Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne le 13 avril 2010, par M. Jean-Marc AYRAULT, Mmes Patricia ADAM, Sylvie ANDRIEUX, MM. Jean-Paul BACQUET, Dominique BAERT, Claude BARTOLONE, Christian BATAILLE, Mmes Delphine BATHO, Chantal BERTHELOT, Gisèle BIÉMOURET, MM. Patrick BLOCHE, Daniel BOISSERIE, Jean-Michel BOUCHERON, Christophe BOUILLON, Mme Monique BOULESTIN, M. Pierre BOURGUIGNON, Mme Danielle BOUSQUET, MM. François BROTTES, Alain CACHEUX, Jérôme CAHUZAC, Thierry CARCENAC, Laurent CATHALA, Bernard CAZENEUVE, Guy CHAMBEFORT, Jean-Paul CHANTEGUET, Gérard CHARASSE, Alain CLAEYS, Jean-Michel CLÉMENT, Mmes Marie-Françoise CLERGEAU, Catherine COUTELLE, Pascale CROZON, M. Frédéric CUVILLIER, Mme Claude DARCIAUX, M. Pascal DEGUILHEM, Mme Michèle DELAUNAY, MM. Guy DELCOURT, Bernard DEROSIER, René DOSIÈRE, Tony DREYFUS, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Mme Laurence DUMONT, MM. Jean-Paul DUPRÉ, Yves DURAND, Olivier DUSSOPT, Christian ECKERT, Henri EMMANUELLI, Mme Corinne ERHEL, MM. Albert FACON, Hervé FÉRON, Mmes Aurélie FILIPPETTI, Geneviève FIORASO, M. Pierre FORGUES, Mme Valérie FOURNEYRON, MM. Jean-Claude FRUTEAU, Jean-Louis GAGNAIRE, Jean GAUBERT, Jean-Patrick GILLE, Mme Annick GIRARDIN, MM. Jean GLAVANY, Daniel GOLDBERG, Gaëtan GORCE, Mme Pascale GOT, M. Marc GOUA, Mme Élisabeth GUIGOU, M. David HABIB, Mme Danièle HOFFMAN RISPAL, MM. François HOLLANDE, Christian HUTIN, Mmes Monique IBORRA, Françoise IMBERT, MM. Michel ISSINDOU, Serge JANQUIN, Henri JIBRAYEL, Régis JUANICO, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jean-Pierre KUCHEIDA, Jérôme LAMBERT, François LAMY, Jack LANG, Mme Colette LANGLADE, MM. Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Jean-Yves LE DÉAUT, Jean Marie LE GUEN, Mme Annick LE LOCH, M. Bruno LE ROUX, Mmes Marylise LEBRANCHU, Catherine LEMORTON, Annick LEPETIT, MM. Bernard LESTERLIN, Albert LIKUVALU, François LONCLE, Jean MALLOT, Mmes Jacqueline MAQUET, Marie-Lou MARCEL, M. Philippe MARTIN, Mmes Martine MARTINEL, Frédérique MASSAT, M. Didier MATHUS, Mme Sandrine MAZETIER, MM. Michel MÉNARD, Kléber MESQUIDA, Arnaud MONTEBOURG, Pierre MOSCOVICI, Pierre-Alain MUET, Henri NAYROU, Alain NÉRI, Mme Françoise OLIVIER-COUPEAU, M. Christian PAUL, Mme George PAU-LANGEVIN, MM. Germinal PEIRO, Jean-Luc PÉRAT, Mmes Marie-Françoise PÉROL-DUMONT, Martine PINVILLE, M. Philippe PLISSON, Mme Catherine QUÉRÉ, MM. Jean-Jack QUEYRANNE, Dominique RAIMBOURG, Simon RENUCCI, Mme Marie-Line REYNAUD, MM. Marcel ROGEMONT, René ROUQUET, Michel SAINTE-MARIE, Michel SAPIN, Mme Odile SAUGUES, M. Christophe SIRUGUE, Mme Marisol TOURAINE, MM. Jean-Louis TOURAINE, Philippe TOURTELIER, Jean-Jacques URVOAS, Daniel VAILLANT, Jacques VALAX, Manuel VALLS, Michel VAUZELLE, André VÉZINHET, Jean-Michel VILLAUMÉ et Philippe VUILQUE, députés.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, ensemble la décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 ;
Vu le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi du 2 juin 1891 ayant pour objet de réglementer l'autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux ;
Vu la loi du 18 avril 1924 modifiant l'article 2 de la loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 20 avril 2010 ;
Vu les observations complémentaires présentées par les députés requérants, enregistrées le 28 avril 2010, et l'arrêt de la Cour de cassation du 16 avril 2010, n° 12003 ND ;
Vu les nouvelles observations du Gouvernement, enregistrées le 30 avril 2010 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne ; qu'ils présentent des griefs contre l'ensemble de la loi ; qu'ils contestent, en outre, ses articles 1er, 26, 47 et 48 ;
- SUR LES GRIEFS DIRIGÉS CONTRE L'ENSEMBLE DE LA LOI :
2. Considérant que, selon les requérants, la loi déférée aurait été adoptée selon une procédure contraire à la Constitution ; qu'ils soutiennent qu'elle méconnaîtrait le principe fondamental de prohibition des jeux de hasard ; qu'elle ne serait pas conforme au droit de l'Union européenne ; qu'elle serait contraire à l'intérêt général ainsi qu'à l'objectif de sauvegarde de l'ordre public ; qu'enfin, les moyens qu'elle met en oeuvre seraient manifestement inappropriés aux objectifs qu'elle poursuit ;
. En ce qui concerne le grief tiré de l'irrégularité de la procédure d'adoption de la loi :
