La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/07/2020 | CEDH | N°001-203838

CEDH | CEDH, AFFAIRE LAUTARU ET SEED c. GRÈCE, 2020, 001-203838


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE LAUTARU ET SEED c. GRÈCE

(Requête no 29760/15)

ARRÊT

Art 3 (matériel) • Traitement dégradant • Mauvaises conditions de détention dans une prison en raison de la surpopulation et d’autres défaillances • Détenu devant dormir par terre sur un sol inondé pendant 1 an et 4 mois • Restrictions budgétaires ayant de multiples répercussions sur les conditions de détention • Aucune activités récréative ou sportive à l’extérieur de la chambrée

Art 13 (+ Art 3) • Recours inefficaces pour dénoncer les conditions

de détention

STRASBOURG

23 juillet 2020

DÉFINITIF

23/10/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’a...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE LAUTARU ET SEED c. GRÈCE

(Requête no 29760/15)

ARRÊT

Art 3 (matériel) • Traitement dégradant • Mauvaises conditions de détention dans une prison en raison de la surpopulation et d’autres défaillances • Détenu devant dormir par terre sur un sol inondé pendant 1 an et 4 mois • Restrictions budgétaires ayant de multiples répercussions sur les conditions de détention • Aucune activités récréative ou sportive à l’extérieur de la chambrée

Art 13 (+ Art 3) • Recours inefficaces pour dénoncer les conditions de détention

STRASBOURG

23 juillet 2020

DÉFINITIF

23/10/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Lautaru et Seed c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,

Linos-Alexandre Sicilianos,

Aleš Pejchal,

Armen Harutyunyan,

Pere Pastor Vilanova,

Tim Eicke,

Jovan Ilievski, juges,

et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 29760/15) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant roumain et un ressortissant soudanais, M. Alexandru Lautaru (« le premier requérant ») et M. Osman Seed (« le deuxième requérant ») et respectivement (« les requérants »), ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 16 juin 2015,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 3 et 13 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 juin 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La présente affaire concerne les conditions de détention des requérants dans la prison de Malandrino.

EN FAIT

2. Les requérants sont nés respectivement en 1990 et en 1981. Ils sont représentés par Me E.-L. Koutra, avocate.

3. Le Gouvernement est représenté par la déléguée de son agent, Mme A. Dimitrakopoulou, assesseure au Conseil juridique de l’État.

4. À la date de l’introduction de leur requête, les requérants étaient détenus à la prison de Malandrino,

5. Le deuxième requérant fut détenu à la prison de Malandrino du 3 mai 2010 au 19 juin 2018, date à laquelle il fut transféré à la prison de Tiryntha. Il fut d’abord placé à l’aile D, chambrée no 8, et, le 20 juin 2010, à la cellule no 7 de la même aile. Le 4 novembre 2010, il fut transféré dans la chambrée B du corridor central de la prison, où étaient placés ceux qui avaient des problèmes de cohabitation avec les autres détenus. Par la suite, en raison encore des problèmes de cohabitation, il fut transféré à la chambrée C du corridor central, puis, le 20 juin 2013, à la chambrée I du même corridor, où il resta jusqu’à son départ.

6. Le premier requérant fut détenu à la prison de Malandrino du 7 janvier 2014 au 19 juin 2015, date à laquelle il fut transféré à la prison de Korydallos. Il séjourna dans la chambrée I du corridor central.

1. La version des requérants concernant leurs conditions de détention

7. Les requérants soutiennent qu’ils étaient détenus, en tout 15 personnes, dans une chambrée de 20 m² à 25 m². La chambrée étant équipée de seulement dix lits, cinq détenus, dont le requérant Lautaru, devaient dormir sur des matelas par terre.

8. Dans la chambrée, il y avait une douche et deux toilettes. L’ampoule de la lampe de la salle de bain était cassée et la prison ne la remplaçait pas. Quant à la douche, un tuyau étant défectueux, le sol de la chambrée était souvent inondé.

9. Les conditions d’hygiène étaient inexistantes. Des produits de nettoyage n’étaient pas fournis et comme les détenus n’avaient pas des moyens pour en acheter, ils nettoyaient seulement avec de l’eau.

10. Dans la chambrée, il y avait une petite kitchenette équipée d’une plaque électrique et d’un petit four. Tous les détenus se partageaient un réfrigérateur qui ouvrait à 7 h et fermait à 20 h. La nourriture consistait en du riz, des pâtes, des lentilles et du choux comme salade. La viande et les fruits étaient servis une fois par semaine et le poisson une fois par mois. Les repas étaient pris sur le lit car il n’y avait pas de place pour plus de cinq personnes à table.

11. Le manque de chauffage constituait une expérience traumatisante, d’autant plus que deux vitres étaient cassées. Il n’y avait pas non plus d’eau chaude car la chaudière ne fonctionnait pas.

12. La promenade dans la cour, qui était petite et attachée à la chambrée, était permise de 7 heures ou 8 heures à 12 heures et de 15 heures à 17 heures. Ainsi, les détenus dans la chambrée n’entraient jamais en contact avec les autres détenus dans la prison.

