QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE CONVERTITO ET AUTRES c. ROUMANIE
(Requête no 30547/14 et 4 autres –
voir liste en annexe)
ARRÊT
Art 8 • Respect de la vie privée • Annulation de diplômes d’État de fin d’études de médecine pour des irrégularités administratives lors de la procédure d’inscription en première année • Requérants autorisés par l’université de s’y inscrire, de poursuivre leurs études et de participer aux examens de fin d’études • Incertitude et incohérence concernant la procédure d’inscription entre l’université et le ministère de l’Éducation ne pouvant être reprochées aux requérants
STRASBOURG
3 mars 2020
DÉFINITIF
03/07/2020
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Convertito et autres c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :
Jon Fridrik Kjølbro, président,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani,
Jolien Schukking,
Péter Paczolay, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier de section,
Vu :
les cinq requêtes dirigées contre la Roumanie par cinq ressortissants italiens (« les requérants »), qui ont saisi la Cour le 16 avril 2014, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») : la première (no 30547/14) par M. Armando Convertito (« le premier requérant »), la deuxième (no 30549/14) par M. Giovanni Muscia (« le deuxième requérant »), la troisième (no 30558/14) par M. Franco Manfredi (« le troisième requérant »), la quatrième (no 30570/14) par M. Pasquale De Stasio (« le quatrième requérant ») et la cinquième (no 30578/14) par M. Luigi Felice Francesco Di Mariano (« le cinquième requérant »),
les observations des parties,
Notant que le 3 mai 2014, les requêtes ont été communiquées au gouvernement défendeur et qu’informé de son droit de prendre part à la procédure (article 36 § 1 de la Convention), le gouvernement italien n’a pas souhaité s’en prévaloir,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 février 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
La requête concerne l’annulation des diplômes d’État obtenus par les requérants pour des irrégularités administratives concernant la procédure d’inscription en première année d’études. Les requérants reprochent aux autorités nationales l’annulation imprévisible de leurs diplômes, pour de raisons qui ne leur seraient imputables, après avoir consacré six années d’études universitaires et allèguent la méconnaissance de leur droit au respect au respect de leur vie privée (article 8 de la Convention).
EN FAIT
1. Les requérants sont nés respectivement en 1975, en 1983, en 1974, en 1973 et en 1961. Ils résident respectivement à San Marco Evangelista, à Caltagirone, à San Cono, à Naples et à Aci Bonaccorsi et ont été représentés par Me A. Mascia, avocate à Vérone.
2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par Mme S. M. Teodoroiu, du ministère des Affaires étrangères, agente de la Roumanie à la Cour européenne des droits de l’homme.
1. L’obtention des diplômes d’État par les requérants
3. Le 17 octobre 2003, le doyen de la faculté de médecine et de pharmacie de l’université d’Oradea accepta les demandes d’inscription en première année de médecine et de pharmacie pour la spécialisation en « médecine dentaire » formulées par les quatre premiers requérants. Le 7 octobre 2004, il accepta également une demande similaire formulée par le cinquième requérant. Les décisions d’inscription, délivrées au nom du président de l’université, comportaient la mention « en cours de traitement » dans la colonne réservée à l’indication du numéro d’approbation attribué par le ministère de l’Éducation. À la suite de l’obtention de ces décisions, les requérants entamèrent leurs études universitaires.
4. En septembre 2005, le ministère de l’Éducation délivra aux quatre derniers requérants des lettres d’acceptation qui étaient valables à partir de l’année universitaire 2005/2006. Les requérants poursuivirent leurs études et s’acquittèrent des frais mensuels de scolarité d’environ 300 euros (EUR).
5. Par une lettre du 7 juillet 2008, le président de l’université d’Oradea rappela aux services du ministère de l’Éducation qu’il était nécessaire d’envoyer au premier requérant, dans les meilleurs délais, la lettre d’acceptation le concernant, et ce afin d’éviter que l’intéressé n’eût à subir d’éventuelles conséquences négatives à la fin de ses études.
6. Le 11 novembre 2008, les quatre premiers requérants furent soumis, sur demande expresse de l’administration universitaire, à des tests de maîtrise de la langue roumaine, qu’ils réussirent, et ils se virent délivrer des certificats de compétence linguistique (les copies de ces certificats, versées au dossier, attestent leur réussite auxdits tests). Le 21 janvier 2009, le cinquième requérant se vit à son tour délivrer un certificat de compétence linguistique, après avoir lui aussi passé un test de maîtrise de la langue roumaine. Les cinq certificats, établis par le doyen de la faculté des lettres de la même université, attestaient une connaissance linguistique équivalente au niveau européen B2 (« utilisateur indépendant ») du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL) mis en place par le Conseil de l’Europe.
