Observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi d'orientation et d'incitation relative à la réducrtion du temps de travail.
Aux termes du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : " Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ". Or la persistance d'un taux élevé du chômage, en dépit des politiques mises en uvre depuis une vingtaine d'années, prive d'effectivité l'objectif que le constituant a ainsi assigné aux pouvoirs publics.
Il appartenait donc à ceux-ci d'intervenir, et notamment au Parlement, dans le cadre de la compétence que l'article 34 de la Constitution lui attribue pour fixer les règles concernant les principes fondamentaux du droit du travail. Comme le Conseil constitutionnel l'a souligné dans sa décision n° 83-156 DC du 28 mai 1983, il appartient ainsi au législateur " de fixer les règles propres à assurer au mieux le droit pour chacun d'obtenir un emploi, en vue de permettre l'exercice de ce droit au plus grand nombre possible d'intéressés ".
C'est dans cette perspective, et alors qu'il apparaît que l'amélioration de la croissance ne peut suffire à réduire significativement le chômage à brève échéance, que le Gouvernement a saisi le Parlement d'un projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail. La création d'emplois, leur sauvegarde ou leur stabilisation peuvent, en effet, être favorisées par un aménagement de la durée du travail, dont la réduction est en outre de nature à répondre aux attentes des salariés, en améliorant leurs conditions de vie et de travail.
Tel est l'objet du texte qui a été adopté le 19 mai 1998, et qui a été déféré au Conseil constitutionnel par plus de soixante députés.
Leur recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
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tes.
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I : Sur l'exercice de sa compétence par le législateur
A : Tout en fixant clairement un objectif, la loi déférée n'a pas, d'emblée, défini l'ensemble des modalités permettant de l'atteindre.
Elle a entendu privilégier la négociation sociale en vue de permettre, dans chaque branche et dans chaque entreprise, la meilleure adaptation du processus de réduction du temps de travail à la diversité des situations. Elle incite à de telles négociations en fixant un cadre et en organisant un dispositif d'aide financière, d'autant plus important que les entreprises auront engagé rapidement la réduction et la réorganisation du temps de travail.
Ainsi, l'article 1er de la loi pose le principe de la réduction de la durée légale du travail et en fixe la première étape, pour les entreprises de plus de 20 salariés, au 1er janvier 2000. La seconde étape, pour l'ensemble des entreprises, est prévue au 1er janvier 2002. L'article 2 a pour objet d'inviter les organisations patronales et syndicales représentatives à négocier, d'ici au 1er janvier 2000, les modalités de réduction effective de la durée collective du travail les plus adaptées à la situation de chaque branche ou de chaque entreprise, voire de chaque établissement. Ce sera, en effet, aux négociations conduites à ces niveaux de définir le contenu que prendra concrètement la réduction du temps de travail. Ses modalités pourront être très variées, et utiliser les possibilités d'aménagement négocié du temps de travail déjà prévues par la législation.
Corrélativement, l'article 3 de la loi pose le principe d'un dispositif d'aide financière applicable aux entreprises qui négocient, avant les échéances fixées par l'article 1er, une réduction d'au moins 10 % de la durée collective du travail, en portant leur horaire collectif à 35 heures ou moins. Il en définit le champ d'application, fixe le régime du dispositif applicable aux entreprises qui s'engagent à créer des emplois, celui du dispositif tourné vers la sauvegarde de l'emploi, et précise enfin certaines dispositions qui leur sont communes.
Enfin, il est prévu qu'un bilan des négociations sur le temps de travail sera tiré au deuxième semestre de l'année 1999, en concertation avec les partenaires sociaux.
Pour contester la démarche ainsi adoptée par le législateur, les auteurs de la saisine lui font grief de méconnaître une exigence qui, selon eux, serait de nature constitutionnelle, de " clarté de la loi ". La loi aurait ainsi pour défaut de troubler les perspectives économiques et sociales, sans fournir, pour autant, d'indications certaines sur les règles qui s'appliqueront ultérieurement. Ce faisant, le Parlement aurait, selon les requérants, péché par " incompétence négative ", en raison de l'imprécision qui, à leurs yeux, affecterait plusieurs dispositions : celles de l'article 2, appelant les partenaires sociaux à négocier ; celles de l'article 3 qui ne contiendraient pas les précisions que les députés saisissants auraient voulu trouver dans la loi et procéderaient, indûment, à des renvois au pouvoir réglementaire.
B : Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.
A titre liminaire, le Gouvernement entend formuler les observations suivantes, s'agissant du cadre juridique au regard duquel il convient d'apprécier les mérites de ces critiques.
Contrairement à ce que soutient la saisine, le principe dégagé par la décision n° 87-226 DC du 2 juin 1987 ne peut être utilement invoqué pour critiquer l'imprécision alléguée de la loi. Cette décision ne traite en effet que des exigences de loyauté et de clarté qui doivent présider à toute consultation électorale, mettant ainsi en uvre, dans le cas particulier d'une consultation organisée en application de l'article 53 de la Constitution, le principe de la liberté du suffrage. Tout autre est, évidemment, l'objet de la loi.
De même les requérants font-ils vainement valoir que certaines dispositions de la loi, dépourvues selon eux de valeur normative, devraient être considérées comme " inopérantes ". A supposer, en effet, que cette analyse soit exacte, les dispositions en cause ne pourraient, par définition, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, être censurées comme contraires à la Constitution (n° 82-142 DC du 27 juillet 1982).
En réalité, la seule question pertinente est celle des autorités compétentes pour assurer la mise en uvre des dispositions, rappelées plus haut, du cinquième alinéa du Préambule de 1946 : comme le relève la décision précitée du 28 mai 1983, ce n'est qu'au titre des " principes fondamentaux du droit du travail " qu'il appartient au législateur de définir les règles permettant d'assurer cette mise en uvre. En outre, celle-ci doit également tenir compte des dispositions du huitième alinéa du Préambule aux termes desquelles " tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ".
Il en résulte que la compétence attribuée au législateur par l'article 34 de la Constitution n'interdit pas, bien au contraire, que la détermination des modalités concrètes de mise en uvre des objectifs du Préambule fasse l'objet d'une concertation appropriée entre les employeurs et les salariés ou leurs organisations représentatives (en ce sens, voir les décisions n° 89-257 DC du 25 juillet 1989, n° 93-328 DC du 16 décembre 1993 et n° 96-383 DC du 6 novembre 1996).
De même est-il constant que la limitation de la compétence du législateur en ces matières, par l'article 34 de la Constitution, à la notion de " principes fondamentaux " l'autorise à laisser au pouvoir réglementaire : en dehors des questions qui sont renvoyées à la négociation collective : une importante compétence normative.
De manière générale d'ailleurs, le Gouvernement entend souligner que le grief d'" incompétence négative " ne peut être utilement invoqué, et déboucher le cas échéant sur une censure, que lorsque le législateur est véritablement resté en deçà de la compétence que l'article 34 de la Constitution lui fait obligation d'exercer : c'est dire qu'un tel moyen est inopérant lorsque les dispositions en cause ne sont pas au nombre de celles que la Constitution range dans le domaine de la loi.
Au regard de ces principes, le Gouvernement considère qu'aucune des dispositions critiquées par les auteurs de la saisine n'encourt la censure.
1. En premier lieu, et contrairement à ce qu'ils soutiennent, aucune contradiction n'existe entre l'article 1er et l'article 9, devenu 13, du texte adopté. C'est, en particulier, à tort que les requérants indiquent que le législateur " renvoie expressément à des lois complémentaires " : au contraire, il résulte clairement de l'article 13 qu'il se borne à prévoir le dépôt d'un rapport dressant un bilan de l'application de la loi.
Il est certes exact que le Gouvernement a annoncé qu'il entendait proposer au Parlement, avant la fin de l'année 1999, un projet de loi qui permettra notamment de tirer les enseignements des négociations qui auront été conduites d'ici là.
Mais l'annonce de cette intention est évidemment sans incidence sur la constitutionnalité de la présente loi. S'agissant plus particulièrement de l'article 1er de la loi, il épuise la compétence du législateur et se suffit à lui-même pour les effets que le législateur a entendu lui donner : modifier, à champ identique au champ actuel posé par le livre II du code du travail et le code rural, la durée légale du travail, c'est-à-dire le seuil de déclenchement des heures supplémentaires.
2. En deuxième lieu, il convient de souligner que l'article 2 critiqué par les requérants a une signification essentielle quant à l'esprit de la loi. Il exprime clairement le souhait du législateur que la baisse effective du temps de travail se fasse concrètement par la voie de la négociation collective, que l'article 3 entend faciliter au nom de l'emploi, plutôt que par décisions unilatérales.
La négociation collective est, en effet, la plus à même d'aboutir à une solution équilibrée en ce qui concerne la sauvegarde, la création et la stabilisation de l'emploi, prenant en compte les besoins de l'entreprise en matière d'organisation et d'amélioration des conditions de travail.
Il existe, au demeurant, des précédents d'incitations à négocier insérées dans un texte législatif : on peut citer, par exemple, l'article 63 II de la loi quinquennale n° 93-1313 du 20 décembre 1993 qui précise que " Les organisations syndicales représentatives de salariés et les organisations représentatives d'employeurs seront invitées à négocier au niveau national et interprofessionnel les conditions et modalités d'une extension du recours aux contrats d'insertion en alternance telles que définies aux articles L 981-1 et suivants du code du travail au profit des demandeurs d'emploi âgés de vingt-six ans et plus dans un délai de deux ans à compter de la date de promulgation de la présente loi ".
3. S'agissant en troisième lieu du dispositif d'incitation défini par l'article 3, les critiques soulevées dans la saisine ne sont pas davantage fondées.
Pour bien en mesurer la portée, il convient d'abord de souligner que, de manière générale, ni l'article 34 ni aucun principe constitutionnel ne requièrent nécessairement l'intervention du Parlement pour ouvrir à l'Etat la possibilité d'accorder des aides, primes ou subventions aux entreprises, notamment en faveur de la création d'emploi. De tels avantages ont fréquemment été institués par des décrets, comportant d'ailleurs un plus ou moins grand degré de précision quant aux conditions de leur octroi. Dans tous les cas, la mise en uvre de tels dispositifs se fait sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, lequel n'a jamais contesté la compétence du pouvoir réglementaire pour instituer des aides (voir en ce sens, par exemple, pour l'aide spéciale rurale instituée par un décret du 24 août 1976, CE 28 septembre 1983, SARL Almeras-Bonnemayre, Rec.
p 635 ; et, pour la prime de développement régional créée par un décret du 11 avril 1972, CE 14 décembre 1988, SA Gibert Marine, Rec.
p 444).
