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29/07/1998 | FRANCE | N°98-403

France | France, Conseil constitutionnel, 29 juillet 1998, 98-403


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 9 juillet 1998, par MM Jean-Louis Debré, José Rossi, Philippe Séguin, Patrick Devedjian, Jean-Claude Abrioux, Bernard Accoyer, Mme Michèle-Alliot-Marie, MM René André, André Angot, Philippe Auberger, Jean Auclair, Mme Martine Aurillac, MM Jean Bardet, Jean Besson, Michel Bouvard, Philippe Briand, Christian Cabal, Gilles Carrez, Mme Nicole Catala, MM Richard Cazenave, Henry Chabert, Jean-Paul Charié, Jean-Marc Chavanne, François Cornut-Gentille, Charles Cova, Henri Cuq, Lucien Degauchy, Arthur Dehaine, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Y

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Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 9 juillet 1998, par MM Jean-Louis Debré, José Rossi, Philippe Séguin, Patrick Devedjian, Jean-Claude Abrioux, Bernard Accoyer, Mme Michèle-Alliot-Marie, MM René André, André Angot, Philippe Auberger, Jean Auclair, Mme Martine Aurillac, MM Jean Bardet, Jean Besson, Michel Bouvard, Philippe Briand, Christian Cabal, Gilles Carrez, Mme Nicole Catala, MM Richard Cazenave, Henry Chabert, Jean-Paul Charié, Jean-Marc Chavanne, François Cornut-Gentille, Charles Cova, Henri Cuq, Lucien Degauchy, Arthur Dehaine, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Yves Deniaud, Eric Doligé, Jean-Michel Dubernard, Jean-Pierre Dupont, Nicolas Dupont-Aignan, Christian Estrosi, Pierre Frogier, Robert Galley, René Galy-Dejean, Henri de Gastines, Hervé Gaymard, Jacques Godfrain, Jean-Claude Guibal, François Guillaume, Gérard Hamel, Michel Hunault, Christian Jacob, Didier Julia, Robert Lamy, Pierre Lasbordes, Pierre Lellouche, Jacques Limouzy, Lionnel Luca, Thierry Mariani, Alain Marleix, Gilbert Meyer, Jean-Claude Mignon, Renaud Muselier, Jacques Myard, Patrick Ollier, Mme Françoise de Panafieu, MM Dominique Perben, Etienne Pinte, Serge Poignant, Bernard Pons, Robert Poujade, Didier Quentin, André Schneider, Bernard Schreiner, Frantz Taittinger, Georges Tron, Jean Ueberschlag, Léon Vachet, Roland Vuillaume, Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, MM François d'Aubert, Dominique Bussereau, Pierre Cardo, Laurent Dominati, Nicolas Forissier, Gilbert Gantier, Claude Gatignol, Claude Goasguen, François Goulard, Philippe Houillon, Marc Laffineur, Pierre Lequiller, Alain Madelin, Alain Moyne-Bressand, Bernard Perrut, Jean Proriol, Jean Roatta, Guy Teissier, Mme Marie-Thérèse Boisseau, MM Charles de Courson, Claude Gaillard et Arthur Paecht, le 10 juillet 1998, par M Francis Delattre, le 15 juillet 1998, par M Jean-Claude Lenoir, le 16 juillet 1998, par Mme Sylvia Bassot et M Charles Ehrmann, le 17 juillet 1998, par M Jean Rigaud, le 21 juillet 1998, par MM Roland Blum et Jean-François Mattei, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution de la conformité à celle-ci de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu l'ordonnance n° 45-2394 du 11 octobre 1945 instituant des mesures exceptionnelles et temporaires en vue de remédier à la crise du logement ;
Vu le code civil ;
Vu le code de la construction et de l'habitation ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de procédure civile (ancien) ;
Vu le code rural ;
Vu la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 modifiée tendant à améliorer les rapports locatifs ;
Vu la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les auteurs de la saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution les articles 51, 52, 107, 119 et 152 de la loi déférée ;
- SUR LES NORMES DE CONSTITUTIONNALITE APPLICABLES AU CONTROLE DES ARTICLES 51, 52 et 107 :
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : " La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement " ; qu'aux termes du onzième alinéa de ce Préambule, la nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence " ;
3. Considérant qu'il ressort également du Préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ;
4. Considérant qu'il résulte de ces principes que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ;
5. Considérant, d'autre part, que l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 proclame : " Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression " ; que l'article 17 de la même Déclaration proclame également : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment et sous la condition d'une juste et préalable indemnité " ;
6. Considérant, en outre, qu'aux termes du seizième alinéa de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux " du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ; " ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, s'il appartient au législateur de mettre en oeuvre l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent, et s'il lui est loisible, à cette fin, d'apporter au droit de propriété les limitations qu'il estime nécessaires, c'est à la condition que celles-ci n'aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en soient dénaturés ; que doit aussi être sauvegardée la liberté individuelle ;
8. Considérant que l'égalité devant la loi est une exigence de valeur constitutionnelle ; qu'en particulier, aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés " ; que, cependant, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que, si le principe énoncé à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'interdit pas au législateur de faire supporter à certaines catégories de personnes des charges particulières, en vue notamment d'améliorer les conditions de vie d'autres catégories de personnes, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
9. Considérant, enfin, qu'aux termes du sixième alinéa de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant " l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature... " ; qu'il appartient au législateur, lorsqu'il établit une imposition, d'en déterminer librement l'assiette, sous la réserve des principes et des règles de valeur constitutionnelle ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels ;
- SUR L'ARTICLE 51 :
10. Considérant que l'article 51 insère dans le code général des impôts un article 232 qui comporte huit paragraphes ;
11. Considérant que le I institue à compter du 1er janvier 1999 une taxe annuelle sur les logements vacants dans les communes dont la liste sera fixée par décret et qui appartiennent à des zones d'urbanisation continue de plus de deux cent mille habitants où existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements ; que le II rend exigible le paiement de la taxe pour les logements vacants depuis au moins deux années consécutives à l'exception de ceux détenus par les organismes d'habitations à loyer modéré et les sociétés d'économie mixte et destinés à être attribués sous conditions de ressources ; que le III détermine la personne redevable de la taxe ; que le IV en définit l'assiette et le taux ; que le V exclut du champ d'application de la taxe les logements dont la durée d'occupation est supérieure à trente jours consécutifs au cours de chacune des deux années de la période de référence définie au II ; que le VI dispose que la taxe n'est pas due en cas de vacance indépendante de la volonté du contribuable ; que le VII prévoit que le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions de la taxe sont régis comme en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties ; que le VIII affecte le produit net de la taxe à l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat ;
12. Considérant que les requérants soutiennent, en premier lieu, qu'en instituant ladite taxe, le législateur n'aurait pas épuisé l'intégralité de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ; que le champ d'application de la taxe serait en effet imprécis ; que les notions de " vacance " et de " vacance indépendante de la volonté du contribuable ", ainsi que les règles de recouvrement de la taxe, auraient dû être définies par la loi ; qu'ils alléguent, en deuxième lieu, une méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques entre les bailleurs privés et publics et, parmi les bailleurs privés, entre les sociétés d'économie mixte de logement social et les autres propriétaires ; qu'ils font grief, en troisième lieu, à la taxe de contrevenir au principe d'universalité budgétaire énoncé à l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
13. Considérant, en premier lieu, qu'en prévoyant qu'un décret fixera la liste des communes où la taxe sera instituée, le législateur a pris soin de préciser les critères qui s'imposeront au pouvoir réglementaire ; qu'en effet, ces communes devront appartenir " à des zones d'urbanisation continue de plus de deux cent mille habitants où existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, au détriment des personnes à revenus modestes et des personnes défavorisées, qui se concrétise par le nombre élevé de demandeurs de logement par rapport au parc locatif et la proportion anormalement élevée de logements vacants par rapport au parc immobilier existant " ; qu'en disposant en outre que la taxe sera " due pour chaque logement vacant depuis au moins deux années consécutives, au 1er janvier de l'année d'imposition ", mais ne le sera pas " en cas de vacance indépendante de la volonté du contribuable ", le législateur a, conformément au sixième alinéa de l'article 34 de la Constitution, fixé des règles d'assiette de la nouvelle contribution créée par la loi ; qu'enfin, en prévoyant que " le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions de la taxe sont régis comme en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties ", il a déterminé les règles de recouvrement de ladite taxe ; que, dès lors, les griefs tirés de ce que le législateur n'aurait pas épuisé sa compétence sont infondés ;
14. Considérant, en deuxième lieu, que manque en fait le moyen tiré d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques entre bailleurs publics et bailleurs privés, aucune disposition de la loi n'établissant entre eux de distinction en ce qui concerne leur assujettissement ; que l'exonération prévue en faveur des organismes d'habitations à loyer modéré et des sociétés d'économie mixte pour les logements qu'ils détiennent et qui sont destinés à être attribués sous conditions de ressources est justifiée par la différence de situation entre, d'une part, ces organismes et sociétés et, d'autre part, les autres bailleurs publics et privés ; qu'en effet, l'affectation des logements en cause fait l'objet d'un contrôle particulier de la part des pouvoirs publics, renforcé au demeurant par les dispositions de la section 3 du chapitre II du titre 1er de la loi déférée, et que la vacance temporaire de certains de ces logements trouve son fondement dans la mise en oeuvre de politiques spécifiques, liées notamment à des opérations d'urbanisme ou à la recherche de la " mixité sociale des villes et des quartiers " ; que, dès lors, le moyen invoqué doit être rejeté ;
15. Considérant, en troisième lieu, que l'article 51 affecte le produit net de la taxe, qui entre dans la catégorie des impositions de toute nature visées à l'article 34 de la Constitution, à l'Agence nationale d'amélioration de l'habitat, qui constitue un établissement public ; qu'aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle n'interdit d'affecter le produit d'une imposition à un établissement public ; que, par suite, la taxe a le caractère de ressource d'un établissement public et, comme telle, n'est pas soumise aux prescriptions de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 susvisée qui s'appliquent aux seules recettes de l'État ; que le grief allégué doit, dès lors, être rejeté ;
16. Considérant, toutefois, que l'objet de la taxation instituée par les dispositions critiquées est d'inciter les personnes mentionnées au III de l'article 51 à mettre en location des logements susceptibles d'être loués ; qu'il résulte des principes constitutionnels ci-dessus énoncés que la différence de traitement fiscal instaurée par cet article entre ces personnes n'est conforme à la Constitution que si les critères d'assujettissement retenus pour l'application du même article sont en rapport direct avec cet objet ; que ladite taxation ne peut dès lors frapper que des logements habitables, vacants et dont la vacance tient à la seule volonté de leur détenteur ;
17. Considérant, sur le premier point, que ne sauraient être assujettis des logements qui ne pourraient être rendus habitables qu'au prix de travaux importants et dont la charge incomberait nécessairement à leur détenteur ;
18. Considérant, sur le deuxième point, que ne sauraient être regardés comme vacants des logements meublés affectés à l'habitation et, comme tels, assujettis, en vertu du 1° du I de l'article 1407 du code général des impôts, à la taxe d'habitation ;
19. Considérant, sur le troisième point, que ne sauraient être assujettis des logements dont la vacance est imputable à une cause étrangère à la volonté du bailleur, faisant obstacle à leur occupation durable, à titre onéreux ou gratuit, dans des conditions normales d'habitation, ou s'opposant à leur occupation, à titre onéreux, dans des conditions normales de rémunération du bailleur ; qu'ainsi, doivent être notamment exonérés les logements ayant vocation, dans un délai proche, à disparaître ou à faire l'objet de travaux dans le cadre d'opérations d'urbanisme, de réhabilitation ou de démolition, ou les logements mis en location ou en vente au prix du marché et ne trouvant pas preneur ;
20. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sous ces réserves, l'article 51 est conforme à la Constitution ;
- SUR L'ARTICLE 52 :
21. Considérant que cet article a pour objet de créer une nouvelle procédure de réquisition de locaux destinés au logement dite " réquisition avec attributaire " ; qu'il insère dans le titre IV du livre VI du code de la construction et de l'habitation un chapitre II comprenant les articles L. 642-1 à L. 642-28 ;
22. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 642-1 : " Afin de garantir le droit au logement, le représentant de l'État dans le département peut réquisitionner, pour une durée d'un an au moins et de six ans au plus, des locaux sur lesquels une personne morale est titulaire d'un droit réel conférant l'usage de ces locaux et qui sont vacants depuis plus de dix-huit mois, dans les communes où existent d'importants déséquilibres entre l'offre et la demande de logement au détriment de personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées " ; que le même article prévoit que la réquisition donne la jouissance de ces locaux à un attributaire, à charge pour lui de les donner à bail à des personnes bénéficiaires, lesquelles, en vertu de l'article L. 642-5, doivent justifier de ressources inférieures à un plafond fixé par décret et être désignées par le représentant de l'État dans le département en raison de leurs mauvaises conditions de logement ; que l'attributaire de la réquisition qui, aux termes de l'article L. 642-3, peut être l'État, une collectivité territoriale, un organisme d'habitations à loyer modéré, une société d'économie mixte dont l'objet est de construire ou de donner à bail des logements ou " un organisme dont l'un des objets est de contribuer au logement des personnes défavorisées et agréé à cette fin par le représentant de l'État dans le département ", se voit reconnaître par l'article L. 642-1 le droit, après avoir informé le titulaire du droit d'usage de la nature des travaux et de leur délai d'exécution, de " réaliser des travaux, payés par lui, de mise aux normes minimales de confort et d'habitabilité " ; qu'il est précisé que, lorsque l'importance de ces travaux le justifie, " la durée de la réquisition peut être supérieure à six ans, dans la limite de douze ans ", étant entendu que " le titulaire du droit d'usage peut exercer un droit de reprise après neuf ans " ; qu'enfin, " les locaux régulièrement affectés à un usage autre que l'habitation peuvent, à l'expiration de la réquisition, retrouver leur affectation antérieure sur simple déclaration " ;
23. Considérant que la nouvelle procédure de réquisition est décrite aux articles L. 642-7 à L. 642-13 du code de la construction et de l'habitation ; que pouvoir est notamment donné au représentant de l'État dans le département, afin de rechercher toutes informations utiles sur les locaux vacants, de nommer des agents assermentés, habilités à " consulter les fichiers des organismes chargés de la distribution de l'eau, du gaz, de l'électricité et du téléphone, ainsi que les fichiers tenus par les professionnels de l'immobilier " ; que ces agents sont aussi habilités à visiter, accompagnés le cas échéant d'experts, les locaux susceptibles d'être réquisitionnés ; qu'il est également prévu que " les services fiscaux fournissent au représentant de l'État dans le département les informations nominatives dont ils disposent sur la vacance " ; que la mise en oeuvre de la réquisition par le représentant de l'État est subordonnée au respect d'une procédure contradictoire décrite aux articles L. 642-9 à L. 642-13 ;
24. Considérant que les articles L. 642-14 à L. 642-20 traitent des relations entre le titulaire du droit d'usage des locaux et l'attributaire de la réquisition ; qu'ils prévoient notamment que sont applicables à ces relations les dispositions des sections 1 et 2 du chapitre II du titre VIII du livre III du code civil, relatives au louage de choses, et qu'" à compter de la prise de possession des locaux, l'attributaire verse mensuellement une indemnité au titulaire du droit d'usage " ; que cette indemnité " est égale au loyer défini à l'article L. 642-23, déduction faite de l'amortissement du montant des travaux nécessaires et payés par lui pour satisfaire aux normes minimales de confort et d'habitabilité, et des frais de gestion des locaux ", étant entendu qu'au cas où " le montant de l'amortissement des travaux et des frais de gestion est supérieur au loyer défini à l'article L. 642-23, aucune somme ne peut être perçue auprès du titulaire du droit d'usage ";
25. Considérant que les relations entre l'attributaire et le bénéficiaire sont décrites par les articles L. 642-21 et L. 642-27 ; qu'il est notamment prévu que le bail conclu entre l'attributaire et le bénéficiaire est régi par la loi susvisée du 6 juillet 1989 et que le loyer versé par le bénéficiaire est déterminé en fonction du prix de base au mètre carré de surface habitable, fixé par décret ;
26. Considérant enfin que l'article L. 642-28 prévoit les dispositions pénales applicables ;
