CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE DUBOIS c. FRANCE
(Requête no 52833/19)
ARRÊT
Art 6 § 1 (pénal) + Art 6 § 3 c) • Procès équitable • Audition libre du requérant n’ayant pas reçu notification du droit de garder le silence et bénéficié de l’assistance d’un avocat • Cour d’appel s’étant principalement fondée, pour prononcer sa condamnation, sur des éléments à forte valeur probante n’ayant aucun lien avec l’audition libre
STRASBOURG
28 avril 2022
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Dubois c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :
Síofra O’Leary, présidente,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Lətif Hüseynov,
Arnfinn Bårdsen,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,
Vu :
la requête (no 52833/19) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Joël Dubois (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 7 octobre 2019,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») le grief concernant l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 mars 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. L’affaire concerne une mesure d’audition libre durant laquelle le requérant n’a pas reçu notification du droit de garder le silence et n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat. Il invoque une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, au motif qu’il a été condamné pénalement sur la base des déclarations recueillies au cours de cette audition.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1949 et réside à Joué-les-Tours. Il a été représenté par Me C. Nouzha, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
4. Le 29 janvier 2014, le président du Syndicat des Chirurgiens-Dentistes d’Indre-et-Loire signale à la Direction départementale de la protection des populations les agissements du requérant, prothésiste-dentaire, qui continuait à dispenser des soins dentaires alors qu’il avait fait l’objet de plusieurs condamnations pour exercice illégal de l’art dentaire.
5. Le syndicat produit les copies de trois factures dont il a été destinataire, délivrées par le « centre de santé dentaire » au sein duquel exerce le requérant et précise dans son signalement que, pour sa défense, le requérant a toujours invoqué la réalisation de prothèses amovibles et la prise d’empreinte par les patients eux-mêmes grâce à des auto-kits. Il précise également que l’analyse de trois factures montre que le requérant réalisait des couronnes et posait des implants, lesquels constituent des actes sanglants, douloureux, nécessitant la réalisation d’anesthésie locale par infiltration sous-muqueuse, la taille de dents ou encore le forage du tissu osseux.
6. Une enquête est ouverte pour des faits d’exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste. Les trois clients dont les factures ont été produites par le syndicat sont entendus et confirment que le requérant a posé leurs couronnes ou implants.
7. Le 13 novembre 2014 entre 9 h 07 et 10 h 30, le requérant est entendu dans le cadre d’une audition libre par un officier de police judiciaire au commissariat de police. Il est informé des faits qui lui sont reprochés et de son droit de mettre fin à l’audition à tout moment. Il consent à être entendu librement. Il n’est pas explicitement informé de son droit de garder le silence et ne bénéficie pas de l’assistance d’un avocat.
8. Le procès-verbal d’audition est rédigé de la manière suivante :
« (...) Je suis prothésiste dentaire. Je suis à mon compte depuis 1977. Je perçois un salaire mensuel de 1200,00 euros. J’ai un niveau d’études supérieures. J’ai obtenu les diplômes suivants : CAP de prothésiste dentaire brevet professionnel prothésiste dentaire diplôme en denturologie.
J’ai fait l’objet de la procédure suivante :
Procédure pour CONNU POUR EXERCICE ILLEGAL DE L’ART DENTAIRE établie par CSP TOURS
SUR LES FAITS :
Vous m’informez du motif de ma convocation dans vos services, à savoir mon audition en tant que mis en cause dans la présente affaire, et ce pour des faits d’exercice illégal de l’art dentaire commis entre avril 2012 et novembre 2013.
Je prends acte que vous m’informez que je peux, à tout moment, quitter vos locaux et ainsi mettre un terme à l’audition ; et que je ne pourrai éventuellement être entendu sous la contrainte, que dans le cadre d’une mesure de garde à vue prise à mon encontre sur la base des motifs prévus à l’article 62-2 du Code de de procédure pénale ; informé de ces droits, je consens à m’exprimer librement et à répondre à vos questions. »
Q: « Quels sont les diplômes que vous possédez ? »
R: « J’ai le CAP de prothésiste dentaire, le brevet professionnel de la même profession; j’ai passé le diplôme de denturologue au Québec à Montréal en 1989 qui n’est pas reconnu en France. Je possède également un diplôme d’Université de prothèse faciale appliquée délivré par la faculté de médecine et de chirurgie maxillo-faciale, Université Pierre et Marie Curie Paris VI, en date du 21 février 2000 (vu annexé).
Ce diplôme est reconnu en France.
Quatre plaintes ont été déposées contre moi pour exercice illégal de l’art dentaire par la CNSD (confédération des syndicats dentaires) et le conseil de l’ordre d’Indre et Loire des chirurgiens-dentistes.
J’ai toujours été condamné, même jusqu’à la cassation mais mon cabinet n’a jamais été fermé sur décision judiciaire. Je n’ai jamais été emprisonné, uniquement de fortes amendes. »
Q: « Je vous représente trois factures qui ont été présentées à la mutuelle Harmonie Mutuelle avec l’en-tête du cabinet dentaire 10 rue de l’Émeraude 37300 JOUE LES TOURS, avec un mail qui semble à votre nom; avez-vous délivré ces trois factures à des patients ? »
R: « Oui, c’est bien moi qui ai délivré ces factures; dans la référence 1632/11/13, j’ai posé moi-même les couronnes en ne prenant pas les empreintes car le patient lui-même avait déjà les moulages de son dentiste. Dans la référence 1865/2/13, j’ai réalisé les empreintes et posé moi-même les deux couronnes céramo-métal. »
Q: « Dans la facture référencée MIP /4/12, il est question d’une pose d’un implant MIX TSVB13 ZIMMER DENTAL 2,7 ? »
R: « J’ai commandé non pas un implant (il s’agit d’une erreur d’écriture de ma part) mais un pilier auprès de la société allemande ZIMMER DENTAL ; mais une succursale située à PARIS.
Je précise que l’implant est une vis qui se met directement dans l’os ; le pilier d’implant est le pilier qui vient se visser sur l’implant pour soutenir la prothèse. Je dois dire que cet implant a été posé non par moi mais par un médecin stomatologue de TOURS dont je tairai le nom.
Je ne pose jamais moi-même les implants et je ne fais pas de soins non plus. Et il n’y a personne d’autre dans mon cabinet. Je pense qu’il s’agit d’une erreur de ma part d’avoir inscrit « implant » au lieu de pilier.
D’autre part, il y a pu avoir la pose d’une couronne mais je ne l’ai pas inscrit sur la facture ; je vérifierai et je vous communiquerai les éléments si je trouve autre chose.
Je précise aussi qu’il est inscrit sur cette facture HN qui signifie hors nomenclature, donc non prise en charge par la sécurité sociale.
J’invite les patients à prendre contact avec leur mutuelle de soins car parfois, une mutuelle rembourse certains frais mais pas tous. »
Q: « Pourquoi sur la facture de « la pose de l’implant MTX ..etc.. », il n’y a pas d’inscription centre de santé dentaire NON CONVENTIONNE alors que sur les deux autres factures, on voit cette mention ? »
R : « C’est sûrement un oubli ; mais au départ, cela devait y être.
Je ne suis pas conventionné et je le dis au patient.
En ce qui concerne les couronnes dans les deux autres factures, il est bien inscrit « non prise en charge. »
Je paye à l’URSSAF ce que je dois en tant que salarié de l’Association loi 1901 DCSPD et je précise que Dentoprothèse appartient au même groupe.
Grâce à l’Association, j’este en justice dans le cadre de la défense des victimes de dentistes et nous avons gagné une trentaine de procès au civil.
Je n’ai rien d’autre à déclarer. »
9. Le 30 avril 2015, le requérant est cité devant le tribunal correctionnel de Tours pour exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste.
10. Assisté d’un avocat, le requérant soulève devant le tribunal une exception de nullité de la procédure d’enquête préliminaire et des actes subséquents au regard de l’article 6 de la Convention, au motif, notamment qu’il a été privé du droit à l’assistance d’un avocat et de la notification du droit de garder le silence lors de son audition libre.
11. Par un jugement du 2 juin 2016, le tribunal correctionnel procède à l’annulation du procès-verbal d’audition libre, pour les motifs suivants :
« Le [requérant] a effectivement été entendu au cours d’une audition libre durant laquelle il a reconnu les faits qui lui sont reprochés. À la date de cette audition, soit le 13 novembre 2014, le code de procédure pénale ne prévoyait pas encore le droit à l’assistance d’un avocat.
