La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/05/2019 | FRANCE | N°17BX01531

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 14 mai 2019, 17BX01531


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...G...a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le centre hospitalier universitaire de Toulouse (CHU) à lui verser une indemnité de 310 000 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation de ses préjudices liés à des interventions chirurgicales de réassignation sexuelle pratiquées le 6 septembre 2000 et

le 22 mai 2001.

Par un jugement n° 1500954 du 23 mars 2017, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 mai 2017, Mme G..., représentée
...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...G...a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le centre hospitalier universitaire de Toulouse (CHU) à lui verser une indemnité de 310 000 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation de ses préjudices liés à des interventions chirurgicales de réassignation sexuelle pratiquées le 6 septembre 2000 et

le 22 mai 2001.

Par un jugement n° 1500954 du 23 mars 2017, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 mai 2017, Mme G..., représentée

par MeD..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 mars 2017 ;

2°) de condamner le CHU de Toulouse à lui payer la somme de 310 000 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Toulouse une somme de 2 500 euros à verser

à Me D...en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué, qui se borne à rappeler le nombre de fois où elle a été reçue en consultation pour écarter le moyen tiré du défaut d'information, est entaché d'insuffisance de motivation ;

- c'est à tort que le tribunal s'est fondé exclusivement sur le rapport d'expertise

du Dr C...pour conclure à la conformité aux règles de l'art des actes chirurgicaux litigieux alors que cet expert n'est pas spécialiste de la chirurgie de réassignation sexuelle ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande fondée sur le défaut d'information alors qu'aucune pièce du dossier et notamment pas le rapport d'expertise n'établisse la réalité et le contenu de l'information délivrée ;

- contrairement aux conclusions du rapport d'expertise, lequel ne pouvait éclairer le tribunal dès lors que M. C...et son sapiteur ne justifient d'aucune connaissance, ni expérience ou formation dans la prise en charge médicale et chirurgicale des transsexuels, elle n'a pas, compte tenu de l'ampleur de l'imperfection tant sur le plan esthétique que fonctionnel des résultats de l'opération, qui n'a pu être corrigée par la chirurgie de reprise réalisée

le 22 mai 2001, de la nécessité de procéder à une véritable reconstruction et sa difficulté, fait l'objet d'une opération conforme aux règles de l'art et est fondée à soutenir que le CHU a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- le CHU de Toulouse n'établit pas que les praticiens se soient pleinement acquittés de leur obligation d'information notamment du risque, qui s'est en l'espèce réalisé, d'un résultat désastreux nécessitant non pas une simple chirurgie de correction mais une véritable reconstruction aux résultats incertains ; qu'en l'absence de ce manquement il n'est pas douteux qu'elle aurait refusé de subir l'intervention de sorte qu'elle a droit à la réparation intégrale de ses préjudices et des troubles dans les conditions d'existence ;

- elle a subi des préjudices corporels, physiologiques, sexuel et d'agrément, ainsi qu'un préjudice moral qui doivent être indemnisés à hauteur de 200 000 euros ; elle a subi des souffrances physiques et morales évaluées à 3 sur une échelle de 7, qui doivent être indemnisées à hauteur de 60 000 euros et un préjudice esthétique pour lequel elle apparaît fondée à solliciter la somme de 50 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2017, le centre hospitalier universitaire de Toulouse, représenté par la SELARL Montazeau etA..., conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme G...ne sont pas fondés.

La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie

de Haute-Garonne pour laquelle il n'a pas été produit d'observations.

Par ordonnance du 18 avril 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 22 mai 2018.

Mme G...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une

décision du 29 juin 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Normand, rapporteur public ;

- et les observations de MeA..., représentant le CHU de Toulouse.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B...G..., née le 7 avril 1965 de sexe masculin, a fait l'objet,

le 6 septembre 2000, à l'hôpital de Rangueil relevant du centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse, d'une opération de réassignation sexuelle, laquelle a été suivie, le 22 mai 2001, d'une intervention d'implantation de prothèses mammaires et de retouche sur la génitoplastie féminisante précédemment réalisée. Se plaignant d'imperfections fonctionnelles et esthétiques Mme G...a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse d'une demande d'expertise à laquelle il a été fait droit. M.C..., chirurgien urologue désigné en qualité d'expert par une ordonnance du 30 septembre 2005, qui s'est adjoint le concours d'un sapiteur, M.F..., spécialisé en chirurgie plastique reconstructive et esthétique, a déposé son rapport le 2 janvier 2007. Mme G...relève appel du jugement du 23 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à la condamnation du CHU de Toulouse à lui verser une somme de 310 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des interventions chirurgicales de réassignation sexuelle pratiquées le 6 septembre 2000 et le 22 mai 2001.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Toulouse, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a expressément répondu au moyen soulevé par Mme G...et tiré du manquement des praticiens du CHU de Toulouse à leur obligation d'information. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

Sur la régularité de l'expertise :

