PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE PILALIS ET AUTRES c. GRÈCE
(Requête no 5574/16)
ARRÊT
STRASBOURG
17 mai 2018
DÉFINITIF
17/08/2018
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Pilalis et autres c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Ksenija Turković,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 avril 2018,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5574/16) dirigée contre la République hellénique et dont trois ressortissants de cet État, MM. Dimitrios Pilalis (« le premier requérant »), Varlam Hartislava (« le deuxième requérant ») et Christoforos Martidis (« le troisième requérant »), ont saisi la Cour le 19 janvier 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Me E.-L. Koutra, avocate à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’État, et Mme K. Karavassili, auditrice au Conseil juridique de l’État.
3. Les requérants alléguaient en particulier une violation de l’article 3 de la Convention en raison de leurs conditions de détention.
4. Le 7 septembre 2016, les griefs concernant les articles 3 et 13 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
5. Dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement, le troisième requérant a déclaré souhaiter se désister de sa requête.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Les requérants sont nés respectivement en 1941, en 1977 et en 1973 et ils étaient détenus à la prison de Domokos.
7. Le premier requérant, âgé de 77 ans, y fut détenu à partir du 2 mars 2010 et devait purger une peine de quarante-deux ans de réclusion criminelle. Il avait subi un triple pontage au cœur et, en 2010, il avait été blessé lors de son arrestation par une arme automatique. La balle qu’il avait reçue à cette occasion n’avait pas été extraite. Le certificat médical de l’hôpital de Lamia, où il avait été opéré, précisait que l’extraction de la balle comportait des dangers pour des organes avoisinants. Le premier requérant souffre de problèmes cardiaques et a un taux d’invalidité de 80 %. Il fut libéré le 13 avril 2016.
8. Le deuxième requérant est en détention depuis le 9 septembre 2013 et purge plusieurs peines de réclusion en exécution d’un grand nombre d’arrêts de condamnation. Le 29 novembre 2016, il fut transféré à la prison de Korydallos.
9. Le troisième requérant fut détenu à partir du 26 juin 2007. Il devait purger une peine de onze ans et dix mois de réclusion. Le 15 janvier 2009, il fut transféré à la prison de Domokos, d’où il fut libéré le 11 mai 2015.
A. Les conditions de détention dans la prison de Domokos
1. La version des requérants
a) Les conditions générales
10. Les requérants indiquent que la prison de Domokos est une prison destinée à accueillir des personnes condamnées à de longues peines mais que, en dépit de leur condamnation à de telles peines, ils disposent de moins de 3 m² d’espace personnel. Selon eux, lorsque le Gouvernement allègue que cet espace s’élève à 11,5 m², il ne déduit pas l’espace occupé par les toilettes et la douche, ni celui occupé par les lits – au moins 4 m² –, ni par les chaises, la table, la poubelle et les effets personnels des détenus. Les requérants exposent que, même s’ils étaient trois dans une cellule, les autorités de la prison ajoutaient parfois et pendant un certain temps un quatrième détenu, qui dormait par terre. Ils indiquent que, pendant ces périodes, il n’y avait pas suffisamment d’espace pour marcher entre les lits et qu’il fallait enjamber celui qui dormait par terre pour aller aux toilettes ou sortir de la cellule.
11. Selon les requérants, cette situation de surpopulation était particulièrement problématique pour le premier requérant qui, en raison de son état de santé, était obligé de passer tout son temps dans la cellule, confiné dans son lit. Initialement placé dans une cellule de l’aile D1, où il aurait dormi par terre, il aurait été transféré dans une cellule de l’aile D2 où il se serait vu attribuer un lit.
12. Se référant à la plaquette officielle de la prison et à son permis de construire, établi par décision ministérielle du 17 juin 2004, les requérants soutiennent que la capacité de la prison est de 400 détenus et que chaque cellule, d’une superficie de 15 m², est conçue pour deux détenus. Ils ajoutent que, toutefois, dès le début du fonctionnement de la prison, un troisième lit y avait été placé.