Il est vrai que, dans bien des cas, le législateur choisit de poser lui-même le principe d'une aide en laissant au pouvoir réglementaire le soin d'en fixer les conditions et les modalités de mise en uvre.
La loi n° 63-1240 du 18 décembre 1963 relative au Fonds national de l'emploi en est un bon exemple. Ses dispositions instituent certaines aides et renvoient à un décret le soin de fixer les conditions d'application de la loi. Elles ont été codifiées dans le code du travail et modifiées à plusieurs reprises. Mais le législateur a toujours laissé au pouvoir réglementaire le soin de fixer les conditions d'application de la loi.
Ainsi les dispositions de l'article L 322-1 du code du travail servent de base à celles de l'article R 322-1 du même code instituant notamment des conventions de formation, les conventions d'aide à la mobilité.
De même les dispositions de l'article L 322-4 instituent notamment des allocations temporaires dégressives, des allocations spéciales, des aides au passage à temps partiel, des allocations de conversion, les conditions d'application de cet article étant renvoyées à un décret en Conseil d'Etat par l'article L 322-6 du code du travail.
De même encore, l'article L 118-7 qui créé une indemnité compensatrice forfaitaire versée aux employeurs d'apprentis renvoie à un décret le soin de déterminer les modalités d'attribution de l'aide et de préciser les conditions dans lesquelles l'employeur est tenu de reverser à l'Etat les sommes indûment perçues (D 118-1 à D 118-4 du code du travail).
En l'espèce, le législateur n'est nullement resté en deçà de sa compétence en définissant les différents mécanismes d'aide qu'il a entendu instituer en faveur de la réduction de la durée du travail.
a) S'agissant des mécanismes d'aide institués par les paragraphes VII et VIII de l'article 3, le législateur est même allé au-delà.
En ce qui concerne d'abord le dispositif d'appui et de conseil aux PME défini au VII, il n'était, en effet, pas nécessaire de le prévoir dans la loi. Toutefois, le Gouvernement, faisant écho au souhait manifesté par les parlementaires, a entendu affirmer ainsi l'objectif d'apporter une aide à ces entreprises afin de favoriser le déclenchement de démarches permettant une meilleure organisation du travail et propres à améliorer l'utilisation des équipements, le service aux clients ainsi que les conditions de travail des salariés.
L'aide au diagnostic initial et à l'accompagnement de la démarche par un consultant apparaît, en effet, particulièrement utile pour des entreprises qui ne disposent pas de services étoffés pour aborder dans les meilleures conditions cette réorganisation.
En réalité, ce n'est que dans la mesure où le législateur a prévu la participation des régions que son intervention est nécessaire, au titre de la libre administration des collectivités territoriales.
A cet égard, et contrairement à ce que suggère la saisine, la précision apportée par le VII de l'article 3 n'est nullement inutile, compte tenu de l'encadrement strict dont font actuellement l'objet les aides directes accordées par les collectivités locales en la matière (voir par exemple, pour l'application des dispositions de l'article 4 de la loi du 7 janvier 1982, aujourd'hui reprises à l'article L 1511-2 du code général des collectivités locales, CE 15 février 1993 n° 73-137, région Nord : Pas-de-Calais).
En ce qui concerne le VIII de l'article 3, l'aide de l'Etat destinée aux organisations syndicales pour soutenir les actions de formation des salariés qu'elles mandatent n'avait pas à être nécessairement instituée par la loi. Mais il était important d'en prévoir le principe et d'en assurer une mise en place rapide.
Cette mesure se distingue des mécanismes de formation économique, sociale et syndicale prévus aux articles L 452-1 et suivants du code du travail. Ce nouveau dispositif vise à faciliter la mise en place du mandatement, en soutenant les efforts que vont nécessairement devoir déployer les organisations syndicales les plus représentatives au plan national pour mettre en place des modalités particulières de formation des négociateurs salariés qu'elles vont mandater.
Cela va contribuer à garantir l'effectivité du lien entre l'organisation syndicale et les salariés mandatés ainsi que le bon déroulement des négociations. Cette démarche s'inscrit, à cet égard, dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a défini, dans sa décision n° 96-383 DC du 6 novembre 1996, les conditions d'exercice du mandat qui doivent être réunies pour que celui-ci s'exerce dans le respect de la vocation naturelle qui est celle des organisations syndicales en la matière.
L'aide sera accordée aux organisations syndicales représentatives au plan national qui souhaitent en bénéficier sur la base d'une convention garantissant une utilisation conforme à son objet.
b) Le législateur n'est pas non plus resté en deçà de sa compétence, bien au contraire, en définissant soigneusement les caractéristiques de l'aide à la réduction du temps de travail instituée par le VI de l'article 3.
Cette disposition a pour objet de prévoir l'octroi d'une aide financière de l'Etat aux entreprises réduisant la durée du travail avant le 1er janvier 2000 ou, pour les entreprises ne dépassant pas 20 salariés, avant le 1er janvier 2002. Pour ouvrir droit à l'aide, la réduction de la durée du travail doit être mise en uvre par accord collectif de travail, conclu au niveau de la branche, de l'entreprise ou de l'établissement.
Pour obtenir l'aide, l'entreprise doit réduire la durée du travail d'au moins 10 %, sans pouvoir dépasser 35 heures par semaine. L'aide est en outre subordonnée à des engagements en matière d'emploi : l'entreprise doit s'engager à embaucher ou à renoncer à licencier à hauteur de 6 % au moins de l'effectif de référence dans un délai d'un an. Elle doit par ailleurs maintenir pendant au moins deux ans l'effectif ainsi majoré.
Les montants de l'aide seront fixés par décret. Ces montants seront d'autant plus élevés que l'entreprise entrera plus rapidement dans le dispositif. Ils seront forfaitaires, et non pas proportionnels aux rémunérations, et dégressifs.
Enfin, des majorations sont prévues pour les entreprises prenant des engagements renforcés en termes d'emploi et pour les entreprises de main-d' uvre à bas salaires.
Mais plutôt que d'organiser un versement direct par l'Etat, il a été jugé plus simple de prévoir un mécanisme d'imputation sur les montants que l'entreprise doit verser à la sécurité sociale. Ainsi, l'aide à laquelle une entreprise aura droit viendra en déduction du montant global de ses cotisations patronales de sécurité sociale. Sa mention sur le bulletin de paie ne sera pas obligatoire.
En l'espèce, l'intervention du législateur se justifie en raison du mécanisme particulier retenu, qui revient en pratique à faire transiter l'aide de l'Etat par les organismes de sécurité sociale, ceux-ci étant corrélativement remboursés, ainsi qu'il sera précisé plus loin, dans les conditions définies par l'article L 131-7 du code de la sécurité sociale.
Mais le Gouvernement entend souligner que l'intervention du Parlement ne se justifie que dans cette mesure : c'est seulement parce que l'aide attribuée a ainsi une incidence sur le montant des cotisations que les régimes de sécurité sociale reçoivent des employeurs qu'il appartient au législateur d'en poser le principe, au titre des " principes fondamentaux de la sécurité sociale " que l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi.
La loi n'affecte en effet, directement ou indirectement, ni l'assiette des cotisations ni même le montant dû par les employeurs pour chacun de leurs salariés aux organismes de sécurité sociale.
Compte tenu de la jurisprudence dégagée pour l'application de la notion de " principes fondamentaux de la sécurité sociale ", elle n'avait pas à en dire plus.
Il est clair, en effet, que la compétence du législateur en la matière reste cantonnée par une jurisprudence ancienne et constante.
Sur un plan général, on peut noter, par exemple, que relèvent du domaine législatif la détermination des catégories de ressources de l'assurance maladie (CE, avis n° 325732 du 25 septembre 1979), ainsi que l'attribution aux différents organismes de sécurité sociale des ressources provenant des cotisations (CE, 17 janvier 1969, Fédération nationale des organismes de sécurité sociale, Rec. p 26).
Sont, en revanche, de la compétence réglementaire, les modalités de transmission des fonds d'un organisme à l'autre (CE, 17 janvier 1969, précité).
En l'espèce, et dès lors que les modalités de versement de l'aide prennent la forme d'une déduction du montant global des cotisations, le dispositif est assimilable à un mécanisme d'exonération partielle.
Mais au regard du partage tracé par la jurisprudence dans ce domaine particulier, la loi déférée ne saurait être censurée pour " incompétence négative ".
Il résulte en effet d'une jurisprudence ancienne que seule la définition des catégories de personnes bénéficiant ou pouvant bénéficier d'une exonération totale touche aux principes fondamentaux de la sécurité sociale et relève, par suite, de la compétence du législateur (CC, n° 70-66 L 17 décembre 1970 ; CE, avis n° 324-267 du 1er mars 1979). Le Conseil constitutionnel en a déduit que relève du domaine réglementaire l'exonération partielle ainsi que la définition d'un élément de condition d'une exonération totale, telle que la fixation de l'âge des bénéficiaires de l'exemption. Il a même jugé qu'une disposition établissant une exonération partielle relève du pouvoir réglementaire (CC, 17 décembre 1970 précité).
Plus récemment, le Conseil a rappelé que la Constitution attribue au pouvoir réglementaire la fixation des montants et des taux des exonérations sous la seule réserve : dont il appartient, le cas échéant, au juge de l'excès de pouvoir d'assurer le respect : de ne pas dénaturer l'objet et la portée de la loi, celle-ci pouvant se borner à prévoir le principe d'une exonération et de sa limitation (n° 97-388 DC du 20 mars 1997).
Au regard de cet encadrement, on ne peut que constater qu'en insérant dans l'article 3 toutes les précisions qu'il comporte, le législateur n'est nullement resté en deçà de sa compétence.
