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25/10/2016 | FRANCE | N°15BX00392

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre (formation à 3), 25 octobre 2016, 15BX00392


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés Sodifram, Sodiscount, Transfrigo et Allianz Iard ont demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner l'Etat à verser, d'une part, une indemnité de 1 200 000 euros à la société Allianz Iard, en sa qualité d'assureur subrogé, d'autre part, une indemnité globale de 1 743 830 euros aux sociétés Sodifram, Sodiscount et Transfrigo, en réparation des préjudices subis du fait des barrages et manifestations qui se sont tenus à Mayotte durant les mois d'octobre et novembre 2011.
>Par un jugement n° 1200688 du 30 octobre 2014, le tribunal administratif de Mayotte...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés Sodifram, Sodiscount, Transfrigo et Allianz Iard ont demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner l'Etat à verser, d'une part, une indemnité de 1 200 000 euros à la société Allianz Iard, en sa qualité d'assureur subrogé, d'autre part, une indemnité globale de 1 743 830 euros aux sociétés Sodifram, Sodiscount et Transfrigo, en réparation des préjudices subis du fait des barrages et manifestations qui se sont tenus à Mayotte durant les mois d'octobre et novembre 2011.

Par un jugement n° 1200688 du 30 octobre 2014, le tribunal administratif de Mayotte a condamné l'Etat à verser une somme de 48 358 euros à la société Sodifram, avec intérêts à compter du 3 septembre 2012 et capitalisation des intérêts, et rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 février 2015, les sociétés Sodifram, Sodiscount, Transfrigo et Allianz Iard, reprsentées par MeA..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Mayotte du 30 octobre 2014 en tant qu'il a rejeté le surplus de leurs demandes ;

2°) à titre principal, de condamner l'Etat à verser, d'une part, une indemnité de 1 200 000 euros à la société Allianz Iard, en sa qualité d'assureur subrogé, avec intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2012 et capitalisation des intérêts, d'autre part, une indemnité globale de 1 768 463 euros aux sociétés Sodifram, Sodiscount et Transfrigo, avec intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2012 et capitalisation des intérêts, ou, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à verser aux sociétés Sodifram, Sodiscount et Transfrigo une somme de 2 968 463 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2012 et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et une somme de 15 000 euros au titre des frais exposés par la société Allianz Iard en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

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Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code des assurances ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller ;

- les conclusions de M. B...de la Taille, rapporteur public.

Une note en délibéré présentée pour les sociétés requérantes a été enregistrée le 3 octobre 2016.

Elles font valoir que, dès lors que le courrier de notification du jugement attaqué indiquait que le délai d'appel était de trois mois, les conclusions de la société Allianz Iard ne sont pas tardives.

Considérant ce qui suit :

1. Les sociétés Sodifram, Transfrigo et Sodiscount exploitent à Mayotte plusieurs magasins d'alimentation. Ces sociétés, ainsi que la société d'assurances Allianz Iard en qualité d'assureur subrogé, ont demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner l'Etat à les indemniser des préjudices qu'elles estiment avoir subis du fait des " manifestations contre la vie chère " qui se sont tenues à Mayotte durant les mois d'octobre et novembre 2011. Elles relèvent appel du jugement du 30 octobre 2014 du tribunal administratif de Mayotte en tant qu'il a limité l'indemnisation allouée à la société Sodifram au montant de 48 358 euros et rejeté le surplus de leurs demandes.

Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :

2. L'obligation incombant au préfet de faire lever les obstacles qui s'opposent à l'utilisation normale du domaine public trouve sa limite dans les nécessités de l'ordre public. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard à l'ampleur des troubles à l'ordre public que ce type d'intervention pouvait entraîner dans un contexte exceptionnel de graves conflits sociaux généralisés sur l'ensemble du territoire de Mayotte, le préfet de Mayotte n'a, en s'abstenant d'utiliser la force publique pour rompre l'ensemble des barrages établis par les manifestants dans le cadre d'un mouvement de grève générale contre la vie chère, pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

3. Il résulte en outre de l'instruction que les autorités investies du pouvoir de police, qui ont organisé plusieurs interventions des forces de l'ordre, dont les effectifs ont été considérablement renforcés, afin de mettre en place des périmètres de sécurité, se sont cependant trouvées dans l'impossibilité de prévenir l'ensemble des agissements délictueux commis en marge du mouvement social, qui ne peuvent donc être imputés à une carence des services de l'Etat.

