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10/01/2025 | FRANCE | N°2024-1116

France | France, Conseil constitutionnel, 10 janvier 2025, 2024-1116


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 10 octobre 2024 par le Conseil d’État (décision n° 495894 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Christophe C. et Mme Crystèle C. par l’EIRL Nadège Yonan-Mercadier, avocat au barreau de Rouen. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1116 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « exerÃ

§ant à titre individuel » figurant au premier alinéa du 1 du paragraphe V de l’article...

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 10 octobre 2024 par le Conseil d’État (décision n° 495894 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Christophe C. et Mme Crystèle C. par l’EIRL Nadège Yonan-Mercadier, avocat au barreau de Rouen. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1116 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « exerçant à titre individuel » figurant au premier alinéa du 1 du paragraphe V de l’article 151 septies A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2022-1499 du 1er décembre 2022 de finances rectificative pour 2022.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2022-1499 du 1er décembre 2022 de finances rectificative pour 2022 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Me Nadège Yonan-Mercadier, avocate au barreau de Rouen, enregistrées le 29 octobre 2024 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 30 octobre 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Yonan-Mercadier, pour les requérants, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 10 décembre 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le premier alinéa du 1 du paragraphe V de l’article 151 septies A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 1er décembre 2022 mentionnée ci-dessus, prévoit que l’indemnité compensatrice versée à un agent général d’assurances par la compagnie qu’il représente, lors de la cessation de son mandat, bénéficie du régime d’exonération d’impôt sur le revenu prévu par le paragraphe I du même article, sous certaines conditions, lorsque cette indemnité est versée à un agent « exerçant à titre individuel ».
2. Les requérants reprochent à ces dispositions de réserver le bénéfice de l’exonération qu’elles prévoient aux seuls agents généraux d’assurances ayant exercé leur activité à titre individuel et d’en exclure les agents ayant exercé cette activité dans le cadre d’une société dont les bénéfices sont soumis à l’impôt sur le revenu au nom de ses associés. Ils leur reprochent également d’instituer une double différence de traitement injustifiée, d’une part, entre les agents généraux d’assurances qui perçoivent une indemnité compensatrice de fin de mandat et ceux qui cèdent de gré à gré leur activité et, d’autre part, entre les agents généraux d’assurances et les autres professionnels bénéficiant de divers régimes d’exonération en cas de plus-value réalisée lors de la cession de leur activité. En outre, en subordonnant le bénéfice de l’exonération de l’indemnité compensatrice à l’exercice individuel de l’activité d’agent général d’assurances, le législateur ne se serait pas fondé sur un critère objectif et rationnel au regard du but poursuivi. Il en résulterait une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.
- Sur le fond :
3. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
4. L’activité d’agent général d’assurances peut être exercée sous forme individuelle ou sous forme de société. Lors de la cessation de son activité, l’agent général d’assurances peut céder de gré à gré cette activité, sous réserve de l’agrément de la compagnie d’assurances qu’il représente. À défaut d’une telle cession, notamment lorsque la compagnie d’assurances a refusé son agrément, cette dernière lui verse une indemnité compensatrice de cessation de mandat.
5. Selon le 1 du paragraphe V de l’article 151 septies A du code général des impôts, l’indemnité compensatrice versée à un agent général d’assurances à l’occasion de la cessation de son mandat est exonérée d’impôt sur le revenu, sous certaines conditions. En application des dispositions contestées, cette exonération bénéficie à l’agent ayant exercé son activité à titre individuel.
6. En revanche, il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d’État, telle qu’elle ressort de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que le bénéfice de l’exonération prévue par ces dispositions est exclu lorsque l’indemnité compensatrice est versée à un agent général d’assurances ayant exercé son activité dans le cadre d’une société dont les bénéfices sont soumis à l’impôt sur le revenu au nom des associés en application des articles 8 et 8 ter du code général des impôts.
7. Les dispositions contestées instaurent ainsi une différence de traitement entre les agents généraux d’assurances, selon qu’ils ont exercé leur activité à titre individuel ou au sein d’une telle société.
8. En prévoyant que l’indemnité versée à l’occasion de la cessation d’activité d’un agent général d’assurances faisant valoir ses droits à la retraite bénéficie du même régime d’exonération que celui prévu pour les plus-values professionnelles, le législateur a entendu favoriser la poursuite de l’activité exercée.
9. Or, il n’y a pas de lien entre la poursuite de l’activité d’agent général d’assurances par un successeur et la circonstance que l’agent qui cesse son activité l’ait exercée à titre individuel ou au sein d’une société dont les bénéfices sont soumis à l’impôt sur le revenu au nom de ses associés.
10. Dès lors, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées est sans rapport avec l’objet de la loi. Par conséquent, ces dispositions méconnaissent le principe d’égalité devant la loi.
11. Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief, elles doivent donc être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :
12. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.
13. En l’espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Les mots « exerçant à titre individuel » figurant au premier alinéa du 1 du paragraphe V de l’article 151 septies A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2022-1499 du 1er décembre 2022 de finances rectificative pour 2022, sont contraires à la Constitution.
 
Article 2. - La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 13 de cette décision.
 
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 janvier 2025, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 10 janvier 2025.
 


Synthèse
Numéro de décision : 2024-1116
Date de la décision : 10/01/2025
Époux C. [Exonération d'impôt sur le revenu de l'indemnité compensatrice de cessation de mandat d'un agent général d'assurances III]
Sens de l'arrêt : Non conformité totale
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 10 janvier 2025 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 10 janvier 2025 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2024-1116 QPC du 10 janvier 2025
Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2025:2024.1116.QPC
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