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17/01/2017 | CEDH | N°001-170616

CEDH | CEDH, AFFAIRE C.M. c. SUISSE, 2017, 001-170616


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE C.M. c. SUISSE

(Requête no 7318/09)

ARRÊT

STRASBOURG

17 janvier 2017

DÉFINITIF

17/04/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire C.M. c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Helena Jäderblom,
Helen Keller,
Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanova,
Ale

na Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 décembre 20...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE C.M. c. SUISSE

(Requête no 7318/09)

ARRÊT

STRASBOURG

17 janvier 2017

DÉFINITIF

17/04/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire C.M. c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Helena Jäderblom,
Helen Keller,
Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 décembre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 7318/09) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet État, M. C.M. (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 janvier 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement de la Cour).

2. Le requérant a été représenté par Me Ph. Stolkin, avocat à Zurich. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Schürmann, et son agent suppléant, M. A. Scheidegger, de l’unité Droit européen et protection internationale des droits de l’homme de l’Office fédéral de la justice.

3. Le requérant alléguait en particulier que le tribunal des assurances sociales (Sozialversicherungsgericht) du canton de Zurich (« le tribunal des assurances sociales ») ne lui avait communiqué les observations de la partie adverse concernant son action que quelques jours avant le jugement et qu’il n’avait dès lors pas eu la possibilité d’y répondre.

4. Le 6 mai 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1945 et réside à Zug.

6. Le 29 mai 2001, le tribunal des assurances sociales condamna la caisse de pension ASGA Pensionskasse des Gewerbes (« la caisse de pension ») à verser rétroactivement au requérant des prestations d’invalidité à compter du 11 juin 1993. Cette décision est devenue définitive.

7. Le 29 août 2003, la caisse de pension informa le requérant du montant de la rente d’invalidité ainsi que du montant de l’arriéré, intérêts inclus.

8. Le 22 décembre 2003, le requérant saisit le tribunal des assurances sociales d’une action contre la caisse de pension, demandant qu’il fût procédé à un nouveau calcul des intérêts.

9. À la suite d’une transaction extrajudiciaire signée les 30 mars et 1er avril 2004, le requérant retira ladite action.

10. Le 14 septembre 2007, le requérant intenta de nouveau – sans être représenté par un avocat – une action contre la caisse de pension devant le tribunal des assurances sociales tendant pour l’essentiel à l’obtention du paiement d’une rente d’invalidité complète à compter du 11 juin 1993 et du paiement d’intérêts – à hauteur de 5 % – sur l’arriéré à compter du 11 juin 1998.

11. Dans sa réponse écrite (Klageantwort) du 19 décembre 2007, la caisse de pension, se référant à la transaction extrajudiciaire signée les 30 mars et 1er avril 2004, demanda le rejet de l’action.

12. Par une décision du 12 mars 2008, le tribunal des assurances sociales débouta le requérant de son action, estimant que la question du montant de la rente faisait partie de l’objet du litige de la procédure précédente et que les prétentions en cause étaient devenues res judicata à la suite du désistement d’action du requérant intervenu en avril 2004.

13. Le 19 avril 2008, le requérant forma un recours de droit public contre cette décision. Il soutenait notamment qu’il n’avait obtenu la réponse écrite de la partie adverse datée du 19 octobre 2007[1] que le 10 mars 2008. Il plaidait que, le tribunal des assurances sociales ayant prononcé sa décision le 12 mars 2008, lui-même n’avait pas pu répliquer à cette réponse écrite. Il ajoutait que, à l’époque, contrairement à la caisse de pension, il ne connaissait pas l’arrêt du Tribunal fédéral des assurances du 24 novembre 2003, portant sur l’inadmissibilité d’une réserve dans le règlement de ladite caisse de pension. Selon le requérant, cette dernière avait donc commis un dol en omettant de l’informer dudit arrêt avant la conclusion de la transaction extrajudiciaire.