7. Début 2009, un échange eut lieu entre le président de l’université d’Oradea et les représentants du ministère de l’Éducation au sujet des lettres d’acceptation de 39 étudiants étrangers, parmi lesquels les requérants. Cet échange fit apparaître que le premier requérant n’avait toujours pas reçu de lettre d’acceptation et que les lettres d’acceptation qui avaient été délivrées aux quatre autres requérants concernaient non pas l’année universitaire de leur inscription mais l’année suivante. Dans ce contexte, le président de l’université d’Oradea sollicita, à deux reprises, l’avis du ministère de l’Éducation sur l’opportunité pour tous ces étudiants, y compris les requérants, de se présenter aux examens de fin d’études. En outre, il demanda au doyen de la faculté de médecine et de pharmacie de ne pas autoriser l’inscription des quatre premiers requérants aux examens de fin d’études.
8. Le 16 février 2009, le service juridique du ministère de l’Éducation transmit une note d’information au président de l’université, ainsi rédigée en ses extraits pertinents en l’espèce :
« (...) L’université a l’obligation de délivrer des diplômes d’État aux citoyens étrangers ayant réussi les examens de fin d’études. Les éventuelles conséquences négatives découlant de la situation présentée seront supportées par ceux qui n’ont pas rempli leurs obligations, d’autant plus que le principe de l’autonomie universitaire est en lien direct avec le principe de la responsabilité personnelle et publique pour la qualité de l’activité pédagogique et de la recherche scientifique (...) »
9. Le 4 novembre 2009, le premier requérant se vit délivrer une lettre d’acceptation par le ministère de l’Éducation.
10. À différentes dates, en l’occurrence les 24 septembre 2009, 18 janvier 2010 et 14 septembre 2010, le sénat de l’université décida d’accepter la proposition du doyen de la faculté de médecine et de pharmacie qui consistait à autoriser les cinq requérants à participer aux examens de fin d’études. Les parties pertinentes en l’espèce de la proposition du doyen, telle que validée par le sénat de l’université, se lisaient comme suit :
« (...) il convient de mentionner que chaque étudiant a obtenu un certificat de compétence linguistique (...) et a été soumis à une évaluation linguistique individuelle (...), [leurs] résultats étant satisfaisants. À plusieurs reprises, l’université a informé le ministère de l’Éducation de la situation de ces étudiants et a souhaité connaître la façon dont ceux-ci pouvaient être autorisés à passer les examens de fin d’études. Invoquant l’autonomie universitaire, le ministère de l’Éducation a recommandé à l’administration universitaire de soumettre cette situation au sénat de l’université en vue d’obtenir une décision permettant aux intéressés d’accéder aux examens de fin d’études. Il convient de préciser que les étudiants ont obtenu l’autorisation du ministère de l’Éducation d’étudier en Roumanie (de même que la reconnaissance de leurs études secondaires effectuées dans le pays d’origine) et ont réussi toutes les années d’études. Les irrégularités proviennent du retard mis par le ministère [pour établir] les lettres d’acceptation (...). Il est ainsi demandé au sénat de l’université d’accepter que les étudiants passent les examens de fin d’études. »
11. À l’issue de six années d’études, les quatre premiers requérants participèrent aux examens ouvrant droit au diplôme d’État en médecine dentaire (diplomă de licență) organisé pour la session de février 2010. Ils réussirent les examens et se virent délivrer, en mars 2010, des diplômes d’État en médecine dentaire. Le cinquième requérant participa à la session organisée en septembre 2010, réussit également ses examens et se vit délivrer le diplôme d’État en médecine dentaire en novembre 2010.
12. Après l’obtention de leurs diplômes, les requérants entamèrent des démarches aux fins de la reconnaissance de ceux-ci par les autorités italiennes pour commencer à exercer le métier de spécialiste en médecine dentaire dans leur pays d’origine.
