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08/07/1999 | FRANCE | N°99-414

France | France, Conseil constitutionnel, 08 juillet 1999, 99-414


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 9 juin 1999, par MM Philippe Douste-Blazy, José Rossi, Pierre Albertini, Mme Nicole Ameline, MM François d'Aubert, Pierre-Christophe Baguet, Mme Sylvia Bassot, MM Dominique Baudis, Jacques Barrot, Jean-Louis Bernard, Emile Blessig, Roland Blum, Mmes Marie-Thérèse Boisseau, Christine Boutin, MM Jean Briane, Yves Bur, Dominique Bussereau, Pierre Cardo, Antoine Carré, Pascal Clément, Georges Colombier, Jean-François Chossy, René Couanau, Charles de Courson, Bernard Deflesselles, Francis Delattre, Léonce Deprez, Franck Dhersin, Laurent Dominati

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Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 9 juin 1999, par MM Philippe Douste-Blazy, José Rossi, Pierre Albertini, Mme Nicole Ameline, MM François d'Aubert, Pierre-Christophe Baguet, Mme Sylvia Bassot, MM Dominique Baudis, Jacques Barrot, Jean-Louis Bernard, Emile Blessig, Roland Blum, Mmes Marie-Thérèse Boisseau, Christine Boutin, MM Jean Briane, Yves Bur, Dominique Bussereau, Pierre Cardo, Antoine Carré, Pascal Clément, Georges Colombier, Jean-François Chossy, René Couanau, Charles de Courson, Bernard Deflesselles, Francis Delattre, Léonce Deprez, Franck Dhersin, Laurent Dominati, Renaud Donnedieu de Vabres, Renaud Dutreil, Jean-Pierre Foucher, Claude Gaillard, Germain Gengenwin, Claude Goasguen, François Goulard, Gérard Grignon, Hubert Grimault, Pierre Hellier, Patrick Herr, Philippe Houillon, Mmes Anne-Marie Idrac, Bernadette Isaac-Sibille, MM Christian Jacob, Denis Jacquat, Jean-Jacques Jegou, Aimé Kergueris, Christian Kert, Edouard Landrain, Jean-Claude Lenoir, Arnaud Lepercq, Pierre Lequiller, Maurice Leroy, Roger Lestas, Maurice Ligot, François Loos, Alain Marleix, Christian Martin, Jean-François Mattei, Mme Louise Moreau, MM Jean-Marie Morisset, Hervé Morin, Yves Nicolin, Arthur Paecht, Dominique Paille, Paul Patriarche, Henri Plagnol, Jean Proriol, Didier Quentin, Marc Reymann, Jean Rigaud, Gilles de Robien, François Rochebloine, André Santini, François Sauvadet, Guy Teissier, François Vannson, Philippe Vasseur, Jean-Jacques Weber, Pierre-André Wiltzer, députés, conformément aux dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi d'orientation agricole ;

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Vu les lois des 12 juillet 1875 et 18 mars 1880 relatives à la liberté de l'enseignement supérieur ;

Vu la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 modifiée sur les rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement privés ;

Vu la loi n° 84-579 du 9 juillet 1984 modifiée portant rénovation de l'enseignement agricole public ;

Vu la loi n° 84-1285 du 31 décembre 1984 portant réforme des relations entre l'Etat et les établissements d'enseignement agricole privés et modifiant la loi n° 84-579 du 9 juillet 1984 portant rénovation de l'enseignement agricole public ;

Vu le code rural ;

Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 24 juin 1999 ;

Vu les observations en réplique présentées par les auteurs de la saisine, enregistrées le 29 juin 1999 ;

Le rapporteur ayant été entendu,

- SUR L'ARTICLE 131 :

1. Considérant que les requérants mettent en cause l'article 131 de la loi déférée, qui modifie l'article L. 813-2 du code rural relatif aux formations dispensées dans l'enseignement agricole privé ;