13. Aucune activité éducative, sportive ou récréative ne leur était offerte.

2. La requête auprès du procureur superviseur de la prison sur le fondement de l’article 572 du code de procédure pénale

14. Le 5 mai 2014, les deux requérants, ainsi qu’un troisième codétenu, se plaignirent auprès du procureur superviseur de la prison, au moyen d’une requête fondée sur l’article 572 du code de procédure pénale rédigée par leur avocate. Invoquant plusieurs dispositions de la Convention, ils demandaient la prise des mesures immédiates, de nature, entre autres, à désengorger la prison et améliorer les conditions de détention.

15. Les requérants se plaignaient des conditions suivantes :

Chambrées : chaque détenu avait moins de 3 m² d’espace personnel et seul le requérant Seed dormait sur un lit alors que le requérant Lautaru dormait sur un matelas par terre.

Salle d’eau : dans leur chambrée il n’y avait qu’une douche et deux toilettes pour tous les détenus. La salle de bain n’avait pas de lumière et les autorités de la prison ne changeaient pas l’ampoule cassée. Un tuyau de la douche était aussi cassé, ce qui avait eu pour résultat un dégât des eaux permanent sur le sol de la chambrée.

Conditions d’hygiène : les produits de nettoyage n’étaient pas fournis et les détenus dans la chambrée étaient obligés à nettoyer la chambrée seulement avec de l’eau car ils n’étaient pas en mesure de les acheter.

Nourriture : dans la chambrée, il y avait une kitchenette de 3 à 4 m² avec une seule plaque électrique et un petit four. Les repas consistaient habituellement en un peu de pâtes, du riz ou de lentilles. Une fois par semaine, ils recevaient un morceau de poulet et une pomme et une fois par mois du poisson. Les détenus qui comme eux n’avaient pas les moyens de compléter leur nourriture en achetant des denrées par la cantine de la prison (à un prix élevé) devaient attendre quinze heures d’un repas à l’autre, car le petit-déjeuner ne consistait qu’en une tasse de thé. Les requérants mangeaient sur leur lit car il ne pouvait pas y avoir plus de 5 ou 6 personnes à table. Les personnes qui n’avaient pas de lit n’avaient pas où s’asseoir pendant toute la journée.

Promenade : elle avait lieu de 7 heures ou 8 heures à 12 heures et de 15 heures à 17 heures. La cour de leur aile était minuscule et ils ne pouvaient être en contact avec les autres détenus dans la prison.

Activités : il n’y avait aucune activité pour s’occuper, ni des cours de grec ou d’apprentissage professionnel qui les intéresseraient. Il n’y avait pas non plus de salle de sport.

Les requérants invitaient enfin le procureur à enquêter sur les faits qu’ils dénonçaient, à prendre les mesures nécessaires afin que leurs conditions de détention deviennent conformes à la Convention ou, à défaut de pouvoir prendre ces mesures, d’ordonner la suspension de leur détention.

3. Le rapport du gardien-chef de la prison au directeur de la prison répondant aux doléances exprimées par les requérants dans leur requête précitée

16. Le 19 juin 2014, le gardien-chef de la prison adressa au directeur de la prison un rapport sur les conditions dénoncées par les requérants dans leur requête au procureur superviseur de la prison.

17. Le gardien-chef mentionnait ce qui suit :

« Chambrées : ces espaces ont été conçus pour les parloirs et ont été changés en espace de détention à dix lits afin d’augmenter la capacité de la prison, en raison de la surpopulation. Bien souvent, en raison de la surpopulation et des particularités des détenus, elles accueillaient plus de dix détenus.

Salles de bain : dans ces espaces, il y a une douche et deux toilettes. Les pannes sont réparées par le service technique de la prison après fourniture des matériaux.

Conditions d’hygiène : le nettoyage est effectué par les détenus eux-mêmes, en contrepartie d’un calcul bénéfique de la peine à purger. Les produits de nettoyage sont fournis par la prison en petites quantités en raison d’un manque de crédits. Il y a la possibilité d’acheter de tels produits à la cantine avec leurs propres deniers. Au cas où les détenus n’ont pas de moyens financiers, ces produits sont fournis par le service social.

Nourriture : En dehors de la nourriture offerte par la prison qui est réduite en raison du manque de crédits, il est possible pour les détenus d’acheter des aliments à la cantine et de préparer des repas dans la kitchenette de la chambrée.

Chauffage : La prison dispose d’un système de radiateurs qui fonctionnent aux heures fixées par la direction de la prison. Il y a des fois où le chauffage peut ne pas fonctionner en raison du manque de pétrole. Les dégâts aux fenêtres sont provoqués par les détenus. Dans ce cas, les fenêtres sont remplacées après la réception des crédits nécessaires pour l’achat de celles-ci.

Promenade : selon les horaires prévus par le règlement intérieur de la prison.

Activités : aucune

(...) »

4. Le rapport du gardien-chef de la prison au directeur de la prison établi à l’occasion d’une demande d’information fait par le Gouvernement après la saisine de la Cour par les requérants

18. Dans un rapport du 3 juillet 2019, le gardien-chef de la prison informa le directeur de la prison sur certains points soulevés par le Gouvernement dans sa demande d’information. Les questions du Gouvernement portaient, entre autres, sur le niveau de la population carcérale dans la prison, la superficie et la configuration des cellules et des chambrées dans lesquelles les requérants avaient été détenus et certaines autres questions concernant les conditions générales de détention.

