Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société ETPO et la société Compagnie martiniquaise de bâtiment (COMABAT) ont demandé au tribunal administratif de la Martinique, dans le dernier état de leurs écritures, de condamner le centre hospitalier universitaire de Martinique au paiement d'une somme de 9 475 122,63 HT, majorée des intérêts de droit et des intérêts des intérêts, en réparation de leurs préjudices.
Par un jugement n°0500105 du 28 novembre 2013, le tribunal administratif de la Martinique a condamné le centre hospitalier universitaire de Martinique à verser à la société ETPO, pour le compte du groupement constitué avec la société COMABAT, une somme globale de 220 627,04 euros (73 381,68 euros + 144 245,36 euros), assorti la somme de 73 381,68 euros des intérêts au taux légal majoré de deux points à compter 17 juillet 2004 et de la capitalisation des intérêts à compter du 17 juillet 2005, assorti la somme de 144 245,36 euros des intérêts à compter du 2 décembre 2005 et de la capitalisation des intérêts à compter du 2 décembre 2006 et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 février 2014 et des mémoires enregistrés les 16 avril 2015, 3 juillet 2015, 23 septembre 2015, 29 décembre 2015, 30 mai 2016, 22 septembre 2016 et 13 janvier 2017, la société ETPO et la société COMABAT, représentées par la Selarl Armen, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 28 novembre 2013 en tant qu'il a rejeté le surplus de leurs demandes indemnitaires ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Martinique au paiement d'une somme de 4 333 045 euros HT, majorée des intérêts de droit et des intérêts des intérêts, en réparation de leurs préjudices ;
3°) de faire droit à leur demande de révision des prix ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Martinique une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
-le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 relatif à la mise en oeuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics ;
-le code des assurances ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marianne Pouget,
- les conclusions de Mme Frédérique Munoz-Pauziès, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant les sociétés ETPO et COMABAT, de Me C...représentant le centre hospitalier universitaire de Martinique, de Me A...représentant la société Sagebat et de MeG..., représentant M.F..., M.H..., M. D..., la société Talhouet et le cabinet Arnoux SARL.
Une note en délibéré présentée pour les sociétés ETPO et COMABAT a été enregistrée le 24 janvier 2017.
Une note en délibéré présentée pour la société Ingerop SAS a été enregistrée le 15 février 2015.
Considérant ce qui suit :
1. Le centre hospitalier universitaire de Martinique a conclu un marché public de travaux comprenant 26 lots pour la construction de l'unité hospitalière dénommée " Maison de la femme, de la mère et de l'enfant ", dont le lot n° 4 " structure-gros-oeuvre-maçonnerie " a été confié au groupement solidaire constitué des sociétés ETPO et Compagnie martiniquaise de bâtiment (COMABAT), dont la société ETPO est le mandataire. La maîtrise d'oeuvre était assurée par Mme I..., M. E..., M. F..., M. H..., M. D..., la société Lucigny Talhouet et associés (LTA) et le cabinet Arnoux Sarl tandis que la société Guez Caraïbes était chargée de la mission d'ordonnancement, de pilotage et de coordination (OPC). La société Ingerop SAS est intervenue en qualité de bureau d'études du groupement de maîtrise d'oeuvre et la SEMAFF s'est vu confier une mission de maîtrise d'ouvrage déléguée.
2. Les sociétés ETPO et COMABAT ont demandé au centre hospitalier universitaire de Martinique l'indemnisation des surcoûts qu'elles estiment avoir supportés du fait des retards d'exécution de leur lot, de la désorganisation du chantier et des quantités supplémentaires d'acier qu'elles ont été contraintes d'utiliser. Elles relèvent appel du jugement du 28 novembre 2013 du tribunal administratif de la Martinique en tant qu'il a seulement condamné le centre hospitalier universitaire de Martinique à leur verser la somme globale de 220 627,04 euros, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts et rejeté le surplus de leur demande.