2. L’annulation des diplômes d’État des requérants
13. En 2011, dans le cadre de la conduite, par le ministère de l’Éducation, et sur demande des autorités italiennes, d’une procédure de vérification de l’authenticité des diplômes de certains étudiants étrangers, la situation de 54 étudiants étrangers de différentes universités (parmi lesquels les requérants) fit l’objet d’un contrôle administratif. Un rapport établi à l’issue de cette mesure conclut à des irrégularités concernant la délivrance tardive des lettres d’acceptation de plusieurs étudiants, dont celles des quatre premiers requérants. Aussi, les 9 et 22 septembre 2011, le ministère de l’Éducation demanda au président de l’université d’Oradea d’annuler les diplômes d’État des requérants en raison de la tardiveté de la délivrance des lettres d’acceptation. Le 15 septembre 2011, le ministère de l’Éducation nationale formula une demande similaire au titre du cinquième requérant.
14. En conséquence, par deux décisions du 14 septembre 2011, visant les quatre premiers requérants, et par deux décisions du 23 septembre 2011, visant le cinquième requérant, le sénat et le président de l’université annulèrent les diplômes d’État délivrés aux intéressés, en application de l’article 146 de la loi 1/2011 (paragraphe 19 ci-dessous), sur la base des conclusions de la procédure de vérification (paragraphe 13 ci-dessus).
15. Les requérants déposèrent chacun une plainte préalable contre les décisions prises par le sénat et le président de l’université. L’administration de l’université d’Oradea rejeta leurs plaintes pour défaut de fondement. Les intéressés contestèrent aussi les actes susmentionnés par la voie du contentieux administratif, en sollicitant par la même occasion le sursis à l’exécution de ces décisions et la réparation des préjudices matériel et moral qui avaient selon eux été engendrés par l’annulation de leurs diplômes. À l’appui de leur recours, ils alléguaient avoir accompli toutes les formalités administratives requises, avoir produit tous les documents nécessaires à leur inscription administrative, avoir réussi leurs examens et s’être acquittés des frais de scolarité. Ils indiquaient en outre que les lettres d’acceptation les concernant avaient finalement été délivrées, bien que tardivement, et que leur participation aux examens de fin d’études avait été autorisée par l’administration de l’université d’Oradea.
3. La procédure judiciaire
16. Par un jugement avant dire droit du 15 mars 2012, le tribunal départemental de Bihor ordonna le sursis à l’exécution des décisions litigieuses jusqu’à l’issue de la procédure contentieuse. Il jugea qu’il n’existait aucun indice de fraude ou de méconnaissance du code d’éthique et de déontologie universitaire de la part des requérants et que l’obligation d’obtenir une lettre d’acceptation avait été instaurée par l’ordre no 4501/2003 du ministère de l’Éducation, qui était entré en vigueur après l’inscription administrative des intéressés. Ce jugement fut confirmé par un arrêt de la cour d’appel d’Oradea en date du 14 novembre 2012.
17. Le 25 avril 2013, le tribunal départemental de Bihor rendit son jugement sur le fond, par lequel il accueillit partiellement la contestation des requérants et annula les décisions administratives des 14 et 23 septembre 2011 (paragraphe 14 ci-dessus). Pour statuer ainsi, le tribunal nota tout d’abord que la présentation des lettres d’acceptation était requise dans le but de vérifier si les étudiants étrangers avaient obtenu des diplômes d’études secondaires dans leur pays d’origine équivalents au diplôme roumain du baccalauréat et permettant de s’inscrire dans un établissement d’enseignement supérieur en Roumanie, et il constata qu’en l’espèce les autorités n’avaient pas formulé de contestations relativement aux diplômes que les requérants avaient obtenus en Italie. Le tribunal constata ensuite que, au moment de l’inscription administrative des requérants, en 2003, ceux-ci ne s’étaient pas vu demander de produire les lettres d’acceptation et les certificats de compétence linguistique, et qu’en tout état de cause ces documents ne faisaient pas défaut, mais avaient été délivrés postérieurement à l’inscription en question (paragraphes 4, 9 et 6 ci-dessus). Le tribunal conclut à l’absence de toute fraude de la part des requérants dans l’obtention de leurs diplômes d’État, puisque l’administration universitaire avait validé, après vérification du parcours universitaire des intéressés, la participation de ces derniers aux examens de fin d’études, ce qui avait été confirmé par le témoignage du président de l’université. Quant aux autres irrégularités soulevées par le ministère de l’Éducation dans son mémoire en défense (absence de la signature du président de l’université sur les décisions d’inscription et doutes quant à la maîtrise de la langue roumaine par les requérants), il constata qu’elles n’avaient pas servi de fondement aux décisions d’annulation des diplômes des intéressés.
Toutes les parties formèrent un recours contre ce jugement.