Ainsi, les cas dans lesquels l'aide est majorée sont limitativement énumérés et définis. La loi précise en effet elle-même que peuvent prétendre à la majoration de l'aide :
: les entreprises qui souscrivent, dans le cadre de la convention conclue avec l'Etat, des engagements en termes d'emploi supérieurs au minimum obligatoire ou des engagements spécifiques en faveur de l'emploi de jeunes, de personnes reconnues handicapées et des personnes rencontrant des difficultés particulières d'insertion, notamment des chômeurs de longue durée ;
: les entreprises qui s'engagent à conclure avec chacun des salariés recrutés dans le cadre du dispositif un contrat à durée indéterminée ;
: les entreprises, enfin, qui satisfont à la double condition d'employer une proportion importante d'ouvriers, au sens des conventions collectives, et de salariés dont les rémunérations sont proches du salaire minimum de croissance.
Si, dans ce dernier cas, il est prévu qu'un décret déterminera les conditions de la majoration dite spécifique, cette seule circonstance, en tout état de cause, ne saurait être regardée comme un manquement du législateur à sa propre compétence, alors que ce dernier a défini la nature des conditions mises à son octroi.
S'agissant par ailleurs du contrôle, on observera qu'en matière d'aide à l'emploi, la loi n'évoque le plus souvent pas les modalités de contrôle de l'exécution de la convention ouvrant droit à l'aide ni les sanctions applicables en cas de non-respect de ses clauses. Ces modalités et ces sanctions sont prévues par décret, ou même seulement dans la convention. On peut ainsi citer, à titre d'exemples :
: pour les contrats initiative emploi, le décret n° 95-925 du 19 août 1995, article 14 (résiliation de la convention et reversement de l'aide) ;
: pour les contrats emplois consolidés, le décret n° 92-1076 du 2 octobre 1992, article 3 (reversement de l'aide) ;
: pour l'aide au premier emploi des jeunes, le décret n° 94-281 du 11 avril 1994, article 7, alinéa 2 (reversement de l'aide) ;
: enfin, pour l'aide à l'embauche d'apprentis, l'article D 118-4 du code du travail (reversement de l'aide).
La loi a donc pu, sans méconnaître la Constitution, renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de préciser certaines modalités d'application de ce régime d'aide, après avoir clairement pris parti sur le principe d'une réduction des cotisations et même sur la nature des critères permettant de l'attribuer, de la moduler et d'en contrôler l'utilisation.
Enfin, il convient de rappeler que la mise en uvre de ces dispositions se fera, comme il est de règle dans tous les cas où l'administration intervient sans que le législateur ait eu à encadrer complètement son action, dans le respect des principes qui régissent celle-ci, et sous le contrôle du juge administratif.
II. : Sur le respect des dispositions relatives
aux lois de financement de la sécurité sociale
A : Comme il a été indiqué plus haut, l'article 3 de la loi entend favoriser la réalisation de l'objectif de réduction négociée du temps de travail en prévoyant un dispositif d'aide financière.
Cette aide prendra, suivant les dispositions du VI de cet article, la forme d'une exonération partielle calculée globalement sur le montant des cotisations à la charge de l'employeur pour la période considérée au titre des assurances sociales, accidents du travail et maladies professionnelles et allocations familiales assises sur les gains et rémunérations des salariés de l'entreprise ou de l'établissement concerné.
Observant que ce dispositif aura ainsi une incidence sur les montants des recettes encaissées par les régimes de sécurité sociale, les requérants en déduisent que la loi qu'ils contestent, et qui n'a pas le caractère d'une loi de financement de la sécurité sociale, a été adoptée en méconnaissance des dispositions régissant cette catégorie de lois.
B : Cette critique n'est pas fondée.
1. Aux termes du deuxième alinéa du II de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, issu de la loi organique du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, " seules les lois de financements peuvent modifier les dispositions prévues en vertu des 1° à 5° du I ". Le 1° du I prévoit que la loi de financement de la sécurité sociale de l'année " approuve les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale ".
Ayant à préciser la portée de ces dispositions, le Conseil constitutionnel a entendu éviter les effets qu'une interprétation trop contraignante aurait eus sur le pouvoir du législateur ordinaire. Il a donc transposé aux finances sociales sa jurisprudence issue de la décision n° 78-95 DC du 27 juillet 1978 concernant les lois de finances. Le Conseil a ainsi jugé que l'exigence tirée du deuxième alinéa du II de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale fait seulement obstacle à ce que les conditions générales de l'équilibre financier définies par la loi de financement de la sécurité sociale soient compromises par des charges nouvelles résultant de textes dont les incidences sur les conditions de cet équilibre n'auraient pu être prises en compte par une loi de financement (n° 97-388 DC du 20 mars 1997).
En d'autres termes, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire au législateur ou, dans le cadre de sa compétence, au Gouvernement, d'adopter des mesures pouvant avoir une incidence sur les recettes ou les dépenses des régimes de sécurité sociale : seul un texte remettant en cause de manière directe et certaine les objectifs prévus par le 1° du I de l'article LO 111-3 pourrait soulever une difficulté au regard de ces exigences, s'il n'était pas précédé d'une loi de financement rectificative ou adopté dans les formes requises pour ce type de loi.
2. Tel n'est pas le cas du texte déféré. Non seulement, en effet, il n'implique aucun bouleversement de ces objectifs, mais surtout, sa mise en uvre ne se traduira, en réalité, par aucune incidence sur la masse des ressources des régimes sociaux. En effet, le montant des cotisations non versées en 1998 par les employeurs bénéficiant de l'aide instituée par l'article 3 de la loi déférée sera intégralement prise en charge par le budget de l'Etat, conformément aux dispositions de l'article L 131-7 du code de la sécurité sociale, dont la loi n'affecte nullement la portée.
La mise en uvre de cette aide en 1998 s'analyse donc comme un transfert d'une partie du poids des cotisations des employeurs bénéficiaires de l'aide vers l'Etat qui en assurera la prise en charge.
Ainsi, la prévision de montant de cotisations effectives, fixée par l'article 22 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 à 1 034,1 MdF et incluant notamment les prises en charge par l'Etat des cotisations non versées par les employeurs (cf annexe C, page 13, " Les catégories de ressources ") ne sera pas affectée.
Il est vrai que, pour les années ultérieures, le Gouvernement envisage que la prise en charge par l'Etat du montant des cotisations non versées par les employeurs au titre de l'aide considérée puisse être seulement partielle, afin de tenir compte des rentrées de cotisations que l'aide à la réduction du temps de travail induira pour les régimes de sécurité sociale. Mais la loi déférée n'introduit, quant à elle, aucune modification au dispositif de remboursement intégral. Une telle modification ne pourra intervenir qu'après avoir fait l'objet d'une disposition figurant dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, cette insertion faisant elle-même suite à une concertation avec les partenaires sociaux sur le taux et les modalités de cette compensation partielle.
Le grief manque donc en fait.
III. : Sur le respect de la liberté d'entreprise
A : Reprenant, sous un autre angle, leurs critiques des dispositions de la loi qui fixent l'objectif de réduction du temps de travail et prévoient la mise en place de négociations au niveau des branches et des entreprises, les auteurs de la saisine estiment qu'une triple atteinte serait portée à la liberté d'entreprendre : cette liberté serait affectée par l'obligation, faite à l'employeur, de négocier et par la fixation impérative du résultat à atteindre ; elle le serait également dans la mesure où le législateur porterait ainsi atteinte à la substance des droits des employeurs en leur imposant, compte tenu de la baisse ainsi obtenue de la durée du travail, une modification de leurs modes de production ; enfin le texte serait également contestable en ce qu'il affecterait les contrats de travail et les salaires en vigueur.
B : Cette critique ne peut être retenue.
1. En premier lieu, elle manque en fait, dès lors que la loi procède par voie d'incitation, à travers notamment le dispositif d'aide déjà évoqué : elle n'énonce, ni n'implique, aucune obligation de négocier. Elle a seulement pour objet d'inviter les partenaires sociaux à négocier les modalités d'une réduction effective de la durée du travail, en leur ouvrant la possibilité de bénéficier de plusieurs formes d'aides.
quant aux bouleversements que l'évolution encouragée par la loi induira dans l'organisation des entreprises et dans leurs modes de production.
On rappellera d'abord qu'il appartient, de manière générale, au législateur de concilier les différents principes et objectifs constitutionnels qui s'imposent à lui : dès lors que, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel, " la liberté d'entreprendre n'est ni générale, ni absolue ", " il est loisible au législateur d'y apporter des limitations exigées par l'intérêt général à la condition que celles-ci n'aient pour conséquence d'en dénaturer la portée " (n° 90-283 DC du 8 janvier 1991).
A fortiori ces limitations sont-elles légitimes lorsqu'il s'agit de mettre en uvre l'objectif constitutionnel du droit à l'emploi.
En l'espèce, et en tout état de cause, la loi incite les entreprises à réduire leur horaire de travail, mais ne leur impose pas de le faire : la modification de la durée légale a seulement une incidence sur l'application du régime des heures supplémentaires. Les entreprises restent libres d'organiser des durées du travail différentes de la durée légale, dans la limite des durées maximales qui demeurent inchangées.
3. En troisième lieu, on ne voit pas en quoi le fait que la nouvelle loi pourrait avoir une incidence sur les conventions collectives et les contrats de travail en vigueur serait contraire à la Constitution. A supposer, en effet, que les requérants aient ainsi entendu invoquer le principe de la liberté contractuelle, le moyen serait inopérant, dès lors que ce principe n'a pas, en lui-même, valeur constitutionnelle (n° 97-388 DC du 20 mars 1997).
Sans doute sa méconnaissance peut-elle néanmoins être invoquée dans le cas où elle conduirait à porter atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis, et notamment à la liberté d'entreprendre ou à la liberté personnelle des salariés.
Mais il résulte de ce qui est dit ci-dessus que tel n'est pas le cas de la loi déférée. Dès lors, en effet, qu'il n'y a pas obligation de procéder à la réduction de la durée effective du travail du fait de l'application de l'article 1er de la loi, on ne peut, en tout état de cause, considérer que la loi modifie automatiquement les contrats de travail existants ou les accords collectifs.