Les policiers n’ont donc commis aucune illégalité. Toutefois au nom des principes d’exercice des droits de la défense garantissant un procès équitable, le tribunal annule le procès-verbal (...) de la procédure, les autres actes de la procédure restant valables car n’étant pas subséquents à cet acte. »
12. Sur le fond, le tribunal correctionnel relève les éléments suivants :
« [Le requérant] comparait pour la neuvième fois depuis 1986 pour des faits d’exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste. Il lui est une nouvelle fois reproché d’avoir fait des actes en bouche ayant consisté essentiellement en la pose de couronnes, avec prise d’empreinte pour l’un des plaignants, l’enlèvement de deux couronnes pour un autre plaignant.
À l’audience, le prévenu a contesté sa responsabilité pénale en soutenant que les déclarations des plaignants sont mensongères, qu’ayant tiré la leçon de ses condamnations précédentes il ne réalise plus aucun acte en bouche se contentant de demander à ses “clients” de se prendre eux-mêmes les empreintes dentaires et de se poser eux-mêmes les couronnes qu’il accepte de fabriquer pour permettre à ces personnes de bénéficier de soins de qualité à un tarif bien moins élevé que celui pratiqué par les chirurgiens dentiste.
Il convient de rappeler que l’enquête a été réalisée sur la base de trois factures communiquées au syndicat des chirurgiens-dentistes d’Indre et Loire pour signaler que [le requérant] continuait à délivrer des soins dentaires en dépit de ses nombreuses condamnations. L’une de ces factures, datée du 13 novembre 2013, établie au nom de monsieur [T.J] pour un montant de 460 euros, visait “2 couronnes céramo métal, cotées SPR 50". Monsieur [T.J] expliquait aux enquêteurs que [le requérant] lui avait posé ces deux couronnes dans son cabinet sans prise d’empreintes car il possédait déjà ses empreintes mais avait été intéressé par la différence énorme de prix.
La deuxième facture, établie au nom Monsieur [D.D] en date du 13 avril 2012, mentionnait la pose d’un implant MTX ZIMMER DENTAL pour un montant de 860 euros. Monsieur [D.D] indiquait que [le requérant] avait réalisé une prise d’empreintes avant de lui poser la prothèse, il évoquait également la dévitalisation de deux dents.
La dernière facture, établie le 27 février 2013 au nom de Madame [B.R] pour un montant de 460 euros, mentionnait deux couronnes céramo métal. Madame [B.R] indiquait s’être rendue trois fois chez [le requérant] qui lui avait posé ces deux couronnes, que par la suite sa mutuelle lui avait indiqué qu’elle refusait le remboursement car le praticien n’était pas un dentiste répertorié. Ayant reçu un avis à victime pour se présenter à l’audience du tribunal correctionnel, Madame [B.R] écrivait à la juridiction pour lui indiquer qu’elle ne voyait pas l’intérêt de se constituer partie civile n’ayant eu aucune complication après les soins reçus.
L’article L4161-2 du Code de la sante publique stipule qu’exerce illégalement l’art dentaire toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d’un praticien, à la pratique de l’art dentaire, par consultation, acte personnel ou tous autres procédés, quels qu’ils soient, notamment prothétiques, sans être titulaire d’un diplôme, certificat ou autre titre et exigé pour l’exercice de la profession de chirurgien-dentiste. En l’espèce il n’est pas contesté que [le requérant] ne dispose pas du diplôme de chirurgien-dentiste mais seulement d’une formation lui permettant d’exercer la profession de prothésiste dentaire.
Il est de jurisprudence constante que les opérations de prise d’empreintes, d’adaptation et de pose d’un appareil dentaire constituent des actes prothétiques relevant de l’art dentaire et nécessitent un diplôme de chirurgien-dentiste sans qu’il y ait lieu de distinguer si ces interventions ont pour objet d’installer ou de réparer la prothèse.
[Le requérant] n’ignore pas ces dispositions et contraintes légales, en réalité il milite depuis des années pour la reconnaissance en France de la profession de denturologue qui consiste à offrir des services de prothèse dentaire directement aux particuliers. Il affiche, comme lors de l’audience, sa conviction que l’ordre professionnel des chirurgiens-dentistes et les syndicats qui les représentent forment un lobbying pour s’opposer au nom d’intérêts financiers à l’introduction de cette discipline en droit français. Son casier judiciaire et les faits de l’espèce démontrent qu’il ne se contente pas de militer mais qu’il est passé à l’acte un certain nombre de fois se constituant une clientèle par le bouche à oreille parmi les plus démunis financièrement qui sont attirés par les tarifs particulièrement bas et en tous cas très inférieurs aux honoraires des chirurgiens-dentistes. Les personnes entendues dans la procédure concernées par les trois factures litigieuses ont déclaré avoir cru que [le requérant] était dentiste, il est vrai qu’il a baptisé son lieu de travail “centre de santé dentaire” et qu’il possède un équipement très semblable à celui des chirurgiens-dentistes, notamment un fauteuil de soins et des instruments de soins, autant d’éléments destinés à entretenir la confusion dans l’esprit des “clients”.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le tribunal entend écarter les arguments de la défense qui a tenté de convaincre le tribunal que désormais il ne réalise plus aucun acte en bouche laissant à ses clients le soin de se poser eux même la prothèse ou de se faire le relevé d’empreintes. Le bon sens conduit immédiatement à s’interroger sur la faisabilité d’une pose de prothèse par le patient lui-même lorsque l’on connait même de manière profane les conditions de pose d’une couronne dentaire. Mais surtout le représentant de l’ordre professionnel des chirurgiens-dentistes est venu confirmer qu’il n’était pas raisonnable d’envisager que la version du [requérant] puisse correspondre à une réalité. Le traitement prothétique dentaire ne se réduit pas à la vente d’un dispositif, il s’agit d’un acte médical à part entière qui comporte plusieurs phases. Il suppose l’examen et la remise en état de la cavité buccale, puis un diagnostic comportant l’indication de la pose d’une prothèse et son type, l’enregistrement des caractéristiques anatomiques et physiologiques de la bouche, la confection proprement dite de la prothèse en laboratoire (étape réservée aux prothésistes dentaires sur les indications du dentiste), essayage de la prothèse, vérification de la bonne adaptation et enfin mise en place, par scellement le cas échéant, de cette prothèse.
Ainsi la version du [requérant] n’est pas crédible, elle est d’ailleurs infirmée, par les déclarations de Messieurs [TJ], [D.D] et de Madame [B.R], cette dernière évoquant même spontanément dans son courrier la qualité des “ soins ” reçus. Les simples attestations produites en défense de trois personnes affirmant avoir elles-mêmes effectué les prises d’empreintes, les essais et la pose de prothèses, ne sauraient emporter la conviction du tribunal qui constate en outre qu’aucun témoin n’a été cité dans les formes de la procédure pénale. »
13. Le tribunal correctionnel déclare le requérant coupable et le condamne à deux cents jours-amende à quatre-vingts euros. Le tribunal prononce également à titre de peines complémentaires, notamment, l’interdiction définitive d’exercer la profession de prothésiste dentaire, la confiscation de son matériel et la diffusion de la décision. Des dommages et intérêts sont accordés aux parties civiles.
14. Assisté d’un avocat, le requérant interjette appel du jugement, soulevant à nouveau une exception de nullité de la procédure pour les mêmes motifs qu’en première instance.
15. Par un arrêt du 14 mars 2018, la cour d’appel d’Orléans infirme la solution retenue par le tribunal correctionnel en ce qui concerne le procès‑verbal d’audition libre. Elle relève en effet que tous les droits attachés à l’audition libre ont été respectés et que la loi n’imposait pas encore le droit à l’assistance d’un avocat. Elle précise en outre que :
« (...) en l’espèce, [le requérant] a été entendu le 13 novembre 2014, entre 9 Һ 07 et 10 Һ 30, sous le régime de l’audition libre, après avoir répondu favorablement à la convocation qui lui avait été adressée par les services de police, opérant en enquête préliminaire.
L’enquêteur l’a immédiatement informé du motif de sa convocation, de ce qu’il comparaissait librement, de son droit de quitter leurs locaux à tout moment et de ce qu’il ne pourrait être entendu sous la contrainte que dans le cadre d’une mesure de garde à vue, conformément aux dispositions de l’article 62-2 du Code de procédure pénale.
