Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société d'assurances du Crédit Mutuel IARD et la banque CIC Sud-Ouest ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à verser la somme de 13 670, 36 euros à la société d'assurances du Crédit Mutuel IARD en réparation du préjudice qu'elle a subi, en sa qualité d'assureur subrogé dans les droits de la banque CIC Sud-Ouest du fait des dommages occasionnés par des manifestants le 8 novembre 2014 et de condamner l'Etat à verser à la banque CIC Sud-Ouest la somme de 920, 80 euros, au titre de la franchise contractuelle restée à sa charge.
Par un jugement n° 1505968 du 25 avril 2018, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à verser à la société d'assurances du Crédit Mutuel IARD la somme de 13 670, 36 euros et à la banque CIC Sud-Ouest la somme de 697, 07 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 juin 2018, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) de rejeter les demandes présentées par la société d'assurances du Crédit Mutuel IARD et par la banque CIC Sud-Ouest.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure étaient remplies ;
- la circonstance que les dégradations aient été préméditées est de nature à exclure la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.
Par un mémoire enregistré le 13 mars 2019, la société d'assurances du Crédit Mutuel IARD et la banque CIC Sud-Ouest, représentées par Me B..., demandent à la Cour :
1°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;
2°) de condamner l'Etat à payer à la société d'assurances du Crédits Mutuel IARD, subrogée dans les droits de la banque CIC Sud-Ouest, la somme de 16 176, 44 euros TTC et à la banque CIC Sud-Ouest la somme de 920, 80 euros, assorties des intérêts de retard au taux légal à compter de leur demande préalable, ainsi que la capitalisation des intérêts ;
3°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 25 avril 2018 en tant qu'il a limité leurs indemnisations aux sommes de 13 670, 36 euros et de 697, 07 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la requête est irrecevable par application des articles R. 431-12 alinéa 2 et R. 811-10 du code de justice administrative ;
- le préfet n'est pas compétent pour présenter seul une requête en appel, car ce recours doit également être signé par le ministre intéressé ;
- aucun moyen n'est fondé, la responsabilité de l'Etat sans faute est engagée sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure et sur le fondement de la responsabilité pour faute, en raison de l'insuffisance des moyens mis en oeuvre et de façon inappropriée ;
- elles sont fondées à demander que leur indemnisation soit portée à la somme de 16 176, 44 euros et à celle de 920, 80 euros, car le tribunal a pris le montant hors taxe, alors que les compagnies d'assurance ne récupèrent pas la TVA, et en revanche, les banques en récupèrent une partie.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code des assurances ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... A...,
- et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 8 novembre 2014, à Toulouse, à l'occasion d'un rassemblement contre le projet de barrage de Sivens et en hommage à Rémi Fraisse décédé sur le site de Sivens, des affrontements ont eu lieu entre des manifestants et les forces de l'ordre, causant des dégâts matériels à l'agence CIC située place des Carmes. La société d'assurances du Crédit Mutuel IARD a indemnisé l'agence à hauteur de 13 670, 36 euros. Par courrier du 7 septembre 2015, la société d'assurances du Crédit Mutuel IARD et la banque CIC Sud-Ouest ont présenté une demande indemnitaire au préfet de la Haute-Garonne sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. Suite au rejet de leur demande par une décision du 20 octobre 2015, la société d'assurances du Crédit Mutuel IARD, en sa qualité de subrogée dans les droits de son assurée, a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 13 670, 36 euros. La banque CIC Sud-Ouest a également demandé la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 920, 80 euros en réparation des dommages qui n'ont pas été indemnisés par son assureur. Par un jugement du 25 avril 2018, dont le préfet de la Haute-Garonne relève appel, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à verser à la société d'assurances du Crédit Mutuel IARD la somme de 13 670, 36 euros et à la banque CIC Sud-Ouest la somme de 697, 07 euros. La société d'assurances du Crédit Mutuel IARD et la banque CIC Sud-Ouest relèvent également appel de ce jugement en tant qu'elles n'ont pas eu entièrement satisfaction.