2. Considérant que la régularité au regard de la Constitution des termes d'une loi déjà promulguée peut être utilement contestée à l'occasion de l'examen par le Conseil constitutionnel de dispositions législatives qui affectent son domaine, la complètent ou, même sans en changer la portée, la modifient ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 813-2 du code rural, tant dans son ancienne rédaction que dans la rédaction issue de la disposition contestée, les formations de l'enseignement agricole privé sous contrat peuvent s'étendre "jusqu'à la dernière année de formation de techniciens supérieurs" ; que ces dispositions ont pour effet d'exclure les classes préparatoires aux grandes écoles d'agriculture du régime contractuel spécifique dont relèvent les établissements d'enseignement agricole privés en vertu des articles L. 813-8 et L. 813-9 du code rural et, ce faisant, de les écarter du bénéfice de l'aide de l'État afférente à ce régime ; que, pour leur part, les formations de l'enseignement agricole public, conformément à l'article L. 811-2 du code rural, tant dans son ancienne rédaction que dans la rédaction issue de l'article 122 de la loi déférée, peuvent s'étendre "jusqu'à l'enseignement supérieur inclus" ;

4. Considérant que les requérants font grief à ces dispositions de méconnaître tant le principe de liberté de l'enseignement que le principe d'égalité ;

. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe de liberté de l'enseignement :

5. Considérant que les députés auteurs de la saisine soutiennent que "le principe constitutionnel de liberté de l'enseignement aurait dû se traduire dans la loi par l'alignement des possibilités d'ouvrir des formations sous contrat dans les lycées agricoles privés aux mêmes niveaux que dans les lycées agricoles publics" ; qu'en application de ce principe, l'enseignement privé devrait pouvoir "proposer toute formation utile et recevoir, moyennant l'acceptation des obligations strictes auxquelles elles sont subordonnées, les aides de l'État qui sont la condition stricte de l'exercice de cette liberté" ; que la loi déférée instituerait, en méconnaissance de ladite liberté, "un monopole des établissements publics pour la préparation aux concours publics" ;

6. Considérant que le principe de liberté de l'enseignement constitue l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle ; qu'en ce qui concerne l'enseignement supérieur, il trouve son fondement dans les lois susvisées des 12 juillet 1875 et 18 mars 1880 ; que l'affirmation, par le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, selon laquelle "l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État" ne saurait exclure l'existence de l'enseignement privé, non plus que l'octroi d'une aide de l'État à cet enseignement dans les conditions définies par la loi ;

7. Considérant, en premier lieu, que la disposition contestée, si elle définit le champ d'application du régime contractuel prévu aux articles L. 813-8 et L. 813-9 du code rural, n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire aux établissements d'enseignement agricole privés d'ouvrir librement des classes préparatoires aux grandes écoles d'agriculture ; qu'ainsi manque en fait le moyen tiré de ce que serait créé, au profit des établissements de l'enseignement agricole publics, un "monopole" dans ce domaine ;

8. Considérant, en second lieu, qu'il est loisible au législateur de subordonner l'aide apportée par l'État aux établissements d'enseignement privés à la nature et à l'importance de leur contribution à l'accomplissement de missions d'enseignement ; que, sous réserve de fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels, il lui appartient, en particulier, de déterminer celles des formations dispensées par ces établissements qui sont susceptibles de bénéficier d'une telle aide ; qu'il a pu en l'espèce, compte tenu des spécificités actuelles de l'enseignement dispensé dans les lycées agricoles privés, ne pas inclure dans le champ du régime de contractualisation prévu par les articles L. 813-8 et L. 813-9 du code rural les formations de l'enseignement supérieur agricole autres que celles conduisant au brevet de technicien supérieur ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la violation du principe de liberté de l'enseignement doit être écarté ;

. En ce qui concerne le grief tiré de la violation du principe d'égalité :

10. Considérant que les requérants font également grief aux dispositions critiquées de rompre l'égalité de traitement entre les élèves des établissements publics et ceux des établissements privés, dès lors que ces derniers n'auraient d'autre choix que de se présenter aux concours des grandes écoles d'agriculture "sans le complément de formation assuré par les classes préparatoires", ou de changer d'établissement pour "être scolarisés dans un établissement public" ;

11. Considérant que le principe d'égalité impose qu'élèves de l'enseignement privé et public bénéficient d'un égal accès aux formations dispensées dans le cadre du service public de l'enseignement, ainsi qu'aux divers examens et concours ; qu'en revanche, il ne saurait exiger que toutes les formations dispensées dans les établissements de l'enseignement public le soient avec l'aide de l'État dans les établissements de l'enseignement privé ;

