Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Razel-Bec a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le Grand Port Maritime de La Rochelle à lui verser la somme de 1 499 392,22 euros TTC à titre de complément au prix du marché relatif à la construction d'un quai à l'Anse Saint-Marc signé le 17 avril 2009.
Par un jugement n° 1201411 du 7 janvier 2015, le tribunal administratif de Poitiers a condamné le Grand Port Maritime de La Rochelle à verser à la société Razel-Bec la somme de 87 761,38 euros TTC.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 26 mars 2015 et le 10 mai 2016, la société Razel-Bec, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 7 janvier 2015 en tant qu'il a limité à 87 761,38 euros TTC le montant de l'indemnisation demandée ;
2°) de condamner le Grand Port Maritime de La Rochelle à lui verser la somme de 1 127 751,68 euros TTC augmentée des intérêts moratoires à compter du 30 mai 2011 et de leur capitalisation à compter du 8 août 2014 ;
3°) de mettre à la charge du Grand Port Maritime de La Rochelle la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le Grand Port Maritime de La Rochelle ne peut utilement contester la régularité du rapport d'expertise au motif qu'il n'aurait pas été amené à en discuter les conclusions ; en effet, il a eu la possibilité de le faire au cours de l'instance au fond ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande d'indemnisation de ses prestations de mise en place de GNT (graves non traitées) B au motif que le contrat n'avait pas été modifié sur ce point alors que l'expert désigné par le tribunal avait démontré le contraire ;
- elle a également droit à l'indemnisation des travaux supplémentaires qu'elle a accomplis pour remédier aux déplacements du rideau des palplanches, des pieux reliés à celles-ci ainsi qu'à l'ovalisation de ces pieux occasionnée par leur fichage dans un sol instable et hétérogène ; en effet, à la lecture de l'article 1.4.1 du CCTP, la société ne pouvait que considérer que le talus sur lequel le quai devait être implanté serait constitué de " tout venant calcaire " alors qu'en réalité, il est apparu qu'il était constitué de tout venant marneux ; de plus, l'article 1.2.2 du CCTP précisait que des sondages avaient été réalisés sur le site, de sorte que la société Razel-Bec pouvait en déduire que le maître de l'ouvrage les avaient réalisés avant le début des prestations alors qu'en réalité ces sondages dataient de 2005 et n'étaient plus valables en raison de la constitution ultérieure d'un terre-plein ; c'est en vain que le maître de l'ouvrage fait valoir que le marché mettait à la charge de l'entrepreneur la réalisation de sondages piézométriques dès lors que ce dernier s'est acquitté de son obligation ; et c'est le maître d'oeuvre qui a procédé lui-même à l'interprétation des résultats de ces sondages puis défini les paramètres à prendre en compte ; ainsi, le montant des travaux supplémentaires à payer à la société Razel-Bec s'élève à la somme de 460 011,82 euros HT ;
- elle a également droit à l'indemnisation des coûts supplémentaires qu'elle a supportés à raison des grèves qui ont affecté le Port de La Rochelle qui ont empêché son personnel d'accéder au chantier ; ces difficultés sont imputables au maître de l'ouvrage qui n'a pas été à même de lui permettre d'accéder au chantier afin de continuer l'exécution du marché ; c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté la demande d'indemnisation présentée à ce titre en se plaçant sur le terrain des sujétions imprévues dès lors que, dans le cadre d'un marché à prix unitaire, cette théorie ne s'applique sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence d'un bouleversement de l'économie du marché ; la société doit donc être indemnisée des coûts liés à l'immobilisation de son personnel et de son matériel pendant les grèves, lesquels s'élèvent à 24 439,72 euros HT ;
- il ne saurait être reproché à la société Razel-Bec un retard dans l'exécution du contrat dès lors que celui-ci est imputable aux erreurs d'analyses du maître de l'ouvrage et du maître d'oeuvre en ce qui concerne la nature du sol à l'origine de la déformation des palplanches ;