27. Considérant que les députés requérants soutiennent, en premier lieu, que l'article 52 serait entaché d'incompétence négative ; qu'à cet égard, ni le champ d'application de la nouvelle procédure de réquisition, ni les voies de recours juridictionnelles ouvertes au propriétaire du bien pour contester la réquisition ne seraient décrites avec la précision nécessaire ; qu'ils soutiennent, en deuxième lieu, que l'article 52 organise un " quasi-transfert du droit de propriété au bénéfice de l'attributaire ", puisque la durée de la réquisition peut être portée à douze ans, le titulaire du droit d'usage ne pouvant exercer son droit de reprise qu'après neuf ans de réquisition ; qu'en outre, l'indemnité versée par l'attributaire sera amputée des sommes correspondant à l'amortissement des travaux, " ce qui fait peser sur le titulaire du droit d'usage le coût de la remise aux normes de son bien alors qu'il ne peut en disposer " ; que les requérants soutiennent, en troisième lieu, que l'article 52 porte atteinte à la liberté individuelle " sous ses aspects du droit à la vie privée et de l'inviolabilité du domicile ", en raison de la large consultation de fichiers confidentiels qu'il autorise, de la possibilité ouverte au préfet de se faire communiquer des informations nominatives par l'administration fiscale et parce que la procédure de visite des locaux susceptibles d'être réquisitionnés n'est pas conforme aux exigences constitutionnelles et, notamment, n'est pas placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire ; qu'ils font enfin grief à l'article 52 de porter atteinte au principe d'égalité en raison de la coexistence de deux procédures de réquisition ayant un objectif identique et cependant " fondées sur des critères différents " ;
. En ce qui concerne le grief tiré de l'incompétence négative du législateur :
28. Considérant, en premier lieu, qu'en précisant que la nouvelle procédure de réquisition a vocation à s'appliquer " dans les communes où existent d'importants déséquilibres entre l'offre et la demande de logements au détriment de personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées ", au bénéfice de " personnes justifiant de ressources inférieures à un plafond fixé par décret et désignées par le représentant de l'État dans le département en raison de leurs mauvaises conditions de logement ", la loi déférée a défini de façon suffisamment précise tant les zones dans lesquelles pourra être mise en oeuvre la nouvelle procédure de réquisition que les personnes susceptibles d'en bénéficier ;
29. Considérant, en second lieu, que l'article L. 642-19 donne compétence au juge judiciaire pour connaître des relations entre le titulaire du droit d'usage des locaux réquisitionnés et l'attributaire de la réquisition ; qu'aux termes de l'article L. 642-16 : " Le juge judiciaire fixe, le cas échéant, l'indemnisation par l'État du préjudice matériel, direct et certain, causé par la mise en oeuvre de la réquisition " ; que, par ailleurs, l'arrêté de réquisition pourra être déféré à la juridiction administrative, compétente pour en connaître en vertu du principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice de prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle ;
30. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que manque en fait le moyen tiré de ce que le législateur aurait méconnu sa propre compétence tant dans la définition du champ d'application de la nouvelle procédure de réquisition que dans celle des voies de recours juridictionnelles ouvertes au titulaire du droit d'usage pour la contester ;
. En ce qui concerne les griefs tirés de la violation du droit de propriété et du principe d'égalité :
31. Considérant que, si la mise en oeuvre de la procédure de réquisition prévue par la disposition contestée n'emporte pas, par elle-même, contrairement à ce que soutiennent les requérants, privation du droit de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elle limite néanmoins, pour une période de temps déterminée, le droit d'usage des locaux réquisitionnés ; qu'une telle limitation, alors même qu'elle répond à un objectif de valeur constitutionnelle, ne saurait revêtir un caractère de gravité tel qu'elle dénature le sens et la portée du droit de propriété ;
32. Considérant, en premier lieu, qu'en ce qui concerne le droit de propriété, la disposition contestée confère au titulaire du droit d'usage des garanties de procédure et de fond ; que les garanties de procédure sont énumérées aux articles L. 642-9 à L. 642-13 ; qu'en vertu de l'article L. 642-9, le représentant de l'État dans le département notifie au titulaire du droit d'usage des locaux son intention de procéder à la réquisition, ainsi que les motifs et la durée de la réquisition envisagée ; que, selon l'article L. 642-10, le titulaire du droit d'usage dispose de deux mois, à compter de cette notification, pour faire connaître son opposition ; que faculté lui est laissée de mettre fin par ses propres moyens à la vacance, le cas échéant en procédant lui-même aux travaux nécessaires ; que, dans l'hypothèse inverse, ainsi que le prévoit l'article L. 642-11, le représentant de l'État, s'il n'abandonne pas la procédure, notifie au titulaire du droit d'usage un arrêté de réquisition motivé désignant l'attributaire et indiquant la durée de la réquisition, laquelle ne peut excéder celle mentionnée dans la notification visée à l'article L. 642-9 ; que, comme il a été dit, cet arrêté de réquisition peut être déféré au juge de l'excès de pouvoir ; que, s'agissant des garanties de fond, l'article L. 642-14 renvoyant aux dispositions précitées du code civil relatives au louage de choses, l'attributaire sera tenu à l'égard du titulaire du droit d'usage, en application de l'article 1735 du code civil, des dégradations et pertes arrivées par le fait du bénéficiaire ; qu'un droit de reprise pourra être exercé dans les conditions prévues aux articles L. 642-6 et L. 642-18 ; que la réquisition ne fait pas obstacle à l'aliénation des locaux requis ; qu'enfin, les locaux régulièrement affectés à un usage autre que l'habitation peuvent, en vertu du dernier alinéa de l'article L. 642-1, à l'expiration de la réquisition, retrouver leur affectation antérieure sur simple déclaration ; que, toutefois, les dispositions de l'article L. 642-27 ne sauraient être comprises comme conférant au bénéficiaire un titre d'occupation à l'expiration de la durée de la réquisition, au cas où le représentant de l'État dans le département ne lui aurait pas proposé un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités ; que, sous cette réserve, les dispositions de l'article 52 ne portent pas au droit de propriété une atteinte contraire à la Constitution ;
33. Considérant, en second lieu, que le respect du principe d'égalité devant les charges publiques ne saurait permettre d'exclure du droit à réparation un élément quelconque du préjudice indemnisable résultant de la mise en oeuvre de la procédure de réquisition ; qu'il suit de là qu'au cas où l'indemnité prévue à l'article L. 642-15 ne suffirait pas à couvrir l'intégralité du préjudice subi par le titulaire du droit d'usage, l'article L. 642-16 doit être interprété comme permettant au juge judiciaire de lui allouer une indemnité complémentaire ; qu'en particulier, pourra être pris en compte le coût des travaux, indirectement assumé par le titulaire du droit d'usage, qui n'auront pas contribué à la valorisation de son bien lorsqu'il en retrouvera l'usage ; qu'il pourra en être de même des frais de remise des lieux dans leur état initial lorsque l'intéressé souhaitera leur restituer leur affectation première ; que, sous cette réserve, l'article 52 ne méconnaît pas le principe d'égalité devant les charges publiques ;
34. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sous ces réserves d'interprétation, l'article 52 de la loi ne méconnaît ni le droit de propriété, ni le principe d'égalité devant les charges publiques ;
35. Considérant, par ailleurs, qu'est inopérant au regard du principe d'égalité le moyen tiré de ce qu'existe déjà une procédure de réquisition de locaux trouvant son origine dans l'ordonnance susvisée du 11 octobre 1945 et codifiée aux articles L. 641-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation ;
. En ce qui concerne le grief tiré des atteintes portées au droit à la vie privée et à l'inviolabilité du domicile :
36. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte tant des termes de la loi que de son objet que la consultation des fichiers des organismes chargés de la distribution de l'eau, du gaz, de l'électricité et du téléphone, ainsi que des fichiers tenus par les professionnels de l'immobilier, est limitée aux renseignements nécessaires à la recherche des locaux vacants depuis plus de dix-huit mois et à l'identification du titulaire du droit d'usage sur ces locaux ; que les agents habilités à consulter ces fichiers seront assermentés et astreints aux règles concernant le secret professionnel ; que, compte tenu de ces garanties, la disposition critiquée ne met en cause aucun principe ni aucune règle de valeur constitutionnelle ; qu'il en va de même de la communication au représentant de l'État par les agents des services fiscaux, lesquels sont également astreints au secret professionnel, des informations nominatives dont ils disposent sur la vacance ;
37. Considérant, en second lieu, qu'à l'effet de mettre en oeuvre l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent, le législateur a pu autoriser les mêmes agents assermentés à visiter les locaux susceptibles d'être réquisitionnés ; que le titulaire du droit d'usage sur ces locaux, qui sont, par hypothèse, vacants, ne peut être qu'une personne morale, le législateur ayant en outre expressément exclu du champ d'application du texte les locaux détenus par des sociétés civiles à caractère familial ; qu'au cas où le titulaire du droit d'usage s'opposerait à une telle visite, l'autorisation du juge judiciaire est expressément exigée par la disposition contestée ; que, dans ces conditions, cette disposition ne porte pas atteinte à l'inviolabilité du domicile ni à aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle ;
- SUR L'ARTICLE 107 :
38. Considérant que le I de l'article 107 de la loi abroge le dernier alinéa de l'article 706 de l'ancien code de procédure civile ; que le II de l'article 107 insère un article 706-1 dans le même code ; qu'il résulte de cette disposition que si, après la réévaluation du montant de la mise à prix du logement principal du débiteur faite par le tribunal, conformément aux dispositions de l'article 690 du code précité, il n'y a pas d'enchère, le créancier poursuivant est déclaré adjudicataire au montant de la mise à prix ainsi déterminé ; qu'à sa demande, le bien est de droit remis en vente au prix judiciairement fixé ; qu'à la nouvelle audience d'adjudication, il est procédé à la remise en vente sans que le créancier ait à réitérer sa demande sous réserve d'une déclaration expresse d'abandon des poursuites ; qu'enfin, à défaut d'enchère lors de cette audience d'adjudication, le bien est adjugé d'office au créancier poursuivant au prix précédemment fixé par le tribunal ;
39. Considérant que les députés auteurs de la requête soutiennent que " la création d'une telle obligation sans contrepartie financière porte manifestement atteinte au droit de propriété " ; qu'ils estiment qu'en faisant peser sur le créancier poursuivant une obligation de rachat d'un bien à un prix qu'il n'a pas lui-même fixé, afin de répondre à un objectif de solidarité nationale, la lutte contre l'exclusion, et en ne prévoyant aucun mécanisme d'indemnisation du créancier, le législateur a méconnu le principe de l'égalité devant les charges publiques ;
40. Considérant que la mise en oeuvre du dispositif prévu par l'article 107 peut contraindre le créancier poursuivant à devenir propriétaire d'un bien immobilier sans qu'il ait entendu acquérir ce bien au prix fixé par le juge ; qu'un tel transfert de propriété est contraire au principe du libre consentement qui doit présider à l'acquisition de la propriété, indissociable de l'exercice du droit de disposer librement de son patrimoine ; que ce dernier est lui-même un attribut essentiel du droit de propriété ; que la possibilité pour le créancier poursuivant d'abandonner les poursuites avant l'audience de renvoi, en application du troisième alinéa de l'article 706-1, ne saurait être assimilée à une décision de ne pas acquérir celui-ci, l'intention ainsi exprimée par le créancier de ne pas s'obliger procédant non de son libre consentement mais de la contrainte d'éléments aléatoires ; que l'abandon des poursuites par le créancier est en outre de nature à faire obstacle au recouvrement de sa créance ; qu'en conséquence et nonobstant, d'une part, la possibilité pour le créancier poursuivant déclaré adjudicataire d'office de se faire substituer, dans les deux mois de l'adjudication, toute personne remplissant les conditions pour enchérir, prévue par les dispositions de l'article 109 de la loi déférée, et, d'autre part, la possibilité pour toute personne de faire une surenchère en application des dispositions procédurales de droit commun, de telles limitations apportées à l'exercice du droit de propriété revêtent un caractère de gravité tel que l'atteinte qui en résulte dénature le sens et la portée de ce droit ;
41. Considérant, au surplus, qu'au cas où le créancier devrait revendre ce bien à la suite de l'acquisition à laquelle il a été contraint et où, en raison de la situation du marché immobilier, la valeur de revente serait inférieure à la valeur fixée par le juge, il subirait une diminution de son patrimoine assimilable à une privation de propriété, sans qu'aucune nécessité publique ne l'exige évidemment et sans possibilité d'indemnisation ;
42. Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, pour le Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution le II de l'article 107 de la loi déférée ;
43. Considérant que le I de l'article 107, qui a pour objet d'abroger le dernier alinéa de l'article 706 de l'ancien code de procédure civile, l'article 109, qui introduit un article 706-2 dans le même code, ainsi que l'article 110, qui modifie l'article 716 dudit code, sont indissociables du II de l'article 107 ; que, dès lors, les articles 107, 109 et 110 de la loi déférée doivent être déclarés contraires à la Constitution ;
- SUR L'ARTICLE 119 :
44. Considérant que l'article 119 crée une section 2, portant dispositions diverses, dans le chapitre III du titre Ier du livre VI du code de la construction et de l'habitation dont l'intitulé devient : " Dispositions particulières applicables en matière d'expulsion " ; que cette section comporte un article L. 613-6 aux termes duquel : " Lorsque le représentant de l'État dans le département accorde le concours de la force publique, il s'assure qu'une offre d'hébergement tenant compte, autant qu'il est possible, de la cellule familiale est proposée aux personnes expulsées. Le défaut de concours de la force publique pour ce motif ne fait pas obstacle au droit pour le bailleur d'obtenir une indemnisation du préjudice subi, conformément à l'article 16 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 précitée " ;
45. Considérant que les requérants font grief à cette disposition de porter atteinte à l'autorité de la chose jugée et, partant, au principe de séparation des pouvoirs, dans la mesure où, en soumettant à " la réalisation préalable d'une démarche administrative tendant à l'hébergement de la personne expulsée " l'octroi du concours de la force publique par le préfet, le législateur méconnaît la force exécutoire des décisions de justice ;
46. Considérant que toute décision de justice a force exécutoire ; qu'ainsi, tout jugement peut donner lieu à une exécution forcée, la force publique devant, si elle y est requise, prêter main-forte à cette exécution ; qu'une telle règle est le corollaire du principe de la séparation des pouvoirs énoncé à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que si, dans des circonstances exceptionnelles tenant à la sauvegarde de l'ordre public, l'autorité administrative peut, sans porter atteinte au principe sus-évoqué, ne pas prêter son concours à l'exécution d'une décision juridictionnelle, le législateur ne saurait subordonner l'octroi de ce concours à l'accomplissement d'une diligence administrative ;
47. Considérant qu'il résulte des termes mêmes de l'article L. 613-6 inséré dans le code de la construction et de l'habitation, et notamment de la deuxième phrase dudit article, que le fait pour le représentant de l'État dans le département de ne pas s'être assuré qu'une offre d'hébergement a été proposée aux personnes expulsées pourrait être un motif spécifique de refus de concours de la force publique à l'exécution d'une décision juridictionnelle émanant du juge judiciaire ; que, s'agissant d'un motif qui ne justifie pas, par lui-même, un refus de ce concours en raison de la nécessité de sauvegarder l'ordre public, le dispositif ainsi institué porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ; que l'article 119 de la loi déférée est donc contraire à la Constitution ;
- SUR L'ARTICLE 152 :
48. Considérant que cet article a pour objet de créer un Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale en remplacement du Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts ;
49. Considérant que les requérants soutiennent que cet article aurait été adopté au terme d'une procédure irrégulière en méconnaissance des règles relatives au droit d'amendement ;
50. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 39, 44 et 45 de la Constitution que le droit d'amendement, qui est le corollaire de l'initiative législative, peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative ; que, toutefois, il ressort de l'économie de l'article 45 que des adjonctions ne sauraient, en principe, être apportées au texte soumis à la délibération des assemblées après la réunion de la commission mixte paritaire ; qu'en effet, s'il en était ainsi, des mesures nouvelles, résultant de telles adjonctions, pourraient être adoptées sans avoir fait l'objet d'un examen lors des lectures antérieures à la réunion de la commission mixte paritaire et, en cas de désaccord entre les assemblées, sans être soumises à la procédure de conciliation confiée par l'article 45 de la Constitution à cette commission ;
51. Considérant que, à la lumière de ce principe, les seuls amendements susceptibles d'être adoptés à ce stade de la procédure doivent soit être en relation directe avec une disposition du texte en discussion, soit être dictés par la nécessité d'assurer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement ; que doivent, en conséquence, être regardées comme adoptées selon une procédure irrégulière les dispositions résultant d'amendements introduits après la réunion de la commission mixte paritaire qui ne remplissent pas l'une ou l'autre de ces conditions ;
52. Considérant que l'article 152 est issu d'un amendement adopté après échec de la commission mixte paritaire ; qu'il est sans relation directe avec aucune des dispositions du texte en discussion ; que son adoption n'est pas davantage justifiée par la nécessité d'une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement ; qu'il y a lieu, en conséquence, de le déclarer contraire à la Constitution comme ayant été adopté au terme d'une procédure irrégulière ;
- SUR LES ARTICLES 17 et 29 :
53. Considérant que l'article 17, qui introduit un objectif d'insertion professionnelle dans la conclusion des marchés publics de travaux, et l'article 29, relatif au repos compensateur pour les salariés agricoles, sont l'un et l'autre issus d'amendements adoptés après échec de la commission mixte paritaire ; qu'ils sont sans relation directe avec aucune des dispositions du texte en discussion ; que leur adoption n'est pas davantage justifiée par la nécessité d'une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement ; qu'il y a lieu, en conséquence, de les déclarer contraires à la Constitution comme ayant été adoptés au terme d'une procédure irrégulière ;
54. Considérant qu'il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution ;

