Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... E..., Mme A... F... et M. L... D... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot à verser les sommes de 238 205 euros à Mme E..., 40 000 euros à Mme F... et 20 000 euros à M. D... en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subi du fait du décès de M. I... D....
Par un jugement n° 1603738 du 27 février 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 avril 2018 et des mémoires enregistrés les
26 juillet 2018, 28 août 2018 et 14 janvier 2019, Mme E..., représentée par Me K..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot à lui verser la somme de 238 205 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2016 et capitalisation.
Elle soutient que :
- le médecin du centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot a manqué à son obligation de soins en ne prenant pas conscience, le 6 janvier 2012, de la gravité de l'état de M. D..., dont les symptômes correspondaient aux signes cliniques d'une hypokaliémie ; en raison de cette faute, le patient est resté plusieurs jours à son domicile sans suivi ;
- un taux de potassium inférieur ou égal à 2,5 mEq /l constitue une urgence médicale nécessitant une prise en charge immédiate avec hospitalisation ; dès lors que les résultats des analyses sont parvenus le 13 janvier 2012 au service concerné, le médecin a commis une faute en s'abstenant de prendre en charge immédiatement la déficience en potassium pouvant entrainer un trouble du rythme cardiaque ; cette faute est à l'origine du décès ;
- les experts ont estimé que M. D... avait perdu une chance d'être soigné efficacement du fait de l'absence de transmission correcte des résultats biologiques par le laboratoire d'analyses médicales et de l'absence de prise en charge par le médecin du centre hospitalier dès la réception de ces résultats ;
- ses pertes de revenus s'élèvent à 195 737 euros, elle a exposé 2 468 euros de frais d'obsèques, et son préjudice moral doit être évalué à 40 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 décembre 2018, le centre hospitalier
de Villeneuve-sur-Lot, représenté par Me J..., conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la requête sommaire est insuffisamment motivée et le mémoire complémentaire
a été enregistré après l'expiration du délai d'appel ;
- à titre subsidiaire, le laboratoire ne s'est pas assuré de la bonne lecture des résultats d'examen par l'hôpital, et Mme E... n'a pas conduit son compagnon aux urgences le
16 janvier au matin malgré une extrême fatigue avec crampes, vomissements et vertiges ; dans ces circonstances, aucune faute ne peut être reprochée au praticien hospitalier ; en outre, la cause du décès est incertaine ;
- à titre infiniment subsidiaire, seule une faible perte de chance pourrait être retenue,
et les sommes demandées par Mme E... sont excessives.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 26 avril 2018.
Par ordonnance du 28 août 2019, la clôture d'instruction a été fixée au
1er octobre 2019.
Un mémoire présenté pour Mme E... a été enregistré le 6 mai 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., compagnon de Mme E..., né le 29 février 1964, présentait une infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) connue depuis 1988, un diabète insulinodépendant, une toxicomanie traitée par méthadone, des antécédents de toxicomanie éthylique et une cirrhose post-hépatite C au stade Child C compliquée de décompensations oedémato-ascitiques sévères. Son traitement incluait, en ce qui concerne cette dernière pathologie, de fortes doses de diurétiques (Lasilix), associées à des spécialités (Aldactone 25 et Diffu K) destinées à prévenir les risques d'hypokaliémie (déficit en potassium).
Le 6 janvier 2012, Mme E... a signalé téléphoniquement au médecin référent de M. D... au centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot que son compagnon présentait un syndrome confusionnel. Le médecin aurait émis l'hypothèse d'une poussée d'ammoniémie,
dont l'augmentation avait été constatée le 9 décembre 2011, et conseillé l'arrêt de tout traitement. Le 12 janvier 2012, un prélèvement sanguin a été effectué en vue du rendez-vous de suivi au centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot fixé au 18 janvier suivant. M. D... est décédé à son domicile le 16 janvier 2012 entre 12 h et 19 h d'une cause inconnue, plusieurs hypothèses pouvant être évoquées, dont celle d'un trouble du rythme cardiaque avec mort subite causé
par l'hypokaliémie mise en évidence par les résultats des examens du 12 janvier 2012.
La commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) d'Aquitaine, saisie par Mme E..., a missionné deux experts dont le rapport, rendu le 27 juin 2014, conclut qu'en l'absence de signalement de l'hypokaliémie par le laboratoire d'analyses médicales et
de prise de connaissance des résultats des examens biologiques par le médecin du centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot, M. D... avait perdu une chance d'être soigné efficacement. Mme E... relève appel du jugement du 27 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande de condamnation du centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot à l'indemniser des préjudices en lien avec le décès de son conjoint.
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...). "
3. En premier lieu, Mme E... fait valoir que le médecin du centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot aurait manqué à son obligation de soins en ne prenant pas conscience de la gravité de l'état de son compagnon, dont les symptômes correspondaient aux signes cliniques d'une hypokaliémie, lorsqu'elle lui a décrit l'état de ce dernier le 6 janvier 2012. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise, que M. D... présentait alors des troubles du comportement imputables à une décompensation à type d'encéphalopathie en lien avec la cirrhose, lesquels étaient devenus plus fréquents et avaient d'ailleurs conduit à la réalisation d'un scanner cérébral le 11 octobre 2011. Ces troubles, dont le médecin référent du centre hospitalier a estimé qu'ils ne nécessitaient pas l'hospitalisation du patient, n'étaient pas de nature à l'alerter sur une possible hypokaliémie, carence dont les signes cliniques sont divers et non spécifiques. Par suite, il ne peut être reproché à ce médecin d'avoir laissé le patient à son domicile sans suivi.
4. En second lieu, Mme E... soutient que le centre hospitalier aurait dû tenir compte, dès leur réception par le service concerné le 13 janvier 2012, des résultats du bilan sanguin du
12 janvier faisant apparaître une hypokaliémie. Il résulte de l'instruction que M. D... était suivi à raison d'une consultation mensuelle au centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot, en vue de laquelle des examens biologiques de contrôle étaient réalisés la semaine précédente. En l'espèce, le patient était apparu en " bon état général " lors de la consultation du 9 décembre 2011, et les troubles du comportement signalés le 6 janvier 2012 ne présentaient pas un caractère de gravité nécessitant une hospitalisation. Dans ces circonstances, ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, aucun des praticiens hospitaliers du service concerné ne se trouvait, en l'absence d'alerte du laboratoire d'analyses médicales sur l'existence d'un paramètre inquiétant, dans l'obligation de vérifier les résultats du bilan sanguin du 12 janvier 2012 avant le rendez-vous fixé au 18 janvier. Ainsi, alors même que, selon les experts, l'hypokaliémie mesurée
à 2,5 milliéquivalent par litre constituait une urgence médicale nécessitant une prise en charge immédiate avec hospitalisation, le fait que cette anomalie n'a pas été prise en compte dès le
13 janvier 2012, date de la réception des résultats par le service hospitalier, n'est pas constitutif d'une faute.
5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de
non-recevoir invoquée par le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... E... et au centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot.
Délibéré après l'audience du 12 mai 2020 à laquelle siégeaient :
Mme H... M..., présidente,
Mme B... C..., présidente-assesseure,
Mme N..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 9 juin 2020.
La présidente,
Brigitte M...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX01476