui avait relaté l’incident lorsqu’elle était rentrée de sa fugue et qu’elle l’avait alors aussitôt accompagnée au commissariat. Elle confirmait avoir surpris son mari en train de toucher et de pincer la jambe de sa fille dans leur chambre à coucher environ un an avant les faits dénoncés. Elle démentait les dires de son mari selon lesquels il était impuissant, affirmant qu’ils avaient des relations sexuelles tous les deux ou trois mois. Elle présentait sa fille comme une personne intelligente et ne racontant pas de mensonge. Elle précisait que, ces derniers temps, sa fille détestait M.S. et qu’elle le fuyait, qu’elle disait ne pas aimer cette maison et qu’elle lui avait demandé de divorcer. Elle indiquait aussi que, alors qu’elle sortait de la maison pour aller à la recherche de sa fille, son mari lui avait demandé de ne pas la conduire au commissariat mais de la ramener à la maison pour qu’il l’interroge et qu’il découvre avec qui elle avait traîné. Enfin, elle faisait part de sa volonté de porter plainte contre F.T. pour séquestration.
12. Le 10 octobre 2002, la requérante fut soumise à un examen médical à l’institut médicolégal d’İzmir, examen qui confirma la présence d’une rupture ancienne de l’hymen, dont il était médicalement impossible de déterminer la date. Le médecin précisa que l’examen anal n’avait révélé aucune anomalie et que le corps de la requérante ne portait pas de trace de violence apparente.
13. Le même jour, vers 18 heures, la police recueillit la déposition des deux suspects, M.S. et F.T.
14. M.S. nia les faits qui lui étaient reprochés. Il expliqua souffrir d’impuissance depuis environ un an et n’avoir pas eu de relations sexuelles avec sa femme pendant cette période. Il déclara que la requérante avait une relation depuis près d’un an avec F.T. et qu’elle rentrait souvent tard. Il admit l’avoir frappée quelquefois pour cette raison. Il ajouta qu’il était âgé de 62 ans et qu’il tomberait si elle le poussait.
15. F.T. déclara qu’il avait rejoint la requérante à la sortie du lycée. Celle-ci lui aurait expliqué que son beau-père la battait et qu’elle ne retournerait plus à la maison. Malgré ses tentatives pour la convaincre de rentrer, elle aurait refusé et ils auraient passé la nuit dans une chambre d’hôtel. Il précisa qu’il n’avait pas eu de relations sexuelles avec elle et qu’il ne l’avait pas séquestrée. Le lendemain, en quittant l’hôtel, la requérante lui aurait dit qu’elle partait au lycée. Le 9 octobre, apprenant qu’il était recherché par la police, il s’était présenté spontanément au commissariat.
16. Au terme de leur garde à vue, les deux suspects furent placés en détention provisoire.
17. Le 18 octobre 2002, le procureur de la République d’İzmir inculpa M.S. pour attouchements, viol et séquestration sur le fondement des articles 416, 417, 418 § 2 et 430 § 1 de l’ancien code pénal, et F.T. pour séquestration. Le procès s’ouvrit devant la cour d’assises d’İzmir.
18. Le 22 octobre 2002, F.T. fut remis en liberté.
19. Le 15 novembre 2002, l’avocat de la requérante sollicita le huis clos et présenta une demande de constitution de partie intervenante de la requérante et de sa mère. Il pria également la cour d’assises de prendre en compte l’avis du service de psychiatrie de l’hôpital universitaire d’İzmir ‑ en particulier celui d’une pédopsychiatre spécialisée en matière d’abus sexuels sur enfants en milieu familial ‑ quant à la manière d’appréhender les déclarations de mineurs victimes de tels abus, pour savoir si sa cliente avait réellement subi un traumatisme psychique et si ses déclarations étaient crédibles. Il demanda enfin que la requérante soit soumise à une série d’examens au service médicolégal de l’hôpital universitaire.
20. Lors de la première audience, qui eut lieu le 18 novembre 2002, la cour d’assises accueillit la demande de constitution de partie intervenante.
Elle entendit la requérante, sa mère et sa sœur ainsi que les accusés en leurs déclarations. M.S. nia les accusations portées à son encontre. Il précisa qu’il n’était pas en mesure d’accomplir son devoir conjugal en raison de son âge et que, par conséquent, il ne pouvait pas avoir commis le viol. Il ajouta que la requérante et sa mère l’avaient accusé à tort pour lui soustraire sa maison et son argent, et qu’elles avaient déjà obtenu de lui la cession de la maison, lui en laissant l’usufruit.
21. La requérante fit des déclarations identiques à sa déposition recueillie par la police. Elle décrivit les circonstances de son agression en ces termes :
« L’accusé M. est mon beau-père. Il me battait de temps en temps. Quand je rentrais tard, alors même que je lui expliquais la raison de mon retard, il me frappait quand même. L’école a commencé en septembre. Un jour, en rentrant de l’école, alors que l’accusé M. était seul à la maison, je suis allée dans la chambre à coucher pour enlever mon uniforme [de l’école]. L’accusé est arrivé dans la chambre. Je lui ai demandé de sortir. Il n’a pas voulu le faire. À cet instant, il a bloqué mes deux mains avec la sienne et il a retiré mon uniforme. Il n’a pas déshabillé le haut, il a juste retiré ma jupe, puis ma culotte. En tenant mes deux mains, il m’a couchée sur le lit et il m’a violée. (...) »
22. La requérante se vit interroger sur la raison pour laquelle elle n’avait pas informé les autorités de cet incident sans délai, puisqu’elle était en mesure de comprendre ce qui s’était passé vu son âge et son niveau d’éducation. La requérante répondit en ces termes : « Je n’ai pu le dire à personne ». Le procès-verbal d’audience ne permet pas de savoir qui a posé cette question.
23. L’avocat de M.S. indiqua que son client était un homme malade et âgé. Il affirma que la requérante ne disait pas la vérité : elle déclarait avoir été violée 10 à 12 jours avant sa fugue alors que le rapport médical indiquait que la rupture de l’hymen était ancienne. Il ajouta du reste qu’il y avait lieu de s’interroger sur la raison pour laquelle la requérante, lors de sa fugue, n’avait pas passé la nuit chez une amie mais avait rejoint son ami F.T. Il estimait que, si elle avait été capable d’une telle audace, aucune de ses déclarations ne reflétaient la vérité.
