Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La collectivité territoriale de Guyane a demandé au tribunal administratif de la Guyane de condamner solidairement le cabinet d'architectes Jocelyn Ho Tin A...etD..., le bureau d'études Becar Guyane, la société Nofrayane, la SARL Socomeca et la SGS Qualitest à lui verser la somme de 10 190 067,91 euros en réparation des désordres affectant le lycée d'enseignement professionnel Melkior et Garré de Cayenne réalisé avec le concours de ces dernières, la somme de 1 000 000 euros au titre de dommages et intérêts, la somme de 149 288, 18 euros au titre des frais d'expertise et la somme de 80 000 euros au titre des autres dépens.
Par un jugement n° 1400782 du 28 janvier 2016, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 mars 2016, des pièces complémentaires, enregistrées le 20 avril 2016, et des mémoires complémentaires, enregistrés respectivement le 19 octobre 2016 et le 26 janvier 2018, la collectivité territoriale de Guyane, représentée par le Cabinet Palmier et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guyane du 28 janvier 2016 ;
2°) de condamner solidairement le cabinet d'architectes Jocelyn Ho Tin A...etD..., le bureau d'études Becar Guyane, la société Nofrayane, la SARL Socomeca et la SGS Qualitest à lui verser la somme de 10 190 067,91 euros en réparation des désordres affectant le lycée d'enseignement professionnel Melkior et Garré de Cayenne réalisé avec le concours de ces dernières, la somme de 1 000 000 euros au titre de dommages et intérêts, la somme de 149 288, 18 euros au titre des frais d'expertise et la somme de 80 000 euros au titre des autres dépens ;
3°) de mettre à la charge du cabinet d'architectes Jocelyn Ho Tin A...etD..., du bureau d'études Becar Guyane, de la société Nofrayane, de la SARL Socomeca et de la SGS Qualitest une somme de 50 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'y avait pas prescription de la garantie décennale dès lors qu'il n'y a pas eu de réception des travaux de reprise et qu'il n'a pas été justifié de la notification de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux ;
- le rapport d'expertise conclut au fait que ce sont les fautes communes qui ont entraîné la réalisation de l'entier dommage ;
- ont été constatés des désordres rendant les bâtiments en question en partie impropres à leur destination et compromettant leur solidité ;
- les désordres constatés n'étaient pas apparents ou décelables lors de la réception par un examen normal de la construction et sont apparus pendant le délai de dix ans à compter de la réception des travaux ;
- en tenant compte de l'augmentation du coût des travaux d'urgence, de la quote-part retenue par l'expert et des sommes versées par les assureurs et les architectes, sa créance s'élève à 10 190 067,91 euros ;
- elle a subi un préjudice distinct du préjudice matériel, ce qui lui donne droit à la somme de 1 000 000 euros au titre des dommages et intérêts ;
- les assureurs ont réglé partiellement les sommes dues au titre de l'ordonnance du tribunal administratif du 27 février 2003 et de l'arrêt de la cour administrative d'appel du 5 novembre 2003 et les constructeurs ont été visés par la procédure ;
- une demande de paiement adressée au maître d'ouvrage délégué le 13 mars 2013 et restée sans réponse a interrompu la prescription décennale ;
- dès lors que le cabinet d'architectes a accepté le travail, il ne peut y avoir de forclusion ;
- une notification de l'arrêt du 27 février 2003 devenu définitif a été faite à l'égard de la SCET DOM TOM le 13 mars 2013.
