Vu la requête enregistrée le 24 janvier 2014 présentée pour Mme B...A...veuveD..., demeurant..., par Me C... ;
Mme D...demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1200505 du 5 décembre 2013 du tribunal administratif de Limoges, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 8 février 2012 par laquelle le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) d'enjoindre au ministre de la défense de saisir le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) pour l'évaluation des préjudices de toute nature subis par son mari ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens de l'instance ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 modifiée relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
Vu le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 décembre 2014 :
- le rapport de M. Bernard Leplat ;
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;
- les observations de Me Lafforgue, avocat de MmeD... ;
1. Considérant que M.D..., caporal à la 115ème compagnie de marche du génie de l'air, a été affecté en tant que secrétaire magasinier, entre le 9 juillet 1968 et le 13 juillet 1969, à la base du Centre d'expérimentation du Pacifique de l'atoll de Hao en Polynésie française ; qu'il a été atteint d'un cancer du poumon, qui a été diagnostiqué en 2000 et dont il est décédé en 2004 ; que sa veuve a présenté une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que, lors de sa séance du 22 novembre 2011, le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a estimé que le lieu d'affectation de l'intéressé n'était pas situé dans l'une des zones visées par l'article 2 de la loi telles que déterminées par le décret du 11 juin 2010 pris pour l'application de cette loi ; que le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté la demande d'indemnisation de Mme D... par décision du 8 février 2012 ; qu'en raison de la modification du décret du 11 juin 2010 par celui du 30 avril 2012, le CIVEN a réexaminé la demande, dont il a recommandé à nouveau la rejet, en estimant que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie pouvait être considéré comme négligeable ; que Mme D...relève appel du jugement du 5 décembre 2013 du tribunal administratif de Limoges, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 8 février 2012 et de la décision implicite postérieure ayant le même objet ;
2. Considérant que si, à la date à laquelle le tribunal administratif a statué, aucune décision ministérielle expresse, substituant au motif du rejet de la demande de MmeD..., devenu erroné en raison du changement des dispositions réglementaires applicables, celui retenu par la nouvelle recommandation du CIVEN, il est constant que le ministre de la défense a rejeté expressément cette demande par une nouvelle décision du 19 décembre 2013 en regardant, à la suite de cette nouvelle recommandation, le risque que la maladie qui a été fatale au mari de la requérante soit attribuable aux essais nucléaires français comme négligeable ; que, dans ces conditions, la requête doit également être regardée comme contestant cette dernière décision ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi dans sa rédaction en vigueur à la date de à la décision contestée : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans les atolls de Mururoa et Fangataufa, ou entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1974 dans des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire ; 3° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans certaines zones de l'atoll de Hao ; 4° Soit entre le 19 juillet 1974 et le 31 décembre 1974 dans certaines zones de l'île de Tahiti. Un décret en Conseil d'Etat délimite les zones périphériques mentionnées au 1°, les zones inscrites dans le secteur angulaire mentionné au 2°, ainsi que les zones mentionnées aux 3° et 4°. " ; que, selon l'article 4 de cette loi : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...). / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité procède ou fait procéder à toute investigation scientifique ou médicale utile, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. Il peut requérir de tout service de l'Etat, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur communication de tous renseignements nécessaires à l'instruction de la demande. (...) / III. - (...) le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de (...) donner. (...) le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. (...) " ; qu'en vertu de l'article 2 du décret susvisé n° 2010-653 du 11 juin 2010 dans sa rédaction en vigueur à la date de la première des décisions contestées , la partie de l'atoll de Hao dans laquelle avait été affecté le mari de la requérante n'était pas au nombre des zones visées à l'article 2 de la loi mais y avait été incorporée à la date de la seconde décision du ministre de la défense ; que l'article 7 de ce décret en vigueur à la date des décisions contestées dispose que : " La présomption de causalité prévue au II de l'article 4 de la loi du5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants. Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. (...) " ; que l'article 6 de ce décret précise : " Le comité peut faire réaliser des expertises. (...) " ;
4. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que le législateur a instauré une présomption de causalité au profit de la personne s'estimant victime des essais nucléaires si celle-ci souffre d'une maladie radio-induite inscrite sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 et a séjourné, au cours d'une période déterminée, dans l'une des zones géographiques de retombées ; que, toutefois, alors même que le demandeur remplit les conditions d'indemnisation fixées par l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010, cette présomption peut être écartée s'il est établi, au vu notamment des éléments présentés au comité d'indemnisation, à qui la demande a été soumise, que le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions d'exposition aux rayonnements ionisants ;