24. La sœur de la requérante déclara que lorsqu’elle avait appelé celle‑ci au téléphone après sa fugue, la requérante lui avait demandé de ne pas venir la chercher avec son père. Elle avait ensuite retrouvé la requérante au commissariat, où celle-ci lui avait indiqué pour la première fois avoir été violée par son beau-père. Elle ajouta que, six mois auparavant, ce dernier avait appris que la requérante fréquentait F.T. et qu’il l’avait frappée pour cette raison. Il lui aurait demandé de conduire la requérante à la maison avant de l’emmener au commissariat et aurait déclaré qu’il lui infligerait personnellement sa peine.
25. À l’issue de l’audience, la cour d’assises releva que la requérante avait indiqué suivre une thérapie (tedavi) au service de psychiatrie de l’université Dokuz Eylül (İzmir) et décida de demander son dossier médical. Elle précisa qu’après réception de ce dossier, la requérante et M.S. devaient se présenter à l’institut médicolégal d’Istanbul pour qu’il fût vérifié si, compte tenu aussi de la corpulence (fiziksel yapısı) de la requérante, l’accusé était en mesure de la violer par la force, et si sa puissance sexuelle était suffisante pour un tel acte. Elle demanda aussi de rechercher si la requérante était en mesure de résister (karşı koyma konumunda olup olmadığı) à l’accusé et si elle souffrait d’une déficience ou d’une maladie mentale telle que visée par l’article 414 et 416 de l’ancien code pénal. Elle ordonna en outre la remise en liberté provisoire de M.S. La requérante et sa mère ne participèrent qu’à cette première audience. La cour d’assises ne se prononça pas sur la demande de huis clos.
Au cours de cette première audience, la cour d’assises était composée des juges A.B., H.D. et M.R.B.
26. Le 25 novembre 2002, l’avocat de la requérante présenta ses demandes chiffrées de dommages et intérêts.
27. Dans un rapport du 27 février 2003 adressé à la cour d’assises, le chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital universitaire Dokuz Eylül d’İzmir indiqua que la requérante s’était présentée au service de pédopsychiatrie pour la première fois le 14 novembre 2002 pour des troubles apparus, selon ses indications, après le harcèlement sexuel dont elle avait été victime de la part de son beau-père. Les médecins diagnostiquèrent chez elle un stress post-traumatique et une dépression majeure et lui prescrivirent un traitement antidépresseur. Le rapport indiqua que l’intéressée faisait l’objet d’un suivi psychiatrique régulier et qu’elle avait été reçue en consultation à six reprises.
28. Le 3 mars 2003, la cour d’assises tint sa deuxième audience. L’avocat de la requérante indiqua que même après sa libération, M.S. avait harcelé de temps en temps sa cliente. Le rapport du 27 février 2003 n’ayant pas encore été versé au dossier, la cour d’assises décida d’ajourner l’audience et nomma le juge H.D. comme juge assesseur en vue de l’exécution des actes de procédure décidés lors de la première audience.
29. Le 30 avril 2003, la requérante subit un examen à l’institut médicolégal.
30. Le 10 octobre 2003, la cour d’assises accusa réception de la réponse de l’institut médicolégal d’Istanbul indiquant que M.S. s’était présenté à l’institut puis avait été envoyé à l’hôpital universitaire Cerrahpaşa d’Istanbul en vue de l’obtention d’un rapport, lequel ne lui avait pas encore été envoyé.
31. Le 8 mars 2004, la cour d’assises accusa réception de la réponse de l’institut médicolégal indiquant qu’il n’avait toujours pas reçu le rapport de l’hôpital universitaire Cerrahpaşa. Au cours de l’audience, l’avocat de M.S. expliqua que son client avait bien été admis au service de radiodiagnostic de l’hôpital universitaire pour y subir des examens conformément à la demande de l’institut médicolégal d’Istanbul et qu’un rapport avait été établi le 29 septembre 2003. Il produisit en audience la copie de ce rapport. À l’issue de l’audience, la cour d’assises décida de demander à l’hôpital universitaire de lui envoyer l’original du rapport en question et de le transmettre ensuite à l’institut médicolégal.
32. Le 28 mai 2004, l’institut médicolégal demanda au parquet d’İzmir d’assurer la présentation de l’accusé M.S. à l’hôpital universitaire le plus proche pour des analyses complémentaires et la réalisation de tests de tumescence nocturne et de tests à la papavérine.
33. Le même jour, l’institut médicolégal établit son rapport au sujet de la requérante. À la lumière des déclarations faites par celle-ci devant la cour d’assises le 18 novembre 2002, des rapports médicaux établis à son endroit ainsi que de l’examen médical subi par elle le 30 avril 2003 à l’institut, les médecins conclurent qu’elle était en mesure de comprendre le caractère immoral des faits et de résister à l’acte sur le plan psychique (olayın ahlaki redaetini idrak edip, fiile ruhsal yönden mukavemete muktedir olduğu).
34. Lors de l’audience du 15 octobre 2004, l’avocat de la requérante présenta ses commentaires sur le rapport. Il affirma que l’examen de sa cliente effectué le 30 avril 2003 à l’institut avait duré seulement cinq minutes et que, à cette occasion, les médecins s’étaient bornés à lui poser quelques questions. Il estima en outre que la conclusion de ce rapport pouvait laisser croire que la requérante avait la capacité physique de résister à l’agression sexuelle mais qu’elle ne s’y était pas opposée. Selon lui, cette interprétation ne tenait pas compte du traumatisme vécu par l’intéressée. Il demanda que sa cliente fût soumise à un examen détaillé, à la lumière du rapport de l’hôpital universitaire du 27 février 2003, aux fins de déceler la présence de traumatismes psychiques et de séquelles consécutifs au viol. Il pria en particulier la cour d’assises de consulter le service de pédopsychiatrie de l’hôpital universitaire pour savoir si le stress post‑traumatique et la dépression majeure observés chez la requérante étaient de nature à confirmer ses allégations, s’il s’agissait d’affections rencontrées fréquemment dans des cas de viol et si d’autres faits que le viol pouvaient avoir provoqué son traumatisme. Il ajouta que la requérante et sa mère avaient été contraintes de déménager à deux reprises puis de quitter la ville d’İzmir pour s’installer à Istanbul en raison des menaces proférées à leur encontre par M.S.