3. Considérant que, selon les requérants, en suspendant la séance publique après avoir déclaré ouvert le scrutin pour le vote d'une motion de rejet préalable en deuxième lecture, le président de l'Assemblée nationale a enfreint le règlement de cette assemblée et méconnu les exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires ;
4. Considérant qu'il ressort des travaux parlementaires que le président de séance n'avait pas déclaré ouvert le scrutin avant d'avoir décidé de suspendre la séance pendant les explications de vote ; qu'au demeurant, les règlements des assemblées parlementaires n'ont pas par eux-mêmes une valeur constitutionnelle ; qu'en tout état de cause, aucune des dispositions du règlement de l'Assemblée nationale n'interdit au président de séance de suspendre la séance pendant les explications de vote ; que, dès lors, le grief doit être rejeté ;
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de prohibition des jeux d'argent et de hasard :
5. Considérant que, selon les requérants, « en décidant de libéraliser le secteur des jeux en ligne, le législateur remet frontalement en cause une tradition juridique française qui se traduit depuis le dix-neuvième siècle, en matière de jeux de hasard, par les trois principes de prohibition, d'exception et d'exclusivité » ; qu'il aurait méconnu, ce faisant, un principe fondamental reconnu par les lois de la République ;
6. Considérant que la tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour soutenir qu'un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu'autant que cette tradition aurait donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;
7. Considérant que, si la loi du 2 juin 1891 susvisée a prohibé les paris sur les courses de chevaux et celle du 18 avril 1924 confirmé le principe de prohibition des loteries institué par une loi de 1836, ces législations n'ont jamais conféré à ces règles un caractère absolu mais les ont constamment assorties de dérogations et d'exceptions importantes ; qu'en outre, le législateur a également apporté d'autres dérogations à la prohibition des jeux d'argent et de hasard par la loi du 15 juin 1907 réglementant le jeu dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatériques et l'article 136 de la loi de finances du 31 mai 1933 autorisant le Gouvernement à créer la Loterie nationale ; que, dès lors, ces lois de la République ne sauraient être regardées comme ayant reconnu un principe fondamental ;
8. Considérant, au demeurant, que les articles 11, 12 et 14 de la loi déférée soumettent l'organisation en ligne de la prise de paris hippiques, sportifs ou de jeux de cercle à un régime d'agrément préalable ; qu'ainsi, en tout état de cause, le grief tiré de ce que la loi déférée aurait « libéralisé » les jeux en ligne doit être écarté ;
. En ce qui concerne les griefs relatifs au droit de l'Union européenne :
9. Considérant que les requérants soutiennent que « le droit communautaire n'impose nullement une telle ouverture à la concurrence puisque la Cour de justice de l'Union européenne admet au contraire le maintien des monopoles dès lors qu'ils sont justifiés par les objectifs de protection de l'ordre public et de l'ordre social » ; qu'ils invitent le Conseil constitutionnel à vérifier que la loi « n'est pas inconventionnelle » en se référant à l'arrêt de la Cour de cassation du 16 avril 2010 susvisé qui indique que le Conseil constitutionnel pourrait exercer « un contrôle de conformité des lois aux engagements internationaux de la France, en particulier au droit communautaire » ;
- Quant à la supériorité des engagements internationaux et européens sur les lois :
10. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 55 de la Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie » ; que, si ces dispositions confèrent aux traités, dans les conditions qu'elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n'impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution ;
11. Considérant, d'autre part, que, pour mettre en œuvre le droit reconnu par l'article 61-1 de la Constitution à tout justiciable de voir examiner, à sa demande, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative méconnaît les droits et libertés que la Constitution garantit, le cinquième alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée et le deuxième alinéa de son article 23-5 précisent l'articulation entre le contrôle de conformité des lois à la Constitution, qui incombe au Conseil constitutionnel, et le contrôle de leur compatibilité avec les engagements internationaux ou européens de la France, qui incombe aux juridictions administratives et judiciaires ; qu'ainsi, le moyen tiré du défaut de compatibilité d'une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d'inconstitutionnalité ;
