PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE IMPROTA c. ITALIE
(Requête no 66396/14)
ARRÊT
STRASBOURG
4 mai 2017
DÉFINITIF
04/08/2017
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Improta c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Kristina Pardalos,
Guido Raimondi,
Ledi Bianku,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 avril 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 66396/14) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Giammarco Improta (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 octobre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Devant la Cour, le requérant a été représenté par Me A. Mascia, avocat à Vérone. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora.
3. Le 19 mai 2016, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1969 et réside à Pozzuoli.
5. Le 25 mars 2010 naquit la fille du requérant et de C. Peu de temps après, le couple se sépara. Le 30 avril 2010, C. changea la serrure de la porte d’entrée du domicile familial, auquel le requérant n’eut plus accès.
6. C. décida unilatéralement que le requérant ne pouvait voir sa fille que deux fois par semaine, pendant une demi-heure et en sa présence.
7. Le 16 novembre 2010, à la suite de difficultés rencontrées dans l’exercice de son droit de visite, le requérant saisit le tribunal pour enfants de Naples (« le tribunal ») afin d’obtenir la garde partagée de l’enfant et un droit de visite plus large.
8. À une date non précisée, le tribunal fixa l’audience de comparution des parties au 3 mai 2011. Le 14 février 2011, le recours formé par le requérant fut notifié à C.
9. Le 13 avril 2011, C. se constitua dans la procédure.
10. À l’audience du 3 mai 2011, le tribunal entendit le requérant et C. et les invita à trouver un accord, avant de reporter l’audience au 12 juillet 2011. À cette date, il entendit à nouveau le requérant et C. et il réserva sa décision quant aux demandes formulées par les intéressés.
11. Le 25 juillet 2011, le requérant présenta au tribunal une demande urgente afin d’obtenir un droit de visite plus large. Il soutenait être contraint de voir sa fille selon les conditions décidées unilatéralement par C., ajoutant que cette dernière était sur le point de partir en vacances et ainsi de l’empêcher de voir sa fille pendant toute la période estivale.
12. Le 3 octobre 2011, le parquet demanda au tribunal d’octroyer au requérant la garde partagée de l’enfant. Il estimait que la résidence principale de l’enfant devait être fixée chez la mère et que le requérant devait pouvoir rencontrer sa fille deux fois par semaine. Il précisait que, quand celle-ci aurait atteint l’âge de trois ans, le requérant devait pouvoir bénéficier d’un droit de visite et d’hébergement un week-end sur deux et que les fêtes de Noël, de Pâques et les anniversaires devraient être partagés entre les parents. Enfin, il ajoutait que le requérant devrait verser, au titre de la pension alimentaire, la somme de 500 euros (EUR) par mois.
13. Par une décision du 4 octobre 2011, le tribunal chargea la police fiscale d’effectuer un contrôle afin de déterminer le niveau de vie du requérant et de C., et de déposer un rapport à cet égard auprès du greffe avant le 31 mars 2012.
Il ordonna en outre la réalisation d’une expertise sur les échanges interpersonnels et les capacités parentales du requérant et de C., sur l’état psychologique de l’enfant, sur les rapports du requérant et de C. avec leurs familles respectives et sur la possibilité de trouver un médiateur dans l’entourage familial des intéressés. Il indiqua que ce rapport d’expertise devait également exposer quelles étaient les meilleures modalités de garde de l’enfant – sans écarter la possibilité que celle-ci pût être confiée à un tiers. Il nomma deux experts et ajouta que l’expertise devait être déposée au greffe dans un délai de cent vingt jours. Il décida également que le requérant devait verser la somme mensuelle de 500 EUR au titre de la pension alimentaire, mais il ne se prononça pas sur les modalités d’exercice du droit de visite du requérant à l’égard de sa fille.
14. Le 17 novembre 2011, le requérant saisit à nouveau le tribunal pour obtenir un droit de visite réglementé, se plaignant d’être contraint de voir sa fille selon les conditions décidées unilatéralement par C.
15. À l’audience du 22 novembre 2011, les experts nommés par le tribunal prêtèrent serment et l’examen de l’affaire fut reporté au 10 avril 2012.
16. Par une décision du 23 novembre 2011, le tribunal ordonna que les visites entre le requérant et sa fille aient lieu sous la forme de rencontres protégées, deux fois par semaine pendant une heure et demie, et que ces rencontres fussent réglementées par les services sociaux compétents.
17. Entre décembre 2011 et mars 2012, le requérant et C. rencontrèrent les experts nommés par le tribunal à plusieurs reprises. Leur fille fut présente à une de ces réunions.
18. Entre janvier et mars 2012, le requérant rencontra les services sociaux à trois reprises. Ces derniers permirent le déroulement des visites entre l’intéressé et sa fille en dehors du milieu protégé.
