LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 31 mars 2017 par le Conseil d'État (décision n° 406664 du 31 mars 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'Association nationale des supporters par Me Pierre Barthélemy, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-637 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 332-1 du code du sport, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-564 du 10 mai 2016 renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code du sport ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
- la loi n° 2016-564 du 10 mai 2016 renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par Me Barthélemy, enregistrées les 24 avril et 9 mai 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 avril 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Barthélemy, pour l'association requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 6 juin 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Selon le premier alinéa de l'article L. 332-1 du code du sport, dans sa rédaction résultant de la loi du 10 mai 2016 mentionnée ci-dessus, les organisateurs de manifestations sportives à but lucratif peuvent être tenus d'y assurer un service d'ordre. Ses deuxième et troisième alinéas disposent :« Aux fins de contribuer à la sécurité des manifestations sportives, les organisateurs de ces manifestations peuvent refuser ou annuler la délivrance de titres d'accès à ces manifestations ou en refuser l'accès aux personnes qui ont contrevenu ou contreviennent aux dispositions des conditions générales de vente ou du règlement intérieur relatives à la sécurité de ces manifestations.
« À cet effet, les organisateurs peuvent établir un traitement automatisé de données à caractère personnel relatives aux manquements énoncés à l'avant-dernier alinéa du présent article, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ».
2. L'association requérante reproche aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 332-1 de confier des pouvoirs de police à une personne privée, en violation de l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Ces dispositions porteraient également atteinte à la liberté d'aller et de venir, au principe de légalité des délits et des peines, à la présomption d'innocence, aux droits de la défense, et seraient entachées d'incompétence négative. L'association requérante soutient, par ailleurs, que les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 332-1 seraient contraires au droit au respect de la vie privée.
- Sur le deuxième alinéa de l'article L. 332-1 du code du sport :
3. Aux fins de contribuer à la sécurité des manifestations sportives à but lucratif, le deuxième alinéa de l'article L. 332-1 du code du sport permet à leurs organisateurs de refuser ou d'annuler la délivrance de titres d'accès à ces manifestations ou d'en refuser l'accès aux personnes qui ont contrevenu ou contreviennent aux dispositions des conditions générales de vente ou du règlement intérieur relatives à la sécurité de ces manifestations.
4. En premier lieu, selon l'article 12 de la Déclaration de 1789 : « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Il en résulte l'interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits.
5. En conférant aux organisateurs de manifestations sportives à but lucratif le pouvoir de refuser l'accès à ces manifestations, le législateur ne leur a pas délégué de telles compétences. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 12 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
6. En deuxième lieu, le fait d'interdire l'accès à l'enceinte d'une manifestation sportive à but lucratif dont l'entrée est subordonnée à la présentation d'un titre ne porte pas atteinte à la liberté d'aller et de venir.
7. En troisième lieu, le fait, dans le but de garantir la sécurité des manifestations sportives à but lucratif, d'en refuser l'accès à une personne ayant manqué à ses obligations contractuelles relatives à la sécurité ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition, ni une mesure adoptée à l'issue d'une procédure juridictionnelle. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, de la présomption d'innocence et des droits de la défense sont inopérants.
8. En dernier lieu, il ressort des travaux parlementaires que les organisateurs de manifestations sportives prononçant de tels refus doivent s'assurer, sous le contrôle du juge, que ces mesures sont proportionnées au regard, notamment, des délais écoulés depuis les faits reprochés et du risque de renouvellement de ceux-ci. Les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative, ne méconnaissent donc aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 332-1 du code du sport doivent être déclarées conforme à la Constitution.
- Sur le troisième alinéa de l'article L. 332-1 du code du sport :
10. La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Par suite, la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.
11. Le troisième alinéa de l'article L. 332-1 du code du sport permet aux organisateurs de manifestations sportives à but lucratif d'établir un traitement automatisé de données à caractère personnel recensant les personnes qui ont contrevenu ou contreviennent aux dispositions des conditions générales de vente ou du règlement intérieur relatives à la sécurité de ces manifestations.
12. En autorisant l'établissement d'un tel fichier, le législateur a entendu renforcer la sécurité des manifestations sportives à but lucratif, en permettant à leurs organisateurs d'identifier les personnes susceptibles d'en compromettre la sécurité. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
13. Il ressort du texte adopté et des débats parlementaires que, par ces dispositions, le législateur n'a pas entendu déroger aux garanties apportées par la loi du 6 janvier 1978 mentionnée ci-dessus relatives notamment aux pouvoirs de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, qui s'appliquent aux traitements en cause.
14. Le fichier prévu par les dispositions contestées ne peut être établi que par les organisateurs de manifestations sportives à but lucratif. Il ne peut recenser que les personnes qui ont contrevenu ou contreviennent aux dispositions des conditions générales de vente ou du règlement intérieur relatives à la sécurité de ces manifestations. Il ne peut être employé à d'autres fins que l'identification desdites personnes en vue de leur refuser l'accès à des manifestations sportives à but lucratif. Il en résulte que le traitement de données prévu par les dispositions contestées est mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à l'objectif d'intérêt général poursuivi.
15. Par suite, les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 332-1 du code du sport, qui ne méconnaissent ni le droit au respect de la vie privée, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 332-1 du code du sport, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-564 du 10 mai 2016 renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 juin 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.