Sur la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques :

4. Les dommages résultant de l'abstention de l'autorité administrative compétente de prendre les mesures nécessaires pour rétablir l'ordre ne peuvent, lorsque cette abstention n'est pas fautive, engager la responsabilité de cette autorité que si cette abstention a été directement à l'origine d'un dommage anormal et spécial.

5. D'une part, les préjudices dont les sociétés appelantes ont été victimes, liés aux vols de marchandises et dégradations des agencements commerciaux de certains de leurs magasins, ont pour cause directe les actions menées par les auteurs de ces agissements, et ne peuvent être imputés, ainsi qu'il a été dit au point 4, à une carence des services de l'Etat. En l'absence d'un lien de causalité direct entre ces dommages et le fait de l'administration, la responsabilité de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques n'est pas engagée envers les sociétés requérantes.

6. D'autre part, il résulte de l'instruction que les sociétés Transfrigo, Sodiscount et Sodifram ont subi des pertes d'exploitation du fait de la fermeture de plusieurs de leurs magasins, décidée sous la contrainte des manifestants, en raison des barrages mis en place sur les axes routiers de l'île. Toutefois, elles n'établissent pas, eu égard au caractère général du mouvement qui a affecté la quasi-totalité des entreprises implantées à Mayotte, particulièrement celles ayant pour activité la vente de denrées alimentaires, avoir subi un dommage spécial susceptible d'être indemnisé sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques.

Sur la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales :

7. Aux termes du premier alinéa de l'article L.2216-3 du code général des collectivités territoriales alors applicable, désormais repris à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ".

En ce qui concerne les préjudices tenant aux pertes d'exploitation liées à la fermeture des magasins :

8. Il est établi, notamment par les nombreux articles de presse versés au dossier, que les barrages installés sur l'ensemble des axes routiers de Mayotte ont contraint les sociétés requérantes à la fermeture, durant la période du mouvement social, de plusieurs magasins d'alimentation, à savoir les magasins Shopi Dzoumogne, Sodicash Dzoumogne, Sodicash Chiconi, Sodicash Pamandzi, Shopi Pamandzi, Shopi Passamainty et Shopi Commerce. Ces agissements sont constitutifs des délits d'entrave à la circulation et à la liberté du travail commis à force ouverte par un rassemblement précisément identifié composé de manifestants qui avaient lancé un mouvement de grève générale contre la vie chère. Toutefois, ces agissements ne peuvent, dans les circonstances de l'espèce, être regardés, eu égard à leur caractère prémédité et organisé révélé par la concertation et les mesures de surveillance qu'impliquait le maintien, sur tous les grands axes routiers de l'île, des barrages pendant une durée de l'ordre de quarante jours, comme ayant été le fait d'un attroupement ou d'un rassemblement au sens de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales.

9. Si les sociétés Transfrigo et Sodifram font aussi valoir qu'elles ont été contraintes par des manifestants de procéder à la fermeture anticipée, le 3 octobre 2011, du magasin Transfrigo Kaweni, le 19 octobre 2011, du magasin Sodicash Kaweni, et le 31 octobre 2011, du magasin Sodicash Malamaini, elles ne sollicitent cependant pas la réparation du préjudice commercial qui serait résulté pour elles de ces " fermetures forcées ".

En ce qui concerne les préjudices tenant aux vols, dégradations d'agencements commerciaux et pertes d'exploitation en ayant résulté :

10. En premier lieu, s'agissant des vols de marchandises et dégradations commis dans le magasin Sodicash Combani le 5 octobre 2011 et le magasin Sodicash Chiconi les 19 et 26 octobre 2011, la seule circonstance, au demeurant non établie, que des rassemblements de manifestants se sont tenus à, respectivement, 5 et 8 kilomètres de ces magasins, ne suffit pas, compte tenu de l'éloignement géographique, à établir que les actes délictueux en cause seraient le fait d'un attroupement au sens des dispositions précitées de l'article L.2216-3 du code général des collectivités territoriales.