- les prolongations de délai accordées par le maître de l'ouvrage ne suffisent pas à indemniser la société Razel-Bec car il résulte des articles 19.21 et 10.11 du CCAG Travaux que dans l'hypothèse où les motifs de la prolongation du délai ne sont pas imputables à l'entrepreneur, celui-ci est fondé à obtenir une indemnisation pour la immobilisation de son personnel et de son matériel ; en l'espèce, les allongements de délais résultent des grèves qui ont affecté le port, des intempéries et des problèmes liés aux déformations des palplanches ; le coût des immobilisations supportées par la société Razel-Bec s'élève à 78 238,29 euros HT ; elle a droit aussi à la somme de 98 094,96 euros HT au titre des frais généraux supportés à raison de l'allongement du chantier et qui n'ont pas été amortis ;
- il est établi qu'aucun retard n'est imputable à la société Razel-Bec, ce qui conduira la cour à annuler en totalité les pénalités mises à sa charge et dont le bien-fondé a été admis à tort par le tribunal ; subsidiairement, la cour fixera les pénalités dans la limite du contrat, soit dix-huit jours au taux contractuel de 1/3000ème du montant du marché ;
- la société Razel-Bec a droit aussi à l'indemnisation de frais financiers qu'elle a supportés à hauteur de 40 356,66 euros.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 4 août 2015 et le 10 novembre 2016, le Grand Port Maritime de La Rochelle, représenté par Me Buès, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Razel-Bec la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les demandes de la société Razel-Bec s'appuient sur les conclusions de l'expertise qui n'a pourtant pas pris en compte ou répondu aux différents points soulevés par le Grand Port Maritime de La Rochelle dans ses différentes dires ;
- la requérante n'est pas en droit d'être indemnisée des prestations qu'elle a accomplies au titre du GNT B dès lors qu'elles ne résultent pas d'une modification des stipulations du contrat ;
- l'article 1.2.2 du CCTP précisait qu'une campagne de sondages devrait être réalisée par le titulaire et que les données géotechniques seraient proposées par celui-ci ; il ne saurait être reproché au maître de l'ouvrage d'avoir fourni des informations erronées sur la composition géotechnique du sol ; les précédents sondages réalisés en 2005 étaient nécessairement connus de la société Razel-Bec dès lors que leurs résultats étaient annexés au dossier de consultation ; le CCTP ne s'est pas engagé sur la composition géotechnique des matériaux constituant le terre-plein ; l'expression " tout venant calcaire " employée dans ce document ne suffisait pas à caractériser les matériaux de remblai sur un plan géotechnique ; le maître de l'ouvrage a permis au titulaire du marché de disposer de toutes les informations nécessaires à la bonne exécution de sa mission ; pourtant, l'entrepreneur n'a pas procédé aux interprétations géotechniques complémentaires décrites au CCTP en méconnaissance des obligations contractuelles découlant de l'article 2.12.2 dudit document ;
- la société requérante ne peut demander une indemnisation des préjudices que lui a causés les grèves ayant affecté le port dès lors qu'il n'en est pas résulté un bouleversement de l'équilibre du marché ;
- il en va de même en ce qui concerne les frais occasionnés par les tempêtes qui n'ont pas revêtu un caractère personnel et imprévisible ;
- les incidents de chantiers ne sont pas imputables au maître de l'ouvrage ou à une sujétion imprévue, de sorte que la société requérante ne peut être indemnisée des frais d'immobilisation de son matériel et de son personnel ; elle n'est pas non plus fondée à réclamer la levée des pénalités de retard ;
- les frais généraux et les frais financiers dont la société réclame le paiement ne sont pas justifiés.
Par ordonnance du 13 octobre 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 15 novembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics et le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de Mme Déborah De Paz, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la société Razel-Bec, et de Me D..., représentant le Grand port maritime de La Rochelle.
Une note en délibéré présentée pour la société Razel-Bec a été enregistrée le 5 avril 2017.