13. Les requérants allèguent que l’eau est souvent coupée dans la prison, ce qui a selon eux des conséquences graves sur l’hygiène des détenus et des lieux de détention.
14. Ils arguent que les repas ne sont pas suffisants pour couvrir les besoins des détenus et indiquent que ceux qui en ont les moyens dépensent 150 à 200 euros (EUR) par mois pour se nourrir. Ils indiquent que les détenus sont obligés d’acheter de nombreux produits à l’intérieur de la prison tant pour leur alimentation que pour leur hygiène personnelle, tels que du papier toilette, du savon, du shampooing, du produit vaisselle et du savon à linge, à des prix extrêmement élevés. Selon eux, plus le produit est de première nécessité, plus la différence entre son prix pratiqué à la prison et le prix pratiqué dans le commerce est grande.
15. Les requérants disent aussi avoir été obligés de laver leurs vêtements dans la douche de leur cellule, dans des bacs, avec du savon qu’ils auraient eux-mêmes acheté. D’après eux, ceci était particulièrement éprouvant pour le premier requérant, qui ne pouvait pas du tout utiliser sa main droite.
16. Les requérants déclarent qu’il n’y pas de médecin permanent dans la prison, ni de psychologue, ni d’assistant social. Ils indiquent qu’un médecin extérieur assure des consultations deux fois par semaine et que tous les problèmes médicaux sont traités à l’hôpital de la ville de Lamia, à 40 km de la prison. Ils ajoutent que cette situation est source de désagréments pour les détenus ayant de graves problèmes de santé, comme le premier requérant, car, selon eux, les détenus en cause doivent attendre de longues périodes avant de pouvoir se faire examiner par un médecin.
17. D’après les requérants, les parloirs sont de courte durée et se déroulent sous la surveillance des agents pénitentiaires.
b) Les soins médicaux
18. Selon les requérants, le premier requérant souffrait d’une maladie cardio-vasculaire et était diabétique. Toutefois, son diabète n’aurait pas été traité en prison. Les requérants indiquent que les exemples de menus fournis par le Gouvernement démontrent que non seulement l’alimentation du premier requérant était inappropriée mais qu’elle mettait sa vie en danger.
Ils déclarent que, dans le dossier médical du deuxième requérant, il est noté qu’à son entrée en prison « [l’intéressé] avait déclaré être en bonne santé ». Cela démontre selon eux que les autorités pénitentiaires n’ont procédé à aucun contrôle médical d’entrée, alors qu’elles en auraient eu l’obligation. Le deuxième requérant aurait été exposé en prison au virus de l’hépatite et aurait également développé une hyperlipidémie qui n’aurait pas été traitée. Selon les requérants, en dépit des recommandations du médecin de suivre un régime alimentaire spécial et malgré d’importantes sommes d’argent dépensées à la cantine de la prison pour améliorer son alimentation, le deuxième requérant n’a pas cessé de voir son taux de cholestérol augmenter.
2. La version du Gouvernement
a) Les conditions générales
19. Le Gouvernement décrit comme suit les conditions de détention à la prison de Domokos. La capacité maximale de la prison est de 585 détenus. De 2009 à août 2014, la prison accueillait de 600 à 680 détenus, puis jusqu’en mars 2015, 250 détenus. Actuellement, elle compte 450 détenus. Du 2 mars 2010 au 13 avril 2016, le premier requérant était placé dans la cellule no 17, au rez-de-chaussée de l’aile D, avec deux autres détenus. Du 9 septembre 2013 au 29 novembre 2016, le deuxième requérant était placé dans la cellule no 16, au premier étage de l’aile D, avec deux autres détenus. La superficie de ces cellules s’élève à 15 m² et à 11,5 m² respectivement, déduction faite de l’espace occupé par les toilettes et la douche. Toutes les cellules sont conçues pour trois détenus et il est possible, dans des cas exceptionnels, de rajouter un quatrième lit. Un espace est prévu pour que les détenus puissent poser leurs effets personnels.