12. Considérant qu'en l'espèce, la disposition critiquée ne s'oppose pas à ce que, comme le prévoit au demeurant la réglementation en vigueur, les élèves issus des lycées agricoles privés se portent candidats, dans les mêmes conditions que ceux des établissements publics, à l'entrée dans les classes préparatoires existant dans ces derniers établissements ; qu'au surplus, des classes préparatoires aux écoles supérieures agronomiques et vétérinaires existent dans des établissements privés d'enseignement général et bénéficient de l'aide de l'État sur le fondement de la loi susvisée du 31 décembre 1959 ; qu'il suit de là que le grief tiré d'une violation du principe d'égalité doit être rejeté ;

- SUR LES ARTICLES 58, 65 et 95 :

13. Considérant que l'article 58, qui institue une instance de gestion spécifique du régime d'assurance complémentaire maladie des salariés agricoles d'Alsace et de Moselle, l'article 65, qui étend les compétences de l'office d'intervention dans le secteur des produits de la mer et de l'aquaculture à l'ensemble des filières du secteur des produits aquatiques et l'article 95, qui définit un acte constitutif d'un exercice illégal de la médecine ou de la chirurgie des animaux, sont tous trois issus d'amendements adoptés après échec de la commission mixte paritaire ; qu'ils sont sans relation directe avec aucune des dispositions du texte en discussion ; que leur adoption n'est pas davantage justifiée par la nécessité d'une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement ; qu'il y a lieu, en conséquence, de les déclarer contraires à la Constitution comme ayant été adoptés au terme d'une procédure irrégulière ;

14. Considérant qu'il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution ;

Décide :

Article premier :

Les articles 58, 65 et 95 sont déclarés contraires à la Constitution.

Article 2 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 juillet 1999, présidée par M Yves GUÉNA et où siégeaient : MM Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD, Alain LANCELOT, Mme Noëlle LENOIR, M Pierre MAZEAUD et Mme Simone VEIL.

Le président,

Yves GUÉNA


Synthèse
Numéro de décision : 99-414
Date de la décision : 08/07/1999
Loi d'orientation agricole
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi d'orientation agricole :

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours dirigé contre l'article 131 de la loi d'orientation agricole, adoptée le 26 mai 1999. Les auteurs de la saisine contestent la nouvelle rédaction que la loi donne à la première phrase de l'article L 813-2 du code rural, qui dispose que " les formations de l'enseignement agricole privé peuvent s'étendre de la classe de quatrième du collège jusqu'à la dernière année de formation de techniciens supérieurs ".

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :

I : Cette réécriture du texte relatif aux missions des établissements d'enseignement agricole privés sous contrat tire les conséquences de la nouvelle définition, donnée par l'article 122 de la même loi, de celles de l'enseignement agricole public. Il introduit donc, dans l'article L 813-2 du code rural issu de la loi du 31 décembre 1984, des modifications permettant de tenir compte de l'évolution intervenue, depuis cette date, en ce qui concerne l'organisation des collèges.

A l'appui de leurs recours, les députés saisissants font d'abord valoir que le texte adopté méconnaît le principe de liberté de l'enseignement en empêchant la création de certaines classes dans l'enseignement privé. Ils estiment que le législateur aurait dû prévoir l'alignement des possibilités ouvertes à ce dernier sur celles qui existent dans l'enseignement public. Faute de l'avoir fait, la loi créerait un monopole des établissements publics pour les préparations aux concours. En réservant ainsi l'existence de classes préparatoires au secteur public, le texte imposerait aux candidats aux concours d'accès à certains établissements d'enseignement supérieur l'obligation d'être scolarisés dans un établissement public. La loi se traduirait, aux yeux des requérants, par une modification de l'équilibre réalisé par le législateur de 1984, débouchant sur une discrimination injustifiée, au détriment de l'enseignement privé.

II. : Cette argumentation ne saurait être accueillie, dès lors qu'elle se méprend, tant sur l'objet du texte critiqué que sur la portée des principes constitutionnels.

a) L'article 131 de la loi déférée n'a, en effet, ni pour objet ni pour effet de modifier l'équilibre issu de la législation antérieurement applicable à l'enseignement agricole privé.