IV. : Sur le respect du principe d'égalité
A : L'article 1er de la loi déférée introduit dans le code du travail un nouvel article L 212-1 bis qui définit le champ d'application des nouvelles dispositions applicables, selon les cas, au 1er janvier 2002, ou dès le 1er janvier 2000, en matière de durée du travail. Cet article renvoie, à cet égard, aux établissements et professions mentionnés à l'article L 200-1, ce qui lui donne la portée la plus vaste. Il y ajoute en outre les établissements agricoles, artisanaux et coopératifs.
Par ailleurs, le deuxième alinéa du II de l'article 3 prévoit que l'accord collectif organisant la réduction du temps de travail dans une entreprise ou un établissement pourra prévoir des mesures particulières pour appliquer cette réduction au personnel d'encadrement.
Selon les auteurs de la saisine, le législateur aurait méconnu, à plusieurs titres, le principe constitutionnel d'égalité. Une première rupture résulterait de ce que " la charge de la lutte contre l'exclusion " pèserait ainsi sur les seules entreprises du secteur privé, cette charge étant en outre accrue pour les entreprises employant une main-d' uvre nombreuse. Serait, de même, contestable, eu égard aux " effets de seuil " qu'elle impliquerait, la distinction, faite par l'article 1er, entre les entreprises employant plus ou moins de 20 salariés. En outre, la différence de traitement entre les personnels cadres et les autres ne serait, selon les requérants, pas davantage justifiée. Enfin, ils estiment que la loi crée une inégalité, dont ils contestent également la pertinence, entre les salaires rémunérés au SMIC, suivant que la durée de leur travail sera réduite à 35 heures ou demeurera fixée à 39 heures.
B : Pour sa part, le Gouvernement considère qu'aucune des dispositions contestées ne méconnaît le principe d'égalité.
1. S'agissant, en premier lieu, du champ d'application de la loi, on observera d'abord que le grief tiré de ce que les entreprises publiques en seraient exclues manque en fait. Il résulte, en effet, des termes mêmes de l'article L 200-1 du code du travail que le dispositif s'appliquera notamment aux " établissements industriels et commerciaux et leurs dépendances, de quelque nature qu'ils soient, publics ou privés ".
Dans la stricte continuité par rapport au droit antérieur, le nouveau régime de la durée légale sera donc applicable à une majorité d'entreprises publiques qui, n'étant pas dotées d'un statut législatif ou réglementaire pour leur personnel, relèvent du droit commun des relations du travail.
En revanche, il est exact, et en même temps logique, que ce texte ne traite pas de la question de la durée du travail dans les administrations, qui est extérieure à l'objet de la loi : les rapports entre les agents publics et l'administration ont toujours été régis par des règles différentes, qui échappent à la sphère du droit du travail. C'est donc très logiquement qu'une démarche spécifique a été annoncée pour la durée du travail dans la fonction publique. En tout état de cause, le fait qu'un texte modifiant le code du travail ne s'applique, pas davantage que ce code lui-même, à la fonction publique ne saurait évidemment s'analyser comme une méconnaissance du principe d'égalité.
2. En deuxième lieu, l'on ne saurait tirer argument de la distinction entre les entreprises employant plus ou moins de 20 salariés pour en déduire que le seuil ainsi défini contreviendrait, par ses effets, au même principe : non seulement, en effet, la notion de seuil d'effectifs est traditionnelle en droit social, mais en outre il ne s'agit ici que d'une distinction transitoire.
Au surplus, un dispositif de " lissage " est prévu. Il l'est, d'abord, à travers le renvoi, opéré par le nouvel article L 212-1 bis, aux dispositions de l'article L 421-1 : ainsi, la durée légale de 35 heures s'appliquera, au 1er janvier 2000, aux entreprises dont l'effectif aura dépassé 20 salariés pendant 12 mois, consécutifs ou non, ce dépassement étant apprécié sur les trois années précédentes. Il l'est ensuite en raison de la disposition du même article qui prévoit le report de l'entrée en vigueur au 1er janvier 2002 pour les entreprises qui franchiront le seuil de 20 salariés entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2001.
3. En troisième lieu, les saisissants ne sont pas fondés à s'interroger, comme ils le font, sur le rapport direct avec l'objet de la loi de la différence de traitement, introduite par les dispositions du troisième alinéa du II de l'article 3, qui permettent aux accords de prévoir des dispositions particulières pour le personnel d'encadrement.
Il convient d'ailleurs de souligner que ces dispositions ne fixent aucune obligation à cet égard. Elles prévoient une simple faculté, pour tenir compte de la situation spécifique de certains cadres. Au demeurant, tous les cadres ne sont pas dans une situation identique au regard de la durée du travail, certains étant soumis à l'horaire collectif de travail alors que d'autres ne le sont pas. C'est notamment pour tenir compte de la situation particulière de ceux qui n'y sont pas soumis que la loi a ainsi donné aux partenaires la faculté de prévoir, dans l'accord collectif, des conditions particulières d'application de la réduction de la durée du travail aux cadres.
La mention explicite introduite par le législateur est pleinement en rapport avec l'objet de la loi, car elle vise à faire en sorte que les cadres participent au mouvement global de réduction des horaires, moyennant des solutions adaptées aux particularités de leur activité.
4. S'agissant enfin des critiques relatives au régime des salariés rémunérés au niveau du SMIC, on se bornera à relever qu'elles sont dépourvues de portée, dès lors que la loi contestée ne comporte à ce sujet aucune disposition.
V : Sur le droit à la négociation collective
A : Les auteurs de la saisine relèvent que la loi qu'ils contestent n'a pas été précédée d'une concertation des partenaires sociaux. Estimant, de manière au demeurant quelque peu contradictoire avec leur premier grief, que " le fond de la réforme est déjà arrêté ou le sera, également par voie unilatérale, par la loi prévue pour 1999 ", ils se demandent si le droit constitutionnel de participation n'a pas été méconnu en l'espèce.
B : Cette question appelle, sans aucun doute, une réponse négative.
S'il n'est pas douteux que les termes, mentionnés plus haut, du huitième alinéa du Préambule de 1946 expriment un principe constitutionnel, il est tout aussi constant que le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur, quant à sa mise en uvre, un large pouvoir d'appréciation. C'est seulement dans l'hypothèse où la loi priverait d'effectivité la participation des travailleurs que l'inconstitutionnalité serait constituée (n° 93-328 DC du 16 décembre 1993 ; n° 97-388 DC du 20 mars 1997).
Tel n'est pas le cas en l'espèce, la loi comportant au contraire, comme on l'a déjà souligné, des mesures tendant à favoriser la négociation collective en matière de réduction de la durée du travail.
Les requérants invoquent le fait que la loi n'a pas été précédée d'une concertation des partenaires sociaux. S'agissant de la concertation entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux, le Gouvernement a pris l'initiative d'une conférence nationale sur l'emploi, les salaires et la durée du travail, en octobre 1997, associant l'ensemble des partenaires sociaux, sur la base de données approfondies susceptibles non seulement d'éclairer les initiatives législatives à venir, mais aussi le dialogue entre les partenaires sociaux.
Si les saisissants entendent suggérer que l'initiative du législateur était liée en la matière par l'exigence d'une concertation, voire d'une négociation préalable entre les partenaires sociaux, ce grief ne pourrait, en tout état de cause, être accueilli au regard des compétences dévolues au Gouvernement et au Parlement.
La fixation de la durée du travail est en effet une compétence du législateur au titre des principes généraux du droit du travail. La loi modifie du reste le dispositif résultant actuellement de l'article L 212-1 du code du travail en insérant un article L 212-1 bis. Déjà, la loi du 21 juin 1936 avait fixé la durée légale du travail à 40 heures avant que l'ordonnance du 16 janvier 1982 ne réduise cette durée légale hebdomadaire à 39 heures.
Si l'exercice de cette compétence appartient explicitement au législateur, elle peut parfois être nourrie par des accords passés avec les partenaires sociaux. Il appartient sur cette base aux partenaires sociaux de négocier, au niveau des branches et des entreprises, les modalités de réduction et d'organisation du temps de travail.
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l.
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En définitive, le Gouvernement considère qu'aucun des griefs invoqués n'est de nature à justifier une censure du texte contesté.
Aussi demande-t-il au Conseil constitutionnel de bien vouloir rejeter le recours dont il est saisi.
SAISINE DEPUTES :
Le Parlement a définitivement adopté, le 19 mai 1998, la loi " d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail " qui, selon l'exposé des motifs rédigé par le Gouvernement, " traduit la volonté de celui-ci de recourir à tous les moyens possibles pour réduire le chômage, et en particulier la réduction du temps de travail " ; la conviction est encore exprimée, dans cet exposé des motifs, qu'" une réduction du temps de travail bien conduite peut créer des centaines de milliers d'emplois, ce qu'aucune des politiques mises en oeuvre depuis une vingtaine d'années n'est parvenue à faire jusqu'ici ".
Cette présentation des choses a été vivement combattue à l'intérieur même du Parlement, lors des débats d'examen de la loi, et par des experts nationaux et internationaux qui ont fait valoir qu'au contraire la politique de réduction du temps de travail menée de cette façon risquait d'aggraver le chômage. M Gilles de Robien lui-même, promoteur d'une démarche incitative de la réduction du temps de travail, a condamné, dans son exception d'irrecevabilité soutenue en première lecture, le caractère contraignant de cette loi et les conséquences néfastes de cette méthode erronée sur l'emploi.
Au fil des débats, d'autres considérations ont ainsi été mises en avant, comme l'amélioration qualitative de la vie des travailleurs ou le droit au temps libre " condition de l'exercice de la citoyenneté " (M Gremetz, JO, Débats, 2e séance, 24 mars 1998). Ce changement de perspective est important dans la mesure où il détermine le cas que l'on doit faire ou non en l'espèce du droit à l'emploi reconnu par le Préambule de 1946 et de la possibilité de s'en réclamer pour justifier l'atteinte à d'autres principes, objectifs et règles de valeur constitutionnelle que méconnaît la présente loi.
Peu assurée dans la défense du droit de l'emploi, critiquée par ceux-là mêmes qu'elle entend régir, entreprises et salariés, dénoncée comme une erreur par nombre d'organismes internationaux experts comme dernièrement le Fonds monétaire international, isolée au sein de l'Union européenne au moment même du passage à la monnaie unique, la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail est également, par l'ensemble de son dispositif et par plusieurs de ses dispositions, contraire à la Constitution, comme l'a notamment relevé Mme le président Nicole Catala (JO, Débats, 2e séance, 24 mars 1998, p 2043), en soutenant l'exception d'irrecevabilité à l'encontre de ce texte, devant l'Assemblée nationale, en seconde lecture de la loi.