20. Chaque cellule dispose de son propre radiateur et est suffisamment éclairée tant par la lumière naturelle qu’artificielle. Chaque cellule possède également une fenêtre de 1,13 m x 1,15 m. L’eau chaude est disponible pendant une grande partie de la journée.
21. Les détenus reçoivent des produits d’hygiène personnelle, tels que des serviettes, du papier hygiénique, du savon et du shampooing. Le linge de lit et les vêtements des détenus sont lavés dans les machines à laver de la prison.
22. L’alimentation des détenus est très variée et en quantité suffisante. Le Gouvernement fournit à titre d’exemple dix menus hebdomadaires servis entre mars 2013 et février 2016.
23. La prison fait l’objet de désinsectisation à intervalles réguliers pendant l’année.
24. Les détenus peuvent sortir de leurs cellules de 7 h 45 à 12 h 15 et de 15 h au coucher du soleil. La superficie de la cour de chaque aile est de 500 m². Il existe en outre une bibliothèque, une salle de sport, un petit terrain de football et un terrain de basketball. Au sein de la prison fonctionne aussi une « école de la deuxième chance ».
25. Le deuxième requérant travaillait à la maintenance des bâtiments, ce qui permettait la réduction de la durée de sa peine. Le premier requérant ne travaillait pas mais son âge entrait en ligne de compte pour la réduction de la durée de sa peine.
b) Les soins médicaux
26. Le Gouvernement expose ce qui suit concernant les soins médicaux dispensés aux requérants. Le premier requérant fut soumis à plusieurs examens cardiologiques à l’hôpital de Larissa, à des examens orthopédiques à l’hôpital de Lamia, à des examens psychiatriques et à d’autres types d’examens par la commission de l’organisme de la sécurité sociale en raison de son état d’invalidité. Pendant toute la durée de sa détention, il reçut un traitement pharmaceutique pour ses problèmes cardiaques et son diabète ainsi qu’une alimentation adaptée à ses pathologies. Le Gouvernement produit des certificats médicaux datés des 1er, 2 et 3 novembre 2010, 27 mars et 27 août 2011, 8 août 2012, 7 et 20 mars, 9 juin et 12 septembre 2013, 2 juin 2014, 6 octobre 2015 et 17 février 2016. Il produit aussi des copies des relevés de la tension artérielle et de la glycémie du premier requérant effectués dans la prison en août 2012 et en janvier 2013.
27. À la suite de sa blessure par balle, le requérant fut transporté et hospitalisé à l’hôpital de Lamia. Une infection de la plaie fut traitée sur place par antibiotiques et l’intéressé fut réexaminé par un chirurgien.
28. Dès le début de son incarcération, le premier requérant bénéficia de l’assistance d’une assistante sociale qui déposa son dossier au Centre de certification d’invalidité et sa demande tendant à bénéficier des dispositions de la loi no 4322/2015 relative au désengorgement des prisons et prévoyant la mise en liberté sous condition des détenus handicapés.
29. Le deuxième requérant fut soumis à des examens biologiques, radiologiques et ophtalmologiques. Il reçut aussi un traitement ophtalmologique et une alimentation adaptée à son état de santé. Le Gouvernement produit à cet égard des certificats médicaux datés des 10 juillet 2014, 12 mars, 7 mai, 27 août et 9 décembre 2015, ainsi que des 23 février, 9 juin, 1er et 15 juillet 2016.
B. Les démarches des détenus de la prison de Domokos dont les requérants pour dénoncer leurs conditions de détention
30. En février 2015, les détenus de la prison de Domokos refusèrent de regagner leurs cellules et de se nourrir. Ils réclamaient qu’un médecin soit affecté à la prison aussitôt que possible, à la suite du décès de deux détenus en l’espace d’un mois. En outre, les détenus de l’aile E1 rédigèrent une déclaration donnée à la presse dans laquelle ils demandaient à bénéficier de soins médicaux et pharmaceutiques. Ils invitaient le ministre de la Justice à se rendre à la prison pour constater par lui-même les « carences tragiques et criminelles » au sein de celle-ci et à prendre l’engagement de remédier au manque de soins dans un délai de 24 heures.