35. La cour d’assises rejeta cette demande au motif que l’instance compétente en la matière – l’institut médicolégal – s’était déjà prononcée sur la question. Elle ordonna la présentation de M.S. au service d’urologie de l’un des hôpitaux universitaires d’İzmir pour le soumettre à des analyses et à des tests, conformément à la demande de l’institut médicolégal (paragraphe 32 ci-dessus).
36. Le 18 juillet 2005, la cour d’assises fut informée par les hôpitaux universitaires d’İzmir qu’ils ne pouvaient pas réaliser le test de tumescence nocturne. Elle invita l’institut médicolégal à lui indiquer les hôpitaux de la région en mesure de faire ce test. Elle releva que les autres tests demandés par l’institut avaient déjà été réalisés.
37. Le 2 novembre 2005, elle nota que l’institut avait indiqué que le test de tumescence nocturne pouvait être réalisé dans l’un des hôpitaux universitaires d’İzmir alors que les hôpitaux universitaires avaient indiqué le contraire. Par conséquent, elle demanda à l’institut s’il était possible d’établir un rapport sans effectuer ce test et, dans la négative, le pria de lui indiquer dans quel hôpital universitaire d’Istanbul ce test pouvait être fait.
38. Le 30 décembre 2005, la cour d’assises ordonna la présentation de M.S. à l’hôpital universitaire Cerrahpaşa d’Istanbul pour réaliser le test en question.
39. Le 5 avril 2006, la cour d’assises accusa réception du rapport de l’hôpital universitaire d’Istanbul. Elle releva que, selon ce rapport, l’accusé n’avait pas pu fournir une rigidité suffisante pour le test et que ce constat cadrait avec un dysfonctionnement organique.
40. Le 26 juin 2006, l’avocat de la requérante mit de nouveau en cause la fiabilité de l’examen de sa cliente par l’institut ainsi que les conclusions du rapport du 28 mai 2004 la concernant. Il releva par ailleurs que le test concernant l’accusé avait été réalisé près de quatre ans après les faits et s’interrogea sur la possibilité de le considérer rétroactivement. À cet égard, il fit remarquer que la mère de la requérante avait indiqué dans sa déposition du 18 novembre 2002 avoir des relations avec l’accusé tous les deux mois. Il précisa en outre que, selon l’avis de plusieurs médecins, une érection complète n’était pas nécessaire pour une relation sexuelle. Enfin, il critiqua la durée excessive de la procédure et ajouta que pendant cette période la requérante avait été contrainte de déménager à Istanbul en raison des menaces de son beau-père.
41. Le 30 juin 2006, la cour d’assises releva que le test de tumescence nocturne avait été réalisé et décida d’envoyer à nouveau le dossier à l’institut médicolégal d’Istanbul pour avis.
42. Dans sa requête déposée le 6 juillet 2006 à la cour d’assises, l’avocat de la requérante demanda à nouveau que sa cliente soit soumise à un examen psychiatrique à l’institut médicolégal. Il pria également la cour d’assises de demander à l’institut si des examens sur la capacité sexuelle de l’accusé, réalisés quatre ans après l’incident, pouvaient permettre de constater son impuissance à la date des faits reprochés et si l’absence d’érection totale empêchait la pénétration.
43. Lors de l’audience du 27 décembre 2006, la cour d’assises releva que, selon le rapport de l’institut médicolégal du 18 octobre 2006, l’accusé était impuissant. L’avocat de la requérante contesta ce rapport en précisant qu’il avait été délivré cinq ans après les faits dénoncés et que la capacité sexuelle de l’accusé avait très bien pu changer au cours de ce laps de temps. Il allégea aussi le caractère incomplet du rapport médical puisque l’institut n’avait pas pris en considération les points évoqués par lui dans sa requête du 6 juillet 2006 (paragraphe 42 ci-dessus), et demanda un complément d’enquête sur ce point. La cour d’assises écarta cette demande.
À l’issue de l’audience, la cour d’assises prononça l’acquittement des accusés. Pour parvenir à cette conclusion, elle se fonda sur les déclarations des accusés, de la requérante, de sa mère et de sa sœur ainsi que sur les conclusions des rapports médicaux suivants : le rapport médical du 10 octobre 2002 concernant la perte de virginité, le rapport du 28 mai 2004 concluant que la requérante était en mesure de comprendre les faits et de résister sur le plan psychique, et enfin le rapport du 18 octobre 2006 concernant la puissance sexuelle de l’accusé.
S’agissant de M.S., elle considéra à la lumière de l’ensemble des éléments du dossier que, à la date des faits dénoncés, il était impuissant et qu’il ne pouvait donc pas avoir commis les faits qui lui étaient reprochés. Le dispositif se lit comme suit dans sa partie concernant M.S. :
« Bien que des actions pénales aient été ouvertes contre lui des chefs de (...), vu les déclarations constantes de l’accusé depuis le début, la corpulence de la victime et celle de l’accusé, les rapports obtenus dans les hôpitaux et dernièrement par le conseil de spécialistes [de l’institut médicolégal], une entière et intime conviction s’étant formée que l’accusé n’avait pas commis les infractions reprochées, que les déclarations de la victime et de la mère de celle-ci n’étaient ni sincères ni convaincantes, l’accusé est acquitté de toutes les accusations ; (...) »
La composition de la cour d’assises au cours de cette audience était entièrement différente de celle qui avait tenu l’audience du 18 novembre 2002.
La cour d’assises rejeta aussi la demande d’indemnisation de la requérante.