Sur la régularité du jugement :
3. Il ressort des motifs du jugement attaqué que le tribunal a estimé que la réalisation du projet avait donné lieu à la passation d'un seul marché alloti à prix global et forfaitaire et que les difficultés rencontrées dans l'exécution de ce marché ne pouvaient ouvrir droit à indemnité au profit des sociétés requérantes chargées de l'exécution du lot n° 4 de ce marché que dans la mesure où celles-ci justifiaient soit que ces difficultés avaient eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles étaient imputables à une faute de la personne publique. Dans ces conditions, le tribunal a implicitement mais nécessairement répondu au moyen invoqué par les sociétés requérantes dans leur ultime mémoire enregistré au greffe du tribunal administratif le 19 septembre 2013, tiré de ce que le pouvoir adjudicateur aurait conclu en réalité deux marchés distincts, l'un portant exclusivement sur les travaux de terrassement dont l'exécution a été confiée à la société ATP par un acte d'engagement signé par le pouvoir adjudicateur le 31 mai 2003, l'autre sur les 25 autres lots, dont le lot n° 4 qui leur a été attribuée, ce qui, selon les requérantes, emporterait des effets sur les conditions d'engagement de la responsabilité contractuelle de la collectivité publique cocontractante.
4. En revanche, au titre de la demande de paiement de la somme de 2 103 620 euros correspondant au coût des quantités d'acier que les sociétés requérantes estiment avoir dû supporter en sus, le tribunal administratif a omis de répondre au moyen tiré de ce que lesdites dépenses présenteraient le caractère de travaux supplémentaires indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art. Les requérantes sont ainsi fondées à soutenir que le tribunal a entaché son jugement d'une omission à statuer sur ce point. Par suite, le jugement est irrégulier et doit être annulé dans cette mesure. Il y a lieu de statuer par la voie de l'évocation sur la demande tendant au paiement de travaux supplémentaires au titre de la surconsommation d'acier présentée devant le tribunal administratif de la Martinique, la cour étant saisie des autres conclusions indemnitaires des sociétés ETPO et COMABAT par l'effet dévolutif de l'appel.
Sur les demandes des sociétés ETPO et COMABAT relatives à la prolongation des délais et à la désorganisation du chantier :
5. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en oeuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.
S'agissant des demandes fondées sur les fautes alléguées du maître d'ouvrage :
6. En premier lieu, les sociétés ETPO et COMABAT soutiennent en appel que l'augmentation des délais d'exécution du lot n° 4 et la désorganisation du chantier sont imputables, non pas comme elles le faisaient valoir devant les premiers juges, aux fautes de l'entreprise ATP chargée des travaux de terrassement faisant l'objet du lot n° 1 du marché en litige, mais à la réception fautive par le maître d'ouvrage desdits travaux et à la mise à disposition qui en est résultée de plateformes non conformes au plan d'implantation des travaux du lot n° 4 dont elles avaient la charge et aux règles de l'art.
7. Aux termes de l'article 6.3 du CCAP commun à tous les lots du marché : " Il sera procédé à une réception provisoire des travaux de la première phase. Celle-ci ne saurait exempter l'entreprise de terrassement de ses obligations qui restent valables en la matière jusqu'à la livraison de l'ouvrage dans sa globalité (...). Il sera procédé à une réception unique des ouvrages. Cette réception unique de ces ouvrages aura lieu à l'achèvement de l'ensemble des prestations afférentes à l'exécution de la partie de l'opération pour laquelle un délai partiel de livraison a été fixé ". L'article 4.3.1 du CCTP du lot n° 4 dispose que : " La plate-forme de chantier sera réalisée par l'entrepreneur de terrassements généraux. Il sera procédé à une réception contradictoire de cette plate-forme en présence de l'entrepreneur l'ayant réalisée et de l'entrepreneur du présent lot ". Aux termes de l'article 4.4.13 du cahier des charges techniques communes : " Les cahiers des charges (D.T.U) et les CCTP précisent les tolérances, planimétries, états de surfaces, arases, etc. des différents ouvrages. Lorsque ces ouvrages constituent le support d'une prestation d'une autre entreprise, un représentant qualifié de cette dernière doit assurer la réception de ces supports. Si la qualité de ces supports n'est pas conforme aux stipulations des documents contractuels, il appartient de le signaler par écrit au maitre d'oeuvre qui décide des mesures à prendre. Les travaux supplémentaires qui résulteraient de la mauvaise exécution des supports seraient déduits du compte de l'entreprise défaillante (...). L'exécution des travaux sans réserves écrites implique, ipso facto, l'acceptation des supports et aucune réclamation ne pourra être formulée à ce titre par la suite ".