L'équilibre issu des lois du 9 juillet 1984 portant rénovation de l'enseignement agricole et du 31 décembre 1984 portant réforme des relations entre l'Etat et les établissements d'enseignement agricole privés repose sur un parallélisme quasi complet entre les dispositions applicables au secteur public et celles qui organisent le secteur privé sous contrat. La différence est liée au régime particulier de l'enseignement supérieur. Les formations de l'enseignement public (art L 811-2 du code rural) peuvent s'étendre jusqu'à l'enseignement supérieur, englobant ainsi des établissements tels que les écoles supérieures d'agronomie, alors que les formations de l'enseignement privé s'arrêtent à la préparation du brevet de technicien supérieur (art L 813-2). Le régime des écoles supérieures privées relève d'une autre disposition du code (art L 813-10).

En l'état actuel du droit, la loi ne procède donc pas à un alignement intégral entre les deux secteurs. Se situant, comme la préparation du BTS, après le baccalauréat, les classes préparatoires aux grandes écoles n'ont cependant pas été incluses dans le périmètre de la contractualisation défini en 1984, parce qu'elles ne correspondaient pas à la vocation spécifique des lycées privés agricoles et qu'aucune demande n'avait été exprimée en ce sens par les responsables de ce secteur. Elles se trouvent ainsi exclues du champ de la contractualisation des établissements privés, telle qu'elle est définie par les dispositions de la loi du 31 décembre 1984, reprises aux articles L 813-2 et suivants.

La loi contestée ne modifie nullement cet état du droit. Dans l'article L 813-2 actuel, comme dans celui qui résultera de la loi adoptée, le champ de la contractualisation demeure exactement le même. Si la rédaction contestée par les auteurs de la saisine a été adoptée, c'est seulement parce que l'article 122 de la présente loi a légèrement modifié l'article L 811-2 du code rural, pour tenir compte de l'actuelle organisation du collège en cycles : l'expression " de la première année du cycle d'orientation " a été remplacée par la formule " de la classe de quatrième du collège ", ce qui n'induit aucun changement pratique, mais évite de se référer à la notion de " cycle ", qui a évolué depuis 1984. La même formule a donc été utilisée pour modifier corrélativement l'article L 813-2, sans pour autant affecter le champ d'application du mécanisme d'aide organisé par le législateur de 1984. Telle est donc la seule portée de la disposition contestée.

Il est ainsi clair que l'article 131 de la loi déférée n'affecte pas le champ de la contractualisation tel qu'il a été délimité par la loi du 31 décembre 1984. C'est donc, en réalité, à cette dernière loi que s'adressent les critiques des requérants. Or cette loi ne méconnaît elle-même aucun principe constitutionnel.

b) Les principes invoqués n'ont, en effet, pas la portée que leur prêtent les requérants :

1° S'agissant, en premier lieu, du principe de liberté de l'enseignement, la reconnaissance de son statut constitutionnel résulte de la décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977. Cette liberté implique le droit pour toute personne physique ou morale remplissant les conditions minimales d'ordre public d'ouvrir un établissement scolaire, le respect par l'Etat du caractère propre des établissements privés, et le droit pour les familles de choisir la méthode d'enseignement de leurs enfants.

Cette décision relève par ailleurs que si l'Etat a l'obligation d'organiser un enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés conformément à l'alinéa 13 du Préambule de la Constitution, l'octroi d'une aide de l'Etat à l'enseignement privé n'est pas exclu.

L'Etat a donc la possibilité d'allouer des aides aux établissements d'enseignement privés dans des conditions définies par le législateur. De manière générale, le principe, rappelé par la décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994, est " que le législateur peut prévoir l'octroi d'une aide des collectivités publiques aux établissements d'enseignement privés selon la nature et l'importance de leur contribution à l'accomplissement de missions d'enseignement ".

C'est ainsi que la loi Debré du 31 décembre 1959 a pu fixer un régime d'association des établissements secondaires au service public dont ne bénéficient pas, à la différence de l'enseignement supérieur agricole privé, les établissements supérieurs privés régis par la loi du 12 juillet 1875. La loi peut donc fixer des modalités de financement différenciées selon les formations, sous réserve de déterminer les critères objectifs auxquels doit obéir l'octroi de ces aides.

Appliqué au cas d'espèce, le principe de liberté de l'enseignement interdirait sans doute au législateur de faire obstacle à ce que l'initiative privée prenne en charge l'organisation de classes préparatoires aux grandes écoles qui dispensent un enseignement supérieur dans cette matière.