Considérant ce qui suit :
1. Le 17 avril 2009 dans le cadre de l'aménagement de l'Anse Saint-Marc, le Grand port maritime de La Rochelle a, en tant que maître d'ouvrage, signé avec le groupement d'entreprises solidaires formé entre la société Razel et la société Leduc, un marché public de travaux portant sur la construction d'un quai de 160 mètres pour un montant de 13 266 748 euros HT. La maîtrise d'oeuvre de ces travaux a été confiée à la direction des opérations portuaires du Grand port maritime de La Rochelle. Après la réception des travaux, le groupement d'entreprises, dont la société Razel était le mandataire, a établi le 30 mai 2011 un projet de décompte accompagné d'un mémoire en réclamation incluant une demande d'indemnisation à hauteur de 1 817 410,53 euros HT au titre des sujétions diverses rencontrées durant la réalisation des travaux. Le 1er août 2011, le maître d'oeuvre a adressé au groupement d'entreprises le décompte final rejetant les réclamations de l'entrepreneur et lui infligeant une pénalité de 78 000,30 euros HT correspondant à un retard de dix-huit jours dans l'exécution des travaux. La société Razel a, au nom du groupement, maintenu ses réclamations puis refusé l'indemnisation à hauteur de 80 000 euros ultérieurement proposée par le Grand port maritime de La Rochelle. La société Razel, aux droits de laquelle a succédé la société Razel-Bec, a demandé au président du tribunal administratif de Poitiers la désignation en référé d'un expert chargé d'analyser les raisons pour lesquelles les travaux n'ont pas été réalisés dans les délais et d'évaluer les préjudices qu'elle a subis. Parallèlement, la société Razel-Bec a saisi au fond le tribunal administratif de Poitiers d'une demande de condamnation du Grand port maritime de La Rochelle à lui verser la somme de 1 499 392,22 euros à titre de complément au prix du marché. Après le dépôt du rapport d'expertise le 9 décembre 2013, le tribunal administratif de Poitiers a, par jugement du 7 janvier 2015, condamné le Grand port maritime de La Rochelle à verser à la société Razel-Bec la somme de 87 761,38 euros TTC. La société Razel-Bec relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses demandes et conclut devant la cour à la condamnation du Grand port maritime de La Rochelle à lui verser la somme de 1 127 751,68 euros TTC représentant, selon elle, le solde auquel elle a droit au titre de la complète exécution du marché.
Sur la régularité de l'expertise :
2. A l'appui de son moyen tiré de ce que les dispositions de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, en vertu desquelles les parties sont invitées par le greffe de la juridiction à fournir leurs observations sur le rapport d'expertise dans le délai d'un mois, n'ont pas été respectées, le Grand port maritime de La Rochelle ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée devant le tribunal. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
3. Par ailleurs, les dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative aux termes desquelles : " Les parties sont averties par le ou les experts des jours et heures auxquels il sera procédé à l'expertise (...) Les observations faites par les parties, dans le cours des opérations, sont consignées dans le rapport. " n'imposent pas à l'expert de répondre aux dires des parties, mais seulement de consigner leurs observations dans son rapport. Par suite, la circonstance que l'expert n'ait pas répondu à certains des dires formulés par le Grand port maritime de La Rochelle est insusceptible d'entacher son rapport d'irrégularité. Par ailleurs, l'expert a bien visé le dire n° 5 présenté le 19 novembre 2013 par le Grand port maritime de La Rochelle. Il en résulte que son rapport n'est pas entaché des irrégularités alléguées.
Sur les droits de la société Razel-Bec :
En ce qui concerne la mise en place de GNT (Graves Non Traités) de type B :
4. Aux termes de l'article 3.10.2 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) applicable au marché en litige : " Fabrication, transport des graves. 3.10.2.1. Pour la réalisation de la GNT3 0/20 l'entrepreneur se réfèrera aux normes XPP 18 450 (...) La centrale utilisée pour la fabrication sera continue de classe 2 ou 3 (...) L'entrepreneur sera tenu d'adjoindre à la centrale d'enrobage un laboratoire capable d'effectuer les essais ci-après : Le contrôle de la granulométrie à l'entrée du malaxeur / E2 contrôle de caractéristiques et de la température du liant à l'entrée du malaxeur / E3 contrôle de la teneur en liant, de la teneur en eau et de la granulométrie à la sortie du malaxeur / E4 contrôle de la teneur en eau des granulats avant séchage (...) ". Aux termes de l'article 4.18 du même cahier : " Chaussée. 4.18.1 Corps de chaussée / Le corps de chaussée est constitué d'une couche de 32 conseil municipal de GTN3 0/20. 4.18.1.1. fabrication transport. Pour la réalisation de la GNT 0/20 l'entrepreneur se réfèrera aux normes XPP 18 450. La composition des graves sera soumise à l'acceptation du maître d'oeuvre avant tout début de fabrication. La centrale utilisée pour la fabrication sera continue de classe 2 ou 3 (...) l'entrepreneur devra disposer d'un parc de camions bâchés suffisant pour, compte tenu du trajet, alimenter régulièrement le chantier. Pendant le transport, les bennes seront obligatoirement bâchées (...) 4.18.1.2. mise en oeuvre / Avant la mise en oeuvre de la grave, l'entrepreneur devra réaliser, soit en carrière, soit sur les lieux de dépôt, soit dans l'emprise des travaux, l'homogénéité des matériaux par brassage et arrosage à l'aide d'engins appropriés (...) ".
