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29/11/2024 | FRANCE | N°2024-1114

France | France, Conseil constitutionnel, 29 novembre 2024, 2024-1114


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 septembre 2024 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1286 du 25 septembre 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Sullivan B. par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1114 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Consti

tution garantit du quatrième alinéa de l’article 181 du code de procédure pénal...

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 septembre 2024 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1286 du 25 septembre 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Sullivan B. par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1114 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du quatrième alinéa de l’article 181 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, enregistrées le 16 octobre 2024 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 19 novembre 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le quatrième alinéa de l’article 181 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 décembre 2021 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Lorsqu’elle est devenue définitive, l’ordonnance de mise en accusation couvre, s’il en existe, les vices de la procédure, sous réserve de l’article 269-1 ».
2. Le requérant reproche à ces dispositions de priver l’accusé de la possibilité d’invoquer devant la cour d’assises un moyen tiré de la nullité de la procédure antérieure à l’ordonnance de mise en accusation, dans le cas où il n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité d’un acte ou d’un élément de procédure que postérieurement à la clôture de l’instruction. Il en résulterait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense.
- Sur le fond :
3. Aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il en résulte qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction et que doit être assuré le respect des droits de la défense.
4. Selon l’article 181 du code de procédure pénale, lorsque le juge d’instruction estime que les faits retenus à la charge d’une personne mise en examen constituent un crime, il ordonne sa mise en accusation devant la cour d’assises. En application des dispositions contestées de ce même article, lorsqu’elle est devenue définitive, l’ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises couvre les éventuels vices de la procédure, sous réserve de l’article 269-1 du même code.
5. Il en résulte que les parties ne sont plus recevables, en principe, à soulever devant la cour d’assises les nullités de la procédure antérieure à la clôture de l’instruction. 
6. D’une part, en vertu de l’article 170 du code de procédure pénale, en toute matière, la chambre de l’instruction peut, au cours de l’information, être saisie aux fins d’annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure par le juge d’instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté. Les articles 173-1 et 174 du même code soumettent à certaines conditions de recevabilité la possibilité de contester de tels actes ou pièces, sauf dans le cas où les parties n’auraient pu connaître le moyen de nullité. Son article 175 prévoit également que des requêtes en nullité peuvent être présentées, dans un certain délai, à compter de l’envoi de l’avis de fin d’information.
7. D’autre part, par dérogation au mécanisme de purge des nullités prévu par les dispositions contestées, l’article 269-1 du code de procédure pénale dispose que, lorsque l’accusé n’a pas été régulièrement informé, selon le cas, de sa mise en examen ou de sa qualité de partie à la procédure, de l’avis de fin d’information judiciaire ou de l’ordonnance de mise en accusation et que cette défaillance ne procède pas d’une manœuvre de sa part ou de sa négligence, il demeure recevable à saisir le président de la chambre de l’instruction d’une requête en nullité contre les éventuelles irrégularités de la procédure d’information.
8. Ces dispositions garantissent ainsi que l’accusé a été en mesure de soulever utilement les moyens de nullité dont il a pu avoir connaissance avant la clôture de l’instruction.
9. Toutefois, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne prévoient d’exception à la purge des nullités dans le cas où l’accusé n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité éventuelle d’un acte ou d’un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l’instruction.
10. Dès lors, les dispositions contestées méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. Elles doivent donc être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :
11. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.
12. En l’espèce, d’une part, les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur.
13. D’autre part, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances non jugées définitivement à la date de publication de la présente décision lorsque la purge des nullités a été opposée à un moyen de nullité qui n’a pu être connu avant la clôture de l’instruction. Il reviendra alors à la juridiction compétente de statuer sur ce moyen de nullité.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Le quatrième alinéa de l’article 181 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, est contraire à la Constitution.
 
Article 2. - La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 12 et 13 de cette décision.
 
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 novembre 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 29 novembre 2024.
 


Synthèse
Numéro de décision : 2024-1114
Date de la décision : 29/11/2024
M. Sullivan B. [Purge des nullités en matière criminelle II]
Sens de l'arrêt : Non conformité totale
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 29 novembre 2024 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 29 novembre 2024 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2024-1114 QPC du 29 novembre 2024
Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2024:2024.1114.QPC
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