Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A...B..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de son fils, M. E...C..., a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 857 160 euros ainsi qu'une rente annuelle viagère de 129 888 euros en réparation des préjudices résultant de la tentative de suicide de M. E...C...survenue le 11 juillet 2004 à la maison d'arrêt de Gradignan.
Par un jugement n°1300250 du 29 septembre 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande et mis les frais d'expertise, d'un montant total de 1 850 euros, à la charge définitive de MmeB....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 novembre 2015, Mme A...B..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de M.C..., représentée par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 29 septembre 2015 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 857 160 euros ainsi qu'une rente annuelle viagère de 129 888 euros en réparation des préjudices subis par M.C... ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens, ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la loi n° 2000-312 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
- et les observations de MeF..., représentant MmeB....
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., né le 6 novembre 1987, a été placé en détention provisoire et écroué à la maison d'arrêt de Gradignan le 27 mai 2004. Par une décision du 8 juillet 2004, le directeur de cet établissement statuant en commission de discipline lui a infligé une sanction de huit jours de confinement en cellule individuelle ordinaire pour avoir proféré des insultes à l'encontre d'un surveillant et jeté un oeuf sur un codétenu. Le 11 juillet 2004, vers 11h35, M. C...a été retrouvé pendu aux barreaux de la fenêtre de sa cellule, en état d'arrêt cardio-respiratoire anoxique. Il conserve de cette tentative de suicide des séquelles majeures neurologiques, neuropsychologiques, comportementales et motrices. MmeB..., mère de M.C..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de son fils, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à réparer les préjudices résultant de cette tentative de suicide. Par un jugement n° 1300250 du 29 septembre 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande, ainsi que celle présentée par la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, et mis les dépens à la charge de MmeB.... Cette dernière relève appel de ce jugement et demande à la cour de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 857 160 euros ainsi qu'une rente annuelle viagère de 129 888 euros en réparation des préjudices subis par M.C... et de mettre les dépens à la charge de l'Etat. La caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde a également présenté des conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser les sommes de 267 601, 39 euros au titre des débours, 80 881, 41 euros au titre des frais futurs et de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. En premier lieu, d'une part, les dispositions de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ne sont pas applicables à la procédure disciplinaire des détenus. D'autre part, la circulaire du 31 octobre 2000 relative à la procédure disciplinaire des détenus ne présente pas un caractère réglementaire. Dès lors, la prétendue méconnaissance des dispositions de cette ordonnance et de cette circulaire est sans incidence sur la légalité de la décision du 8 juillet 2004 par laquelle le directeur de la maison d'arrêt de Gradignan statuant en commission de discipline a infligé à M. C...une sanction de huit jours de confinement en cellule individuelle ordinaire, et ne saurait, par suite, constituer une illégalité fautive.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article D. 250-4 du code de procédure pénale, dans sa version alors applicable : " Lors de sa comparution devant la commission de discipline, le détenu présente en personne, sous réserve (...) des dispositions prises en application de l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ses explications écrites ou orales (...) ". L'article 24 de la loi du 12 avril 2000 dispose : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix (...) ". Si ces dispositions impliquent que l'intéressé ait été informé en temps utile de la possibilité de se faire assister d'un avocat, possibilité dont il appartient à l'administration pénitentiaire d'assurer la mise en oeuvre lorsqu'un détenu en fait la demande, la circonstance que l'avocat dont l'intéressé a ainsi obtenu l'assistance ne soit pas présent lors de la réunion de la commission de discipline, dès lors que cette absence n'est pas imputable à l'administration, ne peut avoir pour conséquence de rendre la procédure irrégulière.