Informé de ses droits, [le requérant] a accepté de répondre aux questions des enquêteurs. Il s’est expliqué sur l’ensemble des faits après qu’il lui a été donné connaissance des déclarations de M. [T.J], de Mme [B.R] et de M. [D.D], sans qu’à aucun moment, il n’ait été conduit à s’auto-incriminer.
La procédure étant par conséquent régulière, c’est à tort que les premiers juges, se fondant sur « les principes d’exercice des droits de la défense garantissant un procès équitable » ont annulé le procès-verbal d’audition libre [du requérant], alors, précisément, que tous les droits attachés à l’audition libre, ainsi qu’ils l’ont à bon droit relevé, ont été respectés et que [le requérant] n’a pas été maintenu en état de contrainte. »
16. Sur le fond, la cour d’appel relève les éléments suivants :
« Il n’est pas contesté que le prévenu n’est pas titulaire du diplôme de chirurgien‑dentiste et que les actes consistant en la prise d’empreintes, l’adaptation et la pose d’un appareil dentaire quel qu’il soit, constituent des actes prothétiques relevant de l’art dentaire, que ces interventions aient pour objet l’installation ou la réparation d’une prothèse.
Il est encore constant que tous les actes décrits par M. [T.J], Mme [B.R] et M. [D.D] relèvent sans le moindre doute de l’art dentaire.
La Cour observe en outre que tout au long des débats, s’enferrant dans ses contradictions, le prévenu a tenté, une nouvelle fois, de convaincre que le travail réalisé par ses soins n’impliquait aucun acte en bouche, les patients effectuant eux-mêmes leurs prises d’empreintes, l’essayage et la pose des couronnes au sein de son cabinet. Or, tant M. [T.J] que Mme [B.R] ont affirmé le contraire et, lorsqu’il a été entendu, [le requérant], interrogé sur les factures établies pour M. [T.J] et Mme [B.R], a indiqué : « dans la référence 1632/11/13, j’ai posé moi-même les couronnes en ne prenant pas les empreintes car le patient lui-même avait déjà les moulages de son dentiste » (ce qui correspond aux déclarations de M. [T.J]). « Dans la référence 1865/2/13, j’ai réalisé les empreintes et posé moi-même les deux couronnes céramo-métal » (ce qui correspond aux déclarations de Mme [B.R]) ;
S’agissant de M. [D.D], il a allégué d’une erreur dans la facture, ayant commandé non un implant mais un pilier d’implant, affirmant que la pose de l’implant aurait ensuite été réalisée par un confrère, ce qui ne correspond en rien aux déclarations de M. [D.D] qui s’est expliqué en détail sur les soins qui lui ont été prodigués par [le requérant], lesquels ont impliqué des actes en bouche relevant de l’art dentaire. Devant la Cour, [le requérant] a affirmé que cette facture, accablante, était en réalité un devis, ce qui ne peut que surprendre, compte tenu des mentions qui y figurent. »
17. Au vu de ces éléments, la cour d’appel confirme le jugement de première instance sur la culpabilité et condamne le requérant à la peine de dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis, assortie d’une mise à l’épreuve pendant trois ans avec l’obligation particulière de ne pas se livrer à l’activité dans l’exercice de laquelle l’infraction a été commise et de réparer les dommages causés par l’infraction. Elle confirme en outre les peines complémentaires et les dispositions civiles adoptées en première instance.
18. Le requérant se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 14 mars 2018. Il invoque l’article 6 de la Convention dans son mémoire, faisant grief à l’arrêt d’appel de s’être fondé, pour le déclarer coupable des faits qui lui étaient reprochés, sur les déclarations incriminantes recueillies au cours de son audition libre qui s’est déroulée sans qu’il puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat ni qu’il ait été informé de son droit de garder le silence.
19. Le 14 mai 2019, la Cour de cassation déclare le pourvoi du requérant non admis au motif qu’il n’existe aucun moyen de nature à permettre l’admission du pourvoi.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
1. Genèse de l’audition libre
20. Avant le 1er juin 2011, la pratique de l’audition libre n’était pas encadrée par la loi. Sous l’empire de l’article 62 du code de procédure pénale dans sa version alors applicable, la Cour de cassation avait jugé « qu’aucun texte n’impos[ait] le placement en garde à vue d’une personne qui, pour les nécessités de l’enquête, accepte (...) de se présenter sans contrainte aux officiers de police judiciaire afin d’être entendue et n’est à aucun moment privée de sa liberté d’aller et venir » (Crim, 3 juin 2008, no 08-81932).
Article 62
(version en vigueur du 10 mars 2004 au 1er juin 2011)
« L’officier de police judiciaire peut appeler et entendre toutes les personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits ou sur les objets et documents saisis.
Les personnes convoquées par lui sont tenues de comparaître. L’officier de police judiciaire peut contraindre à comparaître par la force publique les personnes [se trouvant sur le lieu de l’infraction]. Il peut également contraindre à comparaître par la force publique, avec l’autorisation préalable du procureur de la République, les personnes qui n’ont pas répondu à une convocation à comparaître ou dont on peut craindre qu’elles ne répondent pas à une telle convocation.
Il dresse un procès-verbal de leurs déclarations. Les personnes entendues procèdent elles-mêmes à sa lecture, peuvent y faire consigner leurs observations et y apposent leur signature. Si elles déclarent ne savoir lire, lecture leur en est faite par l’officier de police judiciaire préalablement à la signature. Au cas de refus de signer le procès-verbal, mention en est faite sur celui-ci.
Les agents de police judiciaire désignés à l’article 20 peuvent également entendre, sous le contrôle d’un officier de police judiciaire, toutes personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits en cause. Ils dressent à cet effet, dans les formes prescrites par le présent code, des procès-verbaux qu’ils transmettent à l’officier de police judiciaire qu’ils secondent.
Les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition. »
21. En 2010, environ la moitié des auditions de personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions était alors réalisée sous le régime de l’audition librement consentie, sans placement en garde à vue (Rapport no 3040 fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée Nationale, déposé le 15 décembre 2010, sur le projet de loi relatif à la garde à vue).
22. Dans sa décision no 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré plusieurs articles du code de procédure pénale, dont l’article 62, contraires à la Constitution au motif qu’ils « n’institu[ai]ent pas les garanties appropriées à l’utilisation qui était faite de la garde à vue compte tenu des évolutions précédemment rappelées ».
23. À la suite de cette décision, la loi no 2011-392 du 14 avril 2011, entrée en vigueur le 1er juin 2011, a notamment modifié les articles 62 et suivants du code de procédure pénale. Aux termes du nouvel article 62 :
Article 62 (version en vigueur du 01 juin 2011 au 02 juin 2014)
« Les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée ne puisse excéder quatre heures.
S’il apparaît, au cours de l’audition de la personne, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à l’article 63. »
Article 63 (version en vigueur du 01 juin 2011 au 02 juin 2014)
« I.-Seul un officier de police judiciaire peut, d’office ou sur instruction du procureur de la République, placer une personne en garde à vue.
Dès le début de la mesure, l’officier de police judiciaire informe le procureur de la République, par tout moyen, du placement de la personne en garde à vue. Il lui donne connaissance des motifs justifiant, en application de [l’article 62-2](https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071154&idArticle=LEGIARTI000023861956&dateTexte=&categorieLien=cid), ce placement et l’avise de la qualification des faits qu’il a notifiée à la personne en application du 2o de l’article 63-1. Le procureur de la République peut modifier cette qualification ; dans ce cas, la nouvelle qualification est notifiée à la personne dans les conditions prévues au même article 63-1.
II.-La durée de la garde à vue ne peut excéder vingt-quatre heures.
Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, si l’infraction que la personne est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à un an et si la prolongation de la mesure est l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs mentionnés aux 1o à 6o de l’article 62-2.
L’autorisation ne peut être accordée qu’après présentation de la personne au procureur de la République. Cette présentation peut être réalisée par l’utilisation d’un moyen de télécommunication audiovisuelle. Elle peut cependant, à titre exceptionnel, être accordée par une décision écrite et motivée, sans présentation préalable.
III.-L’heure du début de la mesure est fixée, le cas échéant, à l’heure à laquelle la personne a été appréhendée.