5. Le 23 décembre 2010, le maître d'oeuvre n'a pas agréé la demande d'exécution d'une GNT de type A présentée par l'entrepreneur au motif que le contrat prévoyait la réalisation d'une GNT de type B. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, qu'une GNT de type B est obtenue par le mélange de fractions granulométriques distinctes au moyen d'un processus de malaxage et d'humidification réalisé dans une centrale d'enrobage tandis qu'une GNT de type A est le résultat d'une seule fraction granulaire. Les stipulations précitées des articles 3.10.2 et 4.18 du CCTP applicables au marché imposent explicitement l'utilisation d'une centrale d'enrobage pour la réalisation des graves. Il en résulte que le contrat imposait à l'entrepreneur, compte tenu du mode de fabrication auquel il faisait référence, une GNT de type B. La circonstance que l'article 4.18.1.1 stipule, pour sa part, que les graves devraient respecter la norme XPP 18 450 laquelle concerne, comme l'a relevé l'expert, les seules classes de granulats n'établit pas à elle seule que les stipulations du CCTP étaient ambiguës ou contradictoires quant au type de graves à fabriquer. Par suite, la société Razel-Bec n'est pas fondée à soutenir que la fabrication de graves de type B qui lui a été demandée constituerait des travaux non prévus au contrat devant lui être payés au titre des travaux supplémentaires.
En ce qui concerne la déformation des palplanches :
6. Aux termes de l'article 1.4 du CCTP : " Description des ouvrages. 1.4.1. Description / a) solution de base / L'ouvrage à construire est un quai sur pieux s'élevant à la cote + 9,50 cm, de longueur 160 m, complété par deux ducs d'Albe espacés de 35 m (1 duc C... d'accostage et 1 duc C... d'amarrage) de chaque côté du quai (...) Le quai est constitué d'un système de poutres et d'un tablier en béton armé reposant par l'intermédiaire de chapiteaux sur des pieux métalliques ancrés dans le substratum rocheux. (...) L'ouvrage est à implanter sur un talus existant de la digue d'enclôture de l'Anse Saint-Marc. La digue à talus de pente 3,5/2 est fondée sur le substratum rocheux à une profondeur variant de la cote - 7,50 cm en partie sud à - 5,00 cm en partie nord. La crête de digue s'établit à 8,50 cm (+ 10 cm pour la carapace). Elle est constituée d'un noyau en tout-venant calcaire recouvert, sur sa face exposée à la mer, d'un géotextile au-dessus de la cote - 2 CM puis d'une couche filtre intermédiaire d'enrochements 300-100 kg en 2 couches, puis d'enrochements de classe granulaire 3000 à 6000 kg (...) en 2 couches (...) ". Aux termes de l'article 1.2.2. du même cahier : " Données géotechniques. Des sondages ont été réalisés sur le site. Les résultats des essais réalisés sur l'emprise du futur quai figurent dans l'extrait de l'étude géotechnique en annexe. Une nouvelle campagne de sondages sera réalisée par le titulaire dans le cadre du présent marché. Les données géotechniques seront proposées par l'entrepreneur à l'issue de la campagne géotechnique prévue au présent marché. ". Enfin, l'article 2.12 du CCTP stipule également que : " Bases des études d'exécution / 2.12.1. Généralités / La note définissant les bases des études d'exécution rappelle l'ensemble des prescriptions de calcul fournies dans le présent marché et les complète au besoin suivant les propositions techniques de l'entrepreneur (...) / 2.12.2 Etude géotechnique / L'entrepreneur réalisera une étude géotechnique destinée à définir les hypothèses relatives au dimensionnement de la structure. La campagne réalisée à partir de sondages pressiométriques permettra de définir les caractéristiques géotechniques (pl et EM) du remblai et du substratum, base du dimensionnement de la fondation des pieux. Les sondages seront réalisés par moyens terrestres dans le corps de digue, au niveau de la crête de digue à raison, au minimum, d'un sondage tous les 10 mètres (...) ".