44. Le 10 octobre 2011, la Cour de cassation confirma le jugement d’acquittement pour les infractions de viol et de séquestration reprochées à M.S. Pour l’infraction d’attouchements, elle releva que celle-ci était frappée de prescription. En conséquence, elle cassa ce jugement pour autant qu’il portait sur cette infraction et prononça l’extinction de l’action pénale.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
45. L’ancien code pénal turc (loi no 765), qui était en vigueur à l’époque des faits, réprimait le viol et les agressions sexuelles en opérant une distinction selon que la victime était âgée de plus de quinze ans ou de moins de quinze ans. Selon l’article 416 § 1 de l’ancien code pénal, le viol commis sur une personne âgée de plus de quinze ans, sous la contrainte, la violence ou la menace, était puni au minimum de sept ans d’emprisonnement. Lorsque le viol était commis sur une personne qui n’était pas en mesure de résister à l’acte en raison notamment d’une maladie physique ou mentale, l’existence de la contrainte, de la violence ou de la menace n’était pas exigée. L’agression sexuelle sur une personne âgée de plus de quinze ans était punie de trois à cinq ans d’emprisonnement (article 416 § 2 de l’ancien code pénal). Selon l’article 417 de l’ancien code pénal, le fait que l’infraction ait été commise par une personne ayant autorité sur la victime, tels les parents, constituait une circonstance aggravante ; la peine prévue était augmentée de moitié. L’article 430 § 1 de l’ancien code pénal punissait de cinq à dix ans d’emprisonnement la séquestration d’une personne mineure à des fins sexuelles.
46. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, il ne pouvait y avoir viol que par la pénétration partielle ou totale de l’organe sexuel masculin (arrêt du 4 juin 1990 rendu par les chambres criminelles réunies de la Cour de cassation, E.1990/5-101-K.1990/156). La pénétration avec toute autre partie du corps ou avec un objet était qualifiée d’agression sexuelle (voir, par exemple, les arrêts du 24 mai 1990 (E. 1990/1429-K. 1990/2913) et du 13 avril 2000 (E. 2000/2250-K. 2000/1197), tous deux rendus par la 5e chambre criminelle de la Cour de cassation).
47. Le nouveau code pénal (loi no 5237), entré en vigueur le 1er juin 2005, définit le viol comme la pénétration du corps avec un organe ou tout autre objet. Selon l’article 102 § 2 du code pénal, le viol est passible d’au moins douze ans d’emprisonnement et selon l’article 103 § 2, lorsqu’il est commis sur un mineur, la peine minimale est portée à seize ans d’emprisonnement. L’agression sexuelle sur un mineur – autre que le viol – est punie de huit à quinze ans d’emprisonnement (article 103 § 1). Enfin, le fait que ces infractions aient été commises par une personne ayant autorité sur la victime, tels les parents, constitue une circonstance aggravante et la peine prévue est augmentée de moitié (article 103 § 3).
48. Par un arrêt du 12 novembre 2016, publié au Journal officiel le 11 décembre 2015, la Cour constitutionnelle a annulé l’article 103 § 2 du nouveau code pénal (2015/26 E.-2015/100 K.). Elle a relevé que le fait d’imposer une peine minimale ôtait aux juges la possibilité de prononcer une peine adaptée aux circonstances de l’espèce et entraînait le prononcé de lourdes peines qui étaient de nature à rompre le juste équilibre devant exister entre l’infraction et la peine. L’instauration de peines-planchers aboutissait ainsi à prononcer des peines disproportionnées. Néanmoins, pour éviter un vide juridique à la suite de l’annulation de cette disposition, la Cour constitutionnelle a fixé la date d’entrée en vigueur de l’annulation à un an après la publication de l’arrêt dans le Journal officiel, soit le 11 décembre 2016, laissant ainsi au législateur le temps nécessaire pour adopter une nouvelle disposition. Par un arrêt du 26 mai 2016, publié au Journal officiel le 13 juillet 2016, la Cour constitutionnelle a annulé, pour les mêmes motifs, l’article 103 § 1 du nouveau code pénal (2015/108 E.-2016/46 K.) ; elle a fixé la date d’entrée en vigueur de l’annulation à six mois après la publication de l’arrêt au Journal officiel, soit le 13 janvier 2017.
III. SOURCES INTERNATIONALES PERTINENTES
49. La Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, adoptée par le Comité des Ministres le 12 juillet 2007 et entrée en vigueur le 1er juillet 2010, a été ratifiée par la Turquie le 7 décembre 2011.
50. En ce qui concerne plus particulièrement les abus sexuels en milieu familial, le rapport explicatif de cette convention indique ce qui suit :
« 3. (...) On sait aussi que, très souvent, les enfants victimes de violences sexuelles ont de très grandes difficultés à parler de ces actes lorsqu’ils sont commis par une personne appartenant à leur environnement social ou familial ou parce qu’ils sont menacés. Or, les données disponibles montrent que, dans les pays du Conseil de l’Europe, la majorité des abus sexuels commis à l’encontre d’enfants sont perpétrés dans le cadre familial, par des proches ou par des personnes appartenant à l’environnement social de l’enfant.
(...)
124. Le deuxième tiret prévoit que les enfants, dans le cadre de certaines relations, doivent être protégés même lorsqu’ils ont déjà atteint l’âge légal pour entretenir des activités sexuelles et que la personne impliquée n’a recours ni à la coercition, ni à la force, ni à la menace. Il s’agit de situations dans lesquelles les personnes impliquées abusent d’une relation de confiance avec l’enfant résultant d’une autorité naturelle, sociale ou religieuse qui leur permet de contrôler, punir ou récompenser l’enfant, sur les plans émotionnel, économique ou même physique. De telles relations de confiance existent entre l’enfant et ses parents, les membres de sa famille (...)
125. Le texte comprend la mention « y compris au sein de la famille » pour clairement mettre l’accent sur l’abus sexuel commis dans la famille. La recherche a en effet démontré qu’il s’agit d’une des formes de violences sexuelles les plus fréquentes et les plus dévastatrices pour l’enfant sur le plan psychologique, entraînant des dommages durables pour la victime. De plus, le terme « famille » fait référence à la famille élargie. »
51. En ce qui concerne les enquêtes, les poursuites et le droit procédural (articles 30 à 36 de la convention), le rapport explicatif indique :
« 209. Dans ce chapitre consacré aux aspects relatifs aux phases d’enquête et de poursuites des faits d’exploitation et d’abus sexuels concernant des enfants, les négociateurs ont voulu souligner l’importance primordiale qui s’attache à faire en sorte que les procédures tiennent dûment compte de la particulière vulnérabilité des enfants qui y sont confrontés, en tant que victimes ou témoins (...).
