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10/07/2024 | FRANCE | N°2024-1100

France | France, Conseil constitutionnel, 10 juillet 2024, 2024-1100


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 mai 2024 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 805 du 23 mai 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Christophe A. par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1100 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitu

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LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 mai 2024 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 805 du 23 mai 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Christophe A. par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1100 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deux derniers alinéas de l’article 706-113 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, et de l’article 706-150 du même code.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ;
- la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10 juin 2024 ;
- les secondes observations présentées pour le requérant par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, enregistrées le 24 juin 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Géraud Mégret, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 3 juillet 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi, pour celles des dispositions dont la rédaction n’a pas été précisée, de l’article 706-150 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 23 mars 2019 mentionnée ci-dessus.
2. Les deux derniers alinéas de l’article 706-113 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 décembre 2021 mentionnée ci-dessus, prévoient :
« Le procureur de la République ou le juge d’instruction avise le curateur ou le tuteur des décisions de non-lieu, de relaxe, d’acquittement, d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, ou de condamnation dont la personne fait l’objet.
« Le curateur ou le tuteur est avisé de la date d’audience. Lorsqu’il est présent à l’audience, il est entendu par la juridiction en qualité de témoin ». 
3. L’article 706-150 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 mars 2019, prévoit :
« Au cours de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête du procureur de la République, peut ordonner par décision motivée la saisie, aux frais avancés du Trésor, des immeubles dont la confiscation est prévue par l’article 131-21 du code pénal. Le juge d’instruction peut, au cours de l’information, ordonner cette saisie dans les mêmes conditions.
« La décision prise en application du premier alinéa est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien saisi et, s’ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l’instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision. Cet appel n’est pas suspensif. L’appelant ne peut prétendre dans ce cadre qu’à la mise à disposition des seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu’il conteste. S’ils ne sont pas appelants, le propriétaire du bien et les tiers peuvent néanmoins être entendus par la chambre de l’instruction, sans toutefois pouvoir prétendre à la mise à disposition de la procédure ». 
4. Le requérant reproche à ces dispositions de ne pas prévoir que le curateur ou le tuteur d’un majeur protégé est avisé de la décision de saisie d’un immeuble appartenant à ce dernier qui est ordonnée au cours de l’enquête ou de l’instruction, ni, en cas de recours, de l’audience devant la chambre de l’instruction. Ce majeur ne disposant pas toujours du discernement nécessaire à l’exercice de ses droits, il en résulterait une méconnaissance des droits de la défense.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deux derniers alinéas de l’article 706-113 du code de procédure pénale.
- Sur le fond :
6. Selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Sont garantis par ces dispositions les droits de la défense.
7. Les dispositions contestées prévoient que le curateur ou le tuteur d’un majeur protégé faisant l’objet de poursuites pénales est avisé de certaines décisions rendues à l’encontre de ce dernier ainsi que, le cas échéant, de la date d’audience. Elles ne s’appliquent pas en cas de saisie d’un bien appartenant à ce majeur ordonnée au cours de l’enquête ou de l’instruction.
8. En application de l’article 706-150 du code de procédure pénale, la décision du juge des libertés et de la détention ou du juge d’instruction qui ordonne la saisie d’un bien immobilier est notifiée à son propriétaire, qui peut la déférer à la chambre de l’instruction dans un délai de dix jours à compter de sa notification. Dans ce cas, l’appelant peut accéder aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie. En outre, s’il n’est pas appelant, le propriétaire du bien peut être entendu par la chambre de l’instruction.
9. Toutefois, lorsqu’il apparaît au cours de la procédure que le propriétaire du bien saisi est un majeur protégé, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n’imposent aux autorités judiciaires d’informer de la décision de saisie son curateur ou son tuteur. Il n’est pas non plus prévu que ce dernier soit avisé, en cas de recours, de la date de l’audience devant la chambre de l’instruction. Ainsi, le majeur protégé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d’opérer des choix contraires à ses intérêts.
10. Dès lors, en ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que le propriétaire du bien saisi fait l’objet d’une mesure de protection juridique, que le magistrat compétent soit, en principe, tenu d’avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d’être assisté dans l’exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense.
11. Par conséquent, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :
12. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.
13. En l’espèce, d’une part, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de supprimer l’obligation pour le procureur de la République ou le juge d’instruction d’aviser le curateur ou le tuteur des décisions de non-lieu, de relaxe, d’acquittement, d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, ou de condamnation dont le majeur protégé fait l’objet, ainsi que des dates d’audience concernant ce dernier. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er juillet 2025 la date de l’abrogation de ces dispositions.
14. D’autre part, les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
15. En revanche, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu’au 1er juillet 2025, si des éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que le propriétaire d’un immeuble dont la saisie est décidée en application de l’article 706-150 du code de procédure pénale fait l’objet d’une mesure de protection juridique, son curateur ou son tuteur doit être avisé de la décision de saisie ainsi que, en cas de recours, de la date de l’audience devant la chambre de l’instruction.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Les deux derniers alinéas de l’article 706-113 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, sont contraires à la Constitution.
 
Article 2. - La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 13 à 15 de cette décision.
 
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 juillet 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 10 juillet 2024.
 


Synthèse
Numéro de décision : 2024-1100
Date de la décision : 10/07/2024
M. Christophe A. [Absence d’obligation légale d’aviser le curateur ou le tuteur d’un majeur protégé en cas de saisie spéciale immobilière]
Sens de l'arrêt : Non conformité totale - effet différé - réserve transitoire
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 10 juillet 2024 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 10 juillet 2024 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2024-1100 QPC du 10 juillet 2024
Origine de la décision
Date de l'import : 05/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2024:2024.1100.QPC
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