7. Il résulte de l'instruction qu'en février 2010, il a été constaté une déformation importante du rideau des palplanches assurant le soutènement arrière du quai ainsi que des pieux reliant lesdites palplanches. Des investigations géotechniques réalisées peu après ont révélé que ces désordres sont dus au fichage des pieux dans un sol instable, de caractère marneux, composé de matériaux hétérogènes tels que limons, sables, argiles, débris de briques et morceaux de bois. Cette situation a conduit la société Razel-Bec à réaliser des études et des travaux complémentaires dont elle demande le paiement par le Grand port maritime de La Rochelle à hauteur de la somme totale de 460 011,82 euros HT.
8. La société requérante fonde sa demande sur le fait que les résultats des précédents sondages géotechniques effectués sur les lieux en 2005, et auxquels l'article 1.2.2 du CCTP fait référence, sont devenus obsolètes depuis la réalisation ultérieure sur ces mêmes lieux d'un terre-plein sans que le maître de l'ouvrage ne l'ait informée de cette évolution. Elle invoque également l'erreur que comporte l'article 1.4.1 du CCTP en ce que, sur la base de ces précédents sondages, il décrit le sol de la digue d'ancrage comme étant constitué de tout-venant calcaire.
9. Toutefois, une possible modification dans la composition du sol à la suite de la réalisation du terre-plein a bien été prise en compte dans le CCTP, raison pour laquelle les articles 1.2.2 et 2.12.2 de ce document ont expressément imposé à la société Razel-Bec de réaliser des nouveaux sondages pressiométriques du sol avant le début des travaux. Ainsi, le Grand Port Maritime de La Rochelle ne peut être regardé comme s'étant engagé, par le contrat, sur la composition du sol en livrant sur ce point une information erronée à son cocontractant. Et il est à cet égard constant que la société Razel-Bec s'est conformée à ses obligations contractuelles en faisant réaliser par la société Ginger CEBTP, entre le 29 avril et le 15 mai 2009, les sondages prévus. La société Ginger CEBTP a ensuite déposé un rapport daté du 29 mai 2009 dans lequel il était précisé que sa mission d'investigation excluait toute analyse ou interprétation des résultats des sondages. Ces analyses et interprétations, nécessaires à l'élaboration de la note de calcul prise en compte dans les études d'exécution, n'ont pas non plus été effectuées par la société Razel-Bec qui soutient qu'elles relevaient de la mission du maître d'oeuvre.
10. Toutefois, l'acte d'engagement signé entre le Grand port maritime de La Rochelle et la société Razel-Bec confiait notamment à cette dernière la fourniture des études d'exécution, lesquelles consistent à élaborer les schémas fonctionnels, les notes techniques et de calcul qui précèdent et commandent celles des plans d'exécution. L'acte d'engagement précise également que le prix payé à l'entrepreneur pour la réalisation des sondages géotechnique rémunère la fourniture et l'analyse des résultats ainsi que l'établissement du rapport d'études.