C'est pourquoi, conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les députés soussignés la défèrent au Conseil constitutionnel, et lui demandent de la déclarer non conforme à la Constitution, notamment pour les motifs suivants.
I : Méconnaissance de l'" exigence constitutionnelle
de clarté de la loi "
1. Tous les commentateurs de la loi se sont accordés à considérer qu'on est là en présence d'une réforme fondamentale ; telle a été également la présentation du Gouvernement. Mais le même accord se fait pour considérer que cependant rien n'est clair ni vraiment arrêté, comme le relève éloquemment le titre même de la loi : " loi d'orientation et d'incitation ".
Si l'on considère en effet l'article 1er de la loi, on retient que, par insertion d'un nouvel article L 212-1 bis du code du travail, " la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à 35 heures par semaine à compter du 1er janvier 2002 " et à compter du 1er janvier 2000 pour les entreprises employant plus de 20 salariés.
La suite de la loi comporte un certain nombre de prévisions et surtout des mécanismes d'incitation et d'avantages consentis aux entreprises qui réduisent la durée du travail avant le 1er janvier 2000. On y reviendra. Mais l'article 9 de la loi ajoute que :
" Au plus tard le 30 septembre 1999, et après concertation avec les partenaires sociaux, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport établissant le bilan de l'application de la présente loi, qui portera précisément sur les résultats de la politique d'avantages et d'incitations à la réduction conventionnelle du temps de travail menée entre-temps. Le rapport présentera les enseignements à tirer de ce bilan pour la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail prévue à l'article 1er ", et notamment " en ce qui concerne le régime des heures supplémentaires, les règles relatives à l'organisation et à la modulation du travail, les moyens de favoriser le temps partiel choisi, la place prise par la formation professionnelle dans les négociations et les modalités particulières applicables au personnel d'encadrement ", etc.
C'est dire que le législateur se déclare lui-même dans l'incertitude du contenu exact de la réforme qui doit s'appliquer en 2000 ou 2002 selon les entreprises ; il renvoie expressément à des lois complémentaires à intervenir sur la base du bilan prescrit pour 1999, qui sera lui-même essentiellement fonction de la pratique conventionnelle des entreprises d'ici là.
Or l'article 34 de la Constitution donne compétence au Parlement pour " fixer les règles " qui gouvernent les matières relevant du domaine de la loi. Sans doute le législateur peut différer l'entrée en vigueur de la règle qu'il fixe ; sans doute encore les règles fixées peuvent-elles avoir pour finalité d'" inciter " les administrés à un comportement déterminé et c'est fréquemment le cas en matière sociale (p ex, la loi du 11 juin 1996 et auparavant le mécanisme prévu par la loi d'habilitation du 7 janvier 1982 sur la base de laquelle est intervenue l'ordonnance du 16 janvier 1982).
Mais la formule adoptée par la présente loi est inédite. Elle consiste à indiquer des règles dont l'application est différée et que le législateur s'engage à modifier d'ici là, en fonction des résultats de mesures d'incitation qui sont elles-mêmes déterminées dans la perspective d'une réforme incertaine. Cette approche " circulaire " du problème de l'emploi n'a pas échappé et justifie que plusieurs parlementaires lors des débats aient vu dans la loi en cause une " expérimentation hasardeuse ".
D'un point de vue pratique, la loi a ainsi pour effet de troubler les perspectives économiques et sociales, sans indication certaine sur la règle de fond qui s'appliquera ultérieurement. Le législateur ne " fixe " rien ; il perturbe. Et par là, il contrevient aux règles constitutionnelles qui s'imposent à lui.
2. En effet, comme l'a fort justement relevé le président Mme Catala, au soutien de l'exception d'irrecevabilité présentée par elle en seconde lecture (réf. ci-avant), la technique législative ici utilisée, qui consiste à annoncer la règle nouvelle tout en la retenant, est contraire au principe constitutionnel qui interdit aux organes qu'elle investit : dont le Parlement : de ne pas exercer leurs compétences entières sur les questions dont ils se saisissent ; c'est bien " d'incompétence négative " qu'il s'agit, sous une forme un peu particulière, il est vrai ; et le Conseil constitutionnel déclare non conformes à la Constitution les lois qui restent en deçà de la compétence du Parlement (p ex, Cons. constit. 20 mars 1997, JO 26 mars 1997, p 4661 ; 21 janvier 1997, JO 25 janvier 1997, p 1285).
En l'espèce, le législateur se saisit de la matière de la durée du travail, qu'il est sans doute compétent pour réglementer ; mais il ne légifère pas vraiment, se bornant à afficher un horizon législatif incertain et même improbable dans les termes où il s'exprime pour : 1° Sacrifier à l'incantation politique ; 2° Accroître sa pression sur les partenaires sociaux. Ce n'est plus une loi, mais un acte politique. La loi, quant à elle, doit épuiser la compétence qui s'exerce et qui est une compétence de commandement.
Ainsi, l'article 13 de la loi réserve la compétence que le législateur prétend exercer aux articles 1er et 2. Le système n'a rien à voir avec les précédentes lois incitatives où les partenaires sociaux étaient invités à négocier dans un contexte législatif définitif et non expérimental.
3. De manière plus générale, on observera, à cet égard, que beaucoup de critiques formulées contre le texte examiné tiennent à l'imprécision de nombre de ses dispositions. A ces critiques, le Gouvernement a souvent répondu en renvoyant soit à des textes réglementaires à venir, soit à des négociations collectives futures.
Il convient notamment de citer, à ce titre, les dispositions suivantes :
L'article 3-VI, alinéa 3, opérant un renvoi au pouvoir réglementaire sur le point très important des aides à la réduction du temps de travail, et selon des critères aussi imprécis que : " proportion importante ", " proches du salaire minimum de croissance ", etc, alors qu'il s'agit de respecter les exigences du principe constitutionnel d'égalité ;
L'article 3-VI, alinéa 5, renvoyant à un décret en Conseil d'Etat la détermination des " modalités de contrôle de l'exécution de la convention avec l'Etat et les conditions de suspension de la convention, assorties le cas échéant d'un remboursement de l'aide dans le cas où l'entreprise n'a pas mis en oeuvre ses engagements ", ce qui constitue en réalité un renvoi en cascade (la loi renvoie au décret qui précise les modalités d'établissement du régime par la convention) dont la constitutionnalité n'est pas évidente, alors surtout que les mesures de suspension de la convention et de remboursement de l'aide peuvent être rapprochées de mesures de sanction, relevant de la compétence propre du législateur ;
L'article 3 VII et VIII qui ne prévoit aucun critère ou condition de son application, laissant ainsi aux autorités chargées de le mettre en oeuvre une totale liberté incompatible avec la réserve constitutionnelle de compétence du législateur.
Ces observations relatives au manquement du législateur à son obligation d'exercer pleinement sa compétence doivent par ailleurs être complétées par d'autres remarques et critiques concernant le caractère non normatif ou inopérant de certaines dispositions du texte examiné.
La jurisprudence sur ce point a été inaugurée par la décision du 27 juillet 1982 relative à la réforme de la planification (n° 82-142 DC, RJC I-129) dans laquelle le Conseil constitutionnel déclare que certaines des dispositions de la loi " sont dépourvues de tout effet juridique et () en raison même de leur caractère inopérant, n'ont pas à faire l'objet d'une déclaration de non-conformité " (considérant n° 8).
L'application de cette jurisprudence devrait conduire à considérer comme " inopérantes ", c'est-à-dire sans effets juridiques, les dispositions suivantes de la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail :
L'article 2 : la formule choisie (" sont appelés à "), assez inédite dans le style législatif français, semble illustrer clairement l'absence d'effet normatif possible de cette disposition, pour deux raisons au moins. La première tient à sa trop grande imprécision : le degré de l'obligation imposée aux organisations salariales et patronales est très flou, et quelque peu contradictoire avec d'autres dispositions du texte, plus explicites (cf art 3-II : négociation par entreprise ou établissement) ; par ailleurs, l'objet de la négociation prévue (" modalités de réduction effective de la durée du travail adaptées aux situations des branches et des entreprises ") est extrêmement vague, compte tenu que c'est la loi qui détermine l'essentiel (la durée) et que la négociation se trouve largement dépourvue d'objet ou inconstitutionnelle dans ses effets ;
L'article 3-I : au regard notamment des exigences du principe constitutionnel d'égalité, la formule " peuvent bénéficier d'une aide dans les conditions ci-après " ne saurait être entendue que comme une obligation et non une faculté pour les organes d'application de la loi, faute de quoi le législateur violerait la Constitution, d'une part, en instituant un mécanisme n'assurant pas dans des conditions satisfaisantes le respect du principe d'égalité, d'autre part, en demeurant en deçà de sa compétence ;
L'article 3-VII : le " dispositif d'appui et d'accompagnement ", que prévoit la disposition, envisage l'intervention possible, dans des termes extrêmement vagues, des régions, sans que l'on sache si cette possibilité correspond à un rappel ou un élargissement des mécanismes existants (prime régionale à l'emploi) ou s'il s'agit véritablement d'une compétence nouvelle, en particulier au regard de l'état du droit en la matière depuis les lois du 6 février 1992 et du 4 février 1995. Une telle formule apparaît beaucoup trop imprécise, compte tenu surtout des exigences résultant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et du principe constitutionnel d'égalité (cf n° 84-185 DC du 18 janvier 1985, RJC I-207 et surtout n° 93-329 DC du 13 janvier 1994, RJC I-562).
4. Le résultat de cette technique de législation " retenue " est évidemment de perturber, d'établir l'incertitude sur le contenu de la règle qui s'applique ou s'appliquera. Et le grief d'incompétence négative rejoint ici le manquement à l'exigence de clarté de la loi dont le Conseil constitutionnel a affirmé le caractère de principe de valeur constitutionnelle.