18. Par un arrêt du 16 octobre 2013, la cour d’appel d’Oradea rejeta les recours des requérants, accueillit le recours de l’université et débouta au fond les intéressés. Elle jugea que ceux-ci n’avaient pas respecté la réglementation relative à l’inscription des étudiants dans les universités (ordres nos 3266/1998 et 4501/2003 – paragraphes 20 et 21 ci-dessus), au motif que les lettres d’acceptation (à l’exception de celle délivrée au cinquième requérant) permettaient uniquement une inscription pour l’année universitaire 2005/2006. Selon la cour d’appel, ce n’était que le 16 janvier 2004, alors que l’ordre no 4501/2003 était déjà entré en vigueur, que les requérants avaient formulé leurs demandes d’inscription. Pour cette juridiction, la non-remise des certificats de compétence linguistique au moment de l’inscription et l’absence de la signature du président de l’université sur les décisions d’inscription confirmaient le caractère frauduleux de l’obtention des diplômes d’État par les intéressés. Enfin, la cour d’appel exprima des doutes quant aux compétences linguistiques des requérants, eu égard à la note que ceux-ci avaient obtenue (10/20) lors des tests linguistiques.
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
19. L’article 146 de la loi no 1/2011 sur l’éducation nationale se lit comme suit :
« Le président de l’université peut annuler, après approbation par le sénat de l’université, un certificat ou un diplôme d’études si des preuves attestent que le document en cause a été obtenu par des moyens frauduleux ou en méconnaissance du code d’éthique et de déontologie universitaire. »
20. L’ordre no 3266/1998 du ministère de l’Éducation nationale, entré en vigueur le 16 février 1998, régit la décentralisation de l’admission des élèves, étudiants et doctorants étrangers. L’article 4 dudit ordre se lit comme suit en ses parties pertinentes en l’espèce :
« (...) Le directeur/le président de l’université sollicite auprès du département spécialisé du ministère de l’Éducation la reconnaissance et l’équivalence des diplômes d’études fournis par les candidats. Le département spécialisé du ministère est obligé de répondre à cette demande, par écrit, dans un délai de 30 jours à compter de sa réception. Une fois l’approbation écrite reçue, le directeur/le président de l’université peut délivrer la décision d’inscription (...) »
21. L’ordre no 4501/2003 du ministère de l’Éducation, entré en vigueur le 30 octobre 2003, valide les normes méthodologiques régissant l’inscription des étudiants étrangers dans les établissements universitaires en Roumanie. Les articles 2 et 3 de ces normes se lisent comme suit en leurs parties pertinentes en l’espèce :
Article 2
« 1) Les citoyens étrangers (...) doivent fournir au ministère de l’Éducation (Direction générale pour l’intégration européenne et les relations internationales) un dossier d’inscription en vue d’obtenir la lettre d’acceptation aux études, conformément à l’article 45, deuxième alinéa, lettre a) de l’OUG no 194/2002 concernant le régime juridique des étrangers en Roumanie ;
2) L’inscription des étudiants étrangers (...) doit se faire sur la base du dossier d’inscription fourni par chacun des candidats.
3) Les dossiers d’inscription doivent obligatoirement comprendre les pièces suivantes :
a) Le diplôme du baccalauréat (...) ;
b) Le certificat attestant la réussite de l’année préparatoire, le certificat de compétence linguistique (...) ;
4) La décision définitive d’inscription des étudiants étrangers ne peut être délivrée par la direction de l’université qu’après [l’obtention de] l’approbation écrite du ministère de l’Éducation (...) »
Article 3
« (...)
2) La perte du statut d’étudiant intervient en cas de non-paiement des frais de scolarité, de non-respect des obligations et de la discipline universitaires ou de violation des lois nationales (...) »
EN DROIT
1. JONCTION DES REQUÊTES
22. Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique.
2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
23. Les requérants allèguent que l’annulation, imprévisible à leurs yeux, de leurs diplômes d’État, après six années d’études supérieures réussies, a porté atteinte à leur droit au respect de leur vie privée, puisque, selon eux, les irrégularités d’ordre administratif qui leur ont été reprochées sont imputables à l’administration universitaire et au ministère de l’Éducation. Ils invoquent l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
24. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
1. Sur la recevabilité
1. Sur l’exception d’incompatibilité ratione materiae
a) L’exception du Gouvernement et la réplique des requérants
25. Le Gouvernement considère que l’article 8 de la Convention n’est pas applicable en l’espèce, car, d’après lui, les requérants n’ont pas prouvé que, pendant leurs études, ils avaient établi des liens avec le monde extérieur autres que les relations administratives spécifiques propres à tout parcours universitaire, ou une véritable et réelle interaction avec d’autres personnes. À cela s’ajoute, selon le Gouvernement, le souhait des requérants d’exercer leurs futurs métiers sur le territoire italien, ce qui confirmerait que les intéressés n’ont pas eu de relations personnelles et professionnelles suffisamment développées au sens de l’article 8 de la Convention. Enfin, les diplômes en cause auraient nécessité une reconnaissance de la part des autorités italiennes, donc n’auraient pas donné droit à l’exercice du métier sans l’accomplissement de formalités préalables (le Gouvernement cite, a contrario, les arrêts Bigaeva c. Grèce, no 27613/05, 28 mai 2009, et Sahin Kus c. Turquie, no 33160/04, 7 juin 2016).