Par des mémoires, enregistrés respectivement le 19 juillet 2016 et le 19 juillet 2017, la SGS Qualitest, représentée par la SELARL Karila De Van -C..., conclut au rejet de la requête, demande, à titre subsidiaire, de limiter toute condamnation prononcée à son encontre à 10 % des sommes allouées et qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la collectivité territoriale de Guyane en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'action de la collectivité de Guyane est prescrite ;
- la collectivité de Guyane ne peut se prévaloir des assignations et décisions intervenues à l'encontre des assureurs comme cause d'interruption de la prescription de son action à l'encontre des constructeurs ;
- les actions engagées par la collectivité de Guyane, tant devant les juridictions judiciaires qu'administratives, n'ont toujours tendu qu'au paiement d'une provision ;
- l'exécution d'une condamnation provisionnelle ne constitue nullement une reconnaissance de responsabilité ; en outre, il n'y a pas eu en l'espèce de reprise spontanée de l'ouvrage afin de remédier aux désordres qui pourrait être assimilée à une reconnaissance de responsabilité ;
- on ne saurait confondre les actions intentées contre les assureurs devant les juridictions judiciaires afin d'obtenir le paiement du solde de la provision et l'action en responsabilité des constructeurs de l'ouvrage ;
- la collectivité de Guyane produit un courrier entre avocats qui est par principe confidentiel ; il doit dès lors être supprimé du dossier ;
- s'il devait y avoir condamnation des défendeurs, ce ne pourrait être qu'une condamnation conjointe et non in solidum ;
- toute condamnation à son encontre ne pourrait être que limitée à 10 % du montant total, conformément au rapport d'expertise ;
- toute condamnation ne pourrait qu'être limitée à la somme globale retenue par l'expert, à laquelle il faudrait déduire la provision allouée, soit 3 019 408, 22 euros ;
- la collectivité de Guyane a déjà sollicité devant le tribunal de grande instance de Paris l'indemnisation d'un trouble de jouissance et ne saurait être indemnisée deux fois au titre du même préjudice ; au demeurant, elle ne distingue pas clairement quels seraient ses préjudices distincts du préjudice matériel ;
- la charge des dépens devrait être supportée selon les mêmes ratios que la réparation du préjudice matériel, soit 10 % en ce qui la concerne.
Par des mémoires, enregistrés le 20 juillet 2016 et le 19 décembre 2016, la société Ara architecture aménagement, représentée par M. B...A..., et M.D..., représentés par la SELARL E...et associés, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire, demande qu'elle soit garantie par le bureau d'études Becar Guyane, la société Nofrayane et la SGS Qualitest de tout condamnation prononcée à son encontre, demande en outre que la collectivité territoriale de Guyane soit condamnée à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts et qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la collectivité territoriale de Guyane en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la demande de la collectivité territoriale de Guyane est intervenue après l'expiration du délai décennal, lequel n'a été interrompu que par l'action en référé provision intentée devant le tribunal administratif de la Guyane puis la cour administrative d'appel de Bordeaux ;
- les procédures engagées devant le juge judiciaire n'ont pas été diligentées à l'encontre des constructeurs mais uniquement de leurs assureurs et n'avaient pour objet que d'obtenir le paiement du solde de la provision obtenue devant le juge administratif ;
- il n'y a eu aucune reconnaissance de responsabilité ;
- les désordres affectant la résille en façade ne relèvent pas de la garantie décennale ;
- ils n'ont été associés ni au choix de la charpente ni à la décision quant aux chenaux ni à celle sur la réduction des fûts sanitaires ;
- la part de responsabilité de 10 % retenue par l'expert les concernant est contraire tant à leur mission qu'à la répartition des missions entre les différents membres de la maîtrise d'oeuvre ;
- dans l'hypothèse où une part de responsabilité serait retenue à leur encontre, ils sont fondés à demander à être garantis par les autres intervenants ;
- les sommes réclamées ne sont pas justifiées ;
- la collectivité territoriale de Guyane a porté atteinte à leur image.
Par des mémoires, enregistrés respectivement le 2 août et le 18 novembre 2016, la société Nofrayane, représentée par le cabinet HSKA avocats associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la collectivité territoriale de Guyane une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que le recours intenté par la collectivité territoriale de Guyane a été enregistré au tribunal administratif de la Guyane après l'expiration du délai décennal.
Par ordonnance du 30 janvier 2018, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 27 février 2018 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Romain Roussel, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., représentant la SCG Qualitest, et de Me E..., représentant la société Ara architecture amménagement.
Considérant ce qui suit :
1. La collectivité territoriale de Guyane a fait construire, en 1991, le lycée professionnel Melkior et Garré à Cayenne. La maîtrise d'oeuvre a été confiée à l'agence d'architectes Ho Tin A...et D...et au bureau d'études Bécar, l'exécution des travaux à la SNC Nofrayane, laquelle a confié la réalisation de la charpente et de la couverture métallique à la SARL Socomeca, et le marché de contrôle à la SGS Qualitest. La collectivité territoriale de Guyane relève appel du jugement du 28 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire, sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs, des entreprises précitées à lui payer la somme de 10 190 067,91 euros en réparation des désordres affectant le lycée d'enseignement professionnel Melkior et Garré de Cayenne.