Dans sa décision du 2 juin 1987, Nouvelle-Calédonie (rec. p 34), le Conseil constitutionnel avait à examiner une loi qui disposait que la question sur laquelle les populations intéressées de Nouvelle-Calédonie seraient appelées à se prononcer portait, non seulement sur le choix de l'accession de ce territoire à l'indépendance ou son maintien au sein de la République, mais également, dans cette seconde éventualité, sur un statut dont les éléments essentiels auraient été portés à la connaissance des intéressés.
Le conseil juge que : " Cette rédaction est équivoque, qu'en effet elle peut faire naître dans l'esprit des votants l'idée erronée que les éléments du statut sont d'ores et déjà fixés, alors que la détermination de ce statut relève, en vertu de l'article 74 de la Constitution, d'une loi prise après consultation de l'Assemblée territoriale. "
Et il censure cette disposition de la loi au motif très explicite qu'elle " ne satisfait pas à l'exigence constitutionnelle de clarté de la consultation ".
On constate dans la loi ici déférée au Conseil constitutionnel la même " équivoque " de nature à " faire naître dans l'esprit des destinataires de la loi, l'idée erronée que les éléments (de la loi) sont d'ores et déjà fixés ", alors que ceux-ci relèvent d'une autre loi, antérieure à l'entrée en vigueur de celle qu'on veut adopter, et tributaire dans son contenu d'un bilan lui-même fonction de la pratique conventionnelle des entreprises et d'une possible évolution des pouvoirs publics eux-mêmes sur une orientation éminemment controversée.
Une telle loi ne satisfait pas à l'exigence constitutionnelle de clarté de son dispositif (v aussi dans le même sens : Cons. constit, 27 juillet 1982, Planification, rec. p 52). Elle doit être censurée pour ce motif.
A quoi s'ajoute un deuxième grief tenant toujours à l'ordre des compétences.
II. : Violation de l'avant-dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution relatif aux lois de financement de la sécurité sociale
1. La loi constitutionnelle du 22 février 1996 instituant les lois de financement de la sécurité sociale a créé la catégorie nouvelle des lois de financement de la sécurité sociale et soumis celles-ci à un régime constitutionnel spécifique, mais sans en donner une définition, ni même la détermination de leur contenu. Elle a complété en ce sens l'article 34 de la Constitution pour y inscrire un alinéa ainsi rédigé :
" Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. "
La même loi constitutionnelle a également ajouté un article 47-1 à la Constitution, qui renvoie également à la loi organique la détermination des conditions de vote par le Parlement des projets de loi de financement de la sécurité sociale et impose d'autre part des délais sur le modèle de ceux prévus par l'article 47 pour les lois de finances et avec la même possibilité de mettre en vigueur les dispositions du projet par voie d'ordonnance lorsque ces délais ne sont pas respectés.
La loi organique annoncée par l'article 34, avant-dernier alinéa, et par l'article 47-1 nouveau de la Constitution est intervenue le 22 juillet 1996, après examen par le Conseil constitutionnel conformément à l'article 61 de la Constitution (déc. n° 96-379 DC du 16 juillet 1996, JO, 22 juillet).
Elle aligne assez largement la procédure d'élaboration de la loi de financement de la sécurité sociale sur celle de la loi de finances : conditions de présentation du texte et documents annexés ; date de présentation de la loi de financement de l'année et calendrier de discussion devant les deux chambres, etc.
Dans sa décision précitée du 16 juillet 1996, le Conseil constitutionnel a admis que cette loi organique comporte une " restriction du droit d'amendement " : qui ne lui est pas apparue contraire à la Constitution : et impose que tout amendement soit accompagné " des justifications qui en permettent la mise en oeuvre ", selon une disposition reprise de l'article 42 de l'ordonnance organique relative aux lois de finances du 2 janvier 1959.
2. Il ne saurait être contesté par personne que la loi d'orientation et d'incitation relative au temps de travail adoptée par le Parlement ne présente pas les caractéristiques de forme ni de procédure des lois de financement de la sécurité sociale, telles que déterminées par la Constitution et la loi organique du 22 juillet 1996.
La présente loi n'a pas été discutée selon les conditions de délai et de calendrier qu'impose la loi organique du 22 juillet 1996 pour les lois de financement de la sécurité sociale. Elle n'est pas davantage accompagnée des informations et annexes exigées pour cette catégorie de loi. Enfin, à aucun moment du débat, on n'a imaginé d'opposer la réglementation spéciale du droit d'amendement qui figure à l'article LO 111-3-III, alinéas 2 et 3, du code de la sécurité sociale résultant de la loi organique du 22 juillet 1996.
Bref, il ne saurait y avoir de discussion sur ce point : on n'a pas agi en l'espèce selon les canons et dans les formes constitutionnelles et organiques d'une loi de financement de la sécurité sociale.
Or, cette loi comporte des dispositions très importantes, relatives aux aides dont bénéficieraient les entreprises qui s'engageraient conventionnellement dans un processus de réduction du temps de travail avant les échéances de 2000 et de 2002 fixées par l'article 1er de la loi. Notamment, l'article 3-VI indique que l'aide attribuée pour chacun des salariés auxquels s'applique la réduction du temps de travail " vient en déduction du montant global des cotisations à la charge de l'employeur pour la période considérée au titre des assurances sociales, accidents du travail et maladies professionnelles et allocations familiales sur les gains et rémunérations des salariés de l'entreprise ou de l'établissement considéré " ; le même article permet encore, dans certains cas, le cumul de cette aide avec celui d'une exonération totale ou partielle des cotisations patronales de sécurité sociale.
Tout ceci, d'évidence, outre les effets mécaniques de la diminution du temps de travail, est de nature à modifier profondément les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale, et notamment les prévisions de recettes.
3. Un tel bouleversement ne peut pas se faire en dehors des formes et conditions imposées par la Constitution pour les lois de financement de la sécurité sociale qui ont précisément cet objet.
En effet, si la loi constitutionnelle du 22 février 1996 se borne à compléter l'article 34 de la Constitution d'un alinéa disposant - comme on l'a dit : que : " Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ", la loi organique du 22 juillet 1996 est plus précise. Le nouvel article LO 111-3 qu'elle ajoute au code de la sécurité sociale énumère le contenu des lois de financement de la sécurité sociale.
Selon le point I de cet article, la loi de financement de l'année approuve les orientations de la politique de la santé et de la sécurité sociale, et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale ; le Sénat avait jugé cette disposition très en retrait par rapport à la loi constitutionnelle du 22 février 1996 et ne s'est rangé à cette rédaction qu'en seconde lecture. La loi de financement de la sécurité sociale prévoit également, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement (cotisations sociales, impôts et taxes affectés, contributions publiques, transferts de compensation entre les régimes, autres recettes).
Elle fixe par tranche les objectifs de dépenses de l'ensemble des régimes obligatoires de base de plus de 20 000 cotisants (une vingtaine de régimes assurant 99 % des prestations), selon une initiative qui est due à l'Assemblée nationale. La loi de financement de la sécurité sociale fixe encore, pour l'ensemble des régimes obligatoires de base, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie. Enfin, elle fixe les limites des besoins de trésorerie pouvant être couverts par certaines ressources.
Le point III de ce même article LO 111-3 du code de la sécurité sociale ajoute que : " Outre celles prévues au I, les lois de financement de la sécurité sociale ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. "
Ainsi, l'objet de la loi de financement de la sécurité sociale couvre la fixation des objectifs de dépenses et de financement de tous les régimes obligatoires de base comptant plus de 20 000 cotisants ; le Conseil constitutionnel a admis cette limitation, considérant que le seuil de 20 000 cotisants " constitue une des conditions et réserves que pouvait prévoir la loi organique ".
Le Conseil a d'autre part voulu, par une réserve expresse d'interprétation, limiter l'objet de la loi à la seule détermination des conditions de l'équilibre financier de ces régimes et condamner par avance toute espèce de " cavaliers sociaux " qui ne seraient pas directement liés à cet équilibre. Il a ainsi fait savoir que la formule de la loi organique selon laquelle ces lois " ne peuvent comporter " que des dispositions " améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement " ou " affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base " devrait être comprise comme ne concernant, " selon les termes de la Constitution, que les conditions générales de l'équilibre financier " de la sécurité sociale, objet exclusif des lois de financement.
Enfin, dans sa décision du 19 décembre 1996 dans laquelle il examine la conformité à la Constitution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, le Conseil constitutionnel s'est ainsi exprimé à propos de dispositions de la loi relatives à la contribution sociale généralisée (CSG) :
" Considérant que le produit de cette contribution est appelé à concourir de façon significative à l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ; que la détermination de son assiette a une incidence directe sur le volume de ses recettes ; que les règles relatives aux conditions de son recouvrement garantissent l'application effective des règles d'assiette et en sont par là même le complément nécessaire ; que, par suite, les dispositions critiquées sont au nombre de celles qui peuvent figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale " (v texte de la décision in Les Petites Affiches, 27 décembre 1996, p 4).
On doit comprendre que l'objet ainsi défini est un objet qui implique nécessairement sa formulation dans une loi de financement de la sécurité sociale. Quelle serait en effet la portée positive de la loi constitutionnelle du 22 février 1996 si une loi ordinaire pouvait remettre en cause et définir sur de nouvelles bases l'équilibre général de la sécurité sociale que la Constitution réserve désormais à des lois spécifiques, encadrées par un texte organique ?
Or, de toute évidence, en l'espèce, la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail affecte gravement l'équilibre général de la sécurité sociale et elle le fait en dehors des formes et procédures d'une loi de financement de la sécurité sociale. Elle méconnaît ainsi tant les articles 34, avant-dernier alinéa, 39 et 47-1 de la Constitution que la loi organique du 22 juillet 1996 prise en application de ceux-ci.
4. On dispose malheureusement sur ce point de peu de jurisprudence, s'agissant de textes et mécanismes qui ne se sont appliqués que depuis 1997.
Cependant, la question s'est déjà posée de savoir si la loi sur l'épargne retraite, devenue la loi du 26 mars 1997, touchait par son objet ou ses effets aux lois de financement de la sécurité sociale.
La loi en question relative à l'épargne retraite ne traitait pas directement de l'équilibre financier des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ; elle ne comportait pas non plus de dispositions visant à améliorer le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Elle ne constituait donc pas, en elle-même, et à ce titre, une loi de financement de la sécurité sociale au sens de l'article 34 de la Constitution et de la loi organique du 22 juillet 1996 qui la complète.