214. La question essentielle concerne le recueil et la place de la parole de l’enfant, qui constituent un enjeu majeur des procédures dans de nombreux États, comme en témoignent certaines affaires fortement médiatisées et les évolutions que les systèmes de procédure pénale ont connu dans les dernières décennies. Dans ce contexte, il est apparu urgent que les États se dotent de règles de procédure permettant de garantir et de sécuriser le recueil de la parole de l’enfant.
215. Ainsi, les paragraphes 1 et 2 énoncent deux principes généraux selon lesquels les investigations et les procédures judiciaires portant sur des faits d’exploitation et abus sexuels concernant des enfants doivent toujours se dérouler dans l’intérêt supérieur et le respect des droits des enfants et doivent viser à éviter d’aggraver le traumatisme déjà subi par ceux-ci. »
EN DROIT
I. SUR LA RECEVABILITE
52. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour non-épuisement des voies de recours internes. Il fait observer qu’au moment de l’introduction de la requête la procédure pénale était encore pendante devant la Cour de cassation. À titre subsidiaire, il soutient que la requérante ‑ puisqu’elle n’a pas attendu l’issue de son pourvoi en cassation pour introduire la requête ‑ aurait dû saisir la Cour dans les six mois suivant le jugement de première instance, à savoir celui du 27 décembre 2006.
53. La Cour rappelle qu’elle tolère que le dernier échelon des recours internes soit atteint peu après le dépôt de la requête, mais avant qu’elle ne soit appelée à se prononcer sur la recevabilité de celle-ci (voir, parmi d’autres, Karoussiotis c. Portugal, no 23205/08, § 57, CEDH 2011 (extraits), et Özçelebi c. Turquie, no 34823/05, § 35, 23 juin 2015). Elle observe que la requérante a introduit sa requête le 5 mars 2010, alors que l’examen de son pourvoi était pendant. Elle note toutefois que la procédure pénale, dans le cadre de laquelle la requérante s’était constituée partie intervenante, s’est achevée par l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2011, laquelle constitue la décision interne définitive au sens de l’article 35 de la Convention. Il s’ensuit que l’exception du Gouvernement doit être rejetée.
54. Quant à l’exception tirée de la tardiveté de la requête, la Cour estime que, dans ces conditions, elle doit être également rejetée (voir, en ce sens, Birtan Güven et autres c. Turquie, no 37625/03, § 52, 31 juillet 2007).
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3, 6 ET 8 DE LA CONVENTION
55. Invoquant d’abord l’article 3 de la Convention, la requérante se plaint de l’absence d’une procédure effective concernant ses allégations de viol.
Invoquant ensuite l’article 6 de la Convention, elle allègue un manque d’équité de la procédure pénale devant la cour d’assises.
Invoquant enfin l’article 8 de la Convention, elle se plaint d’avoir été victime d’un crime resté impuni et soutient que l’État a manqué à son obligation positive de lui fournir une protection effective pour assurer son bien-être. Elle ajoute que le déroulement du procès a enfreint cette disposition. Elle se plaint à cet égard du fait que l’audience au cours de laquelle elle a témoignée s’est tenue en public et du fait que le rapport de l’institut médicolégal du 28 mai 2004 suggère qu’elle aurait consenti aux actes dénoncés par elle.
56. La Cour estime opportun d’examiner ces griefs sous l’angle des seuls articles 3 et 8, dont les parties pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Article 8
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (....) »
A. Arguments des parties
57. Le Gouvernement explique que le droit turc punit le viol et les agressions sexuelles. Il fait observer que, à la suite de la plainte déposée par la requérante, les autorités ont immédiatement déclenché une enquête et qu’un procès a eu lieu devant la cour d’assises. D’après le Gouvernement, la présente affaire se distingue sur ce point de l’affaire M.C. c. Bulgarie (no 39272/98, CEDH 2003‑XII), qui avait été clôturée avant même que les suspects aient été traduits devant la justice. Il ajoute que, pendant le procès, des actes de procédure visant à faire la lumière sur les allégations de la requérante ont été réalisés. Il fait remarquer que la requérante s’est constituée partie intervenante au procès et que, à ce titre, elle a eu la possibilité de faire valoir ses arguments. S’agissant de l’absence de huis clos, le Gouvernement soutient que rien ne nécessitait dans la présente affaire la tenue d’une audience à huis clos. Il explique que la requérante a participé uniquement à la première audience, au cours de laquelle elle a simplement réitéré sa déposition faite devant la police, et précise qu’elle n’a pas fait d’autres déclarations qui auraient nécessité la poursuite de la procédure à huis clos. Le Gouvernement estime dès lors qu’il n’y a pas eu violation des articles 3 et 8 de la Convention.
58. La requérante dénonce la fiabilité de l’examen médical réalisé à l’institut médicolégal le 28 mai 2004 ainsi que les conclusions du rapport médical établi à l’issue de cet examen, en ce qu’elles pourraient laisser entendre qu’elle avait consenti au rapport sexuel en ne résistant pas à son beau‑père. Elle allègue à cet égard une atteinte à sa personnalité. Elle fait remarquer que l’institut médicolégal n’a aucunement recherché si son état psychologique confortait son récit et si elle souffrait d’un traumatisme psychologique qui aurait pu être causé par le viol. Elle se plaint aussi que la cour d’assises n’a pas pris en considération le rapport médical délivré par l’hôpital universitaire Dokuz Eylül d’İzmir le 27 février 2003 et a refusé d’accéder à sa demande d’examens psychologiques complémentaires. La requérante fait remarquer que la cour d’assises a acquitté M.S. sur la base d’un rapport médical du 18 octobre 2006, obtenu près de quatre ans après les faits, concluant à l’impuissance de celui-ci. Elle ajoute que la cour d’assises n’a pas envisagé l’éventualité de la commission d’infractions sexuelles autre que le viol. La requérante reproche enfin à la cour d’assises de n’avoir pas jugé crédibles ses déclarations et celles de sa mère, d’autant plus que les juges n’étaient pas présents lors de leur audition. Elle en conclut que l’État n’a pas mené une enquête adéquate et effective concernant ses allégations et que le procès n’a pas été équitable.