12. Considérant que l'examen d'un tel grief, fondé sur les traités ou le droit de l'Union européenne, relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires ;
13. Considérant, en premier lieu, que l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l'article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces engagements sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution ;
14. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des termes mêmes de l'article 23-3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée que le juge qui transmet une question prioritaire de constitutionnalité, dont la durée d'examen est strictement encadrée, peut, d'une part, statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'il statue dans un délai déterminé ou en urgence et, d'autre part, prendre toutes les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ; qu'il peut ainsi suspendre immédiatement tout éventuel effet de la loi incompatible avec le droit de l'Union, assurer la préservation des droits que les justiciables tiennent des engagements internationaux et européens de la France et garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir ; que l'article 61-1 de la Constitution pas plus que les articles 23 1 et suivants de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne font obstacle à ce que le juge saisi d'un litige dans lequel est invoquée l'incompatibilité d'une loi avec le droit de l'Union européenne fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l'Union soient appliquées dans ce litige ;
15. Considérant, en dernier lieu, que l'article 61-1 de la Constitution et les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne privent pas davantage les juridictions administratives et judiciaires, y compris lorsqu'elles transmettent une question prioritaire de constitutionnalité, de la faculté ou, lorsque leurs décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, de l'obligation de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
16. Considérant que, dans ces conditions, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 61 ou de l'article 61-1 de la Constitution, d'examiner la compatibilité d'une loi avec les engagements internationaux et européens de la France ; qu'ainsi, nonobstant la mention dans la Constitution du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, il ne lui revient pas de contrôler la compatibilité d'une loi avec les stipulations de ce traité ; que, par suite, la demande tendant à contrôler la compatibilité de la loi déférée avec les engagements internationaux et européens de la France, en particulier avec le droit de l'Union européenne, doit être écartée ;
- Quant à l'exigence de transposition des directives européennes :
17. Considérant qu'aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 » ; qu'ainsi, la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle ;
18. Considérant qu'il appartient au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l'article 61 de la Constitution d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu'il exerce à cet effet est soumis à une double limite ; qu'en premier lieu, la transposition d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ; qu'en second lieu, devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne sur le fondement de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; qu'en conséquence, il ne saurait déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer ; qu'en tout état de cause, il appartient aux juridictions administratives et judiciaires d'exercer le contrôle de compatibilité de la loi au regard des engagements européens de la France et, le cas échéant, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel ;
19. Considérant, en revanche, que le respect de l'exigence constitutionnelle de transposition des directives ne relève pas des « droits et libertés que la Constitution garantit » et ne saurait, par suite, être invoqué dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité ;
20. Considérant qu'en l'espèce, la loi déférée n'a pas pour objet de transposer une directive ; que, dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 88-1 de la Constitution doit être écarté ;
21. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance du droit de l'Union européenne doivent être rejetés ;
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance de l'intérêt général, du non-respect de l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et du défaut d'adéquation des moyens aux objectifs poursuivis :
22. Considérant que les requérants soutiennent que la loi déférée est manifestement contraire à l'intérêt général dès lors qu'elle tend à « assurer la promotion d'intérêts privés au détriment des intérêts supérieurs de la collectivité » ; qu'ils estiment que la loi déférée « apparaît évidemment et radicalement contraire à la sauvegarde de l'ordre public sans lequel l'exercice des libertés ne saurait être assuré » ; que le législateur n'aurait pas adopté les mesures adéquates aux objectifs qu'il poursuit ; qu'il en serait ainsi, en particulier, en matière de publicité ; qu'enfin, l'ouverture à la concurrence des jeux en ligne faciliterait la corruption ;
23. Considérant, en premier lieu, que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ;
24. Considérant, en second lieu, qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;
25. Considérant, en l'espèce, qu'en adoptant la loi contestée, le législateur a voulu lutter contre les méfaits du marché illégal des jeux et paris en ligne en créant une offre légale sous le contrôle de l'État ; qu'à cette fin, il a soumis l'organisation de jeux en ligne à un régime d'agrément préalable ; qu'il a créé une autorité administrative indépendante, l'Autorité de régulation des jeux en ligne, chargée d'agréer les nouveaux opérateurs, de contrôler le respect de leurs obligations et de participer à la lutte contre les opérateurs illégaux ; qu'il a édicté des mesures destinées à prévenir une accoutumance, à protéger les publics vulnérables, à lutter contre le blanchiment d'argent et à garantir la sincérité des compétitions sportives et des jeux ; qu'il a choisi de ne pas ouvrir l'accès des opérateurs agréés au marché des jeux de pur hasard ; qu'il a réglementé la publicité en faveur de l'offre légale de jeu tout en sanctionnant pénalement celle en faveur de l'offre illégale ; qu'eu égard aux objectifs qu'il s'est assignés, il a adopté des mesures propres à assurer une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre le principe de la liberté d'entreprendre et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public ;
26. Considérant qu'il s'ensuit que les griefs dirigés contre l'ensemble de la loi doivent être rejetés ;
- SUR L'ARTICLE 1ER :
27. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi déférée : « Les jeux d'argent et de hasard ne sont ni un commerce ordinaire, ni un service ordinaire ; dans le respect du principe de subsidiarité, ils font l'objet d'un encadrement strict au regard des enjeux d'ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé et des mineurs » ;
28. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi est l'expression de la volonté générale… » ; qu'il résulte de cet article comme de l'ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative ;
29. Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'article 1er de la loi déférée, qui soustrait les jeux d'argent et de hasard au droit commun de la liberté d'entreprendre, n'est pas dépourvu de toute portée normative ;
30. Considérant que l'article 1er de la loi déférée n'est pas contraire à la Constitution ;
- SUR L'ARTICLE 26 :
31. Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi déférée : « L'opérateur de jeux ou de paris en ligne titulaire de l'agrément prévu à l'article 21 est tenu de faire obstacle à la participation aux activités de jeu ou de pari qu'il propose des personnes interdites de jeu en vertu de la réglementation en vigueur ou exclues de jeu à leur demande. Il interroge à cette fin, par l'intermédiaire de l'Autorité de régulation des jeux en ligne et dans le respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, les fichiers des interdits de jeu tenus par les services du ministère de l'intérieur. Il clôture tout compte joueur dont le titulaire viendrait à être touché par une interdiction ou une exclusion. - Il prévient les comportements de jeu excessif ou pathologique par la mise en place de mécanismes d'auto-exclusion et de modération et de dispositifs d'autolimitation des dépôts et des mises. Il communique en permanence à tout joueur fréquentant son site le solde instantané de son compte. Il informe les joueurs des risques liés au jeu excessif ou pathologique par le biais d'un message de mise en garde, ainsi que des procédures d'inscription sur les fichiers des interdits de jeu tenus par les services du ministère de l'intérieur. Un arrêté du ministre de la santé précise le contenu de ce message de mise en garde » ;