Décide :
Article premier :
Sont déclarés contraires à la Constitution les articles 17, 29, 107, 109, 110, 119 et 152.
Article 2 :
Les articles 51 et 52 sont déclarés conformes à la Constitution, sous les réserves énoncées dans la présente décision.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 juillet 1998 par MM Roland DUMAS, président, Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD, Yves GUÉNA, Alain LANCELOT, Mme Noëlle LENOIR, M Pierre MAZEAUD et Mme Simone VEIL.
Le président,
Roland DUMAS


Synthèse
Numéro de décision : 98-403
Date de la décision : 29/07/1998
Loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions :

La loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions a été définitivement adoptée le 9 juillet 1998. Certains articles de cette loi sont contestés, devant le Conseil constitutionnel, par plus de soixante députés.

Leur recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :

I : Sur la taxe sur les logements vacants

A : L'article 51 de la loi adoptée s'insère dans un ensemble de dispositions tendant à rendre plus effectif le droit au logement, affirmé par la loi du 31 mai 1990. Il s'agit, plus particulièrement, de mobiliser et d'accroître l'offre de logements, en incitant les propriétaires de logements vacants à les mettre en location.

A cette fin, la disposition contestée introduit, dans le code général des impôts, un article 232 tendant à instaurer une taxation des logements vacants depuis plus de deux ans dans les zones urbaines de plus de 200 000 habitants qui connaissent d'importants déséquilibres entre l'offre et la demande de logements.

A l'appui de leurs critiques, les députés, auteurs de la saisine, estiment d'abord que cet article doit être censuré pour " incompétence négative ". Ils considèrent, à cet égard, qu'en s'en tenant à des termes imprécis le législateur a méconnu l'étendue de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution en cette matière. Ils font également grief au nouvel article 232 du code général des impôts de ne pas fixer les règles de recouvrement de la taxe qu'il institue et de ne pas définir les éléments de preuve du caractère involontaire de la vacance.

Les requérants estiment en outre que le régime de cette taxe méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques en exonérant sans justification certains contribuables potentiels.

Ils soutiennent enfin que l'affectation du produit de cette taxe est décidée par la loi en méconnaissance du principe d'universalité budgétaire affirmé par l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances.

B : Pour sa part, le Gouvernement considère que, en adoptant ces dispositions, le Parlement n'a pas méconnu la Constitution.

1. On observera d'abord que certains des moyens invoqués à l'encontre de cet article procèdent d'une lecture erronée de la loi.

Ainsi, le moyen tiré de ce que le nouvel article 232 du code général des impôts ne fixerait pas les règles de recouvrement de la taxe qu'il institue manque en fait : le VII de cet article rend expressément applicables les règles de recouvrement régissant la taxe foncière sur les propriétés bâties.

De même peut-on passer rapidement sur le grief fondé sur l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, qui réserve à la loi de finances la possibilité de procéder à une affectation de recettes.

Cette disposition, qui ne concerne que le budget de l'Etat, ne s'applique pas aux établissements publics (n° 90-285 DC du 28 décembre 1990). Or, en l'espèce, ce n'est pas à l'Etat, mais à l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, c'est-à-dire à un établissement public, que la loi affecte le produit de la taxe en cause. Le grief est donc inopérant.

2. Le Conseil constitutionnel ne pourra non plus accueillir le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution.

a) Sur un plan général, l'argumentation développée par les requérants appelle deux types de remarques.

En premier lieu, il convient de rappeler que le fait qu'une disposition puisse paraître imprécise n'est pas, par lui-même, de nature à affecter sa conformité à la Constitution (n° 82-149 DC du 28 décembre 1982). En droit français, il n'est pas d'usage que les textes normatifs définissent chacun des termes qu'ils emploient : en cas de litige, il appartient aux juridictions chargées d'appliquer la loi de l'interpréter comme l'implique, de manière générale, le principe énoncé par l'article 4 du code civil.

C'est donc seulement dans la mesure où le respect des exigences découlant de l'article 34 est véritablement en cause que l'imprécision de la loi peut être utilement contestée sur un terrain constitutionnel.

En second lieu, on soulignera que la compétence que le législateur tient de cet article pour fixer les règles concernant " l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature " n'implique nullement que le régime applicable à une imposition soit entièrement contenu dans des dispositions législatives (cf par exemple, en matière de taux, la décision n° 87-239 DC du 30 décembre 1987). La Constitution n'interdit donc pas le renvoi à des dispositions réglementaires pour préciser les modalités d'application de la loi fiscale (n° 80-126 DC du 30 décembre 1980). Elle permet, en particulier, au législateur de se borner à poser le principe de l'application d'un régime fiscal spécifique dans des zones déterminées du territoire de la République et de laisser à un décret le soin de délimiter ces zones, sur la base des critères énoncés par la loi (n° 94-358 DC du 26 janvier 1995).

Dans ces différentes hypothèses, le respect de l'article 34 de la Constitution est assuré dès lors que le renvoi au pouvoir réglementaire fait l'objet d'un encadrement suffisant.

b) Tel est bien le cas en l'espèce.

En adoptant le I du nouvel article 232 du code général des impôts, le législateur n'a pas laissé à l'administration fiscale le soin d'apprécier, au cas par cas, si le texte qu'il a créé peut trouver à s'appliquer. Il a, en effet, renvoyé à un décret le soin de fixer, compte tenu des critères énoncés, la liste des communes qui remplissent ces conditions et dans lesquelles, par conséquent, la taxe sera instituée. Et il l'a fait en définissant un encadrement suffisant :

: d'une part, le législateur a clairement désigné les catégories de communes dans lesquelles la taxe serait instituée : il s'agit des communes appartenant à des zones d'urbanisation continue de plus de 200 000 habitants ;

: d'autre part, les conditions spécifiques caractérisant le " déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, au détriment des personnes à revenus modestes et des personnes défavorisées " sont précisées par la loi : il s'agit de communes dans lesquelles il y a un " nombre élevé de demandeurs de logements par rapport au parc locatif " et, dans le même temps, une proportion " anormalement élevée de logements vacants par rapport au parc immobilier existant ".

Ce faisant, le Parlement a suivi une démarche analogue à celle qu'il avait empruntée en adoptant la loi d'orientation pour l'aménagement du territoire du 4 février 1995, et notamment les articles 1465 A et 1466 A du code général des impôts, issus de l'article 52, dont les dispositions ont été jugées conformes à l'article 34 de la Constitution par la décision précitée du 26 janvier 1995.

C'est donc en vain que les requérants font valoir que le mode de rédaction de la première phrase du I de l'article 232 pourrait donner lieu, en raison de son caractère selon eux imprécis, à des atteintes au droit de propriété ou à l'égalité devant les charges publiques.

Qu'il s'agisse d'apprécier le " déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements " ou de mettre en uvre la notion de " personnes à revenus modestes " et celle de " personnes défavorisées ", c'est au Gouvernement qu'il appartiendra de dresser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la liste de communes prévue par la seconde phrase du même article.

Pour ce faire, il ne sera nullement en terrain inconnu, dès lors que les critères définis par la loi se rattachent tous à des notions parfaitement connues :

: les " zones d'urbanisation continue de plus de 200 000 habitants " sont à rapprocher de celles que définit l'article L 302-5 du code la construction et de l'habitation, issu de la loi d'orientation sur la ville du 13 juillet 1991, renvoyant aux données du recensement général de l'INSEE ;

: les personnes à revenus modestes sont les personnes ayant accès aux logements locatifs sociaux, conformément à l'article L 411-1 du même code ;

: les personnes défavorisées sont les personnes visées à l'article 1er de la loi du 31 mai 1990, dite " loi Besson ", auxquelles la présente loi fait référence en renvoyant aux fichiers de demandeurs prioritaires des plans départementaux de logement des personnes défavorisées ;

: le nombre des demandeurs de logement est une donnée de fait, constatée par les fichiers de demandeurs de logements sociaux existants ;

: enfin, la proportion anormalement élevée de logements vacants résulte de l'examen des données sur ce sujet et conduit à retenir les zones d'urbanisation continue dont le taux de logements vacants est supérieur à la moyenne constatée dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants.

Par ailleurs, le législateur a clairement posé comme condition d'exigibilité de la taxe que le logement soit vacant depuis au moins deux années consécutives au 1er janvier de l'année d'imposition. Ce critère ne se réfère donc nullement à la bonne foi du propriétaire, mais à une situation de fait objective qui se déduira de l'absence d'assujettissement à la taxe d'habitation, ces deux impôts étant exclusifs l'un de l'autre.

En effet, seuls les locaux meublés au 1er janvier de l'année d'imposition sont susceptibles d'être imposés à la taxe d'habitation.

En revanche, la taxe sur les logements vacants ne vise que les locaux vides de tout meuble, et dès lors non soumis à la taxe d'habitation.

Ce point a d'ailleurs été précisé lors des travaux préparatoires du projet de loi (cf rapport AN n° 856 au nom de la Commission spéciale, p 104 et 105) et lors des débats (cf JO AN, séance du 13 mai 1998, p 3803 ; Sénat, séance du 11 juin 1998, p 3002).

Enfin, il est exact qu'il n'est pas prévu qu'un décret intervienne pour préciser les conditions d'application du VI, aux termes duquel " la taxe n'est pas due en cas de vacance indépendante de la volonté du contribuable ". Un tel décret n'est en effet pas nécessaire, s'agissant d'une disposition qui, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, se suffit à elle-même. Il appartiendra à l'administration fiscale d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'impôt, si cette vacance est volontaire ou non, sans que le pouvoir du juge à l'égard de la valeur des justifications qui lui sont fournies par les parties à un litige ait à être encadré par des dispositions législatives ou réglementaires.

A cet égard, le service des impôts pourra s'inspirer de la jurisprudence dégagée pour l'application de l'article 1389 du code général des impôts, qui retient le même critère en matière de taxe foncière. L'appréciation sera toutefois nécessairement plus souple, compte tenu de l'objet spécifique de la taxe sur les logements vacants. Il suffira au contribuable de justifier qu'il a effectué toutes les démarches nécessaires pour vendre ou louer son logement vacant.

Par exemple, si le contribuable peut faire état de sa volonté réelle de vendre le logement (mise en vente dans plusieurs agences, adaptation du prix de vente aux conditions et évolution du marché, etc) ou de le louer, il pourra bénéficier de l'exonération prévue par le texte.

3. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques ne peut davantage être retenu.

Comme le rappelle la saisine, il résulte d'une jurisprudence constante que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général.

Dans un cas comme dans l'autre, la différence de traitement qui en résulte doit être en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.

C'est en conformité avec ces principes que le II du nouvel article 232 exonère de la taxe créée par le I les logements vacants détenus par les organismes d'habitation à loyer modéré et les sociétés d'économie mixte et destinés à être attribués sous conditions de ressources. La catégorie de propriétaires ainsi visée est, en effet, dans une situation spécifique, dès lors qu'il découle des règles qui les régissent que ces bailleurs, d'une part, ont nécessairement pour vocation de mettre en location les logements qu'ils détiennent, sans autre usage possible, d'autre part, sont soumis au contrôle de la puissance publique, qui est ainsi à même de vérifier qu'ils accomplissent leurs missions conformément à l'intérêt général.

Pour autant, l'exonération tenant au caractère involontaire de la vacance, prévue par le VI du même article, n'aurait pas suffi, contrairement à ce que soutient la saisine, à rendre compte de cette situation spécifique, certaines situations de " gel " des mises en location pouvant tenir à d'autres raisons légitimes, telles que le délai nécessaire à la réalisation de travaux de réhabilitation ou de projets de démolition dans le cadre d'opérations de restructuration urbaine.

II. : Sur la nouvelle procédure de réquisition

A : L'article 52 de la loi déférée introduit dans le titre IV du livre VI du code de la construction et de l'habitation un chapitre II, intitulé " Réquisition avec attributaire ".

Il tend, comme l'article précédent, à rendre plus effectif le droit au logement, en permettant au préfet de réquisitionner les logements vides depuis plus de dix-huit mois qui appartiennent à des personnes morales. Cette réquisition sera décidée pour une période d'un à six ans qui pourra, dans certains cas particuliers, durer plus longtemps, sans pouvoir excéder douze ans. Elle permettra l'exécution de travaux par un attributaire qui assurera la gestion des locaux, et qui pourra être l'Etat, une collectivité territoriale, un organisme d'HLM, une société d'économie mixte ou un organisme agréé. Les bénéficiaires, personnes à revenus modestes ou défavorisées, acquitteront un loyer en rapport avec leurs moyens, tandis que le titulaire du droit d'usage percevra une indemnité mensuelle, ainsi que, le cas échéant, une somme correspondant au préjudice causé par la mise en uvre de la réquisition.

Selon les députés saisissants, le législateur serait resté en deçà de la compétence que lui assigne, en ces matières, l'article 34 de la Constitution, en s'en tenant à des critères imprécis pour définir le champ d'application de ce dispositif. Les requérants estiment également que la disposition contestée méconnaît le droit de propriété en portant, par la durée de douze ans qu'elle autorise, une atteinte excessive au droit de disposer librement de son bien, et en faisant supporter, par le propriétaire, le coût de travaux qu'il n'aura pas décidés. Aux yeux des auteurs de la saisine, la mise en uvre de cette procédure de réquisition pourrait en outre favoriser, faute de garanties, des atteintes au respect de la vie privée et à l'inviolabilité du domicile.

B : Ces critiques ne sont pas fondées.

1. En premier lieu, le législateur n'a nullement méconnu l'étendue de sa compétence en définissant comme il l'a fait le champ d'application de la nouvelle procédure de réquisition.

