Vu le recours enregistré par télécopie le 26 février 2014 et régularisé le 27 février 2014, présenté par le ministre de la défense ;
Le ministre de la défense demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1104644 du 31 décembre 2013 du tribunal administratif de Bordeaux, qui a annulé, à la demande de M. A...B..., sa décision du 4 octobre 2011, par laquelle il a rejeté la demande d'indemnisation présentée au titre de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français et lui a enjoint de faire une proposition d'indemnisation intégrale de ses préjudices ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...au tribunal administratif de Bordeaux ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 modifiée relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
Vu le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 décembre 2014 :
- le rapport de M. Bernard Leplat ;
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;
- les observations de Me Labrunie, avocat de M.B... ;
1. Considérant que M.B..., officier marinier de la marine nationale, a été affecté en Polynésie française, du 12 avril 1965 au 29 mars 1967, comme membre de la mission hydrographique de la Polynésie française, puis, auprès du Centre d'expérimentations du Pacifique, du 20 août 1969 au 28 septembre 1970 à bord d'un engin de débarquement d'infanterie et de chars (EDIC) basé à Mururoa, où il a de nouveau été affecté, du 6 janvier 1975 au 5 janvier 1976, comme responsable de la batellerie du service mixte de contrôle biologique et, enfin, du 3 février 1980 au 12 février 1981, à bord de la gabarre de mer Tianée ; qu'il a été atteint d'une leucémie, diagnostiquée en 2009 ; qu'il a présenté une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que, lors de sa séance du 8 février 2011, le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a estimé que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue du cancer pouvait être considéré comme négligeable ; que, suivant cette recommandation, le ministre de la défense et des anciens combattants a rejeté la demande d'indemnisation de M. B...par décision du 4 octobre 2011 ; que, par jugement du 31 décembre 2013, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cette décision et a enjoint au ministre de faire à M. B...une proposition d'indemnisation intégrale de ses préjudices ; que le ministre de la défense relève appel de ce jugement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que le dispositif institué par les dispositions de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français et du décret pris pour son application, qui participe à l'indemnisation des préjudices subis du fait de maladies imputables aux essais nucléaires français, aboutit à ce que le CIVEN recommande, le cas échéant, au ministre chargé de la défense de prendre une mesure d'indemnisation ; que les refus opposés par ce ministre aux demandes de reconnaissance et d'indemnisation présentées sur ce fondement constituent des décisions administratives qui peuvent être contestées par la voie du recours pour excès de pouvoir et peuvent être annulées notamment si elles sont entachées d'erreur de droit, d'erreur de fait, d'erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir ; que, saisi de conclusions en ce sens, le juge de l'excès de pouvoir peut enjoindre à l'administration de prendre les mesures qu'impose nécessairement sa décision d'annulation, notamment de procéder au réexamen des points encore en litige et de prendre, le cas échéant, une décision accordant en tout ou partie l'indemnisation demandée ; qu'en l'espèce, M. B...a demandé au tribunal administratif l'annulation de la décision par laquelle le ministre a refusé de reconnaître sa qualité de victime des essais nucléaires français et de lui présenter une offre d'indemnisation des préjudices subis du fait de son exposition aux rayonnements ionisants ; que contrairement à ce que soutient le ministre, en faisant droit à cette demande et en lui enjoignant d'adresser à M. B...une offre d'indemnisation, le tribunal administratif, qui s'est prononcé comme juge de l'excès de pouvoir et non comme juge de plein contentieux, ne s'est pas mépris sur la nature de la demande qui lui était présentée et n'a pas méconnu son office ;
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans les atolls de Mururoa et Fangataufa, ou entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1974 dans des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire ; 3° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans certaines zones de l'atoll de Hao ; 4° Soit entre le 19 juillet 1974 et le 31 décembre 1974 dans certaines zones de l'île de Tahiti. Un décret en Conseil d'Etat délimite les zones périphériques mentionnées au 1°, les zones inscrites dans le secteur angulaire mentionné au 2°, ainsi que les zones mentionnées aux 3° et 4°. " ; que, selon l'article 4 de cette loi : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...). / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité procède ou fait procéder à toute investigation scientifique ou médicale utile, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. Il peut requérir de tout service de l'Etat, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur communication de tous renseignements nécessaires à l'instruction de la demande. (...) / III. - (...) le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de (...) donner. (...) le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. (...) " ; que l'article 7 du décret susvisé n° 2010-653 du 11 juin 2010 en vigueur à la date de la décision contestée dispose que : " La présomption de causalité prévue au II de l' article 4 de la loi du5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants. Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. (...) " ; que l'article 6 de ce décret précise : " Le comité peut faire réaliser des expertises. (...) " ;
4. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que le législateur a instauré une présomption de causalité au profit de la personne s'estimant victime des essais nucléaires si celle-ci souffre d'une maladie radio-induite inscrite sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 et a séjourné, au cours d'une période déterminée, dans l'une des zones géographiques de retombées ; que, toutefois, alors même que le demandeur remplit les conditions d'indemnisation fixées par l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010, cette présomption peut être écartée s'il est établi, au vu notamment des éléments présentés au comité d'indemnisation, à qui la demande a été soumise, que le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions d'exposition aux rayonnements ionisants ;
5. Considérant qu'il est constant que M. B...a séjourné dans une des zones définies par les dispositions précitées, pendant une période prévue par ces mêmes dispositions et qu'il est atteint d'une maladie radio-induite inscrite sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 ; que, pour rejeter sa demande d'indemnisation, le ministre a fait valoir que le risque attribuable aux essais nucléaires français était négligeable, conformément à la recommandation du CIVEN, qui avait indiqué que, compte tenu du niveau de l'exposition aux rayonnements ionisants de l'intéressé, la probabilité, évaluée selon les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), d'une relation de causalité entre cette exposition et la maladie dont il était atteint était très inférieure à 1 % ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, comme il est dit au point 1, M. B..., a été affecté en Polynésie française, du 12 avril 1965 au 29 mars 1967, comme membre de la mission hydrographique de la Polynésie française, puis, auprès du Centre d'expérimentations du Pacifique, du 20 août 1969 au 28 septembre 1970 à bord d'un engin de débarquement d'infanterie et de chars (EDIC) basé à Mururoa, où il a de nouveau été affecté, du 6 janvier 1975 au 5 janvier 1976, comme responsable de la batellerie du service mixte de contrôle biologique et, enfin, du 3 février 1980 au 12 février 1981, à bord de la gabarre de mer Tianée ; qu'il a été amené, au titre de ces différentes affectations, à effectuer, à Mururoa, où il séjournait à terre ou à bord des bâtiments évoqués ci-dessus, pendant différentes campagnes de tirs, des opérations de relevés, de transport de personnels et de matériels susceptibles d'avoir été contaminés, ainsi que de prélèvements d'échantillons sous-marins ; qu'il doit être regardé comme ayant été, ainsi, exposé à des risques particuliers de contamination interne ; que s'il a fait l'objet, en 1966 et 1967, de 3 dosimétries externes, dont la prise en compte des résultats, nuls et qui n'ont d'ailleurs pas été corrigés selon la méthodologie habituelle du CIVEN, a conduit à retenir une probabilité de causalité de 0 %, il n'a bénéficié, au titre de la surveillance d'une éventuelle contamination interne que de deux anthropospectrogammamétries, le 16 décembre 1975 et le 16 janvier 1981, à des dates excessivement espacées entre elles et sans rapport avec les conditions de son exposition aux rayonnements ionisants ; qu'il n'est ni établi ni même allégué que la méthodologie mise en oeuvre par le CIVEN permettrait de corriger les incertitudes affectant les données retenues sur la base d'une surveillance aussi lacunaire ; que, devant la cour, le ministre ne conteste pas ces éléments de fait sur lesquels les premiers juges se sont fondés ; que, dans ces conditions, en l'absence de surveillance suffisante des risques de contamination interne auxquels il a été exposé, l'administration n'apporte pas la preuve du caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires français dans la survenance de la maladie de M.B..., qui était, dès lors, en droit de bénéficier de la présomption de causalité instaurée par la loi du 5 janvier 2010 ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux, a annulé la décision par laquelle il a refusé de reconnaître à M. B...qui, contrairement à ce qu'il soutenait en première instance, s'était acquitté de la contribution pour l'aide juridique, la qualité de victime des essais nucléaires français et lui a enjoint d'adresser à ce dernier une offre d'indemnisation ;
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner l'Etat à verser à M. B...une somme de 1 000 euros au titre, en application de l'article L. 761-1, des frais exposés et non compris dans les dépens et en application de celles de l'article R. 761-1 relatives au remboursement de la contribution pour l'aide juridique ;
DECIDE
Article 1er : Le recours du ministre de la défense est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à M. B...la somme de 1 000 euros en application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 14BX00623