26. Les requérants contestent les arguments du Gouvernement et affirment que la détention des diplômes d’État susmentionnés représentait la condition sine qua non pour accéder à la profession de spécialiste en médecine dentaire. D’après eux, l’annulation de leurs diplômes d’État s’analyse, sur le terrain de la Convention, en une atteinte à leur droit à la vie privée et elle a pour effet d’exclure toute possibilité pour eux d’exercer une activité professionnelle dans le domaine pour lequel ils ont étudié pendant six ans (les intéressés citent les affaires Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 29, série A no 251-B, et Mółka c. Pologne (déc.), no 56550/00, CEDH 2006‑IV). Se référant au droit à la libre circulation des personnes dans l’Union européenne, les requérants considèrent que l’argument du Gouvernement relatif au futur lieu d’exercice de leur activité professionnelle n’est pas pertinent en l’espèce.
b) Appréciation de la Cour
27. La Cour renvoie aux principes bien établis dans sa jurisprudence concernant l’étendue de la notion de « vie privée » au sens large (Bărbulescu c. Roumanie [GC], no 61496/08, §§ 70-71, CEDH 2017 (extraits)).
28. Elle rappelle avoir déjà examiné l’effet sur la « vie privée » de l’opposition d’un refus d’autoriser un ressortissant étranger, en l’occurrence une requérante de nationalité russe, à passer l’examen du barreau en Grèce, décision qui a eu des répercussions tant sur la vie privée que sur la vie professionnelle de l’intéressée (Bigaeva, précité, §§ 24-25). Elle a également jugé que l’annulation de l’équivalence d’un diplôme universitaire obtenu par un requérant à l’étranger, suivie de la révocation de l’intéressé, qui occupait un poste d’instituteur, avait remis en cause le niveau de qualification du requérant et interrompu brusquement la carrière que celui-ci avait choisie, avec des répercussions évidentes sur la jouissance par celui-ci du droit au respect de sa vie privée (Sahin Kus, précité, § 36).
29. En l’occurrence, la Cour relève qu’il est évident que les requérants avaient le projet d’obtenir un diplôme d’État en médecine dentaire, afin de pouvoir exercer un métier dans ce domaine. À cet effet, les intéressés ont accompli six années d’études et ont obtenu des diplômes d’État en médecine dentaire, indispensables pour l’accès à un métier dans ledit domaine (paragraphe 11 ci-dessus). Dans ce contexte, l’annulation de leurs diplômes a eu des conséquences non seulement sur la façon dont ils avaient forgé leur identité sociale par le développement de relations avec autrui (paragraphe 27 ci-dessus), mais aussi sur leur vie professionnelle dans la mesure où leur niveau de qualification a été remis en cause et leur intention d’entreprendre la carrière qu’ils envisageaient a été brusquement frustrée (voir, mutatis mutandis, Sahin Kus, précité, §§ 35-37). Dans ces circonstances, la Cour estime que la mesure litigieuse a entraîné des conséquences sur la jouissance par les requérants du droit au respect de la « vie privée » au sens de l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 115, 25 septembre 2018). À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.
2. Sur l’exception de non-épuisement des voies de recours internes
a) L’exception du Gouvernement et la réplique des requérants
30. Le Gouvernement considère que les requérants auraient dû contester devant les tribunaux internes les conclusions du rapport de contrôle établi en 2011 par le ministère de l’Éducation (paragraphe 13 ci-dessus), ce document ayant été d’après lui à l’origine des décisions d’annulation de leurs diplômes d’État.
31. Les requérants répliquent qu’ils ont épuisé les voies de recours internes au moyen de l’exercice d’un recours contre les décisions d’annulation de leurs diplômes d’État (paragraphe 15 ci-dessus), décisions qui, selon eux, constituaient les actes administratifs attentatoires à leurs droits.
b) Appréciation de la Cour
32. La Cour renvoie aux principes bien établis dans sa jurisprudence concernant l’épuisement des voies de recours internes (Vučković et autres c. Serbie [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-77, CEDH 2014).