14. Par un arrêt du 8 août 2008, le Tribunal fédéral débouta le requérant. Il indiqua statuer sur la base des faits établis par l’autorité précédente. S’agissant du grief de dol, le Tribunal fédéral le qualifia de nouvel élément de droit, dit qu’il ne pouvait pas examiner celui-ci sur la base des faits tels qu’ils avaient été établis et le déclara dès lors irrecevable. Par ailleurs, il estima que, même si le montant de la rente n’était pas res judicata, il était possible pour le requérant d’avoir pris connaissance de l’arrêt du Tribunal fédéral des assurances du 24 novembre 2003 et que, dès lors, il ne pouvait pas arguer d’une erreur essentielle pour se soustraire à l’effet de la transaction extrajudiciaire. Il indiqua que, au moment de la transaction, l’arrêt en question avait déjà été publié sur Internet et dans plusieurs revues de droit. Enfin, le Tribunal fédéral n’examina pas explicitement le grief tiré de la violation du droit de réplique.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

15. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (Bundesgesetz über das Bundesgericht), en vigueur à l’époque des faits, sont libellées comme suit :

Article 99

« 1 Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l’autorité précédente.

2 Toute conclusion nouvelle est irrecevable. »

Article 102 – Échange d’écritures

« 1 Si nécessaire, le Tribunal fédéral communique le recours à l’autorité précédente ainsi qu’aux éventuelles autres parties ou participants à la procédure ou aux autorités qui ont qualité pour recourir ; ce faisant, il leur impartit un délai pour se déterminer.

2 L’autorité précédente transmet le dossier de la cause dans le même délai.

3 En règle générale, il n’y a pas d’échange ultérieur d’écritures. »

Article 121 – Violation de règles de procédure

« La révision d’un arrêt du Tribunal fédéral peut être demandée :

a. si les dispositions concernant la composition du tribunal ou la récusation n’ont pas été observées ;

b. si le tribunal a accordé à une partie soit plus ou, sans que la loi ne le permette, autre chose que ce qu’elle a demandé, soit moins que ce que la partie adverse a reconnu devoir ;

c. si le tribunal n’a pas statué sur certaines conclusions ;

d. si, par inadvertance, le tribunal n’a pas pris en considération des faits pertinents qui ressortent du dossier. »

16. La loi du 7 mars 1993 sur le tribunal des assurances sociales du canton de Zurich (Gesetz über das Sozialversicherungsgericht) dispose notamment ce qui suit (traduction du greffe) :

Paragraphe 19

« 1 Le tribunal donne à la partie adverse l’occasion de se prononcer par écrit. Les moyens de preuve doivent être désignés et, dans la mesure du possible, ils doivent être joints.

2 Lorsque le recours ou l’action paraît manifestement irrecevable ou dépourvu de toute chance de succès, le tribunal peut statuer immédiatement, sans entendre la partie adverse.

3 Le tribunal peut ordonner un second échange d’écritures ou, lorsque les circonstances le justifient, citer les parties à une audience.

4 Les parties sont invitées à compléter leurs écrits lorsque ces derniers sont incomplets ou peu clairs. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION, TIRÉE DU DROIT DE RÉPLIQUE

17. Le requérant allègue qu’il n’a pas eu la possibilité de répondre aux observations de la partie adverse et que ses droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention ont ainsi été méconnus. Cette disposition est ainsi libellée en ses passages pertinents en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

18. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

1. Exception préliminaire tirée de l’absence d’un préjudice important

a) Thèses des parties

19. À titre principal, le Gouvernement invite la Cour à déclarer la requête irrecevable pour absence de préjudice important au sens de l’article 35 § 3 b) de la Convention. Il argue que la réponse de la caisse de pension ne contenait aucun élément nouveau ou pertinent par rapport aux procédures antérieures et à la demande du 14 septembre 2007, et que, en tout état de cause, la décision du tribunal des assurances sociales ne se fondait pas sur la réponse de la caisse de pension. Il soutient que cette réponse n’avait eu aucun effet sur la décision et que, en l’absence d’une telle réponse, cette dernière décision n’aurait pas été différente. Il ajoute que le requérant avait déjà pris position sur l’existence d’une res judicata dans son action du 14 septembre 2007 et qu’il avait allégué en substance une erreur essentielle. Il avance que le requérant n’a pas exposé concrètement les arguments additionnels pertinents qu’il aurait voulu tirer de la réponse de la caisse de pension du 19 décembre 2007. Enfin, il estime que les deux exceptions prévues à l’article 35 § 3 b) de la Convention ne sont pas pertinentes en l’espèce.