On rappellera d'abord, à cet égard, qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution il appartient seulement à la loi, s'agissant des procédures affectant le régime du droit de propriété, d'en définir les principes fondamentaux. C'est dire que, si la loi doit énoncer les cas dans lesquels la procédure de réquisition peut être mise en uvre, les garanties essentielles qui doivent l'accompagner ainsi que les catégories de personnes pouvant en bénéficier, elle n'a pas à régir cette procédure dans tous ses détails.

En l'espèce, la loi prévoit que la réquisition avec attributaire peut s'appliquer, au profit de personnes modestes ou de personnes défavorisées, dans les communes dans lesquelles il existe un déséquilibre entre l'offre et la demande de logements. Cette condition a été retenue en s'inspirant du régime de réquisition actuellement organisé par les articles L 641-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation, dont l'application est subordonnée, par l'article L 641-12, à l'existence d'une crise du logement. Pour l'application de ce texte, la jurisprudence administrative (CE Ass, 11 juillet 1980, Lucas) a défini la notion de crise du logement comme " l'existence d'importants déséquilibres entre l'offre et la demande de logements au détriment de certaines catégories sociales ".

Pour caractériser ce déséquilibre, il sera tenu compte de l'existence d'un nombre élevé de demandeurs des logements sociaux dans une commune, quelle que soit l'ampleur du parc de logements sociaux dont elle dispose. A cet égard, la réforme du traitement des demandes d'attributions de logements locatifs sociaux, organisée par l'article 56 de la loi, permettra de disposer de données exhaustives permettant une appréciation encore plus précise des demandeurs de logements sociaux et de leurs besoins.

Contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, les notions de personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées ne sont pas non plus entachées d'imprécision.

La première renvoie aux dispositions de l'article L 411-1 du code de la construction et de l'habitation, qui dispose que : " Les dispositions du présent livre (habitations à loyer modéré) ont pour objet de fixer les règles relatives à la construction, l'acquisition, l'aménagement, l'assainissement, la réparation, la gestion d'habitations collectives ou individuelles, urbaines ou rurales, répondant aux caractéristiques techniques et de prix de revient déterminées par décision administrative et destinées aux personnes et aux familles de ressources modestes. "

Les personnes défavorisées sont, pour leur part, définies par la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en uvre du droit au logement. Aux termes de l'article 1er de la loi : " Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation. Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir. " L'article 2 de cette loi crée des plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées, qui fixent les mesures permettant aux personnes visées à l'article 1er d'accéder à un logement indépendant ou de s'y maintenir. L'article 4 de la loi dispose que " ce plan doit accorder une priorité aux personnes et familles sans aucun logement ou menacées d'expulsion sans relogement ou logées dans des taudis, des habitations insalubres, précaires ou de fortune ".

C'est donc au regard de ces dernières dispositions que devront être appréciées les mauvaises conditions de logement qui permettent d'obtenir le bénéfice d'un logement réquisitionné.

En résumé, les autorités qui auront à appliquer le nouveau régime de réquisition le feront au regard de critères qui n'ont rien d'inédit ni rien d'arbitraire (voir par exemple, pour le rejet de griefs mettant en cause l'imprécision de notions telles que " manquement grave " ou " heures d'écoutes significatives ", les décisions n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 et n° 91-304 DC du 15 janvier 1992). Et elles agiront naturellement sous le contrôle de la juridiction administrative, dont l'intervention n'avait pas, contrairement à ce que soutiennent les saisissants, à être expressément prévue par la loi.

2. En deuxième lieu, s'il n'est pas douteux que le droit de propriété a une valeur constitutionnelle, il est tout aussi constant que le législateur peut y déroger pour en concilier l'exercice avec d'autres principes ou objectifs constitutionnels. Or, au nombre de ces derniers, figure notamment la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent (n° 94-358 DC du 19 janvier 1995).

En adoptant les dispositions critiquées, le législateur s'est borné à concilier, comme il lui appartient de le faire, la mise en uvre de cet objectif constitutionnel avec le respect dû au droit de propriété.

A cet égard, il convient d'abord de souligner que la procédure de réquisition avec attributaire ne saurait être analysée comme organisant une privation du droit de propriété ou une dépossession.

Elle concerne seulement les conditions d'exercice de son démembrement que constitue un droit réel conférant l'usage. Ce droit peut être issu de la propriété elle-même, d'un usufruit, d'un droit d'usage ou d'habitation, d'un bail emphytéotique, d'un bail à construction ou encore d'un bail à réhabilitation.

Il est exact que, comme le soulignent les requérants, la durée de la réquisition met en cause l'exercice des droits ainsi visés pour une période supérieure à celles prévues, au titre du régime actuel de la réquisition de logements, par les articles L 641-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation.

Mais l'on ne saurait, pour autant, en inférer que l'exercice du droit de propriété s'en trouverait vidé de sa substance. D'une part, en effet, il faut rappeler que sont seuls visés les biens appartenant à des personnes morales. D'autre part, et surtout, il convient de souligner que la nouvelle procédure ne concerne, d'après les termes mêmes du nouvel article L 642-1, que des logements vacants depuis plus de dix-huit mois. C'est dire que la loi se borne à permettre que - dans certaines hypothèses où l'objectif constitutionnel mentionné plus haut le justifie : le titulaire du droit d'usage puisse être temporairement privé d'un droit qu'il n'exerçait pas et dont, néanmoins, il pourra continuer de percevoir, sous forme d'indemnités, des revenus. En outre : et sauf dans le cas des droits d'usage et d'habitation qui sont incessibles en vertu des dispositions générales de l'article 631 du code civil : il reste libre de céder ses droits résiduels au cours de la période de réquisition.

Il n'y a donc là aucune atteinte excessive au droit de propriété garanti par l'article 17 de la Déclaration de 1789, au regard d'une jurisprudence bien établie qui a admis, par exemple, que le législateur puisse :

: empêcher le propriétaire d'exploiter lui-même son bien ou faire pratiquement obstacle à ce qu'un propriétaire puisse aliéner un bien, faute pour l'acquéreur éventuel d'avoir obtenu l'autorisation d'exploiter ce bien (n° 84-172 DC du 26 juillet 1984) ;

: ou permettre à toute personne physique autorisée par un tribunal d'exploiter un bien lorsque le propriétaire n'a pas satisfait à certaines obligations (n° 85-189 DC du 17 juillet 1985).

Dans ces différentes hypothèses, tout comme dans le cas de la nouvelle procédure de réquisition, le droit de propriété est certes affecté, mais sans être pour autant vidé de son contenu ni dénaturé.

En l'espèce, la réquisition avec attributaire n'impose au propriétaire d'autre contrainte que la privation de l'usage. Elle peut ainsi être analysée comme une servitude temporaire d'affectation, dont la conformité à la Constitution est d'autant moins contestable que le législateur a en outre entendu l'assortir de trois séries de garanties.

a) D'une part, la loi a prévu que la mise en uvre du droit de réquisition serait subordonné au respect d'une procédure contradictoire permettant au titulaire du droit d'usage sur les locaux de faire connaître ses observations. L'intéressé sera ainsi mis à même, non seulement de contester la réunion des conditions fixées par loi, mais en outre de mettre fin à la vacance, s'il le souhaite.

b) D'autre part, la durée de la réquisition est en principe limitée par la loi à six ans. Cette durée ne peut être portée jusqu'à douze ans que lorsque d'importants travaux de mise aux normes sont nécessaires. Mais, dans ce cas, le droit de reprise peut être exercé à l'issue d'une période de neuf ans sans motivation particulière.

Il convient, à cet égard, de souligner que les seuils ainsi retenus l'ont été en cohérence avec le droit positif actuel, s'agissant des modalités d'exercice du droit de propriété sur un bien immobilier : ainsi les règles régissant la publicité foncière (décret n° 55-22 du 4 janvier 1955) n'imposent la publication des baux au bureau des hypothèques que lorsqu'ils ont une durée de plus de douze années ; par ailleurs, l'article 595 du code civil édicte, pour protéger le nu-propriétaire, des inopposabilités totales ou partielles concernant les baux consentis par l'usufruitier pour une durée qui excède neuf ans.

Et il est clair qu'à l'issue de la période maximale ainsi fixée, le titulaire du droit d'usage qui n'a pas exercé auparavant son droit de reprise peut récupérer son bien, sans que puissent y faire obstacle les dispositions de l'article L 642-27 nouveau concernant le relogement du bénéficiaire de la réquisition. Ces dispositions prévoient que, en l'absence de contrat de location conclu entre le titulaire du droit d'usage et le bénéficiaire au moins trois mois avant la fin de la réquisition, l'attributaire peut formuler une offre de relogement, à défaut de quoi l'obligation de reloger le bénéficiaire incombe au préfet.

Mais, quelle que soit l'issue de ces procédures, il ressort de la loi que, à l'expiration de la période de réquisition, le bénéficiaire est déchu de tout titre d'occupation dès lors que l'Etat et l'attributaire perdent tout droit sur le local réquisitionné. Une situation identique existe, par exemple, en matière de sous-location, dans laquelle le sous-locataire perd tout droit sur le logement qu'il sous-loue lorsque le contrat location de principal de ce logement vient à expiration, conformément à une jurisprudence constante depuis un arrêt de la Cour de cassation du 21 juillet 1873.

c) Enfin, il faut rappeler que le titulaire du droit d'usage d'un bien réquisitionné bénéficiera naturellement d'une indemnisation, non seulement sous la forme de l'indemnité mensuelle prévue par le nouvel article L 642-15, mais encore à travers la réparation intégrale des préjudices causés par la mise en uvre du droit de réquisition, comme le souligne l'article L 642-16.

Dans ces conditions, c'est à tort que les requérants font valoir que les travaux de mise aux normes pourraient être mis indûment à la charge du titulaire de droits. L'article L 642-1 précise en effet que les travaux de mise en état d'habitabilité sont effectués par l'attributaire et payés par lui, et qu'aucune somme ne peut être perçue auprès du titulaire du droit d'usage lorsque le montant de l'amortissement des travaux et des frais de gestion est supérieur au loyer défini à l'article L 642-23.

Sans doute peut-il se produire que la personne morale titulaire du droit d'usage soit amenée à subir un préjudice particulier dans le cas où, à l'issue de la période de réquisition, elle ne pourrait bénéficier, pour quelque cause que ce soit : et notamment en fonction de la nouvelle destination qu'elle entend donner aux locaux : des travaux dont le coût aura pourtant été déduit des loyers perçus par elle pendant cette période.

Mais c'est à tort que les requérants font grief au dispositif contesté de ne prévoir aucune indemnisation pour tenir compte de ce type d'hypothèse : dès lors que l'article L 642-16 rappelle le principe : qui d'ailleurs s'appliquerait dans le silence de la loi - suivant lequel tout préjudice direct, matériel et certain causé par la mise en uvre de la réquisition doit être indemnisé, il est clair qu'aucun élément du préjudice indemnisable ne peut être exclu, conformément à ce qu'implique le principe d'égalité devant les charges publiques (n° 85-198 DC du 13 décembre 1985).

En d'autres termes, il ne fait aucun doute que, dans le cas où le versement au titulaire du droit d'usage d'une indemnité mensuelle ne permettrait pas une indemnisation de l'intégralité du préjudice subi par lui, il serait en droit d'obtenir la réparation de tout chef de préjudice dont il pourrait justifier, en demandant au juge judiciaire, sur le fondement de l'article L 642-16, la fixation d'une indemnisation complémentaire.

3. En troisième lieu, les dispositions des nouveaux articles L 642-7 à L 642-13 du code de la construction et de l'habitation ne portent, contrairement à ce que soutient la saisine, aucune atteinte à la liberté individuelle.

Il est en effet abusif d'invoquer la liberté individuelle à propos de ces dispositions, pour deux séries de raisons.

a) Les unes sont d'ordre théorique. A cet égard, le Gouvernement entend appeler l'attention du Conseil constitutionnel sur les inconvénients qu'impliquerait la consécration d'une conception extensive de la notion de liberté individuelle, compte tenu de la portée spécifique que l'article 66 de la Constitution lui attribue.

Il n'est certes pas contestable que, dans l'exercice de ses compétences, le législateur doit veiller au respect de l'ensemble des droits et libertés garantis par les textes et principes constitutionnels. Pour l'essentiel, cette exigence trouve sa source dans les dispositions de l'article 2 de la Déclaration de 1789, qui range la liberté au nombre des " droits naturels et imprescriptibles de l'homme ", ainsi que dans celles de l'article 4, qui précise qu'elle " consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ".

Mais les droits et libertés des individus ne sauraient être confondus avec la liberté individuelle, dès lors que la Constitution utilise cette dernière notion dans un contexte et avec un objet précis en énonçant, à l'article 66, que " nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté indiduelle, assure le respect de ce principe ". Comme le relevait M Genevois dans son commentaire de la décision n° 89-261 DC du 29 juillet 1989 (RFDA 89 p 696), l'article 66 a pour origine première le souci d'instituer en droit français l'équivalent de la procédure anglaise d'habeas corpus.

On peut donc penser, avec le même commentateur, que " la liberté individuelle visée à l'article 66 rejoint le concept de sûreté personnelle en y incluant les conditions qui sont nécessaires à sa sauvegarde ". Il résulte à cet égard d'une jurisprudence bien établie que cette notion a, dans une certaine mesure, pour corollaire la liberté d'aller et venir (n° 76-75 DC du 12 janvier 1977) et qu'elle inclut également l'inviolabilité du domicile (n° 83-164 DC du 29 décembre 1983). La Constitution implique donc que, lorsque est en cause la liberté individuelle, au sens précis qui lui est ainsi donné, l'autorité judiciaire soit à même d'exercer son contrôle.

Dans ces conditions, et comme l'a relevé la doctrine (cf R Chapus, Droit administratif général I, 11e éd. n° 1077 ; B Mathieu et M Verpeaux, chronique de jurisprudence constitutionnelle, Les Petites Affiches, 1997, n° 125, p 19) il peut paraître contestable d'assimiler d'autres droits et libertés à la liberté individuelle, au risque de perturber la répartition des compétences juridictionnelles, telle qu'elle résulte du droit positif actuel.

Pour lever toute ambiguïté, il serait donc souhaitable de réserver la notion de liberté individuelle, proprement dite, aux hypothèses où est véritablement en cause la portée de l'article 66, et notamment la compétence de l'autorité judiciaire qu'implique cet article, et de s'en tenir dans les autres cas, lorsqu'il s'agit de la liberté au sens de la Déclaration de 1789, à une terminologie différente.

Quant au respect de la vie privée de l'individu, il paraît possible de le rattacher, comme le Conseil constitutionnel semble l'avoir fait dans sa décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997, au dixième alinéa du préambule de 1946. Un tel rattachement aurait le mérite, en mettant en évidence le lien entre vie privée et familiale, de favoriser une interprétation commune de cette disposition et de celle de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, dont le respect s'impose, en tout état de cause, aux autorités nationales.

b) Quoi qu'il en soit du fondement constitutionnel retenu, c'est à tort que les requérants font grief à la procédure organisée par la loi contestée de porter atteinte au droit à la vie privée et à l'inviolabilité du domicile.

Il convient à cet égard d'observer que la réquisition avec attributaire ne peut, par définition, concerner que des locaux vacants sur lesquels seules des personnes morales autre que les sociétés civiles immobilières familiales détiennent un droit d'usage.

Il est donc, en tout état de cause, abusif de faire référence à ce propos au respect du domicile et de la vie privée, sauf à en dénaturer le sens.

Il est certes exact que, pour la mise en uvre de la procédure, l'article L 642-7 prévoit que le représentant de l'Etat dans le département peut consulter des fichiers dont la loi indique la nature. Cette disposition s'explique par le fait qu'il n'existe pas de fichier spécifique des locaux vacants, et le législateur n'a pas souhaité en créer.

Mais il convient d'observer que la consultation des fichiers pouvant donner des indications sur la vacance des locaux susceptibles d'être réquisitionnés est soigneusement encadrée par la loi.