33. En l’espèce, elle relève que les décisions administratives prises par l’université d’Oradea les 14 et 23 septembre 2011 ont eu un impact direct sur les droits des requérants, puisque ceux-ci ont vu leurs diplômes d’État être annulés (paragraphe 14 ci-dessus). Les intéressés ont choisi de contester ces décisions par la voie du recours en contentieux administratif, une voie de droit dont l’effectivité n’est pas contestée par le Gouvernement (paragraphe 30 ci-dessus). Le simple fait que les décisions de l’université d’Oradea étaient fondées sur les conclusions du rapport de contrôle établi par le ministère de l’Éducation ne justifie pas d’exiger, de la part des requérants, l’exercice d’une deuxième voie de recours visant le même résultat. Partant, il convient de rejeter l’exception formulée par le Gouvernement.
3. Autres motifs d’irrecevabilité
34. Constatant en outre que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elles ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.
B. Sur le fond
1. Thèse des parties
35. Les requérants considèrent que l’annulation de leurs diplômes d’État s’analyse en une ingérence dans l’exercice de leur droit au respect de leur vie privée. Ils exposent avoir été dans l’impossibilité d’exercer la profession de leur choix, qui, selon eux, correspondait à leurs qualifications obtenues grâce à des efforts importants fournis tant sur le plan personnel que dans leurs études. Cette situation aurait eu des répercussions sur leurs relations professionnelles, ainsi que sur leurs revenus et ceux de leurs familles respectives. Selon les intéressés, la législation ayant fondé les décisions litigieuses ne respectait pas les garanties requises par l’article 8 § 2 de la Convention et les « irrégularités » administratives ayant motivé l’annulation de leurs diplômes d’État ne pouvaient pas servir à remettre en cause la réussite de leur parcours universitaire. En ce qui concerne l’objectif poursuivi par la mesure de vérification effectuée à la suite de la demande faite en ce sens par les autorités italiennes, les requérants arguent qu’il ne s’agissait que de la protection du numerus clausus pour la profession de dentiste en Italie et que cet objectif n’était pas conforme aux exigences requises par l’article 8 § 2 de la Convention. Ainsi, pour les requérants, les décisions litigieuses ne répondaient pas à un besoin social impérieux et elles n’étaient pas proportionnées.
36. Le Gouvernement soutient que, dans le contexte de l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne, la mesure contestée par les requérants était nécessaire pour assurer la protection de la santé de la population et un enseignement supérieur de qualité. Il indique que les autorités nationales ont bien reçu une demande de la part des autorités italiennes tendant à la vérification de l’authenticité de plusieurs diplômes d’État obtenus en Roumanie par des étudiants italiens. Il expose que plusieurs motifs ont justifié l’annulation des diplômes des requérants : la tardiveté dans la délivrance des lettres d’acceptation et des certificats de compétence linguistique (voir, a contrario, Sahin Kus, précité, § 51), ainsi que l’absence de la signature du président de l’université d’Oradea sur les demandes d’inscription des intéressés. Le Gouvernement émet des réserves quant à la capacité des requérants d’étudier la médecine en langue roumaine, et il renvoie aux doutes exprimés en ce sens par les juges de la cour d’appel eu égard aux résultats, qu’il qualifie de faibles, obtenus par les intéressés aux tests linguistiques organisés en 2008 et en 2009 (paragraphe 18 ci-dessus, in fine). Enfin, il dit que les requérants n’ont régularisé leur séjour sur le territoire roumain qu’entre 2007 et 2008.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’existence d’une ingérence dans l’exercice du droit protégé par l’article 8 de la Convention
37. Compte tenu des considérations qui précèdent (paragraphes 27-29
ci-dessus), la Cour observe que, dans les circonstances de l’espèce, l’annulation des diplômes d’État des requérants constitue une ingérence dans l’exercice, par les intéressés, du droit au respect de leur vie privée au sens de l’article 8 de la Convention. Le Gouvernement ne le conteste d’ailleurs pas (paragraphe 36 ci-dessus).
b) Sur la justification de l’ingérence
38. Pour déterminer si l’ingérence ainsi constatée a emporté violation de l’article 8 de la Convention, la Cour doit rechercher si elle était justifiée au regard du paragraphe 2 de cet article, autrement dit si elle était « prévue par la loi » et « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre l’un ou l’autre des « buts légitimes » énumérés dans ce texte (X c. Lettonie [GC], no 27853/09, § 54, CEDH 2013).