19. Le gardien-chef précisait que les dimensions des cellules dans les ailes étaient de 10 m², dont 2 m² pour les toilettes, des chambrées dans les ailes de 24 m², dont 10 m² pour les toilettes, et des chambrées dans le corridor central de 40 m², dont 8 m² pour les toilettes et 10 m² pour la kitchenette. Il indiquait que les chambrées du corridor central avaient été conçues pour y installer des parloirs mais avaient été changés en espace de détention à dix lits afin d’augmenter la capacité de la prison, en raison de la surpopulation. Bien souvent, en raison de la surpopulation et des particularités des détenus, elles accueillaient plus de dix détenus.

20. À la fin de son rapport, le gardien-chef rajoutait ce qui suit :

« Je vous informe que le 5 mai 2014, j’ai eu un entretien avec les détenus requérants et je leur ai demandé de me faire connaître les problèmes auxquels ils sont confrontés et les conditions de détention régnant dans la chambrée I du corridor central où ils étaient placés et ils m’ont répondu qu’ils n’avaient aucun problème. J’ai mentionné aux détenus la requête qu’ils avaient adressée au procureur superviseur de la prison, je l’ai lue de manière compréhensible et ils ont montré qu’ils étaient surpris avec ce qu’ils venaient d’entendre. Ils m’ont dit que le rapport avait été rédigé par un avocat.

Pour prouver la véracité de leurs dires, ils ont signé une déclaration sous serment, en ma présence, dans laquelle ils déclaraient qu’ils connaissaient les conditions dans la chambrée, mais qu’ils ne voulaient pas aller dans une autre aile de la prison car ils avaient des problèmes avec les autres détenus et leur intégrité physique était en danger. Je joins les déclarations sous serment précitées. »

21. Le texte des déclarations sous serment, datées du 5 mai 2014, se lisait ainsi :

« Je souhaite rester dans la chambrée I du corridor central tout en connaissant les conditions de détention dans cette chambrée. Il m’a été proposé d’aller dans une aile où il y aurait un lit et d’autres conditions de détention, mais j’ai refusé d’y aller, car j’ai des problèmes avec les autres détenus. »

Le 23 mai 2014, la direction de la prison transmit les déclarations sous serment des requérant au procureur superviseur de la prison.

5. La version du Gouvernement concernant les conditions de détention

22. Le Gouvernement indique que la capacité officielle de la prison est de 440 détenus et qu’en 2015 la population carcérale s’élevait à 500 détenus.

23. Lors de son placement dans la chambrée no 8, le requérant Seed fut détenu avec sept autres personnes, soit huit personnes en tout, ce qui correspondait à la capacité de la chambrée. De même, il partageait la cellule no 7 avec un autre détenu, soit deux personnes en tout, ce qui correspondait à la capacité de la cellule. Dans les chambrées B et C du corridor central, il était placé avec neuf autres détenus ce qui correspondait à la capacité de ces chambrées. Par contre, la chambrée I accueillait en 2014-2015 jusqu’à quinze détenus, mais pour de courtes périodes en raison du transfert d’autres détenus dans des hôpitaux ou des tribunaux de la région. Toutefois, le nombre des détenus présents dans la chambrée était toujours inférieur à quinze. Le Gouvernement affirme que les requérants furent placés dans la chambrée I à leur demande.

24. Chaque cellule (d’une superficie de 10 m² et de 2 m² pour les toilettes) était équipée de deux lits, d’un téléviseur fourni par la prison ainsi que de deux tables en ciment, deux chaises plastiques et deux ventilateurs individuels.

25. Chaque chambrée dans les ailes (d’une superficie de 24 m² et de 10 m² pour les toilettes) était équipée des huit lits, d’une table en plastique, des huit chaises, d’un téléviseur fourni par la prison et d’un ventilateur au plafond.

26. Chaque chambrée dans le corridor central (d’une superficie de 40 m², de 10 m² pour les toilettes et de 10 m² pour une kitchenette) était équipée de dix lits, d’une table en plastique, de dix chaises, d’un téléviseur fourni par la prison et d’un ventilateur au plafond.

27. La superficie de la cour de chaque aile était de 270 m² et celle des cours de chaque chambrée de 55 m².

28. Toutes les chambrées et les cellules disposaient du chauffage central, des radiateurs électriques et des toilettes et douches avec séparation. L’eau chaude était disponible dans les cellules et les chambrées des ailes tous les deux jours pendant deux heures. Les chambrées du corridor central disposaient des chauffe-eau électriques qui fonctionnaient sans interruption.

29. Le nettoyage était assuré par les détenus eux-mêmes. Les détergents étaient fournis par la prison, surtout aux détenus indigents, mais les détenus pouvaient aussi s’en procurer avec leurs propres deniers par la cantine de la prison. Le linge de lit était nettoyé dans des laveries à l’extérieur de la prison.

30. Les repas étaient servis trois fois par jour (petit-déjeuner à 8 h 30, déjeuner à 10 h 30 et dîner après 17 heures) et comprenaient des légumes, du poisson, de la viande, des omelettes, des féculents, du fromage, de la salade et des fruits.

31. Lors de l’admission dans la prison, les détenus étaient soumis à des examens médicaux, dont une radiographie du thorax et des prises de sang pour détecter des maladies infectieuses. Les détenus étaient aussi soumis à un contrôle médical annuel, qui pouvait être plus fréquent en cas de besoin.