11. Il en résulte que la mission de la société Razel-Bec, contractuellement chargée de réaliser les études d'exécution, ne se limitait pas à une simple transmission au maître d'oeuvre des résultats des sondages géotechniques réalisés par son prestataire, mais impliquait également qu'elle procède à leur analyse. Ainsi, en ne se livrant pas à cette analyse, ce qui l'a conduit à établir une note de calcul sur la base de laquelle le maître d'oeuvre a estimé que les données géotechniques existantes n'avaient pas évolué depuis la précédente campagne de sondage datant de 2005, la société Razel-Bec a manqué sur ce point à ses obligations contractuelles. S'il est vrai que le maître d'oeuvre était notamment chargé de viser les études d'exécution réalisés par l'entrepreneur, une telle mission, qui consiste seulement à vérifier que ces études respectent les dispositions du projet, n'impliquait nullement que ledit maître d'oeuvre vérifie aussi l'exactitude de la composition géologique du sol telle que décrite dans le rapport d'analyse géologique. Par suite, la société Razel-Bec n'est pas fondée à demander la condamnation du Grand Port Maritime de La Rochelle à l'indemniser des préjudices consécutifs à la déformation des palplanches constatée au cours du chantier.
En ce qui concerne la prolongation du délai d'exécution :
12. Aux termes de l'article 10.11 du CCAG-Travaux applicable au marché en litige : " Les prix sont réputés comprendre toutes les dépenses résultant de l'exécution des travaux (...) A l'exception des seules sujétions mentionnées dans le marché comme n'étant pas couvertes par le prix ceux-ci sont réputés tenir compte de toutes les sujétions d'exécution des travaux qui sont normalement prévisibles dans les conditions de temps et de lieu où s'exécutent ces travaux (...) ". Aux termes de l'article 19.2 de ce même cahier : " Prolongation des délais d'exécution : 19.21. Lorsqu'un changement de la masse de travaux ou une modification de l'importance de certaines natures d'ouvrages, une substitution des ouvrages initialement prévus d'ouvrages différents, une rencontre de difficultés imprévues au cours du chantier, (...) justifie soit une prolongation du délai d'exécution de l'ensemble des travaux ou d'une ou plusieurs tranches de travaux, soit le report du début des travaux, l'importance de la prolongation ou du report est débattue par le maître d'oeuvre, l'entrepreneur, puis elle est soumise à l'approbation de la personne responsable du marché, et la décision prise par celle-ci est notifiée l'entrepreneur par ordre de service. ". En vertu de l'article 10 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché litigieux, celui-ci ne comporte aucune stipulation dérogeant aux articles précités du CCAG-Travaux.
13. En application des stipulations précitées de l'article 10.11 du CCAG-Travaux, le prix du marché est ainsi réputé comprendre toutes les sujétions rencontrées durant l'exécution des travaux et qui présentent un caractère normalement prévisibles à l'exception des seules sujétions mentionnées dans le marché comme n'étant pas couvertes par le prix convenu. Aucune des stipulations du marché conclu entre les parties, et notamment celles de l'article 3 du CCAP, ne prévoit que le prix rémunérant les prestations de la société Razel-Bec ne couvre pas les sujétions d'exécution rencontrées par celle-ci en cours de chantier, au nombre desquelles figurent les sujétions liées à l'allongement du chantier résultant des grèves ou intempéries normalement prévisibles.
14. En raison des grèves et des intempéries, le délai d'exécution du marché a été prolongé à trois reprises, selon ordres de services des 6 décembre 2010, 20 janvier et 10 mars 2011, portant ainsi l'achèvement des travaux au 21 février 2011. Cette prolongation sur une durée cumulée de deux mois et neuf jours a conduit la société Razel-Bec à mobiliser sur le chantier ses moyens matériels et humains pendant une période plus longue que celle initialement prévue au contrat et à exposer à ce titre des frais dont elle demande l'indemnisation.
15. Il résulte de l'instruction que, pendant l'année 2010, plusieurs grèves ont affecté le port de La Rochelle sur une durée totale de six jours. Toutefois, il n'est pas établi au dossier, comme l'allègue la société requérante, que le maître de l'ouvrage aurait commis une faute en ne lui permettant pas d'accéder au chantier pendant ces journées de grève. Et il ne résulte pas non plus de l'instruction que ces évènements auraient, s'agissant d'un chantier s'étalant sur dix-huit mois, revêtu un caractère imprévisible de nature à permettre l'indemnisation de la société requérante au titre des sujétions imprévues. Par suite, la responsabilité du Grand port maritime de La Rochelle ne saurait être retenue sur ces fondements invoqués par la société requérante.