8. D'une part, il résulte de l'instruction que le marché en litige constituait un marché unique comportant 26 lots et que les travaux de terrassements généraux, faisant l'objet du lot n° 1, devaient être réalisés en deux phases, dont la première portant sur les travaux de terrassements des plateformes pour les bâtiments devaient commencer en avril 2002 tandis que ceux de la deuxième phase concernant les travaux de terrassements pour voiries, ouvrages divers et finitions devaient débuter en août 2002 en même temps que les travaux sur les bâtiments. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, les travaux de terrassement réalisés par la société ATP, attributaire du lot n° 1, n'ont pas été réceptionnés en octobre 2002 mais étaient simplement achevés à cette date.
9. D'autre part, par courrier du 25 avril 2003, les sociétés requérantes ont signalé au maître d'oeuvre un problème de pente et de stabilité des talus. Chargé en application de l'article 1-5 du CCAP applicable à la maîtrise d'oeuvre de la direction de l'exécution des contrats de travaux (DET) et à ce titre, " unique responsable du contrôle de l'exécution des ouvrages et unique interlocuteur des entreprises " en vertu de l'article 23, le maître d'oeuvre a demandé à la société ATP de réaliser des travaux de renforcement consistant dans le redressement de la tête des talus. Les plateformes ont fait l'objet durant les mois de mai et juin 2003 des travaux de reprise prescrits par le maître d'oeuvre. Un procès-verbal des opérations préalables à la réception a été dressé le 30 juin 2003 par le maître d'oeuvre et la société ATP mentionnant une date de levée des réserves portant sur des travaux de faible ampleur (fourniture de plans de recollement et finalisation des travaux de protection des talus intermédiaires) au 10 juillet 2003. Conformément aux stipulations précitées de l'article 4-3-1 du CCTP du lot n° 4 organisant une procédure de réception contradictoire entre l'entreprise ayant réalisé les plateformes et le titulaire du lot n° 4, les sociétés ETPO et COMABAT ont été conviées par courrier du maître d'oeuvre du 8 juillet 2003 aux opérations de levée de réserves des travaux de terrassement. Présentes lors desdites opérations, ces dernières n'ont formulé aucune objection à la réception des terrassements et des plateformes qui a été prononcée par le maître d'ouvrage avec effet au 10 juillet 2003.
10. Enfin, les sociétés ETPO et COMABAT ont commencé leurs propres travaux sur les plateformes réalisées par la société ATP postérieurement à leur réception sans signaler au maître d'oeuvre la moindre anomalie, acceptant ainsi l'état des plateformes et talus déjà réalisés et mis à leur disposition.
11. Il résulte de ce qui précède que les travaux réalisés par la société ATP ont fait l'objet d'une réception, à caractère provisoire en application de l'article 6.3 du CCAP commun aux lots du marché, dans des conditions conformes aux documents contractuels. Dès lors, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à rechercher la responsabilité du maître d'ouvrage à raison de la réception desdits travaux. Il leur appartient seulement, si elles s'y croient fondées, de rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la construction de l'ouvrage.