Enfin, la requérante reproche à la cour d’assises d’avoir ignoré la demande de tenue d’une audience à huis clos. Elle soutient que la tenue d’une audience publique a été traumatisante pour elle et qu’elle a porté atteinte à son intimité. Elle explique qu’elle a été contrainte de décrire devant des étrangers l’épreuve qu’elle a subie alors qu’elle était mineure. Elle précise que ce fut sa première et sa dernière comparution devant la cour d’assises. Elle considère que du fait de l’acquittement de son agresseur, l’État n’a pas assuré la protection effective de son bien-être et qu’il a manqué à ses obligations découlant de l’article 8 de la Convention.
B. Appréciation de la Cour
59. La Cour rappelle que, combinée avec l’article 3, l’obligation imposée par l’article 1 de la Convention aux Hautes Parties contractantes de garantir à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés consacrés par la Convention leur commande de prendre des mesures propres à empêcher que lesdites personnes ne soient soumises à des mauvais traitements, même administrés par des particuliers (A. c. Royaume‑Uni, 23 septembre 1998, § 22, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI, M.C., précité, § 149, et, plus récemment, S.Z. c. Bulgarie, no 29263/12, § 42, 3 mars 2015).
60. Cette protection commande en particulier la mise en place d’un cadre législatif permettant de mettre les individus suffisamment à l’abri de traitements contraires à l’article 3, notamment par l’adoption de dispositions en matière pénale et leur application effective en pratique (voir notamment, en ce qui concerne des actes sexuels non consentis, M.C., précité, §§ 150‑153, et M.N. c. Bulgarie, no 3832/06, §§ 36-37, 27 novembre 2012).
61. L’article 3 impose en outre aux autorités nationales, lorsqu’une personne allègue de manière défendable avoir été victime d’actes contraires à l’article 3, le devoir de mener une enquête officielle effective propre à permettre l’établissement des faits ainsi que l’identification et, le cas échéant, la punition des responsables. Ces obligations s’appliquent quelle que soit la qualité des personnes mises en cause, même lorsqu’il s’agit de particuliers (Y. c. Slovénie, no 41107/10, § 95, CEDH 2015 (extraits). Lorsque, comme en l’espèce, les investigations préliminaires effectuées ont entraîné l’ouverture de poursuites pénales devant les juridictions nationales, les exigences procédurales de l’article 3 s’étendent à l’ensemble de la procédure, y compris la phase de jugement (S.Z., précité, § 44, et N.A. c. République de Moldova, no 13424/06, § 65, 24 septembre 2013).
62. Pour être effective, l’enquête menée doit être suffisamment approfondie et objective. Les autorités doivent prendre les mesures raisonnables dont elles disposent pour obtenir les preuves relatives aux faits en question (voir, dans le contexte de poursuites pénales pour viol, M.C., précité, § 151, M.N., précité, §§ 38-39, et P.M. c. Bulgarie, no 49669/07, §§ 63-67, 24 janvier 2012).
63. L’obligation de mener une enquête effective est une obligation de moyens et non de résultat. Si cette exigence n’impose dès lors pas que toute procédure pénale doive se solder par une condamnation, voire par le prononcé d’une peine déterminée, les instances judiciaires internes ne doivent en aucun cas se montrer disposées à laisser impunies des atteintes à l’intégrité physique et morale des personnes. La prescription des poursuites pénales en raison de l’inactivité des autorités compétentes a ainsi pu amener la Cour à conclure au non-respect des obligations positives de l’État (M.N., précité, §§ 46 et 49, et Stoev et autres c. Bulgarie, no 41717/09, § 48, 11 mars 2014).
64. Enfin, pour qu’une enquête puisse passer pour effective, il est nécessaire qu’elle soit menée avec une célérité et une diligence raisonnables. Une réponse rapide des autorités est essentielle pour préserver la confiance du public dans le respect du principe de légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance d’actes illégaux (Membres de la Congrégation des témoins de Jéhovah de Gldani c. Géorgie, no 71156/01, § 97, 3 mai 2007).
65. La Cour rappelle en outre que l’obligation positive qui incombe à l’État en vertu de l’article 8 de protéger l’intégrité physique de l’individu appelle, dans des cas aussi graves que le viol et les abus sexuels sur des enfants, des dispositions pénales efficaces, et peut s’étendre par conséquent aux questions concernant l’effectivité de l’enquête pénale qui a pour but de mettre en œuvre ces dispositions législatives (M.C., précité, §§ 150, 152 et 153, M.P. et autres c. Bulgarie, no 22457/08, § 109, 15 novembre 2011, C.A.S. et C.S. c. Roumanie, no 26692/05, § 72, 20 mars 2012, et M.G.C. c. Roumanie, no 61495/11, § 58, 15 mars 2016).
66. En l’espèce, la Cour estime que, compte tenu de la nature et de la gravité particulière des faits dénoncés par la requérante et de sa minorité, l’État avait le devoir, pour satisfaire aux obligations positives découlant des articles 3 et 8 de la Convention, d’adopter des dispositions pénales qui sanctionnent effectivement les actes dénoncés ainsi que de mettre en œuvre ces dispositions notamment par le biais d’une enquête et d’une procédure effectives (M.N., précité, § 41).
67. La Cour observe que le droit turc érige le viol et les abus sexuels en infractions pénales. Tant les dispositions de l’ancien code pénal – qui était en vigueur à l’époque des faits – que celles du nouveau code pénal répriment les agissements dénoncés par la requérante (paragraphes 45-48 ci-dessus). La requérante ne se plaint d’ailleurs pas que les autorités turques ont omis de mettre en place un cadre législatif de protection. Il reste à rechercher si l’État a satisfait à son obligation de mettre en œuvre les dispositions en question au moyen d’une enquête et d’une procédure effectives.