Si une personne a déjà été placée en garde à vue pour les mêmes faits, la durée des précédentes périodes de garde à vue s’impute sur la durée de la mesure. »
24. Dans une décision no 2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 novembre 2011, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il résultait nécessairement de ces dispositions qu’une personne à l’encontre de laquelle il apparaissait qu’il existait des raisons plausibles de soupçonner qu’elle avait commis ou tenté de commettre une infraction pouvait être entendue par les enquêteurs en dehors du régime de la garde à vue dès lors qu’elle n’était pas maintenue à leur disposition sous la contrainte. Il a ensuite considéré que le respect des droits de la défense exigeait qu’une personne contre laquelle il existait de telles raisons « ne pouvait être entendue librement par les enquêteurs que si elle [avait été] informée de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonn[ait] d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie ». Il en a déduit que, sous cette réserve, les dispositions du second alinéa de l’article 62 du code de procédure pénale ne méconnaissait pas les droits de la défense et était conforme à la Constitution.
25. La loi no 2011-392 du 14 avril 2011 a également ajouté un alinéa à l’article préliminaire du CPP et un second alinéa à l’article 73 de ce même code.
Article préliminaire (version en vigueur du 01 juin 2011 au 07 août 2013)
« (...)
En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui. »
Article 73, alinéa 2 (version en vigueur du 01 juin 2011 au 02 juin 2014)
« (...)
Lorsque la personne est présentée devant l’officier de police judiciaire, son placement en garde à vue, lorsque les conditions de cette mesure prévues par le présent code sont réunies, n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. Le présent alinéa n’est toutefois pas applicable si la personne a été conduite par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »
2. Les dispositions du code de procédure pénale applicables au moment des faits
26. La loi no 2014-535 du 27 mai 2014, portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, entrée en vigueur le 2 juin 2014, dite directive B, a introduit un nouvel article 61-1 dans le CPP, définissant le régime juridique de l’audition libre, inspiré de celui de la garde à vue, applicable aux personnes soupçonnées d’une infraction entendues hors procédure de garde à vue. Elle a également modifié les articles 62, et 73, alinéa 2 du même code :
Article 61-1 (version en vigueur du 02 juin 2014 au 01 juin 2019)
« La personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être entendue librement sur ces faits qu’après avoir été informée :
1o De la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;
2o Du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ;
3o Le cas échéant, du droit d’être assistée par un interprète ;
4o Du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ;
5o Si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation, selon les modalités prévues aux articles 63-4-3 et 63-4-4, par un avocat choisi par elle ou, à sa demande, désigné d’office par le bâtonnier de l’ordre des avocats ; elle est informée que les frais seront à sa charge sauf si elle remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, qui lui sont rappelées par tout moyen ; elle peut accepter expressément de poursuivre l’audition hors la présence de son avocat ;
6o De la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit.
La notification des informations données en application du présent article est mentionnée au procès-verbal.
Si le déroulement de l’enquête le permet, lorsqu’une convocation écrite est adressée à la personne en vue de son audition, cette convocation indique l’infraction dont elle est soupçonnée, son droit d’être assistée par un avocat ainsi que les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, les modalités de désignation d’un avocat d’office et les lieux où elle peut obtenir des conseils juridiques avant cette audition.
Le présent article n’est pas applicable si la personne a été conduite, sous contrainte, par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »
27. Les dispositions du 5o et l’avant-dernier alinéa de cet article ne sont toutefois entrées en vigueur que le 1er janvier 2015, dans la mesure où elles résultaient de la transposition par anticipation de la directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales, dite directive C, laquelle devait être transposée avant le 26 novembre 2016.
Article 62 (version en vigueur depuis le 02 juin 2014)
« Les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction sont entendues par les enquêteurs sans faire l’objet d’une mesure de contrainte.
Toutefois, si les nécessités de l’enquête le justifient, ces personnes peuvent être retenues sous contrainte le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée puisse excéder quatre heures.
Si, au cours de l’audition d’une personne entendue librement en application du premier alinéa du présent article, il apparaît qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, cette personne doit être entendue en application de [l’article 61-1 ](https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071154&idArticle=LEGIARTI000028990967&dateTexte=&categorieLien=cid "Code de procédure pénale - art. 61-1 .V.")et les informations prévues aux 1o à 6o du même article lui sont alors notifiées sans délai, sauf si son placement en garde à vue est nécessité en application de [l’article 62-2. ](https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071154&idArticle=LEGIARTI000023861956&dateTexte=&categorieLien=cid "Code de procédure pénale - art. 62-2 .V.")
Si, au cours de l’audition d’une personne retenue en application du deuxième alinéa du présent article, il apparaît qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à [l’article 63-1.](https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071154&idArticle=LEGIARTI000006575069&dateTexte=&categorieLien=cid "Code de procédure pénale - art. 63-1 .V.") »
Article 73, alinéa 2 (version en vigueur depuis le 02 juin 2014)
« Lorsque la personne est présentée devant l’officier de police judiciaire, son placement en garde à vue, lorsque les conditions de cette mesure prévues par le présent code sont réunies, n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. Le présent alinéa n’est toutefois pas applicable si la personne a été conduite, sous contrainte, par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »
28. La circulaire du 23 mai 2014 de présentation des dispositions de procédure pénale applicables le 2 juin 2014 de la loi portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, dite directive B, précise que :
« Il peut être observé que la notification des faits reprochés et du droit de quitter les locaux ne modifie pas le droit existant, puisque ces informations étaient déjà nécessaires depuis les décisions QPC du Conseil constitutionnel du 18 novembre 2011 et du 18 juin 2012.
De même, l’information sur le droit à l’interprète, bien que non formellement exigée par la loi, résultait déjà en pratique des dispositions du code de procédure pénale, notamment de celles de son article préliminaire et de son article 803-5, depuis la loi no 2013-711 du 5 août 2013.
La nouveauté, qui résulte de la loi et des exigences posées par l’article 3 de la directive B, consiste donc dans la notification du droit au silence, comme en matière de garde à vue, et du droit de bénéficier de conseils juridiques. »
29. Entre le 2 juin 2014 et le 1er janvier 2015, le code de procédure pénale prévoyait ainsi l’obligation d’informer une personne entendue dans le cadre d’une audition libre de son droit au silence. S’y est ajoutée, à compter du 1er janvier 2015, s’agissant des crimes et délits punis d’une peine d’emprisonnement, l’obligation d’informer la personne du droit d’être assistée d’un avocat au cours de son audition ou de sa confrontation.
30. Dans sa décision du 8 février 2019, no 2018-762 QPC, le Conseil constitutionnel a déclaré l’article 61-1 du CPP, dans sa rédaction issue de la loi du 27 mai 2014, contraire à la Constitution en raison de l’absence de régime spécifique au mineur :
« 5. Toutefois, l’audition libre se déroule selon ces mêmes modalités lorsque la personne entendue est mineure et ce, quel que soit son âge. Or, les garanties précitées ne suffisent pas à assurer que le mineur consente de façon éclairée à l’audition libre ni à éviter qu’il opère des choix contraires à ses intérêts. Dès lors, en ne prévoyant pas de procédures appropriées de nature à garantir l’effectivité de l’exercice de ses droits par le mineur dans le cadre d’une enquête pénale, le législateur a contrevenu au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs. »
31. Il a reporté la date de l’abrogation de ces dispositions au 1er janvier 2020 après avoir relevé que « l’abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de supprimer les garanties légales encadrant l’audition libre de toutes les personnes soupçonnées, majeures ou mineures » et « entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. »
32. Le législateur est intervenu à plusieurs reprises à la suite de cette décision pour modifier le code de procédure pénale (voir paragraphes 33 et suivants ci-dessous).
3. Les modifications ultérieures
33. L’article 61-1 du CPP, modifié par la loi no 2019-222 du 23 mars 2019, est entré en vigueur le 1er juin 2019 :
Article 61-1 (version en vigueur du 01 juin 2019 au 31 décembre 2020)
« Sans préjudice des garanties spécifiques applicables aux mineurs, la personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être entendue librement sur ces faits qu’après avoir été informée :
1o De la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;
2o Du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ;
3o Le cas échéant, du droit d’être assistée par un interprète ;
4o Du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ;
5o Si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation, selon les modalités prévues aux articles 63-4-3 et 63-4-4, par un avocat choisi par elle ou, à sa demande, désigné d’office par le bâtonnier de l’ordre des avocats ; elle est informée que les frais seront à sa charge sauf si elle remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, qui lui sont rappelées par tout moyen ; elle peut accepter expressément de poursuivre l’audition hors la présence de son avocat ;
6o De la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit.