32. À sa demande, le requérant Seed travailla au sein de la prison comme agent d’entretien.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENTS

1. Le code de procédure pénale

33. L’article 572 du code de procédure pénale dispose en sa partie pertinente en l’espèce que :

« 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes.

2. En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel visite la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement sollicité une audition.

(...) »

2. Les normes fondamentales minimales du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) en matière d’espace vital individuel dans les établissements pénitentiaires

34. Sur la base des normes qu’il avait souvent utilisées dans de nombreux rapports de visite de pays, le CPT a décidé en novembre 2015 d’énoncer clairement sa position et ses normes en matière d’espace vital minimum à octroyer à chaque détenu : tel était l’objectif du document intitulé « Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires : Normes du CPT » (CPT/Inf (2015) 44, 15 décembre 2015). Pour plus d’informations, se référer à l’arrêt Muršić c. Croatie ([GC], no 7334/13, §§ 49-53, 20 octobre 2016).

3. Les règles pénitentiaires européennes

35. Les règles pénitentiaires européennes exposent des recommandations du Comité des Ministres aux États membres du Conseil de l’Europe quant aux normes minimales à appliquer dans les prisons. Les règles pénitentiaires européennes de 1987 (annexées à la Recommandation R(87)3) ont été adoptées le 12 février 1987. Le 11 janvier 2006, le Comité des Ministres, considérant que la recommandation de 1987 devait « être révisée et mise à jour de façon approfondie pour pouvoir refléter les développements qui [étaient] survenus dans le domaine de la politique pénale, les pratiques de condamnation ainsi que de gestion des prisons en général en Europe », a adopté la recommandation Rec(2006)2 sur les règles pénitentiaires européennes, comprenant en annexe une nouvelle version des règles pénitentiaires. Pour plus d’informations, se référer à l’arrêt Muršić (précité, § 55).

4. Le rapport du CPT du 17 novembre 2010

36. Lors de sa visite en Grèce, du 17 au 29 septembre 2009, le CPT se rendit à la prison de Malandrino. Dans son rapport, daté du 17 novembre 2010, il notait, que la capacité officielle de la prison, avait été augmentée de 280 à 440 détenus, mais sans qu’une amélioration des infrastructures ou qu’une augmentation du nombre du personnel accompagne cette augmentation. Le jour de la visite, la prison accueillait 444 détenus.

37. Le CPT relevait aussi qu’en dépit du fait que la prison était ouverte depuis seulement 2001, elle était déjà dans un état de délabrement : espaces communs sales, fenêtres cassées, éclairage artificiel insuffisant, sols et murs crasseux. Selon les termes du CPT, il y régnait « une atmosphère générale d’abandon ».

EN DROIT

1. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION

38. Les requérants se plaignent de leurs conditions de détention dans la prison de Malandrino. Ils dénoncent une violation de l’article 3 de la Convention à cet égard. Invoquant l’article 13 de la Convention, ils se plaignent également de l’absence d’un recours effectif pour dénoncer leurs conditions de détention. Ces articles sont ainsi libellés :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

1. Sur la recevabilité

39. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour défaut de qualité de victime des requérants car ils ont refusé une proposition de transfert dans une autre chambrée où les conditions de détention étaient plus favorables. Il précise que lorsque les requérants ont adressé une requête au procureur superviseur de la prison se plaignant de leurs conditions de détention, ils ont été convoqués par le gardien-chef de la prison pour lui faire aussi part de leurs doléances (paragraphe 20 ci-dessus). Lorsque le gardien-chef leur a lu le contenu de leur requête, ils se sont déclarés surpris et ont répondu que cette requête était rédigée par un avocat et non par eux. Ils ont assuré le gardien-chef qu’ils souhaitaient rester dans la chambrée I et ils ont refusé la proposition de celui-ci de les transférer dans une autre chambrée.

40. Les requérants rétorquent qu’ils ont donné mandat à leur représentante (qui parle aussi roumain) de rédiger une requête à l’attention du procureur superviseur de la prison. Ils affirment qu’ils n’ont pas connaissance de la langue grecque et que leurs déclarations sous serment ont été rédigées par le gardien-chef de la prison malgré le fait qu’ils les ont eux-mêmes signées (paragraphe 21 ci-dessus). Ils affirment aussi qu’ils ont été forcés par le gardien-chef de réfuter le contenu de leur requête et de signer les déclarations sous serment alors que personne ne leur a lu le contenu de celles-ci dans une langue qu’ils comprenaient. Les requérants se plaignent que cette attitude des autorités de la prison avait pour but de les intimider et de les empêcher de dénoncer des violations des droits garantis par la Constitution, le code pénitentiaire et le code de procédure pénale. Dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement, les requérants indiquent qu’une telle situation porte atteinte à leur droit de recours individuel sous l’article 34 de la Convention.

41. Selon la jurisprudence constante de la Cour, par « victime », l’article 34 de la Convention désigne la personne directement concernée par l’acte ou l’omission litigieux. L’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se conçoit même en l’absence de préjudice. Celui-ci ne joue un rôle que sur le terrain de l’article 41 de la Convention. Partant, une décision ou une mesure favorable à un requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, entre autres, Nada c. Suisse [GC], no 10591/08, § 128, CEDH 2012, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 115, CEDH 2010, et Association Ekin c. France (déc.), no 39288/98, 18 janvier 2000).