31. Le 3 septembre 2013, un député avait déposé, dans le cadre du contrôle parlementaire, une question au ministre de la Justice dénonçant les conditions régnant dans la prison, mais sans obtenir de résultat. Il soulignait, entre autres, que la prison d’une capacité de 597 détenus en accueillait, au 1er août 2013, 693, de sorte que 90 d’entre eux dormaient à même le sol.
32. Le 6 novembre 2015, le premier et le deuxième requérant adressèrent au procureur superviseur de la prison de Domokos une requête, en vertu de l’article 572 du code de procédure pénale, pour se plaindre de leurs conditions de détention. Ils invoquaient, entre autres, des violations des articles 2, 3, 8, 13 et 14 de la Convention ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1.
33. Les doléances du deuxième requérant concernaient la surpopulation, l’alimentation, la propreté, l’absence de soins médicaux et l’absence d’activités récréatives au sein de la prison.
34. Le premier requérant dénonçait les mêmes carences que le deuxième requérant mais évoquait aussi son âge – 74 ans à l’époque – son état de santé et le caractère aggravant des mauvaises conditions de détention qu’il disait subir sur son état. Invoquant son âge et son taux d’invalidité – 80% –, il indiquait souffrir de problèmes cardiovasculaires et avoir depuis cinq ans une balle dans le corps. Il invitait le procureur à prendre les mesures nécessaires pour le transférer à l’hôpital afin de bénéficier d’un traitement médical approprié et de se faire retirer la balle qu’il avait dans le bras.
35. Les requérants soutiennent n’avoir reçu aucune réponse à leur requête.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
36. L’article 572 du code de procédure pénale dispose en sa partie pertinente en l’espèce que :
« 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes.
2. En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel visite la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement sollicité une audition.
(...) »
37. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil prévoit que :
« L’État est tenu de réparer les dommages causés par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »
38. Une loi no 4322/2015, intitulée « Amendements des dispositions pénales, suppression des établissements de détention de type C et autres dispositions » et entrée en vigueur le 27 avril 2015, vise, entre autres, à désengorger les prisons et prévoit les conditions de mise en liberté des détenus purgeant tant de peines d’emprisonnement que de peines de réclusion.
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION
39. Les requérants se plaignent de leurs conditions de détention dans la prison de Domokos. Ils dénoncent une violation de l’article 3 de la Convention à cet égard. Invoquant l’article 13 de la Convention, ils se plaignent également de l’absence d’un recours effectif pour dénoncer leurs conditions de détention. Ces articles sont ainsi libellés :
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Article 3
1. En ce qui concerne le troisième requérant
40. Le troisième requérant informe la Cour qu’il souhaite se désister de sa requête et introduire une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.
41. La Cour estime que ce requérant n’entend plus maintenir sa requête (article 37 § 1 a) de la Convention) et qu’il convient de rayer l’affaire du rôle en ce qui le concerne. En l’absence de circonstances particulières touchant au respect des droits garantis par la Convention ou ses Protocoles, la Cour considère qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête, au sens de l’article 37 § 1 de la Convention.
2. En ce qui concerne les deux premiers requérants
a) Sur la recevabilité
42. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour non-épuisement des voies de recours internes. Selon lui, les deux premiers requérants n’ont pas introduit d’action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, combiné avec l’article 3 de la Convention ou avec les articles pertinents en l’espèce du code pénitentiaire.