La notification des informations données en application du présent article est mentionnée au procès-verbal.
Si le déroulement de l’enquête le permet, lorsqu’une convocation écrite est adressée à la personne en vue de son audition, cette convocation indique l’infraction dont elle est soupçonnée, son droit d’être assistée par un avocat ainsi que les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, les modalités de désignation d’un avocat d’office et les lieux où elle peut obtenir des conseils juridiques avant cette audition.
Le présent article n’est pas applicable si la personne a été conduite, sous contrainte, par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »
34. Le même article, dans sa modification issue de la loi no 2020-1721 du 29 décembre 2020, est entré en vigueur le 31 décembre 2020 :
Article 61-1 (version en vigueur depuis le 31 décembre 2020)
« Sans préjudice des garanties spécifiques applicables aux mineurs, la personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être entendue librement sur ces faits qu’après avoir été informée :
1o De la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;
2o Du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ;
3o Le cas échéant, du droit d’être assistée par un interprète ;
4o Du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ;
5o Si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation, selon les modalités prévues aux articles 63-4-3 et 63-4-4, par un avocat choisi par elle ou, à sa demande, désigné d’office par le bâtonnier de l’ordre des avocats ; elle est informée que les frais seront à sa charge sauf si elle remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, qui lui sont rappelées par tout moyen ; elle peut accepter expressément de poursuivre l’audition hors la présence de son avocat ;
6o De la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit.
La notification des informations données en application du présent article est mentionnée au procès-verbal.
Si le déroulement de l’enquête le permet, lorsqu’une convocation écrite est adressée à la personne en vue de son audition, cette convocation indique l’infraction dont elle est soupçonnée, son droit d’être assistée par un avocat ainsi que les conditions d’accès à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles et à l’aide juridictionnelle, les modalités de désignation d’un avocat d’office et les lieux où elle peut obtenir des conseils juridiques avant cette audition.
Le présent article n’est pas applicable si la personne a été conduite, sous contrainte, par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »
35. La loi no 2021-1729 du 22 décembre 2021 a ajouté l’alinéa suivant à l’article préliminaire du CPP :
Article préliminaire (version en vigueur du 31 décembre 2021 au 01 mars 2022)
« (...) En matière de crime ou de délit, le droit de se taire sur les faits qui lui sont reprochés est notifié à toute personne suspectée ou poursuivie avant tout recueil de ses observations et avant tout interrogatoire, y compris pour obtenir des renseignements sur sa personnalité ou pour prononcer une mesure de sûreté, lors de sa première présentation devant un service d’enquête, un magistrat, une juridiction ou toute personne ou tout service mandaté par l’autorité judiciaire. Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites sans que ledit droit ait été notifié. »
4. Les exceptions de nullité de la procédure
36. L’article 385, alinéa 1 du CPP dispose que :
« Le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction.
(...) »
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 et 3 C) DE LA CONVENTION
37. Le requérant invoque une violation de la Convention, dans la mesure où sa condamnation pénale s’est fondée sur les déclarations recueillies au cours de son audition libre, à l’occasion de laquelle il ne s’est pas vu notifier le droit de garder le silence et n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
3. Tout accusé a droit notamment à :
(...)
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
(...) »
1. Sur la recevabilité
1. Thèse des parties
38. S’agissant de l’applicabilité de l’article 6 de la Convention sous son volet pénal, les parties s’accordent sur le fait que le requérant, au moment de son audition libre, se trouvait « accusé » pénalement au sens de cette disposition.
2. Analyse de la Cour
a) Principes généraux
39. La Cour rappelle que les garanties offertes par l’article 6 s’appliquent à tout « accusé » au sens autonome que revêt ce terme sur le terrain de la Convention et que le stade de l’enquête revêt une importance particulière pour la préparation et le déroulement du procès au fond (Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, § 54, CEDH 2008, et Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, §§ 249 et 253, 13 septembre 2016).
40. Il y a « accusation en matière pénale » dès lors qu’une personne se voit officiellement notifier, par les autorités compétentes, le reproche d’avoir commis une infraction pénale, ou que les actes effectués par celles-ci en raison des soupçons qui pèsent contre l’intéressé ont des répercussions importantes sur sa situation (Ibrahim et autres, précité, § 249, Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, § 110, 12 mai 2017, et Beuze c. Belgique [GC], no 71409/10, § 119, 9 novembre 2018).
41. Dans ces affaires, les requérants avaient été arrêtés et placés en garde à vue. Or, la Cour a précisé dans l’arrêt Beuze, précité, § 124, que le point de départ du droit d’accès à un avocat en cas de privation de liberté ne fait pas de doute. Ce droit est applicable dès l’« accusation en matière pénale » et, en particulier, dès l’arrestation d’un suspect, indépendamment du fait que l’intéressé ait ou non été interrogé ou qu’il ait fait l’objet d’une autre mesure d’enquête pendant la période pertinente.
42. Dans Simeonovi, précité, § 111, elle a également précisé qu’une personne soupçonnée, interrogée sur son implication dans des faits constitutifs d’une infraction pénale peut être considérée comme « accusée » et prétendre à la protection de l’article 6 de la Convention (voir également Aleksandr Zaichenko c. Russie, no 39660/02, §§ 41-43, 18 février 2010, Yankov et autres c. Bulgarie, no 4570/05, § 23, 23 septembre 2010, et Ibrahim et autres, précité, § 296).
43. De même, une personne simplement interrogée après avoir été appelée à donner des renseignements peut se prévaloir des garanties de l’article 6 § 1 de la Convention déjà à ce stade de la procédure, en fonction de la manière dont l’interrogatoire est conduit (Schmid-Laffer c. Suisse, no 41269/08, §§ 28‑31, 16 juin 2015).
44. Par ailleurs, dans l’arrêt Stojkovic c. France et Belgique, no 25303/08, § 55, 27 octobre 2011, qui concernait le cas particulier d’une audition de témoin assisté dans le cadre d’une commission rogatoire internationale, la Cour a également relevé que le régime juridique de l’audition litigieuse ne dispensait pas les autorités françaises de vérifier par la suite si elle avait été accomplie en conformité avec les principes fondamentaux tirés de l’équité du procès et d’y apporter, le cas échéant, remède.
b) Application au cas d’espèce
45. S’agissant de l’audition libre, telle qu’elle est prévue en droit français, la Cour considère qu’une personne suspectée d’avoir commis une infraction, convoquée et interrogée par un officier de police ou de gendarmerie, doit également être regardée comme « accusée » au sens de l’article 6 de la Convention même si cette audition n’est pas effectuée sous contrainte. En effet, en premier lieu, il n’est procédé à son audition libre que parce que et dans la mesure où, ainsi qu’il lui a été notifié, il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. En deuxième lieu, la circonstance que la personne auditionnée soit en principe libre de mettre fin à l’audition à tout moment et de quitter les lieux ne suffit pas à compenser la situation d’asymétrie structurelle dans laquelle, en pratique, elle se trouve placée à l’égard des enquêteurs et des autorités chargées de l’interroger. En troisième et dernier lieu, à l’issue d’une audition libre, comme à l’issue d’une garde à vue, les autorités de police judiciaire sont susceptibles de disposer d’éléments de nature à confirmer ou non leurs soupçons (voir, mutatis mutandis, Brusco c. France, no 1466/07, § 47, 14 octobre 2010).
46. En l’espèce, la Cour note que le requérant a fait l’objet d’une audition libre d’une durée d’une heure et vingt-trois minutes, le 13 novembre 2014, au commissariat de police. À cette occasion, il a été informé du fait qu’il était auditionné parce qu’il était « connu pour exercice illégal de l’art dentaire ». La Cour en déduit, à l’instar des parties (voir paragraphe 38 ci-dessus), que le requérant doit être regardé comme « accusé » au sens de l’article 6 de la Convention (voir paragraphe 63 ci-dessous).
c) Conclusion
47. Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
48. D’après le requérant, la possibilité pour la personne concernée de mettre fin à tout moment à son audition, conformément à l’information qui lui est donnée par l’officier de police judiciaire au début de son audition, ne saurait être considérée comme suffisante. Seule la notification du droit d’être assisté par un avocat et du droit de garder le silence permettrait de garantir le caractère concret et effectif des droits consacrés par la Convention.