1. Sur la base légale de l’ingérence
39. En l’espèce, la Cour note d’emblée que la cour d’appel d’Oradea a retenu trois motifs pour justifier la mesure litigieuse, à savoir : la tardiveté dans la délivrance des lettres d’acceptation, la tardiveté dans l’obtention des certificats de compétence linguistique et l’absence de la signature du président de l’université sur les décisions d’inscription des requérants (paragraphe 18 ci-dessus). La Cour relève toutefois qu’un seul motif a servi de fondement aux décisions d’annulation des diplômes des intéressés, à savoir, la tardiveté des lettres d’acceptation (paragraphes 13-14 ci-dessus).
40. La Cour observe que la mesure litigieuse était prévue par l’article 146 de la loi no 1/2011 sur l’éducation nationale (paragraphes 14 et 19 ci-dessus) et était fondée sur le non-respect, par les requérants, de deux ordres du ministère de l’Éducation imposant certaines conditions pour l’inscription des étudiants étrangers en première année d’études supérieures en Roumanie (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). La question de savoir si la mesure litigieuse avait une base légale ne prête dès lors pas à controverse.
41. Reste la question de savoir si les normes juridiques en question remplissaient les exigences d’accessibilité et de prévisibilité. À cet égard, la Cour renvoie aux principes bien établis dans sa jurisprudence en matière d’accessibilité et de prévisibilité de la base légale interne rappelés dans l’affaire C.G. et autres c. Bulgarie (no 1365/07, § 39, 24 avril 2008), ainsi que, sous l’angle des articles 5 de la Convention et 2 du Protocole no 4, dans l’affaire De Tommaso c. Italie ([GC], no 43395/09, §§ 106-109, CEDH 2017 (extraits))
42. En premier lieu, en ce qui concerne l’exigence d’accessibilité, la Cour relève que la base légale litigieuse répondait à cette condition (paragraphes 19-21 ci-dessus).
43. En second lieu, en ce qui concerne la prévisibilité de cette législation, la Cour constate tout d’abord que les lettres d’acceptation avaient pour objectif de faire certifier par le ministère de l’Éducation la reconnaissance et l’équivalence des diplômes d’études fournis par les candidats étrangers à l’occasion de leur inscription dans un établissement d’enseignement supérieur en Roumanie et qu’il appartenait aux présidents d’université de les solliciter auprès du ministère de l’Éducation (paragraphe 20 ci-dessus).
44. La Cour note ensuite que les requérants remplissaient les conditions imposées par la législation nationale en matière de reconnaissance des études (paragraphes 4 et 9 ci-dessus) et qu’aucun élément du dossier ne permet de leur imputer le retard observé dans la remise des documents en question. De même, à supposer que l’absence de certificats de compétence linguistique puisse être considérée comme un motif ayant justifié l’annulation des diplômes des requérants, le retard dans l’obtention de ces documents ne saurait être imputé aux requérants (paragraphe 6 ci-dessus).
45. Compte tenu de ces constats, la Cour considère que des doutes peuvent surgir quant à la prévisibilité pour les requérants de l’annulation de leurs diplômes d’État. Toutefois, eu égard à la conclusion à laquelle elle parvient quant à la nécessité de l’ingérence litigieuse (paragraphes 48-53 ci‑après), la Cour juge qu’il ne s’impose pas ici de trancher cette question (voir, mutatis mutandis, Dink c. Turquie, nos 2668/07, 6102/08, 30079/08, 7072/09 et 7124/09, § 116, 14 septembre 2010).
2. Sur les buts légitimes de l’ingérence
46. La Cour observe que le Gouvernement justifie l’annulation des diplômes d’État des requérants par la nécessité d’assurer la protection de la santé de la population et un enseignement supérieur de qualité (paragraphe 36 ci-dessus).
47. La Cour constate que ces buts pourraient rentrer dans les notions de « défense de l’ordre » et de « protection des droits d’autrui », à savoir ceux des personnes faisant appel aux soins que les requérants auraient pu dispenser.
3. Sur la nécessité de l’ingérence
48. Il reste à savoir si l’ingérence litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent pertinents et suffisants (Bigaeva, précité, § 32).
