Vu la requête enregistrée le 14 février 2014, présentée pour M. B...A..., demeurant " ..., par Me Lacassagne ;
M. A...demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1103016 et 1203449 du 14 janvier 2014 du tribunal administratif de Bordeaux, en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 350 000 euros au titre de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
2°) d'enjoindre au ministre de la défense de lui présenter une offre d'indemnisation des préjudices de toute nature subis par lui ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 modifiée relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
Vu le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 décembre 2014 :
- le rapport de M. Bernard Leplat ;
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;
- les observations de Me Lacassagne, avocat de M.A... ;
1. Considérant que M.A..., matelot de 1ère classe, puis quartier-maître de 2ème classe de la marine nationale, a été affecté, entre le 21 janvier 1966 et le 27 janvier 1967, au Centre d'essais du Pacifique et a séjourné, du 21 janvier au 11 novembre1966 sur l'atoll de Moruroa ; qu'il a été atteint d'un cancer du rectum, diagnostiqué en 2006, suivi, en 2008 d'un cancer du poumon et d'autres complications ; qu'il a présenté une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que, lors de sa séance du 24 mars 2011, le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a estimé que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue du cancer du rectum pouvait être considéré comme négligeable ; que, suivant cette recommandation, le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté la demande d'indemnisation de M. A...par décision du 11 juillet 2011 ; que, relevant que l'intéressé invoquait également d'autres pathologies, le CIVEN a réexaminé la demande, lors de sa séance du 12 juin 2012 et a recommandé son rejet, en estimant que ces autres maladies n'étaient pas susceptibles d'ouvrir droit à indemnisation, dès lors que l'une constituait le développement du cancer primitif et que l'autre n'entrait pas dans le champ d'application de la loi ; que le ministre a donc rejeté la demande par une décision du 17 mai 2013 ; que, par jugement du 14 janvier 2014, le tribunal administratif de Bordeaux a, d'une part, annulé la décision du 11 juillet 2011 du ministre de la défense et des anciens combattants et condamné l'Etat à supporter la charge des frais et honoraires de l'expertise effectuée en exécution de l'ordonnance du 21 août 2012 de son juge des référés, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de ses demandes, notamment celles qui tendaient à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité ; que M. A...relève appel de ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions ; que, par la voie de l'appel incident, le ministre de la défense demande l'annulation de ce même jugement en tant qu'il annule sa décision et met à la charge de l'Etat les frais et honoraires de l'expertise ;
Sur la légalité de la décision du ministre :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi dans sa rédaction en vigueur à la date de à la décision contestée : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans les atolls de Mururoa et Fangataufa, ou entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1974 dans des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire ; 3° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans certaines zones de l'atoll de Hao ; 4° Soit entre le 19 juillet 1974 et le 31 décembre 1974 dans certaines zones de l'île de Tahiti. Un décret en Conseil d'Etat délimite les zones périphériques mentionnées au 1°, les zones inscrites dans le secteur angulaire mentionné au 2°, ainsi que les zones mentionnées aux 3° et 4°. " ; que, selon l'article 4 de cette loi : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...). / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité procède ou fait procéder à toute investigation scientifique ou médicale utile, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. Il peut requérir de tout service de l'Etat, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur communication de tous renseignements nécessaires à l'instruction de la demande. (...) / III. - (...) le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de (...) donner. (...) le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. (...) " ; que l'article 7 du décret susvisé n° 2010-653 du 11 juin 2010 en vigueur à la date de la décision contestée dispose que : " La présomption de causalité prévue au II de l'article 4 de la loi du5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants. Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. (...) " ; que l'article 6 de ce décret précise : " Le comité peut faire réaliser des expertises. (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que le législateur a instauré une présomption de causalité au profit de la personne s'estimant victime des essais nucléaires si celle-ci souffre d'une maladie radio-induite inscrite sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 et a séjourné, au cours d'une période déterminée, dans l'une des zones géographiques de retombées ; que, toutefois, alors même que le demandeur remplit les conditions d'indemnisation fixées par l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010, cette présomption peut être écartée s'il est établi, au vu notamment des éléments présentés au comité d'indemnisation, à qui la demande a été soumise, que le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions d'exposition aux rayonnements ionisants ;
4. Considérant qu'il est constant que M. A...a séjourné dans une des zones définies par les dispositions précitées, pendant une période prévue par ces mêmes dispositions et qu'il est atteint d'une maladie radio-induite inscrite sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 ; que, pour rejeter sa demande d'indemnisation, le ministre a fait valoir que le risque attribuable aux essais nucléaires français était négligeable, conformément à la recommandation du CIVEN, qui avait indiqué que, compte tenu du niveau de l'exposition aux rayonnements ionisants de l'intéressé, la probabilité, évaluée selon les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), d'une relation de causalité entre cette exposition et la maladie dont il était atteint était très inférieure à 1 % ;