Mais les sénateurs qui ont saisi le Conseil constitutionnel ont fait valoir que la loi comportait une disposition qui complétait l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale pour exclure les abondements des employeurs aux plans d'épargne retraite de l'assiette des cotisations sociales dues par ceux-ci. Et cette prise en compte des abondements des employeurs se traduisait nécessairement par une perte de recettes pour la sécurité sociale, non compensée par l'Etat ; de la sorte les recettes de la sécurité sociale et donc les conditions de son équilibre financier étaient remises en cause. Or la loi constitutionnelle du 22 février 1996 et la loi organique du 22 juillet 1996 réservent à la seule loi de financement de la sécurité sociale la définition des conditions générales de cet équilibre. Dès ce stade des débats, les sénateurs de l'opposition avaient indiqué leur intention de saisir le Conseil constitutionnel " afin de connaître son sentiment sur ce point " (intervention M Fr. Autain, JO, Débats Sénat, 13 décembre 1996, p 7386, v aussi intervention de M Marc Massion, id. Loc, p 7387).
Ils faisaient aussi valoir que le mécanisme financier d'exonération des abondements patronaux aux fonds de pension favoriserait ce mode d'épargne au détriment des régimes complémentaires existants et du régime général, affectant ainsi de façon quasi organique l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Dans la suite des débats, toujours au Sénat, on a imaginé pouvoir faire l'économie de cette discussion tenue pour sérieuse.
Constatant que la discussion : et le texte dans la rédaction soumise au Sénat : opposait " ceux qui veulent que le problème (du financement du nouveau système de l'épargne retraite) soit réglé en dehors de la sécurité sociale et ceux qui voudraient que soit institué un mécanisme de déduction supplémentaire au risque de concurrencer le régime de sécurité sociale ", M J-P Fourcade, président de la commission des affaires sociales du Sénat, proposait d'amender l'article 26 du projet de loi " pour replacer le dispositif d'exonération des plans d'épargne retraite dans le cadre déjà prévu par le législateur au cinquième alinéa de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale " (JO, Débats Sénat, 13 décembre 1996, p 7388).
Cet amendement, accepté par le rapporteur à titre personnel et par le Gouvernement, a été adopté. Pour le Gouvernement, le ministre délégué au budget a fait valoir que l'amendement proposé avait " pour objet de faire entrer les versements des employeurs à l'épargne retraite dans le droit commun. Ces versements seront ainsi traités comme toutes les contributions des employeurs au financement des prestations de retraite complémentaire " (JO, Débats Sénat, 13 décembre 1996, p 7390). Et encore : " l'abondement de l'employeur aux plans d'épargne retraite a vocation à être exclu de l'assiette des cotisations sociales comme toutes les cotisations de retraite des employeurs à des dispositifs facultatifs ou obligatoires. Cette non-imposition aux cotisations sociales est une condition même de l'abondement par les entreprises, donc de l'émergence et du développement de l'épargne retraite ".
On pouvait estimer que cette référence à une disposition déjà existante du code de la sécurité sociale ne faisait pas disparaître la critique.
Ce qui était en cause en effet, ce n'était pas tant l'importance de ces avantages ou leur plafonnement, c'est qu'ils devaient aller à un produit d'épargne retraite extérieur au régime de sécurité sociale et qu'ils devaient être financés : pour une certaine partie : par une réduction des cotisations qui abondent normalement le régime général de retraite et les régimes complémentaires de la sécurité sociale.
Aussi bien la saisine du Conseil constitutionnel développait-elle, parmi d'autres, ce grief de non-conformité aux dispositions constitutionnelles et organiques relatives aux lois de financement de la sécurité sociale.
Mais le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 mars 1997, n'a pas vidé le débat, se bornant à relever, pour l'essentiel, que l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale comportait déjà un mécanisme d'exonération de cotisations sociales auquel la loi nouvelle ne faisait qu'ajouter, et qu'il ne lui appartenait pas, à l'occasion du vote d'une loi nouvelle, d'apprécier la conformité de la constitution d'une loi déjà votée et promulguée. C'était là l'application d'une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel généralement rattachée à sa décision " état d'urgence en Nouvelle-Calédonie " du 25 janvier 1985.
Le débat mérite d'être repris aujourd'hui. Et on a dit pourquoi : sauf à vider de toute substance les dispositions constitutionnelles et organiques relatives aux lois de financement de la sécurité sociale, on ne saurait admettre que les conditions générales de l'équilibre de celle-ci et la détermination de ses recettes soient remises en cause par une loi ordinaire.
III. : Méconnaissance de la liberté constitutionnelle d'entreprendre et des droits et libertés des employeurs et des salariés
1. Aucune réforme depuis 1958 n'a jamais affecté, comme celle que veut réaliser la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, l'organisation complète de l'entreprise, les rapports collectifs et individuels du travail et sur une échelle aussi importante. Ce sont toutes les entreprises et l'ensemble des salariés qui sont concernés et, au-delà d'une réglementation très contraignante de la durée du travail, de multiples aspects du droit du travail, des conventions collectives et des contrats individuels de travail.
Cela présente sans doute de nombreux inconvénients économiques et risque d'affecter la compétitivité internationale des entreprises françaises, les seules à être ainsi réglementées pour un aspect essentiel de leurs activités, comme encore de favoriser des délocalisations ou d'entraîner des discriminations entre les entreprises de main-d'oeuvre, plus lourdement pénalisées, et les autres. Tout cela doit être pris en compte à l'appui de la discussion juridique que les députés soussignés souhaitent, d'autre part, argumenter.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel a en effet affirmé à plusieurs reprises le caractère constitutionnel de la liberté d'entreprendre et la protection constitutionnelle des " droits et libertés des employeurs ".
La liberté d'entreprendre, qui s'appuie à la fois sur le droit de propriété et sur la liberté du commerce et de l'industrie, a été affirmée par le Conseil constitutionnel pour la première fois dans sa décision " Loi de nationalisation " du 16 janvier 1982 (rec. p 21) dans des termes qui doivent être rappelés.
" Considérant que si, postérieurement à 1789 et jusqu'à nos jours, les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ d'application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations exigées par l'intérêt général, les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l'un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression, qu'en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique ; que la liberté qui, aux termes de l'article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre.
" Considérant que l'appréciation portée par le législateur sur la nécessité des nationalisations décidées par la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ne saurait, en l'absence d'erreur manifeste, être récusée par celui-ci dès lors qu'il n'est pas établi que les transferts de biens et d'entreprises présentement opérés restreindraient le champ de la propriété privée et de la liberté d'entreprendre au point de méconnaître les dispositions précitées de la Déclaration de 1789. "
Par la suite, le Conseil constitutionnel a, à différentes reprises, réaffirmé la valeur constitutionnelle de la liberté d'entreprendre, dont il a aussi indiqué qu'elle n'avait pas un caractère général ni absolu (Cons. constit, 27 juillet 1982, rec. p 48 ; 16 janvier 1986, rec. p 9). Il est ainsi loisible au législateur d'y apporter les limitations exigées par l'intérêt général à condition que celles-ci n'aient pas pour conséquence d'en dénaturer la portée (Cons. constit, 8 janvier 1991, rec. p 11 ; 20 janvier 1993, rec. p 14).
Dans sa décision du 20 juillet 1988 " Loi d'amnistie " (rec. p 119, consid. 25 à 27), le Conseil constitutionnel a également censuré, au nom de la liberté d'entreprendre, des contraintes imposées aux employeurs " qui excéderaient manifestement les sacrifices d'ordre personnel ou d'ordre patrimonial qui peuvent être demandés aux individus dans l'intérêt général " (en l'espèce, certaines obligations, du fait de la loi d'amnistie, de réintégration des travailleurs protégés licenciés).
Enfin, dans sa décision du 16 janvier 1991 (rec. p 20), le Conseil constitutionnel a précisé la portée de la liberté d'entreprendre face à une législation qui affecte les " droits et libertés des employeurs mais qui ne saurait porter atteinte à leur substance ". Examinant le statut et les droits du conseiller du salarié, normalement institués par la loi, le Conseil constitutionnel procède à une analyse très minutieuse de ceux-ci pour vérifier qu'ils ne " créent pas au détriment de l'employeur une rupture de l'égalité de tous devant les charges publiques " et qu'ils ne " portent pas atteinte à la substance des droits et libertés des employeurs ".
On en déduit que, dans le cas où, au contraire, la loi apporterait à ces " droits et libertés des employeurs ", dont la liberté d'entreprendre, des limites telles que leur substance s'en trouverait affectée, cette loi serait jugée contraire à la Constitution.
2. C'est de ces principes et solutions qu'il faut partir pour constater que la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail est critiquable au regard de la liberté constitutionnelle d'entreprendre.
Et il apparaît alors qu'une telle critique peut se développer sur trois plans : la loi affecte la liberté d'entreprendre parce qu'elle oblige l'employeur et les salariés à négocier en préjugeant du résultat de cette négociation et en l'imposant (a) ; parce que, à terme, elle touche à la substance des droits des employeurs en imposant une modification de leurs modes de production consécutive à une baisse autoritaire et très importante de la durée du travail (b) ; et enfin, parce que, à terme et immédiatement, elle affecte les contrats de travail et les salaires en vigueur dans le secteur économique marchand (c) ;
a) L'effet immédiat de la loi est de forcer les employeurs à négocier la durée du travail et cette négociation est faussée par la loi qui en impose elle-même le résultat, sans en fixer les modalités.
Certes, le législateur peut toujours : on l'a dit : procéder par voie de lois incitatives ; mais alors les entreprises et, plus généralement, les partenaires sociaux restent libres d'ouvrir la négociation correspondante et maîtres du résultat de celle-ci. Au contraire, la présente loi impose le résultat de la négociation (la durée hebdomadaire du travail fixée à 35 heures) tout en réservant les modalités (la nouvelle loi à venir annoncée par l'article 9 de la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail et les textes réglementaires qui l'accompagneront). A l'aléa économique, la loi ajoute l'aléa législatif ; et elle dessaisit finalement les entreprises de leur libre pouvoir de négociation (v aussi infra V). On rejoint ici sur le fond la critique déjà tirée du manquement de la loi à l'exigence constitutionnelle de clarté de la législation ;
b) A terme ensuite : c'est-à-dire en 2000 ou 2002 selon les entreprises (art 1er de la présente loi) : la loi réalise une immixtion directe dans les " droits et libertés des employeurs " en imposant une durée de travail réduite par rapport aux besoins des entreprises et aux normes usuelles des autres Etats de la Communauté.