Ainsi, seules des informations strictement nécessaires à la recherche des locaux vacants, à la détermination de la durée de la vacance et à l'identification du titulaire du droit d'usage sur les locaux peuvent être recueillies. L'objectif de ces consultations est de déterminer la vacance éventuelle d'un local et non de recueillir des informations sur l'identité de son occupant. Elles ne remettent en aucune manière en cause l'application, en la matière, des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

On soulignera en outre que le droit de visite prévu au début de la procédure par l'article L 642-7 ne saurait, en aucun cas, aboutir à une violation de domicile.

D'une part, en effet, les locaux en cause ne peuvent, par définition, appartenir qu'à des personnes morales. Or si, pour elles, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que leur domicile se situe en principe au siège fixé par les statuts, un tel local ne saurait évidemment faire l'objet d'une intention de réquisition, dès lors qu'il est par hypothèse occupé, pour permettre à la personne morale d'exercer son objet social.

D'autre part, et en tout état de cause, le droit de visite prévu par la loi ne peut concerner que des locaux a priori considérés comme vacants. Il a notamment pour objectif de vérifier que les locaux sont bien inoccupés. Cette visite suppose soit l'accord du titulaire du droit d'usage, soit, à défaut, l'autorisation du juge judiciaire.

Dans un cas comme dans l'autre, la loi ne confère aucun pouvoir à l'autorité administrative pour pénétrer de force dans un local afin d'en constater la vacance. A fortiori est-il exclu que les agents de l'administration y pénètrent, s'il s'avère que le local est, en réalité, habité.

En outre, les visites n'ayant pas pour objet de saisir des pièces, la loi n'avait pas à prévoir expressément la rédaction d'un procès-verbal, même si on peut indiquer que l'établissement d'un tel document figure au nombre des conditions d'application envisagées.

Les indications qui y seront portées permettront notamment d'apprécier les caractéristiques de l'immeuble. Elles pourront, en particulier, servir à motiver la notification de l'intention de réquisitionner.

4. En quatrième lieu, et enfin, c'est en vain que les parlementaires saisissants font état d'une atteinte portée au principe d'égalité devant la loi.

On ne voit pas, en effet, en quoi ce principe serait méconnu en raison du choix, que le législateur a estimé devoir faire, de ne pas abroger l'ancienne procédure de réquisition issue de l'ordonnance de 1945. En tout état de cause, les deux procédures restent différentes, à plusieurs titres.

Ainsi, le régime institué en 1945, et aujourd'hui codifié aux articles L 641-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation, se situe dans un contexte exceptionnel de pénurie absolue de logements. Il ne prévoit pas les mêmes conditions quant aux bénéficiaires, qui sont des personnes dépourvues de logements ou logées dans des conditions manifestement insuffisantes, ainsi que celles à l'encontre desquelles est intervenue une décision d'expulsion devenue définitive. Par ailleurs, les travaux pour rendre les locaux réquisitionnés propres à l'habitation sont à la charge du bénéficiaire, qui ne peut exiger aucune indemnisation à ce titre et peut, à l'issue de la réquisition, être tenu de remettre les lieux en l'état à ses frais (art L 641-10).

Le régime ancien a en outre un champ d'application beaucoup plus large que celui de la réquisition avec attributaire, puisqu'il vise également les locaux insuffisamment occupés et que, s'agissant des propriétaires, les personnes physiques sont concernées tout autant que les personnes morales.

Quelles que soient les similitudes ou les différences entre ces deux régimes, le législateur n'a fait qu'utiliser le pouvoir d'appréciation qui lui appartient en décidant de maintenir le régime institué en 1945 afin de permettre, le cas échéant, de remédier à une nouvelle pénurie qui pourrait être causée par la survenance d'évènements exceptionnels.

III. : Sur les dispositions relatives aux ventes

sur saisie immobilière

A : L'article 107 de la loi adoptée introduit, dans le code de procédure civile (ancien), un nouvel article 706-1 qui permet de déclarer le créancier poursuivant adjudicataire d'office du bien ayant fait l'objet d'une saisie immobilière au montant de la mise à prix réévaluée par le juge.

Lorsque le bien vendu aux enchères dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière ne trouve pas d'acquéreur, un mécanisme est nécessaire pour fixer le sort du bien. Tel est l'objet, depuis 1841, de la procédure d'adjudication d'office, le créancier poursuivant devenant propriétaire du bien. Cependant, le prix du bien correspondait alors à la mise à prix fixée par le créancier.

Devant les pratiques de certains créanciers qui se bornaient à fixer la mise à prix du bien au montant de leur créance, le législateur a, par la loi du 23 janvier 1998, permis au débiteur, en ce qui concerne son seul logement principal, de contester une sous-évaluation manifeste de son bien.

Dans ce dispositif, la nouvelle mise à prix déterminée par le juge sert alors de base aux enchères. Néanmoins, en l'absence d'acquéreur, s'applique un système d'enchères sur baisses successives de la mise à prix, l'adjudication d'office au créancier poursuivant demeurant réalisée au prix fixé par ce dernier.

Mais il est apparu que ce mécanisme risquait de priver d'effet cette réévaluation : il incitait les enchérisseurs, le cas échéant en s'entendant entre eux à cette fin, à attendre la baisse de la mise à prix pour porter les premières enchères, dans l'espoir d'emporter le bien au meilleur prix.

Le nouvel article 706-1 du code de procédure civile ancien remédie à cet inconvénient en prévoyant que, en l'absence d'enchère sur la mise à prix réévaluée, le bien est remis en vente à une seconde audience, après de nouvelles mesures de publicité.

Ce renvoi ouvre une seconde possibilité de vendre le bien à un prix supérieur à la mise à prix fixée par le juge et de permettre un meilleur apurement du passif, ce qui est évidemment très important.

L'actuel article 107 supprime les enchères dites " descendantes ".

S'inspirant de la procédure d'adjudication d'office, au prix fixé par le juge, existant au droit local Alsacien-Mosellan en vertu de la loi du 1er juin 1924 (art 153 et 158), il prévoit désormais l'adjudication d'office au créancier poursuivant au montant de la mise à prix, le cas échéant réévaluée par le juge.

Selon les requérants, la création d'une telle obligation, sans contrepartie financière, porte une atteinte excessive au droit de propriété, dans la mesure où elle entraîne une rupture d'égalité injustifiée entre les propriétaires concernés, en faisant peser sur le créancier poursuivant une obligation de rachat à un prix qu'il n'a pas lui-même fixé. Ils estiment que, faute d'avoir prévu un mécanisme d'indemnisation du créancier, la disposition critiquée doit être déclarée inconstitutionnelle.

B : Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.

1. S'agissant du droit de propriété, les dispositions contestées n'y apportent, contrairement à ce qui est soutenu, aucune atteinte excessive.

Il convient en effet de rappeler que le droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme n'est véritablement en cause : outre le cas, qui n'est pas celui de l'espèce, d'une privation ou dépossession : que lorsque la limitation apportée à l'exercice de ce droit présente un caractère de gravité telle que le sens et la portée de celui-ci se trouvent dénaturés.

En l'espèce, le Gouvernement considère que le dispositif mis en place par l'article 107 ne porte pas atteinte aux modalités d'exercice du droit de propriété dans des conditions telles qu'elles dénatureraient celui-ci.

A cet égard, il convient d'abord de souligner que l'objectif poursuivi par l'article 107 est d'éviter les ventes à vil prix qui, étant constitutives d'une spoliation du débiteur sont, de ce fait, susceptibles de porter à son droit de propriété une atteinte contraire à la Constitution (n° 89-267 DC du 22 janvier 1990).

Le dispositif nouveau entend donc remédier aux carences du système antérieur qui sacrifiait la propriété du débiteur : désormais, celui-ci ne pourra plus être exproprié, dans les termes de l'article 2204 du code civil, à un prix très inférieur à la valeur vénale de son bien sur le marché des ventes amiables.

La protection ainsi accordée au débiteur contre une cession à vil prix de son logement est d'autant plus justifiée qu'elle peut en outre se réclamer du droit au logement consacré par la décision n° 94-359 du 19 janvier 1995.

Mais en rééquilibrant ainsi les intérêts des parties en présence, le législateur n'a pas, pour autant, méconnu ceux du créancier. Il convient en effet de relativiser l'atteinte portée à ses droits, en raison tant du caractère subsidiaire de l'adjudication d'office que des garanties dont le législateur a assorti la procédure.

a) Le caractère subsidiaire de la procédure contestée résulte de son encadrement par quatre séries de conditions :

: l'adjudication d'office au profit du créancier poursuivant suppose d'abord que la saisie porte sur le logement principal auquel une protection particulière doit être attachée en vertu de la jurisprudence dégagée par la décision, déjà citée, du 19 janvier 1995 ;

: elle suppose ensuite, tout à la fois, une sous-évaluation manifeste de la mise à prix fixée par le créancier lui-même, l'exercice d'un recours du débiteur sur cette mise à prix et, enfin, que le juge ait estimé devoir procéder, le cas échéant après expertise, à une réévaluation ;

: elle suppose également que le créancier n'ait pas utilisé les techniques tirées du droit commun hypothécaire qui consistent soit à céder sa créance et sa sûreté à titre accessoire, soit à pratiquer une cession d'antériorité entre créanciers munis de privilèges ou hypothèques, au bénéfice d'un créancier qui aurait davantage la capacité d'assurer la gestion ou la revente du bien. A titre d'exemple, un syndicat d'une petite copropriété auquel l'article 2103 du code civil confère, depuis la loi du 21 juillet 1994 relative à l'habitat, un super privilège de premier rang pour deux années de charges impayées, peut céder créance et rang ou " échanger " son rang de sûreté avec l'établissement de crédit qui a financé l'acquisition ; ce dernier deviendra alors " chef de file " de la procédure de saisie immobilière au terme de laquelle, dans la situation marginale invoquée par les auteurs du recours, il deviendra adjudicataire d'office du lot vendu, mais pourra être désintéressé de sa créance qui viendra s'imputer sur le prix d'adjudication correspondant à la mise à prix judiciairement réévaluée ;

: elle suppose enfin l'absence d'enchères aux audiences d'adjudication.

b) Il importe en outre de souligner que le législateur n'a pas manqué d'entourer la mise en uvre de cette procédure d'adjudication d'office de solides garanties pour le créancier.

La première d'entre elles réside dans l'intervention du juge qui procède à la réévaluation, au besoin après expertise, de la mise à prix, conformément au principe, énoncé notamment par la décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, selon lequel l'autorité judiciaire est gardienne de la propriété privée immobilière.

A cet égard, il convient de souligner que la notion de mise à prix ne saurait être confondue avec celle de valeur vénale : il s'agit seulement de fixer un prix plancher qui doit être suffisamment attractif pour attirer à l'audience le plus de candidats ; par construction, le montant ainsi fixé ne peut que rester en deçà du prix du marché des ventes amiables. C'est donc nécessairement dans ce cadre que le juge pourra être conduit à procéder à une réévaluation.

Aussi, la situation dans laquelle la réévaluation excéderait la valeur du bien ne peut-elle relever que d'une hypothèse d'école.

En deuxième lieu, le créancier poursuivant peut demander au juge une nouvelle audience d'adjudication, ce qui ouvre une possibilité supplémentaire de trouver un enchérisseur. Afin d'assurer son efficacité, cette seconde audience est précédée de mesures de publicité adaptées.

En troisième lieu, le créancier peut abandonner la procédure sans en supporter les frais, en application des dispositions générales de l'article 32 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution. Pour autant, cet abandon n'implique aucune renonciation à sa créance.

En quatrième lieu, l'article 706-2 nouveau offre au poursuivant déclaré adjudicataire d'office au prix fixé par le juge le droit, dans un délai de deux mois, de se faire substituer un autre acquéreur, qui n'aura pas à s'acquitter de nouveaux droits de mutation.

En cinquième lieu, demeurent applicables les dispositions de l'article 708 du code de procédure civile qui permettent à tout intéressé de former une surenchère qui conduit à la remise en vente du bien.

Enfin, l'article 108 de la loi (art L 116 nouveau du code de la construction et de l'habitation) prévoit, en sus de l'exercice du droit de préemption urbain, une nouvelle possibilité, pour les communes, de préempter le bien, objet de la procédure.

2. Quant à l'égalité devant les charges publiques, c'est en vain que les requérants en invoquent la méconnaissance.

La saisie immobilière, que l'article en cause a pour objet de réglementer, est un mode de recouvrement des créances. Elle est donc un instrument des relations contractuelles principalement entre personnes privées.

On soulignera en outre que, contrairement à ce que soutient la saisine, l'article 107 n'a ni pour objet ni pour effet de faire peser sur le créancier des sujétions nées de l'impératif de lutte contre les exclusions. L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne trouve ainsi pas à s'appliquer et le législateur n'avait donc, en tout état de cause, pas à prévoir un dispositif spécifique d'indemnisation du créancier.

En résumé, ce texte tend simplement à opérer un meilleur équilibre entre les intérêts du créancier et ceux du débiteur, afin que le droit de propriété du second soit aussi bien garanti que celui du premier.

IV. : Sur les dispositions relatives à l'hébergement

des personnes expulsées

A : L'article 119 fait partie des dispositions de la loi qui visent à prévenir les mécanismes d'exclusion pouvant résulter de la mise en uvre des procédures d'expulsion. A cette fin, il insère dans le code de la construction et de l'habitation un article L 613-6 aux termes duquel " lorsque le représentant de l'Etat dans le département accorde le concours de la force publique, il s'assure qu'une offre d'hébergement tenant compte, autant qu'il est possible, de la cellule familiale est proposée aux personnes expulsées ".

Aux yeux des auteurs de la saisine, cet article porte atteinte à l'autorité de la chose jugée et doit donc être considéré comme contraire au principe de séparation des pouvoirs.

B : Le Conseil constitutionnel ne pourra retenir ce grief.

L'argumentation des saisissants est, en effet, dépourvue de portée.

1. En premier lieu, les critiques des saisissants manquent en fait, dans la mesure où il résulte clairement des débats parlementaires que le législateur n'a pas entendu faire de l'hébergement de la personne expulsée une condition préalable à l'octroi de la force publique.

La rédaction définitive de l'article 119 est en effet issue, sur ce point, d'un amendement de M Girod, sénateur, qui tendait précisément à lever toute ambiguïté à cet égard. Cet amendement a été accepté par le Gouvernement, le secrétaire d'Etat au logement ayant indiqué à plusieurs reprises qu'il n'entendait pas modifier les règles relatives au concours de la force publique ni subordonner la décision de l'accorder à une démarche administrative préalable (cf JO, débats AN, séance du 18 mai 1998, p 3991 ; Sénat, 12 juin 1998, p 3155 ; AN, 1er juillet 1998, p 5672).

L'article contesté se borne donc à consacrer dans la loi l'obligation, faite au préfet, de prendre en compte la nécessité de prévenir la situation d'exclusion qui pourrait résulter d'une expulsion sans, pour autant, mettre à sa charge une obligation de résultat. C'est seulement une obligation de moyens qui pèse sur le représentant de l'Etat : il doit s'assurer qu'une offre d'hébergement est proposée aux personnes expulsées.

L'existence d'une offre d'hébergement n'étant ainsi pas une condition obligatoire de l'octroi du concours de la force publique, c'est, en tout état de cause, en vain que les auteurs de la saisine soutiennent que la Constitution s'y oppose.

2. En deuxième lieu, on soulignera que l'article contesté concerne seulement l'exercice, par l'autorité administrative, des missions qui lui incombent au titre du concours de la force publique pour l'exécution des décisions de justice. Or, les conditions dans lesquelles cette mission s'exerce ne mettent, par elles-mêmes, en cause ni le principe constitutionnel de l'indépendance des juridictions, ni la séparation des pouvoirs, ni l'autorité de la chose jugée.