42. La Cour relève que le 5 mai 2014, les requérants ont adressé au procureur superviseur de la prison une requête, rédigée à leur demande par leur avocate, dans laquelle ils exposaient leurs doléances concernant les conditions dans lesquelles ils étaient détenus et invitaient le procureur à enquêter sur les faits qu’ils dénonçaient, à prendre les mesures nécessaires afin que ces conditions deviennent conformes à la Convention ou, à défaut de pouvoir prendre ces mesures, à ordonner la suspension de leur détention. Le même jour, ils ont été convoqués par le gardien-chef de la prison pour un bref entretien, à la fin duquel ils sont revenus dans leur chambrée en ayant auparavant signé des déclarations sous serment par lesquelles ils déclaraient refuser la proposition du gardien-chef de les placer dans des chambrées plus confortables et affirmaient souhaiter rentrer vivre dans les conditions antérieures régnant dans leur chambrée initiale qu’ils venaient de dénoncer.

43. La Cour n’aperçoit pas la logique de ce changement d’attitude dans un délai aussi bref des requérants, et dont elle tire de fortes présomptions qu’il a été indépendant de leur volonté. Elle a des doutes sérieux quant à la capacité même des requérants, qui ne parlaient pas grec, de comprendre le contenu des déclarations sous serment qui ont été rédigées en grec par le gardien-chef et qu’ils ont dû signer.

La Cour rejette donc l’exception du Gouvernement à cet égard.

44. Enfin et dans la mesure où les requérants ont mentionné, dans leurs observations en réponse à celles du Gouvernement – mais pas dans leur formulaire de requête –, une éventuelle entrave à leur droit de recours individuel garanti par l’article 34 de la Convention, la Cour se borne à considérer qu’une telle entrave ne s’est pas produite en l’occurrence. La Cour note à cet égard que l’envoi de la requête au procureur superviseur de la prison au titre de l’article 572 du code de procédure pénale et l’audition des requérants par le gardien-chef de la prison ont été antérieurs à la saisine de la Cour et n’ont eu aucun effet sur la rédaction et l’envoi de leur requête à celle-ci. La Cour ne donnera donc aucune suite à ces allégations qui, il convient de le rappeler en tout état de cause, ne faisaient pas partie des griefs soulevés par les requérants dans leur formulaire de requête.

45. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Article 3

a) Arguments des parties

46. Les requérants renvoient à leur version concernant leurs conditions de détention et soulignent qu’ils n’ont jamais demandé à être placés dans la chambrée I, comme le prétend le Gouvernement. Ils se prévalent aussi de la jurisprudence de la Cour concernant de manière générale les conditions de détention, de plusieurs instruments internationaux en la matière et des normes du CPT relatives à l’espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires (CPT/Inf(2015)44 du 15 décembre 2015, paragraphe 33 ci‑dessus).

47. Le Gouvernement renvoie à sa version des conditions de détention. Il souligne, en outre, que lorsque le requérant Osman Seed a été détenu dans la chambrée no 8 de l’aile D, il disposait d’un espace personnel de 3 m², dans la cellule no 7 de 5 m² et dans les chambrées B et C du corridor central de 4 m². Enfin, le dépassement de la capacité de la chambrée I n’était que de très courte durée en 2014-2015 dans le but d’effectuer des transferts ponctuels des détenus à des tribunaux ou des hôpitaux.

48. Le Gouvernement précise qu’à supposer même que les conditions de détention dans cette prison puissent être considérées comme non satisfaisantes, elles n’ont pas dépassé le seuil de gravité pour être qualifiées de traitement inhumain ou dégradant.

b) Appréciation de la Cour

1. Principes généraux

49. Les principes généraux en matière de surpeuplement carcéral sont résumés dans l’arrêt Khlaifia et autres c. Italie ([GC}, no 16483/12, §§ 164‑166, 15 décembre 2016), où la Cour a notamment rappelé que lorsque le surpeuplement atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 (voir, s’agissant d’établissements pénitentiaires, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 39, 7 avril 2005). En effet, l’exiguïté extrême dans une cellule de prison est un aspect particulièrement important qui doit être pris en compte afin d’établir si les conditions de détention litigieuses étaient « dégradantes » au sens de l’article 3 de la Convention (Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, § 104, 20 octobre 2016).

50. Ainsi, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpeuplement sévère, la Cour a jugé que cet élément, à lui seul, suffisait pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, bien que l’espace jugé souhaitable par le CPT pour les cellules collectives soit de 4 m², il s’agissait de cas de figure où l’espace personnel accordé au requérant était inférieur à 3 m² (Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09 et al., § 68, 8 janvier 2013, Ananyev et autres, précité, §§ 144-145, Sulejmanovic c. Italie, no 22635/03, § 43, 16 juillet 2009, Kantyrev c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007, Andreï Frolov c. Russie, no 205/02, §§ 47-49, 29 mars 2007, et Kadikis c. Lettonie, no 62393/00, § 55, 4 mai 2006).