20. Le requérant rétorque que, selon le Tribunal fédéral, ses prétentions n’étaient pas devenues res judicata, par conséquent, le raisonnement développé par la caisse de pension dans sa réponse écrite n’était pas juste, et que lui-même aurait pu soulever cet argument en réplique. En outre, il considère qu’il aurait pu exposer dans sa réponse que la transaction était nulle au motif que les intérêts moratoires faisaient partie du droit public impératif, que la caisse de pension n’avait pas respecté la transaction pendant une certaine période et qu’elle percevait des cotisations différentes pour les hommes et les femmes. Il précise que l’enjeu est important : le montant de la rente recalculée s’élèverait selon lui à 42 000 francs suisses (CHF) (environ 25 500 euros (EUR) au moment de l’introduction de l’action). Il est convaincu que l’issue de la procédure aurait été différente si le tribunal des assurances sociales lui avait donné la possibilité de répondre aux observations de la caisse de pension. Enfin, il soutient que l’affaire n’a pas été dûment examinée par les juridictions internes.

b) Appréciation de la Cour

21. La Cour rappelle que, dans l’affaire Holub c. République tchèque ((déc.) no 24880/05, 14 décembre 2010), elle a déclaré irrecevable un grief analogue à celui soulevé dans la présente affaire au motif que le requérant n’avait pas subi un préjudice important au sens de l’article 35 § 3 b) de la Convention (voir aussi Hanzl et Špadrna c. République tchèque (déc.), no 30073/06, 15 janvier 2013, et Kiliç et autres c. Turquie (déc.), no 33162/10, 3 décembre 2013). Elle a fondé cette décision sur le fait que les observations non communiquées des autres parties ne contenaient aucun élément nouveau ou pertinent pour l’affaire et que la décision rendue par la Cour constitutionnelle ne se fondait pas sur celles-ci. Toutefois, dans d’autres affaires portant également sur un grief analogue, la Cour a rejeté l’exception tirée de l’absence d’un préjudice important au motif que les observations non communiquées contenaient des éléments nouveaux qui avaient de plus joué explicitement (BENet Praha, spol. s.r.o. c. République tchèque, no 33908/04, § 135, 24 février 2011) ou au moins potentiellement (3A.CZ s.r.o. c. République tchèque, no 21835/06, § 34, 10 février 2011, et Joos c. Suisse, no 43245/07, § 20, 15 novembre 2012) un rôle pour les jugements adoptés par la suite.

22. La Cour note d’emblée que, en l’espèce, la réponse écrite de la caisse de pension du 19 décembre 2007 constituait la première prise de position de la partie adverse dans la procédure déclenchée par l’action du requérant. Ladite réponse écrite contenait par conséquent le développement de l’argumentation de la partie adverse, auparavant inconnue du requérant. Cette seule raison suffit à la Cour pour estimer qu’on ne saurait admettre que la réponse ne contenait aucun élément nouveau. Le fait que le requérant lui-même avait déjà mentionné l’argument de la res judicata lors de son action du 14 septembre 2007 ne change rien à cette conclusion, et ce d’autant moins que l’argument soulevé par la caisse de pension dans sa réponse écrite ne portait pas sur l’autorité de la chose jugée, mais consistait à dire que la question du montant de la rente avait été réglée par la transaction extrajudiciaire.

23. La Cour ne partage pas non plus l’avis du Gouvernement selon lequel la réponse écrite ne contenait rien de nouveau par rapport aux procédures précédentes. Elle estime au contraire que la transaction et le désistement n’étaient pas l’objet de la dernière procédure (paragraphes 8‑9 ci-dessus), à laquelle ils ont mis fin.

24. La Cour constate de plus que le tribunal des assurances sociales est la seule instance de pleine juridiction dans la présente espèce.

25. En outre, elle note que le tribunal des assurances sociales a accueilli la demande de rejet de l’action du requérant présentée par la partie adverse dans sa réponse écrite, celle-là même à laquelle le requérant aurait voulu pouvoir répondre.