43. Les intéressés ne présentent pas d’observation sur ce point.
44. La Cour relève que, à la date de sa saisine, les deux premiers requérants étaient détenus à la prison de Domokos. Partant, l’action en dommages-intérêts fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil ne peut à leur égard être considérée comme effective aux fins de l’épuisement des voies de recours, car il manque à cette action le caractère préventif au sens de la jurisprudence de la Cour (voir, parmi beaucoup d’autres, Konstantinopoulos et autres c. Grèce, no 69781/13, § 39, 28 janvier 2016, Patrikis et autres c. Grèce, no 50622/13, § 37, 28 janvier 2016, Adiele et autres c. Grèce, no 29769/13, §§ 34-35, 25 février 2016, Papadakis et autres c. Grèce, no 34083/13, §§ 50-51, 25 février 2016, et Kagia c. Grèce, no 36442/15, § 37, 30 juin 2016).
45. Par conséquent, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes.
46. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
b) Sur le fond
47. Les deux premiers requérants renvoient à leur version de leurs conditions de détention. Ils déclarent d’emblée avoir beaucoup de difficulté à prouver la véracité de leurs allégations car, selon eux, c’est le Gouvernement qui détient et, en grande partie, retient, les informations dont la Cour aurait besoin pour examiner la situation dans la prison avec un minimum de certitude. Ils allèguent que le Gouvernement produit des documents qui ont été établis par les autorités de la prison qui, d’après eux, savaient pour quel usage le Gouvernement sollicitait ces documents.
48. Les deux premiers requérants soutiennent aussi que leurs conditions de détention étaient incompatibles avec leur état de santé. Ils arguent en particulier que les autorités de la prison n’ont pas suivi les recommandations du médecin de les soumettre à un régime alimentaire spécial. En outre, selon eux, le premier requérant, qui ne pouvait pas utiliser son bras droit à la suite de sa blessure par balle, n’avait pas eu de deuxième avis médical sur la possibilité de faire ôter la balle qu’il avait dans le corps et n’avait bénéficié d’aucune rééducation pour réduire son invalidité.
49. Le Gouvernement renvoie à sa version sur les conditions de détention à la prison de Domokos. Il estime que les allégations des requérants sont vagues, non étayées et non individualisées. Il soutient que les requérants ne précisent pas si les conditions générales dans la prison les ont personnellement affectés. Il déclare notamment que, depuis août 2014, le nombre des détenus dans la prison est bien inférieur à la capacité de celle-ci et que, tout au long de leur détention, les requérants ont partagé leur cellule de 11,5 m² avec deux autres détenus, ce qui leur accordait un espace personnel de 3,83 m².
50. En ce qui concerne l’état de santé des requérants, le Gouvernement soutient qu’ils recevaient un traitement pharmaceutique et une alimentation appropriés.
i. Principes généraux
51. En ce qui concerne les conditions matérielles de détention dans les prisons, la Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence et notamment à l’arrêt Muršić c. Croatie ([GC], no 7334/13, §§ 96-141, CEDH 2016).
52. En outre, la Cour rappelle que, lorsqu’elle examine le caractère adéquat des soins médicaux en prison, elle se doit en principe de faire preuve d’une souplesse suffisante pour déterminer le standard requis pour ces soins. S’il doit satisfaire aux exigences légitimes de la détention, ce standard doit aussi être compatible avec la dignité humaine et permettre à l’État de s’acquitter de ses obligations positives. À cet égard, il appartient aux autorités nationales d’assurer que le diagnostic et les soins soient prompts et précis et que le suivi par un personnel médical compétent soit régulier et systématique et inclue une stratégie thérapeutique complète. Le simple fait que l’état de santé du requérant s’est détérioré – bien que cette circonstance puisse, dans un premier stade, amener à douter du caractère approprié du traitement reçu en prison – ne saurait suffire en lui-même pour conclure à une violation de l’obligation positive de l’État sous l’angle de l’article 3 de la Convention, surtout lorsqu’il est établi que les autorités ont administré à temps tous les soins raisonnablement disponibles dans un effort consciencieux fourni en vue d’empêcher l’évolution de la maladie en question (Kalandia c. Grèce, no 48684/15, § 69, 6 octobre 2016, Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, § 137, CEDH 2016, Lavrentiadis c. Grèce, no 29896/13, §§ 66-69, 22 septembre 2015, Fedosejevs c. Lettonie (déc.), no 37546/06, § 47, 19 novembre 2013, et Jashi c. Géorgie, no 10799/06, § 61, 8 janvier 2013).