5. Considérant que la méthode utilisée par le CIVEN pour apprécier le risque attribuable aux essais nucléaires français et pour recommander, lorsqu'il estime que ce risque doit être regardé comme négligeable, au ministre de rejeter la demande d'indemnisation, ne repose pas exclusivement sur la constatation de la dose reçue par l'intéressé mais fait intervenir la prise en compte d'autres facteurs ; qu'il n'est pas contesté que cette méthode s'appuie sur les méthodologies, fondées sur la notion de probabilité de causalité, recommandées par l'AIEA ; que si cette méthodologie peut ne pas impliquer systématiquement le recours aux résultats d'examens destinés à mesurer, non seulement, l'irradiation externe, mais aussi, la contamination interne, par ingestion ou inhalation, il appartient à l'administration de rapporter la preuve de ce que les conditions d'exposition aux effets des essais nucléaires de la personne dont elle rejette la demande d'indemnisation en l'absence de résultats d'examens effectués au titre de la surveillance de la contamination interne étaient de nature à justifier cette absence de surveillance ; que lorsque la situation des intéressés a conduit à les soumettre à une surveillance de la contamination, il incombe à l'administration de prouver que les résultats de cette surveillance n'ont pas été négligés ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, comme il est dit au point 1, M. A... a été affecté, entre le 21 janvier 1966 et le 27 janvier 1967, au Centre d'essais du Pacifique et a séjourné, du 21 janvier au 11 novembre1966 sur l'atoll de Moruroa ; que, pendant la durée de son séjour à Moruroa, il y a été procédé à quatre tirs d'essais aériens ; qu'il a fait l'objet de quatre dosimétries externes, ayant relevé des doses nulles mais au titre desquelles lui a été attribuée une dose forfaitaire de 0,8 millisieverts ; que la prise en compte, selon la méthodologie du CIVEN de la dose d'irradiation externe ainsi déterminée et des autres facteurs envisagés par ladite méthodologie, a conduit à retenir une probabilité de causalité très inférieure à 1 % ; que toutefois, il n'est pas contesté que M. A...a été amené à exercer ses fonctions de charpentier sur l'atoll même de Moruroa dans les jours suivant immédiatement les tirs aériens ; qu'il doit, ainsi et même s'il était à bord d'un bâtiment de la marine nationale pendant les tirs eux-mêmes, s'il n'était pas classé dans une catégorie de personnel directement affecté à des travaux sous rayonnements ionisants et si la dose d'irradiation externe de 0,8 mSv susmentionnée peut être qualifiée de faible, être regardé comme ayant été exposé à un risque d'irradiation interne ; qu'il est constant qu'il n'a bénéficié, en dépit des conditions de son exposition aux rayonnements ionisants qui viennent d'être rappelées et uniquement après le premier des tirs, que d'un seul examen au titre de la surveillance de l'irradiation interne ; que, même si celle-ci a donné un résultat nul, il n'est ni établi ni même allégué que la méthodologie mise en oeuvre permettrait de corriger les incertitudes pouvant peser sur les données retenues sur la base d'une surveillance aussi lacunaire ; que, dans ces conditions, en l'absence de surveillance suffisante des effets sur M. A... des risques d'irradiation interne auxquels il a été exposé, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires français doit être regardé comme négligeable ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il n'avait pas rapporté la preuve de ce que le risque que le cancer du rectum dont est atteint M. A...soit attribuable aux essais nucléaires pouvait être regardé comme négligeable ; qu'il n'est, par suite, pas fondé à demander l'annulation du jugement du 14 janvier 2014 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a annulé la décision du 11 juillet 2011 du ministre de la défense et des anciens combattants ;
8. Considérant que, dans ces conditions, le ministre n'est pas davantage fondé à demander l'annulation du jugement du 14 janvier 2014 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a mis à la charge de l'Etat les frais et honoraires de l'expertise effectuée en exécution de l'ordonnance du 21 août 2012 du juge des référés de ce tribunal ;
Sur l'appel de M.A... :
9. Considérant qu'ainsi qu'il est dit au point 1, la décision ministérielle du 17 mai 2013, refusant de reconnaître l'imputabilité du cancer du rectum de M.A... aux essais nucléaires français, n'a pas le même objet que celle du 11 juillet 2011 du ministre de la défense et des anciens combattants relative à l'imputabilité à ces essais des autres affections invoquées par l'intéressé ; que, dès lors, elle ne présente pas, contrairement à ce que soutient M.A..., un caractère confirmatif et c'est à bon droit que le tribunal a jugé que cette seconde décision n'avait pas retiré la première ;
10. Considérant qu'après avoir constaté que M. A...n'avait présenté aucune conclusion contre cette décision du 17 mai 2013, qui lui avait été notifiée avec indication des voies et délais de recours, le tribunal administratif a rejeté ses demandes d'indemnisation du préjudice résultant de son illégalité ; que, dans le dernier état de ses conclusions devant la cour, M.A..., tout en contestant le rejet par le jugement attaqué des conclusions de sa demande tendant à l'allocation d'une indemnité, se borne à demander à la cour d'enjoindre au ministre de lui présenter une offre d'indemnisation ;
11. Considérant que l'exécution de l'annulation de la décision du 11 juillet 2011 du ministre de la défense et des anciens combattants confirmée implique nécessairement que le ministre de la défense présente, après avoir, le cas échéant, saisi le CIVEN, à M. A...une proposition d'indemnisation des préjudices subis du fait de l'affection dont il est atteint ; qu'il y a, dès lors, lieu d'enjoindre à ce ministre de présenter cette proposition dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L.761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative:
12. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner l'Etat à verser à M. A...une somme de 1 500 euros au titre, en application de l'article L. 761-1, des frais exposés et non compris dans les dépens et en application de l'article R. 761-1 relatives au remboursement de la contribution pour l'aide juridique; ;
DECIDE
Article 1er : Il est enjoint au ministre de la défense de présenter à M. A...une proposition d'indemnisation des préjudices subis du fait de l'affection dont il est atteint, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 2 : L'Etat versera à M. A...la somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A...et les conclusions d'appel incident du ministre de la défense sont rejetés.
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N° 14BX00484