49. Le requérant ne souscrit d’ailleurs pas à l’argument du Gouvernement selon lequel le droit de garder le silence, même lorsqu’il n’est pas explicitement notifié, découlerait implicitement du droit de mettre fin à l’audition à tout moment et de quitter les lieux (voir paragraphe 55 ci‑dessous).
50. Le requérant fait ensuite valoir la situation de vulnérabilité de la personne auditionnée, même librement, et le fait que, interrogée par les services de police sur des faits bien précis sur lesquels elle est amenée à fournir des explications consignées dans un procès-verbal qui sera ensuite versé au dossier pénal, entourée de policiers, elle est soumise à une pression au moins psychologique, voire à un chantage à la mise en garde à vue si elle ne se montre pas coopérative. Il ajoute qu’il suffit en effet de faire comprendre à la personne auditionnée librement qu’il serait suspect pour elle de ne pas répondre à de simples questions ou de mettre fin à l’audition, comme elle y a pourtant droit, pour exercer une pression supplémentaire sur elle et l’amener à faire des déclarations qu’elle n’aurait pas faites si elle avait pu être assistée et conseillée par un avocat.
51. Le requérant souligne que le droit français applicable au moment des faits prévoyait en réalité que la personne concernée devait être informée de son droit de garder le silence même s’il ne prévoyait pas encore qu’elle avait droit à un avocat.
52. En conclusion, il considère que son choix de faire des déclarations, ensuite expressément citées par la cour d’appel, ne peut passer pour avoir été totalement éclairé. L’équité de toute la procédure en aurait été affectée.
b) Le Gouvernement
53. Le Gouvernement rappelle tout d’abord que la mesure de garde à vue est une mesure de contrainte, qui n’est pas anodine, et qui répond à des critères définis qui, s’ils ne sont pas remplis, n’en nécessitent pas la mise en œuvre. Un placement en garde à vue est une atteinte à la liberté d’aller et venir soumise aux principes de la nécessité, de la proportionnalité et de la légalité. En l’espèce, le Gouvernement considère que l’audition libre pouvait se justifier notamment par le fait qu’une mesure de garde à vue ne répondait pas aux objectifs mentionnés. Il ajoute que la procédure applicable à l’audition libre au moment des faits a été respectée.
54. Le Gouvernement rappelle ensuite les principes dégagés par la Cour en matière de garde à vue, considérant toutefois qu’ils ne peuvent être transposés à l’identique à l’audition libre. D’après lui, un contrôle moins strict doit être appliqué par la Cour dans le cas de l’audition libre puisque la personne ne fait pas l’objet d’une mesure coercitive, mais, au contraire, peut y mettre fin à tout moment, ce qui lui est rappelé dès le début de l’audition.
55. La personne ne se trouverait donc pas, d’après le Gouvernement, dans la même situation de vulnérabilité que la personne placée en garde à vue, qui exige la présence d’un avocat et la notification du droit de garder le silence. Le droit de garder le silence, même lorsqu’il n’est pas explicitement notifié, découlerait implicitement du droit de mettre fin à l’audition à tout moment et de quitter les lieux.
56. Le respect de ces droits ne serait pas en principe requis dans le cas d’une audition libre. Ceux-ci représenteraient néanmoins des garanties supplémentaires du procès équitable et leur respect devrait, à ce titre, être vérifié dans le cadre de l’appréciation de l’équité de la procédure dans son ensemble. La démonstration de raisons impérieuses ne devrait dès lors pas être imposée par la Cour au Gouvernement.
57. Au cas d’espèce, concernant la part des déclarations du requérant recueillies au cours de l’audition libre dans la décision de condamnation, le Gouvernement propose d’examiner si ces déclarations ont affecté sa position ou sa crédibilité et, ensuite, quels ont été les éléments déterminants pour les juridictions internes.
58. Affirmant que la procédure a été équitable dans son ensemble, il relève les éléments suivants à l’appui de sa position.
59. Lors de l’audition, le requérant a bien déclaré qu’il prenait acte de l’information selon laquelle il pouvait, à tout moment, quitter les locaux et ainsi mettre un terme à l’audition, qu’il ne pourrait éventuellement être entendu sous la contrainte que dans le cadre d’une mesure de garde à vue, et que, informé de ces droits, il consentait à s’exprimer librement et à répondre aux questions.
60. Ensuite, le Gouvernement relève que le requérant a affirmé lors de l’audition avoir déjà fait l’objet de quatre procédures pour exercice illégal de l’art dentaire et a reconnu les faits reprochés, notamment l’accomplissement d’actes dentaires réservés aux seuls chirurgiens-dentistes.
61. Il fait également valoir que le tribunal correctionnel, en dépit de l’annulation du procès-verbal d’audition « au nom des principes d’exercice des droits de la défense garantissant un procès équitable », a reconnu le requérant coupable d’exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste, en s’appuyant sur l’ensemble des éléments de la procédure, à savoir l’absence de diplôme de chirurgien-dentiste, le casier judiciaire du requérant, des factures, les témoignages de ses clients, qui le croyaient dentiste, décrivant des actes en bouche, le nom de son lieu de travail (« centre de santé dentaire »), son équipement très semblable à celui des chirurgiens-dentistes, et, enfin, ses déclarations lors des audiences alors qu’il était assisté d’un avocat. Le Gouvernement ajoute que la cour d’appel, alors même qu’elle a visé les déclarations du requérant recueillis lors de l’audition libre, s’est également référée aux autres éléments décrits ci-dessus.
62. Le Gouvernement reconnaît que le requérant s’est auto-incriminé dans le cadre de l’audition libre mais, eu égard à sa condamnation en première instance malgré l’annulation du procès-verbal de l’audition libre litigieuse, et au vu les motifs très détaillés des décisions du tribunal correctionnel et de la cour d’appel, il soutient que les juridictions internes n’ont pas fondé leurs décisions de culpabilité uniquement sur les déclarations effectuées lors de l’audition libre, qui s’est bien déroulée dans le respect des textes en vigueur.
63. Le Gouvernement ajoute que tous les éléments de preuve ont été débattus et soumis à la discussion des parties, en audience publique. Or, il souligne qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que les exigences conventionnelles sont sauvegardées dès lors que les inconvénients découlant du mode de preuve sont contrebalancés par des éléments solides et notamment par des garanties procédurales effectives. Le Gouvernement en conclut que la procédure a été équitable dans son ensemble.
2. Analyse de la Cour
a) Principes généraux
64. La Cour renvoie aux principes généraux maintes fois réaffirmés par elle (Salduz, précité, §§ 50-55, Ibrahim et autres, précité, §§ 249-274, Simeonovi, précité, §§ 110-120, et rappelés dans Beuze, précité, §§ 119-150, et dans Bloise c. France, no 30828/13, §§ 45-49, 11 juillet 2019).
65. Elle souligne en particulier que, quelle que soit la restriction concernée, même si cette dernière découle directement de la loi applicable, elle procède à un examen en deux étapes : d’une part, en vérifiant tout d’abord l’existence ou non de raisons impérieuses, puis, d’autre part, en examinant l’équité du procès dans son ensemble. Par ailleurs, si l’absence de raisons impérieuses ne suffit pas à entraîner une violation de l’article 6, elle entraîne un contrôle très strict de la Cour, dès lors qu’une telle absence pèse lourdement dans la balance lorsqu’il s’agit d’apprécier globalement l’équité du procès, ce qui peut faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation (Beuze, précité, § 145). Tel est d’autant plus le cas lorsqu’il y a cumul du défaut d’accès à un avocat et du défaut de notification des droits, en particulier du droit de garder le silence : le gouvernement, à qui il incombe d’expliquer de façon convaincante pourquoi, à titre exceptionnel et au vu des circonstances particulières du cas d’espèce, la restriction à l’accès à un avocat n’a pas porté une atteinte irrémédiable à l’équité globale du procès, pourra alors plus difficilement prouver que le procès a été équitable.