32. Considérant que les requérants soutiennent que ces dispositions méconnaissent le droit à la protection de la santé découlant du onzième alinéa du Préambule de 1946 ; que, selon eux, le législateur ne pouvait légiférer dans une telle matière qu'en vue de renforcer la protection des consommateurs ainsi que les moyens mobilisés par l'État dans la lutte contre l'assuétude ; qu'ils contestent, en outre, le fait que les moyens juridiques de l'Autorité de régulation des jeux en ligne se réduiraient pour l'essentiel à délivrer les agréments sur la base d'un cahier des charges imposé aux opérateurs de jeux ;
33. Considérant qu'aux termes du onzième alinéa du Préambule de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs… » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, ce faisant, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles ;
34. Considérant que les dispositions contestées imposent aux opérateurs de jeux, d'une part, de faire obstacle à la participation des personnes interdites de jeu et, d'autre part, de mettre en place différentes mesures destinées à prévenir et lutter contre l'assuétude ; qu'en outre, les articles 5 et 7 de la loi déférée interdisent que les mineurs prennent part aux jeux d'argent et de hasard et prohibent la publicité de tels jeux à destination des mineurs ; que ses articles 27 à 29 soumettent les opérateurs de jeux à des obligations en faveur de la promotion du « jeu responsable » ; que son article 30 interdit le jeu à crédit ; qu'en adoptant ces dispositions, le législateur n'a pas privé de garanties légales les exigences énoncées par le onzième alinéa du Préambule de 1946 ;
35. Considérant que l'article 26 de la loi déférée n'est pas contraire à la Constitution ;
- SUR LES ARTICLES 47 ET 48 :
36. Considérant, d'une part, que l'article 47 de la loi déférée insère dans le code général des impôts les articles 302 bis ZG à 302 bis ZN relatifs aux prélèvements sur les jeux et paris au profit de l'État ; qu'en particulier, l'article 302 bis ZK fixe le taux de ces prélèvements à 5,7 % des sommes engagées au titre de paris hippiques ou sportifs, quel que soit leur mode de distribution, et à 1,8 % de celles engagées au titre des jeux de cercle en ligne ;
37. Considérant, d'autre part, que l'article 48 de la loi déférée insère dans le code de la sécurité sociale les articles L. 137-20 à L. 137-26 relatifs aux prélèvements sur les jeux et paris au profit de la sécurité sociale ; qu'en particulier, les articles L. 137-20 et L. 137-21 instituent, pour les paris hippiques ou sportifs, un prélèvement de 1,8 % des sommes engagées et l'article L. 137-22 fixe un prélèvement de 0,2 % sur celles engagées au titre des jeux de cercle en ligne ;
38. Considérant que, selon les requérants, la différence de taxation entre les paris hippiques et sportifs en ligne, d'une part, et les jeux de cercle en ligne, d'autre part, est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques ;
39. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
40. Considérant que toute personne participant au même pari ou au même jeu sera assujettie dans les mêmes conditions ; que la différence de taxation entre les paris hippiques et sportifs en ligne et les jeux de cercle en ligne, lesquels présentent des caractéristiques différentes, n'introduit pas une différence de traitement entre des personnes s'adonnant à ces paris ou jeux dans les mêmes conditions ; qu'elle n'introduit aucune rupture caractérisée devant les charges publiques ; qu'il en est de même en ce qui concerne la pratique du poker dans les casinos et celle du poker en ligne, qui présentent également des caractéristiques différentes ;
41. Considérant que les articles 47 et 48 de la loi déférée ne sont pas contraires à la Constitution ;
42. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution,
D É C I D E :
Article premier.- Les articles 1er, 26, 47 et 48 de la loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 mai 2010, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, MM. Jacques BARROT, Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL, Jean-Louis PEZANT et Pierre STEINMETZ.