L'objectif avoué du législateur est d'empêcher l'entrepreneur de poursuivre son exploitation sur les bases actuelles pour le contraindre à effectuer le même travail avec un nombre supérieur de salariés, dans des conditions économiques qui sont tellement défavorables qu'une certaine compensation est envisagée. Autrement dit, le législateur impose une répartition en nature des postes à des emplois sans nécessité économique et sans aucun intérêt pour la grande majorité des salariés en place, mais à seule fin de régler un problème social (l'exclusion) dont il a la charge et dont les entreprises ne sont pas responsables ;
c) Enfin, la liberté d'entreprendre et les droits des travailleurs sont affectés parce que la loi, de façon nécessaire, impose une remise en cause des conventions collectives en vigueur, des contrats de travail individuels et des conditions de rémunération.
La loi implique, en effet, en limitant le temps de travail que les employeurs et les salariés redéfinissent l'ensemble de leurs conditions de travail, et notamment de rémunération, sur une durée de travail amputée de presque un mois par an. On est bien en présence d'une atteinte frontale à la liberté d'entreprendre et aux droits des employeurs.
3. Les atteintes portées à ces principes et objectifs de valeur constitutionnelle sont manifestement disproportionnées à ce qu'autoriserait la poursuite de l'objectif constitutionnel de plein emploi, par ailleurs : on l'a dit : affiché avec de moins en moins de conviction par le Gouvernement et plus qu'hypothétique au vu de toutes les expertises économiques indépendantes, nationales et internationales, qui ont pu être faites de la question.
A cela s'ajoute un grief de manquement au principe constitutionnel d'égalité.
IV. : Atteinte au principe constitutionnel d'égalité
L'égalité est méconnue par la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail sous son aspect de l'égalité devant les charges publiques et parce que la loi institue des discriminations injustifiées entre les entreprises et entre les salariés.
1. La rupture de l'égalité devant les charges publiques est caractérisée par le fait que la loi vise à imposer aux seules entreprises du secteur privé ayant une activité de production en France la charge de la lutte contre l'exclusion. Les autres employeurs, entreprises publiques, administrations, ont pourtant une égale vocation à contribuer à la réalisation des objectifs de la loi.
En outre, la charge imposée est d'autant plus importante que la main-d'oeuvre employée par l'entreprise est nombreuse ; et ceci est sans rapport avec l'objet de la loi.
Le principe d'égalité impose au législateur, " pour assurer sa mise en oeuvre (celle de la loi), de fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels " (Cons. constit, 29 décembre 1989, rec. p 229) et, si ce principe " ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général ", il faut que " dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit " (Cons. constit, 1er décembre 1990, rec. p 84) ; 8 janvier 1991, rec. p 11). Ce principe constitutionnel d'égalité, de caractère général, trouve un fondement direct dans la Déclaration des droits de l'homme de 1789 sous sa forme de l'égalité devant les charges publiques.
On ne peut que renvoyer ici aux décisions du Conseil constitutionnel citées au point III ci-dessus, dont on constatera qu'elles réservent toutes, à côté de la liberté d'entreprendre, la nécessaire égalité devant les charges publiques. Ainsi, la décision déjà citée du 16 janvier 1991 (rec. p 20) vérifie que la loi déférée " ne créée pas au détriment de l'employeur une rupture de l'égalité de tous devant les charges publiques " (consid. n° 9).
En l'espèce, la violation du principe d'égalité devant les charges publiques est caractérisée. La réglementation nouvelle va pénaliser essentiellement les entreprises utilisatrices de main-d'oeuvre. Des milliers de réductions d'horaires assorties de certaines augmentations de salaires pèseront beaucoup plus sur une entreprise manufacturière que sur une société financière ayant le même budget.
L'objet de la loi étant finalement de redistribuer les emplois, au lieu de redistribuer la richesse nationale, le législateur doit évidemment veiller à une répartition harmonieuse de cette charge nouvelle. Or la loi tend au contraire à exempter de cette charge les entreprises les moins utilisatrices de main-d'oeuvre.
Vainement objecterait-on que les accords de branche qui sont prévus devraient permettre de moduler les effets de la loi dans les différentes catégories d'entreprises. Ces accords de branche consacreront en fait la faculté pour certaines entreprises de passer au régime des 35 heures, sans véritable perte de productivité, mais ils n'auront ni pour objet ni pour effet de répartir la charge des embauches supplémentaires dans les entreprises qui ne peuvent s'en passer. D'autre part, et de toute façon, le législateur ne peut abandonner l'égale répartition des charges publiques à la discrétion des partenaires sociaux.
2. Par ailleurs, il paraît légitime de s'interroger sur le rapport direct avec l'objet de la loi de la différence de traitement opérée par cette dernière entre les personnels cadres et non cadres des entreprises. L'article 3 II, alinéa 3, prévoit en effet que des conditions particulières à la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail s'appliqueront au personnel d'encadrement.
De même, il convient de souligner que la rédaction de l'article 1er de la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail risque d'entraîner de graves effets de seuil et de créer ainsi des inégalités entre entreprises, celles de plus de vingt salariés n'étant pas traitées de la même manière que celles de moins de vingt salariés.
3. Enfin, la présente loi crée une inégalité entre les salariés ayant la rémunération la plus faible, c'est-à-dire rémunérés au niveau du SMIC.
En effet, la réduction impérative du temps de travail prévu par l'article 1er ne peut être mise en oeuvre sans régler l'importante question de sa compensation salariale.
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité l'a expressément reconnu, lors des débats à l'Assemblée nationale (JO, Débats AN, 27 janvier 1998, p 581), en précisant :
" Quant au SMIC, il n'est pas question de définir strictement dans le détail les décisions qui seront prises, car celles-ci font l'objet d'une concertation approfondie avec les organisations patronales et syndicales.
" Mais afin d'éclairer pleinement le débat et les négociateurs, je me dois d'exprimer les principes qui seront les nôtres. Le salarié payé au SMIC, dont l'horaire hebdomadaire passe de 39 à 35 heures, doit bien sûr garder intact son salaire aujourd'hui et pour demain.
" En même temps, il n'apparaît pas non plus opportun que la rémunération d'un salarié restant à 39 heures et payé au SMIC s'accroisse automatiquement de 11,4 % auxquels il faudrait naturellement ajouter la rémunération des heures supplémentaires.
" Cela nous oriente vers la définition, parallèlement au SMIC horaire qui resterait en l'état, d'une rémunération mensuelle minimale dont le niveau serait fixé de telle sorte que le premier principe que j'ai rappelé, pour les smicards, soit respecté.
" Il nous faudra, bien sûr, débattre des modalités d'indexation de ce nouvel indice de même que des effets de celui-ci sur les salaires de ceux qui travaillent à temps partiel. C'est l'objet d'un travail approfondi qui se poursuivra dans les jours qui viennent dans le cadre naturel de la Commission nationale de la négociation collective.
" Il me semble que, sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres, c'est aux organisations patronales et syndicales de nous donner leur avis et de nous dire comment elles entendent faire dans les conventions collectives. "
Il devrait donc en résulter qu'un salarié payé au SMIC dont l'horaire hebdomadaire aura été réduit de 39 à 35 heures sera toujours payé 6 663,67 F (soit une majoration de son salaire horaire de 11,46 %), en application de la " rémunération mensuelle minimale ".
Il en résulte également qu'un salarié restant à 39 heures, dès lors que le SMIC horaire resterait en l'état, serait payé 6 663,67 F (39 heures x 39,43 F), somme qu'il conviendrait de compléter par la majoration des quatres heures supplémentaires qu'il effectue entre 35 et 39 heures dont le taux, selon l'exposé des motifs de la loi, sera au maximum de 25 %. Ce salarié travaillant 39 heures sera donc payé 40 heures et son salaire mensuel progressera de 2,56 % pour atteindre 6 834,26 F.
En conséquence, l'article 1er aboutira, de l'avis même du Gouvernement, à faire coexister au sein d'une même entreprise, des salariés effectuant 35 heures payées 39 heures et des salariés effectuant 39 heures payées 40 heures.
De plus, le salarié embauché à 35 heures, après l'entrée en vigueur de la présente loi, devrait ne percevoir en toute logique comme rémunération que 35 fois le SMIC horaire, alors qu'un salarié plus ancien dans la même entreprise conservera pour 35 heures travaillées l'actuelle rémunération mensuelle minimale calculée sur la base de 39 heures et donc, de toute évidence, une rémunération plus élevée. Il y a donc rupture de l'égalité entre des salariés placés dans la même situation.
V : Violation du droit constitutionnel
à la négociation collective des partenaires sociaux
1. Dans une décision du 6 novembre 1996 (n° 96-383 DC) sur la loi relative à l'information et à la consultation des salariés (rec.
p 128), confirmée par sa décision du 20 mars 1997 (n° 97-388 DC), le Conseil constitutionnel a fait application du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, selon lequel " tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ", pour en déduire que les organisations syndicales ont une " vocation naturelle à assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts des travailleurs " ; la décision de 1997 vise de même " une concertation appropriée entre les employeurs et les salariés ou leurs organisations représentatives ".
2. On constatera qu'avec la présente loi, si les partenaires sociaux sont invités à négocier pour anticiper le passage aux 35 heures, le fond de la réforme est déjà arrêté ou le sera, également par voie unilatérale, par la loi prévue pour 1999. Ce travail législatif lui-même n'a pas été précédé d'une concertation des partenaires sociaux, contrairement à la précédente réforme de 1982 ; et s'il est exact que notamment les représentants du personnel salariés n'ont pas le monopole de la représentation de celui-ci, on peut se demander si le droit constitutionnel de participation déduit du Préambule de la Constitution de 1946 n'a pas été méconnu en l'espèce.
Pour toutes ces raisons, les députés soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel l'ensemble des dispositions de la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, telle que votée en dernière lecture par l'Assemblée nationale. Le texte adopté est en effet contraire à certains des droits et garanties les plus fondamentaux inscrits dans la Constitution.