66. Par ailleurs, dans l’arrêt Beuze (précité), la Cour a précisé que la désignation d’un conseil doit impérativement s’accompagner des deux exigences minimales suivantes : d’une part, le suspect doit pouvoir entrer en contact avec son avocat dès sa privation de liberté, ce qui implique qu’il puisse consulter son avocat préalablement à un interrogatoire, voire en l’absence d’un interrogatoire et que l’avocat puisse s’entretenir avec lui en privé et en recevoir des instructions confidentielles (Simeonovi, précité, § 111, et Beuze, précité, § 133) ; d’autre part, le suspect doit également bénéficier de la présence physique de son avocat durant les auditions initiales menées par la police et durant les interrogatoires ultérieurs menés au cours de la procédure antérieure à la phase de jugement, cette présence devant permettre à l’avocat de fournir une assistance effective et concrète, notamment pour éviter les atteintes aux droits de la défense, et non seulement abstraite (ibidem, § 134).
67. Enfin, s’agissant des déclarations du suspect, elle rappelle que le droit de ne pas s’incriminer soi‑même ne se limite pas aux aveux au sens strict ou aux remarques le mettant directement en cause : il suffit, pour qu’il y ait auto‑incrimination, que ses déclarations soient susceptibles d’affecter substantiellement sa position, à l’instar de déclarations circonstanciées qui orientent la conduite des auditions et interrogatoires, qui affectent la position du suspect ou sa crédibilité (Beuze, précité, §§ 178-179).
68. La Cour renvoie aux facteurs non limitatifs qu’elle a retenus lorsqu’elle examine la procédure dans son ensemble de manière à mesurer les conséquences de lacunes procédurales survenues au stade de l’enquête ou durant la phase préalable au procès sur l’équité globale du procès pénal, qu’elle a énoncés dans Ibrahim (précité, § 274) et qu’elle a repris dans Simeonovi et dans Beuze (précités, respectivement § 120 et § 150).
b) Application au cas d’espèce
69. Informé de son droit de mettre fin à l’audition à tout moment, dans le respect du droit en vigueur à l’époque des faits litigieux, le requérant a consenti à être entendu librement. En revanche, il ne s’est pas vu notifier le droit de garder le silence, pourtant reconnu en droit interne à l’époque des faits (voir paragraphe 81 ci-dessous). L’assistance d’un avocat ne lui pas davantage été proposée.
70. À la lumière des considérations figurant aux paragraphes 45 et 46 ci‑dessus, la Cour estime que même si, en principe, le requérant pouvait quitter les lieux à tout moment, dans la pratique, il se trouvait, de manière analogue à un suspect placé en garde à vue, dans une situation asymétrique, seul face aux questions des enquêteurs et sans l’assistance d’un avocat.
71. La Cour relève que les faits se sont déroulés postérieurement à l’intervention de la loi du 27 mai 2014 qui a défini le régime juridique de l’audition libre, comprenant notamment le droit à l’assistance d’un avocat et la notification du droit de garder le silence (voir paragraphes 26 et suivants ci‑dessus).
72. La Cour note cependant que si l’obligation de notifier le droit de garder le silence était applicable dès le 2 juin 2014, date d’entrée en vigueur de la loi, il n’en est pas ainsi du droit à l’assistance d’un avocat, qui ne l’a été qu’à compter du 1er janvier 2015 (voir paragraphe 27 ci-dessus).
73. La Cour prend acte de l’intervention de cette loi, qui a largement renforcé les droits de la personne auditionnée librement et engagé un train de réformes législatives qui a abouti à l’instauration d’un régime quasiment identique à celui de la garde à vue. La Cour relève toutefois que ces modifications sont restées sans effet concret sur les modalités de l’audition libre du requérant.
74. La Cour déduit de ce qui précède qu’au moment des faits, s’agissant du droit à l’assistance d’un avocat, la restriction litigieuse était d’origine législative alors que s’agissant du droit de garder le silence, elle résultait de l’absence d’application de la loi alors en vigueur, ce que les juridictions internes n’ont d’ailleurs pas relevé.
75. Or, la Cour a rappelé, s’agissant en particulier des restrictions à l’accès à un avocat pour des raisons impérieuses, qu’elles ne sont permises durant la phase préalable au procès que dans des cas exceptionnels, et qu’elles doivent être de nature temporaire et reposer sur une appréciation individuelle des circonstances particulières du cas d’espèce (Beuze, précité, § 161). Tel n’a clairement pas été le cas en l’espèce.
76. En outre, le Gouvernement, auquel il appartenait, contrairement à ce qu’il soutient, d’avancer des raisons impérieuses (voir paragraphe 56 ci‑dessus), n’a pas établi l’existence de circonstances exceptionnelles qui auraient pu justifier les restrictions dont a fait l’objet le droit du requérant et il n’appartient pas à la Cour d’en chercher de son propre chef (Simeonovi, précité, § 130, et Beuze, précité, § 163). Aucune raison impérieuse ne justifiait donc en l’espèce les restrictions susmentionnées.
77. Dans ces conditions, la Cour doit évaluer l’équité de la procédure en exerçant un contrôle très strict et ce, à plus forte raison, dans le cas de restrictions d’origine législative ayant une portée générale (Olivieri c. France, no 62313/12, § 33, 11 juillet 2019, et Bloise, précité, § 52). La charge de la preuve pèse ainsi sur le Gouvernement, qui doit démontrer de manière convaincante que le requérant a néanmoins bénéficié globalement d’un procès pénal équitable (Beuze, précité, § 165).
78. Il revient à présent à la Cour de rechercher, au regard des différents facteurs découlant de sa jurisprudence tels qu’ils ressortent des arrêts Ibrahim et autres, Simeonovi et Beuze (précités, respectivement §§ 274, 120 et 150), et dans la mesure où ils sont pertinents en l’espèce, si, combinée au défaut de notification du droit de garder le silence, le fait d’avoir été privé de la possibilité d’être assisté d’un avocat a ou non affecté l’équité de la procédure dans son ensemble.
79. La Cour note tout d’abord l’absence tant de vulnérabilité particulière du requérant (voir pour la vulnérabilité inhérente à la qualité de suspect mutatis mutandis, Salduz, précité, § 54, et Beuze, précité, §§ 126-127) que de contrainte exercée sur lui durant l’audition libre. Il n’allègue d’ailleurs pas avoir subi de pression particulière lors de son interrogatoire, qui a été de courte durée.
80. Néanmoins, la Cour considère que le droit de quitter les lieux à tout moment n’est pas de nature à compenser l’absence d’assistance d’un avocat et le défaut de notification expresse du droit de garder le silence durant l’audition libre (voir, mutatis mutandis Olivieri, précité, § 39, et Bloise, précité, § 59).
81. La Cour constate ensuite qu’au cours de l’audition libre, le requérant a décrit la réalisation de différents actes constitutifs de l’infraction qui lui était reprochée (voir paragraphe 8 ci-dessus). Elle en déduit que celui-ci doit dès lors être regardé comme s’étant auto-incriminé au sens de la jurisprudence de la Cour (Beuze, précité, §§ 178-179), ce que le Gouvernement reconnait (voir paragraphe 62 ci-dessus).
82. La Cour doit à présent rechercher si les restrictions litigieuses aux droits garantis ont été compensées de telle manière que la procédure peut être considérée comme ayant été équitable dans son ensemble (Beuze, précité, § 165). Pour ce faire, elle doit vérifier si les juridictions internes ont procédé à l’analyse nécessaire de l’incidence de l’absence d’avocat et du défaut de notification du droit de garder le silence à un moment crucial de la procédure (ibidem, §§ 174 et 176).
83. En premier lieu, la Cour constate que le requérant a pu, dans les phases ultérieures de la procédure, valablement se défendre et faire valoir ses arguments avec le concours d’un avocat, d’abord devant les juridictions du fond, notamment pour discuter des différents éléments de preuve, en première instance comme en appel, dans le cadre du recours qui lui était ouvert et qu’il a pu exercer, puis devant la Cour de cassation, qui était saisie de son pourvoi.
84. En deuxième lieu, la Cour relève que l’exception de nullité soulevée par le requérant, sur le fondement de l’article 6 de la Convention, a d’abord été accueillie par le tribunal correctionnel, qui a procédé à l’annulation du procès-verbal d’audition « au nom des principes d’exercice des droits de la défense garantissant un procès équitable ».