Sur la responsabilité des constructeurs :
2. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.
3. Il résulte de l'instruction que les travaux de construction du lycée Melkior et Garré ont été réceptionnés le 14 septembre 1992 avec réserves et que les réserves ont été levées le 22 avril 1993. Le délai de garantie décennale a donc commencé à courir à compter de cette date.
4. En raison de l'apparition de désordres, un expert a été désigné le 5 décembre 2000, à la demande de la collectivité territoriale de Guyane, par ordonnance du tribunal administratif de la Guyane. Le délai de dix ans de la garantie décennale a ainsi été interrompu.
5. Par ordonnance du 27 février 2003, le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a condamné solidairement les architectes Ho Tin A...etD..., le bureau d'études Becar, la SNC Nofrayane, la SARL Socomeca et la SGS Qualitest à verser à la collectivité territoriale de Guyane une provision de 4 166 910 euros sur le coût de réparation des désordres affectant le lycée. Cette ordonnance a été confirmée par ordonnance n° 03BX00613 du 5 novembre 2003 du président de la cour administrative d'appel de Bordeaux. Il résulte de l'instruction que la collectivité territoriale de Guyane a reçu notification de cette ordonnance le 24 novembre 2003. Un nouveau délai de garantie décennale a donc commencé à courir à compter de cette date.
6. Est sans incidence sur l'écoulement de ce délai la réception de nouveaux travaux réalisés à compter de 2006, distincts des travaux initiaux à l'origine des désordres constatés. Il en est de même de l'action intentée par la collectivité territoriale de Guyane auprès du tribunal de grande instance de Paris le 8 avril 2013 dès lors que son objet tendait seulement à obtenir le paiement par les assureurs des constructeurs du solde des sommes résultant des décisions précitées du juge administratif des référés.
7. En outre, ni le paiement par les assureurs des constructeurs d'une partie des sommes octroyées à titre de provision par le juge administratif des référés, ni la réalisation, par certains des constructeurs en cause, de travaux sans lien avec les travaux à l'origine des désordres en litige ne sauraient être regardés comme une reconnaissance de responsabilité par ces constructeurs.
8. Dans ces conditions, la demande de la collectivité territoriale de Guyane, enregistrée au greffe du tribunal administratif de la Guyane le 4 juin 2014, tendant à la condamnation solidaire des constructeurs sur le fondement de leur responsabilité décennale est intervenue après l'expiration du délai de dix ans parvenu à son terme le 24 novembre 2013. L'action en responsabilité des constructeurs était donc prescrite.
Sur les autres conclusions à fin d'indemnisation :
9. La requérante ne justifie d'aucun préjudice distinct de ceux invoqués au titre de la responsabilité décennale des constructeurs. Par suite, ses autres conclusions indemnitaires ne peuvent qu'être rejetées.
10. Il résulte de ce qui précède que la collectivité territoriale de Guyane n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Sur les conclusions incidentes de la société Ara architecture aménagement :
11. La société Ara architecture aménagement ne justifie pas du préjudice d'image allégué. Par suite, ses conclusions à fin d'indemnisation ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.
Sur les dépens :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de modifier la charge des dépens décidée par le tribunal.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des constructeurs, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la collectivité territoriale de Guyane au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Guyane, en application de ces mêmes dispositions, une somme de 1 000 euros à verser respectivement à la SGS Qualitest, à la SNC Nofrayane et à la société Ara Architecture Aménagement.
DECIDE
Article 1er : La requête de la collectivité territoriale de Guyane est rejetée.
Article 2 : Les conclusions incidentes de la société Ara architecture aménagement sont rejetées.
Article 3 : La collectivité territoriale de Guyane versera, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 000 euros respectivement à la SGS Qualitest, à la SNC Nofrayane à la société Ara architecture aménagement.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la collectivité territoriale de Guyane, à la SNC Nofrayane, à la société Qualitest et à la société Ara architecture aménagement. Copie sera transmise au ministre des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 26 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Philippe Pouzoulet, président,
Mme Sylvande Perdu, premier conseiller,
M. Romain Roussel, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 30 novembre 2018.
Le rapporteur,
Romain Roussel
Le président,
Philippe Pouzoulet
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au préfet de la Guyane en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX01058