68. Pour ce faire, la Cour n’est pas appelée à se prononcer sur les allégations d’erreurs ou d’omissions particulières de l’enquête. Elle ne saurait se substituer aux autorités internes dans l’appréciation des faits de la cause ni statuer sur la responsabilité pénale de l’agresseur présumé (M. et C. c. Roumanie, no 29032/04, § 113, 27 septembre 2011).
69. La Cour observe qu’une enquête a été ouverte immédiatement après le dépôt de plainte. La requérante a aussitôt été soumise à un examen médical et les déclarations de tous les protagonistes ont été recueillies par la police. M.S., qui a été mis en cause par la requérante, a été inculpé des chefs de viol, d’agression sexuelle et de séquestration, et un procès s’est ouvert devant la cour d’assises. À l’issue de ce procès, la cour d’assises a estimé que les allégations de la requérante n’étaient pas établies et a acquitté M.S.
70. La Cour reconnaît que les juridictions nationales n’avaient pas la tâche facile. En effet, l’examen médical subi par la requérante n’indiquait aucune trace physique de viol ni d’agression sexuelle, il n’existait pas de témoin direct des faits dénoncés et l’accusé M.S. a toujours nié les faits qui lui étaient reprochés. Cela étant, les autorités n’en avaient pas moins l’obligation d’examiner tous les faits et de statuer après s’être livrées à une appréciation de l’ensemble des circonstances (M.C., précité, § 181).
71. La Cour estime qu’en l’espèce, l’absence de preuve directe aurait dû conduire les juges à procéder à une appréciation scrupuleuse de la crédibilité des déclarations de la victime. Or, force est de relever que les juges n’ont pas pris les mesures requises pour mettre à l’épreuve la crédibilité de la version des faits donnée par la requérante. Ainsi, lors de la seule audience où la requérante s’est retrouvée en présence de son agresseur présumé, les juges se sont contentés de recueillir les déclarations des protagonistes, sans chercher à confronter leurs déclarations en invitant les intéressés à s’expliquer sur des faits dont ils ont donné des versions radicalement différentes. Une confrontation ne semble pas non plus avoir été organisée au stade de l’enquête. De plus, la cour d’assises n’a pas accordé foi aux déclarations de la requérante, sans s’en expliquer. Elle a simplement estimé que ses déclarations n’étaient ni sincères ni convaincantes. À cet égard, la Cour observe que le récit de la requérante n’a pas varié : les deux fois où elle a été entendue – lors de l’enquête et lors du procès – elle a décrit les faits dans les mêmes termes. S’il est vrai que son récit n’est pas détaillé et qu’il ne donne pas de description circonstanciée des faits, force est de constater qu’aucune démarche ne semble avoir été entreprise par les autorités pour entendre l’intéressée dans des conditions favorables à l’obtention d’un récit plus précis des actes dénoncés. Au cours de l’enquête, la requérante, alors mineure, a été entendue par deux policiers de sexe masculin. Il n’est pas établi ni allégué qu’il s’agissait d’agents spécialisés en matière d’abus sexuels concernant les mineurs. Pendant le procès, l’intéressée, toujours mineure, a été entendue en audience publique. Non seulement la cour d’assises ne s’est pas prononcée d’office sur la nécessité de tenir une audience à huis clos au regard de l’âge de la requérante, mais elle n’a même pas répondu à la demande formulée en ce sens par l’avocat de l’intéressée. On ne peut ignorer ici le caractère traumatisant de la publicité des débats pour la requérante, et le fait que son audition au cours d’une audience publique était de nature à porter atteinte à sa dignité et à sa vie privée. La Cour note également que la requérante n’a été accompagnée par une psychologue à aucun stade de la procédure (C.A.S. et C.S., précité, § 82).
72. Ainsi, ni les autorités d’enquête ni les juges ne semblent avoir pris en considération la vulnérabilité particulière de la requérante, mineure, ni les facteurs psychologiques propres aux viols de mineurs commis en milieu familial, particularités qui auraient pu expliquer les réticences de la victime à la fois à signaler la violence et à décrire les faits (C.A.S. et C.S., précité, § 81). La Cour rappelle en particulier que, dans le cas de personnes vulnérables, dont font partie les enfants, les autorités doivent faire preuve d’une attention particulière et assurer aux victimes une protection accrue du fait que leur capacité ou leur volonté de se plaindre se trouvent souvent affaiblies (voir, entre autres, M.C., précité, § 150, M. et C., précité, § 111, et R.I.P. et D.L.P. c. Roumanie, no 27782/10, § 58, 10 mai 2012).
73. La Cour tient également à souligner que les obligations contractées par l’État en vertu des articles 3 et 8 de la Convention exigent que, dans des cas comme celui-ci, l’intérêt supérieur de l’enfant soit respecté. Le droit à la dignité humaine et à l’intégrité psychologique requiert une attention particulière lorsque la victime des violences est un enfant (C.A.S. et C.S., précité, § 82). Cette obligation découle aussi de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, laquelle souligne l’importance primordiale qui s’attache à faire en sorte que les procédures tiennent dûment compte de la vulnérabilité particulière des enfants qui y sont confrontés, en tant que victimes ou témoins, et que les États se dotent de règles de procédure permettant de garantir et de sécuriser le recueil de la parole de l’enfant (paragraphe 51 ci‑dessus).
74. S’agissant encore de l’appréciation de la crédibilité des déclarations de la requérante, la Cour note aussi que les juges ayant procédé à cette appréciation n’ont jamais vu l’intéressée puisqu’ils n’étaient pas présents lors de son audition à l’audience du 18 novembre 2002, la composition de la cour d’assises étant alors entièrement différente.
75. La Cour relève par ailleurs que les juges du fond n’ont pas ordonné d’expertise psychologique pour rechercher l’existence de symptômes compatibles avec les allégations de l’intéressée ni pris en considération les conclusions du rapport de l’hôpital universitaire Dokuz Eylül du 27 février 2003, lequel concluait à l’existence d’un stress post-traumatique et d’une dépression majeure. Elle note que l’examen subi par la requérante à l’institut médicolégal ne visait pas, ainsi qu’il ressort du rapport du 28 mai 2004, à examiner l’état psychologique de la requérante. Cet examen visait simplement à rechercher si la requérante souffrait d’une déficience mentale de nature à altérer sa capacité à donner un consentement libre et éclairé à un acte sexuel, circonstance qui aurait alors placé la victime dans l’impossibilité de résister à l’agression sexuelle, comme prévu à l’article 416 de l’ancien code pénal (paragraphe 45 ci-dessus).