85. Il est vrai que cette solution a été infirmée par la cour d’appel (voir paragraphes 11 et 15 ci-dessus). Pour rejeter l’exception de nullité soulevée par le requérant, les juges d’appel, après avoir relevé que le requérant n’avait pas subi d’état de contrainte et avait accepté de répondre aux questions, ont considéré, contrairement à la Cour (voir paragraphe 81 ci-dessus), que ce dernier n’avait pas été conduit à s’auto-incriminer avant de conclure, en méconnaissance du droit alors applicable, que tous les droits garantis à l’époque des faits avaient été respectés.
86. En troisième lieu, la Cour souligne que le tribunal correctionnel, après avoir écarté le procès-verbal d’audition libre, a conclu dans un jugement longuement motivé à la culpabilité du requérant, sans aucunement se fonder sur les déclarations recueillies au cours de l’audition libre. Le tribunal s’est ainsi appuyé sur ses déclarations à l’audience alors qu’il était assisté d’un avocat, sur le fait qu’il comparaissait pour la neuvième fois depuis 1986 pour des faits similaires, sur le caractère invraisemblable de son allégation selon laquelle il demandait à ses clients de poser eux-mêmes les couronnes, sur l’examen des factures mettant en évidence la réalisation d’actes en bouche, ce que les trois témoins confirmaient, sur l’absence de diplôme de chirurgien‑dentiste, sur le nom de son cabinet (« centre de santé dentaire ») et, enfin, sur le fait qu’il disposait d’un équipement très semblable à celui des chirurgiens-dentistes (voir paragraphe 12 ci-dessus).
87. Quant à elle, la cour d’appel, alors même qu’elle s’est référée, après avoir infirmé la décision d’annulation du procès-verbal de l’audition libre, à une partie des déclarations effectuées lors de celle-ci pour appuyer les témoignages des clients, et ainsi souligner les contradictions du requérant lors des débats, s’est principalement fondée, comme l’avait fait le tribunal correctionnel, sur l’ensemble des autres éléments probants figurant au dossier, se référant en particulier aux déclarations du requérant à l’audience alors qu’il était assisté par un avocat (voir paragraphe 16 ci-dessus).
88. La Cour en conclut que les déclarations recueillies lors de l’audition libre n’ont pas occupé une place déterminante dans la motivation de la cour d’appel.
89. Or, comme la Cour l’a rappelé dans l’arrêt Bloise, précité, § 57, il ressort clairement de sa jurisprudence que les restrictions au droit d’accès à un avocat, même systématiques, au droit de ne pas témoigner contre soi‑même et au droit à être informé de la possibilité de garder le silence ne peuvent pas entraîner ab initio la violation de la Convention mais donnent lieu à un examen en deux étapes. La première consiste à vérifier l’existence de raisons impérieuses de restreindre ces droits : même dans l’hypothèse où celles-ci feraient défaut, il ne saurait y avoir de constat de violation automatique de la Convention, la Cour devant, lors d’une seconde étape, effectuer un contrôle de l’équité de la procédure dans son ensemble (Ibrahim et autres, précité, §§ 262, 269 et 273, Beuze, précité, § 141). Parmi les facteurs susceptibles d’établir que la procédure a été équitable dans son ensemble, figure « l’utilisation faite des preuves, et en particulier le point de savoir si elles sont une partie intégrante ou importante des pièces à charge sur lesquelles s’est fondée la condamnation, ainsi que la force des autres éléments du dossier » (Ibrahim et autres, précité, § 274, Simeonovi, précité, § 120, Beuze, précité, § 150, et Bloise, précité, § 57). Dans le cadre de l’examen au cas par cas auquel la Cour se livre, ce qui implique nécessairement une appréciation susceptible de varier en fonction des circonstances particulières de chaque affaire, ce facteur s’avère crucial. À ce titre, elle estime important de souligner, comme elle l’a fait dans d’autres affaires relatives à l’article 6 § 1 de la Convention dans lesquelles un examen de l’équité globale de la procédure était en cause, qu’elle ne doit pas s’ériger en juge de quatrième instance. Lors de l’examen de l’équité globale de la procédure tel que celui exigé par l’article 6 § 1, elle est toutefois appelée à examiner soigneusement le déroulement de la procédure au niveau interne, un contrôle très strict s’imposant lorsque la restriction au droit d’accès à un avocat ne repose sur aucune raison impérieuse (Beuze, précité, §§ 148 et 194, Bloise, précité, et Brus c. Belgique, no 18779/15, § 36, 14 septembre 2021).
90. Dans la présente affaire, la Cour relève que la cour d’appel, aussi regrettable que soit le fait qu’elle n’ait pas, en procédant à l’analyse de l’impact des restrictions litigieuses, tiré toutes les conséquences qui s’évinçaient de l’absence de l’assistance d’un avocat et de notification du droit de garder le silence lors de l’audition libre pour les droits de la défense du requérant, s’est principalement fondée, pour prononcer sa condamnation pénale, sur des éléments à forte valeur probante n’ayant aucun lien avec l’audition libre. Elle en déduit, que, dans les circonstances de l’espèce, les déclarations effectuées pendant cette dernière n’ont, en définitive, joué qu’un rôle accessoire dans la condamnation du requérant (voir, a contrario, Ibrahim et autres, précité, § 309, Rodionov c. Russie, no [9106/09](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%2522appno%2522:%5B%25229106/09%2522%5D%7D), § 168, 11 décembre 2016, Beuze, précité, § 193, et Bloise, précité, § 58).
91. Compte tenu de ce qui précède et dans le cadre du contrôle auquel elle doit procéder en l’absence de raisons impérieuses, la Cour estime que la procédure pénale menée à l’égard du requérant, considérée dans son ensemble, a permis, dans les circonstances de l’espèce, de remédier aux lacunes procédurales survenues durant l’audition libre (Bloise, précité, § 60).
92. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;
2. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 avril 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Victor Soloveytchik Síofra O’Leary
Greffier Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Mourou-Vikström.
S.O.L.
V.S.
OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE MOUROU-VIKSTRÖM
Je ne peux pas me rallier à la majorité qui a conclu qu’il n’y avait pas lieu de constater une violation de l’article 6 de la Convention dans cette affaire. Il m’apparaît au contraire que la manière dont l’audition libre de M. Dubois s’est déroulée, le 13 novembre 2014, et sa validation par la cour d’appel, qui a pris en compte ses déclarations pour fonder sa décision de condamnation, constituent une violation claire de l’article 6.
Il est avéré que le requérant s’est largement auto-incriminé lors de l’audition libre. Il a en effet reconnu, de manière circonstanciée, avoir posé des couronnes sur deux patients, références de factures à l’appui, ce qui est constitutif du délit d’exercice illégal de la profession de chirurgien‑dentiste.
Il est établi que l’audition libre s’est déroulée sans que M. Dubois n’ait été assisté d’un avocat, (ce qui n’était pas obligatoire au regard de la loi jusqu’au 1er janvier 2015), et sans que lui soit notifié son droit au silence (ce qui était en revanche obligatoire depuis le 2 juin 2014).
Ainsi, il n’a pas bénéficié de ces garanties fondamentales du procès équitable, alors qu’il a été condamné, à titre définitif, à une peine principale de 18 mois d’emprisonnement avec sursis, assorti d’une mise à l’épreuve pendant 3 ans.
Il convient de relever que la cour d’appel a indiqué que M. Dubois n’a pas été « conduit à s’auto-incriminer » alors même qu’entendu dans les locaux de la police, des factures de clients lui ont été présentées, et qu’il a été amené à s’expliquer, sur sollicitation expresse des officiers de police, ces conditions étant à l’évidence de nature à l’impressionner et à générer des aveux.
L’élément permettant de conclure ou non à une violation réside bien entendu dans l’évaluation de l’équité de la procédure dans son ensemble ; le critère étant de déterminer si l’utilisation faite des preuves sont une partie intégrante ou importante des pièces à charge sur lesquelles s’est fondée la condamnation, ainsi que la force des autres éléments du dossier.
Or, en l’espèce il ne peut être affirmé que les déclarations précises du requérant, reprises dans la motivation de la cour d’appel n’ont pas constitué une partie importante, sinon déterminante des éléments à charge ayant fondé la condamnation. Même si d’autres éléments probatoires ont été pris en compte par la juridiction du second degré, à savoir, les déclarations des patients et du requérant lui-même qui s’est contredit à l’audience et a fourni des explications manquant de vraisemblance, il ne peut pas en être déduit que les éléments recueillis lors de l’audition libre n’ont pas eu une place déterminante dans le constat de culpabilité.
Ainsi, une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) est donc bien constituée.