12. En deuxième lieu, les sociétés requérantes soutiennent que le maître d'ouvrage, en s'abstenant en dépit de leurs demandes réitérées d'actualiser le planning des travaux initialement prévu, a manqué à son obligation de contrôle et de direction et a ainsi directement contribué à l'allongement de la durée d'exécution des travaux.
13. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'absence d'actualisation du planning des travaux aurait constitué par elle-même une cause d'allongement de la durée des travaux ni, en tout état de cause, qu'elle serait constitutive d'un manquement du maître d'ouvrage ou du maître d'ouvrage délégué à ses obligations contractuelles.
14. En troisième lieu, les sociétés requérantes soutiennent que le maître d'ouvrage, auquel incombaient la réalisation des branchements d'eau et des branchements électriques prévus au marché ainsi que la construction des voies d'accès au chantier, ce qui n'est pas contesté en appel, a tardé à exécuter ces ouvrages, de sorte que le démarrage de leurs propres travaux a dû être différé.
15. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté par le centre hospitalier universitaire de Martinique que les branchements et accès n'ont été réalisés que postérieurement à la date de démarrage des travaux du lot n° 4 initialement fixée au 10 avril 2003. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment du compte rendu de l'avancement n° 31 établi par la société Guez Caraïbes chargée de la mission d'ordonnancement, de pilotage et de coordination (OPC) qu'à la date du 18 juin 2003, les sociétés requérantes n'avaient toujours pas fourni l'intégralité des plans d'exécution des ouvrages, notamment des fondations. Or, conformément aux stipulations de l'article 29-14 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux, les travaux dont elles avaient la charge ne pouvaient démarrer avant l'approbation ou le visa du maître d'oeuvre sur les documents nécessaires à leur exécution. A supposer même, comme le soutiennent les sociétés requérantes, que ce dernier aurait validé tardivement les plans, il ne résulte pas de l'instruction que le maître d'ouvrage lui-même aurait contribué à la survenance de ce retard en s'abstenant d'inviter le maître d'oeuvre à faire diligence. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à rechercher la responsabilité contractuelle du centre hospitalier universitaire de la Martinique, dès lors qu'aucune faute ne lui est imputable, le maître d'ouvrage n'étant pas responsable de celles commises par les différents constructeurs.
S'agissant des demandes subsidiaires présentées au titre des sujétions imprévues :
16. Ne peuvent être regardées comme des sujétions imprévues que des difficultés rencontrées lors de l'exécution d'un marché, présentant un caractère exceptionnel, imprévisibles lors de la conclusion du contrat et dont la cause est extérieure aux parties. En outre, ainsi qu'il a été dit au point 5, dans un marché à forfait, ces sujétions doivent avoir bouleversé l'économie du contrat.
17. Il résulte de l'instruction que l'allongement de la durée du marché et les retards d'exécution des travaux sont principalement dus aux effondrements des talus réalisés par la société ATP. Les difficultés rencontrées par cette dernière dans l'exécution des travaux de terrassement étaient connues des sociétés requérantes qui en ont informé la maîtrise d'oeuvre, laquelle a ordonné des travaux de consolidation des talus. Comme il a été dit au point 9, les sociétés ETPO et COMABAT n'ont formulé aucune observation lors de la réception des plateformes et ont débuté leurs travaux sans émettre la moindre réserve. Dès lors, ces difficultés ne présentaient pas un caractère imprévisible et leur cause n'est pas extérieure aux parties. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les premiers juges ont rejeté à tort leur demande indemnitaire présentée sur le fondement des sujétions imprévues.