16. Il ne résulte pas de l'instruction que les intempéries autres que la tempête Xynthia pour laquelle la société requérante a été indemnisée par le tribunal, et qui ont aussi contribué aux retards constatés, auraient revêtu un caractère imprévisible pouvant justifier une indemnisation de la société sur le fondement de l'article 3 du CCAP. Il en va d'autant plus ainsi qu'en application de l'article 4.2 du CCTP, applicable au marché litigieux, la société Razel-Bec a déclaré s'être assurée, par une visite de reconnaissance des lieux, " des conditions générales et locales concernant les niveaux de marées, les circonstances météorologiques et climatiques, et de l'influence de ces conditions sur le niveau d'eau dans le terre-plein à l'emplacement des travaux (...) ". Par suite, la société requérante n'est pas fondée à demander à être indemnisée, sur le fondement du contrat, des frais qu'elle a dû assumer à raison de la prolongation du chantier.
En ce qui concerne les autres chefs de préjudices allégués :
17. La société Razel-Bec n'établit pas, par ses seuls calculs non assortis de justifications, le préjudice qu'elle déclare subir au titre de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée d'amortir ses frais généraux au rythme escompté du fait de l'allongement du délai d'exécution des travaux.
18. Si la société Razel-Bec demande une somme de 40 356,66 euros HT au titre des frais financiers qu'elle soutient avoir supportés, elle ne précise pas la nature exacte de ces frais et ne justifie pas non plus du montant qu'elle réclame. Par suite, ses conclusions sur ce point ne peuvent qu'être rejetées.
En ce qui concerne les pénalités de retard :
19. La pénalité, d'un montant de 78 000,30 euros, que le Grand Port Maritime de La Rochelle a infligée à la société Razel-Bec sanctionne des retards constatés au regard du calendrier prévisionnel des travaux. Ces retards, dont la réalité n'est pas contestée par la requérante, concernent l'exécution des tâches de préfabrication, la mise en place des pieux, du rideau de palplanches, de la poutre A du plot 1 ainsi que la pose d'éléments préfabriqués. Il résulte de l'instruction qu'à la demande de la société Razel-Bec, le Grand Port Maritime de La Rochelle a, pour ces mêmes retards, pratiqué une retenue à titre de pénalités sur les sommes dues au sous-traitant Atlan'route. Ce dernier a alors saisi le tribunal de commerce de Paris, lequel, par jugement du 20 décembre 2013, a considéré que le sous-traitant n'était responsable que d'une très faible partie du retard et a, en conséquence, fait droit à la demande de ce dernier tendant à ce que la société Razel-Bec soit condamnée à lui rembourser les pénalités litigieuses. Il résulte de ces considérations que la société Razel-Bec était responsable devant le maître d'ouvrage des retards constatés dans le déroulement du chantier et n'était pas fondée à répercuter sur son sous-traitant les sanctions financières liées auxdits retards. La société requérante, qui n'a pas fait appel du jugement rendu par le tribunal de commerce statuant sur les responsabilités respectives de l'entrepreneur principal et du sous-traitant sur les retards du chantier, n'est donc pas fondée à soutenir que les pénalités de retard lui auraient été infligées à deux reprises. Par suite, ses conclusions à fin de décharge desdites pénalités doivent être écartées.
20. Il résulte de tout ce qui précède que la société Razel-Bec n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a fixé à 87 761,38 euros le montant dû au titre de la complète exécution du marché litigieux. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Il y a lieu, en revanche, de faire droit aux conclusions du Grand Port Maritime de La Rochelle en mettant à la charge de la société requérante la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : La requête n°15BX01102 présentée par la société Razel-Bec est rejetée.
Article 2 : La société Razel-Bec versera au Grand Port Maritime de La Rochelle la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Razel-Bec et au Grand port maritime de La Rochelle.
Délibéré après l'audience du 4 avril 2017, à laquelle siégeaient :
M. Didier Péano, président,
Mme Christine Mège, président-assesseur,
M. Frédéric Faïck, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 27 avril 2017.
Le rapporteur,
Frédéric FaïckLe président,
Didier Péano Le greffier,
Evelyne Gay-Boissières
La République mande et ordonne au préfet de Charente-Maritime en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Evelyne Gay-Boissières
2
N° 15BX01102