5. Considérant qu'il est constant que M. D...a séjourné dans une des zones définies par les dispositions précitées, pendant une période prévue par ces mêmes dispositions et qu'il a été atteint d'une maladie radio-induite inscrite sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 ; que, pour rejeter sa demande d'indemnisation, le ministre a fait valoir que le risque attribuable aux essais nucléaires français était négligeable, conformément à la recommandation du CIVEN, qui avait indiqué que, compte tenu du niveau de l'exposition aux rayonnements ionisants de l'intéressé, la probabilité, évaluée selon les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), d'une relation de causalité entre cette exposition et la maladie dont il était atteint était très inférieure à 1 % ;
6. Considérant que, contrairement à ce que soutient la requérante, la méthode utilisée par le CIVEN pour apprécier le risque attribuable aux essais nucléaires français et pour recommander, lorsqu'il estime que ce risque doit être regardé comme négligeable, au ministre de rejeter la demande d'indemnisation, ne repose pas exclusivement sur la constatation de la dose reçue par l'intéressé mais fait intervenir la prise en compte d'autres facteurs ; que son utilisation ne peut, dès lors, être regardée comme contraire aux dispositions de la loi du 5 janvier 2010 qui excluent l'institution d'un dispositif d'indemnisation fondé sur la notion de seuil d'exposition aux rayons ionisants mesurée par dosimétrie mais qui ne prohibent pas pour autant la prise en compte de la dose de rayonnements ; qu'il n'est pas contesté que cette méthode s'appuie sur les méthodologies, fondées sur la notion de probabilité de causalité, recommandées par l'AIEA ; que la requérante n'apporte pas, à l'appui de ses affirmations selon lesquelles ces méthodologies seraient inadaptées à l'évaluation des effets d'essais nucléaires militaires ou ne seraient pas fiables en regard des données scientifiques les plus récentes, d'éléments de nature à permettre d'en apprécier le bien fondé ; qu'en particulier, elle ne propose pas de méthode alternative et reconnue comme préférable par la communauté scientifique internationale ; que la circonstance que certains dosimètres pourraient être défectueux, insuffisamment précis ou sensibles, ou encore, mal utilisés est sans incidence sur la validité de cette méthodologie ; qu'il est vrai que celle-ci n'implique pas systématiquement le recours aux résultats d'examens destinés à mesurer, non seulement, l'irradiation externe, mais aussi, la contamination interne, par ingestion ou inhalation ; que toutefois, elle n'exclut pas la prise en compte de tels résultats et il appartient à l'administration de rapporter la preuve de ce que les conditions d'exposition aux effets des essais nucléaires de la personne dont elle rejette la demande d'indemnisation en l'absence de résultats d'examens effectués au titre de la surveillance de la contamination interne étaient de nature à justifier cette absence ; que lorsque la situation des intéressés a conduit à les soumettre à une surveillance de la contamination, il incombe à l'administration de prouver que les résultats de cette surveillance n'ont pas été négligés ; qu'enfin le parti de regarder comme caractérisant un risque négligeable une probabilité de causalité très inférieure à 1 % n'est pas davantage de nature à faire mettre en doute la validité de cette méthodologie ; que, par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la méthodologie du CIVEN serait inadmissible dans son principe même ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, comme il est dit au point 1, M. D... a été affecté, entre le 9 juillet 1968 et le 13 juillet 1969, à la base du Centre d'expérimentation du Pacifique de l'atoll de Hao en Polynésie française ; que, pendant cette période, il a été procédé, entre le 15 juillet 1968 et le 8 septembre 1968, à quatre essais nucléaires en atmosphère ; que les dosimétries pratiquées ont mesuré des doses nulles et qu'en ajoutant, selon la méthodologie du CIVEN, des doses de 0,2 millisievert par mesure de dose nulle ou par mois de présence, la prise en compte des doses d'irradiation externe ainsi déterminées et des autres facteurs envisagés par ladite méthodologie, qui, ainsi qu'il vient d'être dit, n'est pas inadmissible dans son principe même, a conduit à retenir une probabilité de causalité très inférieure à 1 % ;
8. Considérant que le ministre de la défense fait valoir, sans être utilement contredit que les fonctions de secrétaire magasinier exercées par M. D...n'impliquaient pas son accès aux zones de la base de Hao où il aurait pu être en présence d'éléments contaminés et qu'il n'a pu se trouver à proximité de tels éléments que lors d'un bref passage dans la zone dite des " produits noirs ", à Tahiti à l'occasion duquel il a fait l'objet des mesures de son irradiation susmentionnées ; que le ministre établit également que les quatre essais nucléaires en cause, effectués sous ballon captif, avec des précautions météorologiques appropriées, n'étaient pas de nature à entraîner une contamination de l'atoll de Hao et qu'aucune retombée significative n'y a été constatée à leur occasion ; qu'un risque sérieux de contamination de l'ensemble de l'atoll ou de la base ne peut pas être regardé comme établi par la seule circonstance qu'il était procédé à la décontamination de différents matériels sur la base de Hao ; que, dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant que des mesures particulières de surveillance d'une éventuelle contamination interne de M. D... n'avaient pas à être mises en oeuvre en raison des conditions de son exposition aux rayonnements ionisants ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le ministre avait rapporté la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires pouvait être regardé comme négligeable ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que MmeD..., qui, dans le dernier état de ses écritures, ne présente pas de conclusions contre la décision ministérielle du 8 février 2012, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 4 octobre 2012, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que les dispositions de ces articles font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de Mme D...tendant à leur application ;
DECIDE
Article 1er : La requête de Mme D...est rejetée.
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N° 14BX00316