Sur la recevabilité de la requête du préfet de la Haute-Garonne :
2. Aux termes de l'article R. 811-10-1 du code de justice administrative : " - Par dérogation aux dispositions de l'article R. 811-10, le préfet présente devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'Etat lorsque le litige est né de l'activité des services de la préfecture dans les matières suivantes : (...) 3° Mise en jeu de la responsabilité de l'Etat du fait des dommages causés par les attroupements et rassemblements (...) ". En l'espèce, l'Etat a été condamné par le tribunal administratif à raison des dommages aux biens causés par des attroupements et rassemblements. Ainsi, le présent appel relève d'un des cas prévus par les dispositions précitées. Par suite, le préfet de la Haute-Garonne avait qualité pour faire appel du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 25 avril 2018. Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de ce que le préfet de la Haute-Garonne ne pouvait pas présenter un appel sans le contreseing du ministre de l'intérieur, doit être écartée.
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :
3. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. ". L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés.
4. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de police du 8 novembre 2014 que ce jour-là s'est tenue à Toulouse une manifestation de protestations contre les violences policières suite au décès de Rémi Fraisse et contre le barrage de Sivens, qui avait été interdite par arrêté préfectoral. Il ressort également des écritures concordantes des parties que le 1er novembre 2014 s'était déjà tenue une première manifestation au cours de laquelle plusieurs groupes d'individus avaient commis des dégradations aux biens. Il ressort également de ce rapport de police du 8 novembre 2014 que sur les cinq cent manifestants, cent cinquante étaient déterminés à en " découdre avec les forces de l'ordre ". Les manifestants se sont rassemblés sur l'esplanade François Mitterrand à 14H00. Ils se sont ensuite avancés dans l'allée Jean-Jaurès et ont été stoppés par les forces de l'ordre. Vers 15H45, ils ont été invités à se disperser et ont été repoussés par les forces de l'ordre avec des moyens lacrymogènes. Des groupes ont alors provoqué les forces de l'ordre et se sont ensuite dispersés dans la ville, après que les forces de l'ordre aient " essuyé quatre lancers d'engins incendiaires (...) et des jets de nombreux projectiles ". Lors des déplacements des groupes hostiles dans les rues de Toulouse, des dégradations ont été commises à l'encontre de la banque du Crédit Mutuel et des conteneurs à poubelles et une voiture ont été incendiés. Il résulte de ce qui précède, que l'action de détérioration volontaire de sa devanture dont a été victime la banque CIC Sud-Ouest doit être regardée comme ayant été perpétrée par un groupe de personnes, de façon préparée et concertée, et non de façon spontanée. Par suite, les conséquences dommageables de cette manifestation, ne peuvent pas être regardées comme imputables à un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. Le préfet de la Haute-Garonne est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a admis l'engagement de la responsabilité de l'Etat.
5. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société d'assurances du Crédit Mutuel IARD et la banque CIC Sud-Ouest devant le tribunal administratif de Toulouse.
Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :
6. Il résulte de l'instruction que le 8 novembre 2014, dans le cadre de cette manifestation, plus de trois cent militaires et policiers ont été déployés pour maintenir et rétablir l'ordre public, protéger les personnes et les biens. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les actes de dégradations causés aux biens de la banque CIC Sud-Ouest ont été commis lorsque les groupes d'individus se sont dispersés dans la ville et que les forces de l'ordre s'efforçaient d'empêcher les groupes les plus actifs de se rendre à proximité des lieux publics. Dans ces conditions, compte-tenu des moyens humains mis en oeuvre et de la difficulté des opérations, la caisse d'assurances Crédit Mutuel IARD et la banque CIC Sud-Ouest ne sont pas fondées à soutenir que l'Etat, dont la responsabilité en matière d'exécution des opérations de maintien de l'ordre ne peut être engagée que pour une faute lourde, aurait commis une telle faute.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à verser à la société d'assurances du Crédit Mutuel IARD la somme de 13 670,36 euros et à la banque CIC Sud-Ouest la somme de 697, 07 euros. Il y a lieu par conséquent de rejeter leurs demandes de première instance et leur conclusions d'appel incident.
Sur les frais d'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat qui n'a pas la qualité de partie perdante, la somme que demandent la société d'assurances du Crédit Mutuel IARD et la banque CIC Sud-Ouest au titre de leurs frais d'instance.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1505968 du 25 avril 2018 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : Les demandes de première instance présentées par la société d'assurances du Crédit Mutuel IARD et par la banque CIC Sud-Ouest et leurs conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'assurance du Crédit Mutuel IARD, à la banque CIC Sud-Ouest et au préfet de la Haute-Garonne. Une copie en sera délivrée au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme D... E..., présidente-assesseure,
Mme C... A..., premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 18 février 2020.
Le rapporteur,
Déborah A...Le président,
Dominique NAVESLe greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX02521