19. À la suite de ces réunions, des visites eurent lieu, deux fois par semaine pendant une heure et demi, toujours en présence de C.
20. À l’audience du 10 avril 2012, le tribunal reporta l’examen de l’affaire au 15 mai 2012 au motif que le rapport d’expertise n’avait pas encore été déposé.
21. Le 8 mai 2012, les experts demandèrent un report de l’audience de soixante jours afin de bénéficier de ce délai pour rendre leur rapport.
22. À l’audience du 15 mai 2012, le tribunal reporta l’examen de l’affaire au 25 septembre 2012 et indiqua que les experts auraient à déposer leur rapport d’expertise au moins cinq jours avant cette date pour que les parties pussent présenter leurs observations écrites.
23. En septembre 2012, les experts rendirent un rapport d’expertise provisoire. Dans ce rapport, ils indiquaient que la relation entre le requérant et C. était conflictuelle ; que ni le requérant ni C. ne présentaient de psychopathologies ; que tant le père que la mère étaient capables de fournir le soutien nécessaire à leur enfant ; que C. niait la figure du père et qu’elle était excessivement préoccupée quant aux capacités parentales du requérant ; que le requérant reconnaissait la figure de la mère ; que l’enfant était sereine et attachée à ses deux parents ; qu’il n’y avait aucun médiateur potentiel dans l’entourage familial du requérant et de C. et, enfin, que le requérant n’avait pas fait preuve de constance dans ses rapports avec sa fille.
24. Dans son mémoire du 7 septembre 2012, le requérant contestait les conclusions de l’expertise quant à ce dernier point. À cet égard, il indiquait de ne pas être en mesure d’entretenir une relation plus suivie avec sa fille en raison de l’établissement unilatéral par C. des modalités de visites et de leur validation par le tribunal. Il se plaignait que toutes les rencontres avec sa fille, depuis sa naissance, se fussent déroulées en présence de C. Par conséquent, il estimait qu’il ne pouvait être accusé de manquer de volonté de maintenir une relation avec sa fille.
25. Il indiquait en outre qu’il ressortait de l’expertise que C. avait un comportement propre à faire obstacle à la relation entre sa fille et lui et qu’elle avait des difficultés à permettre à l’enfant d’avoir une relation avec lui.
26. À l’audience du 25 septembre 2012, le tribunal reporta l’examen de l’affaire au 12 février 2013 au motif que les experts n’avaient pas encore déposé leur rapport définitif.
27. Le 27 septembre 2012, les experts répondirent aux observations des parties. Ils relevèrent que le requérant n’avait pas d’expérience de la paternité en raison de l’absence de relation continue avec sa fille et que leur relation devait dès lors être développée et renforcée.
28. En janvier 2013, l’expertise définitive fut déposée au greffe. Ce rapport avait le même contenu que le rapport d’expertise provisoire. Les experts indiquaient en particulier que la garde de l’enfant devait être confiée conjointement aux deux parents et qu’il fallait garantir au requérant la possibilité de voir sa fille sans la présence de la mère.
29. Dans ses observations conclusives, le requérant réitérait sa demande de garde partagée de l’enfant et d’un élargissement de son droit de visite.
30. Par une décision du 2 juillet 2013, le tribunal confia la garde de l’enfant conjointement aux deux parents et fixa la résidence principale de l’enfant chez C.
31. Quant au droit de visite du requérant, le tribunal déclara que, jusqu’au troisième anniversaire de l’enfant, le requérant pourrait voir sa fille pendant trois heures deux fois par semaine et un dimanche sur deux. Il précisa que, après cette date, le requérant pourrait voir sa fille chez lui un week-end sur deux, en alternance avec la mère, et que l’alternance serait valable également pour les fêtes de Noël, de Pâques et les anniversaires. Enfin, il indiqua que le requérant devait verser une pension alimentaire de 1 500 EUR par mois.
32. Le requérant déposa un recours devant la cour d’appel de Naples (« la cour d’appel ») contre la décision du tribunal du 2 juillet 2013. Il demandait notamment un droit de visite plus large.
33. Par un arrêt du 19 mars 2014, déposé au greffe le 7 avril 2014, la cour d’appel, sans ordonner de nouvelle expertise, rejeta le recours du requérant concernant le droit de visite et réduisit le montant de la pension alimentaire à 1 000 EUR par mois.
34. La cour d’appel estima que la décision du tribunal devait être confirmée au motif que, selon le rapport d’expertise déposé au cours de la procédure devant celui-ci (daté de janvier 2013), le requérant n’offrait pas les conditions affectives, psychologiques et relationnelles requises pour bénéficier d’une modification des modalités d’exercice de son droit de visite.