Mais ni les dispositions de la loi de 1984 ni, par conséquent, celles de la présente loi n'impliquent une telle interdiction. C'est donc à tort que les requérants soutiennent que la loi institue un monopole au profit des établissements publics pour la préparation aux concours. En effet, les termes de l'article 131 suivant lesquels " les formations de l'enseignement agricole privé peuvent s'étendre de la classe de quatrième du collège jusqu'à la dernière année de formation des techniciens supérieurs " n'ont pas pour effet d'interdire aux établissements d'enseignement privés de dispenser des formations allant au-delà des classes de BTS. Ces dispositions ont simplement pour effet d'exclure ce type de formation des régimes spécifiques de subvention organisés aux articles L 813-8 et L 813-9 du code rural.

Au demeurant, on observera que l'Etat subventionne d'ores et déjà, dans le cadre du régime de la loi Debré, des classes sous contrat qui préparent aux concours d'entrée dans les écoles supérieures agronomiques et vétérinaires dans des établissements privés d'enseignement général. Sur le plan des principes, il importe peu que ces classes préparatoires soient financées dans le cadre de la loi Debré plutôt que dans celui du régime propre à l'enseignement agricole.

En tout état de cause, ces principes n'impliquent nullement l'obligation, pour le législateur, d'instaurer un mécanisme assurant un alignement absolu du secteur privé aidé sur le secteur public. Ils n'imposent donc pas à l'Etat de financer les classes préparatoires des lycées agricoles privés du seul fait qu'il en existe, par ailleurs, dans les lycées agricoles publics.

2° Quant au principe d'égalité de traitement entre les élèves des lycées agricoles publics et privés, il ne saurait davantage être utilement invoqué pour contester la loi déférée.

Comme le montre l'arrêt du Conseil d'Etat du 22 mars 1941 dont se prévalent les requérants, ce principe se traduit essentiellement par la prohibition de toute discrimination, entre les élèves issus de l'enseignement public et ceux dont la scolarité s'est déroulée dans les établissements privés, quant aux conditions d'accès à des formations supérieures ou de présentation à des concours. Telle n'est évidemment pas la portée des dispositions contestées.

Quant au fait, relevé dans la saisine, qu'un élève issu de l'enseignement privé, ne trouvant pas de classes préparatoires dans son lycée, pourrait être conduit à changer d'établissement pour suivre une préparation dans un lycée public : tout comme, d'ailleurs, un élève de l'enseignement public scolarisé dans un lycée qui ne comporte pas de telles classes -, il ne saurait, par lui-même, constituer une méconnaissance du principe d'égalité.

En tout état de cause, il est loisible au secteur privé d'organiser de telles préparations, le cas échéant dans des conditions permettant de bénéficier du régime de la loi Debré.

En définitive, le Gouvernement considère que les critiques adressées à l'article 131 de la loi d'orientation agricole ne sont pas fondées, et que cet article ne pourra donc qu'être déclaré conforme à la Constitution.

SAISINE DEPUTES:

Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi d'orientation agricole, afin qu'il lui plaise de déclarer cette loi contraire à la Constitution, pour les motifs ci-dessous énoncés.

Les dispositions prévues par le premier alinéa de l'article 131 de la loi d'orientation agricole adopté en dernière lecture par l'Assemblée nationale (modifiant la première phrase de l'article L 813-2 du code rural) doivent être déférées au Conseil constitutionnel. En effet, elles constituent une atteinte à la liberté de l'enseignement d'une part en restreignant le libre accès à certaines classes de l'enseignement agricole qui ne pourraient être mises en oeuvre par l'enseignement agricole privé sous le régime des contrats établis par le législateur de 1984, et en rompant le principe d'égalité de traitement des élèves de l'enseignement public et de l'enseignement privé.

I : Le principe constitutionnel de liberté de l'enseignement aurait dû se traduire dans la loi par l'alignement des possibilités d'ouvrir des formations sous contrat dans les lycées agricoles privés aux mêmes niveaux que dans les lycées agricoles publics. Un tel principe doit d'autant plus être respecté que par ailleurs la loi a prévu que les associations ne peuvent contracter pour les formations que dans les limites fixées cumulativement par le schéma prévisionnel national des formations et par les crédits inscrits chaque année dans la loi de finances. En outre, la gestion par l'Etat des crédits affectés à l'enseignement agricole tient compte des sujétions particulières de l'enseignement public, les subventions affectées aux établissements privés ne représentant qu'une fraction du coût pour l'Etat des charges correspondantes des établissements publics. La restriction nouvelle créée par la loi constitue donc, à l'égard de la liberté d'enseignement, une restriction sur le fond puisque la loi de 1984 codifiée fixe de façon précise le cadre de la contractualisation et du financement qui en découle.