26. La Cour observe que la partie adverse a expliqué dans sa réponse écrite les raisons pour lesquelles, à ses yeux, le requérant ne pouvait pas se prévaloir d’une erreur. La partie adverse a notamment indiqué que, à l’époque de la transaction, le requérant était représenté par un avocat et que l’arrêt du Tribunal fédéral des assurances du 24 novembre 2003 était disponible. La Cour relève que ce dernier argument a été repris dans la décision du tribunal des assurances sociales du 12 mars 2008, sans pour autant que celui-ci se fût référé explicitement aux observations de la caisse de pension. Le tribunal des assurances sociales a également repris, en faisant cette fois référence à la réponse écrite, l’affirmation de la caisse de pension selon laquelle elle n’aurait pas donné son accord à la transaction extrajudiciaire si cette dernière n’avait pas fixé le montant de la rente.

27. Partant, on ne saurait conclure que la réponse écrite de la caisse de pension ne contenait pas d’élément nouveau ou pertinent et que le requérant n’a pas subi un « préjudice important » dans l’exercice de son droit de participer de manière effective à la procédure devant le tribunal des assurances sociales.

28. Au regard de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a lieu d’écarter l’exception préliminaire du Gouvernement tirée de l’absence d’un préjudice important pour ce grief.

2. Exception préliminaire tirée du non-épuisement des voies de recours internes

a) Thèses des parties

29. À titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que le requérant, au mépris de l’article 35 § 1 et 4 de la Convention, n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il argue que l’intéressé aurait pu exiger la révision de l’arrêt du 8 août 2008 du Tribunal fédéral en se fondant sur le non-examen par celui-ci de l’atteinte alléguée au principe de l’égalité des armes et de la brièveté du laps de temps qui lui aurait été accordé pour exercer son droit de réplique. Le Gouvernement indique encore que la révision d’un arrêt du Tribunal fédéral peut être demandée, en vertu de l’article 121 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral, si ce dernier n’a pas statué sur certaines conclusions (let. c) ou si, par inadvertance, il n’a pas pris en considération des faits pertinents qui ressortent du dossier (let. d). Il ajoute, en se référant à la jurisprudence, que le Tribunal fédéral a accepté à plusieurs reprises des demandes en révision en vertu dudit article. Il conclut que la révision est une voie de recours susceptible de remédier aux violations alléguées dans la présente requête, qu’elle offre des perspectives de succès suffisantes et qu’elle constitue dès lors une voie de recours accessible et efficace.

30. Le requérant rétorque que la révision est une voie de recours extraordinaire et que seules les voies de recours effectives, appropriées et accessibles sont à épuiser. Au demeurant, il doute qu’il existe en l’espèce un motif de révision. Il estime que le Tribunal fédéral a rejeté son grief au motif que celui-ci tombait également sous le coup de l’interdiction de présenter de nouveaux moyens devant lui. Il soutient que, en tout état de cause, une violation du droit d’être entendu ne peut constituer un motif de révision, selon la jurisprudence interne, que si la Cour a, au préalable, constaté une telle violation.

b) Appréciation de la Cour

31. La Cour rappelle d’emblée que, sauf dans des circonstances particulières, un requérant n’est pas tenu de se prévaloir d’un recours extraordinaire aux fins de la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention (Prystavska c. Ukraine (déc.), no 21287/02, CEDH 2002‑X).

32. La Cour constate que le requérant a saisi le Tribunal fédéral d’un recours de droit public contre la décision du Tribunal des assurances sociales du 12 mars 2008. Dans son recours devant le Tribunal fédéral, le requérant a plaidé qu’il avait été privé de la possibilité de répliquer aux observations de la partie adverse devant le tribunal des assurances sociales. Partant, le requérant a tenté d’obtenir, dans la forme et le délai prescrits, le redressement de la violation alléguée par une voie de recours appropriée devant la plus haute juridiction nationale.

