Vu la requête, enregistrée le 7 octobre 2011, présentée pour M. Mourad A, demeurant au COS, 48 rue des Treuils à Bordeaux (33000), par Me Hugon, avocat ;
M. A demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1100769 du 24 mai 2011 du tribunal administratif de Bordeaux rejetant sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 15 novembre 2010 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé son pays de renvoi ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 11 juillet 1991 ;
.........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 88-1 ;
Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Vu la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts ;
Vu la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 mai 2012 :
- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, conseiller ;
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;
- et les observations de Me Hugon, avocat de M. A ;
Vu la note en délibéré enregistrée le 11 mai 2012, déposée pour M. A par Me Hugon ;
Considérant que M. A, de nationalité russe et d'origine darguine, a déposé plusieurs demandes d'asile dans divers pays d'Europe avant de se voir opposer un refus par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 30 mars 2008 ; qu'après être retourné au Daghestan en 2009 avec son épouse, dans le but selon ses dires de chercher ses enfants, il est revenu en France en 2010 ; qu'il a alors présenté une nouvelle demande d'asile, rejetée par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 20 octobre 2010 selon la procédure prioritaire ; qu'il relève appel du jugement n° 1100769 du 24 mai 2011 du tribunal administratif de Bordeaux rejetant son recours pour excès de pouvoir contre l'arrêté du 15 novembre 2010 par lequel le préfet de la Gironde lui a refusé un titre de séjour au motif que sa demande de reconnaissance de la qualité de réfugié avait été rejetée, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé son pays de renvoi ;
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 10, intitulé " Garanties accordées aux demandeurs d'asile ", de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres : " En ce qui concerne les procédures prévues au chapitre III, les États membres veillent à ce que tous les demandeurs d'asile bénéficient des garanties suivantes : a) ils sont informés, dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu'ils la comprennent, de la procédure à suivre et de leurs droits et obligations au cours de la procédure ainsi que des conséquences que pourrait avoir le non-respect de leurs obligations ou le refus de coopérer avec les autorités. Ils sont informés du calendrier, ainsi que des moyens dont ils disposent pour remplir leur obligation de présenter les éléments visés à l'article 4 de la directive 2004/83/CE. Ces informations leur sont communiquées à temps pour leur permettre d'exercer les droits garantis par la présente directive et de se conformer aux obligations décrites à l'article 11 (...) " ;
Considérant en premier lieu que pour écarter comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance du paragraphe 1 de l'article 10, le tribunal administratif a retenu que " l'intéressé avait déjà déposé des demandes d'asile en 2003 en Suède, en 2005 en Autriche, en 2006 en France, sous une identité différente, dans les départements de Loire-Atlantique et du Morbihan et enfin en 2007, une demande dans le département de la Vendée, rejetée le 10 mars 2008 par [l'Office français de protection des réfugiés et apatrides] ; qu'il s'est désisté de sa requête devant la Cour nationale du droit d'asile et a été reconduit en Russie en 2009, dans le cadre du dispositif d'aide au retour volontaire ; que dans ces conditions, sa nouvelle demande d'asile enregistrée le 24 septembre 2010 ne peut être regardée comme une demande sur laquelle aucune décision finale n'avait encore été prise, entrant dans le champ d'application des dispositions précitées de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 ; que M. A ne peut, dès lors, utilement se prévaloir de la violation des prescriptions susmentionnées de l'article 10 § 1 de cette directive " ;
Considérant cependant qu'aux termes du paragraphe 3 de l'article 32 de la directive du 1er décembre 2005, lequel est intitulé " Demandes ultérieures " : " Une demande d'asile ultérieure est tout d'abord soumise à un examen préliminaire visant à déterminer si, après le retrait de la demande antérieure ou après la prise d'une décision (...) sur cette demande, de nouveaux éléments ou de nouvelles données se rapportant à l'examen visant à déterminer si le demandeur d'asile remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié (...) sont apparus ou ont été présentés par le demandeur " ; qu'aux termes du 1 de l'article 34 de cette même directive : " Les Etats membres font en sorte que les demandeurs d'asile dont la demande fait l'objet d'un examen préliminaire en vertu de l'article 32 bénéficient des garanties fournies à l'article 10, paragraphe 1 " ; qu'il résulte de ces dispositions combinées qu'alors même qu'une précédente demande d'asile de M. A avait fait l'objet d'une décision finale au sens de la directive du 1er décembre 2005, sa nouvelle demande, qui avait le caractère d'une demande ultérieure, devait également donner lieu à la délivrance des informations prévues au paragraphe 1 de l'article 10 ; qu'ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif a écarté comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance de cette garantie ;
Considérant en deuxième lieu que tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ; que d'une part, les dispositions du paragraphe 1 précité de l'article 10 de la directive du 1er décembre 2005 sont précises et inconditionnelles ; que d'autre part, en vertu de son article 43, les Etats membres devaient transposer cette directive avant le 1er décembre 2007 ; que le 15 novembre 2010, date de l'arrêté contesté, la directive n'avait pas été transposée dans le droit français en tant qu'elle prévoit, par les dispositions précitées, une information des demandeurs d'asile qui, comme M. A, sont déjà présents sur le territoire français, dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu'ils la comprennent ; qu'ainsi, M. A peut se prévaloir, à l'encontre de l'arrêté contesté, dudit paragraphe 1 de l'article 10 de la directive du 1er décembre 2005 ;
Considérant en troisième et dernier lieu qu'il est constant que M. A n'a pas bénéficié de ces garanties dans le cadre de l'instruction de celle de ses demandes d'asile qui a donné lieu à l'arrêté du 15 novembre 2010 ; qu'il n'est pas établi, en tout état de cause, qu'il en aurait bénéficié à l'occasion d'une demande antérieure ; que si le préfet soutient que la privation de cette garantie a été en l'espèce sans incidence sur le sens de sa décision, il résulte des dispositions du paragraphe 1 de l'article 10 de la directive du 1er décembre 2005 que celles-ci instituent une " garantie fondamentale " pour les demandeurs d'asile ; que par suite, le refus de séjour opposé à M. A est intervenu au terme d'une procédure irrégulière et doit être annulé ; que par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi doivent également être annulées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 novembre 2010 lui refusant un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant son pays de renvoi ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant que le présent arrêt n'implique pas nécessairement, eu égard au motif de l'annulation prononcée, que le préfet de la Gironde délivre à M. A un titre de séjour ;
Considérant en revanche que le présent arrêt implique que le préfet de la Gironde réexamine la situation de M. A ; qu'il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Hugon, avocate de M. A, de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés pour l'instance et non compris dans les dépens, sous réserve qu'elle renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1100769 du 24 mai 2011 du tribunal administratif de Bordeaux et l'arrêté du 15 novembre 2010 par lequel le préfet de la Gironde a refusé à M. A un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé son pays de renvoi sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de réexaminer la situation de M. A dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Hugon, avocate de M. A, la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A est rejeté.
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N° 11BX02777