ii. Application des principes en l’espèce
53. La Cour prend note des informations fournies par le Gouvernement selon lesquelles, dans la prison de Domokos, les requérants avaient été placés chacun avec deux codétenus dans des cellules mesurant 15 m² et équipées d’une fenêtre de 1,13 m x 1,15 m. Elle relève que les détenus pouvaient sortir de leurs cellules de 7 h 45 à 12 h 15 et de 15 h au coucher de soleil, que la superficie de la cour de chaque aile était de 500 m² et qu’il existait en outre une bibliothèque, une salle de sport, un petit terrain de football et un terrain de basketball.
54. Les requérants ne contestent pas ces informations. Leurs allégations selon lesquelles il était arrivé qu’ils partagent leur cellule avec trois autres détenus pendant certaines périodes ne sont pas étayées : la Cour relève en particulier qu’ils n’indiquent pas les dates de ces périodes. La plainte des requérants selon laquelle chaque cellule – dont ils ne contestent pas la superficie – était initialement conçue pour deux personnes et que les autorités y ont rajouté un troisième lit ne suffit pas à démontrer que les critères de la jurisprudence Muršić précitée ne sont pas respectés en l’espèce. Quant à l’alimentation, les requérants ne contestent pas l’exactitude des menus hebdomadaires produits à titre d’exemple par le Gouvernement et n’indiquent pas non plus s’ils recevaient des repas différents de ceux mentionnés dans ces menus.
55. De l’avis de la Cour, les conditions ainsi décrites ne semblent pas dépasser le niveau inévitable de la souffrance inhérent à la détention (Muršić, précité, §§ 99 et 101). La longue durée de la détention de certains des requérants, élément devant être pris également en considération, ne saurait changer un tel constat, eu surtout égard à la grande liberté de mouvement dont ces requérants disposaient pendant la journée en dehors de leur cellule.
56. La Cour note que les doléances des requérants relatives aux soins médicaux reçus en détention se fondent sur l’absence alléguée de traitement adéquat des diverses pathologies présentées par les intéressés. Elle tient à souligner qu’elle ne peut toutefois se prononcer sur des questions qui relèvent de l’expertise médicale. Afin de déterminer si l’article 3 de la Convention a été respecté, elle ne peut examiner que la seule question de savoir si les autorités nationales ont assuré aux requérants un suivi médical approprié et mis en place un protocole thérapeutique adapté à la nature de leurs pathologies.
57. À ce sujet, la Cour constate que, d’après le dossier, pendant leur détention à la prison de Domokos, les requérants ont été transférés et examinés, notamment à l’hôpital de Lamia, à plusieurs reprises. À cet égard, elle prend note des certificats médicaux produits par le Gouvernement datés des 1er, 2 et 3 novembre 2010, 27 mars et 27 août 2011, 8 août 2012, 7 et 20 mars, 9 juin et 12 septembre 2013, 2 juin 2014, 6 octobre 2015 et 17 février 2016 concernant le premier requérant, ainsi que des copies des relevés de la tension artérielle et de la glycémie de l’intéressé effectués dans la prison en août 2012 et en janvier 2013. Quant au deuxième requérant, le Gouvernement fournit des certificats datés des 10 juillet 2014, 12 mars, 7 mai, 27 août et 9 décembre 2015 et des 23 février, 9 juin, 1er et 15 juillet 2016.
Pour autant que le premier requérant se plaint par ailleurs du fait qu’une balle n’a pas été extraite de son corps, la Cour relève que le refus d’opérer était justifié par des mesures de précaution, à savoir le risque qu’une telle extraction comportait pour des organes avoisinants (paragraphe 7 ci-dessus).
58. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait conclure que les autorités nationales ont failli à leur devoir d’assurer un suivi médical aux requérants et ont donc satisfait à leur obligation positive de fournir aux intéressés une assistance médicale adéquate.