En ne permettant pas la contractualisation des classes concernées dans les établissements privés, la loi constituerait un monopole des établissements publics pour la préparation aux concours publics. Or une telle situation a été contestée par une décision du Conseil d'Etat du 13 novembre 1970 (rec. 674).

Le principe ci-dessus est d'ailleurs retenu par les articles 28 et 30 de la loi d'orientation de l'éducation du 10 juillet 1989 qui précisent que les dispositions qui sont relatives à l'enseignement sont applicables aux établissements privés sous contrat, étant sauvegardées les dispositions spécifiques prévues par les lois de contractualisation (loi Debré de 1959 et loi Rocard de 1984).

II. : L'égalité de traitement entre les élèves vaut notamment pour le régime des examens et concours. En réservant l'existence des classes préparatoires ouvertes aux titulaires des BTS ou DUT aux seuls établissements publics, la loi imposerait aux candidats aux concours de recrutement des ENSA et autres établissements analogues d'être scolarisés dans un établissement public dès lors qu'ils se présentent au concours par la voie qui leur est réservée. Une telle disposition a été annulée par le Conseil d'Etat (arrêt du 22 mars 1941, rec. 49). La loi n'autorisant pas la contractualisation de telles classes dans les établissements privés, les candidats aux concours précités n'auraient d'autre possibilité que de se présenter sans le complément de formation assuré dans ces classes préparatoires. Or le rapport 1998 de l'Observatoire national de l'enseignement agricole estime quasi nulles les chances de succès de tels candidats au vu des résultats au concours analysés depuis 1987.

L'égalité des candidats devant le concours public est donc rompue.

III. : Or le texte adopté par l'Assemblée nationale en dernière lecture, malgré les amendements adoptés par la Haute Assemblée et après l'échec, notamment sur ce sujet, de la commission mixte paritaire le 4 mars 1999, ne permet pas aux établissements privés et à leurs élèves l'égal accès de tous aux concours et à leur préparation sous contrat. Il méconnaît donc le principe constitutionnel et modifie l'équilibre entre les enseignements techniques public et privé sous contrat alors qu'il aurait dû établir l'alignement des possibilités d'ouvrir des formations sous contrat dans les lycées privés aux mêmes niveaux que dans les lycées agricoles publics.

Tel était l'objet d'un amendement présenté à l'Assemblée nationale dont la forme donnait toute garantie par ailleurs que si, par une évolution contraire, les établissements publics voyaient réduit leur champ de compétence, il en irait de même automatiquement pour les établissements privés. Un amendement visant le même objectif a été présenté et adopté par le Sénat.

Le refus d'une telle disposition par le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale a conduit à une situation clairement discriminatoire à l'égard de l'enseignement privé sous contrat et il provoque durablement la rupture des équilibres de 1984, l'actuel texte de loi constituant, par son caractère de " loi d'orientation ", un véhicule législatif essentiel pour organiser l'enseignement agricole à l'avenir.

Cette même discrimination est explicite dans l'argumentation exposée par le ministre devant les deux assemblées, puisqu'il renvoie le règlement de la question soulevée pour l'enseignement privé sous contrat à un éventuel projet de loi sur l'enseignement supérieur, alors que le texte qu'il a présenté et soutenu pour l'enseignement agricole public institue les dispositions législatives nouvelles concernant le " premier cycle de l'enseignement supérieur " dans les lycées publics. Dès lors pouvait-on refuser de légiférer pour les établissements privés sous contrat dans le cadre de la LOA, alors que le même texte le faisait pour les établissements publics sur le même sujet, sans que cela conduise à la situation de monopole évoquée plus haut ?

Pour ces motifs, il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution la loi d'orientation agricole.


Références :

DC du 08 juillet 1999 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 08 juillet 1999 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi d'orientation agricole (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°99-414 DC du 08 juillet 1999
Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1999:99.414.DC
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