76. La Cour relève également que la corpulence du beau-père et de la requérante a été un des arguments visant à écarter les allégations de viol, bien que les articles 414 et 416 de l’ancien code pénal ne mentionnaient pas une exigence de résistance physique de la victime en matière de viol. La cour d’assises a ainsi demandé à l’institut médicolégal de rechercher si, compte tenu de la corpulence de la requérante, l’accusé était en mesure de la violer par la force, demande à laquelle l’institut n’a apporté aucune réponse. Puis dans le dispositif, la cour d’assises a fait référence, parmi d’autres éléments, à la corpulence de l’accusé et à celle de la victime pour ne pas retenir la culpabilité du beau-père. Aux yeux de la Cour, la question posée par la cour d’assises à l’institut médicolégal ainsi que la mention à la corpulence dans le dispositif démontrent que la cour d’assises entendait étayer sa démonstration de la non-culpabilité du beau-père en s’appuyant sur des notions auxquelles la loi en vigueur ne faisait pas référence et qui faisaient abstraction de « l’état de sidération » qui peut accompagner certains faits de violence sexuelles et expliquer l’absence de réaction de la victime.
77. La Cour note ensuite que, pour acquitter M.S., la cour d’assises a accordé un poids décisif au rapport médical ayant conclu à l’impuissance de l’intéressé. Or il convient de relever que les tests ont été réalisés plusieurs années après les faits dénoncés. À partir de ces tests, la cour d’assises a admis que M.S. était impuissant à la date des faits. Bien que le rapport en question ne figure pas dans le dossier, il n’est pas établi, ni allégué par le Gouvernement, que le rapport en question comporte une indication en ce sens. Les contestations formulées par l’avocat de la requérante quant au rapport médical et les demandes de clarification souhaitées par lui ont été rejetées par la cour d’assises alors même que ce rapport fut un élément pourtant essentiel du procès ayant contribué à emporter la conviction des juges. La cour d’assises n’a pas non plus prêté foi aux déclarations de la mère de la requérante quant à la capacité sexuelle de son mari.
78. La Cour tient à souligner que le fait de conclure à l’impuissance de l’accusé M.S. a conduit les juges à écarter automatiquement les allégations de viol puisque, selon le droit et la pratique en vigueur à l’époque des faits, le viol ne pouvait être commis qu’au moyen de l’organe sexuel (paragraphe 46 ci-dessus). La Cour note en outre que l’examen de la cour d’assises a porté uniquement sur le viol et nullement sur l’agression sexuelle alors même que M.S. était aussi poursuivi de ce chef. En effet, au regard du droit et de la pratique internes en vigueur à l’époque, si l’impuissance pouvait se révéler déterminante pour l’infraction de viol, elle ne l’était nullement pour l’infraction d’agression sexuelle. Or la cour d’assises n’a aucunement cherché à savoir si la conduite de M.S. avait pu constituer un délit d’agression sexuelle.
79. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les autorités compétentes n’ont pas usé de toutes les possibilités qui s’offraient à elles pour établir les circonstances des actes dont il s’agit.
80. Enfin, la Cour note que la procédure a connu des retards considérables. Alors que la cour d’assises avait ordonné la réalisation des tests relatifs à la puissance sexuelle de l’accusé dès la première audience, le 18 novembre 2002, le rapport définitif n’a été établi que le 18 octobre 2006 et versé aux débats lors de l’audience du 27 décembre 2006. Il a fallu ainsi attendre plus de quatre ans pour la réalisation de ces tests. De surcroît, l’examen du pourvoi en cassation a duré environ quatre ans et demi, circonstance qui a conduit à la prescription du chef d’agression sexuelle.
81. En somme, sans exprimer d’avis sur la culpabilité de M.S., la Cour estime que la procédure menée en l’espèce, et en particulier la démarche adoptée par la cour d’assises, ne sont pas de nature à satisfaire aux exigences inhérentes aux obligations positives de l’État tenant à l’adoption de dispositions pénales et à leur application effective.
82. Partant, la Cour conclut à la violation des articles 3 et 8 de la Convention.
III. SUR L’AUTRE VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION ET SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
83. La requérante se plaint de la durée de la procédure pénale. Elle invoque à cet égard l’article 6 de la Convention.
Invoquant l’article 13 de la Convention combiné avec son article 6, elle allègue ne pas avoir disposé de recours en droit interne pour obtenir une réparation pour la durée excessive de la procédure. Elle se plaint aussi de l’absence d’un recours effectif pour obtenir la réparation du préjudice subi en raison des abus sexuels dont elle se dit victime. Elle explique qu’en raison de l’acquittement prononcé, une action civile en indemnisation n’avait plus aucune chance d’aboutir.
84. Eu égard au constat de violation auquel elle est parvenue sous l’angle des articles 3 et 8 de la Convention (paragraphe 83 ci-dessus), la Cour estime avoir examiné la question juridique principale posée par la présente espèce. Compte tenu de l’ensemble des faits de la cause et des arguments des parties, elle considère qu’il ne s’impose pas de statuer séparément sur les autres griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention (voir, pour une approche similaire, Kamil Uzun c. Turquie, no 37410/97, § 64, 10 mai 2007).
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
85. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
86. La requérante réclame 10 000 euros (EUR) pour préjudice matériel et 45 000 EUR pour préjudice moral.
87. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
88. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette en conséquence la demande.
En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 15 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
89. La requérante demande également 3 660 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Elle fournit un décompte horaire ainsi que des justificatifs relatifs à des envois postaux.
90. Le Gouvernement juge ce montant excessif et indique qu’il ne s’appuie sur aucun document.
91. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
92. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3 et 8 de la Convention ;
2. Dit qu’il y a eu violation des articles 3 et 8 de de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le reste des griefs ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i) 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 octobre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley NaismithJulia Laffranque
GreffierPrésidente