35. En octobre 2014, le requérant se pourvut en cassation, alléguant notamment que son droit à la garde partagée n’était pas garanti concrètement.
36. À ce jour, la procédure est pendante devant la Cour de cassation.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
37. Le droit interne pertinent en l’espèce se trouve décrit dans l’arrêt Strumia c. Italie (no 53377/13, §§ 73-78, 23 juin 2016).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 § 1 DE LA CONVENTION
38. Le requérant allègue une violation à son égard du droit au respect de la vie familiale. Il considère que les juridictions internes n’ont pas respecté ni garanti concrètement son droit de visite. En effet, il se plaint que sa relation avec sa fille a été irrémédiablement compromise à cause de difficultés rencontrées dans l’exercice de son droit de visite dans les premières phases de la vie de son enfant. Il soutient également que le manque de célérité de la procédure litigieuse a constitué une ingérence excessive et arbitraire dans sa relation avec sa fille.
Il invoque l’article 8 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
39. Le Gouvernement combat la thèse du requérant.
A. Sur la recevabilité
40. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
41. Invoquant la jurisprudence de la Cour, le requérant considère que, en l’espèce, la réponse des autorités italiennes n’a pas été conforme à leurs obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention.
42. Le Gouvernement soutient que les juridictions internes ont accordé toute leur attention à l’affaire et qu’elles ont pris toutes les mesures utiles pour préserver la relation du requérant avec sa fille. Il estime que la durée des procédures devant les juridictions internes était nécessaire aux autorités italiennes pour exaucer la demande du requérant, celui-ci pouvant désormais exercer son droit de visite deux fois par semaine. Enfin, aux yeux du Gouvernement, les juridictions internes, qui se seraient prononcées sur la base des expertises menées en l’espèce, ont rendu des décisions vérifiées plusieurs fois, motivées et adoptées selon les dispositions législatives applicables à la présente cause (McMichael c. Royaume-Uni, 24 février 1995, § 87, série A no 307‑B).
2. Appréciation de la Cour
43. La Cour rappelle que, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale (Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 58, CEDH 2002) et que des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 de la Convention (K. et T. c. Finlande [GC], no [25702/94](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2225702/94%22%5D%7D), § 151, CEDH 2001‑VII).
44. La Cour rappelle aussi que l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics et qu’il peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de cette disposition ne se prêtent pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble, tout en attachant une importance déterminante à l’intérêt de l’enfant (Gnahoré c. France, no 40031/98, § 59, CEDH 2000‑IX), lequel peut, selon sa nature et sa gravité, l’emporter sur celui des parents (Sahin c. Allemagne [GC], no [30943/96](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B), § 66, CEDH 2003‑VIII).
45. La Cour rappelle en outre que l’obligation des autorités nationales de prendre des mesures pour faciliter des rencontres entre un parent et son enfant n’est pas absolue. Le point décisif consiste à savoir si les autorités nationales ont pris, pour faciliter les visites, toutes les mesures nécessaires que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles en l’occurrence (idem, § 58). Dans ce genre d’affaire, le caractère adéquat d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vit pas avec lui (Maumousseau et Washington c. France, no [39388/05](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B) § 83, 6 décembre 2007, Zhou c. Italie, no 33773/11, § 48, 21 janvier 2014, et Kuppinger c. Allemagne, no 62198/11, § 102, 15 janvier 2015). Le facteur temps revêt donc une importance particulière, car tout retard procédural risque de trancher en fait le problème en litige (H. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, §§ 89-90, série A no 120, et P.F. c. Pologne, no 2210/12, § 56, 16 septembre 2014).
46. Par ailleurs, les autorités nationales bénéficiant de rapports directs avec tous les intéressés, la Cour répète qu’elle n’a point pour tâche de réglementer les questions de garde et de visite. Toutefois, il lui incombe d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions que ces instances ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation. La marge d’appréciation laissée aux autorités nationales compétentes varie selon la nature des questions en litige et l’importance des intérêts en jeu.
47. Se tournant vers les faits de la présente cause, la Cour note d’emblée qu’il n’est pas contesté que le lien entre le requérant et son enfant relève de la vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention.
48. La Cour note tout d’abord que, au moment où le couple s’est séparé, C. a changé la serrure de la porte d’entrée du domicile familial, de sorte que le requérant n’y a plus eu accès. Elle constate également que C. a décidé que le requérant ne pouvait voir sa fille que deux fois par semaine pendant une demi-heure et que les rencontres entre père et fille devaient se dérouler en sa présence. Elle observe que C. s’est très tôt opposée au droit de visite du requérant et à toute relation entre ce dernier et l’enfant.
