Vu la requête et les deux mémoires complémentaires, enregistrés au greffe de la Cour respectivement les 15 février 2001, 16 juillet 2002 et 11 juillet 2003, présentés par Me X..., avocat au barreau de Lyon pour la société anonyme d'économie mixte locale SODEGIS, dont le siège social est situé 6, place de la Principauté d'Andorre à L'Etang-Salé-les-Bains (97427), représentée par son directeur général ;
La SODEGIS demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement du 8 novembre 2000 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Cilaos à lui payer la somme de 3 949 794 F au titre des conventions qu'elle a conclues avec cette collectivité les 26 octobre 1993 et 28 juin 1994 et de la réalisation de logements évolutifs sociaux ;
2° de condamner la commune de Cilaos à lui payer, d'une part, à titre principal, en exécution des conventions des 26 octobre 1993 et 28 juin 1994, la somme de 504 558, 22 euros assortie des intérêts moratoires capitalisables, à titre subsidiaire, sur le fondement de l'enrichissement sans cause et la faute de la commune, la somme de 577 764, 92 euros, outre les intérêts moratoires capitalisables, à compter de la date d'enregistrement de la demande devant le tribunal administratif, d'autre part, la somme de 35 883, 14 euros, outre les intérêts capitalisables, au titre de la réalisation des logements évolutifs sociaux ;
3° de condamner la commune de Cilaos à lui payer la somme de 3 811,23 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à lui rembourser les droits de plaidoiries prévus par l'article L. 723-3 du code de la sécurité sociale ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive n° 92/50/CEE du conseil des communautés européennes du 18 juin 1992 ;
Vu le code civil ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 octobre 2004,
le rapport de M. Bayle, premier conseiller ;
les observations de Me Y... du cabinet Droit Public Consultants pour la société SODEGIS ;
et les conclusions de M. Péano, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par conventions conclues le 26 octobre 1993, la commune de Cilaos a confié à la société anonyme d'économie mixte locale SODEGIS une mission de mise à disposition d'un chef de projet, une mission de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale en vue de l'opération de développement de quartier et de résorption de l'habitat insalubre de Palmiste-Rouge et une mission d'étude pré-opérationnelle de cette opération ; que la commune a également conclu avec la SODEGIS, le 28 juin 1994, une convention de concession d'actions d'aménagement du centre ville de la commune ; que la commune de Cilaos a décidé la résiliation de cette dernière convention par délibération du 12 mai 1996 ; que cette collectivité a entendu dénoncer les précédentes conventions par la délibération du 5 mars 1997 ; que, par ailleurs, le conseil municipal de Cilaos a accordé à la SODEGIS, par délibérations des 26 octobre 1993 et 8 décembre 1994, les sommes respectives de 240 000 F et de 216 000 F, à titre de subventions, pour la réalisation de deux programmes de construction de logements évolutifs sociaux ; que la SODEGIS a demandé au tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion la condamnation de la commune à lui payer les sommes qu'elle estimait lui être encore dues au titre de ces différentes opérations ; que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté les conclusions de la société tendant à être payée des sommes dont la commune lui serait redevable par application des conventions ;
Considérant que le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion n'a statué sur aucun des moyens et conclusions présentés par la SODEGIS en vue de la condamnation de la commune de Cilaos à lui payer les sommes dont elle s'estimait créancière au titre des subventions que le conseil municipal de la commune de Cilaos lui a accordées par délibérations du 26 octobre 1993 et du 8 décembre 1994 ; qu'ainsi, le jugement du tribunal administratif est entaché d'omission à statuer et doit être annulé de ce chef ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par la SODEGIS devant le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion ;
Sur les conventions :
Considérant que la convention conclue le 26 octobre 1993 pour la mise à disposition de la commune de Cilaos d'un chef de projet et de sa structure, qui a pour objet la réalisation d'une prestation de services et non le recrutement d'un agent au profit de la collectivité, est un marché au sens du code des marchés publics, qui n'est pas au nombre de ceux exclus des marchés publics de service définis par la directive n° 92/50/CEE ; que la convention du 26 octobre 1993 confiant à la SODEGIS la mission de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale de l'opération de développement de quartier et de résorption de l'habitat insalubre à Palmiste-Rouge, qui n'a pas eu pour effet de donner à cette société un mandat de représentation de la commune, alors même qu'elle renvoie à l'article 1992 du code civil pour la définition de la responsabilité de la société à l'égard de la collectivité, constitue un marché de maîtrise d'oeuvre, dont l'attribution était régie par les dispositions de l'article 314 bis du code des marchés publics dans sa rédaction alors applicable ; que la mission d'étude pré-opérationnelle que la société a acceptée le 26 octobre 1993, et qui portait sur un diagnostic urbain et social et l'élaboration d'un projet d'aménagement et de développement du quartier de Palmiste-Rouge, doit être regardée comme un marché d'études, également soumis aux prescriptions du code précité ;