3. S'il n'est pas contesté que M.C..., qui est chirurgien urologue inscrit sur la liste des médecins expert près la cour d'appel de Paris et la cour administrative d'appel de Paris, et son sapiteur désigné par la juridiction, M.F..., expert agréé près la Cour de cassation spécialiste en chirurgie plastique reconstructrice et esthétique exerçant à l'hôpital européen Georges Pompidou à Paris où se sont déroulées les opérations expertales le 22 mars 2006, n'ont jamais pratiqué de réassignation sexuelle, il ne résulte pas de l'instruction que les questions qui leur ont été posées dans le cadre de la mission d'expertise médicale confiée par le juge des référés étaient étrangères à leur spécialité médicale ainsi qu'à leurs connaissances et possibilités de sorte qu'ils auraient dû, en application des règles du code de déontologie médicale, se récuser faute de compétences et d'expérience pour exercer la mission prescrite. Il résulte, en outre, de l'instruction qu'après avoir rappelé la procédure, reconstitué l'histoire médicale

de Mme G...à partir de l'analyse des documents communiqués, avoir examiné celle-ci et décrit l'évolution médicale et jurisprudentielle du transsexualisme en France, les experts ont répondu précisément à chacune des questions que comportait leur mission en prenant en considération la situation particulière de l'intéressée du point de vue chirurgical plastique et reconstructif et du point de vue chirurgical urologique. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, le rapport d'expertise, qui est suffisamment complet, précis et détaillé, a pu éclairer le tribunal alors même qu'il y est indiqué que l'un des objectifs de l'intervention chirurgicale de réassignation sexuelle était l'obtention d'un changement d'état civil.

Sur la responsabilité du CHU de Toulouse :

4. Il est constant que la chirurgie de réassignation sexuelle constituait à la date des interventions subies par l'appelante et reste encore une chirurgie extrêmement complexe avec des résultats plastiques, urinaires et sexuels incertains. S'il résulte de l'instruction et notamment des différentes attestations médicales de chirurgiens produites par Mme G...que le résultat des interventions de génitoplastie féminisante dont elle a fait l'objet en vue de créer un appareil génital féminin par la réalisation d'une cavité vaginale, d'un clitoris, de lèvres génitales et par la pose d'implants mammaires, pourrait être amélioré par des opérations chirurgicales , l'appelante n'établit pas que le CHU de Toulouse aurait commis une faute dans sa prise en charge chirurgicale les 6 septembre 2000 et 22 mai 2001. À cet égard le rapport de l'expertise précitée conclut que les interventions et les soins pratiqués ont " été appropriés et conformes aux règles de l'art " et le résultat global satisfaisant. Les imperfections fonctionnelles et esthétiques dont se plaint la patiente qui estime qu'elles rendent nécessaires une " reconstruction " après la réassignation sexuelle dont elle a bénéficié le 6 septembre 2000, corrigée par la retouche chirurgicale du 22 mai 2001, ne sont pas de nature à établir qu'elle aurait été victime d'une faute. Mme G...n'est ainsi pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse, en se fondant notamment sur le rapport de l'expertise contesté, a estimé que la responsabilité du CHU de Toulouse ne pouvait être engagée.

5. Ainsi que l'ont rappelé les premiers juges, lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation. Il appartient à l'hôpital d'établir que l'intéressé a été informé des risques de l'acte médical. La faute commise par les praticiens d'un hôpital au regard de leur devoir d'information du patient n'entraîne pour ce dernier que la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé. La réparation du dommage résultant de cette perte doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice qui tient compte du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'acte médical et, d'autre part, les risques encourus en cas de renoncement à cet acte.

6. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que MmeG..., prise en charge à compter d'avril 1996 par les praticiens du groupe toulousain de réflexion et de prise en charge du transsexualisme, a bénéficié de nombreuses consultations, dont huit préopératoires, avant que ne soit réalisée la génitoplastie féminisante litigieuse du 6 septembre 2000, laquelle a été reportée à trois reprises à la demande de l'intéressée, qui souhaitait un nouveau délai de réflexion.

La patiente a ainsi été mise à même de donner en connaissance de cause un consentement éclairé à l'acte de soins lourd et irréversible auquel elle s'est ainsi volontairement soumise, alors même qu'aucun document écrit signé par elle n'est produit par le CHU de Toulouse. Si elle se plaint de ne pas avoir été informée de toutes les suites possibles de cette opération et notamment de ses résultats, il ne résulte pas de l'instruction qu'un risque connu de décès ou d'invalidité même exceptionnel répertorié dans la littérature médicale se soit en l'espèce réalisé et qui n'aurait pas été porté à sa connaissance. Le rapport d'expertise conclut à cet égard qu'aucun défaut d'information ne peut être reproché au chirurgien du CHU de Toulouse qui a opéré

Mme G...ni à l'équipe pluridisciplinaire qui l'a prise en charge dans le cadre des interventions de réassignation sexuelle du 6 septembre 2000 et du 22 mai 2001. Par conséquent, le moyen tiré du défaut d'information doit être écarté.

7. Il résulte de ce qui précède que Mme G...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à la condamnation du CHU de Toulouse à lui verser une indemnité de 310 000 euros en réparation des préjudices résultant des interventions chirurgicales pratiquées le 6 septembre 2000 et 22 mai 2001.

Sur les dépens :

8. Il résulte de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article R. 761-1 du code de justice administrative que, lorsque la partie perdante bénéficie de l'aide juridictionnelle totale, et hors le cas où le juge décide de faire usage de la faculté que lui ouvre l'article R. 761-1 du code de justice administrative, en présence de circonstances particulières, de mettre les dépens à la charge d'une autre partie, les frais d'expertise incombent à l'État. En l'espèce, il y a lieu de maintenir les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Toulouse, liquidés et taxés pour un montant de 4 200 euros par une ordonnance de son président

du 24 janvier 2007 à la charge de l'État au titre de l'aide juridictionnelle totale

dont Mme G...est bénéficiaire.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le CHU de Toulouse, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à Mme G...la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme G... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...G..., au centre hospitalier universitaire de Toulouse et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2019, à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 14 mai 2019.

Le rapporteur,

Aurélie E...

Le président,

Éric Rey-BèthbéderLe greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 17BX01531


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX01531
Date de la décision : 14/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Aurélie CHAUVIN
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : MAYLIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-05-14;17bx01531 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award