49. La Cour note encore que, le 16 novembre 2010, à la suite de difficultés rencontrées dans l’exercice de son droit de visite, le requérant a saisi le tribunal de Naples afin d’obtenir la garde partagée de l’enfant et un élargissement de son droit de visite. Elle relève que le tribunal, nonobstant une demande urgente déposée par le requérant le 23 juillet 2011, ne s’est prononcé sur le droit de visite de celui-ci qu’en novembre 2011.
50. La Cour rappelle que, lorsque des difficultés apparaissent qui sont dues principalement au refus du parent avec lequel vit l’enfant de permettre des contacts réguliers entre ce dernier et l’autre parent, il appartient aux autorités compétentes de prendre les mesures adéquates afin de sanctionner ce manque de coopération (voir, mutatis mutandis, Tocarenco c. République de Moldova, no 769/13, § 60, 4 novembre 2014 ; Strumia, précité §§ 121‑122).
51. Elle observe que le tribunal n’a autorisé le requérant à voir sa fille en milieu protégé qu’un an après sa saisine, laissant ainsi à la mère de l’enfant, pendant cette période, la liberté de choisir unilatéralement les modalités des contacts entre l’enfant et le requérant. Elle relève ensuite que le tribunal a décidé d’autoriser uniquement des rencontres en milieu protégé entre le requérant et sa fille alors que celle-ci ne courait aucun risque et que, quatre mois plus tard, ces rencontres ont été remplacées par les services sociaux en rencontres libres. Elle constate également qu’il a fallu quinze mois aux experts pour rendre leur rapport d’expertise définitif sur la situation de l’enfant.
52. La Cour rappelle qu’elle peut prendre en compte, sur le terrain de l’article 8 de la Convention, la durée du processus décisionnel des autorités internes ainsi que celle de toute procédure judiciaire connexe. En effet, un retard dans la procédure risque toujours, en pareil cas, de trancher par un fait accompli le problème en litige. Or un respect effectif de la vie familiale commande que les relations futures entre parent et enfant se règlent sur la seule base de l’ensemble des éléments pertinents, et non par le simple écoulement du temps (W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, §§ 64‑65, série A no 121, et Covezzi et Morselli c. Italie, no 52763/99, § 136, 9 mai 2003 ; Solarino c. Italie, no 76171/13, § 39, 9 février 2017 ; D’Alconzo c. Italie, no 64297/12, § 64, 23 février 2017).
53. La Cour observe que, en l’espèce, le requérant ne peut voir sa fille librement depuis le 30 avril 2010 et que, pendant les douze premiers mois de la procédure, les juridictions internes ont toléré que la mère régisse de manière unilatérale les modalités du droit de visite du requérant, qui avait été éloigné de la maison familiale. Elle estime que les juridictions internes ont donc permis que, par son comportement, C. empêche l’établissement d’une véritable relation entre le requérant et sa fille.
54. Pour la Cour, un surcroît de diligence et de rapidité s’imposait dans l’adoption d’une décision touchant aux droits garantis par l’article 8 de la Convention. L’enjeu de la procédure pour le requérant exigeait un traitement urgent, car le passage du temps pouvait avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et son père, qui ne vivait pas avec elle. La Cour rappelle en effet que la rupture de contact avec un enfant très jeune peut conduire à une altération croissante de sa relation avec son parent.
55. La Cour n’est pas persuadée qu’un délai d’un an était nécessaire au tribunal pour se prononcer sur la demande du requérant relative à son droit de visite, étant donné que l’enquête financière demandée ne lui était pas utile pour statuer sur la question des visites. En conséquence, elle conclut à un retard injustifié de la part des autorités nationales.
56. Par ailleurs, elle note que la cour d’appel saisie par le requérant à la suite de la décision du tribunal a rejeté la demande de l’intéressé en se fondant sur les résultats de l’ancien rapport d’expertise, sans prendre en considération que l’enfant avait commencé à voir son père régulièrement et sans demander la mise à jour dudit rapport afin de vérifier quels étaient alors la situation de l’enfant et ses rapports avec le requérant.
57. Du fait des carences constatées dans le déroulement de cette procédure, la Cour ne saurait donc considérer que les autorités italiennes ont pris toutes les mesures nécessaires que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles afin d’assurer au requérant le maintien d’un lien familial avec son enfant, dans leur intérêt à tous les deux.
58. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
59. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
60. Le requérant réclame 15 000 EUR pour préjudice moral.
61. Le Gouvernement conteste cette prétention.
62. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
63. Justificatifs à l’appui, le requérant demande également 9 783 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 11 520 EUR pour ceux engagés devant la Cour.
64. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
65. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 12 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
66. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 3 000 EUR (trois mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 mai 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Abel CamposLinos-Alexandre Sicilianos
GreffierPrésident