Considérant qu'il est constant que ces conventions ont été conclues sans appel public à la concurrence, en méconnaissance des prescriptions du code des marchés publics ; que, par suite, elles sont entachées de nullité et n'ont pu faire naître aucun droit au profit des parties ; que, par suite, la demande de la société tendant à être indemnisée, sur le fondement desdites conventions, des travaux réalisés ne peut qu'être rejetée ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 300-4 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors applicable : L'Etat, les collectivités locales ou leurs établissements publics peuvent confier l'étude et la réalisation des opérations d'aménagement prévues par le présent livre à toute personne publique ou privée y ayant vocation. Lorsque la convention est passée avec un établissement public, une société d'économie mixte locale définie par la loi n° 83-597 du 7 juillet 1983, ou une société d'économie mixte dont plus de la moitié du capital est détenue par une ou plusieurs des personnes publiques suivantes : Etat, régions, départements, communes ou leurs groupements, elle peut prendre la forme d'une concession d'aménagement. Dans ce cas, l'organisme peut se voir confier les acquisitions par voie d'expropriation. Les dispositions du chapitre IV du titre II de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ne sont pas applicables aux concessions ou conventions établies en application du présent article ; que, par la convention du 28 juin 1994, la commune de Cilaos a confié à la SODEGIS la construction des équipements de la zone d'aménagement du centre ville tels que définis dans l'avant-projet sommaire à définir, l'acquisition des terrains nécessaires, la réalisation notamment de toutes études utiles et la commercialisation de ces équipements ; qu'ainsi, cette convention avait pour objet une opération d'aménagement visée à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ; que, dans ces conditions, et alors même qu'elle n'attribuait pas à la société la responsabilité de la cession ou de la location des aménagements, ladite convention d'études et d'aménagement du centre ville constituait une concession entrant dans les prévisions de l'article L. 300-4 du code de l'urbanisme, quelles qu'aient été les modalités de rémunération du cocontractant de la commune ; qu'une telle concession n'était dès lors pas soumise au code des marchés publics ; qu'en vertu des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 300-4, elle n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions de la loi n° 93-122 du 29 juin 1993 reprises aux articles L. 1411-1 et suivants du code général des collectivités territoriales relatifs aux délégations de services publics ; que, toutefois, elle n'était pas pour autant exclue du champ d'application des règles fondamentales posées par le traité de l'Union, qui soumettent l'ensemble des contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs aux obligations minimales de publicité et de transparence propres à assurer l'égalité d'accès à ces contrats ; que, par suite, ladite convention, qui a été conclue sans aucune formalité préalable de publicité et de mise en concurrence, est également entachée de nullité et ne confère aucun droit de nature contractuelle à la SODEGIS ;
Considérant que la SODEGIS a formulé de plus, en appel, une demande d'indemnité fondée, d'une part, sur l'enrichissement sans cause qui serait résulté pour la commune des travaux qu'elle a exécutés, d'autre part, sur la faute que la commune aurait commise en passant les contrats dans des conditions irrégulières ;
Considérant que le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité est fondé à réclamer le remboursement de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité, envers laquelle il s'est engagé ; que, dans le cas où la nullité résulte d'une faute de l'administration, il peut, en outre, prétendre à la réparation du dommage imputable à cette faute et le cas échéant, demander à ce titre, une indemnité égale au montant du bénéfice dont il a été privé par la nullité du contrat si, toutefois, le remboursement de ses dépenses utiles ne lui assure pas une rémunération supérieure à celle à laquelle il aurait eu droit en application des stipulations du contrat ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, les conventions du 26 octobre 1993 sont entachées de nullité pour avoir été conclues à la suite de procédures irrégulières ; que ces irrégularités sont de nature à engager la responsabilité de la commune de Cilaos ; que la circonstance que la SODEGIS ait accepté de signer les marchés dans ces conditions ne constitue pas une faute atténuant la responsabilité de la collectivité, qui avait la maîtrise de la procédure de passation desdits contrats ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans le cadre des missions de mise à disposition du chef de projet et de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale de l'opération de développement du quartier Palmiste-Rouge, la SODEGIS a remis à la commune, outre un rapport d'activités des années 1994 et 1995, une étude d'impact, un état sur la résorption de l'habitat dans le quartier précité, une étude et un diagnostic du même quartier, une étude préliminaire sur l'opération de développement et sur le projet d'un chemin de bouclage, et un projet portant sur les volets habitat et urbanisme ; qu'il n'est pas sérieusement contesté que ces études ont été utiles à la commune et qu'elles ont entraîné un appauvrissement du cocontractant ; que la société peut donc prétendre, sur le fondement de l'enrichissement sans cause et de la faute de la collectivité, à être indemnisée de ses débours et du bénéfice escompté sur les opérations effectivement réalisées ; que, dans les circonstances de l'affaire, il sera fait une exacte appréciation des dépenses utiles engagées par la société au titre, d'une part, de la convention de mise à disposition du chef de projet, d'autre part, de la convention de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale, en les évaluant aux sommes respectives de 1 226 947, 50 F, soit 187 046, 94 euros, et de 1 300 860 F, soit 198 314, 83 euros ; qu'en revanche, la société ne justifie ni des manques à gagner qu'elle aurait subis, ni des frais de portage qu'elle aurait assumés pour l'exécution de ces missions ; qu'il n'est pas