33. Dès lors, la Cour considère que, dans la présente affaire, on ne peut exiger du requérant, qui a correctement épuisé les voies de recours internes susceptibles de remédier à la violation alléguée, qu’il fasse en plus usage d’une voie de recours extraordinaire pour pallier l’absence d’examen de son grief par le Tribunal fédéral alors que ce dernier avait eu la possibilité de se prononcer sur cette question.

34. Partant, la Cour rejette l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.

35. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

36. Le requérant soutient qu’il n’a pas eu de possibilité raisonnable de commenter les observations de la partie adverse. Il ajoute que, le système juridique suisse ne prévoyant qu’une seule instance pour examiner les faits, il ne pouvait plus introduire ses arguments après le refus du tribunal des assurances sociales de lui permettre de répliquer aux observations de la partie adverse. Il indique également que la faculté d’introduire des faits nouveaux devant le Tribunal fédéral est très limitée, que ce dernier n’a pas fait usage de son pouvoir de renvoyer l’affaire à l’autorité précédente pour qu’elle statuât à nouveau en raison d’une atteinte au droit à être entendu, et que cette omission a « perpétué » la violation dont il se dit victime. Il plaide qu’aucune instance judiciaire ne lui a ainsi offert la possibilité de prendre position sur les observations de la caisse de pension.

37. Le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur le bien-fondé de la présente requête dans ses observations du 11 octobre 2013.

2. Appréciation de la Cour

38. La Cour rappelle que les garanties relatives à un procès équitable impliquent en principe le droit, pour les parties au procès, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge et de la discuter (voir, par exemple, Martinie c. France [GC], no 58675/00, § 46, CEDH 2006‑VI, et Locher et autres c. Suisse, no 7539/06, § 27, 25 juillet 2013).

39. Dans plusieurs affaires concernant la Suisse, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention au motif que le requérant n’avait pas été invité à s’exprimer sur les observations d’une autorité judiciaire inférieure, d’une autorité administrative ou de la partie adverse (Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, §§ 31-32, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I, F.R. c. Suisse, no 37292/97, §§ 40-41, 28 juin 2001, Ziegler c. Suisse, no 33499/96, § 39, 21 février 2002, Contardi c. Suisse, no 7020/02, §§ 45-46, 12 juillet 2005, Spang c. Suisse, no 45228/99, §§ 33‑34, 11 octobre 2005, Ressegatti c. Suisse, no 17671/02, § 33, 13 juillet 2006, Kessler c. Suisse, no 10577/04, § 32, 26 juillet 2007, Ellès et autres c. Suisse, no 12573/06, §§ 28-29, 16 décembre 2010, et Locher et autres, précité, § 35).

40. La Cour rappelle encore que les parties à un litige doivent avoir la possibilité d’indiquer si elles estiment qu’un document appelle des commentaires de leur part. Il y va notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice : elle se fonde, entre autres, sur l’assurance d’avoir pu s’exprimer sur toute pièce du dossier (voir, par exemple, Kök c. Turquie, no 1855/02, § 52, 19 octobre 2006).

41. En l’espèce, la Cour note que le Gouvernement admet dans ses observations que la réponse écrite du 19 décembre 2007 a été envoyée au requérant le 4 mars 2008. Par ailleurs, elle relève que le Gouvernement ne se prononce ni sur l’allégation du requérant selon laquelle il a obtenu la réponse écrite de la partie adverse le 10 mars 2008 par « courrier B » (avec lequel, d’après la Poste suisse, les lettres parviennent à leur destinataire dans un délai maximal de trois jours ouvrables) ni sur la précision apportée par l’intéressé dans ses observations, selon laquelle ladite réponse écrite était accompagnée d’une ordonnance datée du 29 février 2008 énonçant que l’échange d’écritures était clos. La Cour observe en outre que le tribunal des assurances sociales a rendu sa décision le 12 mars 2008.

42. La Cour estime dès lors que le tribunal des assurances sociales, en mettant explicitement fin à l’échange d’écritures (voir, cependant, Joos, précité, § 29) et en rendant son jugement si peu de temps après avoir communiqué les observations de la partie adverse au requérant – lequel n’était pas représenté par un avocat à l’époque –, n’a pas respecté le principe de l’égalité des armes.

43. Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

44. La Cour rappelle qu’elle a pour tâche de rechercher si la procédure envisagée dans son ensemble a revêtu un caractère « équitable » au sens de l’article 6 § 1 (voir, par exemple, Ankerl c. Suisse, 23 octobre 1996, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 197, CEDH 2012).

45. Après avoir constaté une violation de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 43 ci-dessus), la Cour considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief du requérant tiré de l’absence d’échange d’écritures devant le Tribunal fédéral.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION, TIRÉE DE L’OMISSION D’INFORMER LE REQUÉRANT DE LA JURISPRUDENCE PERTINENTE

46. Dans ses observations du 29 octobre 2013, le requérant allègue que la caisse de pension aurait dû l’informer de l’arrêt du Tribunal fédéral des assurances du 24 novembre 2003 avant la conclusion de la transaction extrajudiciaire. Le requérant est d’avis que, en n’ayant pas eu connaissance des informations supplémentaires dont la caisse de pension aurait quant à elle disposé, il a subi une atteinte au principe de l’égalité des armes, au sens de l’article 6 de la Convention.

47. La Cour constate que ce grief ne figure ni dans la lettre du 26 janvier 2009 ni dans la requête du 3 avril 2009.

48. Elle rappelle que, en ce qui concerne les griefs non contenus dans la requête initiale, le délai de six mois est interrompu à la date où le grief est présenté pour la première fois à un organe de la Convention (Allan c. Royaume-Uni (déc.), no 48539/99, 28 août 2001).

49. La Cour observe que l’arrêt du Tribunal fédéral du 8 août 2008 a été notifié, selon le requérant, le 27 août 2008.

50. Il s’ensuit que ledit grief a été soulevé pour la première fois après l’expiration du délai de six mois et qu’il doit dès lors être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

51. Le requérant invoque par ailleurs l’article 13 de la Convention.

52. La Cour constate que le requérant n’explique pas la raison pour laquelle il estime que cette disposition a été violée et que cela ne ressort pas de manière évidente des faits de la cause.

53. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

54. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

55. Le requérant réclame 63 997 CHF (environ 58 470 EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi. Il s’agit, selon lui, de la somme qu’il aurait obtenue en gagnant entièrement sa cause. Il ne présente pas de demande pour dommage moral.

56. Le Gouvernement demande le rejet de la demande de satisfaction équitable pour absence de justificatifs. À titre subsidiaire, il soutient qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la violation alléguée et le préjudice matériel invoqué.

57. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de spéculer sur l’issue d’une procédure conforme aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Roduit c. Suisse, no 6586/06, § 55, 3 septembre 2013).

58. En l’espèce, elle ne voit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et elle rejette cette demande.

B. Frais et dépens

59. Le requérant demande également 12 042,80 CHF (environ 11 190 EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 10 020,10 CHF (environ 9 310 EUR), notes d’honoraires à l’appui, pour ceux engagés devant la Cour.

60. Le Gouvernement estime, toujours à titre subsidiaire, que la demande du requérant doit être rejetée au motif qu’il n’a pas effectivement engagé les frais et dépens réclamés. Il indique que l’intéressé a rédigé lui‑même tous les écrits à l’exception des observations à la Cour du 29 octobre 2013. Il considère que, au titre des frais et dépens, une indemnité totale de 3 000 CHF (environ 2 790 EUR) est justifiée.

61. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

62. En l’espèce, étant donné que le requérant n’a pas été représenté par un avocat au niveau interne, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens dans le cadre de la procédure nationale.

63. Pour la présente procédure, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 4 000 EUR pour l’ensemble des frais et dépens engagés devant la Cour en relation avec la violation constatée, plus tout montant pouvant être dû par l’intéressé à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

64. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et relatif au droit de réplique, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme suivante, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 janvier 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsLuis López Guerra
GreffierPrésident

* * *

[1]. Le requérant s’est apparemment trompé de date : la réponse écrite date du 19 décembre 2007.


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-170616
Date de la décision : 17/01/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Procès équitable;Egalité des armes)

Parties
Demandeurs : C.M.
Défendeurs : SUISSE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : STOLKIN P.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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