Sur les demandes des sociétés ETPO et COMABAT relatives aux quantités supplémentaires d'acier :
18. Il résulte de l'instruction que les sociétés ETPO et COMABAT ont consommé 1 613 tonnes d'acier alors que les documents contractuels en prévoyaient 630 seulement. Les sociétés requérantes soutiennent que dans la limite de 633 tonnes, cette consommation supplémentaire résulte d'erreurs commises par la société Ingerop SAS dans le calcul des coefficients de comportement aux séismes et, à concurrence de 350 tonnes, de l'acier qu'elles ont dû mettre en oeuvre pour réaliser un ouvrage conforme à l'exigence de performance après séisme. Elles sollicitent le versement de la somme globale de 2 103 620 euros au titre du coût des quantités supplémentaires d'acier.
S'agissant des 633 tonnes d'acier :
19. En premier lieu, les sociétés ETPO et COMABAT se prévalent du caractère indispensable de ces travaux supplémentaires à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art.
20. Dans le cadre d'un marché à prix global et forfaitaire, l'entreprise titulaire du marché n'est fondée à réclamer un supplément de prix au maître d'ouvrage que pour autant qu'elle justifie qu'elle a effectué, sur ordre de service, des travaux non prévus au marché, ou que ces travaux présentent un caractère indispensable à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art et ce quel qu'en soit le montant, alors même que ces travaux supplémentaires n'auraient pas bouleversé l'économie du contrat et n'auraient pas été imprévisibles.
21. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté par le centre hospitalier universitaire de Martinique que la mise en oeuvre de 633 tonnes supplémentaires d'acier résultait d'une sous évaluation des besoins d'acier dans le quantitatif d'acier établi par le bureau d'études Ingerop SAS qui en avait la charge et qu'elle présentait un caractère indispensable à la bonne exécution de l'ouvrage dans les règles de l'art.
22. Contrairement à ce que soutient le centre hospitalier universitaire de Martinique, aucune stipulation du cahier des clauses administratives particulières commun au marché en litige, alors même que ce dernier présente un caractère global et forfaitaire, ne saurait être regardée comme faisant obstacle au règlement des travaux, réalisés comme en l'espèce sans ordre écrit, mais indispensables à la bonne exécution de l'ouvrage dans les règles de l'art. Le centre hospitalier universitaire de Martinique ne saurait utilement se prévaloir de ce que la consommation de 633 tonnes d'acier supplémentaires aurait été mise en oeuvre pour faire face à des difficultés dépourvues de caractère imprévisible, une telle condition n'étant pas exigée pour le règlement de travaux supplémentaires indispensables tels que ceux en cause.
23. Toutefois, il résulte des pièces du marché conclu par la société requérante avec le centre hospitalier universitaire de Martinique, et notamment du cahier des clauses administratives particulières commun à tous les lots du marché, qu'il appartenait aux entrepreneurs d'apprécier exactement toutes les conditions d'exécution des ouvrages, leur nature, leur importance et leurs particularités, de contrôler toutes les indications des documents du dossier d'appel à la concurrence, notamment celles données par les plans, les dessins d'exécution et le devis descriptif et de s'assurer que ces indications étaient exactes, suffisantes et concordantes. Le cahier des clauses techniques particulières du lot n° 4 précisait que " le dimensionnement des structures est donné à titre indicatif, l'entrepreneur devant l'ensemble des plans et calculs ". Les sociétés requérantes soutiennent à tort qu'elles n'avaient pas à vérifier les coefficients de comportement aux séismes dès lors que l'article 3.2.3 du cahier des clauses techniques particulières du lot n° 4 précise au contraire que " la note de calcul intitulée : Etude de comportement sismique- Hypothèses générales n'a qu'une valeur indicative. L'entreprise du bâtiment devra dimensionner ses ouvrages avec les notes de calculs d'exécution ".