59. En conclusion, il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.
B. Article 13
60. Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent également d’une absence de recours effectif pour dénoncer leurs conditions de détention.
61. Le Gouvernement soutient à titre principal que les requérants n’ont pas de grief défendable sur le terrain de l’article 3 de la Convention pour que l’article 13 s’applique en l’espèce. À titre subsidiaire, il avance que les requérants avaient à leur disposition le recours prévu par l’article 6 du code pénitentiaire, à savoir la saisine du procureur superviseur de la prison et celle du conseil disciplinaire de la prison, mais qu’ils ne l’ont pas utilisé.
62. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
63. La Cour rappelle que le constat de violation d’une autre disposition de la Convention n’est pas une condition préalable pour l’application de l’article 13 (Sergey Denisov c. Russie, no 21566/13, § 88, 8 octobre 2015, et les références qui y sont citées). Dans la présente affaire, même si la Cour a finalement conclu à la non-violation de l’article 3 de la Convention (paragraphe 59 ci-dessus), elle n’a pas estimé que le grief des requérants à cet égard était à première vue indéfendable (paragraphes 53 et suivants ci‑dessus). La Cour est parvenue à cette conclusion seulement après avoir examiné le bien-fondé de l’affaire. Elle considère dès lors que les requérants ont soulevé un grief défendable aux fins de l’article 13 de la Convention.
64. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 (D.M. c. Grèce, no 44559/15, §§ 42-45, 16 février 2017, Singh et autres c. Grèce, no 60041/13, §§ 62-64, 19 janvier 2017, Konstantinopoulos et autres, précité, §§ 57-59, et Papakonstantinou c. Grèce, no 50765/11, § 51, 13 novembre 2014).
65. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ou argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente quant à la recevabilité et au bien-fondé dans la présente affaire.
66. Partant, il convient de déclarer ledit grief recevable et de conclure à la violation de l’article 13 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
67. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
68. Au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi, le premier requérant réclame 70 000 EUR pour la violation alléguée de l’article 3 de la Convention et 9 000 EUR pour celle de l’article 13. Au même titre, le deuxième requérant réclame 20 000 EUR pour la violation alléguée de l’article 3 et 9 000 EUR pour celle de l’article 13. Les deux requérants demandent aussi respectivement 8 880 EUR et 5 160 EUR au titre des frais qu’ils disent avoir engagés en prison pendant leur détention. Ils réclament que ces sommes soient versées directement sur le compte bancaire indiqué par leur représentante.
69. Le Gouvernement considère que ces sommes sont excessives et estime que le constat de la violation constituerait une satisfaction suffisante quant au dommage moral. Quant au dommage matériel, il considère que la demande des requérants est vague et qu’elle n’est accompagnée d’aucun justificatif. Il invite aussi la Cour à rejeter la demande de versement direct de la somme sur le compte de la représentante des requérants.
70. La Cour rappelle qu’elle n’a conclu à la violation que de l’article 13 de la Convention. Partant, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacun des requérants 2 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
71. Les requérants demandent également 6 000 EUR pour les frais et dépens qu’ils disent avoir engagés devant la Cour. Ils demandent aussi que ces sommes soient versées directement sur le compte bancaire indiqué par leur représentante.
72. Le Gouvernement estime que cette somme est excessive et que les requérants ne prouvent ni sa réalité ni sa nécessité.
73. La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 de la Convention présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). Dans le cas d’espèce, elle note que les requérants ne produisent aucune facture en ce qui concerne les frais engagés devant elle. Il y a donc lieu de rejeter leurs prétentions à ce titre.
C. Intérêts moratoires
74. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de rayer la requête du rôle en ce qui concerne M. Christoforos Martidis ;
2. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de articles 3 et 13 à l’égard de MM. Dimitrios Pilalis et Varlam Hartislava ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 mai, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Abel CamposKristina Pardalos
GreffierPrésidente