51. La Cour a récemment confirmé que l’exigence de 3 m² de surface au sol par détenu (incluant l’espace occupé par les meubles, mais non celui occupé par les sanitaires) dans une cellule collective doit demeurer la norme minimale pertinente aux fins de l’appréciation des conditions de détention au regard de l’article 3 de la Convention (Muršić, précité, §§ 110 et 114). Elle a également précisé qu’un espace personnel inférieur à 3 m² dans une cellule collective fait naître une présomption, forte mais non irréfutable, de violation de cette disposition. La présomption en question peut notamment être réfutée par les effets cumulés des autres aspects des conditions de détention, de nature à compenser de manière adéquate le manque d’espace personnel ; à cet égard, la Cour tient compte de facteurs tels que la durée et l’ampleur de la restriction, le degré de liberté de circulation et l’offre d’activités hors cellule, et le caractère généralement décent ou non des conditions de détention dans l’établissement en question (ibidem, §§ 122 138).

52. En revanche, dans des affaires où le surpeuplement n’était pas important au point de soulever à lui seul un problème sous l’angle de l’article 3, la Cour a noté que d’autres aspects des conditions de détention étaient à prendre en compte dans l’examen du respect de cette disposition. Parmi ces éléments figurent la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base (voir également les éléments ressortant des règles pénitentiaires européennes adoptées par le Comité des Ministres, citées au paragraphe 43 ci-dessus). Comme la Cour l’a précisé dans son arrêt Muršić (précité, § 139 ; voir également Khlaifia, précité, § 167), lorsqu’un détenu dispose dans la cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids dans l’appréciation du caractère adéquat ou non des conditions de détention. Aussi, dans pareilles affaires, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 dès lors que le manque d’espace s’accompagnait d’autres mauvaises conditions matérielles de détention, telles qu’un manque de ventilation et de lumière (Torreggiani et autres, précité, § 69, voir également Moisseiev c. Russie, no 62936/00, §§ 124-27, 9 octobre 2008, Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008 ; et Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007), un accès limité à la promenade en plein air (István Gábor Kovács c. Hongrie, no 15707/10, § 26, 17 janvier 2012, Efremidze c. Grèce, no 33225/08, § 38, 21 juin 2011, Yevgeniy Alekseyenko c. Russie, no 41833/04, §§ 88-89, 27 janvier 2011, Gladkiy c. Russie, no 3242/03, § 69, 21 décembre 2010, Shuvaev c. Grèce, no 8249/07, § 39, 29 octobre 2009, et Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, § 36, 2 juillet 2009) ou un manque total d’intimité dans les cellules (Szafransky c. Pologne, no 17249/12, §§ 39-41, 15 décembre 2015, Veniosov c. Ukraine, no 30634/05, § 36, 15 décembre 2011, Mustafayev c. Ukraine, no 36433/05, § 32, 13 octobre 2011, Belevitski c. Russie, no 72967/01, §§ 73-79, 1er mars 2007, Khoudoyorov c. Russie, no 6847/02, §§ 106-107, CEDH 2005-X (extraits), et Novosselov c. Russie, no 66460/01, §§ 32 et 40-43, 2 juin 2005).

53. Concernant les installations sanitaires et l’hygiène, la Cour rappelle que l’accès libre à des toilettes convenables et le maintien de bonnes conditions d’hygiène sont des éléments essentiels d’un environnement humain, et que les détenus doivent jouir d’un accès facile à ce type d’installation, qui doit leur assurer la protection de leur intimité (Ananyev et autres, précité, §§ 156 et 157; voir également les règles pénitentiaires européennes adoptées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (paragraphe 34 ci-dessus). À cet égard, la Cour rappelle qu’une annexe sanitaire qui n’est que partiellement isolée par une cloison n’est pas acceptable dans une cellule occupée par plus d’un détenu (Canali c. France, no 40119/09, § 52, 25 avril 2013), qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison des mauvaises conditions d’hygiène en cellule (Vasilescu c. Belgique, no 64682/12, § 103, 25 novembre 2014, Ananyev et autres, précité, §§ 156-159, Florea c. Roumanie, no 37186/03, § 59, 14 septembre 2010, Modarca c. Moldavie, no 14437/05, §§ 65-69, 10 mai 2007, et Kalachnikov, précité, §§ 98-103). Un autre aspect sanctionné par la Cour en matière d’hygiène est la présence de cafards, rats, poux, punaises ou autres parasites. Elle a rappelé que les autorités des centres de détention doivent combattre ce type d’infestation par des moyens efficaces de désinfection, des produits d’entretien, des fumigations et des vérifications régulières des cellules, en particulier la vérification de l’état des draps et des endroits destinés au stockage de la nourriture (Ananyev et autres, précité, § 159).

2. Application en l’espèce

54. En l’espèce, la Cour note que dans son rapport du 3 juillet 2019, le gardien-chef de la prison notait qu’un espace dans le corridor central, initialement conçu comme parloir, avait été transformé, en raison de la surpopulation dans la prison, en chambrée de dix lits d’une superficie de 40 m², dont 10 m² pour la kitchenette et 8 m² pour les toilettes. La Cour estime que la superficie qu’elle doit prendre en considération pour déterminer l’espace personnel des requérants est celle de la chambrée dont il faudrait déduire celle des toilettes, donc une surface d’un total de 32 m². Il en résulte que l’espace personnel de chaque détenu, et donc des requérants, lorsque la chambrée était occupée par un total de 10 personnes, s’élevait à 3,2 m².