contesté, par ailleurs, que la commune de Cilaos a réglé à la société la somme de 645 000 F, soit 98 329, 62 euros, au titre de la convention de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale ; que, par suite, la commune est redevable à la société pour la mise en oeuvre des dites conventions d'une somme globale de 287 032, 15 euros ; que la société, qui ne peut se prévaloir des stipulations des conventions et qui ne justifie pas avoir réclamé cette indemnisation à la commune de Cilaos avant sa réclamation préalable, ne peut prétendre aux intérêts aux taux légal sur ladite somme qu'à compter de la date de réception de cette demande, soit le 22 octobre 1998 ; que ces intérêts seront capitalisés au 15 février 2001, date à laquelle la société a demandé pour la première fois la capitalisation et à laquelle il était dû plus d'une année d'intérêts, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Considérant que la convention d'étude pré-opérationnelle a fait l'objet d'un règlement de la part de la commune le 3 février 1998 ; que la société ne peut se prévaloir des stipulations de cette convention, qui est entachée de nullité, pour obtenir les intérêts moratoires prévus par cet acte ; qu'elle ne justifie pas d'une demande du paiement de la somme due antérieurement à son versement par la commune ; que, par suite, ses conclusions tendant au bénéfice d'intérêts sur le règlement de l'étude et de leur capitalisation ne peuvent qu'être rejetées ;
Considérant, enfin, qu'il résulte de l'instruction que, par délibération du 12 mai 1996, le conseil municipal de Cilaos a accepté d'indemniser la SODEGIS de la résiliation de la concession d'études et d'aménagement du centre ville par le paiement de la somme de 285 000 F hors taxes en règlement des études pré-opérationnelles et de la somme de 75 000 F hors taxes à titre de réparation ; que, dès lors, la société peut prétendre de ce chef au paiement de la somme de 394 200 F toutes taxes comprises, soit 60 095, 40 euros, qu'elle demande ; que, si la nullité de ladite concession fait obstacle à ce que la société obtienne les intérêts moratoires contractuels réclamés, elle a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme ; que, toutefois, elle ne justifie pas avoir expédié à la commune une demande de paiement de ladite somme avant sa réclamation préalable ; que, par suite, elle a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 60 095, 40 euros à compter de la date de réception de cette réclamation ; que ces intérêts seront capitalisés au 15 février 2001, date à laquelle la société a demandé pour la première fois la capitalisation et à laquelle il était dû plus d'une année d'intérêts, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les subventions :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par délibération du 26 octobre 1993, le conseil municipal de Cilaos a décidé d'accorder à la SODEGIS une subvention de 240 000 F pour la réalisation de vingt logements évolutifs sociaux au lieudit Bras-des-Etangs ; que, par une délibération du 8 décembre 1994, le conseil municipal a accepté d'attribuer à la société une autre subvention de 216 000 F pour la construction de dix-huit logements évolutifs sociaux au même lieudit ; qu'il est constant que ces logements ont été construits ;
Considérant que, si la société fait valoir que le solde de la première allocation lui a été réglé tardivement, le 3 février 1998, elle ne peut demander le paiement d'intérêts moratoires pour la période de retard sur le fondement du code des marchés publics, qui n'est pas applicable au versement d'une subvention ; qu'elle ne peut davantage prétendre aux intérêts au taux légal, faute de justifier de la réception par la commune d'une demande du paiement du principal ;
Considérant qu'en revanche, la circonstance que la commune de Cilaos ait cédé à la société, pour le franc symbolique, trois parcelles de terrain estimées à plus de 500 000 F, ne pouvait avoir pour effet de libérer la collectivité de la dette née de l'octroi de la subvention ; qu'ainsi, la commune est restée redevable à la société, au titre de la deuxième opération, qui a été réduite d'un logement, de la somme de 204 000 F, soit 31 099, 60 euros : que cette somme ne peut ouvrir droit au paiement d'intérêts moratoires en application du code des marchés publics ; que la société, qui ne justifie pas avoir expédié une demande de paiement de ladite somme avant sa réclamation préalable, ne peut prétendre au paiement des intérêts au taux légal qu'à compter de la date de réception de cette réclamation ; qu'elle est en droit d'obtenir la capitalisation de ces intérêts au 15 février 2001, date à laquelle elle a demandé pour la première fois cette capitalisation et à laquelle il était dû plus d'une année d'intérêts et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société SODEGIS, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à payer à la commune de Cilaos la somme qu'elle a demandée devant les premiers juges et en appel sur ce fondement ; qu'en revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner la commune de Cilaos à payer à la SODEGIS une somme de 2 600 euros au titre des frais non compris dans les dépens, dont font partie les droits de plaidoirie, exposés en première instance et en appel ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion du 8 novembre 2000 est annulé.
Article 2 : La commune de Cilaos est condamnée à payer à la société SODEGIS la somme de 378 227, 15 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 22 octobre 1998. Ces intérêts seront capitalisés au 15 février 2001 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : La commune de Cilaos versera à la société SODEGIS une somme de 2 600 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par la société SODEGIS devant le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion et de sa requête, et les conclusions de la commune de Cilaos sont rejetés.
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No 01BX00381