A cet égard, si l'article 16 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution rappelle le principe selon lequel l'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements, cette obligation, qui prolonge la décision du juge, ne s'en distingue pas moins nettement. Il appartient, de manière générale, à l'autorité administrative, responsable de l'ordre public, d'apprécier les conditions d'octroi du concours de la force publique pour l'exécution d'une décision de justice ordonnant une expulsion, et les décisions prises à ce titre sont des actes administratifs dont le contentieux relève des juridictions administratives.

On rappellera que la jurisprudence a admis, de longue date, que, dans l'exercice de cette mission, le préfet tienne compte des nécessités de l'ordre public pour se prononcer sur la demande de concours qui lui est adressée aux fins d'obtenir l'exécution d'une décision de justice (CE, 30 novembre 1923, Couitéas).

Il résulte de cette même jurisprudence que, en pareil cas, la sujétion particulière qui pèse sur le justiciable qui avait sollicité le concours de la force publique est compensée par l'indemnisation du préjudice que le refus ou le retard lui occasionne, comme le confirme l'article 16 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution.

Aussi doit-on souligner que, même si l'article contesté avait la portée que lui prêtent les requérants, il ne serait pas pour autant contraire à la Constitution.

Certes, la notion d'ordre public est traditionnellement comprise comme visant à la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques. L'évolution récente de la jurisprudence peut cependant conduire à considérer, comme le Conseil d'Etat l'a fait dans un arrêt d'Assemblée en date du 27 octobre 1995, commune de Morsang-sur-Orge, que le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public. Or, c'est précisément de cette notion, combinée avec d'autres dispositions du préambule de la Constitution de 1946, que le Conseil constitutionnel a déduit, dans sa décision déjà citée du 19 janvier 1995, que la possibilité de disposer d'un logement décent constitue un objectif de valeur constitutionnelle.

Il est donc parfaitement légitime de considérer que l'ordre public serait en cause si les personnes qui font l'objet d'une procédure d'expulsion devaient se retrouver mises à la rue sans pouvoir bénéficier d'aucun hébergement.

3. En troisième lieu, il n'est pas indifférent de souligner que plusieurs dispositions législatives témoignent de préoccupations semblables.

Ainsi, la prévention des expulsions dans le cadre de procédures d'urbanisme doit permettre aux aménageurs et à leurs partenaires d'assurer dans des conditions normales le relogement d'occupants évincés dans le cadre d'opérations reconnues d'utilité publique (art L 314-1 et suivants du code de l'urbanisme). Lorsque l'autorité administrative est saisie d'une demande de déclaration d'utilité publique, elle est tenue de vérifier que sont prévues les conditions de relogement compatibles avec les besoins et les moyens des occupants.

De même, l'article 14 de la loi n° 70-612 du 10 juillet 1970, tendant à faciliter la suppression de l'habitat insalubre, prévoit-il que l'arrêté préfectoral doit obligatoirement mentionner les offres de relogement faites aux occupants.

De même, aussi, l'article L 430-5 du code de l'urbanisme permet-il de subordonner l'octroi du permis de démolir au relogement des occupants. Ainsi, l'autorité qui délivre le permis peut veiller à ce que les travaux ne se traduisent pas systématiquement par des évictions sans relogement.

Enfin, la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en uvre du droit au logement a montré qu'il convenait, dans nombre de départements, de faire de la prévention des expulsions un axe prioritaire de l'intervention des plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées. Cette priorité a été de nouveau rappelée par une circulaire du ministre de l'intérieur aux préfets en date du 15 octobre 1997 (JO du 24 octobre 1997).

L'ensemble de ces textes tend à mettre en uvre le droit au logement et à faire en sorte que les expulsions soient accompagnées au moins d'une tentative de reloger les occupants d'immeubles.

V : Sur la procédure d'adoption de l'article 152

A : L'article 152 a pour objet de créer le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, organisme d'étude chargé de contribuer à la connaissance des revenus, des inégalités sociales et des liens entre l'emploi, les revenus et la cohésion sociale. Ce conseil se substitue au Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts (CSERC) institué par l'article 78 de la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle.

Cet article a été introduit dans la loi déférée par amendement lors de la nouvelle lecture du projet devant l'Assemblée nationale après échec de la commission mixte paritaire.

Se fondant sur la récente décision du Conseil constitutionnel relative à la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (n° 98-402 DC du 25 juin 1998), les députés saisissants estiment que cet article aurait été adopté selon une procédure irrégulière.

B : Cette critique appelle de la part du Gouvernement la réponse suivante.

1. Dans sa décision du 25 juin 1998 précitée, le Conseil constitutionnel a considéré que : " les seuls amendements susceptibles d'être adoptés à ce stade de la procédure doivent soit être en relation directe avec une disposition du texte en discussion, soit être dictés par la nécessité d'assurer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement ".

L'énoncé de ces nouvelles règles est précédé de motifs dans lesquels le Conseil met notamment en évidence son souci d'éviter que des mesures nouvelles puissent " être adoptées sans avoir fait l'objet d'un examen lors des lectures antérieures à la réunion de la commission mixte paritaire ".

Le sens et la portée de cette décision, qui infléchit notablement la jurisprudence antérieure en venant apporter une restriction au principe selon lequel le droit d'amendement, corollaire de l'initiative législative, peut s'exercer à chaque stade de la procédure parlementaire, doivent être appréciés au regard de la première application concrète faite par le Conseil des règles qu'il a dégagées.

On rappellera à cet égard que quatre articles de la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier ont été censurés sur ce terrain. Ces articles additionnels, issus d'amendements adoptés après l'échec de la commission mixte paritaire, se rattachaient sans doute difficilement à des dispositions du texte en discussion.

En revanche, l'article 63 de cette loi, adopté dans les mêmes conditions et soumis à l'examen du Conseil constitutionnel, n'a pas été déclaré contraire à la Constitution, alors que, au regard du lien avec le texte en discussion, ses caractéristiques n'étaient guère différentes On peut donc penser que le Conseil constitutionnel, dans la logique même de la motivation de sa décision, a pris en considération le fait que cet article 63, à la différence des quatre articles censurés, avait fait l'objet d'un examen lors des lectures antérieures, notamment parce que des amendements poursuivant le même objectif avaient été présentés et discutés lors de la première lecture.

2. Dans ces conditions, l'insertion de l'article 152 dans la loi déférée ne paraît pas tomber sous le coup de la nouvelle jurisprudence du Conseil, pour les raisons suivantes :

a) En premier lieu, la création du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale et la définition de ses missions traduisent concrètement l'une des grandes orientations de la loi déférée, telles que définies par son article 1er : l'amélioration de la connaissance des phénomènes d'exclusion, de l'appréciation des besoins des populations concernées et de l'évaluation des dispositifs de prévention et de lutte contre l'exclusion.

L'article 1er dispose à cet égard que " l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics les organismes de sécurité sociale poursuivent une politique destinée à connaître, à prévenir et à supprimer toutes les situations pouvant engendrer des exclusions ".

Plusieurs articles de la loi, adoptés lors de la première lecture, contribuent à la mise en uvre de cette orientation. Ainsi, les articles 2 (comités de liaison avec les demandeurs d'emploi), 16 (conseil départemental de l'insertion par l'activité économique), 33 (plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées), 71 (programme régional pour l'accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies), 153 (Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale) et 155 (comité départemental de coordination des politiques de prévention et de lutte contre les exclusions) ont notamment pour objet d'améliorer et d'approfondir la connaissance des phénomènes d'exclusion sociale et les besoins des personnes concernées.

C'est dans ce cadre que l'article 152 trouve sa place et sa signification. En effet, la modification essentielle qu'il apporte par rapport au dispositif actuel tient précisément au recentrage des travaux du Conseil sur les questions touchant aux revenus et aux inégalités sociales, et à l'analyse des relations entre emploi, revenus et cohésion sociale : l'intention des auteurs de l'amendement devenu l'article 152 était " d'établir le baromètre de la cohésion sociale " et de mettre en place " un outil indispensable à l'évaluation de l'efficacité de la future loi " (cf compte rendu des débats de l'Assemblée nationale, 3e séance du 1er juillet 1998 et séance du 9 juillet 1998, JO, p 5714 et 5740).

En outre, l'existence d'un organisme d'étude de haut niveau, composé de façon à garantir son indépendance et son pluralisme et dont les travaux pourront constituer, comme ceux de l'ancien CERC, une référence unanimement reconnue, apparaît comme un élément essentiel pour que puisse être mis en uvre l'" impératif national " que constitue la mobilisation de tous : Etat, collectivités territoriales, partenaires sociaux, associations, etc. : dans la lutte contre toutes les formes d'exclusion sociale.

Ainsi, la définition des missions du nouveau conseil, telle qu'elle ressort du texte même de l'article 152 et des débats qui ont conduit à son adoption, et la comparaison avec le dispositif précédent issu de l'article 78 de la loi du 20 décembre 1993 font clairement apparaître une relation directe avec le texte en discussion ;

b) En deuxième lieu, la transformation de l'actuel CSERC, bien qu'adoptée sous la forme d'un article additionnel, doit être plus spécifiquement reliée avec la création, par l'article 153, de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, chargé de rassembler, analyser et diffuser les informations et données relatives aux situations de précarité, de pauvreté et d'exclusion sociale, ainsi qu'aux politiques menées en ce domaine.

Organisés et fonctionnant selon des modalités différentes, les deux organismes qui résultent des articles 152 et 153 de la loi déférée contribueront, chacun dans son registre, à l'amélioration de la connaissance en matière d'inégalités des revenus et d'exclusion sociale. Ils seront nécessairement conduits à collaborer et à partager leurs informations et leurs réflexions.

Le lien étroit qui existe entre ces deux dispositifs est attesté par le fait qu'ils ont quasiment fait l'objet d'une discussion commune et que l'adoption de l'amendement devenu l'article 152 a conduit l'Assemblée nationale à revenir sur le choix qu'elle avait fait, en première lecture, de rattacher au Premier ministre l'observatoire créé par l'article 153 : par un amendement de coordination voté corrélativement, elle a finalement décidé de rattacher cet observatoire au ministre chargé des affaires sociales.

Logiquement, en rejetant l'article 152, le Sénat a, de son côté, amendé l'article 153 pour y rétablir le rattachement au Premier ministre. L'Assemblée nationale ayant confirmé sa position lors de la lecture définitive, le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, qui couvre un champ plus vaste et prend la suite du CSERC, lequel avait lui-même succédé au CERC créé en 1966, sera rattaché au Premier ministre, tandis que l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale sera rattaché au ministre chargé des affaires sociales (cf sur ce point le compte rendu des débats de l'Assemblée nationale, 3e séance du 1er juillet 1998, JO, p 5714 et 5715, et du Sénat, séance du 8 juillet 1998, JO, p 3731 et 3732) ;

c) Enfin, il convient de souligner que le dépôt et le vote de l'amendement instituant le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, en nouvelle lecture après commission mixte paritaire, ont constitué la suite directe et le dénouement d'un débat intervenu en première lecture devant l'Assemblée nationale.

A cette occasion avait en effet été déposé un amendement tendant à créer un " Observatoire national de la richesse et des inégalités sociales ", aux missions proches de celles finalement dévolues à l'instance créée par l'article 152. Comme il ressort clairement des débats, cet amendement était inspiré par la volonté de recréer un outil équivalent à l'ancien CERC. Cet amendement n'a finalement pas été adopté parce que le Gouvernement a indiqué qu'il était favorable au rétablissement du CERC, par transformation de l'actuel CSERC et conformément aux recommandations d'un rapport rédigé à la demande du Premier ministre par Mme Join-Lambert, mais que ces recommandations étaient en cours d'examen par les partenaires sociaux (cf compte rendu des débats de l'Assemblée nationale, 3e séance du 19 mai 1998, p 4110 et 4111).

C'est ce " rétablissement " auquel procède l'amendement devenu l'article 152, présenté par ses auteurs de la manière suivante : " cet amendement résulte aussi du débat que nous avons eu en première lecture, lorsque nous avons abordé le problème de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale ".

Il paraît donc possible de considérer que la mesure nouvelle contenue dans l'article 152 de la loi déférée a fait l'objet, tout comme l'article 63 de la loi portant DDOEF, d'un examen lors des lectures antérieures à l'intervention de la commission mixte paritaire.

En définitive, aucun des moyens invoqués à l'encontre de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions n'est de nature à en établir la contrariété à la Constitution. Aussi, le Gouvernement demande-t-il au Conseil constitutionnel de bien vouloir rejeter le recours dont il est saisi.

SAISINE DEPUTES :

Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel les articles suivants de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, adoptée définitivement le 9 juillet 1998.

Ils demandent au Conseil constitutionnel de décider que ces articles ne sont pas conformes à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous :

I : Sur la taxe dite d'inhabitation (art 51)

Cet article instaure un système d'imposition des logements vacants, appelé communément taxe d'inhabitation, en insérant un article 232 au code général des impôts (CGI).

Il convient tout d'abord de rappeler que, dans sa décision n° 94-358 DC (Rec. p 176) portant sur la loi relative à la diversité de l'habitat, le Conseil constitutionnel a affirmé qu'" aux termes du dixième et du onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 (), la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle " (considérants n°s 5 à 7).

Or, selon une jurisprudence constante du Conseil, un objectif de valeur constitutionnelle doit s'entendre comme étant une directive donnée au législateur d'agir dans un but défini en conformité avec les règles constitutionnelles générales et sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

Le Conseil l'a rappelé, dans sa décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995 (loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité, Rec. p 170,

2), à propos d'un autre objectif à valeur constitutionnelle, la sauvegarde de l'ordre public :

" La prévention des atteintes à l'ordre public, notamment d'atteintes à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche des auteurs d'infractions sont nécessaires à la sauvegarde de principes et droits à valeur constitutionnelle ; () qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre ces objectifs de valeur constitutionnelle et l'exercice des libertés publiques constitutionnelles garanties au nombre desquelles figurent la liberté individuelle et la liberté d'aller et venir ainsi que l'inviolabilité du domicile ; () que la méconnaissance du droit au respect de la vie privée peut être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle. "

L'article 51 de la présente loi méconnaît les règles de répartition des compétences entre le législateur et le pouvoir exécutif ainsi que certains de nos principes constitutionnels les plus fondamentaux. Les députés soussignés demandent donc au Conseil de le déclarer inconstitutionnel pour les raisons suivantes :

Cet article doit tout d'abord être censuré pour incompétence négative :

En vertu du seizième alinéa de l'article 34 : " la loi détermine le régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ".

La taxe instituée par le présent article porte atteinte, de manière manifeste, au droit de propriété et plus particulièrement au principe de libre disposition de son bien par le propriétaire puisqu'elle oblige ce dernier à le louer. Sa mise en oeuvre relève donc bien de la compétence du législateur.

Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs, dans sa décision de 1995 précédemment citée (n° 94-359 DC, Rec. p 176), défini avec précision la compétence du législateur en matière de logement en indiquant dans son considérant 8 que :

" Il incombe tant au législateur qu'au Gouvernement de déterminer, conformément à leurs compétences respectives, les modalités de mise en oeuvre de cet objectif à valeur constitutionnelle ; que le législateur peut à cette fin modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieurement promulguées à la seule condition de ne pas priver de garanties légales des principes de valeur constitutionnelle qu'elles avaient pour objet de mettre en oeuvre. "

En conséquence, le législateur ne peut légitimement modifier le droit du logement qu'à la seule condition que cette modification se justifie par une amélioration de la protection des droits en cause.

L'article 51 de la présente loi ne répond manifestement pas à cette exigence.

Il instaure en effet une taxe d'inhabitation annuelle qui concerne, aux termes de la loi, " les logements vacants dans les communes appartenant à des zones d'urbanisation continue de plus de 200 000 habitants où existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, au détriment des personnes à revenus modestes et des personnes défavorisées, qui se concrétise par le nombre élevé de demandeurs de logement par rapport au parc locatif et la proportion anormalement élevée de logements vacants par rapport au parc immobilier existant ".

La seule lecture de cet article montre l'imprécision des critères édictés et fait pressentir les multiples atteintes à des droits fondamentaux tels que le droit de propriété ou l'égalité devant les charges publiques qu'elle ne manquera pas d'engendrer.