24. Ainsi, il ressort clairement de ces stipulations qu'il incombait aux sociétés requérantes de vérifier, avant de fixer leur prix et de remettre leur offre, l'exactitude des quantitatifs de matériaux figurant dans les documents de la consultation nécessaires à la réalisation de leur lot. Il n'est pas établi que ces dernières aient été dans l'impossibilité, eu égard à la technicité des calculs, de s'assurer lors de la détermination de leur offre, de leur pertinence. Dans ces conditions, la mise en oeuvre de 633 tonnes supplémentaires d'acier par les sociétés requérantes, qui est en réalité imputable à une grave négligence de leur part quant à l'appréciation des quantités d'acier nécessaires à la réalisation de la structure et du gros-oeuvre de l'ouvrage, ne peut pas être regardée comme au nombre des travaux supplémentaires ouvrant droit à un paiement.
25. En deuxième lieu, en l'absence de faute propre du maître d'ouvrage, les sociétés ETPO et COMABAT ne sont pas fondées à rechercher la responsabilité contractuelle de ce dernier à raison des fautes imputables à la société Ingerop SAS.
S'agissant des autres 350 tonnes d'acier :
26. Les sociétés requérantes soutiennent, en se prévalant d'une note de calcul réalisée par leur bureau d'études, la société Sabe, intégrant l'exigence de fonctionnalité après séisme des bâtiments classés en catégorie D par le décret n° 91-461 du 14 mai 1991 relatif à la prévention des risques majeurs, qu'un volume supplémentaire de 350 tonnes d'acier était indispensable pour construire des bâtiments conformes à cette exigence réglementaire.
27. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment de " la note technique concernant les exigences des bâtiments classe D " annexée au rapport d'expertise, que le projet était seulement soumis, comme le précisait expressément le cahier des clauses techniques particulières du lot n° 4, au respect des règles parasismiques 92 définies par un arrêté du 29 mai 1997, lesquelles ne comportent pas de règles de construction tendant à la performance des bâtiments après séisme. Par suite, l'emploi de 350 tonnes d'acier supplémentaires n'était pas indispensable à la bonne exécution des ouvrages tels qu'ils étaient définis par les stipulations du marché. Par suite, alors même qu'ils auraient été utiles au centre hospitalier universitaire de la Martinique, les sociétés ETPO et COMABAT ne peuvent en obtenir le paiement.
28. Cette surconsommation d'acier résultant exclusivement de la faute commise par les sociétés requérantes dans la consistance des prestations stipulées par le marché, ces dernières ne sont pas fondées à rechercher la responsabilité contractuelle du centre hospitalier de la Martinique pour en obtenir l'indemnisation.
29. La demande des sociétés requérantes tendant au versement de la somme de 2 103 620 euros au titre du coût des surconsommations d'acier sur le fondement des sujétions techniques imprévues est présentée pour la première fois en appel. Elle procède d'une cause juridique distincte des demandes présentées en première instance pour avoir paiement de cette somme et n'est pas d'ordre public. Par suite, elle est irrecevable.
30. Il résulte de tout ce qui précède que la demande des sociétés requérantes présentée en première instance tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Martinique à lui verser une somme de 2 103 620 euros au titre des travaux supplémentaires doit être rejetée et que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté ses autres demandes.
Sur le taux des intérêts moratoires :
31. Les sociétés requérantes soutiennent que les premiers juges ont majoré à tort de deux points seulement les intérêts au taux légal dont ils ont assorti les condamnations pécuniaires prononcées à l'encontre du centre hospitalier universitaire de Martinique. Elles font valoir qu'à défaut de mention de taux dans le marché, il convenait d'appliquer les dispositions du II de l'article 5 du décret n° 2002-232 du 20 février 2002 du 21 février 2002 susvisé aux termes desquelles : " (...) A défaut de la mention de ce taux dans le marché, le taux applicable est égal au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de sept points ". L'article 11 du même décret dispose que : " Le présent décret est applicable aux marchés dont la procédure de consultation est engagée ou l'avis d'appel public à la concurrence est envoyé à la publication postérieurement au 1er mars 2002. Il entre en vigueur à compter du 1er mars 2002 pour les marchés sans formalités préalables passés après cette date. Pour les établissements publics de santé et les établissements du service de santé des armées, la date d'entrée en vigueur mentionnée à l'alinéa précédent est le 1er juillet 2002 ".