4. Il résulte de l'instruction que, suite au déclenchement de la procédure disciplinaire à l'encontre de M.C..., alors âgé de 16 ans, Mme B...a fait part à l'administration pénitentiaire de son souhait que son fils soit assisté devant la commission de discipline par un avocat. Le conseil choisi par Mme B...pour assister M. C...devant la commission de discipline a été averti dès le 5 juillet 2004, par télécopie, de ce que M. C...était convoqué devant la commission de discipline le 8 juillet 2004, ainsi que des motifs de cette convocation. Ce dernier ne s'est toutefois pas présenté devant la commission de discipline, sans avoir préalablement avisé l'administration de son absence. Dans ces conditions, l'absence de l'avocat lors de la séance de la commission de discipline est sans incidence sur la régularité de la procédure dès lors que l'administration pénitentiaire a rempli ses obligations en mettant M. C... à même d'être assisté d'un avocat. La faute alléguée, tenant à l'irrégularité de la procédure suivie devant la commission de discipline, n'est ainsi pas établie.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article D. 249-2 du code de procédure pénale : " Constitue une faute disciplinaire du deuxième degré le fait, pour un détenu : 1° De proférer des insultes ou des menaces à l'égard d'un membre du personnel de l'établissement ou d'une personne en mission ou en visite au sein de l'établissement pénitentiaire (...). ". Aux termes de l'article 249-3 du même code : " Constitue une faute disciplinaire du troisième degré le fait, pour un détenu : (...) 8° De jeter des détritus ou tout autre objet par les fenêtres de l'établissement (...) ". L'article D. 251 dudit code, dans sa version applicable au moment des faits, dispose : " Peuvent être prononcées, quelle que soit la faute disciplinaire, les sanctions disciplinaires suivantes : 1° L'avertissement ; 2° L'interdiction de recevoir des subsides de l'extérieur pendant une période maximum de deux mois ; 3° La privation pendant une période maximum de deux mois de la faculté d'effectuer en cantine tout achat autre que l'achat de produits d'hygiène, du nécessaire de correspondance et de tabac ; 4° Le confinement en cellule individuelle ordinaire dans les conditions prévues à l'article D. 251-2 ; 5° La mise en cellule disciplinaire dans les conditions prévues aux articles D. 251-3 et D. 251-4. ". Enfin, aux termes de l'article D. 251-2, dans sa version alors applicable : " Le confinement en cellule ordinaire prévu par l'article D. 251 (4°) emporte pendant toute sa durée, la privation de cantine prévue au 3° du même article, ainsi que la privation de toutes les activités à l'exception de la promenade et de l'assistance aux offices religieux. Elle n'entraîne aucune restriction au droit de correspondance du détenu ni aux visites. La durée du confinement ne peut excéder quarante-cinq jours pour une faute du premier degré, trente jours pour une faute du deuxième degré et quinze jours pour une faute du troisième degré. A l'égard des mineurs de plus de seize ans, cette durée est ramenée respectivement à quinze jours, huit jours et quatre jours. Le confinement en cellule ordinaire ne peut être prononcé à l'encontre des mineurs de seize ans. ".
6. M. C...s'est vu infliger par décision du 8 juillet 2004 une sanction de huit jours de confinement en cellule individuelle ordinaire pour avoir tenu des propos grossiers à l'égard d'un surveillant et jeté un oeuf dans la cellule d'un autre détenu. La matérialité des faits reprochés n'est pas sérieusement contestée, l'intéressé ayant d'ailleurs reconnu avoir tenu les propos litigieux et déclaré avoir été sanctionné à la suite d'une altercation avec un autre détenu. En revanche, compte tenu de la faible gravité des fautes reprochées et de l'absence d'antécédent disciplinaire de M.C..., en lui infligeant la sanction en cause, qui était, s'agissant d'un mineur de plus de seize ans, la sanction maximale encourue pour une faute du deuxième degré, l'administration a édicté une sanction disproportionnée aux faits reprochés.
7. Cependant, cette illégalité fautive n'est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat que dans la mesure où les préjudices invoqués en sont la conséquence directe et certaine. Or, il ne résulte nullement de l'instruction que la tentative de suicide de M. C...aurait pour origine l'infliction de cette sanction, Mme B...ayant d'ailleurs déclaré lors de son audition par les services de police le 9 août 2004, que, lors de sa visite à son fils le 9 juillet 2004, ce dernier ne lui avait " pas paru inquiet " et qu'elle ne comprenait pas son geste suicidaire.
8. En quatrième lieu, et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, rien dans le comportement de M.C..., qui ne présentait par ailleurs pas de fragilité psychologique particulière signalée à l'administration pénitentiaire, ne pouvait laisser présager un geste suicidaire. Dans ces conditions, aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de l'administration pénitentiaire, ni dans l'absence de mise en place d'une surveillance plus étroite de M. C...durant l'exécution de la sanction de confinement dont il faisait l'objet, ni dans son placement en cellule en possession d'objets potentiellement dangereux pour lui-même, tels que la chaise au moyen de laquelle il a tenté de mettre fin à ses jours par autolyse.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices subis par son fils du fait de sa tentative de suicide.
Sur les conclusions de la CPAM de la Gironde :
10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde ne peuvent être accueillies.
Sur les dépens :
11. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".
12. Il y a lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de mettre les frais des expertises ordonnées par le tribunal administratif de Bordeaux et la cour administrative d'appel de Bordeaux, d'un montant total de 1 850 euros, pour moitié à la charge de l'Etat et pour moitié à la charge de MmeB....
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme B...et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.
DECIDE :
Article 1er : Les frais des expertises ordonnées par le tribunal administratif de Bordeaux et la cour administrative d'appel de Bordeaux, d'un montant total de 1 850 euros, sont mis pour moitié à la charge de l'Etat et pour moitié à la charge de MmeB....
Article 2 : Le jugement n° 1300250 du 29 septembre 2015 du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B...une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme B...et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde sont rejetés.
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N° 15BX03727