55. Toutefois, de l’aveu même du gardien-chef, en raison de la surpopulation, la chambrée accueillait parfois 15 détenus. Il en résulte donc que pendant ces périodes cinq détenus, dont le premier requérant, ne disposaient pas de lit. L’espace personnel de chaque détenu, lorsque la chambrée accueillait 15 personnes, serait alors réduit à 2,1 m². La Cour observe aussi que selon les affirmations du Gouvernement, la chambrée était équipée d’une table et de dix chaises, ce qui réduisait encore plus l’espace personnel.

56. En outre, en période d’occupation par 15 détenus, et compte tenu du fait que la cour de la chambrée mesurait 55 m², l’espace correspondant à chaque détenu pendant la promenade devait s’élever à 3,5 m² environ.

57. La Cour relève, par ailleurs, que le Gouvernement admet qu’en 2015 la population dans la prison s’élevait à 500 détenus et que pendant de courtes périodes en 2014-2015, la chambrée I du corridor central accueillait jusqu’à 15 détenus. Toutefois, le Gouvernement ne précise pas quelles étaient ces courtes périodes pour permettre à la Cour de vérifier la durée et la fréquence de celles-ci.

58. En sus des problèmes relatifs à la surpopulation, la Cour relève aussi les faits suivants concernant d’autres aspects des conditions de détention.

59. Dans leur requête au procureur superviseur de la prison, le premier requérant précisait qu’il devait dormir par terre, et cela pendant 1 an et 4 mois. Les deux requérants mentionnaient également qu’en raison d’un tuyau rouillé qui fuyait dans les toilettes, l’endroit où le premier requérant dormait à même le sol était inondé. Or, le Gouvernement n’a pas contesté ces allégations dans ses observations.

60. Dans le rapport établi le 19 juin 2014 par le gardien-chef de la prison à l’attention du directeur de celle-ci, le premier faisait état des restrictions budgétaires qui avaient des répercussions sur la fourniture des produits de nettoyage, sur la nourriture des détenus et sur l’approvisionnement en pétrole de chauffage. Les restrictions budgétaires constituaient aussi l’explication pour le défaut des réparations dénoncé par les requérants dans leur requête au procureur, à savoir celles de la vitre cassée et du chauffe-eau qui ne marchait pas, de la fuite d’eau et de la lumière électrique dans les toilettes. Quant aux activités pour occuper les détenus, le gardien-chef précisait qu’il n’y en avait aucune (paragraphe 17 ci-dessus).

61. La Cour prend note aussi de l’allégation des requérants concernant la petite quantité et la pauvre qualité de la nourriture fournie, de l’impossibilité de se procurer par leur propres deniers des suppléments de nourriture par la cantine et de la longue période qui s’écoulait entre le dîner et le déjeuner le lendemain, et du fait qu’ils ne recevaient qu’une tasse de thé en guise de petit-déjeuner (paragraphe 15 ci-dessus).

62. La Cour note que le premier requérant a été détenu dans la chambrée I du 7 janvier 2014 au 19 juin 2015. Le deuxième requérant a été détenu dans différentes cellules et chambrées du 3 mai 2010 au 19 juin 2018, et, plus particulièrement, dans la chambrée I du 20 juin 2013 au 19 juin 2018.

63. Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour estime que tant le premier requérant, pendant toute la durée de sa détention, que le deuxième requérant, du 20 juin 2013 et au moins jusqu’au 16 juin 2015, date de la saisine de la Cour, ont vécu dans des conditions contraires à l’article 3 en ce qui concerne la surpopulation, mais aussi certains autres aspects de leur détention, tenant notamment à la nourriture, à la propreté et à l’état général de leur chambrée et à l’absence de toute activité récréative ou sportive à l’extérieur de la chambrée. En outre, en ce qui concerne le deuxième requérant et la période de sa détention antérieure au 20 juin 2013 dans différentes cellules, la Cour note que, dans ses observations, ce requérant ne se réfère pas au rapport du CPT du (paragraphes 36-37 ci‑dessus) et n’a pas non plus fourni d’informations relatives à ses conditions de détention dans ces cellules.

64. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

2. Article 13

65. Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent également d’une absence de recours effectif pour dénoncer leurs conditions de détention. Ils se prévalent d’une jurisprudence abondante de la Cour en la matière concernant la Grèce.

66. Le Gouvernement soutient à titre principal que les requérants n’ont pas de grief défendable sur le terrain de l’article 3 de la Convention pour que l’article 13 s’applique en l’espèce. À titre subsidiaire, il avance que les requérants avaient à leur disposition le recours prévu par l’article 6 du code pénitentiaire, à savoir la saisine du conseil de la prison, ainsi que celui prévu par l’article 2 de la loi no 4228/2014, à, savoir la saisine du médiateur de la République, recours que les requérants n’ont pas utilisés. Enfin, le Gouvernement souligne que la requête au procureur superviseur de la prison sur le fondement de l’article 572 du code de procédure pénale a mobilisé les autorités de la prison qui leur ont proposé le transfert à une chambrée où régnaient des conditions plus favorables, mais ceux-ci ont refusé l’offre.