Ainsi, le " déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements " paraît-il difficile à mesurer. Qu'est-ce qu'un déséquilibre marqué ? Qui pourra le mesurer et donner cette appréciation réclamée par la loi pour son application ? Existe-il des instruments objectifs de mesure de ce déséquilibre ? Aucune réponse à ces diverses questions n'est donnée par l'article 51.

La notion de " personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées " pose elle aussi de réelles difficultés de définition.

Aucun critère objectif ne permet de dire que telle personne est " défavorisée " ou a des " revenus modestes ". Ici encore, ces notions devront être appréciées subjectivement alors que le code de la construction et de l'habitat utilise, dans d'autres cas, des critères objectifs de définition, tel par exemple que la notion de " personne dépourvue de logement " (art L 641-2).

Le critère selon lequel le déséquilibre qu'entend réparer l'article 51 de la loi est concrétisé par " le nombre élevé de demandeurs de logements par rapport au parc locatif et la proportion anormalement élevée de logements vacants par rapport au parc immobilier existant " n'est quant à lui pas plus précis. La loi ne dit en effet rien du seuil au-delà duquel le nombre de logements vacants devra être considéré comme " anormalement élevé " au regard du parc immobilier existant et encore moins de l'autorité qui pourra définir un tel seuil.

Enfin, par son imprécision manifeste, le nouvel article 232-I du code général des impôts ne fixe pas les règles de recouvrement de la taxe qu'il institue et est donc contraire aux dispositions du sixième alinéa de l'article 34 de la Constitution qui donne compétence au législateur pour fixer les règles concernant " l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ". Dans sa décision n° 85-191 DC du 10 juillet 1985 (Rec. p 46), le Conseil a réaffirmé clairement la nécessité pour le législateur d'exercer pleinement sa compétence en ce domaine.

Les mêmes griefs peuvent être invoqués à l'encontre des II et IV de l'article 232 qui se contentent d'indiquer que " la taxe est due pour chaque logement vacant depuis au moins deux années consécutives " et que " la taxe n'est pas due en cas de vacance indépendante de la volonté du contribuable ". Dans l'un et l'autre cas, aucun critère, autre que la bonne foi, n'est défini pour vérifier que le propriétaire doit ou non être soumis à la taxe d'inhabitation.

Cette grave absence de précision dans la définition de la vacance involontaire et les conséquences qu'elle ne manquera pas d'entraîner pour les droits des propriétaires, ont d'ailleurs été largement évoquées par les parlementaires lors des débats à l'Assemblée, comme devant le Sénat. Il convient d'ailleurs de relever que, auditionné à plusieurs reprises par les commissions parlementaires, notamment au Sénat, le secrétaire d'Etat au logement a indiqué qu'aucun texte réglementaire fixant une liste exhaustive des cas de vacances involontaires ne serait établie et a par là même reconnu l'imprécision qui prévaudrait à l'application de son texte.

Par ailleurs, l'absence de définition précise des cas de vacances involontaires fait supporter la charge de la preuve de cette vacance subie au seul propriétaire.

Or, la loi ne définit en rien quelles seront les preuves que devra apporter le propriétaire de l'insuffisance, par exemple, de ses ressources pour procéder aux travaux de réhabilitation de son logement. De même, quel élément devra-t-il fournir pour justifier de ses démarches en vue de la location de son logement ? L'absence de définition minimale des critères d'évaluation de ces vacances involontaires risque de conduire à des interprétations divergentes d'un service fiscal à l'autre et de créer en conséquence des inégalités manifestes entre propriétaires en plus de celles déjà expressément affirmées par la loi.

De même, le renvoi à un décret pour fixer la liste des communes où la taxe sera instituée est contraire à l'article 34 de la Constitution. De nombreux parlementaires ont d'ailleurs critiqué ce renvoi au pouvoir réglementaire en considérant qu'il n'apportait pas les garanties minimales de protection dues aux propriétaires. Il a notamment été rappelé que l'article 18 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 avait, lui, stipulé que la liste des communes soumises à l'encadrement des loyers devait être fixée par décret en Conseil d'Etat.

Pour toutes ces raisons, les parlementaires soussignés demandent donc au Conseil constitutionnel de censurer pour incompétence négative l'ensemble des dispositions de l'article 51 de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions.

L'article 51 méconnaît par ailleurs le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques affirmé par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon lequel :

" Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. "

Or, en vertu d'une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, le législateur ne peut définir un régime juridique différent et rompre ainsi avec le principe d'égalité qu'à condition qu'il fonde cette différence de traitement sur " des critères objectifs et rationnels " (Conseil constitutionnel, 29 décembre 1989, Rec. p 229) et que si ce principe d'égalité " ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général () la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit " (Conseil constitutionnel, 1er décembre 1990, Rec. p 84, et 8 janvier 1991, Rec. p 11).

Or, le II de l'article 232 du code général des impôts créé par la présente loi porte atteinte au principe d'égalité en instaurant une forte discrimination entre les contribuables potentiels par l'exonération du champ d'application de la taxe d'inhabitation " des logements vacants détenus par les organismes d'habitation à loyer modéré et les sociétés d'économie mixte et destinés à être attribués sous conditions de ressources ". Cette exonération crée donc une distinction entre bailleurs privés et publics, mais aussi au sein même des bailleurs privés du fait de l'exonération des sociétés d'économie mixte chargées de logement social, personnes morales de droit privé.

Lors des débats, il a été répondu à cet argument que les propriétaires privés pouvaient demander à bénéficier du bail à réhabilitation et devaient donc être considérés comme ayant gelé délibérément leur logement s'ils n'utilisaient pas cette possibilité.

Il convient là encore de relever que comme l'ont, d'ailleurs à plusieurs reprises, rappelé certains parlementaires, les organismes HLM bénéficient, quant à eux, de nombreux crédits pour la destruction, la réhabilitation et la construction de logements, notamment les opérations dites PALULOS, crédits qui sont en constante augmentation et qui ne sont pas correctement consommés par les organismes HLM. Il n'y a donc pas de différence de situation entre bailleurs, justifiant l'atteinte portée à l'égalité devant les charges publiques par cette taxe d'inhabitation.

De plus, si la nécessité de procéder à des opérations de réhabilitation était le véritable motif de l'exonération des organismes HLM et des SEM du champ de l'article 51, le législateur n'avait pas besoin de fixer une exonération générale au bénéfice de ces organismes pour obtenir un tel résultat. En effet, ceux-ci auraient tout à fait pu demander à bénéficier des dispositions du point VI de l'article 232 du CGI permettant au bailleur d'être exonéré de la taxe lorsque la vacance du logement est involontaire.

Ainsi, comme l'ont souligné de nombreux parlementaires (cf notamment intervention de M Henri Chabert, JO, Déb. AN, 2e séance du 13 mai 1998, p 3788), aucune véritable justification à la différence de traitement opérée entre bailleurs par l'article 51 de la loi n'a pu être invoquée lors des débats parlementaires.

L'article 51 est enfin contraire au principe constitutionnel d'universalité budgétaire affirmé par l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances :

L'article 30 de la présente loi affecte en effet à l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) le produit de la taxe d'inhabitation.

Or, l'article 18 de cette ordonnance, qui appartient au bloc de constitutionnalité et a donc la même valeur que la Constitution elle-même, pose le principe de l'universalité budgétaire qui impose qu'aucune recette ne soit réservée au financement d'une dépense particulière. Cet article énonce en effet que " l'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes sont imputées à un compte unique, intitulé budget général ".

Ainsi, comme l'a notamment affirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, l'affectation d'une recette de l'Etat à une dépense particulière ne peut résulter que d'une loi de finances. Ce motif d'inconstitutionnalité de l'article 51 a d'ailleurs été évoqué lors des débats parlementaires (cf intervention du rapporteur pour avis Jacques Oudin, Sénat Déb, séance du 11 juin 1998, p 3001). Or, l'édiction de la taxe d'inhabitation a été largement justifiée, lors des débats, par son objet financier, en l'espèce l'abondement du budget de l'ANAH. Il convient donc de considérer que les dispositions du point VIII de l'article 232 du CGI créé par l'article 30 de la présente loi sont inséparables du reste du texte de cet article. En conséquence, l'irrégularité de l'affectation du produit de la taxe d'inhabitation à l'ANAH devrait à elle seule entraîner l'annulation de l'article 232 du CGI instituée par la loi, en application d'une jurisprudence constante du Conseil (cf notamment décision n° 93-328 DC du 16 décembre 1993).

Pour l'ensemble de ces motifs, les députés soussignés demandent donc au Conseil constitutionnel de déclarer la non-conformité à la Constitution de l'article 51 de la présente loi.

II. : Sur la nouvelle procédure de réquisition

avec attributaire (art 52)

Cet article crée une nouvelle procédure de réquisition dite avec attributaire à côté de celle établie par l'ordonnance n° 45-2394 du 11 octobre 1945 et insérée dans le code de la construction et de l'habitat aux articles L 641-1 à L 641-14.

Il méconnaît, d'une part, deux droits fondamentaux : le droit de propriété et la liberté individuelle au travers du droit au respect de la vie privée et à l'inviolabilité du domicile et, d'autre part, la compétence du législateur fixée par l'alinéa 16 de l'article 34 de notre Constitution et le principe affirmé par la décision n° 94-358 du 15 janvier 1995 précitée selon laquelle le législateur ne peut modifier la législation relative au logement " qu'à la seule condition de ne pas priver de garanties légales des principes à valeur constitutionnelle qu'elles avaient pour objet de mettre en oeuvre ".

Le droit de propriété est clairement affirmé par plusieurs dispositions de notre bloc de constitutionnalité :

: article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 selon lequel " le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression " ;

: article 17 de la même Déclaration selon lequel " la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité " ;

: article 34 de notre Constitution qui énonce quant à lui que " la loi détermine les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ".

Si le Conseil constitutionnel a, à de nombreuses reprises, rappelé la valeur constitutionnelle de ce droit, il reconnaît, depuis sa décision du 16 janvier 1982 relative à la loi de nationalisation, la possibilité d'y déroger dans certaines conditions :

" Considérant que, si postérieurement à 1789 et jusqu'à nos jours, les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ d'application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations exigées par l'intérêt général, les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l'un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression " (considérant n° 16).

Par ailleurs, par sa décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 relative à la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française (Rec. p 43), le Conseil a annulé un régime d'autorisation administrative préalable à tout transfert de propriété immobilière en se fondant sur les limitations directes portées au droit de disposer de son bien, attribut essentiel du droit de propriété :

" Les limitations ainsi portées au droit d'user librement de son bien revêtent un caractère de gravité telle que l'atteinte au droit de propriété qui en résulte dénature le sens et la portée de ce droit garanti par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen " (considérant n° 22).

Dans une espèce similaire relative à un régime d'autorisation administrative préalable portant atteinte au droit de propriété (Conseil constitutionnel n° 85-189 DC du 17 juillet 1985, Rec. p 49), le Conseil a en outre précisé qu'en ce domaine " l'administration doit fonder ses décisions, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur des motifs se référant à des fins d'intérêt général définies avec une précision suffisante ".

Si l'article 52 n'établit pas un régime d'autorisation administrative préalable mettant en cause le droit de propriété, la substitution d'un attributaire public au propriétaire légal pour une durée pouvant aller jusqu'à douze ans opérée par l'article 52 est une atteinte au droit de disposer librement de son bien et doit donc répondre aux conditions de constitutionnalité définies par les jurisprudences du Conseil de 1996 et de 1985 citées ci-dessus.

Compte tenu de ces éléments, les députés soussignés demandent au Conseil de censurer l'article 52 pour les motifs évoqués ci-dessous :

L'imprécision de la rédaction de l'article 52 doit conduire à son annulation pour incompétence négative.

La seule lecture de l'article L 642-1 qui fixe les principes généraux de ce nouveau droit de réquisition en apporte la preuve :

" Afin de garantir le droit au logement, le préfet peut réquisitionner des locaux sur lesquels une personne morale est titulaire d'un droit réel conférant l'usage de ces locaux et qui sont vacants depuis plus de dix-huit mois, dans les communes où existent d'importants déséquilibres entre l'offre et la demande de logement au détriment de personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées. "

La notion de commune où existe un important déséquilibre entre l'offre et la demande de logement n'est en aucune façon définie par la loi. Aucune indication chiffrée n'est donnée permettant d'avoir une idée du mode de calcul par l'administration de ces déséquilibres.

De plus, contrairement à l'article 51 qui s'attachait à la notion d'agglomération, l'article 52 se fonde sur des déséquilibres importants en matière de logement dans la commune alors que la politique du logement ne peut s'évaluer qu'au niveau des bassins et agglomérations. Le secrétaire d'Etat au logement l'a d'ailleurs reconnu lors des débats en affirmant son attachement à la notion de " bassin d'habitation ".

De même, la loi parle de " personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées " sans autre précision. Elle ne donne aucune indication sur la différence de situation entre personnes et d'autres catégories de populations ou de ménages.

L'article L 642-4 se contente d'énoncer que " les locaux sont donnés à bail aux personnes justifiant de ressources inférieures à un plafond fixé par décret, et désignées par le préfet en raison de leurs mauvaises conditions de logement ". Comment va-t-on évaluer ces mauvaises conditions de logement ? Devra-t-on tenir compte de l'état des locaux, du nombre d'occupants pour un même logement, de l'éloignement du lieu de travail, l'environnement ?

Ces critères auraient dû, en vertu des dispositions de l'article 34 de la Constitution qui précise que le régime du droit de propriété relève du législateur et de la décision du Conseil n° 94-359 DC précitée, être fixés par la loi. L'imprécision de l'article 52 est donc totale. Elle conduit à ne pas déterminer avec exactitude le champ même d'application de la loi et donc de la procédure de réquisition. Compte tenu de l'atteinte grave au droit de propriété que cette procédure crée, l'article 52 doit donc être sanctionné pour incompétence négative.

Aucune précision n'est par ailleurs apportée quant aux possibilités ouvertes ou non au propriétaire du bien de contester la procédure de réquisition, notamment devant une autorité juridictionnelle.

L'article 52 permet à l'attributaire de disposer du bien réquisitionné pendant une très longue période et conduira en pratique au quasi-transfert du droit de propriété au bénéfice de l'attributaire :

En effet, la durée de la réquisition peut être portée à douze ans (art L 642-1, al 4) lorsque l'attributaire est obligé pour louer le local réquisitionné de procéder à sa mise aux normes de confort et d'habitabilité, ce qui risque de ne pas être exceptionnel.

Par ailleurs, le propriétaire ne peut exercer son droit de reprise sur ses locaux réquisitionnés qu'après un minimum de neuf ans à compter de la prise d'effet de l'arrêté de réquisition.

La nouvelle procédure de réquisition instaurée par l'article 52 de la présente loi remet en cause l'exercice par le propriétaire de ses droits sur son bien sur une période bien plus importante que celle édictée par l'ordonnance de 1945 comprise entre un et cinq ans.

Par ailleurs, l'article L 642-1, alinéa 2, précise que, à compter de l'arrêté de réquisition, l'attributaire peut décider de procéder à tous les travaux nécessaires à la location du bien réquisitionné. Il est simplement tenu d'en informer le propriétaire légal. Or, la teneur de ces travaux, leur importance ainsi que le délai prévu pour leur réalisation ne sont pas indifférents pour le titulaire du droit d'usage puisque, en vertu de l'article L 642-15, l'indemnité qui lui sera versée par l'attributaire pendant la durée de la réquisition sera amputée du montant correspondant à l'amortissement de ces travaux. Par ce dispositif de déduction des sommes correspondant à l'amortissement des travaux, il apparaît donc que c'est le titulaire du droit d'usage qui supportera le coût de la mise aux normes de son bien alors qu'il ne peut disposer de ce dernier. Ce dispositif est très différent de celui retenu par le bail à réhabilitation où le poids de l'investissement repose sur le preneur.