32. Il résulte de l'instruction qu'a été publié 14 décembre 2001 un avis de pré information européenne comportant les mentions suivantes : " Construction d'une maison hospitalière destinée à la femme, la mère et l'enfant. Le nombre de lots prévisibles est 26, avec les caractéristiques suivantes (...) Réalisation des travaux en deux phases : une première -travaux préparatoires/VRD 1et une seconde -travaux bâtiment/VRD 2. Coût estimatif des travaux hors taxe sur la valeur ajoutée : entre 23,02 et 27,44 millions d'euros " et que le lot n° 1 " Travaux de terrassements généraux " a fait l'objet d'un avis appel public à la concurrence envoyé à la publication le 18 mars 2002. Par suite, en application des dispositions de son article 11, le décret du 20 février 2002 n'était pas applicable au marché en litige.
33. Il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à se plaindre de ce que les premiers juges ont majoré de deux points seulement les intérêts au taux légal.
Sur les conclusions d'appel en garantie présentées par la société Ingerop SAS à l'encontre de la société Sagena devenue société SMA, assureur de la société Sabe, l'intervention de la société Sagena et les conclusions de la société Sagebat tendant à sa mise hors de cause :
34. Aux termes de l'article L. 124-3 du code des assurances : " Le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable ". Si en application de ces dispositions, une entreprise victime de dommages causés par un autre intervenant à un marché de travaux publics dispose d'une action directe contre l'assureur de celui-ci, une telle action ne peut être engagée devant la juridiction administrative que si le contrat d'assurance conclu entre l'auteur du dommage et son assureur a été passé en application du code des marchés publics.
35. La société Sabe, personne morale de droit privé, n'est pas soumise au code des marchés publics. Le contrat d'assurance qu'elle a passé avec la société Sagena ne saurait, par suite, revêtir le caractère d'un contrat administratif dont il appartiendrait au juge administratif de connaître. Il en résulte que les conclusions d'appel en garantie de la société Ingerop SAS dirigées contre la société Sagena, l'assureur de la société Sabe, doivent être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître et que l'intervention et les autres conclusions susvisées ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions d'appel provoqué présentées par le centre hospitalier universaitaire de la Martinique :
36. Le présent arrêt n'a pas pour effet d'aggraver la situation du centre hospitalier universitaire de la Martinique telle qu'elle a été fixée par le jugement attaqué. Par suite, les conclusions susmentionnées sont irrecevables.
Sur les conclusions d'appel en garantie présentées par les autres parties :
37. Les conclusions précitées du centre hospitalier universitaires de Martinique étant irrecevables, les conclusions susmentionnées sont elles-mêmes irrecevables.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
38. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de condamner les sociétés ETPO et COMABAT à verser la somme de 2 000 euros au centre hospitalier de Martinique en application de ces dispositions et de rejeter la demande présentée par ces dernières et les autres parties au titre des frais de procès.
DECIDE
Article 1er : Le jugement n° 0500105 du 28 novembre 2013 du tribunal administratif de la Martinique est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur la demande tendant au paiement de la somme de 2 103 620 euros présentée par les sociétés ETPO et COMABAT au titre des travaux supplémentaires.
Article 2 : La demande des sociétés ETPO et COMABAT tendant au paiement de la somme de 2 103 620 euros au titre des travaux supplémentaires présentée devant le tribunal administratif et le surplus des conclusions de leur requête d'appel sont rejetés.
Article 3 : Les sociétés COMABAT et ETPO verseront la somme de 2 000 euros au centre hospitalier universitaire de la Martinique sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête des sociétés ETPO et COMABAT, le surplus des conclusions du centre hospitalier universitaire de Martinique et les conclusions des autres parties sont rejetés.
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N° 14BX00416