67. La Cour rappelle avoir affirmé à plusieurs reprises que, dans la mesure où le requérant allègue être personnellement affecté par les conditions générales de détention dans la prison, comme en l’espèce, les recours prévus aux articles 6 et 572 précités ne lui seraient d’aucune utilité (voir, parmi beaucoup d’autres, Papakonstantinou c. Grèce, no 50765/11, § 51, 13 novembre 2014, et Koureas et autres c. Grèce, no 30030/15, § 89, 18 janvier 2018).

68. Plus particulièrement, en l’espèce, la Cour note que ce n’était pas le procureur superviseur lui-même qui a auditionné les requérants mais le gardien-chef de la prison. Quant à la proposition alléguée de ce dernier de placer les requérants dans une chambrée où les conditions seraient plus favorables, la Cour s’estime en droit d’entretenir des doutes quant à la possibilité de donner suite à cette proposition compte tenu de la surpopulation régnant dans la prison à cette période. En outre, la Cour estime utile de rappeler que le procureur superviseur de la prison préside le conseil de la prison dont la compétence s’étend à plusieurs aspects de la vie carcérale. De l’avis de la Cour, une requête au procureur superviseur de la prison reviendrait à inviter celui-ci à enquêter sur des faits ou sur des allégations relatives à des conditions de détention dont il porte aussi en partie la responsabilité.

69. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter dans la présente affaire de sa jurisprudence constante à cet égard (voir, entre autres, Konstantinopoulos et autres c. Grèce, no 69781/13, 28 janvier 2016, et D.M. c. Grèce, no 44559/15, 16 février 2017).

70. Quant à la saisine du médiateur de la République, la Cour a déjà considéré qu’elle ne constitue pas un recours effectif dans la mesure où ces recommandations ne lient pas les autorités (Memlika c. Grèce, no 37991/12, § 39, 6 octobre 2015).

71. Il y a donc eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 de la Convention.

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

72. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

73. Au titre du dommage moral qu’ils estiment avoir subi, les requérants demandent les sommes suivantes :

Le premier requérant : 20 150 euros (EUR) pour la violation de l’article 3 (soit 6 500 EUR pour la 1ère année de sa détention et 325 EUR pour chacun des 42 mois supplémentaires de sa détention), 2 000 EUR pour celle de l’article 13 et 3 000 pour celle de l’article 34.

Le deuxième requérant : 39 325 EUR pour la violation de l’article 3 (soit 6 500 EUR pour la 1ère année de sa détention et 325 EUR pour chacun des 101 mois supplémentaires de sa détention), 3 000 EUR pour celle de l’article 13 et 3 000 pour celle de l’article 34.

Les requérants demandent que ces sommes soient versées sur le compte bancaire de leur avocate.

74. Le Gouvernement soutient que les sommes réclamées par les requérants sont excessives et injustifiées et qu’en cas de constat de violation, ce constat constituerait une satisfaction équitable suffisante. Il invite aussi la Cour à rejeter la demande de l’avocate des requérants que la somme allouée soit versée directement sur le compte bancaire indiqué par celle-ci.

75. La Cour rappelle qu’elle a constaté une violation de l’article 3, en ce qui concerne le premier requérant, pour la période du 7 janvier 2014 au 19 juin 2015, soit une durée de 17 mois, et en ce qui concerne le deuxième requérant, pour la période du 20 juin 2013 au 16 juin 2015, soit une durée de 24 mois.

76. Compte tenu de la durée de la détention de chaque requérant, du constat de la violation des articles 3 de la Convention et de l’article 13 combiné avec l’article 3 et de sa jurisprudence en la matière, la Cour accorde au titre du dommage moral 11 000 EUR au premier requérant et 14 000 EUR au deuxième requérant.

2. Frais et dépens

77. Les requérants réclament 6 400 EUR au titre des frais et dépens qu’ils ont engagés en Grèce et au titre de ceux qu’ils ont engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour, somme qui correspondrait à : une heure de travail pour procurer des pouvoirs aux requérants, trois heures de travail pour la rédaction de la requête au procureur superviseur de la prison, vingt‑quatre heures de travail pour la rédaction de la requête à la Cour et quarante heures de travail pour la rédaction des observations. Les requérants affirment qu’ils ont conclu un accord avec leur avocate, qui est valable selon le droit interne et selon lequel leur avocate sera payée sur la base de l’article 1 du code des avocats après la fin de la procédure. Les requérants demandent que cette somme soit versée sur le compte bancaire de leur avocate.

78. Le Gouvernement souligne que la somme réclamée est excessive et que les requérants ne produisent pas la copie de l’accord qu’ils auraient conclu avec leur avocate, accord qui de toute façon ne lie pas la Cour.

79. Compte tenu de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder conjointement aux requérants la somme de 2 000 EUR pour la procédure dans l’ordre juridique interne et devant elle, somme à verser directement sur le compte bancaire de leur avocate.

3. Intérêts moratoires

80. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention ;
4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

1. 11 000 EUR (onze mille euros) au premier requérant, et 14 000 EUR (quatorze mille euros) au deuxième requérant, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
2. 2 000 EUR (deux mille euros), conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû par ceux-ci à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser directement sur le compte bancaire de leur avocate ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juillet 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Renata DegenerKsenija Turković
Greffière adjointePrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-203838
Date de la décision : 23/07/2020
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel);Violation de l'article 13+3 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) (Article 3 - Interdiction de la torture;Traitement dégradant)

Parties
Demandeurs : LAUTARU ET SEED
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : KOUTRA E.-L.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award