On peut donc s'interroger sur la constitutionnalité du dispositif de l'article 52 d'autant que celui-ci ne prévoit aucun dispositif d'indemnisation pour le quasi-transfert de propriété qu'il réalise.

L'article 52 porte, enfin, atteinte à la liberté individuelle sous ses aspects du droit à la vie privée et de l'inviolabilité du domicile :

Les articles L 642-7 à L 642-13 fixent les modalités de mise en oeuvre de la procédure de réquisition.

Le préfet pourra ainsi, en application de ces articles, commissionner des agents assermentés afin de l'assister dans la procédure de réquisition. Ces agents pourront notamment consulter les fichiers des organismes chargés de la distribution de l'eau, du gaz, de l'électricité, du téléphone " en vue de prendre connaissance des informations strictement nécessaires à la recherche de locaux vacants, à la détermination de la durée de la vacance et à l'identification du titulaire du droit d'usage sur les locaux ".

Ils peuvent aussi visiter, accompagnés le cas échéant d'experts, les locaux susceptibles d'être réquisitionnés (art L 642-7). De même, l'article L 642-8 prévoit la possibilité pour le préfet de demander aux services fiscaux de lui fournir les informations nominatives dont ils disposent sur la vacance d'un local.

L'article L 642-7 créé par l'article 52 de la présente loi permet ainsi une très large consultation de fichiers établis à d'autres fins que celles de la réquisition et porte donc manifestement atteinte à la liberté individuelle garantie par l'article 66 de la Constitution et affirmée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel n° 76-75 DC du 12 janvier 1997, Rec. p 33).

Aucune disposition n'est ainsi prévue par la présente loi pour assurer le respect de la vie privée des personnes concernées et la conservation confidentielle de ces informations. De même, aucune disposition de protection n'est prévue pour les supports informatiques ainsi consultés en totale contradiction avec les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Or, le Conseil constitutionnel a déclaré dans sa décision relative à la loi portant maîtrise de l'immigration (n° 93-325 DC du 13 août 1993, Rec. p 224) que par cette loi, " le législateur avait entendu explicitement assurer l'application des dispositions protectrices de la liberté individuelle ". Dans une décision récente (n° 97-389 DC du 22 avril 1997 relative à la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration (Journal officiel, Lois et décrets, du 25 avril 1997, p 6271), le Conseil a par ailleurs rappelé qu'en cas d'élaboration d'un fichier informatique (en l'espèce, fichier des certificats d'hébergement), ce fichier " serait soumis aux dispositions protectrices de la liberté individuelle prévues par la législation relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (paragraphe 5) et que les méconnaissances graves du droit au respect de la vie privée sont pour les étrangers comme pour les nationaux de nature à porter atteinte à leur liberté individuelle " (paragraphe 44). L'article L 642-7 ne répond, en aucun cas, à ces exigences de protection de la vie privée et doit donc être à ce titre considéré comme inconstitutionnel.

De même, le droit d'information du préfet par les services fiscaux porte une grave atteinte à la liberté individuelle et aux règles applicables à la consultation d'informations nominatives. L'argument invoqué à plusieurs reprises par le secrétaire d'Etat au logement, lors des débats, selon lequel les agents de l'administration fiscale sont soumis aux règles du secret professionnel sur leurs dossiers, ne suffit pas à lever les ambiguïtés touchant cette procédure.

Enfin, la possibilité pour les agents assermentés par le préfet et certains experts de visiter les locaux susceptibles d'être réquisitionnés (art L 642-7, deuxième alinéa), est également contraire à l'inviolabilité du domicile et à la liberté individuelle affirmées par l'article 66 de notre Constitution.

En effet, le Conseil a indiqué, à propos de la constitutionnalité de perquisitions destinées à la recherche d'infractions fiscales que " si les nécessités de l'action fiscale peuvent exiger que des agents du fisc soient autorisés à opérer des investigations dans les lieux privés, de telles investigations ne peuvent être conduites que dans le respect de l'article 66 de la Constitution qui confie à l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle sous tous ses aspects, et notamment celui de l'inviolabilité du domicile ; que l'intervention de l'autorité judiciaire doit être prévue pour conserver à celles-ci toute la responsabilité et tout le pouvoir de contrôle qui lui reviennent ". (Conseil constitutionnel n° 83-164 DC du 29 décembre 1983, Perquisitions fiscales, Rec. p 67). Plus récemment (Conseil constitutionnel n° 97-389 DC du 22 avril 1987), le Conseil a rappelé ces principes en indiquant que " la recherche des auteurs d'infractions est nécessaire à la sauvegarde de principes et droits de nature constitutionnelle ; qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, cet objectif à valeur constitutionnelle et, d'autre part, la nécessaire protection de la vie privée et l'exercice de la liberté individuelle, notamment l'inviolabilité du domicile ".

L'article 31 de la loi ne confie en aucun cas à la responsabilité d'un magistrat judiciaire le soin de mettre en oeuvre la procédure des visites des locaux susceptibles d'être réquisitionnés mais à une autorité administrative, le préfet ou ses agents assermentés. Il ne prévoit pas non plus les garanties minimales exigées par la jurisprudence constante du Conseil relative à la propriété privée et à la liberté individuelle qui sont, selon les termes de la décision n° 84-184 DC du 29 décembre 1984 (Rec. p 94), la remise d'un procès-verbal à la personne visitée de façon à " garantir la sincérité des constatations faites et à l'identification de certaines pièces saisies lors des visites ". Il convient d'ailleurs de signaler que l'accord de la personne visitée ne remet pas en cause l'obligation de respecter les garanties précitées.

L'article 52 porte atteinte au principe d'égalité devant la loi :

La création par la présente loi d'une procédure de réquisition dite " avec attributaire " n'a pas entraîné la suppression de la procédure de réquisition instituée par l'ordonnance du 11 octobre 1945.

La création de deux types de réquisition fondés sur des critères différents risque en effet d'entraîner d'importantes ruptures d'égalité.

En effet, si l'objectif général de ces deux procédures est proche, ainsi que les publics concernés, leur modalité d'application comporte des différences évidentes tant sur le plan des locaux pouvant faire l'objet de la réquisition que sur le plan des personnes possédant des biens susceptibles d'être réquisitionnés.

Par ailleurs, alors que l'ordonnance de 1945 prévoit une durée de la réquisition de cinq ans maximum éventuellement étendue de deux années supplémentaires en vertu de l'article L 641-1, alinéa 4, la réquisition avec attributaire peut, elle, aller d'un an au moins à six ans au plus, voir douze ans en cas de travaux de mise aux normes réalisés à l'initiative de l'attributaire (art L 642-5).

Le maintien de deux procédures parallèles de réquisition ayant un objectif identique risque donc de créer d'importantes inégalités entre les propriétaires des biens réquisitionnés.

Aussi compte tenu de la gravité des atteintes ainsi portées au droit de propriété et à la liberté individuelle qui ont été largement évoquées lors des débats parlementaires (cf notamment l'exception d'irrecevabilité défendue par M François Goulard, JO, Déb. AN, 2e séance du 30 juin 1998, p 5542 à 5546) et compte tenu de l'importance de cette procédure d'identification des logements vacants susceptibles d'être réquisitionnés, les dispositions des articles L 642-7 et L 642-8 sont inséparables des dispositions des autres articles du code de la construction et de l'habitation créés par l'article 52 de la présente loi. En conséquence, l'article 52 doit être déclaré inconstitutionnel.

III. : Obligation d'acquisition d'un bien immobilier au prix fixé par le juge de l'exécution, en cas d'absence constatée d'enchères, à l'encontre du créancier du propriétaire d'un bien (art 107) :

Cet article prévoit en effet qu'à défaut d'enchères lors de l'adjudication d'un bien d'une personne surendettée le poursuivant se voit d'office déclaré acquéreur du bien au prix fixé par le juge.

La création d'une telle obligation sans contrepartie financière porte manifestement atteinte au droit de propriété. En effet, les avantages liés à la détention d'une sûreté réelle par le créancier poursuivant ont un caractère patrimonial évident.

Or, en vertu d'une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel depuis sa décision du 16 janvier 1982 sur la loi de nationalisation, l'atteinte ainsi portée au droit de propriété est inconstitutionnelle si elle entraîne une rupture d'égalité injustifiée entre les propriétaires concernés.

Dans sa décision du 13 décembre 1985 relative à l'édiction par le législateur d'un régime de servitudes administratives opposées à des propriétaires privés en matière de transmission hertzienne, le Conseil constitutionnel a rappelé que le principe d'égalité devant les charges publiques ne saurait permettre d'exclure du droit à réparation (dû au propriétaire) " un élément quelconque du préjudice indemnisable résultant des travaux ou de l'ouvrage public en cause ".

Par ailleurs, le Conseil a, dans sa décision du 16 janvier 1986 relative à la loi limitant les possibilités de cumul des pensions de retraite et des revenus d'activités (Rec. p 9), précisé que " si le principe ainsi énoncé (l'égale répartition de la "contribution commune" entre les citoyens affirmée par l'article 13 de la Déclaration de 1789) n'interdit pas au législateur de mettre à la charge d'une ou plusieurs catégories socioprofessionnelles déterminées une certaine aide à une ou plusieurs autres catégories socioprofessionnelles, il s'oppose à une rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques ".

Or, l'article 107 fait peser sur le créancier poursuivant une obligation de rachat à un prix qu'il n'a pas lui-même fixé, d'un bien afin de répondre à un objectif de solidarité nationale affirmé par le législateur : la lutte contre l'exclusion. Par là même, le législateur transfère sur ce créancier l'obligation faite à l'Etat et aux pouvoirs publics de lutter contre les facteurs d'exclusion que peut engendrer une situation de surendettement. Il paraît donc légitime de considérer comme le fait d'ailleurs traditionnellement la jurisprudence administrative depuis l'arrêt du Conseil d'Etat Couitéas du 20 novembre 1923 (Rec. Lebon, p 789) que le législateur fait, en l'espèce, supporter au créancier de la personne surendettée un préjudice spécial et anormal qui rompt l'égalité devant les charges publiques et qu'en conséquence le législateur aurait dû prévoir une procédure d'indemnisation générale du créancier pour l'atteinte ainsi portée à un élément fondamental de son patrimoine.

L'article 107, ne prévoyant aucun mécanisme d'indemnisation du créancier, doit donc être déclaré inconstitutionnel.

IV. : L'obligation faite au préfet de proposer une solution

d'hébergement à la personne expulsée (art 119)

Cet article dispose en effet que :

" Art L 613-6 -

Lorsque le représentant de l'Etat dans le département accorde le concours de la force publique, il s'assure qu'une offre d'hébergement tenant compte, autant qu'il est possible, de la cellule familiale est proposée aux personnes expulsées. "

Cet article, par l'imprécision des termes utilisés, porte manifestement atteinte à l'autorité de la chose jugée et doit donc être considéré comme contraire au principe de séparation des pouvoirs.

En effet, le législateur a dans la rédaction de cet article par le terme " lorsque " implicitement imposé une relation de cause à effet entre l'octroi de la force publique nécessaire à l'expulsion et l'offre d'hébergement.

Il paraît donc évident que cet article imposera au préfet, avant toute décision concernant l'octroi du concours de la force publique au propriétaire justifiant d'un jugement définitif d'expulsion, de proposer une offre d'hébergement ou au minimum de s'être informé des possibilités d'hébergement de la personne expulsée.

Or, selon une jurisprudence constante depuis sa décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 relative à la loi portant validation d'actes administratifs (Rec, p 46), le Conseil sanctionne les atteintes portées par le législateur au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs :

" Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 64 de la Constitution en ce qui concerne l'autorité judiciaire, et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, en ce qui concerne, depuis la loi du 24 mai 1872, la juridiction administrative, que l'indépendance des juridictions est garantie ainsi que le caractère spécifique de leur fonction sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le gouvernement ; qu'ainsi il n'appartient ni au législateur ni au gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d'adresser à celles-ci des injonctions et de substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence. "

En soumettant, par l'article 107 de la présente loi, l'octroi du concours de la force publique par le préfet à la réalisation préalable d'une démarche administrative tendant à l'hébergement de la personne expulsée, le législateur porte atteinte à la force exécutoire des décisions de justice.

Or, les décisions de justice s'exercent de plano, c'est-à-dire sans condition. L'article 107 porte donc atteinte au principe de séparation des pouvoirs et doit, pour cette raison, être déclaré inconstitutionnel.

V : Irrégularité dans l'exercice du droit d'amendement

(art 152)

L'article 152 de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions n'a pas été adopté en conformité avec les règles constitutionnelles de la procédure législative, et notamment celles encadrant le droit d'amendement.

Cet article, qui substitue au Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts institué par l'article 78 de la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle un conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, a été adopté par l'Assemblée nationale lors de la deuxième lecture de la présente loi (3e séance du mercredi 1er juillet 1998) et donc après l'échec de la commission mixte paritaire sur ce texte.

Or, selon une jurisprudence constante affirmée au milieu des années 80 (par exemple, décision n° 89-251 DC du 12 janvier 1989, Rec. p 12) et que le Conseil vient de réaffirmer avec force dans sa décision relative à la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (n° 98-402 DC du 25 juin 1998, JO, Lois et décrets, du 3 juillet 1998, p 10147), le droit d'amendement après l'échec de la commission paritaire est encadré dans certaines conditions :

" Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 39, 44 et 45 de la Constitution que le droit d'amendement, qui est le corollaire de l'initiative législative, peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative ; que, toutefois, il ressort de l'économie de l'article 45 que des adjonctions ne sauraient, en principe, être apportées au texte soumis aux délibérations des assemblées après la réunion de la commission mixte paritaire ; qu'en effet, s'il en était ainsi, des mesures nouvelles pourraient être adoptées sans avoir fait l'objet d'un examen lors des lectures antérieures à la réunion de la commission mixte paritaire et, en cas de désaccord entre les assemblées, sans être soumises à la procédure de conciliation confiée par l'article 45 de la Constitution à la commission.

" Considérant que, à la lumière de ce principe, les seuls amendements susceptibles d'être adoptés à ce stade de la procédure doivent soit être en relation directe avec une disposition du texte en discussion, soit être dictés par la nécessité d'assurer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen devant le Parlement. "

L'article 152 de la loi ne répond en aucun cas à l'une ou l'autre de ces conditions de constitutionnalité. Il ne peut, au seul motif que le centre ainsi créé a compétence pour contribuer à la connaissance des revenus, des inégalités sociales et des liens entre l'emploi, les revenus et la cohésion sociale, être considéré comme ayant un lien direct avec une disposition du texte. La preuve en est d'ailleurs l'absence de toute justification lors de sa présentation en séance publique, par son auteur d'un quelconque lien réel avec l'objet de la présente loi.

L'argument selon lequel l'adoption après la réunion de la commission mixte paritaire est liée à la nécessaire coordination des textes en cours d'examen devant le Parlement ne peut lui non plus être à bon droit invoqué en l'espèce.

Enfin, il convient de préciser que le détournement manifeste de procédure opéré par l'adoption tardive de cet amendement a été implicitement reconnu par le Gouvernement. En effet, lors des débats en séance, le secrétaire d'Etat à la santé, appelé par le président de séance, a donné l'opinion du Gouvernement sur cet amendement, a déclaré que " l'avis (du Gouvernement) était d'autant plus favorable que la consultation des partenaires sociaux a eu lieu depuis la première lecture " (compte rendu analytique des débats de l'Assemblée nationale, 3e séance du 1er juillet 1998, p 28). Il paraît donc légitime de considérer que cet amendement aurait pu être présenté à la commission mixte paritaire et que son adoption a ainsi méconnu les articles 39, 44 et 45 de notre Constitution.

Les députés soussignés demandent en conséquence au Conseil de censurer l'article 152 de la présente loi.


Références :

DC du 29 juillet 1998 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 29 juillet 1998 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°98-403 DC du 29 juillet 1998
Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1998:98.403.DC
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