49. À cet égard, la Cour relève que les décisions d’inscription des requérants ont été délivrées et signées par un représentant de l’établissement, à savoir le doyen de la faculté de médecine et de pharmacie, avant l’obtention des lettres d’acceptation et des certificats de compétence linguistique (paragraphe 3 ci-dessus). C’est en vertu de ces décisions que les requérants ont été autorisés à poursuivre un cycle complet de six années d’études universitaires en médecine dentaire.
50. Par ailleurs, la Cour note que les autorités ont permis aux requérants non seulement de s’inscrire à l’université et de poursuivre leurs études, mais aussi de participer aux examens de fin d’études, ce qui est essentiel à ses yeux (voir, mutatis mutandis, Bigaeva, précité, § 32). Les requérants n’auraient eu aucune raison apparente de poursuivre six années d’études de médecine dentaire et de participer aux examens de fin d’études si l’université avait ab initio refusé leur inscription administrative (voir, mutatis mutandis, Bigaeva, précité, § 33). À ce titre, elle relève que le sénat de l’université a, sur proposition du doyen de la faculté de médecine et de pharmacie et en vertu du principe de l’autonomie universitaire, confirmé la légalité de la situation administrative des requérants et validé leur participation aux examens de fin d’études par des décisions prises en 2009 et 2010 (paragraphe 10 ci-dessus).
51. À cet égard, il convient d’accorder une importance particulière au contexte ayant entouré l’adoption de ces décisions, qui était caractérisé par l’existence d’une certaine divergence entre l’administration de l’université et le ministère de l’Éducation concernant la délivrance tardive des lettres d’acceptation des requérants (paragraphes 5, 7 et 8 ci-dessus). Or, pour la Cour, cette situation d’incertitude et d’incohérence ne saurait en aucun cas être reprochée aux requérants (voir, mutatis mutandis, Bigaeva, précité, § 34, et Sahin Kus, précité, § 51).
52. La Cour relève enfin qu’en annulant les diplômes d’État des requérants dans les circonstances décrites ci-dessus, les autorités ont brusquement bouleversé la situation professionnelle des intéressés, alors qu’aucun manquement concernant leur niveau de qualification ne permettait de penser qu’ils n’étaient pas à la hauteur de leurs tâches (voir, mutatis mutandis, Bigaeva, précité, §§ 35-36).
53. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime que les mesures incriminées ne répondaient pas à un besoin social impérieux et qu’en tout état de cause elles n’étaient pas proportionnées aux buts légitimes visés. De ce fait, elles n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique.
54. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
3. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
55. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
56. Les requérants réclament 14 000 euros (EUR) chacun au titre du préjudice moral qu’ils disent avoir subi.
57. Le Gouvernement s’oppose à la demande des requérants. Il estime qu’un éventuel arrêt de violation pourrait constituer en l’espèce une réparation suffisante du préjudice moral allégué. Subsidiairement, il invite la Cour à accorder une somme pour préjudice moral correspondant à sa jurisprudence en la matière.
58. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacun des requérants 10 000 EUR pour préjudice moral. Cela ne dispense pas les autorités nationales de prendre les mesures appropriées, sous la surveillance du Comité des Ministres, afin de redresser la violation constatée.
2. Frais et dépens
59. Les requérants demandent le remboursement des frais et dépens engagés devant les juridictions internes, dont le montant s’élèverait à 2 300 EUR pour chacun des trois premiers requérants et à 2 500 EUR pour chacun des deux derniers requérants, et, à l’appui de cette demande, ils présentent des copies de factures d’avocat. Ils sollicitent également chacun 5 040 EUR au titre des frais engagés pour la procédure devant la Cour et, à cet égard, fournissent la copie d’une note d’honoraires.
60. Le Gouvernement avance que les justificatifs versés par les requérants relativement aux frais engagés devant les juridictions internes, lesquels seraient en tout état de cause excessifs, ne portent ni le cachet ni la signature des conseils des intéressés, et il invite par conséquent la Cour à rejeter ces prétentions, les requérants n’ayant selon lui pas rapporté la preuve du paiement effectif des frais en question. Pour ce qui est des frais réclamés pour la procédure devant la Cour, le Gouvernement demande à la Cour d’analyser le caractère raisonnable des montants sollicités et d’octroyer une somme en adéquation avec sa jurisprudence en la matière.
61. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, parmi beaucoup d’autres, Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder à chacun des requérants, tous frais confondus, la somme de 3 000 EUR.
3. Intérêts moratoires
62. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare les requêtes recevables ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
4. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser à chacun des requérants, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
1. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
2. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 mars 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Andrea TamiettiJon Fridrik Kjølbro
GreffierPrésident