11. En deuxième lieu, s'agissant des vols et dégradations commis le 5 octobre 2011 dans le magasin Transfrigo Kaweni, il résulte des termes mêmes du dépôt de plainte auquel ces infractions ont donné lieu que les agissements en cause ont été le fait d'un groupe d'individus qui ont profité du contexte de la manifestation organisée le même jour à proximité du magasin, sans participer à cette manifestation. S'agissant des déprédations et cambriolages commis le 5 octobre 2011 dans le magasin Shopi Dzoumogne, le 3 novembre 2011 dans le magasin Hyperdiscount Kaweni et le 4 novembre 2011 dans le magasin Super K Kaweni, il résulte également des plaintes déposées par les responsables de ces magasins que ces actes délictueux ont été commis par des individus isolés, et le lien entre ces agissements et une manifestation identifiée n'est ni démontré ni même allégué.

12. En troisième lieu, s'agissant des vols et dégradations commis en soirée ou durant la nuit dans de nombreux magasins exploités par les sociétés requérantes, ces actions ont été commises plusieurs heures après les manifestations contre la vie chère, dans un contexte revendicatif dont leurs auteurs ont tiré profit, et ne peuvent davantage être regardées comme procédant d'attroupements au sens des dispositions précitées.

13. En quatrième lieu, s'agissant des vols et dégradations commis sur la période du 21 au 24 octobre 2011 dans le magasin Sodicash Commerce et du 15 au 17 octobre 2011 dans le magasin Transfrigo Kaweni, la preuve du lien des agissements en cause avec un attroupement identifié n'est pas rapportée, et l'ampleur des vols commis démontre le caractère organisé, et non spontané, de ces actions.

14. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que le 19 octobre 2011, en milieu de journée, alors qu'une manifestation se déroulait dans le quartier Kaweni à Mamoudzou, des individus sont entrés dans le magasin Super K Kaweni, ont volé des marchandises qui se trouvaient alors dans les chariots des clients et dégradé une porte métallique ainsi que des chariots, portes et vasistas du magasin. Il ne résulte pas de l'instruction que ces agissements auraient été commis selon des méthodes révélant leur caractère prémédité et organisé. Dans les circonstances de temps et de lieu de l'espèce, les dommages en cause doivent être regardés, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, comme résultant d'un attroupement ou d'un rassemblement au sens des dispositions précitées de l'article L.2216-3 du code général des collectivités territoriales.

Sur la réparation :

15. Selon le rapport d'expertise établi par le cabinet Polyexpert, les dommages matériels subis par la société Sodifram du fait des vols et dégradations commis le 19 octobre 2011 dans le magasin Super K Kaweni se montent, après prise en compte d'une dépréciation sur stock de 4, 49 % et déduction des pertes sur les marchandises dont les dates limites de vente étaient dépassées, à la somme totale de 58 667 euros, évaluation qui n'est pas contestée par le préfet. Il sera dès lors fait une exacte appréciation des préjudices subis par la société Sodifram en portant l'indemnisation allouée par le tribunal au montant total de 107 025 euros.

16. Il ne résulte pas de l'instruction que l'indemnité globale de 1 200 000 euros versée par la société Allianz Iard aux sociétés Sodifram, Transfrigo et Sodiscount, aurait couvert les préjudices matériels mentionnés au point 15. La somme allouée par le présent arrêt en réparation desdits préjudices doit ainsi être versée à la société Sodifram.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

17. La société Sodifram a droit aux intérêts au taux légal sur la somme indiquée au point 16 à compter du 5 septembre 2012, date de réception par le préfet de Mayotte de sa réclamation préalable. La capitalisation ayant été demandée dans la requête introductive d'instance devant le tribunal administratif enregistrée le 21 novembre 2012, ces intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à la date du 5 septembre 2013 à laquelle il était dû une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Allianz Iard sur le fondement de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que l'Etat a été condamné à verser à la société Sodifram est portée au montant total de 107 025 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2012 et ces intérêts seront capitalisés à la date du 5 septembre 2013, puis à chaque échéance annuelle, pour produire eux-mêmes intérêts

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Mayotte en date du 30 octobre 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

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N° 15BX00392


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 15BX00392
Date de la décision : 25/10/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre DUPUY
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : CABINET TRILLAT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/10/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2016-10-25;15bx00392 ?
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